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 Mieux vaut prévenir que guérir

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Nathanael
Espion de l'Arbre Blanc
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Nathanael

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Mieux vaut prévenir que guérir EmptyMar 24 Mar 2015 - 16:28

Ambolt faisait des allers et retours depuis l’aube. Ses jambes harassées le faisaient souffrir à chaque pas mais le devoir lui imposait de continuer. Son cheval, attelé à la charrue, poussait fort dans son collier pour retourner la terre. Tous deux laissaient un profond sillon dans le sol, jusqu’au bout du champ, revenaient et recommençaient inlassablement. Sa femme lui avait apporté un peu d’eau, la gourde en cuir reposait à quelque pas de là, son ventre rebondi exposé au soleil. Il avait soif. Les chaleurs précoces avaient poussé à reprendre le labeur plus tôt alors que les journées étaient encore courtes, et il lui fallait redoubler d’effort pour terminer tout ce qu’il avait à faire. Il avait soif. Un couple de buses survolait le champ à la recherche de petits rongeurs chassés de leur trou, attentif au moindre mouvement. Il avait soif. La gourde continuait de le narguer, somnolant au bord de la raie de charrue, et sa bouche pâteuse lui offrait un goût très déplaisant en bouche. Il arrêta son cheval, et, dans son élan, ne prit pas la peine de le dételer. En quelques enjambées il fût auprès de la gourde et but avidement une eau des plus rafraîchissantes. Il y eut un cliquetis. Il tourna la tête alors que son cheval faisait un écart, apeuré par une buse qui venait de piquer sur un mulot, juste devant ses sabots. Le cheval se cabra, fit volte-face et s’emballa à travers champs. Ambolt siffla, courut au devant de son cheval pour lui couper la route, mais l’animal ne s’arrêta pas, trop effrayé par cet ennemi venu du ciel. Ambolt se fit bousculer, il trébucha dans un sillon, tomba au sol, et percuta de plein fouet le versoir de l’outil. Le soleil vacilla dans le ciel, les buses furent de plus en plus floues, puis elles disparurent, emmenant le monde avec elle.

Le paysan était secoué sur une table en bois portée par quatre solides gaillards suant à grosses gouttes jusque dans une masure. Ils le menèrent à l’ombre puis sortirent aussitôt. Une femme pleurait dans la rue, une vieille la soutenant par le bras, tandis que d’autres femmes regardaient, inquiètes, ce qui se passait. Un des quatre gaillards, aussi solidement bâti qu’un roc tombé du Mont Mindolluin, fit mander la sage-femme, un autre apportait déjà de l’eau et des linges propres, un autre encore courrait chercher le prêtre et le fossoyeur. Nast revenait de sa corvée de bois alors que le village s’animait de part en part, grouillant soudainement d’une agitation qu’il n’avait plus connu depuis longtemps. Il posa sa charge et se rapprocha de la maisonnette qui semblait être le cœur de toutes les attentions. Il allait en franchir le seuil lorsqu’une voix forte le fit sursauter :

- Nast !

C’était Bertram, le paysan le plus grand qu’il lui eut été donné de voir du haut de ses jeunes années, il était également le plus vif d’esprit, prompt aux bonnes idées et sachant toujours trouver des solutions à n’importe quel problème. Nast ne l’aimait pas plus que ça mais il le respectait et il se porta donc au devant de lui avec un air interrogateur.

- C’est toi le plus rapide dans le coin. Prends la route Nord et va chercher l’Ancien chez Hamfast, tu lui dis que c’est urgent. Très urgent.

Nast ne prit pas la peine de poser de questions et partit en courant dans la direction indiquée par Bertram. Hamfast habitait à près de deux lieues et même en tenant le rythme, il n’y parviendrait pas avant le zénith. Les rares chevaux étaient tous utilisés pour le labours et personne n’avait de quoi se payer ne serait-ce un âne ou une mule pour faire autre chose que travailler le sol ou charrier du bois. Nast respirait fort et courrait vite, aussi vite qu’il le pouvait, dans l’espoir de trouver l’Ancien, ou une bonne âme charitable qui serait prête à l’aider.
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Drulion Mede
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Mieux vaut prévenir que guérir EmptyMer 25 Mar 2015 - 19:51
Lorsque Drulion sortit de son lit, il pleuvait à verse. La pluie s’écrasant sur le toit de paille composait une petite symphonie qui accompagna le gros guérisseur lors de ses ablutions matinales. Il finit de se rincer le visage et enfila sa tunique en toile. Il resserra sa corde qui lui servait de ceinture et décida d’aller déjeûner. Il ouvrit la porte de sa chambre. Il logeait actuellement dans une petite auberge d’un petit village dont il ne se souvenait, ni n’aurait pu prononcer le nom. Il fit un signe à l’aubergiste et celui-ci lui apporta un grand plateau portant deux bières dont la mousse débordait et un morceau de pain avec un peu de miel. L’ivrogne porta le pain à sa bouche.

C’est à ce moment-là que le guérisseur se réveilla. Il détestait ces rêves plus vrais que nature. Il inspecta rapidement la salle où il se trouvait. Il était bien dans une petite pièce de l’auberge, mais il dormait par terre et la fenêtre, qui n’était pas couverte par un volet en bois, laissait passer les rayons du soleil. Il faisait beau. Le guérisseur chercha après une bassine d’eau mais n’en trouva pas. Il avait sué la nuit et se serait bien nettoyé un peu… Il ne trouva même pas de pot pour ses besoins. Il décida donc d’utiliser un mur de sa chambre. Il fallut évidemment que ce soit à cet instant qu’une petite fille passe devant la fenêtre. Celle-ci se mit immédiatement à crier et s’enfuit dans le village.

*Bordel, pas maintenant…*

Il rangea son « matériel » et s’habilla rapidement, il empaqueta ses affaires et sortit de la pièce. L’auberge était modeste, le bar ne pouvait sans doute accueillir que quatre clients simultanément et il n’y avait apparemment que quatre tables. L’une d’elle était occupée par le barman qui prenait son petit-déjeuner. L’imposant soigneur prit place à une table et héla le tavernier. Il avait soif et faim. L’aubergiste posa à peine son regard sur lui et retourna à sa nourriture.

-J’espère que tu as de l’argent, tu es arrivé hier ivre mort et tu m’as garanti que tu pouvais payer.

Drulion commença à palper sa tunique et fouilla son sac. Il n’avait presque plus d’argent, cela commençait à devenir une habitude, il faudrait peut-être qu’il commence à faire payer ses services. Il commençait petit à petit à regretter de s’être réveiller, son rêve avait tellement bien commencé…
La porte de la taverne s’ouvrit brusquement et ce qui semblait être un forgeron, à en juger par ses vêtements, entra bruyamment en criant.

-Où est-il cet exhibitionniste ?

Une petite fille, blonde, sortit de derrière les jambes de son père et pointa son doigt vers le guérisseur.

-C’est lui Papa qui m’a montré son zizi. En plus, il a fait pipi dans la réserve de l’auberge.

La situation commençait petit à petit à se compliquer pour le guérisseur. Celui-ci se leva et approcha le forgeron arborant son plus grand sourire. Les muscles du forgeron étaient saillant sous sa chemise et son tablier de cuir.

-Voyons, ne nous emportons pas, ce n’est qu’un petit malentendu. De plus, je suis sûr que la petite a dû se tromper, pas vrai petite ? dit-il se penchant vers la gamine.

-Ne t’approche pas de ma fille sale pervers.

L’aubergiste se leva, jeta un coup d’œil dans sa réserve et en ressorti aussi sec.

-Éjecte-moi cet énergumène d’ici ! Que je ne le revoie jamais ! Espèce de gros porc d’ivrogne.

La montagne de muscles que constituait le forgeron s’empara du guérisseur et le traina en dehors de l’auberge. Il le lança violemment sur la route.

-Va-t’en avant qu’on décide de te faire quelque chose de pire !

Le guérisseur se releva tant bien que mal, ramassa sa sacoche et, sans se retourner, prit la route qui se dressait devant lui. Le soleil avançait dans le ciel, et le guérisseur ne savait pas trop la direction qu’il prenait. Il ne savait ni où aller, ni comment. Suivant la logique qu’au bout d’une route devait se trouver un autre village, il continua de la suivre. Il n’avait pas mangé et commençait petit à petit à le sentir. Il décida de traverser un champ et de pénétrer dans une forêt toute proche, là il repéra rapidement quelques fruits qu’il engouffra goulument. Il ressortit de la forêt et rejoignit la route. C’est ainsi qu’il vit apparaitre une silhouette au loin. Il devait s’agir d’un humain à pied. Malgré tout, il se rapprochait assez rapidement. Il courait.
Il s’agissait d’un petit jeune aux cheveux noirs. Le guérisseur s’arrêta, attendant que le jeune homme arrive à sa hauteur. Celui-ci arriva vers lui, il suait et avait l’air de fatiguer petit à petit. Le gros homme lui fit signe de la main.

- Je te salue jeune homme, est-ce que tout va bien ? Tu m’as l’air bien pressé. Et tu devrais peut-être boire un peu d’eau, à force de courir comme ça sous le soleil, tu risques de t’évanouir.

#Drulion
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Nathanael
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Mieux vaut prévenir que guérir EmptyJeu 26 Mar 2015 - 9:15

Embrasé par sa course, il avait les pieds en feu et sa poitrine le brûlait. Il respirait avec difficulté, ses traits étaient tendus et il ruisselait comme un animal au travail. Une main invisible le freinait, la poussée de la chaleur et du soleil l’empêchait de courir aussi vite qu’il le souhaitait et il n’était pas certain de parvenir à son but. Seule la volonté le maintenait en avant et il serait sans doute arrivé chez Hamfast si une épine du destin n’était pas venue se planter sur son chemin. Il fut tout à la fois surpris et soulagé de trouver un étranger sur sa route, une bonne occasion de s’arrêter un moment et de reprendre son souffle. Il respirait fort et chaque inspiration lui donnait l’impression d’avaler des flammes, il avait le goût du sang dans la bouche et les lèvres aussi sèches que les sables du Harad. Il tremblait comme une feuille au bord de l’insolation et de la déshydratation, le monde s’agitant en contours flous autour de lui. Aussitôt arrêté il se plia en deux pour respirer, les mains sur les genoux, haletant et toussant, tout en cherchant à parler, chacun de ses mots étant interrompu par une goulée d’air.

- Je … cherche … un … guérisseur … C’est … pressé… Je … vais … trouver … l’Ancien … au … prochain … village …

Nast releva la tête avec peine tandis que des vertiges commençaient à s’emparer de lui. Son visage était pourpre et prêt à se décomposer sous la violence du martèlement du sang dans ses veines. La sueur inondait son front et lui coulait sur les tempes, ses cheveux étaient collés à son crâne et il empestait la transpiration à des lieues à la ronde. Ses narines constatèrent néanmoins que l’homme qui se trouvait en face de lui exhalait un fumet qui ne valait pas mieux, mélange de vapeurs d’alcool et d’un manque d’hygiène indéniable. Nast prit sur lui de se redresser tout en se tenant les côtes.

- Est-ce … que … le village … est encore … loin ?

Il reprenait peu à peu son souffle, profitant de cet arrêt impromptu pour reprendre contenance, sans savoir s’il aurait véritablement le courage de continuer par la suite. Il découvrit alors l’homme de toute sa hauteur, le crâne plus lisse qu’une pierre de mémoire, la barbe aussi bien entretenue qu’un champ de bataille et des vêtements qui en disaient long sur sa condition sociale. Il sentait le paria à plein nez, le marginal repoussé de village en village comme un chien galeux, pas vraiment méchant mais qui coûtait trop cher à entretenir par rapport à ce qu’il pouvait rapporter. Nast eut un soubresaut de conscience qui le poussa à se méfier.

- Et vous … vous êtes qui ?

Les étrangers étaient assez rares sur cette route. Le maillage de petits villages était disparate mais ils étaient assez proches de la cité blanche pour repousser les intentions malveillantes. On voyait le plus souvent des groupes de commerçants transportant les marchandises agricoles jusqu’aux portes de Minas Tirith et plus rarement des détachements de l’armée, punis sans doute pour quelques mauvaises actions et condamnés à exécuter de menues tâches de surveillance. Les solitaires et les mendiants étaient rares, on s’évertuait à les repousser hors des frontières et il arrivait que quelques gueux soient retrouvés morts au bord de la chaussée, comme un déchet de l’espèce humaine.
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Mieux vaut prévenir que guérir EmptyVen 27 Mar 2015 - 11:00
Le petit jeune s’arrêta à proximité de l’ivrogne et avait manifestement du mal à respirer. Il avait l’air d’avoir couru comme ça pendant pas mal de temps. Apparemment, il cherchait un guérisseur, cela tombait particulièrement bien, et se dirigeait vers le village que Drulion venait de quitter. « Hamfast », cela lui revenait maintenant, il se souvenait d’avoir vu ce nom avant de s’effondrer par terre la nuit précédente. Il s’était bien amusé, mais était bien imbibé aussi. Tout ne lui revenait, il ne savait ce qu’il avait dit à l’auberge pour que le tavernier le laisse dormir là. Mais tout ceci appartenait au passé, et il avait devant lui un jeune homme dégoulinant de sueur, et probablement déshydraté. De plus, sous ce soleil, l’insolation ne tardait jamais.
Le gros bonhomme ouvrit sa besace, sans prendre la peine de répondre aux questions du jeune et y trouva une gourde. Il l’ouvrit et la renfila, hocha de la tête en signe d’approuvement et la tendit au jeune homme.

-Tu devrais boire mon gars, celle-ci est plaine d’eau. Et met quelque chose sur ta tête, à suer comme ça tu vas tomber mal avant même que je n’aie pu te répondre. Alors, il parait que tu cherches un guérisseur ? Voilà un magnifique hasard, que dis-je, c’est le destin ! Alors qu’il disait cela, le guérisseur pris l’épaule du jeune homme et le fit se retourner pour faire face au chemin qu’il venait d’emprunter.

-Donc, tu viens de là-bas ? Je suis guérisseur, et si ton village a de quoi me récompenser, je pourrais te proposer mes services. Tu ne risques pas de trouver meilleur guérisseur à dix lieues à la ronde ! Comment s’appelle ton village et que s’y est-il passé ?

Profitant de l’épuisement du jeune, il l’entraina en marchant avec lui vers le village que le jeune homme venait de quitter. Il n’avait surtout pas envie que ce jeunot n’arrive à Hamfast et entende des racontars sur sa mésaventure matinale…

-Comment est-ce que tu t’appelles petit ? L’autre village est trop loin, tu ferais mieux de m’emmener maintenant parce que cela à l’air urgent.
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Nathanael
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Mieux vaut prévenir que guérir EmptyMer 1 Avr 2015 - 17:51

Partagé entre une politesse rudement acquise à coups de trique et son instinct qui le poussait à se détourner de cet homme, Nast hésitait quant à la marche à suivre. Il reprenait toujours son souffle tandis que l’homme lui tendait sa gourde. Le jeune garçon hésita. Avait-il soif au point de prendre le risque de goûter à la gourde d’un étranger ? Suspicieux par nature il pesa le pour et le contre avant de tendre la main pour se saisir de l’outre. Il renifla lui-même le contenu en se demandant si cette gourde avait toujours contenu de l’eau ; des relents d’alcool frelaté s’émanaient encore des tréfonds du récipient et le goulot était poisseux. Il prit soin de ne pas y poser les lèvres et but avidement quelques gorgées avant de rendre l’objet à son propriétaire. Le guérisseur lui appuyait déjà sur l’épaule pour lui faire faire demi-tour, et, bien qu’il fut heureux de prendre le chemin du retour, une petite voix dans sa tête lui intimait de rester prudent. Afin de ne pas paraître impoli, ou stupide, Nast s’enquit de répondre à l’étranger pour satisfaire sa curiosité.

