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 Les Goûts et les Couleurs

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Ryad Assad
Espion de Rhûn - Vicieux à ses heures perdues
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Ryad Assad

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Les Goûts et les Couleurs EmptyVen 12 Fév 2016 - 8:07
Dur'Zork, quelle horreur.

Cette pensée lui traversa l'esprit encore une fois, sans jamais vouloir changer de formulation. Dur'Zork, quelle horreur. C'était au moins la centième fois que cette analyse revenait dans son esprit, et il était fort peu probable qu'elle changeât un jour. Ou alors, dans un millier d'années. La cité du Sud, prise par les pirates de Taorin, n'était plus le joyau qu'elle avait été par le passé, et tout ce que l'on avait pu raconter à son sujet s'avérait décevant. Le Palais de l'Emir, qui avait fait la fierté de celui-ci pendant tant d'années, avait souffert durant l'invasion, et il avait été sauvagement attaqué par des hordes armées qui avaient ravagé ses merveilles, et fait grand dommage à ses murs de marbre. Ici ou là, les décorations les plus onéreuses et les plus rares avaient été remises en place, mais la plupart du temps les invités se contentaient de suivre les trajets les plus communs, pour éviter de poser les yeux sur les sections qui avaient été brûlées, saccagées et pillées. Dans l'euphorie de la victoire, les hommes s'étaient laissés aller malgré les ordres qui leur interdisaient de faire du mal à ce lieu de pouvoir que Taorin entendait récupérer pour lui-même. Ils n'avaient pas écouté, naturellement. Pirates un jour…

Ce n'était pas au Palais que la rencontre avait été proposée, mais le visiter tenait presque de la nécessité, quand on venait pour la première fois dans cette majestueuse cité du Sud. Arzawa était loin désormais, et il fallait savoir avancer, prendre la vie du bon côté, et faire preuve d'inventivité. Les contrats n'étaient pas rares dans le coin, surtout pour des assassins de son acabit, mais rares étaient ceux qui valaient vraiment la peine d'être relevés. C'était à Dur'Zork que la meilleure opportunité s'était présentée, surtout que la lettre lui était adressée personnellement, ce qui n'arrivait pour ainsi dire jamais. Ainsi on avait entendu parler de ses faits d'armes, et on s'était dit qu'il pouvait être utile de l'engager ? Très bien, très bien, cela signifiait que quelques personnes commençaient à connaître son nom – son nom de scène, tout du moins – et qu'on avait estimé que son concours serait nécessaire à l'accomplissement d'une mission particulièrement bien payée, eu égard aux standards locaux. Les pièces d'or coulaient plus au Sud, vers la Cité du Destin, et le coût de la vie avait baissé dramatiquement à Dur'Zork. C'était bon pour les étrangers, qui pouvaient venir y dépenser allègrement leurs pièces d'or. La chambre dans une auberge coûtait pratiquement deux fois moins cher qu'avant la guerre, et il avait été facile de s'installer dans un des établissements les plus prestigieux de la ville, qui proposait toujours un service de qualité, même si l'argenterie avait été en grande partie récupérée par les envahisseurs quand ils avaient razzié la ville.

A partir de cette auberge, il avait été facile de localiser le point de rendez-vous, et même d'y faire quelques visites au préalable, pour estimer les risques, prévoir quelques sorties, et essayer d'établir rapidement un plan des lieux. Méthodique, méthodique. Il n'avait pas été difficile de s'infiltrer à l'intérieur sous un faux prétexte, et une fois entre les murs, personne ne lui avait plus posé de questions. Cela avait été un véritable jeu d'enfant que de déambuler dans les couloirs, en prenant soin de contourner les rares gardes qui assuraient la surveillance des lieux. Seulement quatre défendaient les lieux en temps normal, mais il y en aurait bien davantage pour l'occasion, car la réunion impliquait un certain nombre de personnes influentes de Dur'Zork, qui n'avaient pas particulièrement envie d'être interrompues au milieu d'une conversation assez délicate. Laisser traîner ses oreilles au bon endroit pouvait rapporter gros à certains espions qui vendaient leurs services, et le risque d'avoir des ennemis cachés prêts à frapper n'était jamais totalement à exclure.

Ce fut la raison pour laquelle le jour venu, nul ne garde ne vit approcher de la bâtisse l'assassin que tout le monde attendait. Cet assassin que l'on disait capable de traquer et de tuer n'importe qui, dont le nom était descendu jusqu'au Sud, ne se fit jamais annoncer par les nombreux hommes en armes qui gardaient l'entrée de la bâtisse. Ils avaient pourtant reçu consigne de ne pas baisser leur vigilance, et ils étaient suffisamment bien entraînés et bien payés pour ne pas se laisser berner facilement. L'heure du rendez-vous était déjà dépassée, mais les nobles qui s'étaient réunis là n'étaient pas encore prêts à partir. Certains murmuraient déjà quant au pourquoi l'assassin ne s'était pas présenté, mais qu'il vînt ou pas, ils avaient de toute façon des choses urgentes dont ils devaient discuter.

