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Sujet: Une piste rouge sang
Ryad Assad

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Rechercher dans: Les Prairies   Tag leda sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Une piste rouge sang    Tag leda sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyLun 25 Nov 2019 - 19:05
La surprise était de taille.

Et d'un certain poids.

Si bien que quand elle s'abattit sur les épaules du jeune soldat, celui-ci se mit à crier de douleur tandis que l'os se brisait net. Une fracture sans le moindre doute, qui l'empêcherait d'utiliser son bras d'épée pendant un long moment. Un coup chanceux de la part de Théomer, qui lui permettait de redistribuer les cartes. Dans tout ce chaos de gémissements et de hennissements, c'était désormais un contre un. Un duel à sa portée, même s'il se remettait péniblement de ses blessures. Il demeurait un cavalier du Rohan, un duelliste talentueux qui pouvait aisément s'en tirer face à un jeune combattant inexpérimenté. Il lui suffisait simplement d'achever la première victime, pour pouvoir passer à la suivante, et la voie serait libre pour s'échapper ou engager la traque des deux autres qui s'étaient éloignés dans la nuit.

Le plan, qui ressemblait davantage à une série de hasards, semblait se dérouler sans difficulté, mais c'était sans compter sur les réflexes prodigieux du second soldat. Au lieu lieu de tenter de bander son arc – ce qui aurait été du suicide à cette distance et dans la nuit –, celui-ci choisit de plonger directement sur le Rohirrim pour l'empêcher de mettre fin aux jours de son ami. Un geste à la fois héroïque et irréfléchi qui montrait que la détermination n'était pas l'apanage du cavalier. Ses adversaires étaient au moins aussi résolus que lui à rentrer en vie. Le choc fut particulièrement rude pour Théomer qui bascula en arrière, et se retrouva coincé entre le sol et la masse de son ennemi. Celui-ci se débattait comme un beau diable, même s'il n'était ni très grand, ni assez costaud pour prendre le dessus aisément. Cependant il était vif comme un serpent, insaisissable comme une anguille, et aussi agaçant qu'un frelon. Il se dégagea rapidement de la prise qu'essayait de réaliser Théomer pour le bloquer, et lança un premier coup de poing qui cueillit le Rohirrim à la tempe. De quoi le sonner pendant une brève seconde, et en profiter pour essayer de saisir son poignard.

Dans ces conditions, tout duel était un duel à mort, et le premier à mettre la main sur une arme tranchante ou perforante se donnait de solides chances de s'en sortir vivant. Il suffisait d'une coupure bien placée, ou d'un assaut d'estoc chanceux pour mettre fin à l'affrontement. Un seul coup au but, et c'était fini. A cette distance, et avec la rage de vivre qui gorgeait leurs veines, leurs protections légères ne serviraient à rien ou presque. Le guerrier, dont le visage était mangé par les ténèbres ambiantes, parvint à mettre la main sur le manche de son arme, mais il n'eut pas le temps de la dégainer que la mêlée reprenait déjà.

Lui et Théomer se battaient sans forme et sans ordre, chacun essayant de prendre le meilleur sur son adversaire avec ses propres qualités. Ils roulaient au sol, dépensant une énergie folle simplement à rester en vie, tandis que leurs tuniques couvertes de poussière et de paille rendaient compte de la férocité de leurs assauts. Dans ce chaos qui aurait pu passer pour une bagarre de taverne, si les intentions des deux protagonistes n'avaient pas été si clairement meurtrières, le pauvre Suli se battait avec l'énergie du désespoir.

La peur se lisait dans son regard écarquillé. Elle s'entendait dans sa respiration sifflante et paniquée. Ce n'était pas un tueur, pas même un guerrier. Il n'avait rien d'un Orc, ou d'une créature maléfique sortie des contes et des légendes. C'était de toute évidence un jeune garçon, qui ne devait pas avoir plus de quinze ou seize ans. A peine un adulte dans son corps, et encore très loin de l'être dans son esprit. Il n'avait ni expérience de la guerre, ni entraînement militaire, et tout ce qu'il faisait consistait à déchaîner toute sa terreur sur cet homme étrange surgi du ciel.

Il était effrayé, comme un petit animal.

Il craignait pour sa vie, et surtout pour celle de son cousin Alant qui gisait sur le sol en gémissant, promis à un sort funeste si le Rohirrim l'emportait. Suli se battait sans forme, mais pas sans efficacité, et à plusieurs reprises il parvint à placer quelques coups vicieux à son adversaire, suffisants pour lui faire mal. Il ne pensait pas vraiment, se contentant de suivre son instinct, et de frapper dès qu'il voyait une ouverture.

Mais la guerre n'était pas une affaire sans risque, et tout bascula très vite.

Théomer avait peut-être essayé de prendre l'avantage subitement, à moins que ce ne fût qu'une glissade involontaire. Avait-il prévu ce qui allait se passer ? Probablement que non. Suli sentit son pied se dérober sous son poids, comme s'il avait marché sur une pierre particulièrement glissante, ou bien sur un peu de foin glissant. Le poids du Rohirrim sur lui était irrésistible, et avant d'avoir compris de quoi il retournait, il sentit la gravité s'emparer de lui et le ramener au sol avec une violence inouïe.

Il y eut un craquement sourd.

Répugnant.

Puis ce fut le noir absolu. Et le silence.

Théomer tenait encore le jeune garçon par le sol, mais Suli ne se débattait plus. Ses yeux grands ouverts étaient figés dans une expression à la fois surprise et choquée. Il n'avait pas eu le temps de souffrir, et c'était peut-être mieux ainsi, à en juger par son crâne déformé par l'impact. Du sang poisseux s'était mis à couler abondamment, avec une texture si épaisse que l'on aurait dit du miel carmin. Il se déversait à un rythme régulier sur le sol, précisément là où le léger rebord de pierre s'était encastré dans la tête du malheureux.

- Suli… Oh Suli…

Les plaintes du blessé ramenèrent le Rohirrim à lui, et à la situation présente. Cette grange enténébrée, ce corps chaud sous ses mains… Et bien sûr Leda, la mission, les créatures de l'ombre et le danger permanent qui semblait rôder dans les provinces orientales du royaume. Le garçon inanimé entre ses doigts était le symbole du basculement. Tout ce qu'il avait accompli jusqu'à présent n'avait été qu'un simple détour, une parenthèse qu'il espérait brève. Désormais, plus rien ne serait comme avant. Il venait d'ôter une vie, un geste qui n'était jamais anodin, et qui était encore plus lourd de conséquences dans ces circonstances bien particulières. En effet, les deux autres éclaireurs avaient été alertés par les bruits du combat, et ils avaient fait demi-tour à toute allure, comprenant que leurs compagnons étaient attaqués. En arrivant, ils avaient découvert le Rohirrim penché sur leur compagnon, et ils étaient restés abasourdis, incapables de parler ou d'agir.