- Le village est à une heure de marche au moins. C’est plus au Sud, par-delà les champs et derrière un bois. Je …

Nast buta sur les mots. Il n’était pas certain d’avoir envie de lui donner son nom, mais après tout, que risquait-il ? Même fatigué il courrait plus vite que cet être bedonnant et imbibé de gnole et il connaissait assez de chemins et de petits détours pour le perdre en route avant d’aller chercher de l’aide. Il reprit assez d’assurance pour annoncer sans hésitation.

- Je m’appelle Nast. J’ai été dépêché pour chercher l’Ancien, mais je ne sais pas bien ce qui s’est passé. Un paysan du coin a été pris par une charrue je crois, son cheval s’est emballé et ça a tourné au vinaigre. Il est dans un sale état. J’sais pas s’il va s’en sortir, mais on sait jamais…

Soudain plus volubile Nast accéléra le pas pour conduire le guérisseur jusqu’aux portes du village. Le soleil eut le temps d’approcher de son zénith tandis qu’ils passaient la première chaumine où une vieille les regarda passer d’un œil suspicieux. Nast lui décocha un regard haineux et traîna presque le guérisseur par la manche pour lui faire presser le pas. L’agitation s’était un peu calmée. Certains des paysans étaient retournés travailler. La rudesse de la vie imposait de laisser les plus faibles en arrière et de continuer à faire comme si de rien n’était. Il faudrait bien nourrir tout le monde le temps venu. Ne restait que Bertram devant la masure où avait été entreposé le corps de l’homme. Le géant faisait les cents pas en jetant des regards vers le Nord, se rongeant machinalement les ongles. Nast et le guérisseur se rapprochèrent du pas de la porte. On entendait vaguement une femme pleurer à l’intérieur.

- Bertram ! Ce gars là, il dit qu’il est guérisseur et qu’il peut nous aider.

L’homme était tellement occupé par ses pensées qu’il releva brutalement la tête. Il eut un regard étonné puis un courroux sans nom figea ses traits faisant éclater des noms d’oiseau en un spectaculaire feu d’artifice verbal.

- Nom d’un Valar ! Par Eru, mais Nast, c’est qui ce gars là ? T’es pas foutu de faire ce qu’on te demande ? Où est l’Ancien ? Par les couilles de Melkor, bon sang, on fait comment maintenant ? Ambolt est en train de se vider de son sang les tripes à l’air et tu nous ramènes un gueux sorti d’un fourré pour le sauver ? Merde, j’aurai pu aussi bien me remonter les manches et faire moi-même le boulot à ce compte là !

Nast eut l’air peiné puis son orgueil d’adolescent prit le dessus et il répondit avec fougue et véhémence avant de quitter les lieux sans autre forme de procès.

- La prochaine fois t’iras te crever toi-même sur le chemin pour aller chercher l’Ancien, je suis pas ton chien ! Débrouille-toi avec lui…

Nast partit, furieux et rouge de colère, frappant du pied à chaque foulée pour manifester ostensiblement son mécontentement et disparut de la petite place, laissant en plan l’étranger et le géant. Bertram allait partir à ses trousses pour lui donner la sanction qu’il méritait quand un cri de douleur le rappela à l’ordre. Ambolt criait comme il le pouvait et sa femme l’accompagnait dans un chœur de sanglots et de larmes. Le géant toisa Drulion de haut en bas comme s’il lisait dans son cœur et ses entrailles, cherchant à deviner ses intentions. Il poussa un profond soupir, conscient d’être confronté à une situation dont il ne maitrisait plus tellement les tenants et les aboutissants.

- Si on a pas le choix … toi le guérisseur, suis moi, ça presse !

Il laissa Drulion s’approcher. Le guérisseur s’apprêtait à entrer quand Bertram le saisit par le col, confirmant ses soupçons en reniflant les odeurs que diffusaient ses vêtements.

- Je te préviens médecin, si tu fais trépasser mon ami ce ne sont pas les geôles de la Cité Blanche qui te feront de l’ombre … tu finiras enterré sous le tas de fumier, tes bourses au fond de la gorge et la tête entre les jambes.

Une fois les présentations faites, Bertram poussa sans ménagement Drulion dans la petite pièce où Ambolt reposait sur le dos, allongé dans son sang, les mains serrées sur le ventre, respirant difficilement. Sa femme lui tenait la tête et lui baignait le front d’un tissu imbibé d’eau fraîche, la sueur perlant à grosses gouttes sur son visage.  De multiples petites plaies superficielles courraient sur tout son côté gauche, mais entre les côtes et l’estomac, une large et profonde entaille laissait deviner l’intimité organique du pauvre homme. Il avait perdu beaucoup de sang. La sage-femme avait bricolé un bandage pour serrer la plaie et éviter que l’hémorragie ne persiste, le prêtre avait fait brûler quelques bougies pour demander aux esprits de veiller sur lui, et sans doute, le fossoyeur avait-il déjà pris les mesures nécessaires à la découpe des planches pour le cercueil. Bertram rompit le silence pesant.

- Il s’est pris le soc de la charrue dans les jambes et il s’est fait traîné par son cheval à travers tout le champ. Ca fait déjà plus de trois heures qu’il est comme ça.

Le grand Gondorien jeta un regard pesant sur Drulion où se lisait autant de colère que d’espoir, autant de menaces que de supplications.
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Mieux vaut prévenir que guérir EmptyVen 3 Avr 2015 - 15:49
Eh bien, il s’en était passé des choses depuis que le vieux guérisseur avait pris le jeune coureur par l’épaule. Il apprit qu’un accident s’était produit dans un village voisin, et que le jeunot, appelé Nast, avait été envoyé pour chercher de l’aide. Le guérisseur avait donc été guidé jusqu’au village où s’était produit l’accident. Il rencontra brièvement une vieille au regard mauvais et un colosse. Il devait s’agir d’une montagne de muscles qui portait une tête. Celui-ci fut très rude avec le petit jeune homme et se résigna à utiliser le guérisseur. Il le poussa à l’intérieur de la maison où le patient se trouvait et ne ménagea point le guérisseur. Il le menaça même. Drulion aurait vraiment tout vu, qu’on le menace normalement, ça pouvait encore aller, mais là, avec un patient mourant juste à côté, ce n’était pas une bonne idée. Il se fit toutefois la réflexion que le malade n’était en rien responsable de l’attitude du colosse.

Drulion ignora royalement le géant, nommé Bertram, et s’approcha du malade et de la femme, qu’il salua. Il était couvert d’égratignures, et on voyait une plaie recouverte de tissu rougit par le sang. Drulion déposa son sac et s’agenouilla à côté du malade. Il allait pouvoir commencer.

Tout d’abord, bien observer le blessé, celui-ci était pâle, ne suait plus, il devait avoir perdu pas mal de sang. Ses égratignures avaient été nettoyées avec de l’eau et il ne faudrait sans doute pas s’en soucier. Le guérisseur continua à inspecter l’homme blessé. Il palpa l’abdomen du malade, appuyant assez fortement au niveau du nombril et juste un peu à gauche. Il hocha la tête et retira précautionneusement le pansement. Cela faisait maintenant plus de trois heures que l’accident s’était produit, il ne fallait vraiment pas tarder. Sans se retourner, il exigea qu’on lui apporte de l’alcool fort en quantité, il allait en avoir besoin régulièrement.

N’attendant pas qu’on le serve, il en donna au malade et le prévint gentiment que cela risquait d’être douloureux. Il sortit une gourde en peau de son sac et s’aspergea les mains d’un liquide fort odorant, il s’agissait d’alcool mélangé à une herbe qu’il utilisait beaucoup. Il attendit que ses mains finissent de sécher et les plongea dans la plaie. Il écarta doucement la couche graisseuse sous-cutanée, cherchant à voir jusqu’où l’entaille avait-elle été. Apparemment, son gros intestin avait été touché, ce qui n’était vraiment pas bon, toutefois le reste des organes semblait avoir été protégés. Il ne voyait aucun dommage au niveau de l’intestin grêle, ni derrière, au niveau du rein. La palpation lui avait indiqué que sa grosse artère abdominale ne saignait pas et n’était pas touchée.

Son maître lui avait enseigné que si le gros intestin était touché, le patient avait une chance de s’en sortir, mais que la maladie guettait. Son corps risquerait de devenir noir et de pourrir si le guérisseur ne faisait que recoudre. Il sortit de son sac une aiguille fine en argent et des fils. Ceux-ci se trouvaient dans une jolie petite boite en bois poli. Il trempa tous ses ustensiles dans une bassine d’alcool et les déposa ensuite sur le malade, attendant que cela sèche. S’il les utilisait directement, l’alcool permettrait d’empêcher la maladie, mais la plaie mettrait beaucoup plus de temps à se refermer, ce qui risquait d’amener encore d’autres maladies.

Pour l’en empêcher, il sortit de sa besace une plante verte, avec une fleur bleue. Il la broya, la mélangea avec une substance blanche et poudreuse contenue dans un autre petit pot en bois et mélangea le tout dans un peu d’alcool. Il obtint donc finalement un gel. Drulion était dans son élément et ne se concentrait plus que sur ses gestes. Sa faim, la peur de Bertram, sa soif, tout cela lui était sorti de la tête. Il trempa ses mains dans l’alcool et attendit que cela sèche. Il était prêt.
Il prit le gel et l’appliqua sur le gros intestin, dedans, dehors, autour, sur sa circonférence, il passa en dessous des petits lobules de graisse se trouvant tout le long, il laissa tremper pendant quelques secondes, puis il prit l’aiguille et le fil en main. L’intestin n’était pas sectionné proprement en deux, il était déchiré et une petite partie rattachait encore les deux parties de l’intestin. Il rapprocha donc les berges et y planta son aiguille en argent, d’un tour de main habile, il fit des allers-retours, des nœuds, dans un sens et puis dans l’autre, avançant petit à petit, tirant sur le fil à chaque nouveau point, avançant en huit, repassant sur ses nœuds. Comme son maître lui avait enseigné à le faire, sur de petits animaux d’abord, ensuite sur d’autres blessés.
Il devait toutefois faire bien attention à ce que les berges se touchent, et que les trois bandes longitudinales se trouvant tout le long de l’intestin soient bien alignées lors de la suture. Sinon, le pauvre homme risquait de souffrir de troubles plus tard, l’avait prévenu son formateur. Il avait lu dans les livres que l’argent permettrait d’éviter la maladie aussi. La couture lui prit facilement plus d’une demi-heure. Une fois finie, il en vérifia l’étanchéité, il était satisfait. Il replaça doucement l’intestin à sa place et le recouvrit de sa graisse. Cette graisse l’aiderait à cicatriser plus vite.
Il devait encore recoudre les muscles de l’abdomen et la peau, mais il avait besoin de quelques minutes de repos. Il se reposa en arrière, prenant conscience de ce qu’il se passait dans la pièce. Apparemment, le malade était tombé dans les pommes. L’alcool et la douleur l’avaient rendu inconscient. Drulion se tourna vers Bertram, et lui adressa la parole.

-Est-ce que je pourrais vous demander juste un peu d’eau ?

Il se tourna ensuite vers la femme se trouvant elle aussi dans la pièce. Elle se tenait là, apeurée, tenant la tête de son mari entre ses mains.

-Vous êtes sa femme ? Ne vous inquiétez pas, il est juste inconscient, il lui faudra du repos, jen ‘ai pas encore tout à fait fini, mais j’ai déjà réalisé le plus difficile. Je pense qu’il survivra, mais je devrai rester près de lui pendant au moins une semaine je pense, je n’aime pas laisser mes malades sans surveillance.

Il tourna la tête vers l’arrière.

-Et alors, elle vient cette eau ? Ou peut-être préféreriez-vous que je boive notre bon alcool ci-présent ?

Bertram lui apporta ne cruche d’eau en terre cuite. Apparemment, il était quand même un peu rassuré, mais on lisait encore le soupçon et la peu d’être trompé dans son regard.
Après s’être reposé cinq minutes, Drulion termina la cruche d’eau. Il retrempa ses mains dans l’alcool et y retrempa ses aiguilles aussi. Il attendit de nouveau que cela sèche. Il observa les muscles abdominaux du blessé. La charrue avait sectionné ses obliques et son transverse, il serait difficile de bien les remettre, mais pas impossible. Il rapprocha d’abord le plan de muscle le plus profond et commença à les suturer. Il ne voulait pas trop tirer dessus, le muscle risquait de casser et de ne jamais bien cicatriser. Il réussit tant bien que mal à joindre les bouts et enchaîna directement avec la deuxième couche de muscles. Cela se déroula aussi sans soucis. Il referma ensuite la peau.

- Il ne reste plus qu’à panser. Je devrai peut-être rouvrir dans une semaine, pour enlever les fils musculaires. Est-ce que je peux rester loger quelque part dans le village ?

Il s’adressait principalement à la femme. D’une part parce qu’il avait peur de Bertram, et d’autre part parce qu’il devrait rester en contact presque permanent avec son malade, il aura beaucoup de choses à surveiller chez un patient comme celui-ci. Il jeta un coup d’œil à la bassine d'alcool par terre, elle l'attirait, elle l'appelait. Mais il devait résister, au moins encore un peu.

-Oh, et s'il se réveille, tout d'abord, empêchez le de bouger, et appelez moi directement !
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Mieux vaut prévenir que guérir EmptyVen 3 Avr 2015 - 17:40
- Parmi les Dieux, je prie la reine des Etoiles pour qu’elle apporte la lumière, qu’elle ravive l’espoir en nos cœurs, et qu’elle secoure mon mari. Je prie Namos pour qu’il n’appelle pas tout de suite mon époux, et qu’il laisse son esprit en paix jusqu’à ce que son terme vienne. Faites qu’il continue de vivre, faites qu’il ne nous quitte pas et qu’il demeure auprès de moi…

La femme ne termina pas sa prière,  elle s’étrangla sur ces derniers mots et fut submergée par des vagues de sanglots, une marée de tristesse qui laissait ses traces sur son visage, de profondes rides de fatigue creusées le long de ses joues. Elle tenait toujours la tête de son mari quand le médecin finit de suturer les chairs. Elle avait prié pendant tout ce temps, tantôt en silence, tantôt à demi-mot, à peine consciente de ce qu’elle disait, s’évertuant simplement à appeler les dieux pour lui venir en aide. Elle tressauta quand Drulion exigea de l’eau. Sa voix fut comme un coup de poignard entre les côtes, elle tressaillit et se redressa brusquement comme si cette eau serait salvatrice. Elle laissa son mari, le médecin et Bertram et partit chercher de l’eau au puits. Dehors ses voisins la regardèrent avec pitié et mansuétude, comme si son mari était déjà mort et enterré. Elle pleurait toujours à chaudes larmes, comme une plaie que l’on ne peut panser, et quand elle revint dans la masure ils virent que ses yeux étaient rougis par la peine, mais plus encore que son âme était entâchée par la peur et une détresse sans nom. Elle se contenta de hocher la tête quand Drulion leur fit ses recommandations, en espérant que par le fait seul d’y obéir, son mari survivrait.