Il se tramait des choses à Dur'Zork, et depuis peu la ville était en émoi. Les suderons faisaient n'importe quoi, ils étaient incapables de maintenir l'ordre, et désormais on disait qu'ils avaient relâché en ville un mal plus terrible encore que ceux qu'ils avaient apporté avec eux. Autour de la table, certains étaient partisans de le détruire purement et simplement, de l'exterminer jusqu'à la racine pour en finir une bonne fois pour toutes, au risque de s'attirer les foudres du nouveau gouvernement. Ce dernier, vacillant depuis l'arrestation de Taorin au Gondor, cherchait n'importe quel moyen pour conforter son emprise, et d'aucuns étaient assez sceptiques quant à l'opportunité de s'opposer directement à lui. Les représailles pouvaient être violentes. Ils constituaient la frange la plus modérée, mais ils n'excluaient pas totalement l'idée d'une action armée non plus. La véritable question qui demeurait restait de savoir s'ils étaient des sujets du Gondor, du Harondor de Radamanthe, ou bien du Harad de Taorin.

Cela n'avait l'air de rien, mais en réalité, cela en disait beaucoup sur leur façon de procéder. Les plus zélés défenseurs de l'héritage gondorien estimaient qu'il était de leur devoir de faire quelque chose, tandis que les plus pragmatiques – pour ne pas dire les plus opportunistes – voyaient d'un mauvais œil l'idée de s'attirer l'inimitié de leurs nouveaux protecteurs, lesquels avaient tout de même consentis à leur laisser leurs terres, leurs titres et leurs fonctions. Tous étaient encore employés au sein de la bureaucratie maladroite du Harondor, ils étaient bien payés par les financiers du Harad pour faire leur travail, et ils avaient en prime le privilège de continuer à exploiter leurs terres. Cette mesure avait été un gage d'apaisement, et Taorin avait vu juste. En laissant aux riches de Dur'Zork leurs biens, il s'assurait leur soutien ou, à tout le moins, leur absence de velléités de révolte. S'il les en avait privés, ils auraient facilement trouvé le moyen de soulever derrière eux les foules de la cité, qui auraient pu sérieusement mettre à mal le pouvoir Haradrim, pour ne pas dire le renverser. Cette contre-révolution populaire aurait été saluée par Radamanthe, qui aurait pu revenir triomphant dans sa capitale.

Le souci, c'est que personne ne savait exactement qui était pro-Radamanthe, et qui était pro-Taorin, ce qui ne facilitait pas la tâche. On n'osait pas trop exprimer son opinion politique, de crainte de se voir finir avec la tête au bout d'une pique, ou assassiné dans une ruelle sombre – tout dépendait bien entendu de qui vous souteniez. Les nobles étaient donc en pleine discussion sur les modalités de leur intervention, quand soudainement une porte s'ouvrit à la volée. Ce n'était pas la porte principale, laquelle était gardée par quatre hommes lourdement armés, qui devaient s'assurer que personne ne pénétrerait dans la pièce. A dire vrai, ce n'était même pas vraiment une porte. C'était plutôt un escalier qui menait aux cuisines, lesquelles auraient dû être fermées, et absolument impossibles d'accès à quiconque ne se présentait pas d'abord à un garde. En voyant arriver cette silhouette solitaire, vêtue de manière fort curieuse pour la région, un certain nombre de nobles se levèrent, et portèrent la main à leur arme, prouvant par là qu'elles n'étaient pas seulement à leur côté pour faire joli. D'autres, moins braves, plus enrobés aussi, reculèrent le plus loin possible en essayant de retenir les couinements porcins qui menaçaient de s'échapper de leur bouche alors qu'ils achevaient de mâcher les pâtisseries dont ils se remplissaient goulûment.

Les Goûts et les Couleurs Masque10

- Restez calmes, je vous prie. Pas la peine de vous émouvoir pour si peu, étant donné que vous m'avez invité.

La voix était indéniablement masculine, grave sans être rude. Une belle voix chaude, apaisante, qui paraissait taillée pour séduire et pour envoûter. Une main gantée retira une lettre d'une poche intérieure cachée sous une cape d'un noir d'encre, et la laissa tomber avec négligence. Elle contenait des secrets importants, et c'était là la preuve que ce groupe de nobles avait fait appel à un tueur professionnel, ce qui n'était théoriquement pas légal. Un des plus inquiets contourna soigneusement le tueur, en s'arrangeant pour rester à distance respectable, et alla récupérer la lettre pour en lire le contenu et, surtout, pour s'assurer qu'elle ne tomberait pas en de mauvaises mains :

- C'est bien lui, c'est Paradoxe.

- C'est vous ? Je vous imaginais quand même plus grand.

Le sourire fut avalé par le masque qui lui cachait entièrement le visage, et qui ne dévoilait à grand peine que ses deux yeux bleus, assombris par le chapeau à larges bords qui surmontait sa tête :

- Et moi, Seigneur Elituni, je vous imaginais plus mince. Beaucoup plus mince. Reposez-donc ces gâteaux dont vous vous empiffrez depuis plus d'une demi-heure.

Ses voisins lui jetèrent un regard qui plongea l'intéressé dans la honte la plus totale. Il lança sans charme la douceur qu'il était sur le point de croquer dans un plateau, et essuya ses doigts bouffis sur la nappe en essayant de garder son calme. Il n'avait pas l'habitude qu'on lui parlât ainsi, de toute évidence.

- Paradoxe ?

- Appelez-moi Schifo.