Deux contre un.

Deux et demi, si on comptait le blessé.

Les chances de Théomer étaient bien maigres. Ses perspectives, quant à elles, étaient bien sombres. Tuer ou être tué ? Se constituer prisonnier ? Implorer pour sa vie comme pour oublier qu'il venait de faucher celle d'un enfant ? Ou bien faire face stoïquement à la mort, dignement, comme un cavalier du Rohan se devait de le faire lorsque son heure était venue.

Et Leda ?

A cet instant précis, le cavalier avait toutes les cartes en main. Il pouvait convoquer la furie guerrière qui brûlait dans les veines de son peuple, s'emparer de sa hache et lui faire goûter le sang des envahisseurs. S'il empruntait ce chemin, nul ne pouvait prédire ce qui adviendrait de lui… Et même s'il réchappait miraculeusement de ce combat, qui pourrait dire ce qui adviendrait de son âme ? Mais le plus effrayant était peut-être de songer aux autres options… à ce qu'elles impliquaient.

Avait-il seulement le choix ?

Y avait-il un choix ?

La piste qu'il suivait inlassablement le conduisait invariablement vers Leda, comme un phare l'appelant vers des côtes familières. Pourtant, la terre sous ses pas venait de se colorer de vermillon, et le sang qui avait coulé dans le sillon de ses pas alimentait l'envie de vengeance que l'on voyait poindre dans le regard de ses nouveaux ennemis.

Ces hommes à la peau charbonneuse, et à la mine farouche.

Pas des démons, ça non. Beaucoup plus dangereux.

Des hommes enragés.

#Leda
Sujet: Prévenir le Vice-Roi
Ryad Assad

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Rechercher dans: Edoras   Tag leda sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Prévenir le Vice-Roi    Tag leda sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyDim 11 Fév 2018 - 18:08

Ce n'était qu'un mouvement de recul involontaire, à peine perceptible, mais il avait permis à Théomer de savoir que ses paroles avaient fait mouche. Il fallait dire qu'il y avait de quoi perdre de sa superbe, en rencontrant un homme qui se permettait d'appeler le Vice-Roi par son nom de famille au sein même de Méduseld. Goran, en face, n'affichait pluss la même assurance, ni le même mépris qu'en arrivant. Il paraissait avoir ajusté sa vision, en croyant découvrir que le convalescent appartenait à la Garde Royale. Il semblait désormais considérer Théomer non plus comme un soldat de bas étage trop incompétent pour avoir été capable d'éviter les blessures, mais davantage comme un homme auréolé de prestige, une menace potentielle… un rival. Il y avait dans les yeux de Goran une lueur à la fois inquiète et sournoise qui n'était guère rassurante. Il s'empara du bras de Leda dans un geste qui trahissait son désir de la posséder comme on posséderait un objet, et il rétorqua :

- Je suppose que vous pouvez trouver quelqu'un d'autre, non ?

Il n'y croyait pas lui-même. Il n'était pas prudent d'aller à l'encontre des directives de Mortensen, surtout pas depuis la fin de la guerre. Il y avait des rumeurs qui circulaient à son sujet, et elles ne louaient pas sa patience et son tact. On le disait irritable, parfois emporté, violent, impitoyable… Ses adversaires et ses critiques s'abstenaient bien de pointer le bout de leur nez, et Goran ne souhaitait pas être pris à agir contre les ordres formels du Vice-Roi. Il regarda Leda, cependant, essayant de l'impliquer dans cette décision :

- Il n'y a pas quelqu'un qui pourrait te remplacer ? Hein ?

Il la détenait si proche de lui qu'il ne pouvait pas voir qu'elle avait le corps tendu à l'extrême, comme si elle répugnait à l'approcher. Ses yeux désormais grands ouverts exprimaient une crainte et une soumission qui n'étaient pas dans les habitudes de la jeune femme forte de caractère que Théomer connaissait. Elle répondit dans un murmure :

- À cette heure, Goran ?

Elle n'avait pas eu le courage de lui « non » frontalement, ni de le défier, mais ce subtil rappel lui permit de prendre conscience qu'il était en effet inutile de lutter. Le soir était tombé sur la cité, et la plupart des guérisseurs étaient affairés ailleurs, ou bien occupés à dormir. Leda avait été chargée de veiller sur Théomer, et il n'était pas heure à déranger quelqu'un pour la remplacer. Cela n'aurait pas été convenant, or Goran paraissait tenir aux apparences, malgré son caractère qui semblait tempétueux. Il s'apaisa brutalement, trop sans doute pour que cela fut bon signe, et poursuivit :

- Tu en as pour longtemps, alors ?

La jeune femme observa Théomer un bref instant, feignant d'examiner le travail qui lui restait à accomplir. En réalité, elle cherchait son regard le courage de résister à son futur époux, le courage de lui dire qu'elle ne voulait pas partir avec lui, et qu'il ferait mieux de l'abandonner sur-le-champ. La vision de ses parents s'imposa dans son esprit, et elle songea à son frère. A son devoir. A son rôle en tant que Rohirrim. Elle ne pouvait pas se soustraire à ce que la nature commandait, elle ne pouvait pas déroger à ce que toutes les femmes de son peuple acceptaient de faire sans rechigner. Malgré le visage du militaire qui semblait l'appeler à se battre, elle baissa la tête et souffla :

- Pas très longtemps… Je vais faire de mon mieux pour finir rapidement.

- Bien, murmura-t-il, je t'attends dehors pour te raccompagner, alors ne traîne pas. Je n'ai pas toute la nuit.

Elle s'empressa de hocher la tête, et s'efforça de contenir un soupir de soulagement quand il desserra son emprise. Goran paraissait avoir retrouvé sa contenance en exerçant son autorité sur Leda, et il s'approcha légèrement de Théomer en le regardant dans les yeux, en se fichant de leur différence de taille. Il était plus petit, mais il avait l'avantage d'être en forme, et si bagarre il devait y avoir, il pourrait largement tenir tête à un soldat blessé qui se remettait à peine. En lui jetant un regard de défi, il grinça :

- C'était un plaisir, Théomer fils de Gamelin. J'espère vous revoir à notre mariage. La ferme de mon père se trouve à quelques lieues des bouches de l'Entévière, sur la rive nord. Il y aura toujours une place un prestigieux garde royal…

Son sourire s'élargit, et l'ironie mordante de ses propos était aussi insultante que s'il avait craché au visage de Théomer. Sans attendre de réponse particulière, il s'éloigna, non sans avoir déposé un baiser sur la main de Leda. Un baiser qui signifiait « n'oublie pas que tu es mienne ». Les portes se refermèrent en claquant derrière lui, et tout à coup la chape de malveillance qui s'était déposée à l'intérieure de la pièce sembla disparaître. A sa place, un long silence s'installa antre la jeune femme et son patient. Silence gêné. Elle n'osait même pas le regarder, et elle demeura le regard ailleurs, fixé sur la porte, comme si elle craignait de le voir revenir inopinément en espérant la prendre sur le fait. Le fait de quoi ? De sourire à Théomer alors qu'elle arrivait à peine à un rictus poli quand elle était avec lui ? Le fait de préférer la compagnie d'un homme galant et aimant à celle d'un…

- Il faut que je me dépêche, fit-elle brusquement, comme si elle se souvenait de quelque chose.

