3 résultats trouvés pour Mirallan

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Sujet: Qui paie ses dettes...
Ryad Assad

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Rechercher dans: Les Ruelles du Premier Cercle   Tag mirallan sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Qui paie ses dettes...    Tag mirallan sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyDim 5 Jan 2014 - 16:01

- Bien... Excellente nouvelle...

Mirallan reposa la lettre qu'il achevait de lire, et se laissa aller sur son fauteuil de luxe. Les Douze avaient fait un très bon travail, et avaient mis en action les forces du marchand avec une redoutable efficacité. Ils avaient contacté toutes les personnes qui pouvaient avoir quelque chose à se reprocher, et qui pouvaient être éclaboussées par un scandale concernant le vendeur de drogues. En effet, parmi l'élite de la société du Gondor, beaucoup se laissaient tenter par les produits les moins recommandables, afin de pimenter leurs soirées. Si certains avaient la possibilité de se protéger, d'autres ne le pouvaient pas, et ils couraient un véritable danger. De fil en aiguille, les menaces et les alliances se réactivaient, le tout convergeant vers le centre d'un réseau immense : Leon Mirallan.

Depuis deux jours, les Douze ne chômaient pas. Ils parcouraient la ville, de nuit généralement, pour porter et rapporter les courriers qu'échangeaient les fidèles du marchand. Ils envoyaient des instructions plus ou moins claires, assorties de menaces plus ou moins équivoques, et ramenaient des promesses de soutien, arrachées de gré ou de force. Il n'y avait pas grand monde qui osait s'opposer frontalement à Mirallan, surtout pas lorsqu'il était représenté par ses spectres... En l'occurrence, le commerçant venait de recevoir une promesse qu'il n'attendait plus. Celle d'un allié particulièrement puissant, influent dans l'armée, qui pourrait non pas arrêter les enquêtes, mais les ralentir considérablement. Et surtout, il avait juré de trouver qui était à l'origine de l'attaque contre le revendeur. De ce côté-là, il fallait surtout attendre et laisser remonter les informations.

Mais il y avait d'autres choses que Mirallan avait sur le feu, et il était bien décidé à riposter violemment vis-à-vis de ses ennemis. Même s'il n'arrivait pas à les identifier, il était certain que plusieurs de ses débiteurs avaient formé une alliance contre lui. L'arrivée d'Elgyn n'y était probablement pas étrangère, mais ce misérable endetté ne pouvait pas à lui seul convoquer une enquête officielle, et faire pression au plus haut lieu. Non, il lui fallait des alliés, et des alliés puissants. Le marchand avait donc ressorti son livre de comptes, et avait regardé quels étaient ceux qui, premièrement, avaient le plus intérêt à le voir tomber. Ensuite, il élimina ceux qui n'auraient jamais eu la possibilité de le mettre à ce point en difficulté. Au final, il ne lui restait qu'une demi-douzaine de noms. Des gens fortunés à défaut d'être respectables, mais qui lui devaient toujours des sommes considérables. Parmi eux, il y avait le gérant d'une auberge de luxe dont l'arrière-salle abritait des fêtes débridées, un officier en charge des entrepôts qui avait d'immenses dettes de jeu, et que Mirallan utilisait pour sécuriser ses livraisons, une proxénète à la tête d'un réseau de prostitution, qui proposait aussi bien les plaisirs du corps que de l'esprit, et quelques autres personnes dans le genre.

Leur localisation avait été facile, et le marchand s'était empressé d'affecter les Douze à leur surveillance. Un par tête, ce qui lui laissait six de ces créatures pour sa propre sécurité. Ils avaient ordre de surveiller jour et nuit les mouvements suspects de ces individus, et de rapporter les indices qui serviraient à justifier une intervention plus musclée. Cela faisait un moment qu'ils étaient affectés à cette mission, et Mirallan attendait toujours d'avoir des nouvelles. Il commençait à se demander si, finalement, il n'était pas complètement à côté de la plaque. Si ce n'était pas un piège destiné à détourner son attention. Pour la première fois depuis le début de sa carrière, il avait véritablement l'impression d'avancer dans le brouillard le plus total... Les choses qui jusqu'alors lui semblaient aller d'elles-mêmes ne paraissaient plus équilibrées. Ses débiteurs essayaient de lui jouer un sale tour, et les autorités, qui jusqu'alors s'étaient toujours tenues éloignées de ses activités, venaient à la charge en portant le flambeau de la vertu. Leur hypocrisie frisait le ridicule, mais leur dangerosité était à prendre en compte, même pour un marchand de sa trempe. Et puis il y avait ses fournisseurs, qui ne tarderaient pas à exiger de lui des résultats. Il devait payer ses marchandises, et il n'avait pas le choix quant à les acheter ou non. Elles lui étaient facturées quoi qu'il arrivât, et c'était à lui de trouver un moyen de les écouler pour être rentable. Il n'osait même pas imaginer ce qui se produirait s'il ne payait plus...

Il en était là dans ses réflexions, se demandant s'il y avait vraiment un endroit en Terre du Milieu où il pourrait échapper à son contact, quand soudain on frappa à la porte de son bureau. Un des Douze, toujours aussi silencieux, se déplaça pour ouvrir à son confrère qui pénétra dans la pièce. Il glissa - difficile de trouver plus précis pour décrire la manière irréelle dont ils se déplaçaient - jusqu'au bureau, et déposa une lettre sur la table. Mirallan l'ouvrit, et lut avidement, ses yeux allant de droite à gauche de manière frénétique. Quant il eut achevé la lecture, un sourire narquois se dessina sur ses lèvres, et il se leva brusquement :

- Alors comme ça ils se rassemblent... Allez tous les douze là où ils se trouvent, et nettoyez-moi ce nid à rats ! Je veux les voir tous morts ! Et si vous arrivez à savoir qui est derrière tout ça, ramenez-le moi vivant. Allez !