Ce fut la seule réponse qu'ils obtinrent, et ils durent se contenter de cela, et d'observer leur hôte déambuler dans la salle, les bras croisés dans un dos qui leur faisait face pour le moment. Une vague de malaise parcourut l'assemblée, et quelques murmures s'élevèrent devant l'attitude pour le moins irrespectueuse et discourtoise de l'assassin. Ils s'étaient attendus à trouver quelqu'un d'appliqué et de discipliné, par un type qui ne dépassait le mètre soixante-cinq, et qui se comportait comme s'il était dans une galerie d'art. La main droite se leva, et pointa vers un tableau accroché à un mur :

- Celui-là. C'est un faux, non ?

Le masque se tourna vers le propriétaire des lieux, identifié sans l'ombre d'un doute. Assurément, il n'était pas besoin de faire les présentations, et eux qui avaient espéré pouvoir rester dans l'anonymat devaient bien admettre que tout excentrique que fût leur invité, il était difficile de remettre en cause son talent. Le propriétaire de la demeure fit un pas en avant, comme s'il devait répondre d'une attaque personnelle, et il s'exclama :

- Ce n'est certes pas un faux, je paie tous mes tableaux une petite fortune, et je peux m'estimer heureux que ceux-ci aient été mis en sûreté dans ma chambre secrète avant l'attaque des pirates. Il est tout ce qu'il y a de plus vrai.

- Oh… Alors c'est un vrai de très mauvais goût. Il est horrible.

Avant que le propriétaire abasourdi se fût remis du choc de voir une œuvre réalisée par un membre de l'Académie des Arts de Dale être critiquée ainsi, la voix reprit sur un ton plus chaleureux :

- Bien, vous n'avez certainement pas fait appel à mes services pour discuter de votre inculture en matière d'art, ou de votre tapis indécent, non. Je crois que vous voulez m'engager pour réaliser un travail, alors nous pourrions peut-être nous dépêcher et aller droit au but. Qu'en dites-vous, Sire Targni ? Je pense que vous avez d'autres choses à faire que de discuter toute la nuit avec nous… même si c'est ce que vous direz à votre femme quand vous irez coucher avec votre maîtresse dans ce taudis miteux qu'elle ose appeler une maison… Vous me dégoûtez…

Le noble, outré, ouvrit la bouche de surprise sans parvenir à trouver les mots pour en placer une, car Paradoxe… ou plutôt Schifo… poursuivait son monologue éclairé en faisant les cent pas entre les chaises et les convives comme si la salle était une pièce de théâtre dont le premier rôle lui revenait :

- Mais nous ne sommes pas là pour parler de vos déboires sexuels, lesquels je dois dire ne sont un secret pour personne autour de cette table, dans cette bâtisse, et dans la ville en règle générale. Ne soyons pas inutilement mesquins avec vous, qui êtes déjà bien gâtés par la vie d'avoir une épouse si dévouée et si agréable, mais qui n'avez pas l'élémentaire politesse de vous faire pardonner votre manque de talent lorsqu'il s'agit de passer des paroles aux actes en demeurant au moins avec elle toutes les nuits.

La colère s'empara du noble furibond qui, attaqué dans son honneur et dans sa réputation, se devait de faire quelque chose pour venger cet affront. Il échappa au bras de ses compagnons qui essayèrent de le retenir, et s'avança avec la main sur son gant, qu'il entendait jeter à la figure – plutôt au masque – de cet impudent qui le ridiculisait devant ses amis et ses pairs alors qu'il n'était qu'un vaurien, un cul de basse-fosse qui se prenait pour ce qu'il n'était pas. Il ne termina jamais d'ôter son gant, n'allant pas plus loin que la deuxième phalange de son majeur, pour être précis. A la vitesse de l'éclair, une lame était apparue dans la main gantée, qui avait armé son bras et s'apprêtait à le lancer.

- Je serais vous, je reverrais mes priorités. Je vous laisserai lancer votre gant, soyez-en certain, mais ce sera la dernière chose que vous ferez aujourd'hui. Vous devriez plutôt vous asseoir, et apprendre à maîtriser vos nerfs si vous voulez traiter avec moi. Je n'aime guère les gens aux vils instincts qui ne savent pas se maîtriser.

Retrouvant un ton sérieux, Schifo s'approcha d'un siège resté vide à son intention, et y prit place avec une élégance rare. Croisant ses jambes, son attitude avait changé, et invitait désormais à la discussion. Après son petit numéro qui avait fait forte impression – en bien ou en mal, en bien et en mal –, les nobles lui étaient totalement acquis, et ils prirent place pour entamer la négociation, bien heureux de ne pas avoir été pris pour cible par ses critiques acerbes. Ils avaient tous de lourds petits secrets qu'ils n'aimeraient pas voir dévoilés devant tout le monde ainsi. Schifo se pencha en avant, et attrapa une assiette remplie de petits délices du Sud, les observant, les touchant du bout du doigt pour s'assurer qu'ils étaient comestibles. Avec un « bouarf » dégoûté, l'assassin plaqua son dos contre le dossier du fauteuil, les amuse-bouches allant faire un tour dans l'autre sens sur la table d'où ils avaient été pris.

- Je ne traite qu'avec des gens sérieux, je tiens à vous prévenir. Les assassins de seconde zone, ceux qui se salissent les mains de manière indigne, travaillent pour de l'argent, et sont prêts à faire les pires choses pour les pires personnes, tant qu'ils sont bien payés. Je ne fonctionne pas ainsi, et j'aime travailler avec des gens distingués qui ne nuiront pas à mon image. Vous comprenez, dans notre métier, la difficulté des contrats que nous accomplissons n'est pas aussi importante que les gens pour qui nous les réalisons.