Toujours sans regarder le cavalier dans les yeux, elle vint poser les mains sur son torse pour le forcer à retourner dans son lit. Une légère pression pour lui faire comprendre, comme elle l'aurait fait avec un puissant destrier. L'animal était trop fort pour être commandé par la contrainte, et il fallait au contraire savoir faire preuve de douceur pour l'emmener à destination. Toutefois, à l'instar des destriers qui parfois renâclaient et refusaient d'aller, Théomer résista et refusa de bouger. L'aurait-elle voulu qu'elle n'aurait sans doute pas pu le forcer à s'allonger. Elle savait ce que cela signifiait, mais elle refusa de le regarder. Elle refusa de le laisser voir les larmes qu'elle ne parvenait plus à retenir désormais. Ses paumes se refermèrent en deux petits poings minuscules sur le torse du guerrier, serrés autour de l'injustice de la situation sans pouvoir la briser.

- Je vous en prie, Théomer…

Elle aurait été incapable de dire de quoi elle le priait…
Sujet: Prévenir le Vice-Roi
Ryad Assad

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Rechercher dans: Edoras   Tag leda sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Prévenir le Vice-Roi    Tag leda sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyLun 15 Mai 2017 - 13:57
HRP : Désolé du retard ! /HRP

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Depuis qu'il s'était réveillé, Théomer ne cessait d'interloquer la jeune guérisseuse qui avait été chargée de veiller à son bien-être. Elle avait à son sujet une infinité de questions dont bien peu trouvaient des réponses, et l'infirmerie de Méduseld – où des oreilles indiscrètes pouvaient toujours traîner, elle le savait très bien – n'était pas le lieu idoine pour tenir une conversation personnelle. Par ailleurs, elle associait trop l'endroit à sa profession et à tout ce qu'elle avait pu y voir. Malgré le calme qui y régnait désormais, elle ne pouvait pas s'empêcher de s'y sentir encore un peu mal à l'aise. Quelques années auparavant, elle avait considéré ce temple de la guérison comme l'endroit le plus sûr dans lequel elle avait jamais mis les pieds, mais après avoir vu les ravages de la guerre, avoir vu mourir tant et tant de jeunes hommes vaillants dans la guerre civile, elle ne pouvait plus vraiment dissocier l'image de ces murs chaleureux de celle des cadavres glacés qu'elle avait dû regarder dans les yeux au moment où elle refermait leurs paupières pour la dernière fois.

Son regard revint à Théomer, et elle cligna des yeux légèrement. Une « surprise » ? Encore une fois, il l'interloquait, et elle ne pouvait pas nier que surprise, elle l'était. Que faisait-il là, à moitié habillé, sans paraître se soucier des blessures qu'elle passait un temps fou à surveiller pour s'assurer qu'elles se résorberaient le plus rapidement possible ? Machinalement, son regard passa sur les cicatrices qui couraient encore sur ce dos aux muscles dessinés. Du moins, celles qui ne nécessitaient plus d'être couvertes par des bandages qu'il fallait changer quotidiennement. Cette peau qui jadis avait été celle d'un bébé, d'une douceur incomparable, porterait à jamais les stigmates du feu et de l'acier. Quelle tragédie. Leda ne se fendit d'aucun commentaire, et les reproches mi-sérieux mi-amusés qu'elle aurait pu lui lancer restèrent bloqués derrière ses lèvres étirées en un sourire léger. Elle se contenta d'aider le soldat à enfiler sa tunique, et à avoir l'air présentable.

Encore une fois, il était frappant d'observer la précision de ses gestes. Elle tira sur ses manches pour dissiper les plis irréguliers, arrangea son col pour lui donner fière allure, et s'arrangea même pour écarter les mèches de cheveux indociles de devant ce visage aux traits forgés par la guerre. Ce dernier mouvement dépassait peut-être ses obligations professionnelles, et elle marqua un très bref temps d'arrêt, sentant le rouge lui monter aux joues. Ce n'était pas approprié. Ce n'était pas approprié, et ils le savaient tous les deux. Lui la dévisageait avec une intensité telle qu'elle se trouvait obligée de détourner les yeux, prétextant de devoir observer une blessure située le plus loin possible de son visage. Elle se laissait aller à des marques de tendresse qu'elle ne s'expliquait pas, et qui la poussaient à se morigéner silencieusement. Il y avait des choses auxquelles elle ne pouvait pas aspirer, et elle avait depuis bien longtemps écarté du spectre des possibles l'idée d'épouser un homme.

De surcroît un militaire.

Elle n'aurait même pas su dire qui il était réellement, d'ailleurs. Elle avait cru comprendre qu'il n'appartenait pas à la Garde Royale, et son arrivée drapé des atours de ce corps d'élite avait fait grand bruit parmi les hommes d'armes de la capitale. On parlait d'usurpation, on parlait de trahison… il avait fallu toute l'autorité du Vice-Roi et du Capitaine Learamn pour remettre de l'ordre, et convaincre la troupe d'attendre l'avancée d'une enquête approfondie sur la question. Théomer arborait pourtant sans complexe l'uniforme de la Garde, et ce fut avec un sourire parfaitement détendu qu'il se fendit d'un commentaire de gentilhomme. Elle n'était pas du genre à se laisser impressionner facilement, et répondit sur le même ton espiègle pour le mettre mal à l'aise :

- Sire, croyez bien que je vous ai vu dans tenue plus légère, vous n'avez plus aucun secret pour moi.

Elle laissa son allusion planer un moment dans l'air, se délectant de l'éclair de surprise qu'elle vit glisser dans son regard, avant d'enfoncer un doigt dans son flanc, juste au-dessus d'un bel hématome qu'il avait contracté. Comme prévu, cela lui tira une grimace de douleur, et elle s'excusa rapidement :

- Vous vous remettez bien, les cataplasmes semblent faire effet. Mais ne forcez pas trop tout de même. Vous n'êtes pas tout à fait en pleine forme.