Les silhouettes semblèrent frémir, comme si la perspective d'aller au combat les contentait. Comme si elles éprouvaient un plaisir certain à aller porter la mort chez leurs ennemis... Mais c'était peut-être une illusion, car qui pouvait dire ce à quoi pensaient les démons qui se cachaient sous ces voiles ? Impossible de le dire... Quoi qu'il en fût, les six qui assuraient la protection de Mirallan s'évanouirent en quelques instants, laissant le marchand seul avec ses pensées, dans son immense demeure. Il ferma les yeux, et essaya de réfréner son excitation. Il venait d'avancer ses pions, peut-être était-il déjà sur le point de mettre en échec ses adversaires. A tout le moins, il leur porterait un coup décisif, qui ne pouvait que faire pencher la balance en sa faveur. Il en était absolument certain, désormais...


~~~~


Les Douze, comme Mirallan se plaisait à les appeler, se retrouvèrent dehors dans la nuit froide de cet hiver interminable. Ils étaient six, plus celui d'entre eux qui était revenu les avertir de ce qu'il avait vu. Les autres étaient donc dispersés aux quatre coins de la ville, et la première tâche était de les rassembler. Il était difficile de le remarquer au premier abord - même en y regardant de plus près, c'était presque impossible -, mais il existait bel et bien une hiérarchie entre les différents membres des Douze. Rien ne permettait de les distinguer les uns des autres, sinon leur taille, mais c'était un élément bien trop mince pour réellement les individualiser. Et pourtant, eux arrivaient à savoir avec une grande précision qui était qui. Cela était dû à des années de cohabitation, et de travail commun. Ils se connaissaient mieux les uns les autres qu'ils ne se connaissaient eux-mêmes. C'était d'ailleurs ce qui faisait leur force, car même si un seul était déjà redoutable, c'était lorsqu'ils agissaient de concert qu'ils se montraient les plus dangereux.

Un autre point sur lequel Mirallan s'interrogeait était la manière dont ils communiquaient entre eux. En règle générale, ils ne parlaient pas devant des étrangers - comprenez, étrangers à leur cercle -, à moins que cela ne fût absolument nécessaire, et qu'il n'y eût aucune autre façon de transmettre des informations. En l'occurrence, avec le marchand, les Douze avaient tout le temps de rédiger des comptes-rendus que leur employeur appréciait visiblement beaucoup. Il était procédurier, et les messages écrits avaient l'avantage d'être clairs et concis. Mais ils étaient bien capables de s'exprimer, bien que la plupart du temps, cela se révélât une perte de temps. Présentement, Mirallan leur avait ordonné d'attaquer tous les douze, donc il n'était pas nécessaire de donner des ordres supplémentaires. Cependant, comme il en restait cinq en vadrouille, ce furent seulement cinq silhouettes qui se dispersèrent dans les rues, tandis que les deux autres prenaient la direction de l'entrepôt où s'étaient rassemblés les ennemis de leur client. Des ennemis qui risquaient fort d'avoir une très mauvaise surprise incessamment.

Il leur fallut une petite demi-heure pour rejoindre le lieu indiqué, ce qui signifiait que la réunion avait commencé depuis environ une heure. Des deux spectres qui étaient arrivés en premier, l'un d'entre eux prit la parole à voix basse. De toute évidence, c'était sa personne qui commandait les onze autres, bien qu'il demeurât difficile d'en juger :

- Pars en repérage. Je surveille.

Les ordres étaient clairs, et l'autre silhouette s'exécuta sans attendre. La nuit était noire, et ses pieds silencieux. Il y avait donc fort peu de chances pour qu'elle fût repérée par une éventuelle sentinelle. Faire le tour de l'entrepôt ne prit pas longtemps, car la seule chose qui importait était de localiser les différentes issues. Il y en avait trois, a priori, si on ne comptait pas les fenêtres. Facile donc de se répartir pour passer à l'offensive. En revenant auprès de son supérieur, le rapport fut laconique, et les ordres n'eurent même pas besoin d'être donnés. Le calcul mental n'était pas bien compliqué. Entre temps, les Douze éparpillés dans la ville avaient rejoint leur chef, et ils se déployèrent comme des ombres parmi les ombres de la cité, aussi furtifs que des courants d'air.

En moins de trois minutes, ils encerclaient l'entrepôt, et comme un seul homme ils se mirent en marche droit vers les portes. Leurs silhouettes, quittant l'abri des bâtiments, se retrouvèrent parfaitement visibles à dans la rue : noir sur le blanc de la neige qui tombait et qui accrochait au sol. Ils ne cherchaient même pas à masquer leur présence, convaincus de leur supériorité. De fait, on les repéra bien avant qu'ils n'arrivassent à bloquer totalement les sorties, et des cris furent lancés à l'intérieur du bâtiment. En réponse, les douze silhouettes dégainèrent leurs armes. Certaines portaient des lames aux formes complexes et redoutables, d'autres avaient préféré sortir une arbalète légère, une tenait un fouet complexe et terrifiant, qui traînait lascivement dans la neige, y laissant un sillon serpentin. Le combat s'annonçait terrible...


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Peut-on encore parler de combat à ce niveau ? Ce fut, en réalité, bien davantage un massacre qu'un combat. Les hommes rassemblés dans l'entrepôt opposèrent une résistance aussi vaine que brave, et beaucoup terminèrent face contre terre, baignant dans leur propre sang. Certains avaient survécu, mais c'était souhaité par les Douze, qui n'avaient subi aucune perte et dont aucun ne semblait avoir été blessé. Mais parmi les cadavres, nulle trace d'un individu qui aurait pu vouloir du mal à Mirallan. Ce n'étaient que de vulgaires brigands pour la plupart, même si certains mercenaires faisaient partie du lot. Il y avait donc bien eu une réunion ici, car ces mercenaires étaient entraînés, et ils étaient en général engagés comme gardes du corps.

Les spectres déambulaient au milieu du carnage, examinant les corps. L'un d'entre eux s'approcha d'un homme qui respirait encore. Sa jambe avait été cruellement malmenée par une lame flamberge, et il avait en outre reçu un mauvais coup au torse qui rendait sa respiration sifflante. La créature posa son pied sur la gorge du malheureux, qui grogna en essayant de reprendre son souffle :

- Pitié... gémit-il.

Le fantôme relâcha un peu la pression, et lâcha d'une voix neutre :

- Pour qui travailles-tu ?

- Vi...Vipère... ! C'est comme ça qu'il s'appelle ! Ils ont dû s'enfuir... C'est tout ce que je sais... Pitié, mada...