Bertram avait quant à lui continué à faire les cents pas, les bras croisés sur la poitrine, ne sachant quoi faire d’autre. Il était reconnu comme une figure important au village et il se sentait responsable de l’état d’Ambolt. Il n’était pas particulièrement proche du paysan, mais comme tous ceux du village, ils avaient grandi ensemble et fais les mêmes bêtises, pris les mêmes corrections et cet état de fait suffisait à les rapprocher.  Tandis que Drulion opérait, il s’était saisi plusieurs fois de la bouteille d’alcool, bien malgré lui, et avait tenté d’atténuer sa crainte dans la liqueur de poire. Tout au plus y avait-il gagné un léger mal de crâne, mais la peur continuait de l’étreindre et tout en observant le guérisseur, il oubliait quelques fois de respirer. Il fut tiré de ses pensées par Drulion qui exigeait plus qu’il ne demandait. Son ton et sa requête ne lui plurent pas beaucoup. L’homme souhaitait-il réellement soigner le malade jusqu’au bout ou voulait-il bénéficier du gîte et du couvert sans rien devoir en retour ? Bertram aurait préféré lui donner une poule et quelques nourritures, et le remercier grandement sans avoir jamais plus à le revoir. La femme du blessé prit les devants et coupa court à toute discussion.

- Il y a une petite pièce à côté, où vous pouvez loger. Notre fils ira dormir chez la famille d’à côté le temps que son père guérisse pour vous laisser la place. Je subviendrai à vos besoins et le village saura vous récompenser pour votre … travail.

Elle ne savait pas encore réellement s’il fallait le remercier ou non. Son mari gisait inconscient dans les limbes et elle n’avait aucune certitude sur le fait qu’il reviendrait à lui, moins encore s’il guérirait. Elle regarda la cicatrice fermée par de petits fils de suture alors qu’une plaie béante lui offrait un sourire macabre une heure auparavant. A défaut de sauver son mari dans l’immédiat, le guérisseur avait du moins réussi à museler la mort pour quelques temps.

La femme montra à Drulion où il pouvait poser ses affaires et se reposer s’il le souhaitait. La pièce était étroite et sombre, même quand le soleil battait son plein. Une paillasse faite de couvertures empilées les unes sur les autres au-dessus d’un sommier branlant servait de lit, un tissu garni de laine et de foin, puant le suint et la poussière, faisait office d’oreiller. La femme avait l’air peinée et terriblement gênée par l’état de délabrement du maigre mobilier.

- Je suis désolée, ce n’est pas très confortable. Mais on n’est pas les plus riches dans le village et le Rude Hiver nous a obligés à ne garder que l’essentiel.

Les grands froids et la neige qui avaient envahi le pays quelques mois auparavant laissaient encore des traces, des crevasses emplies de pauvreté, de misère et de déchéance humaine. Bertram reprit ses esprits et son rôle de meneur en proposant à Drulion de venir manger chez lui afin de soulager cette famille. Il se contenterait de dormir là et de surveiller le malade, mais il n’aurait pas à débourser une seule pièce pour subvenir à ses besoins. Tandis que les deux hommes sortaient de la chaumine pour se restaurer, Bertram prit néanmoins le temps d’exprimer le fond de sa pensée.

- Un conseil médecin, si tu fais tout ça simplement pour avoir de quoi bouffer à l’œil, tu t’es trompé de village ! On est pas riche mais ça nous rend pas plus bête pour autant. Je te nourris, tu le soignes, on te paie et tu disparais d’ici.  S’il guérit, au mieux, je te recommanderai mais ne crois pas que je ne sais pas ce que tu es. L’alcool qui imbibe tes vêtements ne vient pas uniquement de celui que tu utilises pour soigner les malades !

Plus loin, Nast les regardait, dissimulé derrière une charrette à foin. Il savait bien que le guérisseur aurait une récompense, et il ne souhaitait pas être laissé pour compte, alors qu’il estimait avoir droit à sa part. Il en voulait à Bertram et celui-là lui paierait sa hardiesse et sa mauvaise humeur.

**************************************************

Il s’écoula un peu plus d’une journée et d’une nuit avant qu’Ambolt ne revienne à lui. Il avait déliré dans son sommeil, revivant, sans doute, la scène de son accident, car il cria plusieurs fois en faisant de grand geste pour se protéger d’une forme invisible. Sa femme avait veillé tard dans la nuit avant de s’effondrer de fatigue et Bertram avait pris le relais dans la matinée. Ambolt se réveilla en milieu de journée, pris de fièvre et de tremblement, l’esprit embrumé par de troubles songes et des visions étranges. Bertram s’était empressé de venir chercher le guérisseur qui finissait, s’il fallait en croire ses yeux, quelque chose comme son deuxième petit-déjeuner. A moins que le premier ne fut jamais réellement terminé.

- Drulion, il est réveillé ! Mais il voit des ombres et il tremble comme une feuille.
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Mieux vaut prévenir que guérir EmptyLun 6 Avr 2015 - 13:19
Drulion était allongé sur sa paillasse dans la petite pièce que la femme du blessé lui avait prêtée. Les yeux ouverts, il observait le plafond, repensant à tout ce qui s’était passé le jour précédent. L’attachement évident de cette femme pour son mari le touchait beaucoup, cela lui rappelait certains souvenirs. La blessure aussi. Il avait pour l’instant réussi à ne pas trop y penser. Mais maintenant qu’il était seul, que le malade se reposait, sa femme à ses côtés. Nast avait disparu et Bertram était lui aussi allé se coucher. Il ne restait plus que ses souvenirs et ses pensées pour lui tenir compagnie. Et comme à chaque fois que cela lui arrivait, il se pencha sur le côté et s’empara d’une cruche contenant un reste d’alcool. Il vida la cruche d’un seul coup, s’essuya sa barbe d’un revers de manche et se remit sur son dos. Évidemment, cela n’agissait pas trop rapidement, surtout après toute la nourriture qu’il venait de manger. D’un autre côté, il ne savait pas quand une telle occasion se représenterait à lui. Il continua donc à errer à travers ses souvenirs, à revoir des visages, à ressentir la souffrance, le manque, le vide. Mais petit à petit, l’alcool embruma son cerveau et ses paupières devinrent lourdes.

Le lendemain, il se leva, il avait encore un peu mal de tête. Décidemment, ce n’était pas n’importe quel alcool qu’ils servaient ici. Il se rinça rapidement le visage, prit son temps pour ses ablutions. On ne l’avait pas réveillé pendant la nuit, ce qui était bon signe. Il décida donc de déjeuner avant d’aller voir son patient. Il s’installa donc confortablement à une table, prit son pain, son miel mais aucune bière. Il ne pouvait se permettre aucune erreur. Pendant qu’il mangeait autant qu’il pouvait, essayant toujours de tirer un maximum de profit du temps présent. En même temps, il relisait encore un de ses nombreux livres. Celui-ci parlait des plantes, le sujet qu’il maitrisait le moins.
Soudain, interrompant son repas, Bertram fit irruption dans la pièce, affolé. Il informa le guérisseur que l’état d’Ambolt requérait sa présence. Hallucinations et frissons. C’était ce que Drulion redoutait, mais il y avait un grand risque que cela se produise. Il se leva, rangea son livre dans son sac. Il prit ses affaires et suivit Bertram jusqu’au blessé.

Ambolt était allongé sur son lit, sous une couverture, sa femme était agenouillée à ses côtés, sanglotant. Se concentrant sur sa tâche, essayant de ne pas penser à ce qu’il avait vécu, à ce que cela lui rappelait. Il le sauverait, peu importe ce que cela lui coûterait. Il demanda à Bertram de sortir et de laisser la porte ouverte.

-Et appeler le jeune homme que vous aviez envoyé appeler l’ancien. Il pourrait m’être utile.

Il se tourna ensuite vers la femme.

-Reculez.

Il avança, posa le dos de sa main sur le front du malade. Il était chaud et suait légèrement. Périodiquement il frissonnait. Il ne parlait toutefois pas, ses yeux faisaient des allers-retours  de droite à gauche, effrayés. Drulion prit la couverture en main et la rejeta aux pieds du malade.

-Vous avez bien fait de le garder au chaud, toutefois, si sa fièvre monte encore, nous risquons de le perdre. Allez me chercher de l’eau froide et plongez des tissus dedans.

Drulion savait par expérience que dans certains cas, il valait mieux laisser la température monter, le malade guérissait plus rapidement. Toutefois, il préférait ne prendre aucun risque, quitte à ce que le patient mette quelques jours de plus à aller mieux. Il examina la blessure. Les fils étaient toujours là, les berges de la plaie étaient rouge, en contraste avec la peau très pâle du patient. Ses extrémités étaient froides. La maladie était là et installée. Il s’agenouilla à côté de l’homme, à la place qu’occuppait sa femme précédemment. Il prit la tête du malade dans ses mains et la tourna dans sa direction.

-Ecoutez-moi bien. Je vais vous aider, mais désormais, il va falloir que je puisse compter sur vous pour essayer de faire tout ce qu’il vous est possible de faire pour survivre. Je sais que vous allez ressentir le froid, je sais que vous avez mal à la tête.  Mais je sais aussi que vous avez une femme que vous aimez. Alors maintenant survivez, pour elle. Et pour votre fils. Faites abstraction de la douleur, des choses anormales que vous voyez et du froid que vous ressentez. Imaginez le soleil sur votre peau, regardez votre femme lorsqu’elle sera à vos côtés. J’ai autant besoin de votre aide que vous de la mienne. C’est un travail d’équipe désormais.

Sa femme revint avec de l’eau froide et quelques morceaux de tissus. Le guérisseur de releva et prit un tissu, le trempa dans l’eau et le posa sur le front du malade. Il montra à la femme quand les changer, lorsqu’ils avaient la même température que la peau du mari.
Il s’adressa alors au couple.

-Il arrive que parfois, lors d’une coupure ou d’une blessure plus conséquente, la maladie envahisse le malade. Souvent via son sang. Cela faisait longtemps que votre mari était ouvert à l’air libre, de plus sa blessure favorisait l’apparition de la maladie. J’ai fait tout ce que j’ai pu lors de la chirurgie pour éviter de l’inoculer lors de mes actes. Mais je pense que cette maladie est due à la façon dont vous vous êtes blessé. Je pense savoir comment la réduire mais pour l’instant, essayez de maintenir sa température au même niveau que la vôtre, pas plus chaud et pas plus froid.

Le médecin recula un peu et s’assit dans un coin de la pièce, plongea sa main dans son sac et ressorti un de ses plus gros livres. Il commença à feuilleter le livre et lorsqu’il tomba sur la page qu’il cherchait, il commença à lire. Mais que faisait le jeunot, dont il avait oublié le prénom, cela faisait maintenant bien une demi-heure qu’il avait demandé à Bertram de l’appeler.
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Nathanael
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Mieux vaut prévenir que guérir EmptyMer 8 Avr 2015 - 8:58
Nast était introuvable. Bertram avait accepté de le chercher uniquement parce que le médecin le lui avait demandé, et parce qu’une irrésistible envie de le corriger le poussait à l’effort. Le jeune homme avait été trop audacieux en lui répondant en place publique et il ne pouvait permettre à personne de croire que son autorité était discutable. Il s’était rendu en premier lieu chez les parents de Nast ; son père participait à la corvée de bois mais sa mère était là. Non, elle n’avait pas vu son fils depuis la veille. Peut-être était-il allé vadrouiller aux alentours du village, quand il était en colère cela lui arrivait quelques fois.

Bertram prit son mal en patience et revint vers la maison d’Ambolt où Nast se trouvait sur le pas de la porte, un léger sourire goguenard aux lèvres. Il reprit son sérieux et entra dans la chaumine tandis que Bertram fulminait intérieurement, se retenant pour ne pas lui aboyer quelques insultes de son cru au visage. Le jeune homme retrouva le guérisseur assis dans un coin de la pièce un livre sur les genoux. Un livre … le garçon n’en avait jamais vu et celui-ci devait contenir tout le savoir du monde au vu de son épaisseur. Il resta interdit devant la reliure et les multiples pages qui se suivaient les unes les autres donnant le sentiment que les effleurer suffirait à acquérir leur savoir. Nast ne savait pas lire, ce n’était pas une priorité ici pas plus qu’ailleurs dans le royaume du Gondor. Il eut un petit sursaut quand Drulion tourna la tête vers lui et il reprit ses esprits.

- Vous me cherchiez il paraît.

Il avait l’insolence de son âge mais également toute la maladresse d’un jeune garçon et sa façon de parler était en décalage avec ses trais juvéniles. Sa voix éraillée était encore teintée de notes plus aiguës et aléatoires, signes manifestes d’un retard de croissance, et, sans doute, source de piquantes moqueries. Nast sentit Bertram arrivé dans son dos, mais il fit un effort démesuré pour ne pas se retourner et l’ignorer superbement. L’adulte en avait décidé autrement et il lui posa la main sur l’épaule pour l’obliger à le regarder.

- C’est bien ce qui me semblait !
- Quoi ?


Nast parut blessé au plus profond de son être, comme si un secret profondément enfoui pouvait être mis à jour sous le simple regard du géant.

- Tu bats la campagne quand on a besoin de toi ! Ce n’est pas la première fois. Regarde dans quel état tu t’es mis !

Nast présentait de nombreuses égratignures sur les avant-bras et il avait une légère boursouflure sur une joue. Rien d’extraordinaire. Un fétu de paille et deux ou trois feuilles s’étaient perdus dans ses cheveux lui donnant l’air d’avoir couru le bois toute la nuit .Le jeune homme eut l’air soulagé et ne prêta plus attention à Bertram, se concentrant assidument sur les faits et gestes du guérisseur.

- Il a quoi Ambolt ?

Derrière son visage presque adulte il posait toujours des questions d’enfant. Il voyait le blessé pour la première fois depuis deux jours et n’avait pas suivi toute l’affaire ; des blessés il y en avait régulièrement en campagne, la vie rude imposait des hommes solides, et la nature faisait son tri tous les ans. La blessure était apparente, la femme d’Ambolt était en train de la nettoyer tout en changeant régulièrement les serviettes d’eau fraîche sur le front de son mari. Nast parut fasciné par la découverte et s’approcha pour regarder de plus près ce que pouvait être une suture et comment deux morceaux de chair séparés peu avant pouvaient avoir été ressoudés par l’homme. Il lui semblait qu’il fallait être un peu sorcier pour parvenir à de tels résultats et il eut un regard étrange en direction de Drulion. Bertram lui mit la main sur l’épaule et le repoussa légèrement en arrière, il n’aimait guère que le garçon éprouve une curiosité morbide devant la femme du blessé, c’était indécent.

- Ecoute plutôt ce que Drulion a à te dire !
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Mieux vaut prévenir que guérir EmptyVen 10 Avr 2015 - 18:44
Décidément, ce jeunot était bien singulier. Drulion l'observa en haussant légèrement un sourcil lorsqu'il s'approcha du malade, ignorant royalement le géant derrière lui. Peut-être n'était-il pas éduqué, mais peut-être aurait-il un bon fond. De toute façon, ce que cherchait Drulion était quelqu'un connaissant les environs et sachant se déplacer prestement. Le guérisseur ne s'attarda pas à répondre à la question du jeune homme. D'un geste de la main, il l'invita à venir à côté de lui. Cela faisait maintenant plusieurs jours que le guérisseur faisait un effort pour se comporter d'une telle manière qu'il ne serait pas trop rapidement chassé d'ici. Toutefois, il ne resterait pas ici plus longtemps qu'il ne faudrait, aussi ne tisserait-il aucun lien avec les habitants ici. Il leur rendait service et c'était déjà beaucoup. Nast s'agenouilla à côté du médecin et regarda le livre avec curiosité. Sur la page de gauche, on pouvait y voir le dessin d’une plante. Il s’agissait du dessin d’une fleur. La tige blanche commençait par une base verte et se terminait par la fleur elle-même. C’était une fleur aux pétales triangulaires, bleus et jaunes.