Elle poursuivit son examen rapidement, en répondant à sa question sur un ton mondain. Elle avait rapidement compris que lorsqu'il l'interrogeait pour savoir comment elle allait, il attendait davantage qu'une phrase laconique. Il lui demandait en réalité de lui raconter quelques épisodes intéressants de ce que l'on faisait ou disait dans la capitale, et au Rohan en général. Être à l'infirmerie de Méduseld signifiait être coupé du monde extérieur, et en tant que sa guérisseuse attitrée, elle était son seul lien avec le reste de la Terre du Milieu.

- La vie suit son cours, Sire.

Elle aimait bien l'appeler « Sire », pour le renvoyer à son uniforme et mettre entre eux une pseudo-distance sociale qui compensait bien maladroitement leur grande proximité physique. Un peu surprise au début par un caractère taquin qu'elle n'avait pas anticipé, elle avait très vite décidé de jouer le jeu en voyant que ces échanges participaient à la guérison de son patient… et qu'elle-même prenait un certain plaisir à ces petits enfantillages sans conséquences.

- Pour l'heure, il y a un certain émoi autour de l'Orientale ramenée par le Vice-Roi, celle dont s'occupe personnellement le Capitaine Learamn. Mais il y a plus de rumeurs que d'informations fiables, et je ne saurais vous dire ce dont il retourne. On parle de meurtre, on parle d'incendie, on parle de complot…

Elle laissa sa phrase suspendue pendant une poignée de secondes, comme si elle réfléchissait à la chose. Elle n'imaginait pas une femme seule s'en prendre à toute la ville d'Edoras, et parvenir à frapper durement le Rohan. Mais on racontait qu'elle était une sorcière, qu'elle avait ensorcelée le jeune Capitaine de la Garde, alors… c'était peut-être possible après tout ? Leda changea brusquement de sujet, et poursuivit :

- Le Vice-Roi a également envoyé des cavaliers remonter vos traces. Ils n'arriveront pas en Isengard avant long, mais je suis sûre qu'ils y trouveront vos amis.

Ses derniers mots étaient empreints d'une compassion débordante, et elle posa machinalement la main sur le bras de Théomer pour l'assurer de son soutien. Ce n'était rien, simplement un signe qu'elle était là pour lui. Pour le réconforter et l'aider à guérir aussi bien physiquement que mentalement. Elle retira ses doigts rapidement, pour s'affairer à vérifier un autre bandage. Presser légèrement sur celui-ci tira un léger gémissement à son patient, et elle fit une moue désolée avant de poursuivre son examen. Les sutures semblaient toujours en place, la compresse n'était pas imbibée, et elle tiendrait sans doute la journée s'il ne forçait pas trop dessus.

- Bon, vous vous sentez toujours en état de marcher ?

Elle se fendit d'un léger sourire, et tendit la main à Théomer. Il avait l'air suffisamment en forme pour s'autoriser quelques pas, et elle n'envisageait pas de lui faire faire le tour de la capitale. Un petit jardin où les guérisseurs faisaient pousser des simples jouxtait l'infirmerie, et elle était sûre que son patient trouverait agréable de sentir les rayons du soleil se poser sur sa peau. Le temps était magnifique au dehors, et rester enfermé plus longtemps n'aiderait certainement pas à sa guérison. Alors, sitôt qu'il eût pris sa main, elle l'aida à se stabiliser sur ses deux jambes. Il faisait de son mieux pour ne pas montrer qu'il souffrait, mais elle parvenait à voir à travers son masque… Elle avait vu ses blessures, et savait à quel point il devait faire un effort pour garder un visage neutre. En le dévisageant avec intensité, elle s'assura qu'il n'avait pas de vertige, et que sa respiration était toujours régulière. Une main sur le front, une main sur la gorge pour prendre rapidement son pouls, puis une sur son torse pour mesurer la vitesse de sa respiration. Il était beaucoup plus grand et plus large qu'elle, et elle ne voulait pas avoir à le traîner à l'intérieur à la seule force de ses petits bras s'il venait à s'évanouir.

- Allez, en route mauvaise troupe.

Elle le poussa en avant, et l'observa alors qu'il faisait quelques pas seul, en s'appuyant d'abord sur le mobilier qui passait à portée de ses mains. Ses pas étaient hésitants, mais il montrait déjà quelques signes encourageants. Cependant qu'il lui tournait le dos, et qu'il se concentrait sur les quelques mètres qu'il avait à faire, elle se dépêcha de récupérer la canne qu'elle avait posée, et de rejoindre son patient qui n'irait pas bien loin sans elle. Glissant à ses côtés, elle le laissa prendre appui sur son épaule, tandis qu'elle-même compensait en enfonçant solidement sa canne dans le sol. Le duo claudicant prit à petite vitesse la direction du jardin, mais ils n'étaient pas pressés ni l'un ni l'autre, et il était déjà très satisfaisant pour l'un comme pour l'autre de voir que Théomer semblait tenir le choc.

Habile, Leda leur ouvrit la porte qui se dressait entre eux et leur destination, et immédiatement une vague de chaleur bienvenue les cueillit. Les odeurs des plantes les enveloppèrent et semblèrent chasser en un instant la fragrance de la mort que les blessures du guerrier, tatouage odieux imposé par Ignus avant sa fuite, semblaient exhaler. La guérisseuse passa son bras autour du cavalier pour l'aider à descendre les quelques marches, puis le conduisit vers un banc où ils s'assirent lourdement, soupirant de soulagement :

- Nous y voilà, fit-elle en reprenant son souffle. Je vais nous chercher de l'eau, ne bougez pas.

Elle s'absenta quelques instants, laissant Théomer à ses pensées. L'endroit était propice à la contemplation, avec toute cette verdure qui semblait s'épanouir librement, loin des tourments du monde. Le ciel d'un bleu immaculé, seulement percé par les rayons flamboyants du soleil qui déversait sa chaude lumière sur eux, leur servirait de toit. Quelques oiseaux invisibles échangeaient joyeusement leurs trilles dans ce paradis méconnu dont les habitants d'Edoras ignoraient l'existence. « A quoi pouvait-il bien penser ? » se demanda Leda en revenant avec de quoi les désaltérer tous les deux. Il ne l'avait pas entendue revenir, et elle resta un instant à l'observer de dos, sentant un frisson étrange la parcourir.

La peur.

Elle avait peur.

Il lui fallut faire un effort de volonté pour faire disparaître les traces de l'inquiétude de son charmant visage, et pour y afficher à la place l'expression douce et rassurante qu'elle réservait à son patient. Elle espérait secrètement qu'il puiserait du courage dans ce qu'il croyait sans doute être une force de caractère, et elle faisait de son mieux pour l'aider à se remettre de blessures et de doutes qu'elle-même n'avait pas réussi à surmonter. Curieux paradoxe. Ses pas maladroits sur les graviers finirent par attirer l'attention du guerrier, et elle s'annonça d'une voix légère :

- Voici pour vous, tenez.

