Perdu...

Une nuit, quelque part dans les Montagnes Bleues. Le froid glacial était partout. Des hauts pics escarpés aux grandes forêts de conifères tordus, ce gel mordant envahissait chaque recoin, rendant toute vie impossible. Pas un bruit, hormis les rares souffles de vent qui agitaient les branches. Mais le plus marquant dans ce paysage désert et désolé, c’était la brume, un brouillard épais, blanchit par la lumière de la lune, et qui conférait à ces lieux une impression de volupté laiteuse, comme dans un rêve. Ou plutôt un cauchemar, un cauchemar pour quiconque s’y aventurerait. Mais personne ne venait en ces lieux. L’endroit était totalement vide. Pourtant, en y regardant de plus près, on pouvait apercevoir une petite forme, abritée de son mieux son un énorme rocher craquelé. Et s’y l’on regardait mieux, on s’apercevait qu’il s’agissait d’un être vivant. Un Nain, pour être précis, un Nain recroquevillé, transis par le froid et trempé par l’humidité de la brume. Il tremblait de tous ses membres, serrant contre lui ce qui semblait être une lance, et son esprit même tremblait, paralysé par la fatigue. Avec un tel gel, on ne pouvait pas dormir, sous peine de ne jamais se réveiller.

Je n’avais plus la sensation du temps. En fait je n’avais plus de sensation du tout. Le froid me paralysait. Depuis des jours que j’étais ici… Des jours, ou des semaines ? Je n’en savais plus rien… J’étais perdu sans espoir de retrouver un jour mon chemin. Je ne savais même plus comment j’étais arrivé ici, sous cet immense rocher dont je n’espérais qu’une chose, c’est qu’il s’écroule pour mettre fin à ma souffrance. Ou peut être devait-je simplement m’endormir, me laisser aller, et ainsi je partirais sans m’en rendre compte. C’était sans doute une bonne solution pour échapper à ce froid horrible, renforcé par l’humidité de mes vêtements. De toute façon, personne ne viendrait m’aider. Et si quelqu’un venait, comment pourrait-il me retrouver, caché dans les sombres ombres aux formes étranges qui m’entouraient, au milieu d’un brouillard si épais qu’on ne pouvait pas voir à deux mètres. Oui, peut être devait-je laisser tomber, et fermer les yeux. Fermer les yeux, fermer les yeux…

L’éboulement. Manubestofplus qui me tirait de là, avant de me reposer quelques mètres plus loin, une fois que le danger semblait écarté. Lui, Klang et moi, courant dans les tunnels. Et puis la poussière. Un autre éboulement. Et moi, seul, dehors, dans le froid. Et plus de nouvelles des autres… Perdu…

Lumière… Son éclat brule les yeux… Une main pour se protéger… De la lumière… Le Soleil… LE SOLEIL !

J’ouvrais les yeux… Le Soleil était réapparu. La brume était toujours là, mais uniquement présente sous la forme d’un mince revêtement laiteux léchant le sol. Et le froid s’était légèrement atténué, adoucit par les rayons du Soleil revenus. Je tentais de me relever... mais n’y arrivais point. Cela devait faire des jours et des jours que je n’avais pas bougé de cet endroit sordide, caché sous ce rocher, et mes muscles refusaient de se contracter à nouveau. Après une nouvelle tentative, … ils refusèrent encore. Je dus me battre avec mon propre corps pendant plusieurs minutes pour déplacer ne serait-ce qu’un doigt, et plusieurs heures pour simplement me redresser. Le froid et l’inactivité m’avaient complètement engourdi et ankylosé. Puis, je pus me relever sur mes coudes, et contempler le monde qui m’entourait sous un jour nouveau.

Avec la lumière de l’astre du jour, le paysage devant moi se trouvait bien moins cauchemardesque. La forêt prenait des tons innombrables de vert, les bruissements des branches donnaient une apparence de vie à l’ensemble, et un petit torrent dévalait même les pentes vers une destination inconnue.

Puis je réalisais que cette vision presque idyllique d’un tel endroit ensoleillé ne serait que très courte. Pendant des jours et des jours, ces lieux avaient été un enfer de gel et de silence, et quelques heures de lumière ne l’empêcheraient pas de redevenir bien trop vite un espace invivable. Il fallait que je parte, et vite, pour ne pas me retrouver définitivement et mortellement coincé ici.

Réussissant difficilement à me mettre debout malgré l’aide de ma lance pour m’appuyer, je me dirigeais vers le cours d’eau, afin de m’abreuver un peu. Ma bouche pâteuse reçut avec délice ce breuvage si simple, mais le froid de cette eau me prit subitement et cogna dans ma tête comme un marteau Nain sur une enclume.

Après m’être réhydraté quelque peu, il me fallait partir. Je n’imaginais pas trouver de la nourriture en ces lieux, et pourtant, il m’en faudrait très bientôt. J’avais perdu mon paquetage, et ne gardais que ma lance, mais, avec le peu de force qui me restaient, je ne pourrais pas m’en servir pour chasser. Mon seul espoir était de tomber sur des fruits, des noix ou des animaux morts, et de trouver très rapidement des habitants, quels qu’ils soient.

Evaluant la position du Soleil, je me dirigeais vers le Sud, estimant que les Havres, ma destination initiale, ne devaient plus être bien loin après tout. Cela me prendrait peut –être un jour ou deux pour les atteindre, et il y aurait sans doute quelques habitations d’ici là. Je me servis donc de ma lance comme d’un bâton de voyage, et repris ma route, en réfléchissant à la chance que j’avais eue. J’étais en train de me laisser mourir, dans l’endroit le plus inhospitalier que l’on pouvait trouver sur cette Terre, et voilà que finalement, je repartais de plus belle. La résistance des Nains faisaient sans aucun doute des miracles, et j’étais sûr que nulle autre race n’aurait pu survivre aussi longtemps. Mais le Soleil m’avait sorti de ma torpeur, et l’espoir était revenu en moi, bien que cet épisode resterait surement gravé dans mon cœur, laissant une trace de glace sombre au plus profond de moi.

#Rômrhun