- Cette plante ne doit pas être plus grande que la moitié de ta main, est-ce que tu en déjà vu ? Elle ne pousse qu’en lisière des champs et des forêts. Ambolt ne va pas bien, pour soulager ses maux, j’ai besoin de cette plante pour en faire de la poudre. Ma réserve arrive bientôt à sa fin.
Il me faudrait aussi une espèce de plante assez particulière. La base de sa tige est entourée d’une couronne de feuilles et la tige se termine par de petites fleurs aux pétales blancs. J’en aurai aussi besoin.
Va, sois rapide, sa santé est en jeu.


Drulion referma son livre avec grand bruit et se leva difficilement de son siège. Il se pencha pour ranger son livre dans son sac. Ses lombes étaient douloureuses et il posa sa main dessus, comme si cela allait le soulager... Il s’empara alors de sa petite boite remplie de poudre et en dilua la moitié dans un petit pichet d’eau froide. Il s’avança vers le lit du malade. Sa femme était toujours agenouillée à côté de lui. On pouvait lire son inquiétude sur la forme de ses rides du front, mais aussi grâce à ses muscles masticateurs saillant au niveau de l’angle inférieur de sa mâchoire, déformant légèrement la féminité de son visage. Elle était encore assez jolie. Le guérisseur s’approcha d’Ambolt, il palpa son front délicatement et lui versa petit à petit le contenu du pichet dans sa bouche. Ambolt bu difficilement mais il continua jusqu’à la dernière gorgée. Le guérisseur se pencha plus en avant et lui murmura à l’oreille :

- N’oublie pas ce que je t’ai dit avant. Je compte sur toi.

Le gros médecin se releva, s’essuya le front avec sa manche et retourna s’asseoir sur sa chaise. Il était temps pour lui de se reposer un petit peu. À peine assis, il ferma les yeux et commença à ronfler.
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Nathanael
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Mieux vaut prévenir que guérir EmptyDim 12 Avr 2015 - 20:03

Complications nocturnes. Il eut du mal à se concentrer et dut se frotter les yeux pour voir clairement les contours des pétales sur la page du livre. Ses yeux s’embrumaient et les contours des objets disparaissaient derrière un voile flou. Il lutta contre la fatigue et regarda de plus près les deux fleurs que lui montrait Drulion. Il hocha la tête, il connaissait ces deux espèces. Il se releva avec la précipitation des jeunes de son âge et fut dehors avant même de jeter un rapide :

- Je sais où en trouver

Nast quitta le village par une sente étroite entre un bosquet d’arbres et un champ de blé. Les jeunes pousses se balançaient au rythme du vent chaud et ondulaient comme de lentes vagues vertes au milieu d’un océan champêtre. Au loin un bœuf oscillait entre la terre et l’horizon pour tirer une lourde charrue, le bouvier faisant autant d’effort que la bête pour parvenir à son but. La Cité Blanche s’étirait au pied du Mont Mindolluin à une journée de marche… promesse d’une vie meilleure.  Il fit quelques centaines de mètres avant de s’arrêter une première fois. Au milieu des pissenlits et des coucous qui avaient résisté aux premières chaleurs se trouvait la seconde plante que Drulion lui avait montrée. Une corolle de feuilles vert tendre entourait une tige assez fine qu’un bouquet de fleurs odorantes venait couvrir. Il arracha une dizaine de fleur et les fourra sans trop de précaution dans une de ses poches. La vivacité de ses jambes avait eu le dessus sur celle de son esprit, et il avait complètement oublié de se saisir d’une sacoche. Les poches pleines de feuilles et de pétales il repartir aussi vite qu’il était arrivé et continua son chemin pour parvenir jusqu’à un petits bois. Des coups de haches réguliers mordaient le bois tendre de hauts châtaigniers. Les hommes étaient venus abattre des arbres pour en faire des piquets pour les prochaines clôtures. Nast aurait du faire parti du groupe qui devait débiter les troncs, il était bien heureux d’avoir échappé à cette corvée.

Il mit plus de temps à trouver la seconde fleur. Non pas qu’il n’en aperçût pas sur son chemin mais elles avaient été piétinées et d’autres étaient couvertes par la poussière soulevée lors du labour. A chaque fois qu’il se penchait pour en ramasser une il lui trouvait un défaut et il se mit rapidement à parcourir plus de terrain que prévu avant d’en trouver quelques unes qui lui convenaient. Il garda les fleurs en main, n’ayant plus assez de place dans ses poches, et rebroussa chemin pour revenir au village. Il rejoignit la place publique en trottinant et fut sur le pas de la porte plus vite que prévu …  du moins, plus vite que ne devait le prévoir le guérisseur. Le médecin bedonnant ronflait allègrement sur sa chaise dans une position proprement inconfortable pour un homme normalement constitué. Nast fut un moment gêné, ne sachant pas s’il fallait réveiller le guérisseur ou le laisser dormir.

Bertram se posa moins de questions que le jeune garçon. Dès qu’il vit Nast revenir au village, il sortit de chez lui et s’empressa pour se rendre chez Ambolt où la vue du guérisseur assoupi réveilla en lui l’ire d’un ours mal léché. Il saisit Drulion par le col sans délicatesse aucune et le remit sur ses pieds en le tenant à bout de bras.

- C’est l’heure de continuer les soins, médecin !

Le dernier mot était prononcé avec une ironie féroce et mordante, sans retenue. Bertram attendit que le médecin reprenne son équilibre avant de le lâcher et il arracha à moitié des mains de Nast les fleurs qu’il tenait avec une apparente délicatesse. Elles étaient en réalité légèrement écrasées, Nast ayant sans doute trop affermie sa prise sur les tiges fragiles.

- Le gamin t’a ramené ce que tu as demandé ! Fais ta tambouille et soigne Ambolt, on te paie pour ça ! Pas pour piquer du nez !

Les fleurs n’étaient pas toutes utilisables. Nast vida ses poches avec maladresse bien qu’il fit des efforts désespérés pour récupérer le moindre morceau de feuilles ou de pétales dans les recoins de tissu. Il regarda Drulion d’un air quelque peu peiné, voyant bien qu’il ne s’agissait pas réellement du résultat escompté mais il n’était pas réputé pour être le garçon le plus délicat et le plus ingénieux du village.  Le garçon balbutia quelques excuses et recula ensuite jusqu’à la porte pour laisser le médecin se remettre au travail.

- Je suis désolé, si c’est trop écrasé ou quoi… mais j’avais pas pris ma besace avec moi … enfin …

Bertram lui lança un regard noir chargé de colère et les lueurs furieuses qui agitaient ses iris finirent par faire taire le garçon.  Le géant se tourna vers le médecin et les tics nerveux qui agitaient ses traits n’annonçaient rien de bon. Il avait repris contenance et reprenait son rôle de meneur du village.

- Avec tes fleurs et tes plantes, tu arriveras à sauver Ambolt ? Dans combien de temps sera-t-il remis sur pieds ?
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Mieux vaut prévenir que guérir EmptyDim 19 Avr 2015 - 21:53
Drulion observait les restes de fleurs et de plantes que le jeune homme lui avait apporté. Évidemment qu’elles n’étaient pas en bon état, mais s’il avait voulu qu’elles soient parfaites, il aurait sans doute demandé à une femme de s’acquitter de cette tâche, pourquoi pas la femme d’Ambolt. Le guérisseur leva les yeux vers celle-ci, toujours auprès de son mari, toujours inquiète. Elle n’était pas la seule. Nast était visiblement inquiet du résultat de sa quête et le grand gaillard qui se nommait Bertram l’était lui aussi. Même si ce dernier essayait de le cacher derrière sa colère et son tempérament. Drulion décida de nouveau de ne pas relever les piques que lui envoyait le géant, surtout sur le salaire. Oui, il était nourri et logé, mais il s’agissait du minimum que dictaient les règles de l’hospitalité envers un étranger, cela ne valait même pas le tiers de ce que ses connaissances devraient réellement lui rapporter. Le gros médecin se leva de son siège.

- Mon vrai et seul salaire sera de revoir cet homme marcher. Quant aux fleurs, il est vrai qu’elles ne sont pas toutes utilisables, en tout cas pour les premières. Ne t’inquiète pas petit, ça ira.

Le guérisseur fouilla dans sa besace et en ressorti sa gourde, qu’il avait pris soin de remplir d’alcool précédemment. Il la tendit en direction du jeune homme.

- Nast, c’est ça ? Tu as dû avoir chaud là-bas, bois donc un peu !

Drulion sortit alors un mortier et un pilon, il y déposa d’abord les premières fleurs bleues et jaunes et commença à les moudre délicatement. Il ne fallait pas y aller trop fort, ni trop lentement. Au bout de quelques minutes, ses avant-bras commençaient à être endoloris et il s’arrêta. La poudre était devenue d’une jolie couleur bleue. Il n’y en avait pas une grande quantité, mais il espérait que cela serait suffisant. Il vida la poudre dans une petite boite en bois, qu’il avait vidé avant que Nast ne parte. Il n’en n’avait pas besoin directement. Il prit ensuite le reste des autres plantes et les broya un peu plus fortement. Il avait changé de main parce que ses muscles étaient encore un peu douloureux. Une fois le broyage fini, il porta le bol à hauteur de ses narines et renifla le contenu de celui-ci. Cette petite poudre blanche dégageait une fine odeur qui ravissait le guérisseur.
Il regarda rapidement autour de lui et découvrit le dernier récipient d’alcool qui avait été utilisé pour les soins de plaies du malade. Il en prit un certain nombre et rempli une de ses gourde avec, ensuite il versa la poudre dedans et agita sa gourde vigoureusement. Une fois son rituel fini, il la redéposa dans sa besace. Il dégusterait cet alcool plus tard. Le guérisseur s’approcha du malade.
Il allait légèrement mieux, il ne tremblait plus mais suait encore. Sa peau était toujours pâle, mais ses lèvres avaient petit à petit repris des couleurs. Ce malade possédait le meilleur médicament qu’il puisse désirer. C’était assez rare. Le sourire qui s’afficha sur le visage du guérisseur disparut rapidement. Il se retourna rapidement et se dirigea vers la sortie de la maison.

- Je vais me désaltérer et sortir un peu. Appelez-moi si quelque chose change. J’ai vraiment besoin de boire un coup. Bouge toi, Bertram, c’est ça ?

Il ne manqua pas de bousculer le géant avec sa bedaine et sortit à pas rapide en dehors de la maison. Il devait boire.
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Nathanael
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Mieux vaut prévenir que guérir EmptyLun 27 Avr 2015 - 10:53

Un léger parfum fruité émanait de la gourde que Nast tenait entre ses mains. Il attendit que Drulion sorte avant d’inspecter avec plus de minutie le contenu qu’on lui offrait. Le jeune homme porta les narines au-dessus du goulot et huma les effluves d’alcool qui s’en dégageaient. Il avait soif, mais il savait par expérience que la gnole ne désaltérait pas une gorge sèche. Il lança un regard en biais à Bertram qui surveillait Drulion sur le pas de la porte. Les deux hommes n’étaient pas fait pour s’entendre. Pas même le miracle de la guérison d’Ambolt ne changerait quoi que ce soit à cet état de fait.

Dehors Drulion put se désaltérer à son aise. Mais le calme fut de courte durée. Un bruit précipité de sabots battant la foulée au grand galop fit trembler le sol. Une voix éraillée et fatiguée beuglait d’incessants  « Allez, allez, Yhaaa …. Allez, allez ! ». Le refrain revenait sans cesse comme un écho infini jusqu’à ce qu’un imposant cheval de trait essoufflé ne déboule sur la petite place du village tirant une carriole branlante et prête à se disloquer. Bertram se redressa et s’avança auprès de Drulion ; il connaissait ce cheval et il connaissait également le meneur, un paysan d’un hameau voisin ou une dizaine de pauvres hères luttaient contre la misère et la sécheresse pour faire vivre leur famille. Le cocher d’infortune sauta rapidement au sol et vint retenir son cheval à la bride tout en cherchant de l’aide. Il croisa le regard de Bertram et s’adressa à lui dans un flot de paroles rapide sans prendre la peine de respirer, si bien que les mots se succédaient comme autant de syllabes sans sens.

- OnaunsoucisBert’ram ! Lapetitestombéemaladetn’seréveillepas …  

Le géant s’approcha de la carriole où une jeune fille fluette et pâle respirait avec peine. Elle semblait plonger dans un profond sommeil. Bertram la prit dans ses bras et l’emmena auprès d’Ambolt où un large banc fut installé en catastrophe pour y déposer l’enfant, son père sur les talons et quelques badauds curieux à leur suite. Certains parlaient déjà de malédiction ou de mauvais sort, car s’il n’était pas rare que les hommes se blessent lors des travaux agricoles, il n’était néanmoins pas normal que deux personnes soient blessées à un intervalle aussi court et dans deux villages voisins. Bertram fit taire les médisants et les repoussa en dehors de la maison pour laisser l’homme s’expliquer. Nast, qui se trouvait toujours dans la pièce, se raidit et avala sans se poser de questions une longue goulée d’alcool. Il se recula pour laisser de la place et essaya de se faire oublier en se tenant dans un coin de la pièce. Le villageois prit la parole en essayant d’être le plus clair possible.

- On a retrouvé la petite comme ça, hier, dans la maison. Comme si elle s’était endormie, sauf qu’elle se réveille plus. On a bien essayé de le secouer un peu, de lui laver le visage à l’eau froide mais ça a rien fait. Elle dort, elle bouge plus, comme si elle avait été ensorcelé ou quelque chose comme ça.

L’homme regardait sa petite fille mais son regard était vide, comme s’il ne la voyait pas. Il ne comprenait pas ce qui se passait, et, incapable de changer les choses. Bertram, quoi qu’étonné par la situation et devant l’étrangeté du phénomène, garda l’esprit clair et posa la question qui lui brûlait les lèvres.

- Pourquoi l’avoir mené ici ? Tu sais bien qu’il n’y a que l’Ancien plus au Nord qui est capable de la soigner ! Ici on ne peut rien faire pour elle.

Certes Drulion était là, mais Bertram n’avait fait mander personne pour signaler aux autres villages qu’un guérisseur se trouvait sur leurs terres. Le villageois, Hanson de son nom, reprit un peu ses esprits et se concentra pour se rappeler pourquoi il était venu si rapidement au village sans plus se poser de questions. Et, tandis qu’il réfléchissait, ses yeux se posèrent sur Nast qui s’acharnait à présent à vider aussi rapidement que possible la gourde de Drulion. Hanson le montra du doigt.

- C’est lui ! Le garçon. Hier il traînait dans les parages. On a parlé un peu pour savoir comment se portaient les labours et il a dit qu’un guérisseur était chez vous. C’était hier soir. Et après c’est là qu’on a trouvé notre fille, alors on est venu vite pour voir votre guérisseur.