Sa supplique resta bloquée dans sa gorge, elle-même broyée par une botte impitoyable. Il essaya de se débattre, mais une brusque poussée fit craquer sa nuque, et il se raidit immédiatement. Ses bras retombèrent mollement sur le sol, et la vie quitta son regard. Il avait déjà révélé des informations intéressantes, et surtout un nom, ce qui contenterait probablement Mirallan. La silhouette s'éloigna en silence, rejoignant les autres qui avaient elles aussi récupéré des informations auprès des très rares qui avaient survécu. Ceux-là avaient d'ailleurs été achevés méthodiquement, et les Douze fouillèrent patiemment l'entrepôt, pour s'assurer que personne ne leur avait échappé. Une fois qu'ils furent certains d'avoir "nettoyé le nid", ils battirent en retraite, car ils avaient un compte-rendu à faire. Leur mission n'était pas un succès, malheureusement, car ils n'avaient pas pu mettre la main sur le responsable de ce complot. Et même s'ils avaient tué pas mal d'hommes, combien avaient réussi à s'échapper du piège avec ce fameux Vipère ?


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Installé dans son bureau, Mirallan accueillit le retour de ses protecteurs avec une impatience peu coutumière chez lui. Il lut le rapport qu'ils avaient pris le temps de lui rédiger, et se montra étonnamment satisfait. Même si la tête pensante de l'opération qui visait à le faire tomber courait toujours, il trouvait que la victoire de ce soir était déjà très positive, et il n'imaginait pas que quiconque pût oser l'affronter après la correction qu'il venait d'infliger à ses ennemis. Il se retint d'éclater d'un rire machiavélique, car il ne voulait pas paraître trop grandiloquent à cette heure de la nuit, mais il trouva qu'il était bien temps de se servir un verre d'alcool pour fêter cela. En plus, il congédia ses serviteurs qu'il avait fait travailler durement ces derniers jours, sans leur laisser la possibilité de prendre du repos :

- Prenez votre journée de demain, mes amis... Vous avez fait de l'excellent travail, et vous méritez bien de vous reposer. Quand vous serez remis, votre mission sera de traquer cette Vipère qui nous menace. Vous aurez besoin de toutes vos forces pour cela.

Les Douze quittèrent le bureau sans un mot, et Leon Mirallan, maintenant qu'il était de nouveau seul, put enfin sourire puis rire à gorge déployée. Les choses se déroulaient comme prévu, et sa riposte avait été sanglante et foudroyante, comme il le souhaitait. Si ses serviteurs continuaient à se révéler aussi efficaces, il aurait réglé cette affaire avant que ses finances ne tombassent dans le rouge, et il ne conserverait de cette affaire qu'un souvenir attendri dans quelques années.
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Ryad Assad

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Rechercher dans: Les Ruelles du Premier Cercle   Tag mirallan sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Qui paie ses dettes...    Tag mirallan sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyJeu 5 Déc 2013 - 14:45

Mirallan faisait les cent pas dans son bureau, marmonnant des choses compréhensibles de lui uniquement. Il était très agité, et cela ne lui arrivait que rarement. Surtout pas quand il avait la perspective de récupérer une grosse somme d'argent, et de se débarrasser d'un individu qui lui avait profondément manqué de respect. Les choses promettaient d'être intéressante, et il avait laissé traîner des oreilles dans les endroits où on pouvait se faire prêter de l'argent facilement, pour voir comment allait s'en sortir le pion qu'il avait lâché dans les rues hostiles de Minas Tirith. En théorie, il aurait dû se trouver assis dans son confortable fauteuil de cuir, à savourer un verre d'alcool millésimé, en train de se relaxer dans un silence absolu que ne rompait pas même la présence d'une silhouette encapuchonnée assise dans un coin, parfaitement immobile. Au départ, cela lui causait quelque gêne quand ces individus étranges se trouvaient dans les parages, et il avait toujours du mal à se relaxer quand ils étaient là. Après tout, ils semblaient se déplacer sans un bruit. Fermer les yeux en leur présence, c'était comme pénétrer dans la cage d'un tigre, en priant pour qu'on lui eût déjà servi son repas. En l'occurrence, il nourrissait bien ces fantômes, ces créatures de cauchemar, qu'il payait à prix d'or pour assurer sa protection. Et depuis qu'il avait recruté une douzaine des leurs, il n'avait jamais eu à se plaindre de leurs services. D'autant qu'en plus d'effectuer les basses besognes avec une efficacité mortelle, ils lui faisaient office de serviteurs particuliers, ce qui n'avait rien de désagréable. Mais même eux ne suffisaient pas à rassurer totalement Mirallan, qui s'attendait à tout instant à une visite désagréable. Même douze de ces choses ne pouvaient pas le protéger parfaitement contre l'individu qui avait demandé à le voir.

Comme si le destin se plaisait à lui jouer un mauvais tour, ce fut alors qu'il en était là dans ses pensées qu'on frappa à la porte. Il sursauta, et lâcha un "entrez !" d'une voix beaucoup moins assurée qu'il l'aurait voulue. Il détestait cela. Il avait l'impression d'être un invité dans sa propre maison, de n'être qu'un petit garçon dans une affaire de grandes personnes. Il rassembla tout son courage, et l'érigea comme une muraille... qui se fissura immédiatement lorsque ses yeux se posèrent sur la silhouette encapuchonnée qui pénétra dans son bureau particulier. Mais quelle était donc cette mode de porter des capuches ? Les gens n'avaient-ils donc plus de respect pour leur propre visage ? N'aimaient-ils pas ce qu'ils voyaient dans leur miroir ? En imaginant brièvement ce que pouvaient bien être les traits de son interlocuteur, Miralllan déglutit. En vérité, il ne voulait pas vraiment le savoir. Peut-être parce que ce serait une révélation trop horrible : celle d'un visage atrocement mutilé, déformé... peut-être même inhumain. Ou tout simplement parce qu'au fond de lui-même, il savait que ce serait alors la dernière chose qu'il verrait.

- Leon...

C'était une voix d'homme, à n'en pas douter. La silhouette était de taille moyenne, apparemment assez trapue, mais comment dire si ce n'était pas un artifice destiné à tromper autrui ? La cape qu'il utilisait était assez usée, comme s'il voyageait souvent avec. Elle était tachée, rapiécée par endroits là où un coup d'épée avait vraisemblablement traversé le tissu... et peut-être bien davantage. Sa tenue n'avait rien à voir avec l'élégance subtile des Douze, comme les appelait affectueusement Mirallan. Ses serviteurs portaient des tuniques légères, des voiles raffinés bien qu'opaques, qui dissimulaient leurs traits, et leur donnaient l'apparence de spectres. Cela ne les empêchait pas de porter, au-dessous, des tuniques de cuir ajustées, d'une qualité supérieure. Lui avait l'air d'un voyageur égaré, revenant d'une trop longue marche. Et pourtant, il se tenait droit, et parlait clairement, en dépit d'un léger accent qui venait incontestablement de l'Est. Mirallan, bien qu'il n'appréciât pas de le faire, inclina respectueusement le buste, et répondit :