Levant une main pour les apaiser :

- Je vous rassure, vos noms ne seront pas divulgués, et vous n'avez rien à craindre de moi. Seulement, les choses se savent dans le milieu, et même si je ne vends pas la mèche, des fouineurs se chargeront de creuser profondément, et de déterrer des informations qui n'existent même pas, pensez-vous. Mais vos gardes sont faillibles, vos servants sont faillibles, vos bonnes et vos jardiniers tendent l'oreille. Je serais vous, je les jetterais à la mer avec un bloc de pierre attaché aux pieds, pour s'assurer qu'aucun secret ne remonterait à la surface. Mais je suppose que le personnel coûte cher. Assurez-vous alors qu'il soit de bonne qualité. Vous êtes sûr que c'est un vrai ?

Un pouce s'était tendu négligemment vers le tableau qui se trouvait dans le dos de l'assassin, qui n'avait pas daigné se retourner pour l'observer de nouveau. Ses paroles semblaient suivre le cours de ses pensées délirantes, et ne pas subir de limitation. Si quelque chose lui venait à l'esprit, les mots fuyaient de sa bouche invisible comme un torrent impétueux que rien ne pouvait dévier de sa course. Le noble répondit par l'affirmative, plongeant Schifo dans un désarroi certain :

- Hm… C'est vraiment curieux… Bien, où en étais-je ? Ah oui, le personnel. Votre personnel est faillible, pas moi. C'est la raison pour laquelle vos hommes ignorent actuellement que je me trouve dans l'enceinte de cette bâtisse, et c'est aussi la raison pour laquelle vous allez me payer cher pour cette mission dont vous ne m'avez encore rien dit. Si toutefois elle est réalisable. Si vous arrivez à me convaincre que j'ai intérêt à travailler avec vous, je prendrai la moitié de la somme sur-le-champ, et l'autre moitié quand j'aurai réglé votre problème. Dispositions classiques, je suppose que vous y êtes déjà préparés… Je prends ce silence pour un oui.

Une pause. Le temps pour les commanditaires de digérer toutes ces informations. Pendant ce temps, les yeux bleus cachés derrière le masque scrutaient les réactions de chacun avec insistance – et un soupçon d'aversion. Il n'était pas utile d'être un expert pour deviner que la plupart des nobles ici présents étaient une source de dégoût pour l'assassin, qui faisait de son mieux pour ne pas cracher son fiel dans leur direction. Ils se regardèrent comme des veaux, aucun d'entre eux ne souhaitant particulièrement prendre la parole maintenant, et risquer de devenir le centre de l'attention de leur mystérieux invité qui avait de toute évidence de sérieux problèmes avec le savoir-vivre. Reprenant sur un ton léger :

- Bien, puisque vous avez l'air relativement disposés, peut-être pourrions-nous enfin parler de cette mission. Racontez-moi tout, et n'omettez aucun détail, même le plus insignifiant. Chacun d'entre eux peut avoir son importance au bout du compte. Commencez par le début, soyez précis, et surtout n'hésitez pas à aborder les éléments les moins ragoûtants…

Le pouce se leva de nouveau et désigna une nouvelle fois le tableau :

- Comme vous le savez maintenant, les choses vraies sont parfois horribles et répugnantes, mais ce n'est pas pour cette raison qu'on doit les garder cachées. Je vous écoute donc. Qui veut commencer ?

#Paradoxe #Schifo


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Les Goûts et les Couleurs EmptyDim 21 Fév 2016 - 13:45
Une entrée qui n'était pas forcément de très bon goût, mais qui avait le mérite d'être haute en couleur. Entre vexation, admiration, et crainte de voir sa vie privée exposée, les sentiments des nobles étaient divers et variés, mais tous étaient bien obligés de s'avouer que cet assassin à la voix de miel et aux paroles caustiques était d'une habileté et d'une vivacité d'esprit hors pair. Le sieur Orio, propriétaire de la bâtisse, avait-il eu raison d'avoir recours à ce Paradoxe, ou à ce Schifo, ou quelque nom qu'il faille lui donner ? C'était de lui que venait l'idée, et c'est lui qui l'avait contacté par le biais de la lettre. Il s'en était tiré avec quelques critiques sur ses goûts picturaux, mais ce n'était pas le cas de tous... Que faudrait-il encore subir en contrepartie de l'aide de cet hurluberlu costumé ?

Et pourtant ils restaient là, hébétés, écoutant cet excentrique débiter ses vanités et ses conditions, comprenant avec horreur que non seulement ils étaient à la merci de sa connaissance de leur vie privée, mais que, cerise sur le gâteau, ils devraient le convaincre qu'ils étaient dignes de pouvoir faire appel à ses services. Tous les hommes étaient si abasourdis par ses tirades pléthoriques que nul n'osa répondre de suite à sa dernière question, chacun regardant les autres du coin de l’œil et espérant qu'un de ses homologues ait le courage ou l'audace d'en prendre l'initiative.

Mais il y en avait un, qui tout à l'heure n'avait ni tiré l'épée ni fui contre les murs, qui était resté assis à la table des pâtisseries sans toutefois en manger aucune. C'était un jeune noble auquel ses cheveux bruns mi-longs aux mèches désordonnées et sa manie de parler aux autres en tordant la tête d'un côté donnaient un air irrévérencieux et rebelle. Un coude sur la table, l'autre sur le dossier de sa chaise capitonnée, il se mit à battre lentement des mains comme pour applaudir l'assassin masqué, avec sur sa figure un sourire en coin qui en disait long sur l'ironie de son geste.