Nast sentit l’étonnement puis la colère rouler sur le front de Bertram. Il était de corvée de bois hier toute la journée mais les fagots n’avaient pas été nombreux à s’entasser devant le four à pain et les chaumières. Le soir il aurait du aider les jeunes du village à faire boire les vaches à l’étang et à rentrer les volailles. Il avait donc profité de l’état d’Ambolt et des préoccupations de Bertram pour se soustraire à son devoir et aller batifoler dans la plaine. Nast savait que Bertram ne tenterait rien de compromettant devant tant de monde, il était sévère et les corrections étaient rudes, mais il tenait à son image d’homme juste et il ne lèverait pas la main devant tout le village réuni. Mais les paroles qu’il prononça furent plus claquantes qu’un coup de fouet pour le jeune homme.

- Tes parents seront heureux d’entendre que leur fils courre les champs au lieu de répondre à son devoir. Tu ne m’écoutes pas mais ton père saura te faire entendre raison. J’irai lui parler plus tard dans la journée.

Nast ouvrit de grands yeux affolés et se recula contre le mur, désemparé, comme s’il venait de recevoir la plus terrible des punitions. Bertram était autoritaire et exigeant, mais le père de Nast était cruel et intraitable. Le jeune garçon eut un hoquet, posa la gourde sur un tabouret, et sortit les joues en feu, s’obstinant à river son regard au sol pour ne pas croiser celui des autres. Il disparut par le pas de la porte et prit ses jambes à son cou. Nul ne savait où il allait. Bertram se racla la gorge et se tourna vers Drulion avec l’air grave et son ton était des plus sincères.

- Je suis désolé guérisseur, mais tu ne pourras pas te reposer tout de suite.
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Mieux vaut prévenir que guérir EmptyMar 28 Avr 2015 - 16:56
Ce n’était décidément pas la plus calme des journées. À pein le guérisseur était-il sorti qu’un grondement sourd s’était fait sentir et le sol s’était mis à trembler. Un sourire était apparu brièvement sur la bouche de Drulion alors qu’il se faisait la réflexion que cette fois, ce n’était pas son ventre. Son sourire disparut bien vite et pour plusieurs raisons. Tout d’abord Bertram s’était rapproché de lui, et le gros guérisseur ne chérissait que peu cet homme. Colosse agressif, ne sachant assumer sa part d’humanité, cherchant toujours à démontrer sa force et sa puissance. Mais aux yeux de Drulion, il ne s’agissait ni plus ni moins que d’un homme mal assuré, qui pensait qu’impressionner les autres grâce à sa carrure et son attitude lui permettrait de s’assumer et de s’aimer. Ils étaient nombreux comme lui. Le jeune, Nast avait-il dit s’appeler, par contre était un peu plus intéressant. Le grondement et les cris étaient produits par un cheval et un homme. L’énorme cheval de trait passa rapidement devant les deux hommes avant de s’arrêter. À l’autre bout des rênes se tenait un homme, debout sur une carriole en bois. Drulion ne comprenait pas trop ce qu’il commença à baragouiner. Apparemment Bertram le connaissait et la montagne de muscles se chargea de demander au nouveau venu ce qu’il se passait.

Sa petite fille n’était pas bien, et il avait appris la présence de Drulion par l’intermédiaire de Nast. Évidemment, le géant qui ne s’assumait pas voulu affirmer sa puissance et son autorité en haussant la voix et en s’énervant sur le jeune homme. Toutefois, il ne fit aucun acte violent. Par contre la peur pu se lire sur le visage du jeune Nast lorsque Bertram mentionna ses parents. Cela fit un peu de peine au guérisseur, mais celui-ci n’en laissa rien paraître. Il avait déjà pu boire quelques gorgées d’alcool avant que le chariot n’arrive. Il s’essuya la bouche d’un revers de manche et passa devant Bertram. Evidemment qu’il ne pourrait se reposer de suite. C’était évident. Le guérisseur fit signe au paysan de porter sa petite fille et de le suivre.

Il se déplaça prestement vers la maison d’Ambolt, seule maison qu’il connaissait réellement du village. Il avait besoin d’être à l’écart des autres villageois et aussi d’être à l’ombre. Ce soleil ne rendait surement aucun service à cette petite fille. Il débarrassa rapidement une table d’un coup de coude, envoyant voler la vaisselle par terre. Il demanda au père d’allonger la fillette sur la table. Pendant ce temps-là, il se dirigea vers Ambolt, toujours alité. L’homme devrait encore se reposer, mais il n’avait pas l’air plus mal. Ce qui était bien. Drulion se retourna et s’approcha de la table. La fillette était désormais allongée sur la table. Elle n’avait toujours pas ouvert les yeux. Son père obéissait assez rapidement aux ordres du médecin, il était apparemment assez attaché à sa fille. L’inquiétude pouvait se voir dans ses yeux. Il faisait les cent pas autour de la table et du guérisseur, n’arrêtant jamais de parler. Drulion ne pouvait comprendre tout ce qu’il disait tellement le flux de mots était rapide et continu.
Le guérisseur se rapprocha de la table et de la fillette. Il se pencha au-dessus de celle-ci, s’appuyant de ses deux mains sur la table. La petite fille avait l’air paisible, toutefois elle respirait apparemment beaucoup trop rapidement. Parfois elle s’arrêtait même de respirer. Le guérisseur s’essuya la main droite et la posa sur le front de la petite. Elle était brûlante, mais cela pouvait être aussi dû au trajet qu’elle venait de faire. Sa peau était pâle, il observa rapidement les mains et les pieds de la fille, à la recherche de taches ou de particularités qui pourraient l’aider à trouver l’origine de son mal. Mais il n’observa rien de concluant. Il se tourna vers le père de la fille. La partie qu’il appréciait le moins dans la pratique de son art : parler.

- Votre fille est manifestement inconsciente. Est-ce que quelqu’un d’autre, de là où vous venez, a été malade récemment ? Décrivez-moi un peu votre vie dans votre village, la dernière fois que vous l’avez vue consciente, comment était-elle et que faisait-elle ? Et ne me cachez rien, ça ne sert vraiment rien. Dites-moi, clairement, en prenant votre temps et dans vos mots, tout ce que vous savez et que vous pensez que cela pourrait être utile. Tout ce qui passe par votre tête.

Le médecin sortit la gourde qu’il avait rangée lorsque la carriole était arrivée, et la tendit à l’homme.

- Prenez ça, vous vous sentirez mieux. Ou en tout cas moins. Venez, on va s’asseoir, je sais pas pour vous, mais moi mes jambes fatiguent.

Et il se dirigea vers les chaises qui se trouvaient dans le fond de la pièce.
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Nathanael
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Mieux vaut prévenir que guérir EmptyMer 6 Mai 2015 - 21:36
On entendait les mouches voler. La chaleur accablante pesait sur les esprits comme une chape de plomb, l’air était une armure écrasante et oppressante, chacun rêvait d’une rivière à l’abri du feuillage et de l’eau bouillonnante d’une cascade fraîche. Le soleil brûlait la terre, les hommes rentraient le soir les épaules embrasées et les joues rouges, les yeux fatigués et l’âme en peine. Il faisait trop sec, depuis trop longtemps, et les pluies printanières se faisaient attendre. Les vœux des paysans avaient été entendus par les Valari sans doute, car un orage approchait. L’obscurité se faisait grandissante en cette fin d’après-midi, les nuages couvraient de leur ombre les frontières du Gondor, et loin, à l’Est, des sursauts lumineux suivis de grondements sourds précédaient la tempête. Les paysans s’étaient regroupés par deux ou trois avec chevaux et mules pour donner le dernier coup de collier avant les pluies diluviennes, les plus grands parmi les enfants avaient aidé à mettre les petits animaux à l’abri et les femmes s’étaient empressées de rentrer linges de maison et vêtements pour les garder au sec.

Dans la petite maison d’Ambolt, les choses s’étaient calmées. Le père de la petite fille avait fait un rapport imprécis à Drulion, mais les éléments avaient été suffisants pour l’aider à établir un diagnostic. La petite se réveillerait dans quelques jours, assommée par la consommation considérable d’un suc de fleur réputé pour ses effets narcotiques. A dose homéopathique cette fleur permettait d’apaiser les douleurs des patients, de calmer les grands anxieux et de faire dormir les insomniaques. Cependant elle n’était pas courante dans cette partie du Gondor, préférant les sols frais et riches en minéraux aux pieds des Montagnes Blanches. Drulion avait cherché Nast pour lui demander s’il connaissait un endroit en particulier où il était possible d’en ramasser à proximité du village, mais le garçon était demeuré introuvable tout l’après midi. Quant aux autres membres du village, même les femmes ne savaient pas où en cueillir, ou en si faible quantité que la jeune fille n’aurait pas pu en ingérer assez pour se mettre dans cet état. La question restait sans réponse, et même si le père était rassuré, il continuait à se demander comment sa jeune fille avait pu entrer en possession d’une telle quantité de Valériane. Bertram aurait volontiers accusé Drulion mais il savait pertinemment que le guérisseur était resté au village ces trois derniers jours.  

Quant à Ambolt, sa fièvre avait continué de tombé dans l’après midi si bien qu’il avait même réussi à boire seul en début de soirée. Sa femme continuait de s’affairer autour de son lit d’infortune comme si les démons de la mort continuaient de guetter son mari mais Drulion ne semblait plus alarmé par son état. Bertram avait donc repris ses affaires courantes au village, il avait aidé les hommes aux champs et le guérisseur avait obtenu un temps de paix pour lui seul, pour réfléchir, certes, mais, surtout, pour se reposer.

L’orage éclata alors que le soleil disparaissait derrière le Mont Mindolluin. De longs et vifs éclairs striaient le ciel d’une lumière éblouissante avant de replonger soudainement dans le néant, ne laissant derrière eux qu’un souvenir éphémère et l’étourdissant tremblement du tonnerre. Les enfants se tenaient serrés dans les bras de leur mère, tremblant à chaque nouvelle secousse atmosphérique tandis que les hommes s’étaient regroupés sous les avancées de toit de chaume pour discuter à voix haute de la chance d’avoir un peu de pluie.

- Si ça pleut trop, ça va emmener toutes les graines !
- Mais non Simon, laisse donc pisser dru, la terre a soif ! Et moi aussi tiens, si on allait boire un coup. On pourrait tenir compagnie au médecin. Il se crève la tête à soigner Ambolt et la petite depuis deux jours, on peut bien lui payer sa tournée !


Ses comparses opinèrent du chef comme un seul homme. Trois solides gaillards se présentèrent sur le pas de la porte chez Ambolt tandis que le quatrième larron était allé chercher un petit fût de bière et deux ou trois bouteilles de rouge pour faire passer le temps.

- Bonsoir m’sieur le guérisseur. On est venu vous tenir compagnie. C’est pas un temps à mettre un chien dehors, alors on s’est dit que boire un coup et discutailler un peu ça vous distraillerait l’esprit le temps que ça finisse de pisser. Et puis, c’est aussi not’ manière à nous de vous remercier pour Ambolt. C’est un bon gars, et il méritait pas de se faire crever par son cheval, mais ça arrive …

Le paysan avait l’accent des hommes du petit peuple à l’est de Minas Tirith. Il cachait son manque d’éducation dans l’utilisation de termes qu’il ne maitrisait pas bien et qu’il disait vite pour qu’on ne se rende pas compte qu’il les prononçait mal. Ils s’installèrent dans la pièce principale où somnolait Ambolt. La petite dormait profondément à côté de lui sur un large banc. La femme du malade apporta deux grosses caisses bancales pour qu’ils s’asseyent et prit congés en s’installant seule dans la pièce qui leur servait de chambre. Elle savait que les hommes boiraient jusqu’à plus soif puis rentreraient chez eux plus ou moins ivres. Mais aucun n’avait l’alcool mauvais, et les femmes du village pardonnaient aisément ces rares écarts de conduite à leur mari dans ces temps difficiles. Elle-même, en cachette, goûtait assez régulièrement aux différents macérats de fruits quand la journée avait été rude.  

L’un des hommes perça le fut de bière et servit les autres avec largesse, y compris Drulion. Personne ne lui avait réellement demandé son avis sur l’état de sa soif et de son envie de boire ou non, mais c’était ainsi, dans les villages campagnards, les hommes souffraient et buvaient ensemble.
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Mieux vaut prévenir que guérir EmptyVen 8 Mai 2015 - 11:40
L’état de santé d’Ambolt s’était nettement amélioré. Il était parfaitement conscient, toujours un peu affaibli. Sa cicatrisation avançait bien et il n’avait pas fait de rechute. La plaie était propre. Le guérisseur en était satisfait. Le cas de la petite fille avait posé un peu plus de problèmes. Après l’avoir inspectée, le guérisseur avait commencé à questionner le père. Celui-ci était effrayé par l’état de la fille et avait commencé à béguayer et à raconter tout et n’importe quoi. Il n’était pas très précis mais Drulion était habitué à écouter des gens dans cet état. Encore sous le choc, effrayé, leurs paroles sortaient de leur bouche comme leurs pensées leur venaient en tête, par à-coup et sans fil directionnel.
Bertram avait l’air exaspéré et l’on pouvait sentir son incrédulité face à la patience du guérisseur, qui n’interrompait pas le flot de paroles continu du père de la fillette. Parfois le père s’arrêtait pour reprendre son souffle, et Drulion l’incitait à poursuivre d’un mouvement de tête ou d’un « Oui… » ou d’un grognement « Mmmh… ». Le père continuait alors son histoire.

-Ma petite fille, ben je sais pas trop ce qu’elle faisait, elle allait bien et puis elle v’là qu’elle se réveille plus. Elle a jamais fait ça, ah ça non, je me souviens d’une fois où on a eu peur juste après sa naissance, elle était tombée mais c’est tout. Ah si, une fois elle a attrapé froid, mais comme tout le monde au village quoi.  J’comprends pas. Est-ce que vous pourrez m’aider ? Je suis venu jusqu’ici, aidez-nous !  J’y tiens à ma fille. Elle adore se balader dans les bois, j’sais pas beaucoup plus, elle parle surtout avec sa mère vous savez. Elles peuvent causer longtemps, ça m’étonne même, surtout pour son âge. Alors imaginez : on se réveille et là qu’elle pas. Et ça pendant quelques temps, on s’était dit qu’elle était peut-être fatiguée à force de courir les bois et les champs vous savez ?

-Mmmh

-Eh ben, ça me fait penser qu’elle aime beaucoup les plantes et les fleurs, les chevaux aussi. Je vois qu’vous avez un blessé par son cheval ? C’est possible qu’elle se soit blessée comme lui non ? Enfin, j’imagine que vous y auriez pensé hein. AH ma petite fille, elle qui adore mélanger les fleurs que sa maman lui donne pour donner du goût à nos boissons. Elle vient d’habitude, toute souriante, ça c’est bien elle, et elle nous fait goûter ses découvertes que ma femme lui donne. Ma femme voulait aussi lui apprendre la couture, c’est utile ça vous savez. Il faut qu’elle soit utile, sinon elle ne trouvera jamais de mari plus tard. Mais j’ai pas envie de déjà penser à son départ… »


La discussion dura assez longtemps et lorsque le soigneur y mit fin, il pensa à certains points du récit. Au final, la petite fille était entrée en possession d’une quantité impressionnante d’une fleur assez rare. C’était assez étrange. La fillette se réveillerait et irait mieux sans problème. Le père fut rassuré et le calme revint sur le village. Tout comme la pluie. Drulion logeait toujours chez Ambolt, il n’y avait plus de nouveaux blessés et tout allait bien. Il pouvait manger à l’œil, Bertram n’était plus là pour tout surveiller, et la femme d’Ambolt était vraiment généreuse envers le guérisseur.
Il était bien content que ce couple ne soit pas séparé par la mort. Cela aurait été insupportable. Toutefois, maintenant que le calme était revenu, le guérisseur se retrouvait seul avec lui-même. Et comme à chaque fois que cela arrivait, il utilisait son stratagème favori. La boisson. Il avait passé toute l’après-midi à boire cette journée-là. Il avait un peu relu un livre et s’était demandé comment est-ce que la petite fille avait eu autant de plantes. Est-ce que quelqu’un les lui avait donnés ? Il penserait peut-être à lui demander. Mais le père de la fillette n’avait pas l’air de s’inquiéter du pourquoi et du comment.
Il était assis sur un tabouret, adossé au mur. Un véritable déluge s’abattait dehors et il finissait une cruche de vin, un peu dépassé, qu’il avait épicé à sa manière. Il était en train d’hésiter entre les différentes liqueurs locales à goûter lorsque plusieurs hommes entrèrent dans la maison d’Ambolt. Ils étaient apparemment équipés. Un fut de bière et des bouteilles. Ils avaient apparemment choisi ce que Drulion boirait ensuite.
Le guérisseur ne se leva même pas, il n’était pas sûr de pouvoir se lever dans son état. Il accueillit la chope de bière avec un grand sourire.