- Bienvenue, désirez-vous vous asseoir ?

- Volontiers.

Le personnage était relativement bavard, et surtout il savait se montrer poli et charmant. Il était tout ce qu'il y avait de plus courtois, de plus raffiné. Et cela n'enlevait rien à son côté effrayant... bien au contraire. Si Mirallan avait eu en face de lui un être muet ou laconique, préférant rester debout et refusant de toucher au moindre met qu'on lui proposait, il l'aurait considéré comme un intermédiaire limité, un assassin de plus que l'on payait pour faire le sale boulot, et qui ne posait jamais de questions parce qu'il ignorait même en quoi cela pouvait bien consister. Mais lui n'était pas de cette trempe, et il semblait toujours parfaitement à son aise. Bien qu'il ne le vît pas, Mirallan imaginait parfaitement son sourire détendu, légèrement narquois.

- Voulez-vous boire quelque chose ? Un bon vin du Harad ?

- Ce sera parfait, assurément.

Et pendant que l'hôte servait son invité, il lui demanda par hasard ce qu'il venait faire là. L'inconnu avait pris place nonchalamment, les jambes croisées dans une position qui trahissait son grand confort. De toute évidence, il appréciait l'assise du siège sur lequel il se trouvait, et s'il avait eu un peu moins de respect pour son interlocuteur, il aurait carrément mis les pieds sur la table, pour bien lui prouver à quel point la hiérarchie les séparait. Mais il n'en fit rien, et Mirallan lui en sut gré. Toutefois, il frémit lorsqu'il entendit les premiers mots sortir de sa bouche.

- Je viens pour savoir qui est l'homme que vous avez ramassé puis relâché la nuit dernière ?

Le poids de son regard invisible était terrible, et le marchand avait l'impression qu'il pouvait être absorbé et noyé dans cet abîme ténébreux où se réfugiait le visage de son interlocuteur. Il se devait d'être honnête, mais il ne pouvait pas s'empêcher de chercher où il avait pu fauter, en quoi il avait pu faire quelque chose qui contrarierait son invité.

- Oh... Ce n'est pas un homme très important. Un ancien soldat du Gondor, qui a voulu m'emprunter de l'argent pour jouer. Il a réussi à me filer entre les doigts, et quand j'ai appris qu'il était de retour à Minas Tirith, j'ai pris des... mesures... pour garantir mon remboursement. J'espère que ce n'était pas un de vos... euh... collaborateurs.

L'homme, qui entre-temps, avait gracieusement accepté son verre de vin, pouffa de rire et but une gorgée du breuvage. C'était comme si sa main gantée disparaissait dans la bouche obscure d'un monstre hideux, pour en ressortir quelques secondes plus tard. On pouvait se demander s'il avait vraiment porté le liquide à ses lèvres, ou si ce n'était qu'une comédie destinée à le rendre un peu plus humain... D'ailleurs, avait-il seulement des lèvres ?

- Non, rassurez-vous... Ce n'est pas un de mes collaborateurs. Mais il est ami d'un agent que nous avons placé opportunément. J'aimerais vivement qu'il disparaisse de la circulation définitivement, afin de ne pas perturber notre élément.

- Et je connais votre agent ?

- Non. Et vous n'en avez pas besoin. Contentez-vous simplement de vous débarrasser de cette gêne malvenue, et ne posez pas trop de questions...

L'homme termina son verre d'un trait, et quitta la pièce sans rien ajouter. La menace était claire. Il valait mieux ne pas trop s'immiscer dans les affaires d'en haut, si on voulait continuer à croquer une part du gâteau. Toutefois, Mirallan n'était pas idiot, et il avait compris plus de choses que son contact ne pouvait le supposer. En fait, il avait déjà eu quelques craintes au départ, quand le soldat venu lui faire son rapport lui avait expliqué qu'Elgyn était entré dans la cité avec un autre militaire. Pourquoi donc un homme en fuite, endetté par-dessus le marché, irait donc se lier avec un homme qui représentait l'ordre et la justice, et qui avait légitimement le droit de l'arrêter ? Il n'y avait pas de raison logique, sauf si les deux hommes se connaissaient avant, et étaient amis. Ainsi, la visite de son contact ne pouvait pas être liée à autre chose. Leur agent "placé opportunément" était probablement infiltré parmi les troupes su Gondor, et c'était la raison pour laquelle on n'avait pas voulu lui dire qui c'était. Parce qu'il aurait paniqué. Et en vérité, il commençait sérieusement à s'inquiéter.

Si Elgyn révélait à son compagnon la nature réelle des activités du marchand, son ami militaire aurait un joli moyen de pression pour le faire chanter. Soit il était du genre retors, et il essayait de lui extorquer le plus d'argent possible, soit il était du genre réglo ou je-m'en-foutiste, et il le dénonçait purement et simplement aux autorités. Dans les deux cas, le fait qu'il travaillât avec Rezlak lui aussi le rendait totalement intouchable. Si les hommes de Mirallan lui rendaient une petite visite pour le tuer, ce serait lui qui deviendrait une gêne, et ce serait à lui qu'on enverrait des assassins surentraînés. Mais il n'était pas non plus du genre à se laisser faire. S'il travaillait avec Rezlak, c'était pour l'argent avant tout. Il lui achetait illégalement des drogues de l'Est, et les revendait à certains cercles bien particuliers. Deux en fait. L'aristocratie la plus dévergondée de la capitale, qui sans l'avouer trouvait un certain plaisir à se laisser enivrer par les "plantes magiques", qui faisaient parfois halluciner, et qui provoquaient des états de bien-être agréables ; les chefs de bandes suffisamment forts pour s'imposer sur un territoire, et qui arrosaient leurs soirées de "poudres hilarantes", qui faisaient chanter, rire et danser dans la bonne humeur. Le contrecoup était parfois violent, car les gens pouvaient avoir des pulsions violentes, et il y avait parfois des meurtres brutaux. Mais ces milieux aimaient cela, alors ils revenaient vers lui. Certains étaient plus portés sur les "fumées", qui une fois inhalées embrumaient l'esprit, et affaiblissaient considérablement la résistance des prisonniers que l'on interrogeait. Elles coûtaient beaucoup plus cher, et n'étaient pas vendues régulièrement, mais elles rapportaient un bon paquet. Mirallan n'avait pas particulièrement envie de voir un soldat du Gondor fourrer son nez dans ses petites affaires, et surtout ruiner son commerce dès qu'il lui en prendrait l'envie. Mais que pouvait-il bien faire ? Il eut soudain une idée, et un sourire léger fleurit sur son visage. Oui... Ca pouvait marcher...