– Je dois dire... que je suis presque déçu de ne pas avoir été la cible de tes révélations. M'as-tu épargné par charité, par délicatesse, ou bien as-tu pensé que ma vie privée choquerait à ce point mes pairs qu'ils ne sauraient plus retrouver leurs coffres pour te payer ? C'est bien dommage, car il y a là autre chose qu'un penchant pour les sucreries ou un mari qui découche... Pourquoi n'as-tu pas dit que je fais venir le vin du Harad à prix d'or pour le boire à la bouteille jusqu'à en vomir, ou que j'invite tant de demoiselles à la fois dans ma chambre que je n'arrive pas à toute les faire tenir sur mon lit double à baldaquin ? Pourquoi as-tu omis ma manie de cracher à la figure des pauvres quand ils me demandent l'aumône, ou de faire abattre mes étalons quand je suis las du porc et du petit gibier ? Nous sommes des nobles, nom de dieu, nous pouvons nous le permettre ! Alors écoute-moi bien, tu n'as rien à révéler qui puisse me faire honte car je n'ai honte de rien.

Les regards que lui portèrent les autres nobles trahissaient leur malaise et leur crainte qu'il fasse capoter toute l'affaire. Ce n'était pas la première fois que ce jeune orphelin arrogant et imbu de lui-même, qui avait trop tôt hérité des richesses de feu ses parents, exposait ses lubies devant eux, mais en l’occurrence le moment était très mal choisi : si son but avait été de discréditer les valeurs de la noblesse de Dur'Zork aux yeux de Schifo, il n'aurait pas fait mieux ! Nullement décontenancé, l'enfant terrible continua...

– Bien, mais peut-être est-ce justement parce que tu savais que rien ne pouvait me faire honte, que tu n'as pas jugé utile de le crier haut et fort. Si c'est le cas, ce serait la preuve que tu as des capacités de recherche hors-du-commun, je dois bien le reconnaître. Ça te donne le droit d'entendre ce pourquoi nous t'avons fait venir ici, et de ma bouche, encore ! Comme tu peux le voir, je ne suis pas du genre à cacher les éléments les moins ragoûtants, ça devrait donc te plaire... Tout ceci a commencé il y a près de trois semaines. Une nuit, j'ai été interrompu par une série de cris sauvages, trop lointains pour que je puisse croire qu'ils provenaient de mon lit, mais assez proche pour être sûr de les avoir entendus. Ils venaient d'un autre quartier de la ville, c'était certain. J'habite dans la bordure, pas loin des murailles, mais tu dois sûrement le savoir. Ça ne m'a pas alarmé plus que ça sur le coup : sûrement une rafle perpétrée par les miliciens, c'est ce que je me suis dit, ils ne font pas dans la dentelle ceux-là quand il s'agit d'arrêter les nostalgiques et les idéalistes. Sauf que... les miliciens ne laissent pas les cadavres sur le lieu de leur arrestation ; non, ils les font disparaître quand ils ne veulent pas que ça s'ébruite, ou bien ils les mettent bien en évidence en place publique quand ils veulent en faire des exemples. Et ils ne dégustent pas des morceaux de leurs victimes, enfin pas que je sache, leur solde n'est peut-être pas mirobolante mais elle leur permet tout de même de manger décemment, dieu merci ! Hors le cadavre d'un marchand de charcuterie a été retrouvé dans les souks le lendemain matin, étendu sur le dos, la gorge en bouillie, le bras gauche rongé par endroit jusqu'à l'os, comme une pomme dans laquelle on aurait croqué goulûment avant de la jeter à moitié mangée.

Un peu plus loin, le seigneur Elituni ne pu retenir un bref gémissement de dégoût, bien que ce n'était pas la première fois qu'il entendait ce récit. Le seigneur Targni se sentit obligé de proférer à mi-voix quelque lamentation hypocrite au sujet de ce pauvre marchand. Le seigneur Orio, quant à lui, se contentait de suivre le monologue pour veiller à ce que le jeune seigneur Tezza ne s'éloigne pas de la réalité des faits.