Elle lui confia un verre qu'elle venait de sortir de la poche de sa robe, et le remplit avec une cruche qu'elle tenait dans sa main. Théomer put noter qu'elle tenait sa canne derrière elle, comme si elle espérait encore la cacher maladroitement. Il remarqua peut-être aussi qu'elle faisait preuve d'une dextérité tout à fait hors du commun, et qu'elle était capable de manier verres et carafe en laissant son regard se perdre ailleurs, sans que ses mains montrassent la moindre hésitation. Une fois les verres servis, elle s'installa aux côtés du cavalier, et regarda autour d'elle de ses yeux perçants :

- Ce jardin est toujours vide, fit-elle. Personne ne semble avoir le temps de venir ici, sauf pour entretenir et cueillir les plantes que nous faisons pousser. Pourtant, il est agréable, n'est-ce pas ?

La question était purement rhétorique. Il était difficile de ne pas apprécier le calme et la beauté simple des lieux. On n'y trouvait nulle sculpture exquise comme on pouvait en voir chez les Elfes ou les hommes de Gondor fascinés par la pierre. Seulement quelques poutres épaisses et sans ornement qui jaillissaient de la palissade à laquelle étaient adossées les plantations, qui se perdaient désormais derrière le feuillage touffu qui s'était marié aux nœuds du bois. Le tout évoquait l'ambiance d'une ferme familiale, univers que Leda connaissait bien. Elle appréciait sans doute de s'installer ici car cela lui rappelait un univers familier. Elle en fit d'ailleurs la remarque à Théomer :

- Cet endroit me rappelle un peu ma jeunesse. Oh, ce n'était qu'un modeste village perdu dans nos campagnes, mais… on s'y sentait protégé, comme ici.

Sa description était teintée d'une certaine nostalgie qu'elle ne parvint pas à cacher. Se reprenant, elle se tourna vers son patient, et lui souffla :

- Y avait-il de tels jardins où vous avez grandi, Sire ?
Sujet: Prévenir le Vice-Roi
Ryad Assad

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Rechercher dans: Edoras   Tag leda sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Prévenir le Vice-Roi    Tag leda sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyMar 7 Fév 2017 - 12:44

Le pauvre guerrier semblait totalement désorienté, et la visite du Capitaine Learamn ne l'avait visiblement pas aidé à se remettre de ses émotions. Bien des choses n'allaient pas bien au Rohan, et hélas pour Théomer, il lui fallait assimiler que ses blessures n'étaient pas les seules que le royaume devait traiter. Il fallait panser les plaies d'un peuple meurtri par la guerre civile, apaiser les tensions avec des seigneurs devenus méfiants, conforter les alliances avec des voisins puissants, et surtout s'occuper de nourrir un peuple qui menaçait de mourir de faim. Tant de choses pesaient sur les épaules du Roi, du Vice-Roi et de tous les hommes qui l'entouraient que Leda s'estimait chanceuse de n'avoir que sa simple tâche de guérisseuse à accomplir.

- Sh-sh-sh, souffla-t-elle au guerrier qui s'agitait. Restez tranquille… Vous êtes arrivé il y a deux jours de cela, très affaibli. Je suis même surprise que vous soyez déjà réveillé. Attendez-moi ici, je vais vous chercher quelque chose.

La jeune femme lui adressa un sourire tranquille, avant de se retourner vers le lit le plus proche. Elle s'empara d'un objet fin qui y était accroché, hésita un instant, avant de revenir à Théomer pour voir ce qu'il penserait de tout cela. La légère inquiétude qui s'était peinte sur son visage s'évanouit aussi vite quand elle nota que le Rohirrim s'était endormi. Ses yeux clos et sa respiration redevenue profonde et régulière ne trompaient pas. Elle s'approcha de lui, et lui caressa doucement le front. Le sourire qu'elle emporta avec elle la soutint presque autant que la canne sur laquelle elle s'appuyait désormais, et qu'elle n'avait pas voulu que le militaire vît. En se dirigeant vers les cuisines – qui se trouvaient en sous-sol –, la jeune femme croisa une de ses collègues qui l'interpella :

- Leda, où vas-tu comme ça ?

- Aux cuisines : notre nouveau patient est réveillé, et il meurt de faim.

- Laisse-moi t'aider. Les escaliers sont glissants, tu sais.

La jeune femme baissa la tête, à la fois en signe d'acceptation mais aussi de honte. Elle aurait tellement voulu pouvoir effectuer ces gestes simples sans avoir besoin de l'aide d'autrui. Qu'il était dur d'inspirer la pitié au premier coup d'œil. Toute sa vie avait été ainsi, et elle avait compris à la dure que c'était toujours quand on avait perdu quelque chose que l'on se rendait compte à quel point elle avait de la valeur. Il n'était pas toujours facile de regarder ce que l'on avait, et d'oublier ce que l'on n'avait plus. Pendant un instant, Leda baissa la tête vers sa canne. Un simple morceau de bois, rendu lisse par la main de son père qui l'avait taillé et poli pour elle. Rendu lisse également par le passage du temps et d'une main gracile qui s'était saisie tant et tant de fois de son manche.

Elle avait envie de le jeter au loin, et de courir.

Courir.

Ravalant sa tristesse, elle accrocha un sourire étoilé au ciel de son visage, et emboîta le pas de l'autre guérisseuse qui, agile sur ses deux jambes pleinement valides, la conduisit vers les marches qui descendaient dans les profondeurs du Château d'Or. Des cuisines remontait une odeur agréable, bien que l'heure traditionnelle du repas ne fût pas encore arrivée. On y maintenait toujours quelque repas chaud pour les cavaliers qui rentraient éreintés d'une longue chevauchée et réclamaient une pitance à la hauteur de leur fatigue. Les deux femmes savaient qu'elles trouveraient leur bonheur là-bas, et elles furent accueillies par les cuisinières qui les connaissaient très bien. Hélas pour Leda, qui espérait pouvoir revenir rapidement auprès de son patient, elle dut souscrire aux formalités habituelles qui exigeaient de donner des nouvelles de tout ce qu'il se passait dans le Château d'Or. Les femmes d'ici désiraient tout savoir sur les intrigues de cour, sur les rumeurs de lit, et sur les ragots et potins concernant tout le monde, du plus humble des servant au Vice-Roi lui-même.