~~~~


Elgyn se réveilla avec une douleur fulgurante à l'arrière du crâne. Il avait probablement une belle bosse, qu'il ne s'était sûrement pas faite naturellement. Pour l'heure, il était assis sur une chaise, les mains liées dans le dos par des nœuds experts, et les jambes attachées fermement aux pieds du meuble, à tel point qu'il ne sentait presque plus ses orteils. Il était de retour chez Mirallan. Cette fois, tout du moins, il n'était pas dans la pièce de torture, et on ne lui avait pas bandé les yeux. Il se trouvait en face du marchand qui, assis derrière son bureau, le dévisageait avec attention, patientant jusqu'à ce qu'il eût complètement repris ses esprits. Derrière son geôlier se trouvaient deux silhouettes encapuchonnées : deux des Douze. Quatre autres se trouvaient dans son dos et sur ses flancs. Tous les six avaient une arbalète légère pointée vers lui. Au moindre mouvement suspect, la sanction serait immédiate. Mais encore une fois, il était en vie. Leon Mirallan, voyant que l'homme qui lui faisait face se remettait peu à peu du choc à la tête que ses serviteurs avaient été obligés d'infliger à Elgyn pour le ramener, prit la parole :

- Bonjour Monsieur Elgyn... Je suis ravi de voir que vous êtes de retour parmi nous. Vous avez probablement les oreilles qui sifflent, mais on m'a dit que vous aviez fait quelques histoires, et que vous ne vous étiez pas laissé accompagner sans résister. Une décision fort peu sage.

Il marqua une pause, et fit un geste de la main comme pour signifier que toutes ces considérations étaient totalement sans importance, par rapport à ce qui allait suivre. Et en vérité, elles l'étaient :

- Mais je ne vous ai pas fait venir pour vous sermonner, non. Je suis ici pour vous faire une proposition. En dépit du fait que vous soyez un soldat, je devine que vous avez l'esprit d'un commerçant, et que vous savez accepter une offre quand elle se présente.

Le sourire de Mirallan était éloquent. Le choix d'accepter ou de refuser n'était entre les mains d'une seule personne, et ce n'était certainement pas celles d'Elgyn. Mais tout l'art de la diplomatie était de laisser apparaître qu'on laissait les cartes à l'autre... quand bien même celui d'en face n'en croyait pas un mot.

- Je sais de source certaine que vous avez rencontré un ami ici, à Minas Tirith... Un vieil ami, qui vous a aidé à rentrer dans la cité, et qui a probablement aidé à la cicatrisation de cette vilaine blessure sur votre bras... Vous ne vous êtes pas demandé comment il avait fait pour vous soigner aussi efficacement et aussi bien ?

Cette fois, il était évident qu'il jubilait intérieurement. Il savait qu'Elgyn ferait tout pour ne pas croire à ses paroles, mais il avait répété ce monologue tant et si bien qu'il le maîtrisait par cœur. Chaque intonation de voix était soigneusement étudiée pour produire l'effet voulu, et il marquait les pauses justes pour laisser le temps à son interlocuteur de comprendre, d'accepter la triste vérité, et surtout de désespérer d'entendre jamais la suite et la fin. Avec magnanimité, il consentit à le lui dire :

- Votre ami est de mèche avec nos ennemis de l'Est. Et quand je dis "de mèche", je veux dire qu'il travaille carrément pour eux. Je suis persuadé que les produits qu'il a utilisé pour vous guérir sont des plantes qui vous sont inconnues. Des plantes qui ne poussent pas ici, et qui aident à refermer les blessures que s'infligent les melkorites les plus fanatiques. Vous n'avez jamais observé chez lui un comportement...étrange ? Vous n'avez jamais eu l'impression qu'il vous cachait quelque chose d'énorme ? Réfléchissez... Réfléchissez...  Vous savez que j'ai raison...

Il jouait sur la corde. Il n'avait pas beaucoup d'arguments, et il essayait de pousser Elgyn à reconnaître qu'il y avait bien quelque chose de louche dans tout ça, sans toutefois lui montrer qu'il tournait en rond. Probablement que le coup à la tête, et l'inhalation de quelques fumées - oui, il avait profité de ce qu'il était inconscient pour le droguer très, très légèrement - allait lui permettre d'être plus réceptif à ces paroles, mais il ne fallait pas le brusquer. Voyant dans les yeux du rôdeur que ses mots commençaient à l'intriguer, le marchand cessa d'insister, préférant se projeter vers l'avenir :

- Ecoutez-moi bien, Elgyn. Vous avez quitté l'armée, et vous avez fait des choses dont vous n'êtes pas fier. Mais je sais qu'au fond, vous avez toujours l'âme d'un soldat de Gondor. Pensez à toutes ces femmes, tous ces enfants qui pourraient un jour mourir parce qu'un espion ennemi aura eu le malheur de livrer les informations qui permettront à ces sauvages de l'Est de nous envahir... Et vous, vous avez le pouvoir de faire quelque chose.