-Mais il ne faut pas! Ça me fait plaisir de vous aider, surtout lorsque vous êtes si accueillant ! Allez, santé ! À la vôtre et à celle d’Ambolt ! Ce soir, on boit jusqu’à pisser plus dru que la pluie dehors !

La soirée avança, le volume de bière dans le fût diminua, les bouteilles se vidèrent et leurs vessies se remplirent. Drulion parlait souvent, racontant des histoires que ni lui, ni les autres ne savaient si elles étaient réelles. Soit on les lui avait racontées, soit il les inventait sur le moment. Parfois il en glissait certaines vraies, en mémoire d’untel ou d’un autre illustre inconnu. Cela permettait de remplir les verres et de boire en la santé de cette personne !
Les paysans lui racontèrent des blagues, et la nuit avança, ils se mirent à chanter, les quatre hommes se levèrent pour se mettre à danser en chantant et Drulion applaudit la performance. Il arriva à leur faire jurer que le lendemain, ils dégusteraient ensemble quelques liqueurs de fruits qu’il ne connaissait pas. Malgré toute son expérience dans le domaine.
Au final, toutes les boissons étant bues, les hommes contents mais fatigués, ils décidèrent de rejoindre leurs compagnes respectives. Drulion urinait dehors, ne sentant plus la pluie, lorsqu’ils rentrèrent chez eux. Après quelques hoquets, il rentra dans la maison d’Ambolt et s’effondra par terre. Il n’avait même pas pu relever son froc. Un ronflement grave émanait de sa bouche et de ses grosses narines…
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Nathanael
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Mieux vaut prévenir que guérir EmptyVen 15 Mai 2015 - 19:09

Vacarme nocturne. Dehors la tempête rugissait et emportait tout sur son passage. Les arbres ployaient comme des roseaux sous la force du vent, les murs craquaient et les toits résistaient avec peine à la violence des bourrasques. L’eau était une armée furieuse bondissant sur le sol à grand pas, emportant la poussière et la fatigue des hommes, dévalant du faîte des maisons dans un grondement fracassant, menant avec acharnement son acte expiatoire et purificateur. Hommes et bêtes se serraient les uns et les autres sous les appentis fragiles et instables, priant les dieux que leur habitation soutienne les assauts répétés de l’orage et que la grande guerre menée par les nuages, les éclairs et la tourmente ne les mène pas à leur perte. A l’abri des intempéries, entre les murs d’Ambolt, Drulion dormait à point fermé quand une main vint le secouer brutalement en l’extirpant du sommeil. L’obscurité l’empêchait de voir les traits du visiteur, mais celui-ci était pressé et le secouait de plus belle.

- Debout ! Vite, debout !

La voix était celle de Nast, un chuchotement pressant. La détresse et la peur faisaient vibrer les sons dans sa gorge, le jeune garçon était inquiet. Il bousculait Drulion avec force et énergie, le poussait et le tirait pour le forcer à se lever rapidement, ramassant ses affaires ici et là, les fourrant avec hâte dans le sac en cuir du guérisseur sans lui demander son avis.

- Debout ! Il faut partir, et vite !

Tant bien que mal, Nast parvint à mettre Drulion sur pied, le guérisseur ronflait encore debout ou presque, puis il le força à quitter la maison sans plus lui donner d’explications. Nast stoppa leur course à mi-chemin sur la place du village, jeta un œil dans la direction de la hutte de la vieille folle puis prit un sentier qui partait au Sud sans demander son reste. Il revint sur ses pas pour attraper Drulion par la manche et le forcer à le suivre. L’homme empestait l’alcool, même sous la pluie, et il leur faudrait plusieurs heures de marche sous ce déluge pour esquisser un semblant de douche. Les cheveux du jeune garçon dégoulinaient déjà sur son front, recouvrant presque ses yeux de mèches brunes entremêlées. Ses yeux roulaient dans leurs orbites, le moindre frémissement le faisait sursauter, chaque son l’inquiétait un peu plus et il forçait le pas à chaque enjambée comme s’il fuyait la mort en personne. Quand ils furent éloignés de plusieurs centaines de mètres du village, trempés jusqu’aux os et tremblant comme des feuilles, Nast se décida enfin à parler afin de justifier un acte que tout homme de bon sens aurait qualifié d’inconsidéré.

- Bertram ! Il a su que les blessés allaient mieux et que tu t’étais permis de prendre une cuite ! Et moi j’ai pris la rouste de ma vie avec mon père. C’était temps qu’on parte avant de se prendre un coup de pied au cul comme des chiens galeux. Bertram avait pas franchement l’intention de te payer … mais je me suis occupé de ça !

Nast ne précisa pas de quoi il s’était occupé, continuant sa course folle sous les averses torrentielles, ne se souciant ni du vent ni de la pluie, comme s’il faisait lui-même partie de ces éléments furibonds, un éclair de plus dans le paysage. Ils marchèrent plusieurs heures jusqu’au petit matin, les myriades de gouttes continuant de s’abattre sur le monde comme si le déluge engloutissait les champs gondoriens. Au loin l’Anduin ronflait, galvanisé par les masses obscures tombées du ciel, emportant avec lui les souvenirs des montagnes jusqu’aux berges marines. Ils franchirent deux hameaux discrètement sans éveiller les chiens de garde, sans faire siffler les oies ou chanter les coqs matinaux. Nast menait la marche, silencieux, il n’avait pas prononcé un mot depuis leur départ précipité. Ils s’arrêtèrent en milieu de matinée aux portes d’un grand village où s’agitaient marchands ambulants, boulangers, apprentis, taverniers aux caves vides, poissonniers, boucher, soldats et ribambelles de femmes affectées à des tâches diverses. C’était jour de marché. Nast se faufila dans la foule, entraînant Drulion à sa suite jusqu’à une auberge de petite envergure mais dont la carte promettait aux affamés des douceurs attrayantes. Le jeune garçon entra, choisit une table isolée et s’effondra sur le banc après cette longue course sous l’orage. Le soleil étirait quelques fois ses rayons au travers de l’épais drap de nuages, mais les éclaircies étaient rares et le ciel du Nord promettrait encore quelques averses. Le jeune garçon commanda deux bières à une jeune serveuse, la fille de l’aubergiste sans doute. Une fois servi, Nast prit une longue gorgée de sa pinte, fit une moue face à l’amertume à laquelle il ne s’attendait pas et reposa son verre avec dégoût. Ce n’était pas ce à quoi il s’attendait. Il regarda Drulion boire la sienne, incertain que la situation plaise réellement au guérisseur. Nast mit un moment à prendre la parole, et ses premiers mots furent prononcés un peu plus fort que nécessaire, comme pour se donner du courage.

- C’était le moment de partir. Ambolt et la fille s’en sortiront. Mais si on était resté, sans doute que Bertram vous aurez fait la peau et mon père aurait pas tardé à s’occuper de mon cas. Y avait bien des villages un peu plus près, m’enfin, … y avait pas bien du boulot pour vous quoi. Ici avec le marché ça brasse, on sera vite au courant si y a des gens malades hein !?

Le jeune homme posa les yeux sur Drulion mais il semblait regarder au loin, n’osant pas affronter le regard du guérisseur. Il sortit enfin une petite bourse attachée à sa ceinture et dissimulée dans une grande poche de son pantalon. Il la donna au médecin, la bourse fit un tintement en atterrissant sur la table.

- C’est votre part.
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Mieux vaut prévenir que guérir EmptySam 23 Mai 2015 - 9:21
Drulion n’en pouvait plus. Il était littéralement épuisé, toutes ses forces avaient été dépensées dans leur course nocturne sous cette pluie battante. Il ne savait pas trop ce qui l’avait poussé à suivre Nast. Au début, il avait cru que c’était un cauchemar, il savait que l’alcool ne faisait pas passer de bonnes nuits, même s’il favorisait l’endormissement. Cela ressemblait en tout cas vraiment à un cauchemar. Réveillé par une ombre, traverser un village effrayé par la menace d’être violenté par des paysans, ensuite courir dans l’obscurité, avec comme seule source de lumière la lune et les éclairs de l’orage qui illuminaient le chemin boueux, la lumière se reflétant dans les flaques et sur les vêtements trempés des deux comparses. Drulion était dans un état second, mal de tête, gueule de bois, nausées, courbatures, crampes, fatigue et cela avant même d’avoir quitté le village de Nast, c’était sans doute pour ça qu’il n’avait pas émis d’objection à cette course nocturne.

Normalement, il aurait au moins demandé des explications un peu plus étoffées. Que Bertram ne veuille pas le payer, soit, le guérisseur ne faisait pas ça pour l’argent, il serait déjà riche. Mais le père de Nast… Le jeune était en était vraiment effrayé. Terrorisé. Drulion pouvait lire la peur dans les yeux du jeunot et sa voix tremblotait légèrement quand il en parlait. C’était vraiment étrange. Quel genre de père pouvait bien vouloir tant de mal à son fils ?
Drulion but sa pinte d’un seul trait. Il était assoiffé. Réellement asséché, sa gorge le faisait souffrir, en plus de sa tête. Il fit signe à la jeune fille de la taverne, appétissante, et commanda un peu de pain avec un cruchon de lait. Il posa finalement les yeux sur Nast et sur la bourse que celui-ci lui tendait.
Il n’aimait vraiment pas le ton sur lequel celui-ci lui parlait. Pour qui se prenait-il ? Ils n’étaient pas amis, et encore moins partenaires. Pourtant la façon dont Nast parlait d’eux laissait sous-entendre qu’ils étaient bien partis pour travailler ensemble désormais.

- Bon, pour commencer, Morveux. Il insista bien sur ce mot. Tu vas m’expliquer clairement qu’est-ce qui te fait dire que Bertram aurait voulu me violenter ? Je venais de faire copain-copain avec d’autres villageois, il n’aurait jamais osé.

La serveuse apporta la commande du guérisseur et la déposa sur la table. Drulion s’empara de la bourse, l’ouvrit et paya le repas. Il sortit une herbe verte, fine, ressemblant à une algue, la jeta dans le lait et mélangea. Il y versa une goutte de miel, pour le goût, et se versa le lait dans son verre. Verre qu’il commença à boire goulûment.

- Ensuite, il n’y a pas de « nous » qui tienne, je ne sais pas ce que tu t’imagines, ce n’est pas parce que tu me paies qu’on va vivre ensemble. C’est très gentil, mais déjà, je n’ai pas besoin de ton argent, je ne fais pas ça pour ça. Le guérisseur repoussa la bourse du côté de Nast.
Et dis-moi, que te fais ton père pour que tu en sois aussi effrayé ? Il ne m’a vraiment pas l’air commode.

Normalement, le guérisseur n’aurait sans doute pas posé cette dernière question, il aurait coupé court à toute discussion et aurait essayé de partir le plus vite possible. Il commençait déjà à regretter d’avoir interrogé le jeune homme. Mais cela l’intriguait. En fait, qu’il le veuille ou non, Nast lui rappelait un peu quelqu’un. Lui mais quand il était plus jeune, beaucoup plus jeune. Cette époque lui semblait être passée depuis une éternité déjà. Le mélange de plante et de lait commençait à faire effet apparemment, il était capable de penser plus ou moins clairement, et le mal de tête commençait à diminuer.
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Nathanael
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Mieux vaut prévenir que guérir EmptyMar 2 Juin 2015 - 21:23


- Je pensais bien que ça serait pas aussi facile hein …

Nast pensa à haute voix. Son regard se perdit de nouveau dans le vague, au-delà des frontières gondoriennes, cherchant dans quelques rêves ancestraux le souvenir de temps meilleurs. Le jeune homme renifla presque de dédain, regarda sa bière avec détermination et prit son courage à deux mains pour la finir d’une seule goulée. L’avaler vite ne changea en rien le goût de la boisson, mais il ne regretterait pas d’avoir gâché quelques pièces : « payé c’est consommé ! ». Il évitait résolument le regard de Drulion, comme s’il cherchait à cacher quelque chose que ses yeux auraient pu trahir. Il semblait nerveux, agité, alors que leur escapade nocturne avait épuisé le guérisseur. Il tressautait quand la porte de l’auberge s’ouvrait, il se concentrait alors sur sa chope vide, en attendant qu’elle se referme, jetait un œil à l’entrée, puis reprenait son manège comme si de rien n’était. Il gardait un œil sur la bourse ouverte qu’il avait donné à Drulion. Refuser une telle somme d’argent, en cette période de famine naissante après le Rude Hiver, relevait de l’indécence, ou de la moquerie. Peut-être bien que le guérisseur cachait quelque part une somme rondelette, un petit trésor pour un adolescent, suffisamment de quoi rompre avec sa famille et commencer une nouvelle vie. Mais ce n’était pas d’argent que manquait Nast … aucune pièce d’or, aucun joyau ne pouvait acheter ce qui lui manquait.

- Pour l’argent, si vous en voulez pas, je le garde. Je vais pas donner de la confiture au cochon non plus…

Le ton de la conversation prit une drôle de tournure. Le jeune adolescent perdu, hagard, apeuré et tremblant comme une feuille quelques minutes auparavant était en train de se redresser, de prendre de la hauteur et de toiser Drulion comme s’il s’agissait d’un gueux. Leurs regards ne se croisèrent toujours pas, Nast semblait d’ailleurs parler à quelqu’un qui n’était pas présent plutôt qu’à Drulion lui-même. Ses traits angéliques semblaient torturés pas une démence sporadique, à peine visible, mais quelques tics agitaient le coin de ses lèvres et faisaient tressauter ses sourcils.

- Après tout, pourquoi se donner tant de mal hein ! Si c’est pour se faire jeter comme une vieille chaussette. Mon père … Il y eut un long silence, pesant. Mon père … ou Bertram peu importe, c’est du pareil au même. Pas de paiement, pas de remerciement. Jamais ! Alors vous ou un autre, c’est bien pareil, vous auriez été remercié avec les salutations distinguées de la semelle de Bertram au cul.

Nouveau manège, nouveau comportement étrange, un regard fuyant, des tics nerveux et une agitation palpable dans les membres du jeune garçon. L’orage et les éclaires avaient-ils bouleversé à ce point l’esprit du jeune homme ? Il y avait bien quelques histoires à ce sujet, à propos de foudre et de phénomènes étranges. Mais Nast n’avait pas croisé le chemin d’une quelconque étincelle céleste. Soit il délirait complètement, soit quelque chose de pire s’esquissait derrière ce visage enfantin.