– Tout autour de lui, reprit ce dernier, une énorme flaque de sang rouge, son propre sang, qui commençait de sécher là où les premiers rayons du soleil l'atteignait. Pourquoi je parle de sang rouge, car il y avait un autre sang dans cette scène. La macchabée avait encore en main un hachoir tâché d'un liquide noir, et des gouttes de ce liquide partaient du lieu du massacre et tâchaient la terre battue de la ruelle, proches les unes des autres au début, plus de plus en plus sporadiques jusqu'à ce qu'on en perde totalement la trace. Et c'en était resté là pour le moment, un marchand en plus ou en moins ça ne fait pas grande différence. Mais les boucheries n'ont pas cessé, bien au contraire. Depuis, six cadavres ont été comptabilisés, qui avec un mollet en moins, qui avec les tripes éparpillées, qui avec un sourire jusqu'aux oreilles après s'être fait subtiliser lèvres et joues... Et toujours de nuit, jamais en plein jour, note bien. Et on ne retrouve plus de sang noir à présent, notre bête semble agir avec plus de prudence et d'efficacité que lors de sa première fois. Pour sûr, il s'agit d'une de ces bestioles dressées au combat qu'on a pu voir, et entendre, lorsque la ville a été prise. De drôles de bêtes, et incontrôlables, sans doute une espèce de ces créatures qu'on appelle les orcs. Ils les ont amenés dans notre cité, et maintenant que ces monstres ont eu leur utilité, ils ne savent plus quoi en faire... et voilà ce qui arrive ! Résultat : un charcutier, une veuve et son jeune fils attaqués dans leur masure, un milicien qui patrouillait seul, à nouveau un commerçant, et enfin un de mes propres paysans qui rentrait de sa journée de travail. Sans parler de tous les saccages perpétrés dans les commerces et les entrepôts de nourriture, et sur le bétail à l'extérieur de la ville. La chose commence à s'ébruiter en-dehors des murs, et ça, c'est très mauvais pour les affaires. En outre, un servant en moins, paysan ou garde, bonne ou jardinier, aussi faillible qu'il puisse être, crois-moi ça fait tout un tas de paperasse quand il s'agit de trouver un remplaçant.

– Tezza, cessez ces inepties !

Orio ne pouvait plus contenir sa colère devant l'effronterie du jeune noble. Il réagissait, mais trop tard, la mal était fait.

– Schifo, je vous prie de ne pas tenir compte du raisonnement du seigneur Tezza, il n'est en rien représentatif des motivations altruistes qui nous ont poussé à faire appel...


– Voilà pourquoi nous avons fait appel à toi, coupa sèchement l'intéressé. Tu devras retrouver cet bête, rattraper cette bête, abattre cette bête et nous ramener la tête de cette bête sur un plateau d'argent pour qu'elle cesse de nous importuner.
#Orio


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Les Goûts et les Couleurs EmptyMar 23 Fév 2016 - 2:28
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Les applaudissements de Tezza attirèrent l'attention de tous les nobles de la pièce, et Schifo tourna lentement la tête vers ce bruit discordant. Si lent. Si pédant. Si condescendant. Un dégoût terrible s'empara du masque qui aurait vomi sur le plancher de cette belle maison si cela n'avait pas été inconvenant. Toutefois, ce n'était rien en comparaison de la tirade de ce nobliau qui ne se prenait de toute évidence pas pour n'importe qui. Lors de ses recherches, Schifo avait bien entendu passer au crible le passé de ceux qui avaient fait appel à ses services, et il n'avait pas été très difficile d'en apprendre plus sur ce Tezza. Il était assurément un personnage détestable, même au regard des standards d'une cité comme Umbar qui pourtant se vautrait dans le stupre et la fornication sans la moindre retenue. Alors à Dur'Zork, cité considérablement influencée par l'état d'esprit du Gondor et qui se considérait comme plus raffinée que les autres cités du Sud, un tel comportement ne passait évidemment pas. Les putains qui se succédaient dans son lit parlaient de sa brutalité, de sa violence, mais revenaient quand même car il payait bien… A condition de supporter les humiliations, les insultes et les coups parfois.

Et pourtant, il n'éprouvait pas de honte. Pas la moindre. Ni devant Schifo, ni devant ses pairs qui pourtant auraient dû l'influencer, au moins le pousser à taire certaines de ces actions. Mais Tezza n'était pas de ceux qui se laissaient dominer par le sentiment de la foule. Il ne faisait preuve d'aucune retenue, et il était notoirement connu pour ses penchants inavouables qu'il avouait quand même. Il cumulait un nombre incroyable de péchés, peut-être même tous d'ailleurs, mais il les considérait comme une forte, et les exhibait à la vue de tous comme si cela pouvait lui fournir une quelconque assurance de victoire. En transformant ce qui aurait dû être une faiblesse en force, il se plaçait au-dessus de n'importe quel ennemi. Qui pouvait le blesser, alors que rien ne pouvait entacher sa réputation déjà détestable ? Sa jeunesse le poussait à croire à son invulnérabilité.

« Tu devrais le tuer sur-le-champ. »

Schifo tourna la tête sur le côté, se penchant vers quelqu'un qui lui avait murmuré ces mots à l'oreille. Oh bien entendu, personne d'autre n'avait entendu, et il n'y avait pas vraiment « quelqu'un ». Seulement la voix. Toujours la voix. Il n'était pas besoin de répondre à cette suggestion, car elle venait de traverser l'esprit derrière le masque. Après tout, qui pouvait résister à la tentation de mettre à mort cet être abject et dégoûtant, surtout quand il se vantait de sa cruauté, de sa violence et de ses dérives ? La voix reprit :

« Tu devrais le tuer, tu sais qu'il le mérite. »

La voix avait raison, bien entendu, mais Schifo préféra garder le silence, et laisser le noble aller au bout de sa tirade. Sans l'interrompre. A quoi servait de tomber dans le piège béant qu'il lui tendait ? A quoi servait de ferrailler avec un être aussi repoussant, quand il était plus simple de l'observer se pavaner ? Ils ne s'appréciaient pas réciproquement, probablement pour des raisons très proches d'ailleurs. Chacun dégoûtait l'autre au plus haut point, chacun trouvait dans son vis-à-vis une incarnation de ce qu'il abhorrait, et c'était la raison pour laquelle ils ne pouvaient coexister. Mais il faudrait pourtant supporter sa présence pendant un temps. C'était nécessaire, et le Masque le savait.