Mirallan soupira. Il arrivait à la phase cruciale de son argumentation, et préférait faire attention. Il ne souhaitait pas que sa proposition alertât son prisonnier, et lui mît la puce à l'oreille. Il fallait que les choses parussent naturelles :

- Je ne peux pas agir contre lui, car mes preuves sont trop minces. Et si j'allais moi-même l'arrêter, on me briserait, et je ne suis même pas certain d'y parvenir. Mais vous... vous avez la possibilité de mettre un terme à ses agissements. Si vous le faites, si vous montrez que vous êtes un homme d'honneur et que vous avez le cœur fidèle à votre patrie... je suis prêt à oublier ce que vous me devez. Je suis même prêt à faire davantage. Je vous offre une nouvelle vie. Rompez avec votre passé, et marchez enfin vers l'avenir. N'avez-vous jamais pensé à prendre femme ? A avoir de beaux enfants que vous pourriez élever dans une ferme qui serait vôtre ? Le fruit de votre travail vous reviendrait entièrement, et vous pourriez construire quelque chose.

Le marchand se leva, et les arbalètes se levèrent en même temps que lui. Il y eut une série de claquements secs lorsque les cordes furent détendues. Les armes disparurent dans les replis des capes des Douze, qui n'avaient toujours pas pipé mot. Même ainsi, même alors qu'ils étaient aussi proches, il semblait que leur respiration était inexistante, et leur corps paraissait ne pas bouger d'un seul centimètre. De vraies statues. L'une d'elle s'anima soudainement, et sortit un poignard. Mais Elgyn n'avait nulle crainte à avoir, car en trois gestes vifs et précis, les cordes qui retenaient le rôdeur se retrouvèrent au sol, et lui redevenait libre.

- Faites le bon choix, Elgyn. Si vous ne tirez pas un trait sur le passé, je n'en ferai rien non plus.

Ce furent les derniers mots de Mirallan, et les six silhouettes raccompagnèrent Elgyn jusqu'à la sortie. Il ne croisa pas d'autres individus, et n'eût aucune opportunité de s'échapper. Les spectres s'étaient déployé en un arc de cercle qui commençait à sa droite et à sa gauche, et se déployait derrière lui. Fuir en avant était possible, mais il n'irait probablement pas loin, d'autant qu'il était désarmé. Les silhouettes ne disaient rien, plongées dans un mutisme curieux, mais elles paraissaient communiquer entre elles, car elles s'immobilisèrent toutes au même moment devant un coffre de bois fermé par une lourde clé. Une fois ouvert, il révéla les armes du rôdeur, qu'on lui rendit sur le palier de la porte. Mais même ainsi armé, il ne pouvait pas espérer défier les six fantômes qui lui faisaient face. Il fut donc contraint de retourner à la rue, abandonnant derrière lui les créatures qui, c'était certain, ne manqueraient pas de le rattraper s'il ne prenait pas la bonne décision. Avec une lenteur dérangeante, la porte se referma, produisant un son lourd. Comme le glas qui sonnait.
Sujet: Qui paie ses dettes...
Ryad Assad

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Rechercher dans: Les Ruelles du Premier Cercle   Tag mirallan sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Qui paie ses dettes...    Tag mirallan sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyMer 27 Nov 2013 - 23:07

Le garde de la cité pénétra à l'intérieur de la demeure richement décorée, l'air aussi mal à l'aise que s'il était un enfant rentrant chez ses parents avec une très mauvaise nouvelle à leur annoncer. Il s'arrêta devant deux hommes qui lui barrèrent instantanément la route, ne reconnaissant visiblement pas l'autorité du blason royal, quand bien même il était arboré fièrement sur le torse du militaire. Ce dernier, alors qu'il aurait légalement pu forcer le passage en leur demandant de s'écarter, se contenta de donner sa lance et son épée aux deux hommes. Pourtant, bien que la demeure fût le siège d'une collection d'objets rares, il n'était pas invité chez Sa Majesté le Roy en personne. Il ôta son casque, le glissa sous son bras, et se dirigea dans un couloir, précédé par une servante qui portait un capuchon dissimulant entièrement ses traits. L'air était lourd, et l'homme se sentait bruyant. Ses lourdes bottes ferrées martelaient le tapis avec fracas, et le cliquetis de sa cotte de mailles et de son armure lui donnaient l'impression d'être un véritable buffle au milieu de cet univers de silence et de calme. La servante, par exemple, ne laissait échapper aucun son quand elle marchait, et s'il avait cru aux histoires qu'on racontait sur les contrées lointaines, il aurait pu croire qu'elle était un esprit des collines, flottant au-dessus du sol. Mais il n'était pas de ces hommes à croire aux sornettes et aux fables. Non. Pas totalement.

La femme, sans dire un mot, le conduisit jusqu'à une porte de bois, à laquelle elle toqua. L'écho des trois coups qu'elle frappa se répercuta dans le couloir. C'était un bruit à glacer le sang. Elle n'attendit pas de réponse - est-ce qu'ils étaient capables de communiquer par des mots, au moins ? -, et ouvrit le battant, s'effaçant en s'inclinant pour laisser passer le soldat. Celui-ci pénétra dans une pièce de taille modeste, au regard de l'ensemble. C'était un bureau personnel, dont le moindre meuble valait sans doute autant que tout ce que possédait le militaire. Sa solde du mois n'aurait sans doute pas pu payer le moindre tableau accroché au mur, ou le moindre livre qui se trouvait dans la bibliothèque. L'ambiance était chaleureuse, probablement grâce au feu de bois qui brûlait joyeusement dans l'âtre. C'était d'ailleurs certainement la seule chose joyeuse de cet édifice apparemment accueillant, mais qui était en réalité lugubre à souhait. L'homme qui se tenait assis derrière le bureau leva la tête avec un air ennuyé sur le visage, et passa une main dans ses cheveux pour les recoiffer. Il ne poserait pas de question, et il fallait enchaîner immédiatement. Le serviteur du Roy inclina la tête, et se lança :

- Seigneur Mirallan, vous m'avez demandé de surveiller les portes, pour voir si quelqu'un que vous connaissiez voulait entrer à Minas Tirith.