- Vous connaissez le Capitaine Learamn ? Mais si, vous savez, le jeune officier qui est revenu blessé d'une mission pour le Vice-Roi. Eh bien on raconte qu'il s'entend très bien avec la femme de l'Est qui le suit partout, si vous voyez ce que je veux dire. Il paraît qu'ils passent tout leur temps ensemble, même à des heures indues. J'ai bien l'impression qu'elle lui a mis le grappin dessus, et j'ai peur qu'elle lui fasse quelque tour de sorcière.

Elles hochèrent la tête de concert, avant d'enchaîner vers d'autres sujets guère plus légers :

- Mon neveu est parti pour cette mission secrète dont personne ne nous dit rien. Des centaines de jeunes valeureux qui ont soudainement disparu. Les parents commencent à s'inquiéter, et le mari de ma sœur est allé parler aux officiers de la Garde pour en savoir plus. Apparemment, ils se battent aux côtés des Nains, mais personne n'a de nouvelles ni ne sait exactement ce qu'il se trame. Je commence à m'inquiéter…

Il y avait effectivement de plus en plus d'interrogations au sujet de cette mission, car aucune nouvelle ne revenait du front où les hommes étaient censés se battre. Le Rohan avait souffert de la guerre civile, et bien des familles avaient déjà perdu un des leurs dans les combats, tué ou grièvement blessé lors d'une bataille fratricide. Les hommes et les femmes du royaume avaient cru que le retour à l'ordre allait aussi signifier le retour à la paix, et ils ne se satisfaisaient pas de savoir que, à des lieues de là et pour une cause qui ne les concernait pas, leur sang était en train de couler et leur chair de mourir.

- Et puis ce n'est pas tout, renchérit l'une des deux. J'ai un cousin qui est revenu de l'Est du royaume tout paniqué, avec de mauvaises nouvelles. Il m'a dit que le Gondor avait été attaqué, et qu'il avait lui-même échappé de peu à la mort. D'après lui, Minas Tirith serait peut-être déjà tombée sous les coups des Orientaux… Je lui ai dit que c'était impossible, mais il était formel. Une marée de guerriers venue de l'Est, ravageant tout sur son passage… Vous imaginez ?

Les femmes imaginaient très bien. Le monde n'avait plus connu la paix depuis trop longtemps, et des armées battant la campagne en semant la mort n'étaient hélas pas une vision inconnue. Il fallait seulement espérer que les armées du Gondor trouveraient à repousser ces envahisseurs venus de loin. Il fallut un bon moment pour trouver une échappatoire, mais Leda finit par s'arracher à l'emprise des cuisinières, et par tirer le bras de l'autre guérisseuse. D'ordinaire elle appréciait ces moments de convivialité partagés dans les couloirs de Méduseld, et elle s'était surprise plus souvent qu'elle osait l'avouer à ouvrir des yeux ronds en entendant les rumeurs que l'on racontait sur telle ou telle personne. Mais aujourd'hui, elle avait une mission de la plus haute importance qui ne pouvait pas attendre.

- Ma chérie, reviens vite nous voir ! Tu as l'air d'avoir des choses à raconter !

Elle sourit :

- Bientôt, bientôt. Mais je dois vraiment filer aujourd'hui. Promis, je reviendrai vous voir dès que possible.

- Attends, fit sa compagne, laisse-moi prendre le plateau.

Leda la laissa faire, avant de lui emboîter le pas dans l'escalier. Elle s'échappèrent des sous-sols, savourant un silence bien mérité tandis qu'elles revenaient vers le terrain familier que constituait l'infirmerie. En approchant des portes, celle qui s'appuyait sur une canne fit signe à sa compagne qu'elle allait continuer seule. L'intéressée lui jeta un regard malicieux :

- Je te le laisse, tu as l'air de tenir à lui.

- Comme à tous mes patients, Freda. Mais je crois surtout qu'il ne veut pas être vu dans cet état. Je m'occupe de lui.

Sa justification était crédible, et elle récupéra le plateau tout en basculant son poids sur sa jambe valide pour ne pas perdre l'équilibre. Puis, ignorant le regard légèrement apitoyé que lui jeta Freda, elle avala les derniers mètres qui la séparaient de l'infirmerie… pour constater que la porte était légèrement entrouverte. Elle se glissa à l'intérieur, et constata qu'un homme se trouvait là, de dos, en train d'observer le prisonnier. La jeune femme, incapable de se montrer particulièrement discrète à cause de sa canne, déposa le plateau sur une table proche, et s'avança vers l'inconnu qui finit par se retourner vers elle.

Son cœur se figea sur-le-champ, et elle se félicita d'avoir pensé à se délester de son fardeau, sans quoi le bol de soupe et le quignon de pain se seraient écrasés par terre dans un le plus grand désordre.

Le Vice-Roi du Rohan en personne ! Leda n'en croyait pas ses yeux, et elle s'inclina profondément, essayant de se faire aussi petite que possible. On racontait tant de choses au sujet de Mortensen qu'elle ressentait une admiration pleine de crainte pour lui. L'homme était un héros de guerre, un héros du Rohan, et on disait de lui que son nom était craint même par-delà les frontières du royaume. Toutefois, il y avait aussi une part sombre chez ce personnage. La guerre civile avait rendu, disait-on, le personnage sombre et austère. Des rumeurs couraient comme quoi il aurait largement abandonné le code d'honneur et la morale qu'il s'était pourtant toujours évertué à suivre. Dans l'armée, particulièrement chez les hommes qui avaient soutenu à un moment donné l'Usurpateur, on se méfiait de ses coups de colère et de la rage vengeresse qui pouvait parfois s'emparer de lui. Sa disparition, peu avant le couronnement du Roi Fendor, avait contribué à lui créer une aura de mystère, et si quelqu'un savait où l'actuel Vice-Roi s'était caché, personne n'en faisait mention. C'était un secret bien gardé. Certains disaient qu'il était parti pour une mission de la plus haute importance – ce qui collait assez bien avec l'image chevaleresque du noble personnage –, tandis que les autres se demandaient quelles avaient pu être les raisons qui l'avaient poussé à abandonner sa femme dans de pareilles circonstances. Les détails de la condition de Dame Farma, personnalité admirée à Aldburg et notoirement connue dans tout le Rohan, n'avaient pas été rendus publics. Toutefois, le tragique épisode qui avait vu la feue épouse du Vice-Roi à se défenestrer avait fait le tour du royaume.