Il y eut quelques plaintes quand Tezza se prit à évoquer le sort de la première victime. C'étaient pour la plupart des mots de circonstance, dits et répétés au point qu'ils n'avaient même plus la moindre saveur. Ils avaient perdu toute substance et glissaient, visqueux, sur la table où ils étaient crachés avant de s'écraser sur le sol comme de grosses limaces gluantes et répugnantes. Schifo inspira profondément, et l'agacement qui se peignit sur ses traits aurait certainement convaincu ses interlocuteurs de cesser ces simagrées si le masque qui recouvrait son visage n'avait pas constitué une barrière impénétrable entre ses véritables pensées et les leurs. Sa main gantée se leva et effectua un mouvement rapide, comme pour chasser toute cette fausseté nauséabonde. A sa manière, Tezza était plus intéressant que la plupart de ces nobles sans profondeur. Oh, il n'avait guère de relief lui non plus, mais au moins il se battait pour cultiver sa différence.

- Que votre chagrin et votre peine très sincères et très émouvants ne vous fassent cependant pas oublier la retenue dont vous devriez faire preuve, messieurs, à l'heure où nous nous penchons sur des solutions. Laissez donc monsieur N'a-Honte-de-Rien continuer le monologue de sa vie. N'interrompons pas ce jeune garçon et son histoire, alors qu'il a sans doute pour la première fois l'occasion de faire l'intéressant au milieu de personnes du même statut que lui.

« Tu devrais ouvrir sa gorge, et te régaler de ses derniers instants »

Schifo haussa les épaules, cette solution n'étant pas à l'ordre du jour. Au lieu de quoi, il se concentra sur la réaction des nobles, qui percevaient le duel qui s'était créé, et qui jetaient un œil à l'un puis à l'autre des protagonistes, comme s'ils se demandaient de quel côté il était plus prudent de se ranger.Monsieur, avait dit le masque. Sire, ou Seigneur, auraient été plus appropriés, mais c'était « monsieur » qui était venu tout naturellement. Une nouvelle marque d'irrespect qui ne faisait que rajouter au personnage haut en couleur que ces sang bleu avaient appelé. Le mépris était réciproque, et les piques fusaient d'un bout à l'autre de la pièce, dans une atmosphère électrique.

Il ne prit pas la peine de relever, cependant, et poursuivit son récit en donnant davantage de précisions concernant les meurtres qui avaient eu lieu. Il les décrivait avec force détails, au point qu'on pouvait se demander s'il n'avait pas joué un rôle dans tout ça. Il en parlait avec la passion du meurtrier, même s'il était difficile d'imaginer ce blanc-bec être en mesure de commettre des crimes de sang-froid dans sa propre ville, dévorer les cadavres et les mutiler à ce point. En plus, il avait beau être détestable et infréquentable, cela ne donnait pas à son sang une couleur noire pour autant. Seuls les Orcs, créatures si peu ragoûtantes qu'elles donnaient littéralement la nausée à Schifo chaque fois qu'il devait y penser, avaient le sang de cette couleur. Toutes les légendes le mentionnaient, et il était certain que la présence d'Orcs à Dur'Zork incitait à croire à cette version.

Orio paraissait accepter son histoire, et il ne s'emporta devant aucun des détails auquel le jeune insolent avait fait allusion, validant par là leur conformité avec la réalité des faits. Cela signifiait que ce tous étaient globalement au courant de ce qu'il se tramait, et que s'ils avaient entendu des histoires divergentes, ils estimaient tout de même que ce récit collait plus ou moins à la réalité. Il y avait bien des choses qu'on murmurait en ville, mais elles étaient souvent déformées, amplifiées ou au contraire réduites, tout dépendant de qui les racontait. Ces nobles semblaient s'être accordés sur une version de l'histoire, et ils faisaient assurément bloc derrière Tezza, bien qu'ils n'eussent aucune sympathie pour lui. Cependant, Orio intervint en sentant que la discussion dérivait vers des eaux troubles. Le comportement de leur congénère les rebutait, et il ne pouvait pas supporter une telle effronterie, ni d'être associé à son mépris pour la roture, lequel dégoulinait littéralement de sa personne. Son intervention, aussi futile que maladroite, n'arrêta pas le jeune nobliau dont la langue acérée semblait vouloir se frayer un chemin sous ce masque qui le scrutait, impassible.

A ses dernières paroles succédèrent un long silence, et tout le monde tourna son regard vers Schifo, qui demeura de marbre. Parfaitement immobile, sans qu'il fût possible de savoir si un souffle d'air s'engouffrait dans son corps. En vérité, son esprit réfléchissait profondément à la situation, l'analysait, la reconstituait. Les scènes décrites avec précision par Tezza prenaient forme, prenaient corps, et les images figées qu'il avait dépeintes se transformaient en pièces de théâtre représentant des scènes de vie quotidienne, au milieu desquelles une ombre noire carnassière faisait irruption pour y semer la mort et la désolation.