- Hm ? Se contenta de répondre l'intéressé, vaguement concerné.

- Eh bien il y a un homme qui vient de passer la porte, monsieur. Une sorte de rôdeur. Au début, j'ai cru que c'était l'un des nôtres, parce qu'il revenait avec un autre type que je connais de vue pour l'avoir aperçu deux trois fois... Mais lui, c'est forcément un nouveau, j'en suis certain. C'est un type avec des cheveux châtains... des cheveux courts, je m'en souviens, c'est pas courant. Si je pouvais revoir le portrait...

Mirallan n'avait pas attendu qu'on lui suggérât l'idée, et il avait ouvert un tiroir de son bureau, pour en prélever un parchemin vieilli, sur lequel était griffonné un visage. Le dessinateur n'était certainement pas un expert, mais les traits étaient nettement reconnaissables. Les yeux du soldats se plissèrent pendant un moment, avant qu'il ne se mît à hocher la tête avec empressement, comme si confirmer rapidement et vigoureusement dissiperait ses éventuels doutes.

- Oui m'sieur, c'est bien lui.

Le visage de Mirallan se fendit d'un petit sourire narquois, et il se mit à l'aise dans son fauteuil. Sa journée, qui avait commencé de manière particulièrement banale prenait soudain une tournure des plus intéressantes. Ainsi, le petit oiseau perdu revenait au nid après avoir pérégriné pendant bien trop longtemps. Il espérait qu'aucune de ses ailes n'était cassée. Il préférait l'avoir en parfait état pour pouvoir en disposer comme il lui plairait. Il était resté plongé dans ses pensées pendant quelques secondes, et il se rendit compte que le militaire n'était toujours pas parti. Evidemment.

- Mademoiselle, veuillez donner son dû à monsieur.

Le soldat se retourna. Il n'était pas au courant que la femme était demeurée à moins d'un mètre derrière lui. Il n'avait même pas perçu sa présence quand elle avait commencé à bouger. Décidément, les gens ici cultivaient le silence au rang d'art. C'en devenait presque effrayant. Il suivit des yeux la servante encapuchonnée, qui se déplaça souplement vers un bureau. Elle tira une clé d'une de ses poches, ouvrit la porte protégée, et récupéra une bourse d'or. Le soldat n'osait même pas demander si le compte y était. Leon Mirallan, marchand de son état, n'était pas réputé pour sa malhonnêteté en affaires, pas plus que pour sa patience envers ceux qui l'ennuyaient. Et ce genre de questions était typiquement de celles qui l'ennuyaient. Le militaire se contenta donc de tendre gentiment la main quand la femme lui déposa son paiement à l'intérieur. Il en profita pour l'observer, alors que sa cape se rabattait. Ce qu'il entrevit dessous ne le rassura guère. Il n'était pas habitué des maisons riches, mais ce genre de tenues n'était pas de celles que l'on devait trouver sur une vulgaire servante. C'était plutôt le genre de choses que l'on trouvait chez les assassins, et autres bandits du genre. Il déglutit péniblement, ne cherchant même pas à découvrir le visage de l'inconnue, craignant que cette vision ne fût sa dernière. Après s'être incliné une dernière fois, il quitta prestement les lieux, raccompagné par la présence fantomatique de cette femme encapuchonnée, qui semblait ne pas avoir besoin de forcer l'allure pour suivre ses grandes enjambées.

Mirallan, pendant ce temps, s'était levé pour se servir un verre de vin du Sud. Une belle cuvée, assurément. Il porta un toast face à la porte de son bureau, et avala d'un trait le breuvage :

- Au sang versé !


~~~~


Il faisait nuit et sombre dans les rues de la Cité Blanche. Blanche, elle l'était particulièrement ce soir, à cause de la neige qui tombait en tranquilles flocons. Ils venaient s'ajouter à ceux qui reposaient déjà au sol, et formaient une couche immaculée sur laquelle les pas crissaient, et laissaient des empreintes particulièrement reconnaissables. Il n'était pas besoin d'être un pisteur pour suivre une proie dans le dédale de ruelles... ce qui facilitait grandement leur tâche. Cela faisait une demi-heure qu'il essayait de leur échapper, mais de toute évidence il allait finir par être coincé. Ils l'avaient retranché dans une section de la ville qu'ils connaissaient par cœur, et à douze, ils ne risquaient pas de le manquer. Personne n'avait couru, car le moindre bruit de cavalcade aurait alerté la garde. De toute évidence, aucun des deux partis n'avait intérêt à être arrêté. Les nuages qui obscurcissaient le ciel et dissimulaient les étoiles s'écartèrent un bref instant, laissant passer un rayon de lune fugace, qui éclaira la scène. Douze silhouettes sombres, encapuchonnées de sorte à ce que leur visage demeurât caché, se mirent en mouvement après avoir repéré une ombre mouvante. Ils rabattaient leur gibier comme des chasseurs traquant un cerf. Cerf qui était pratiquement à court d'options, et qui ne parviendrait plus longtemps à échapper à son destin.

Finalement, ils finirent par le coincer. Quatre hommes à l'extrémité d'une rue, quatre encore de l'autre côté, pour lui couper toute retraite. Et quatre enfin, qui se dépêchaient de couper la seule voie de sortie qui pouvait être la sienne : l'intérieur des bâtiments. Ils avaient forcé la porte d'une maison en silence, et sans réveiller les habitants, avaient pris position aux fenêtres. S'il cherchait à entrer par l'une d'entre elles, il finirait transpercé par un des douze carreaux d'arbalète légère braqué sur lui. Et si cela ne suffisait pas, il succomberait bien à un coup de dague habilement porté. Les douze silhouettes, impassibles, s'approchèrent lentement de l'homme qu'ils avaient encerclé. Il hésitait à dégainer son arme, mais de toute évidence c'était un geste futile. S'il résistait, il était certain d'y passer, alors que si ces inconnus avaient vraiment voulu le tuer, il serait déjà étendu dans la neige, le regard vide et le pourpoint rougi de son propre sang. Les hommes approchaient toujours. Ils leur demanda ce qu'ils voulaient, mais il n'obtint aucune réponse. Puis, quand ils furent suffisamment prêts, ils se ruèrent sur lui tous en même temps. Il n'eût d'autre choix que de se recroqueviller pour éviter la rossée. Un coup adroit le cueillit à la tempe, et il s'effondra sur le sol, totalement inconscient, un filet de sang coulant le long de sa joue.

Deux silhouettes se penchèrent vers lui, et le soulevèrent de sol. Le sang versé ce soir se limiterait à quelques gouttes, perles d'un rouge intense qui chutaient à un rythme régulier sur la neige désormais maculée, où elles explosaient, et se figeaient en une étoile curieuse, reflet malsain de celles qui brillaient par leur absence dans le ciel.