- Mais ils sont loin maintenant hein ! On a plus de soucis à se faire pour eux, ils viendront pas baver sur ce qui est arrivé à Ambolt ou à la gosse, ça fait trop de kilomètres à franchir pour une rumeur. Alors un blessé de plus ou de moins quelques villages plus loin, personne ne fera le lien n’est-ce pas ?

Un sourire sardonique étira les lèvres de Nast, une méchanceté sans nom éclaira son visage, une lueur malveillante animait son front.

- La santé, c’est un commerce comme un autre. L’argent que vous prenez pas est pas perdu pour tout le monde. Je me servirai pour deux, y a pas de soucis.

Son discours n’avait pas de sens, ou alors Nast n’avait jamais été ce qu’il semblait être. Le jeune homme soumis et craintif laissait véritablement place à un masque d’une infinie cruauté. Mais le questionnement de Drulion fut interrompu par un vacarme soudain dans l’auberge. Deux hommes venaient de rentrer précipitamment, l’œil affolé.

- Y a du barouf dehors ! Y a deux personnes qui ont mangé on sait pas quoi, ils vomissent leur tripaille et le sang qui va avec !

Le sourire de Nast s’étira encore un peu, et, comme tout le monde, il se leva pour voir ce qui se passait au-dehors. Une femme et un homme se tenaient le ventre dans une allée du marché et vomissaient effectivement un liquide rouge teinté de noir, visqueux. Deux femmes leur étaient venues en aide pour les soutenir car leurs nausées les mettaient à genoux, tordus pas la douleur. Les badauds regardaient avec étonnement et dégoût, épris de cette curiosité malsaine propre à la race des hommes. Les allégations allaient bon train.

- Y en a qui disent que c’est le poisson qui est pas frais, mais la pêche est de cette nuit, d’autres que la viande du boucher est daubée, ou que y aurait des fruits pourris sur les étales. J’ai jamais vu ça… C’est Eru pas possible d’être dans un état pareil. Si y a pas quelqu’un qui peut faire quelque chose…

Mais personne ne semblait pouvoir leur venir en aide. Drulion tourna les yeux, pour s’adresser à Nast sans doute, mais le jeune garçon avait disparu dans la foule, invisible.
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Mieux vaut prévenir que guérir EmptyMar 23 Juin 2015 - 14:57
Drulion n’en croyait pas ses yeux, ni ses oreilles. Le jeune homme qui était avant devant lui s’était transformé. De frêle jeunot, il était devenu juste un adolescent cupide, à l’allure tourmentée et à la méchanceté exacerbée. Comment pouvait-il penser que la santé était un marché, une affaire comme une autre. C’était absurde, cruel, inhumain. Mais le guérisseur devrait y réfléchir plus tard. À ses pieds, ses tenaient une femme et un homme qui vomissaient violemment, en jet. La couleur des jets était un mélange de vert et de jaune. Son mentor lui avait appris que la couleur était importante. Cette couleur-ci était peu rassurante.

L’homme devait être âgé d’une quarantaine d’années et se tenait sur ses genoux, ses mains comprimaient son abdomen, et entre deux jets, un cri violent sortait de sa bouche. La femme pleurait et on pouvait voir à ses haut-le-cœur qu’elle essayait, en vain, de se retenir de remettre. La couleur de son vomi était identique. Les deux personnes étaient pâles, et suaient.

Personne ne réagissait, à par deux femmes, qui ne faisaient pas grand-chose. Le guérisseur s’approcha des deux malades et ordonna aux femmes de les tenir penché vers l’avant, il ne fallait surtout pas qu’ils se retiennent de remettre. S’ils vomissaient, c’était car quelque chose devait sortir. Il demanda à une femme d’aller chercher de l’eau fraiche, la femme était brûlante, mais pas l’homme.

- Est-ce que quelqu’un sait depuis combien de temps est-ce que cela dure ? Est-ce qu’ils ont mangé quelque chose ici ? Ou même, est-ce que quelqu’un les connait ?

Il s’agissait sans doute d’une intoxication alimentaire, mais le guérisseur était incapable de les interroger pour l’instant. Si jamais les vomissements changeaient de couleur, il devrait peut-être changer son diagnostic, mais pour l’instant, sa seule solution était d’attendre la fin des crises et ensuite de leur donner de l’eau. Il leur donnerait aussi une petite concoction qui permettrait d’accélérer le transit et d’éliminer la substance nocive plus rapidement.

Après quelques minutes, les crises semblèrent passer, les deux s’effondrèrent sur le sol, presque inconscient. LE guérisseur s’agenouilla près de la femme, regarda ses yeux, vitreux, et pinca la peau de son avant-bras. Elle montrait des signes sévères de déshydratation. Il prit la cruche d’eau qu’une femme avait apporté et en versa doucement le contenu dans la bouche de la femme. Il ne voulait pas qu’elle s’étouffe. Une des femmes présente fit de même avec l’homme.
Il assit le couple à l’ombre d’une maison, en dehors de l’agitation, essuya les traces de vomi sur leurs visages. Ils reprenaient petit à petit conscience. Leur état était stable, et cela rassura le guérisseur. Il les examina un peu plus précisément et palpa leur abdomen. Celui-ci était encore un peu douloureux, mais cela n'inquiétait plus Drulion.
Drulion prépara sa concoction et expliqua son fonctionnement à une des femmes. Il rajouta que si elles auraient besoin de lui, il ne s’éloignerait pas de la ville, mais qu’il avait une affaire urgente à régler.

Le guérisseur de releva et sortit dans la rue du marché, il passa devant l’étal de fruit et de poissons. Il n’y vit rien de spécialement suspect. Et Nast était encore introuvable. Où pouvait-il bien être ? Et que pouvait-il bien faire ? Et quelle était cette histoire de ce qui était arrivé à la petite et à Ambolt ? Ses discours n‘avaient eu aucun sens. Drulion devait le trouver, l’examiner, le ramener à la raison, être sûr qu’il ne soit un danger ni pour lui, ni pour un autre.
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Nathanael
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Mieux vaut prévenir que guérir EmptyMar 7 Juil 2015 - 14:33
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N. a écrit:
Le pyjon sai anvolé

Le jeune homme éloigna le parchemin à bout de bras pour le relire. Il paraissait satisfait. L’orthographe n'était pas son alliée, mais le garçon qui lui avait demandé de griffonner ces quelques mots ne savait pas écrire, il ne se rendrait même pas compte des quelques erreurs qu'il avait commises. Et puis quelle importance, tant que cela restait lisible, le destinataire n’en ferait certainement pas cas. Après tout il s’en moquait, tant que l’autre lui donnait ce qu’il lui devait, le reste, il s’en foutait royalement.

- C’est cinq pièces pour le parchemin, et deux pour le transport, deux de plus si tu veux la réponse.
- Non, pas de retour.


Nast lui accorda les sept pièces demandées en prenant soin de faire tinter sa bourse pour montrer qu’il était autrement plus riche que ce merdeux pouvait le croire. Il n’avait jamais eu autant d’argent en poche et la puérilité de la jeunesse, l’arrogance aussi, le portait à faire des gestes quelque peu inconsidérés. Le garçon en face de lui eut l’air déçu, voyant qu’il avait raté son coup et qu’il aurait pu demander à cette grande perche le double de son salaire habituel. Mais Nast le devança.

- Si tu baves ou que t’as la langue trop bien pendue, je m’occuperai moi-même de te la raccourcir ou de te la faire bouffer !

Nast fit un signe de tête évocateur, jouant avec plaisir le rôle de l’agresseur et du potentiel meurtrier. Il n’avait, durant toute sa vie, jamais tué plus qu’une poule ou un lapin, mais la soudaine liberté dont il prenait la mesure le poussait à exagérer chacun de ses faits et gestes, chacune de ses paroles, comme s’il devenait soudainement un homme intouchable. Son jeu fonctionna, et le jeune garçon sembla avoir quelques difficultés à déglutir, osant à peine regarder Nast. Celui-ci lui passa la main dans les cheveux, comme les hommes le font avec les tout petits, lui sourit paternellement, et repartit au milieu de la foule. Il parcourut quelques ruelles, évitant soigneusement la place du marché et l’agitation causée par ses soins, faisant sauter dans sa main une petite bourse en cuir dont le contenu retombait mollement dans sa paume. Personne ne faisait attention à lui ; il prenait soin d’afficher un sourire charmant, conscient que ses traits angéliques n’attiraient aucun soupçon. Mais il était temps de passer à l’étape suivante et de tester tout son potentiel … et celui de Drulion par la même occasion. Son village natal était trop petit, les gens se connaissaient tous, son petit jeu aurait vite été découvert. Mais ici, tout était possible. Les centaines de villageois se connaissaient tout au plus de vue, les autres n’étaient que de passage, spécialement venus pour le marché et s’en retourneraient chez eux sans se douter de quoi que ce soit.

Le soleil commençait à pointer le bout de son nez alors qu’il atteignait son zénith. Le vent chassait les nuages et les dernières gouttes pluie et la chaleur étouffante qui fait suite à tout orage au début de l’été tomba comme une chape de plomb sur le vaste village. Les gens grommelaient, suaient à grande eau, les marchands s’essuyaient le front à grands revers de manche et les auberges se remplirent doucement tandis que les ventres se mettaient à gargouiller. Nast choisit son emplacement avec soin, à l’ombre, en face d’une taverne bondée qu’il avait repéré quelques semaines auparavant en accompagnant son père. Il s’adossa contre le mur d’une grande bâtisse au mur frais, se contentant de patienter. Il resta ainsi deux heures, puis quitta les lieux, disparaissant de nouveau parmi les badauds, inconnu parmi tant d’autres.  


****************************************

Sur la place du marché le geste de Drulion ne fut pas sans conséquence. Les quelques personnes qui l’avaient observé répandirent rapidement la rumeur qu’un guérisseur avait réussi à sauver un couple d’une mort certaine, atroce et douloureuse. De bouches à oreilles, la réalité se transforma rapidement en ragots farfelus, mais la réputation du médecin était faite ; il avait l’estime des habitants qui l’avaient vu pratiquer son art. Un homme lui proposa de boire une chope pour le remercier mais le guérisseur refusa, trop empreint par la volonté de découvrir ce qui s’était passé. Mais Nast demeurait introuvable, et personne ne semblait l’avoir vu ou remarqué. « Un jeune garçon, vous pensez bien, y en a un paquet qui traîne dans le coin, pour aider ou pour courir après les filles … on fait plus attention ».

Le guérisseur déambula un long moment avant de trouver une jeune femme au teint pâle charriant un grand paquet de linges dans une charrette à bras ; une jolie blanchisseuse prenant route vers le lavoir du village. Oui, elle avait bien vu un garçon correspondant à cette description. Il était resté un moment devant la Taverne de la Plaine, mais il n’avait rien fait de particulier, puis il était parti comme si de rien n’était. Elle l’avait vu plusieurs fois au même endroit car il se trouvait sur son parcours quotidien pour se rendre au grand bassin du village. Un autre homme sortant de la taverne confirma les dires de la jeune femme. Un garçon brun, aux vêtements un peu sales, était resté presque deux heures devant la Taverne. Il n’y avait pas mis les pieds et personne ne savait par où il était parti. Etrange jeu de cache-cache.

Drulion ne parvint pas à remettre la main sur Nast dans la journée. La nuit tomba et il lui fallut trouver un moyen de se loger à ses dépends.

****************************************

Le guérisseur fut réveillé par une agitation sourde. On cognait à la porte de la petite chambre dans laquelle il avait dormi. Rêve ou cauchemar ? Le soleil était déjà levé, les volets laissaient entrer quelques rayons de lumière et, dehors, on entendait les allées et venues des habitants qui s’agitaient pour vaquer à leurs occupations. Les coups répétés sur la porte recommencèrent.

- Médecin !

La porte s’ébranla de nouveau sous les assauts de plus en plus violents de mains brutales et acharnées. Un coup de pied mit fin à la résistance du battant en bois qui vint buter dans un grand fracas contre le mur de pierre, vacarme qui finit de réveiller totalement le guérisseur. Deux hommes en armes aux insignes de l’Arbre Blanc encadraient l’espace vide où se trouvait auparavant la porte. Derrière eux se tenait le tavernier dont les yeux porcins cherchaient à enregistrer tous les détails pour contenter sa curiosité malsaine. L’un des soldats avança, saisit Drulion par l’avant-bras tandis que l’autre pointait son épée dans sa direction comme s’il s’agissait d’un dangereux criminel.

- Au vu des récents événements il vous faudra fournir des explications au tribunal local pour prouver votre innocence et vous dédouaner des charges qui sont portées contres vous : « Tentative d’empoisonnement généralisée à l’encontre des habitants de ce village et tentative d’escroquerie envers les particuliers pour leur soutirer de l’argent en l’échange de soins »
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Mieux vaut prévenir que guérir EmptyVen 10 Juil 2015 - 13:15
Drulion avait l’habitude de la violence des gardes, de leurs menaces et de leurs brimades. Il dégagea violemment son avant-bras des mains de l’un des gardes et recula dans le fond de la pièce. Le deuxième garde le pointait toujours de son épée, le premier recula et dégaina lui aussi. Il n’avait pas l’air d’être aussi à l’aise que son comparse. Ils ne devaient sans doute pas être habitués à arrêter ainsi des civils paisibles de grand matin. Le guérisseur leva ses deux mains en l’air en signe de soumission mais aussi pour apaiser les esprits. Mieux valait-il ne pas jouer la carte de la frime et du je-m’en-foutisme pour l’instant. Il devait attendre de savoir ce qu’on lui reprochait exactement.

- Je vais vous suivre. Toi le grand, tu prends mon sac et mes affaires. Je ne veux pas de problèmes, amenez-moi à votre officier supérieur, pour que l’on m’explique ce que l’on me reproche.

- Taisez-vous et suivez-nous.


Apparemment les deux gardes n’avaient pas l’air de vouloir discuter. Le plus grand des deux s’approcha de Drulion et se glissa derrière lui. Il ouvrit le sac et l’inspecta rapidement. Il le referma et le mit sur ses épaules. Il pointa ensuite son épée sur le dos du guérisseur.

- Avancez.

Et Drulion avança. Il suivit le premier garde, passa devant l’aubergiste, qui avait un sourire en coin. Le tavernier s’adressa aux gardes au moment où le deuxième sortait de la pièce à la suite du guérisseur.

- Vous lui facturerez le prix de la porte, je vais sans doute devoir la remplacer.

Le garde ne prêta pas attention au propriétaire et sortit du bâtiment à la suite de Drulion et de son collègue. Ils passèrent par le marché, tout le monde se retournait au passage des trois hommes. Certains avaient l’air étonné, ils reconnaissaient Drulion pour l’avoir vu agir le jour précédent. D’autres, guidés par leur curiosité morbide et malsaine, essayaient de soutirer des informations aux gardes. Des clients de l’auberge ayant assistés à l’arrestation, ou ayant entendu les ragots, sans doute initiés par l’aubergiste lui-même, commençaient à parler de l’accusation du guérisseur. Et rapidement la rumeur traversa le marché et la ville. Si rapidement que quelques mètres après avoir quitté la place du marché, les gens commençaient à huer le guérisseur à leur passage, l’insultaient, l’observaient avec dédain ou avec un regard accusateur.