Leda ne pouvait pas croire un seul instant qu'un homme sain d’esprit pût sortir indemne d'une telle épreuve. Était-ce pour cette raison qu'il officiait désormais à Edoras, loin de la cité qu'il avait habitée pendant si longtemps, laquelle devait lui rappeler douloureusement l'absence de son épouse ? La jeune guérisseuse ne voulait pas se mêler de politique, et encore moins se montrer intrusive vis-à-vis d'un homme qui n'était pas réputé pour sa grande patience. Aussi fit-elle en sorte de ne pas se mettre sur son chemin. Tout au plus se contenta-t-elle de souffler un « Monseigneur », avant de disparaître comme tous les servants du Palais face aux hommes de pouvoir qui arpentaient ces murs. Elle accrocha la canne à sa place habituelle, et prit place dans un fauteuil pour soulager sa jambe.

- C'est bien lui, monseigneur.

Elle avait répondu presque en chuchotant, contrastant avec la façon dont elle s'était adressée aux soldats plus tôt, et même au Capitaine de la Garde. Face au Vice-Roi, même elle ne se laissait pas aller à faire preuve d'esprit.

- Il a parlé au Capitaine Learamn peu avant, souffla-t-elle. Il était très faible, mais je soupçonne qu'il se réveillera bientôt.

Elle ignorait hélas que, pour des raisons obscures, Learamn n'avait pas informé Mortensen de la situation. Dans son esprit, la chaîne de commandement était une ligne qui ne se brisait jamais, et elle rendait des comptes au Vice-Roi sans se douter que son subalterne pouvait ne pas lui avoir fait son rapport. Elle interpréta donc maladroitement le regard que lui lança l'homme de guerre, et se recroquevilla dans son siège, convaincue qu'elle avait outrepassé ses prérogatives en lui parlant aussi librement. Fort heureusement, ce fut ce moment que choisit Théomer pour émerger de son sommeil. Il s'agita légèrement, revenant à lui du fait de la conversation et, très certainement, du fumet qui se dégageait de son futur repas. Mais avant de pouvoir en profiter, il devrait répondre aux interrogations de l'homme le plus puissant d'Edoras.

Leda, soudainement jetée hors de la conversation, en profita pour ouvrir ses grands yeux et observer attentivement Gallen Mortensen, champion et Vice-Roi du Rohan. Sans savoir pourquoi, elle avait la conviction que les mots qui seraient prononcés au cours de cette conversation apporteraient avec eux leur lot de malheur, comme les sombres nuages qui flottaient dans le ciel amenaient sous leurs ailes de coton les promesses de pluies diluviennes.

Elle passa la main sur sa hanche machinalement.

Attentive.
Sujet: Prévenir le Vice-Roi
Ryad Assad

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Rechercher dans: Edoras   Tag leda sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Prévenir le Vice-Roi    Tag leda sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyJeu 29 Déc 2016 - 17:21

L'arrivée de Learamn, bien plus tôt que la jeune femme l'avait espéré, n'avait apporté qu'un peu plus de confusion dans l'infirmerie de Meduseld. Théomer, puisque c'était son nom, venait à peine de se réveiller et il était encore très diminué. Son état de santé était toujours préoccupant, et les guérisseurs qui s'étaient penchés sur son cas avaient préconisé beaucoup de repos pour lui permettre de se rétablir. Ils étaient confiants quant à sa capacité à survivre à cette épreuve, mais la moindre rechute pouvait lui être fatale. La fatigue et la souffrance avaient durement tiré sur son organisme, et s'ils n'avaient pas été aussi jeune et aussi vigoureux au départ, il n'aurait sans doute pas réussi à tenir aussi longtemps. Certains parmi les érudits initiés aux arts de soigner avaient même qualifié leur nouveau patient de « force de la nature ». La jeune femme penchée sur lui jusqu'à son réveil, et qui refusait maintenant de quitter son chevet, n'aurait certainement pas dit le contraire.

Elle avait tenté d'établir une relation de confiance avec lui, et il n'avait pas hésité le moins du monde à lui confier son nom. Elle en avait fait de même, et avait répondu d'une voix qu'elle voulait aussi apaisante que possible :

- Je m'appelle Leda. Je vais prendre soin de vous.

Ses mots, son ton, son regard, son sourire… Elle faisait de son mieux pour se montrer rassurante, et lui épargner de devoir céder à l'inquiétude. Il était en terre amie, et même si les raisons de sa présence ici restaient à confirmer, elle ne laisserait pas un preux Rohirrim mourir sous sa garde. A dire vrai, elle ne laisserait personne succomber si elle pouvait l'empêcher. La vie était trop précieuse, et elle avait trop souvent été menacée par le passé pour que l'on pût décemment la laisser s'évanouir de nouveau dans les ténèbres. Fort heureusement pour Théomer, le Capitaine Learamn ne semblait pas animé d'intentions hostiles. Si son désir de découvrir la vérité était drapé des atours de l'autorité et saupoudré d'une touche d'impatience inquiète, il n'était pas un homme mauvais et il ne ferait pas de mal inutilement à un blessé pour obtenir des réponses. De surcroît, il était lui-même convalescent, et il éprouvait sans doute davantage de pitié vis-à-vis de son interlocuteur que bien des officiers en pleine possession de leurs moyens.

Alors, croisant les bras et prenant place non loin, Leda ferma les yeux et écouta la conversation avec une grande attention. Elle percevait chaque bruit avec une intensité décuplée, et elle entendit distinctement le froissement des draps alors que le blessé se redressait maladroitement. Ses sourcils fins se froncèrent, mais elle ne fit aucun commentaire, se contentant d'espérer silencieusement qu'il ne rouvrirait pas une plaie difficilement refermée par le travail des guérisseurs. De toute façon, le cas échéant, il lancerait un gémissement suffisamment audible et reconnaissable pour qu'elle n'eût pas le moindre doute. Laissant son inquiétude de côté pour un temps, elle essaya de comprendre les tenants et les aboutissants de son périple jusqu'ici. Elle n'éprouva pas la moindre surprise lorsqu'il avoua être parti en mission : les rares cavaliers qui fréquentaient l'infirmerie et qui n'étaient pas partis en mission étaient les infortunés qui donnaient leur vie pour empêcher une lame empoisonnée de mettre fin aux jours des plus hauts dignitaires du royaume. Les malheureux étaient étendus sur un lit, comme Théomer, à la seule différence que leur corps finissait habituellement recouvert d'un drap immaculé. Le poison ne tuait pas toujours rapidement, mais il était en général incurable. Et alors, Leda les maudissait d'être si vigoureux et si forts, car cela ne faisait que rallonger leurs souffrances.