~~~~


- Monsieur Elgyn...

La voix qui résonne est profonde, une  belle voix de basse, qui d'ordinaire aurait pu être réconfortante, mais qui présentement sonnait plutôt comme une menace. Elle semblait venir de partout et de nulle part à la fois, la faute à l'acoustique particulière des lieux. Des lieux que l'intéressé ne pouvait pas voir, puisque sa tête était prise dans une cagoule. Tout ce qu'il pouvait savoir, c'était qu'il était prisonnier, car allongé sur ce qui devait être une table, entièrement nu, les bras en croix, les quatre membres enchaînés. Impossible de se défaire d'une telle entrave, réalisée avec un professionnalisme impressionnant. La voix résonna à nouveau, se déplaçant. L'homme qui en était le propriétaire devait tourner autour de la table, et l'effet était très perturbant :

- Comment avez-vous osé... ?

Il marqua une pause théâtrale, et un doigt glacé vint se poser sur sa cuisse. Le contact avait été tellement bref qu'il était difficile de savoir si c'était un rêve ou la réalité. Il devait y avoir un tapis sur le sol, car bien que l'homme se déplaçât, ses pas ne produisaient aucun son. Absolument aucun. Pas plus que sa respiration.

- Comment avez-vous osé... ? Reprit-il.

Cette fois, le contact eut lieu au niveau de son flanc gauche. Impossible de savoir ce que c'était, mais c'était toujours la même sensation glacée, comme si quelqu'un avait posé son doigt après avoir séjourné au dehors pendant un moment. Pourtant, il faisait bon dans la pièce, et il n'y avait pas de raison d'avoir les mains aussi froides.

- Je ne parle même pas de penser à m'escroquer. Beaucoup ont tenté, peu ont réussi, mais ce sont les risques du métier. Toutefois, penser que vous pouviez revenir à Minas Tirith sans que je vous en tienne rigueur... Comment avez-vous osé... ?

Il parlait avec lenteur, pesant chacun de ses mots, les déclamant avec le talent d'un orateur né. Il était totalement maître de la situation, et il était difficile de savoir s'il était en colère ou s'il était simplement en train de vouloir impressionner son prisonnier. Toujours est-il qu'un doigt glacé se posa sur les lèvres de ce dernier, s'échappant aussi vite qu'il était apparu, laissant à peine une empreinte fugace, et peut-être un parfum d'écorce de pins.

- Mais vous voilà revenu avec, de toute évidence, l'intention de payer votre dette. Et avec cela, vous me devez naturellement des intérêts conséquents. Pendant que mes... assistants... vous cherchaient, j'ai pris la liberté de faire le calcul pour vous. Mais puisque j'ai l'impression que vous êtes le genre d'homme à oublier, j'ai l'intuition que vous serez plus enclin à vous souvenir de moi si je vous laisse ma note de frais bien en évidence...

Avant que le prisonnier eût pu comprendre ce qui allait lui arriver, une terrible pression s'exerça sur son coude, le bloquant totalement. Ce devait être un objet en acier, incroyablement lourd, et visiblement conçu pour l'empêcher de bouger son avant-bras. Un instrument pour faciliter la torture chirurgicale, quand bien même le patient se débattait. Rapidement, Elgyn sentit une lame s'infiltrer dans sa chair, et commencer à tailler dedans avec expertise et minutie. Le sang se mit à couler abondamment, tandis que l'acier continuait à travailler, sans toutefois provoquer de dégâts internes importants. La souffrance, en revanche était terrible. D'autant plus terrible que le processus durait, comme si celui qui maniait la lame prenait son temps pour dessiner avec précision dans la chair. Cela relevait presque de l'art, tant il y avait d'application dans le procédé. Il sembla durer une éternité, et quand la lame sortit enfin pour ne plus rien tracer, le sang inondait le bras d'Elgyn. Quelques secondes passèrent, puis il sentit qu'on lui versait un liquide dessus. Et de toute évidence, ce n'était pas de l'eau. C'était un produit conçu spécialement pour le faire incroyablement souffrir. Pire que si on avait mis du sel sur sa plaie à vif. C'était comme si on avait plongé un tison à l'intérieur de chacune de ses plaies, et que la douleur se répandait à une vitesse fulgurante à travers tous ses muscles. Le prisonnier tomba inconscient sur le coup.


~~~~


Elgyn se réveilla dans la rue. Il avait été rhabillé, et laissé au pied d'une auberge, en plein milieu de la Cité. La souffrance n'avait pas disparu, mais les plaies sur son bras avaient cicatrisé. Quand il posa les yeux dessus, il put lire "87550£". Désormais, il devait trouver un moyen de se sortir de cette situation, tout en étant conscient qu'il ne quitterait pas cette ville sans avoir remboursé sa dette. Pas vivant, du moins. Mirallan avait patienté jusqu'au moment propice. Attendre quelques semaines, voire quelques mois de plus ne le dérangeait pas. Au contraire, ce petit jeu le divertirait. Il s'en régalait d'avance...
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