Sur les Traces de Jorkil

Radamanthe tenait un conseil restreint, dans ses appartements privés, à l'abri des oreilles indiscrètes. Tous ceux qui se trouvaient là étaient, du moins l'espérait-il, dignes de confiance et fidèles. Il ne se faisait toutefois guère d'illusions par rapport à cela. Sa longue absence en avait fait jacasser plus d'un, et plus d'un se demandait ce qu'il avait bien pu tramer hors des murs de Dur'Zork. Il osait cependant espérer que tous aient assez de bon sens que pour ne pas choisir le parti de Jorkil et de ses sbires de Khand. Cela aurait été une stupidité sans nom, le faux Duzingi n'ayant aucune chance malgré les quelques défections dont il avait bénéficié. Quitte à la trahir, autant prendre le parti des pirates. Et ça, il espérait bien que personne ne soit assez fou que pour se joindre à ses fourbes d'Umbar. Restaient les rumeurs qui enflaient à l'Est. Des rumeurs dont il se serait bien passé...

"Selon vos ordres, Sire, nous avons continué l'approvisionnement de manière discrète." fit l'un des hommes, Harondorim de souche. "Les stocks que nous avons constitué sans attirer l'attention, bien qu'insuffisants, sont assez conséquents vu la manière de procéder. Le secret a été bien gardé, Sire."

"Cependant..." c'était Artegor qui avait pris la parole. "Cependant, les rumeurs enflent dans les tavernes. Des gens apportent des nouvelles de l'Est, d'Umbar même. L'heure du secret est passée, Sire. Les nouvelles d'une guerre imminente se rapprochent."

L'Emir resta un instant silencieux. Il s'en doutait, évidemment. A Arwa, les ordres qu'il avait transmis seraient passés beaucoup moins inaperçus. Arwa disposait de bien moins de temps de préparation, même si la traînasserie des pirates était à leur avantage. La ville était la première sur la route. Elle serait la première à tomber... à moins de parvenir à déjà en faire un obstacle infranchissable. Il fallait pour cela décider de quoi faire des forces de Dur'Zork. La première chose était de ne plus voiler l'évidence.

"Bien. Nous allons donc prendre des mesures officielles pour l'approvisionnement en hommes, armes et vivres. Il de va de pair qu'un contrôle des entrées et sorties, ainsi que de tous les partenariats marchands se doit d'être imposé. Pour le moment la raison officielle est la menace des Khandiens sous bannière Duzingi."

La deuxième chose était d'éradiquer cette menace. Radamanthe s’était pour le moment contenter d'envoyer cavaliers Harondorim et rôdeurs d'Ithilien tendre quelques embuscades et tester les forces ennemies dans de menues escarmouches contre des patrouilles isolées. Il fallait frapper plus fort à présent.

"Signaler au capitaine Amaricsen qu'il part à l'aube."


Erich Amaricsen n'était, quoi qu'on en pense, pas totalement stupide. C'était précisément ce qu'il pensait lorsque, le lendemain, il franchissait les portes de Dur'Zork avec deux-cent cavaliers Gondorim. Je ne suis pas stupide, Emir, je sais pourquoi tu m'envoies moi. Ce maudit Radamanthe n'avait pas apprécié l'attitude des natifs de son pays lors de son absence, il ne s'en était pas caché. Il n'avait pas apprécié leur présence, dès le début, à vrai dire, considérant ces renforts davantage comme une force de surveillance que comme des alliés. Eh bien, le Roy n'avait-il pas raison dans ses méfiances ? Radamanthe veut régner sur le Harondor en son nom, pas en celui de Méphisto ! Sa mission n'en était-elle pas la nouvelle preuve ? Pourquoi envoyer les plus hauts officiers Gondoriens en avant, si ce n'était pour s'en débarrasser ? Si seulement au moins avaient-ils eu toutes leurs troupes avec eux, mais non, deux cent cavaliers seulement, le reste restait au chaud à Dur'Zork, avec une poignée de lieutenants pour les commander. Des lieutenants qui n'oseraient s'opposer aux ordres de l'Emir... Pas que lui-même ait quelque chose à dire. Amarichsen avait bien tenté de négocier plus d'hommes ou un autre ordre de mission, rien n'y fit. Bien sûr, leur mission n'était que de continuer les opérations sur les troupes isolées. Bien sûr, une armée de soutien les rejoindraient sous peu. En attendant, ils avaient toutes les chances de se prendre le gros de l'armée de Jorkil sur le dos et de se faire tailler en pièce.

"Pas question ! " s'écria tout haut Amaricsen, s'attirant les regards perplexes de ses compagnons les plus proches. Il ne se laisserait pas éliminer par une ruse aussi grotesque. Il comptait bien faire le nécessaire sans tomber dans la gueule du loup, puis mener l'armée de réserve à la victoire quand celle-ci les aurait rejoint. Il ne doutait pas qu'elle existât, bien sûr. Radamanthe comptait vraiment sur la défaite de Jorkil. Eh bien, il comptait bien rester en vie suffisamment que pour la voir arriver, en prendre le commandement -car nul ne pourrait s'y opposer- puis remporter une victoire étincelante. Il se voyait déjà revenant à Dur'Zork un sourire narquois aux lèvres, l'air de dire, non seulement j'ai survécu, mais en plus vous me devez le respect pour cette victoire. Radamanthe serait bien obligé de traité autrement le Gondorien après cela, il lui faudrait bien tenir compte de ses avis, et il ne pourrait plus l'envoyer ainsi au diable. Je leur prouverai, que la valeur militaire du Gondor est bien supérieure à celle de ces suderons !
Jorkil et ses étrangers n'avaient qu'à bien se tenir, Erich Amaricsen en faisait son affaire !