Le silence de Schifo dura. Longtemps. Très longtemps. Au point qu'une vague de malaise parcourut l'assemblée des nobles. Ils hésitaient tous quant à la marche à suivre. Certains se demandaient s'il fallait prendre la parole, dire quelque chose, essayer de convaincre à nouveau l'assassin qu'ils étaient dignes de l'employer – le concept en lui-même devait les hérisser, mais la vérité était qu'ils avaient besoin de lui. Toutefois, le discours de Tezza avait été clair, et bien qu'ils n'approuvassent pas sa façon de faire, ils devaient reconnaître que c'était bien ce qu'ils souhaitaient en fin de compte. La mise à mort de la bête, ni plus ni moins. Finalement, les termes du contrat étaient relativement simples à comprendre, et il n'était pas besoin de réfléchir si longtemps pour décider s'ils étaient acceptables ou non. Pourtant, la silhouette devant eux demeurait figée.

« Ils t'attendent, tu sais... »

Schifo n'esquissa pas un geste, mais revint à la réalité. Les gens qui l'entouraient cessèrent subitement d'être des poupées de chiffon manipulées par son esprit qui essayait de comprendre le mode d'action de la bête, mais bien des poupées de chair et d'os qui, vautrées sur leurs sièges, avaient le regard rivé sur ses yeux bleus dans l'attente d'une réponse. Elle finit par venir. Sous une forme qu'ils n'attendaient certainement pas.

Sans prévenir, Schifo se pencha sur le côté, et vomit une bile amère qui lui brûla l'œsophage. Il cracha sur le plancher, sans faire montre de la moindre considération pour la demeure de son hôte, lequel parut ne pas particulièrement apprécier l'attention. Il s'était levé, les poings serrés, prêt à exploser devant ce nouvel outrage qui ne faisait que l'humilier un peu plus. Un de ses compères avait dû le retenir par le bras pour l'empêcher de commettre un impair qui se serait révélé absolument désastreux. Se relevant tout en essuyant sa bouche invisible, la voix derrière le masque lança :

- Vous êtes à vomir. Littéralement.

Schifo se leva brusquement, faisant sursauter une partie des nobles présents. Il fallait dire que ce bond hors de son fauteuil avait de quoi déstabiliser. Ses pas le portèrent derrière ses hôtes, qui le suivirent du regard. Contrairement aux autres, Orio refusa de s'écarter, bien décidé à tenir bon face à cet hurluberlu qui ne méritait sans doute que d'être remis à sa place. Le masque leva les yeux vers lui, et posa une main sur la poitrine du noble, avant de le contourner d'un pas léger, sans même feindre de vouloir le repousser. Il y eut quelques soupirs de soulagement, et personne ne cacha sa satisfaction à voir que l'audace d'Orio ne lui avait pas coûté la vie. Il était apprécié par ses pairs, bien davantage que Tezza qui aurait pu être décapité sur place sans que cela leur eût tiré la moindre larme. La silhouette de Schifo s'arrêta devant une fenêtre, et observa au dehors en tirant négligemment sur un des rideaux. La rue, quelques hommes de la milice urbaine qui patrouillaient au loin, et globalement un calme étrange : celui d'une cité envahie, pillée, violée pour ainsi dire. Dur'Zork pansait ses blessures, lesquelles n'étaient pas seulement dans sa pierre, mais aussi dans son âme. Les mains gantées trouvèrent le mécanisme d'ouverture de la fenêtre, laquelle donnait sur une petite cour, un étage plus bas. De là, il n'y avait plus qu'à bondir par-dessus un muret pour se retrouver dans la rue, et s'éclipser discrètement dans le dédale que représentait la cité conquise. Une brise fraîche s'infiltra dans la pièce, apportant une douceur bienvenue.

- Vous êtes à vomir, et pourtant je vais travailler pour vous. Pas parce que vous le méritez vraiment, naturellement, mais parce qu'en dépit de votre arrogance suintante et du mépris qui transpire de votre personne, vous n'êtes pas capable de vous occuper de ce problème par vos propres moyens, tout comme vous n'êtes pas capable de trouver une femme qui saurait vous aimer, ce qui vous incite à dépenser votre argent pour en avoir plusieurs qui vous haïssent. Affligeant.

Schifo s'assit nonchalamment sur le rebord de la fenêtre, croisant les jambes dans le vide – sa taille modeste l'empêchant de toucher le sol – et reprit :

- Pour le paiement, ne vous inquiétez pas, j'ai déjà récupéré la moitié de la somme convenue. Vous devriez mieux cacher vos lettres de change, Sire Orio.

Ce dernier porta la main à sa poche pectorale, désormais vide. Le sourire de Schifo, avalé par son masque, fut clairement perceptible dans le ton de sa voix :

- C'est ainsi, j'aime prendre les devants, et je gage que vous auriez fait tout un fromage de cette lettre. Laissez-moi vérifier… oui, le montant est indiqué, et vous l'avez signée en avance. Parfait. Votre professionnalisme vous honore. Oh, une dernière chose…

Le masque pivota raidement vers Tezza, le défiant du regard :

- N'oubliez pas que les grands de ce monde cèdent à la honte. Les petits, comme vous, cèdent à la peur.

Tout le monde se tourna vers le noble, dont l'expression avait changée. Tout le monde manqua ainsi la sortie de Schifo, qui se laissa basculer en arrière dans le vide, disparaissant purement et simplement à leur vue. Cette ultime phrase pouvait être perçue comme une véritable menace personnelle… elle prenait d'autant plus de sens qu'elle n'avait pas été prononcée avec la voix de l'assassin. Son timbre était plus grave, plus rauque, plus rocailleux. Assurément, personne n'avait reconnu à qui elle appartenait.

Sauf Tezza.

C'était la voix de son garde du corps.


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