La jeune femme, comptant uniquement sur son ouïe, sentit s'ouvrir une des blessures du guerrier. Pas une blessure physique, non. Celles-là, il était possible de les refermer avec du fil et une aiguille, avec des cataplasmes et des pansements. Il suffisait d'un peu de bonne volonté, de beaucoup de temps, et les chairs pouvaient se refermer. Il garderait certainement une cicatrice pour chaque endroit où l'acier avait griffé sa peau, mais il y survivrait. A l'inverse, la blessure que Leda perçut n'était pas prête de se refermer, et aucun fil et aucune aiguille ne pouvaient rien y faire. Dans sa voix, elle ressentit la fracture nette et douloureuse que son esprit ne pouvait pas supporter. Dans ses silences, elle devinait les souvenirs qu'il ne parvenait pas à refouler, les images qu'il gardait en mémoire malgré lui. Un frémissement la saisit, et elle sentit son visage se crisper face à l'horreur à laquelle, pourtant, elle n'avait pas assisté. Et puis il lâcha le mot, comme une flèche vrombissante tirée à travers la plaine.

Un massacre.

Il y avait tant à comprendre derrière ces quelques paroles. Un massacre… La guerre civile n'était pas loin, et tous se rappelaient des exactions atroces commises par les hommes de l'Usurpateur. La Nuit des Lances Noires, la grande purge d'Edoras, avait fait trop de victimes pour que quiconque pût ignorer le sens de ce mot. Un massacre… Il y avait tant de violence contenue, d'injustice, et de perte de sens derrière cette description pourtant succincte. Il n'avait pas parlé de combat, il n'avait pas parlé d'affrontement épique : il leur décrivait les contours d'un carnage sans nom duquel il n'avait réchappé que par miracle. Était-il réellement besoin, dans ces conditions, de demander ce qu'il était advenu des autres membres de la compagnie ? Était-il nécessaire de vouloir creuser la question, au risque d'exhumer des réponses aussi déplaisantes qu'édifiantes ?

Leda avait son opinion sur la question, et mais elle n'eut pas le temps de se lever pour interrompre Learamn. Fort heureusement, le Capitaine avait compris que l'état de santé de Théomer ne lui permettait pas de poursuivre plus longtemps cet entretien, et qu'il était pour l'heure important de le laisser se reposer. Son identité avait été confirmée, ses dires n'avaient donc pas besoin d'être vérifiés ou mis en doute plus longtemps. Ce qui importait pour le moment, c'était de prêter assistance aux éventuels autres survivants de l'attaque, que le rescapé disait être en grand danger. Il fallait simplement espérer qu'il n'était pas déjà trop tard pour eux. Le Garde Royal, prenant acte de la nécessité d'aller vite, se leva et entreprit de quitter les lieux non sans donner ses dernières consignes à Leda :

- Je ferai comme il vous plaira, Sire.

Son ton était peut-être un peu plus sec que nécessaire, mais il s'agissait surtout d'une réaction bien involontaire à ce que Learamn venait de dire. « Pour son bien » ? Elle avait perçu une once de menace, qui curieusement n'était pas émise par le soldat. Il lui parlait comme s'il entendait la protéger de quelque chose de sombre et de tapi qui pourrait lui faire du mal si elle essayait d'outrepasser la chaîne de commandement. Ses paroles étaient effrayantes, car elles insinuaient que tout danger n'avait pas disparu des plaines du Riddermark. Même ici, au cœur de la capitale du Rohan, il semblait sur ses gardes, à l'affût, incapable de se relaxer. La jeune femme ne souhaitait pas voir la guerre revenir, pour rien au monde, mais la nervosité contenue de l'officier lui donna le sentiment que les combats pouvaient reprendre dès demain, comme s'ils n'avaient jamais cessé… Elle se rendit compte qu'elle avait toujours les yeux fermés, et elle les ouvrit en plongeant son regard dans celui de l'officier de la garde royale, consciente qu'il avait virtuellement toute autorité sur elle concernant le blessé :

- Je ferai ce qu'il faut, ne vous inquiétez pas pour moi. Les gros caractères ne m'impressionnent pas. Oh, et avant que vous partiez…

Elle ne s'était pas interposée physiquement, mais elle avait saisi Learamn par le bras sans y penser. Quand elle se rendit compte que son geste pouvait paraître déplacé, elle assuma sa position et ne recula pas. Il penserait ce qu'il voulait d'elle, il la réprimanderait s'il le souhaitait, mais elle n'avait en tête que le bien-être de son patient. Le reste n'avait aucune importance pour le moment.

- Peut-être pourriez-vous dire à vos gardes de nous laisser. Voir des gens en armes me met mal à l'aise, et je suis persuadée que cela n'aidera pas notre patient à se remettre. Ne lui donnez pas l'impression qu'il est ici au milieu de ses ennemis…

En revenant à Théomer, elle constata que des larmes s'étaient mises à couler le long des joues du guerrier. Elle eut une moue désolée, en le voyant, tandis que son cœur se brisait. Elle avait beau avoir vu la peine dans le regard de bien des hommes auparavant, elle n'était toujours pas devenue insensible à la vision d'un combattant jeté à terre par la vie. Il lui était donc difficile de se tenir entre deux de ses compatriotes, sans savoir si l'un des deux retrouverait un jour ce qu'ils avaient perdu.

Learamn s'en alla comme il était venu, accompagné par ses fidèles béquilles et par l'Orientale sur ses talons. Ils disparurent, accompagnés des gardes que le jeune Capitaine avait fait rappeler également. Elle nota qu'il ne les avait congédiés purement et simplement, mais qu'il leur avait demandé de monter la garde à l'extérieur. Une précaution bien inutile selon Leda, mais elle n'était pas là pour juger, et elle estimait avoir déjà fait un grand pas en avant. Cependant qu'elle observait le départ de l'officier, ses mains s'étaient affairées à parcourir les blessures de Théomer, pour voir si dans son émoi il n'avait pas eu le malheur d'en rouvrir une. Par chance, les coutures avaient tenu le choc, et il n'y avait aucun épanchement perceptible au toucher. Elle tourna la tête vers son patient, et lui sourit doucement :

- Vous allez vous remettre, souffla-t-elle.

Du pouce, elle essuya délicatement une larme qui avait coulé sur sa joue, avant d'écarter une mèche de cheveux pour prendre sa température. Ses doigts frais sur son front chaud devaient lui faire prendre conscience qu'il était encore brûlant de fièvre. Elle alla chercher un peu d'eau et un linge propre, qu'elle humidifia pour rafraîchir Théomer. Elle commença par son visage, avant de descendre sur son cou, ses épaules, puis de revenir déposer le tissu à la racine de ses cheveux. Elle agissait avec simplicité, sans que ses yeux parussent suivre ses mouvements : elle savait instinctivement où trouver quoi, et ses doigts animés d'une vive propre semblaient identifier à leur forme et leur texture tout ce qu'ils touchaient.

- Vous devez mourir de faim, est-ce que vous souhaitez manger quelque chose ? Une bonne soupe, pour vous donner des forces ? Je… Dites-moi ce qui vous ferait plaisir.
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