Finalement le convoi arriva devant un bâtiment en pierre. La porte était gardée par deux gardes. Le deuxième garde, le plus grand, portant le sac du médecin, rangea son épée dans son fourreau et dépassa son collègue. Il s’annonça, ainsi que la capture du prévenu. La porte s’ouvrit de l’intérieur et ils pénétrèrent tous les trois. La porte débouchait sur un hall donnant lui-même sur diverses portes. Ils empruntèrent une des portes sur la droite, ils arrivèrent dans un bureau. Un homme était assis derrière une table, un coffre se trouvait à sa gauche et quelques étagères décoraient un peu la pièce, qui avait ainsi l’air un peu plus vivante, au contraire du hall froid et vide.
Le grand garde prit la parole, s’adressant à l’homme se trouvant dans la pièce.

- Capitaine ! Nous vous amenons le prévenu dans l’affaire d’empoisonnement. Il est à noter qu’il n’a pas opposé de résistance lors de l’arrestation. Voici son sac avec ses affaires.

Le capitaine leva les yeux vers le trio qui venait de pénétrer dans son bureau. L’officier était encore jeune, il ne s’était pas rasé aujourd’hui et une légère barbe de trois jours commençait à apparaitre. Sans doute voulait-il la laisser pousser abondamment comme c’était la mode parmi les dirigeants.

-Très bien soldats. Vous pouvez déposer le sac dans le coffre ici, il s’agit désormais de pièces à conviction dans le cadre de l’enquête.

Le capitaine regarda le guérisseur, qui était resté silencieux depuis qu’ils avaient quitté l’auberge. Il lui indiqua une chaise se trouvant en face de lui. Il fit signe aux deux soldats de sortir et attendit que ceux-ci quittent la pièce. Une fois partis, il se tourna vers le médecin.

- Vous passerez devant le Tribunal très prochainement, mais d’ici-là vous resterez ici. Nous ne pouvons nous permettre de vous garder en liberté. Aussi, avant de vous incarcérer, j’aimerais parler un peu avec vous.

Le capitaine paraissait très sympathique et peu méfiant. Ce qui attisa la méfiance du guérisseur. Comment un homme sympathique et peu méfiant aurait-il pu monter en grade à l’armée ? Cela était très peu probable. Les nobles étaient à l’origine de magouilles en tout genre pour occuper un de ces postes de planqué. Capitaine dans un village, peu de risque d’attaques, peu de dangers. Une vie paisible en perspective, une montée en grade certaine, une carrière presque assurée.
Le médecin essaya d’afficher son sourire le plus convaincant. Mieux valait rester sympathique envers l’autorité. Après tout, ils ne faisaient que leur travail.

- Je vous remercie, vous et vos gardes, de me traiter aussi bien. J’espère avoir l’occasion de me défendre face à ce tribunal ? J’aimerais aussi avoir accès aux informations vous faisant suspecter une quelconque malveillance de ma part.

L’accusation portée à son encontre était assez grave. Un empoisonnement. Il ne pouvait se permettre de se conduire comme à son habitude, s’il s’attirait les foudres du tribunal ou même des gardes, il ne donnerait pas cher de sa peau. Mais il avait confiance, il saurait se défendre. Il avait toujours réussi à parler aux gens, pour les énerver ou pour les attendrir. En attendant, il aurait besoin d’explications avant sa comparution.
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Mieux vaut prévenir que guérir EmptyMar 25 Aoû 2015 - 13:33

Le capitaine se gratta le menton tandis que Drulion parlait. Sa barbe le démangeait affreusement depuis qu’il avait décidé de la laisser pousser et il devait faire un effort démesuré pour ne pas se toucher le visage en permanence. Les deux gardes sortis, tout serait plus simple. D’une certaine façon. Mais la situation méritait d’être éclaircie. Il avait un bref rapport griffonné sur un bout de parchemin qu’il avait lu rapidement avant qu’on ne le lui apporte le médecin.  L’homme ne semblait pas inquiété. C’était assez étrange, car les charges qui pesaient contre lui étaient un bon de commande pour l’échafaud, ni plus ni moins. La politique menée par Cartogan avait dépassé les simples limites de la Cité Blanche, et, dans les campagnes, les hauts fonctionnaires de l’armée se faisaient un plaisir de raffermir leur autorité et les tribunaux champêtres sanctionnaient plus que nécessaires la moindre faute. Les cachots avaient été vidés rapidement de leurs occupants par les bourreaux.  Dans d’autres villages, plus éloignés de l’administration, on racontait même que les condamnés finissaient par rejoindre les cailloux au fond de l’Anduin. Ca évitait les récidives. Le jeune capitaine prit une courte inspiration et prit le temps d’expliquer à haute voix ce qui était écrit.

- Vous êtes suspecté d’une tentative d’empoisonnement à l’encontre de l’ensemble des occupants d’une auberge. Et … d’autres points d’eau ont été apparemment contaminés. On vous reproche également d’avoir tenté d’empoisonner ces gens pour les soigner en retour et leur soutirer ainsi une importante somme d’argent.

Le capitaine se pencha et ramassa, au pied de son bureau dans une petite caisse, la bourse que Nast avait jetée au nez de Drulion plus tôt dans la matinée. Elle semblait beaucoup plus pleine et un nombre important de pièces tintinnabulait dans la poche de cuir. Puis il ouvrit le sac de Drulion que les gardes lui avaient laissé et sortit un à un les livres et les diverses plantes qui y étaient rangées. Il semblait chercher quelque chose de précis et poussa un « Ha… » rassuré en sortant une fleur séchée ainsi que quelques baies qui lui semblaient familières.

- Voilà ! Nous avons donc ici de la Belladonne, et ici l’argent extorqué à une clientèle naïve dans les précédents villages que vous avez traversé sans doute … Avouez qu’il vous sera difficile de vous innocenter, d’autant que nous avons un témoin qui vous est proche et qui assure être votre complice dans l’affaire. Il est bien dommage que vous ayez réussi à pervertir un si jeune garçon, d’autant qu’il est extrêmement aimable.  En tout cas cette plante – et il montra la Belladonne – correspond exactement à celle que nous avons retrouvé dans les différents points d’eau. Extrêmement efficace je dois dire … quelques personnes ne sont pas encore certaines de s’en sortir et le propriétaire de l’auberge a moyennement apprécié de voir sa clientèle vomir ses tripes dans son établissement.

Le capitaine avait la capacité de parler de condamnation et de crime comme s’il s’agissait de pluie et de beau temps. Il ne prononçait pas un mot plus haut que l’autre, il avait presque un ton amical et une certaine sympathie se lisait sur son visage. C’était quelque peu déconcertant. Ses traits étaient loin d’être glaciaux et durs, plein de colère envers les criminels ou les voleurs, et il était plus effrayant de le voir discourir gaiement sur la façon dont avait procédé Drulion que de le voir l’invectiver avec une haine féroce.

- J’espère que ces explications vous conviennent !

Et il remit tout ce qui était sur le bureau dans le sac du guérisseur sans se soucier de plisser les feuilles des livres ou de répandre des plantes ici et là. Il claqua deux fois dans ses mains et les gardes reparurent dans l’encadrement de la porte, prêts à obéir au premier ordre.

- Soldats, veuillez conduire le médecin dans le second cachot.

Le capitaine regarda les grands gaillards saisir Drulion par les bras sans aucune douceur pour le mener, deux couloirs et une volée de marches plus loin, dans une cave aménagée depuis longtemps en cachots précaires et humides où se multipliaient une grande famille de rats.  Ils passèrent devant une autre petite salle étroite et sombre où se dessinaient derrière de lourdes grilles les contours filiformes d’un jeune homme dans la force de l’âge. Le garçon tourna la tête et adressa un sourire mesquin à Drulion. C’était à n’y rien comprendre. Pourquoi le garçon s’était-il laissé prendre, et pourquoi avoir inventé une sottise pareille ? Ses traits angéliques dissimulaient une âme des plus sournoises dont Morgoth se serait bien délecté. Drulion fut enfermé dans la cellule adjacente à celle de Nast, leur paillasse se faisant face. De simples, mais solides, barres en métal servaient de délimitation. Aucun mur de pierre ne séparait les deux hommes et Nast dardait sur Drulion un regard moqueur au médecin. Enfermé dans ce trou puant, le jeune homme avait encore bien l’air sûr de lui. Mais, surtout, la façon dont il parlait faisait froid dans le dos.

- On ne refuse pas deux fois mes propositions guérisseur.

Il sembla à Drulion, qu’en partant, l’un des gardes fit un signe distinctif à Nast, mais ce fut si bref qu’il pouvait s’agir d’une simple élucubration de son esprit. Bien des choses restaient à éclaircir, mais seul le tribunal pourrait prononcer la sentence qui sauverait, ou condamnerait, Drulion Mede.
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Mieux vaut prévenir que guérir EmptyMar 15 Sep 2015 - 17:24
Drulion resta assis un long moment sur sa paillasse. Il lui fallait du temps pour assimiler tout ce qui venait de se passer. Il sentait le regard goguenard de Nast glisser sur lui. Comment avait-il pu se laisser berner par un si jeune homme ? N’y avait-il réellement plus aucun espoir chez les Hommes ? La recherche du pouvoir et de l’argent était bien trop forte dans cette race. Comme à chaque fois, cette race le décevait une fois de plus. Il fixa ses pieds.
Il était désormais enfermé dans cette cellule et ne savait que faire, ni où aller. Il n’avait pas la force, ni la volonté, de s’échapper. Il ne pouvait que compter sur lui-même pour se sortir de là. Son problème résidait dans Nast, il ne comprenait pas ce jeune homme. Quelle était sa réelle motivation ? S’il désirait tant que ça gagner de l’argent, il aurait pu juste suivre le guérisseur et récolter l’argent que les gens lui donneraient. Les gens étaient toujours généreux quand on venait de les sauver, se rendre compte qu’on risquait de perdre la vie relativisait bien la valeur des biens matériels. Au moins pendant un temps.
Le médecin se leva. Il s’approcha légèrement des barreaux, mais pas trop. Il soutint le regard de Nast. On pouvait lire la tristesse sur le visage de Drulion. En plus, il n’avait même pas quelque chose à boire. Quelle triste époque.

- Tes propositions ? Quelles propositions ? Tu voulais me payer, j’ai refusé. J’aurais pu continuer à travailler un peu avec toi. Mais je me rends compte maintenant que j’ai fait le bon choix.
Je te plains, sincèrement. Comment comptes-tu te sortir de cette affaire ?
Surtout avec toutes les erreurs que tu as commises dans la réalisation de ton plan…


Le guérisseur tourna le dos et lâcha cette dernière phrase lentement, comme si c’était une évidence. L’intonation de sa voix n’était ni agressive, ni vindicative, ni revancharde ou moqueuse. Elle était juste triste.
Il retourna s’allonger sur sa paillasse et fixa le plafond, réfléchissant.

Ce capitaine avait l’air vraiment étrange. La façon qu’il avait de détailler le mode opératoire de l’empoisonnement l’avait glacé d’effroi. C’était un malade. Un psychopathe qui admirait celui qui avait mis au point ce stratagème.
Quelqu’un dont la personnalité serait semblable à celle de Nast. Ce qui n’annonçait rien de bon. Mais Drulion ne pouvait rien faire pour le moment, si ce n’est forcer Nast à commettre une erreur. Le bluff était lancé, celui-ci tomberait-il dans le piège ? Étant donné sa jeunesse et sa fougue, il ne sera pas difficile de le mettre en colère.
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Nathanael
Espion de l'Arbre Blanc
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Nathanael

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Mieux vaut prévenir que guérir EmptyMer 16 Sep 2015 - 10:57
Mieux vaut prévenir que guérir Lome_a10 Mieux vaut prévenir que guérir Nast_a10

- Avec moi ?

Le sourire de Nast s’étira encore plus dans l’obscurité carcérale. Derrière les larges barreaux de métal, il était horrifiant. La candeur de la jeunesse avait laissé place à un masque perfide et tourmenté.  La pâleur de son visage faisait froid dans le dos, et il semblait encore plus maigre que les jours précédents.

- Ce n’était pas uniquement avec moi qu’il s’agissait de s’allier. Mais la Dame sait se faire comprendre, et quand elle veut quelque chose, elle l’obtient.

Le plan dont parlait Drulion n’était pas l’œuvre du jeune gondorien dont l’esprit, quoi que motivé par l’appât du gain et la gloire, n’en demeurait pas moins celui d’un enfant de son âge, imparfait et trop simple. Nast n’était pas seul dans cette affaire. Du moins c’est ce qu’il laissait supposer. Mais le garçon n’en était plus à sa première esbroufe, et il était fort possible qu’il cherchât à abattre ses dernières cartes pour se sortir une mauvaise épine du pied. Drulion était pris au piège. Nast était derrière les barreaux – mais était-il réellement prisonnier ? N’était-il pas plutôt un leurre ? Le capitaine étrange, froid et sans âme, qui l’avait accueilli plus tôt, qui était-il ? Etait-il seulement capitaine ? Aux franges du royaume, d’étranges choses avaient lieu. Les escapades nocturnes de Nast avaient-elles été si innocentes ? Pourquoi revenait-il si souvent au petit matin, l’œil fatigué et terne, griffé par les ronces et harassé par une longue course ? Tant de questions sans réponses. Mais ce ne fut pas le jeune homme qui brisa le silence. Quelques minutes après l’incarcération de Drulion, le capitaine pénétra dans la partie réservée aux prisonniers, un sourire étirant le coin de ses lèvres, fier comme un paôn. Quelques mètres derrière lui suivait une femme. L’individu portait une longue capuche beige. Un masque aux formes étranges et aux contours bleus couvrait la partie basse de son visage.  Elle portait une armure élaborée où des plaques coulissantes se juxtaposaient les unes aux autres comme une longue suite d’écailles cobalts. Elle se plaça face aux grilles qui donnaient sur la cellule de Drulion, révélant un regard aussi froid qu’un lac de montagne azuré. Nast ne semblait plus tenir en place et regardait avec avidité la scène qui se coulait sous ses yeux.

- Bonjour maître Drulion.

La voix de la femme se déformait à cause du masque qui lui couvrait la bouche, elle était un peu plus grave que ce à quoi on pouvait s’attendre, et vibrait dans l’air d’une bien étrange façon. Le capitaine à ses côtés se tenait tel un chien de garde, les yeux brillant d’une loyauté indéfectible et prêt à sauter sur le premier bâton qu’on lui lancerait. C’en était presque pitoyable. Nast s’était quant à lui rapproché des barreaux, appuyé contre eux nonchalamment, son sourire s’étirant d’une oreille à l’autre. Il semblait trouver ce moment particulièrement jouissif. La femme reprit la parole tandis que Drulion se levait à peine de sa couche.

- Vous vous doutez certainement que votre venue en ces lieux n’est pas anodine. Nast est un impitoyable conspirateur, et s’il est également entre ces barreaux, ce n’est pas de bon cœur.

Nast s’esclaffa. L’assurance exubérante qu’il manifestait ne le rendait que plus niais et son sourire devenait agaçant. La Dame en bleu continua ses explications sereinement, ne manifestant aucune émotion. Elle ne semblait rien trouver d’amusant ou d’excitant en la situation présente, se contentant d’énoncer ses propos dans un calme glacial.

- Nous souhaitons que vous nous rendiez un petit service. Rien de bien important. Il vous faudra être un peu imaginatif, mais je suppose que cela ne vous posera pas problème. Les plantes et les poisons sont, je crois de votre domaine.

Elle darda son regard impénétrable sur le médecin, attitude claire qui manifestait que Drulion Mede n’était pas tellement en position de négocier.


Dernière édition par Nathanael le Dim 5 Avr 2020 - 13:12, édité 2 fois
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