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Ryad Assad
Espion de Rhûn - Vicieux à ses heures perdues
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Ryad Assad

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Grains de Sang EmptySam 25 Juil 2020 - 23:56
Il confectionna son crachat avec grand soin, raclant patiemment chaque recoin de sa bouche, avant de projeter la masse visqueuse dans la direction opposée. Un gamin des rues qui passait par là le reçut en pleine tête, lâchant un glapissement effrayé avant de détaler comme une souris. L’homme eut un rire gras, et haussa les épaules :

- Coup de bol.

- N’est-ce pas.

#Arminka n’était pas d’humeur à faire la conversation, et son ton était encore plus sec que le cuir de sa tunique. Elle avait besoin de réponses, et n’entendait pas perdre un temps précieux à discuter avec un mercenaire local qui semblait davantage vouloir lui extorquer son or plutôt que de lui donner les informations qu’elle recherchait. Il la regarda de haut en bas, presque étonné par la confiance qu’elle dégageait, et poursuivit :

- Donc je répète… une place pour un combat dans l’arène, ce soir, sous les yeux du gouverneur ? C’est que c’est une belle occasion de se faire connaître, mais aussi un bon moyen de mourir en beauté. Je sais pas qui est le champion que tu veux engager, mais j’espère qu’il sera à la hauteur. J’ai déjà vu l’Armoire en duel, et je peux te dire que ce n’est pas un tendre. Il combat pour entrer dans la légende, son centième combat sans défaite. Le type a tout gagné, même sa liberté, et la femme de son ancien maître : tu y crois ça ? C’est que c’est un combat de prestige, tu comprends, et on se bouscule pour l’affronter et essayer de briser son record de victoires.

Elle leva les yeux au ciel, devant cette pathétique technique de vente. Arminka connaissait la vérité. Si « l’Armoire » était effectivement un combattant renommé, il n’y avait qu’une poignée de fous qui osaient entrer dans l’arène contre lui aujourd’hui. Les parieurs avaient besoin de le faire combattre, mais ne trouvaient plus d’adversaires à la hauteur, ou suffisamment fous pour le défier. Or, si un combattant seul debout pouvait se targuer d’avoir remporté une bataille ou un duel, il ne représentait rien d’intéressant pour un investisseur. L’Armoire était en fin de carrière, et ce fameux centième combat était un moyen d’arracher quelques pièces à sa carcasse avant de le laisser prendre une retraite bien méritée.

On le ferait peut-être sortir de l’anonymat encore une fois avant la fin, quand il serait vieux et abîmé, et qu’on voudrait voir si la bête avait encore ses réflexes d’antan. Elle les aurait perdus depuis longtemps, et la mise à mort serait aussi lente que brutale. Une fin indigne d’un grand champion, mais qui lui permettrait d’assurer une vie confortable à ses enfants et ses petits-enfants. Ce destin tragique n’émouvait pas Arminka le moins du monde, et elle se contenta de rétorquer sur un ton calme :

- Je sais bien que personne ne veut entrer dans l’arène contre l’Armoire. Je sais qu’il n’y aura pas plus de deux ou trois combattants qui se porteront volontaires pour ce défi. Essayer de faire monter les prix n’y changera rien, alors voici ma proposition. Mille pièces, voilà qui devrait être bien assez pour que vous ajoutiez un combattant à la liste. Si vous refusez, je n’aurai qu’à aller voir une personne avec davantage de bon sens, qui saura ouvrir les bonnes portes et parler aux bonnes personnes.

L’homme ne mit pas longtemps à changer d’avis.

- Bon, bon, faisons comme ça… Mille pièces, c’est très bien. C’est votre gars qui va entrer dans l’arène après tout, pas moi. Vous avez les mille pièces sur vous ?

- Vous croyez que je vais vous faire confiance aussi facilement ?

Elle opposa un regard glacé au sourire goguenard qu’il lui rendit :

- Ha, ça non, vous êtes une drôle de bonne femme, mais pas une sotte, ça c’est sûr. J’ai au moins besoin d’un nom, pour vous inscrire. C’est quoi son surnom à votre champion ? S’il en a pas, je peux vous en conseiller quelques uns. Le Frappeur, ça marche toujours bien, le public aime assez. Il y a eu un certain nombre de « Frappeurs » qui s’en sont bien sortis à Kryam. Sinon, on peut l’appeler l’Impitoyable. C’est un peu classique, mais ces derniers temps les jeunes combattants ont des noms exotiques, ou des noms d’animaux. C’est à la mode. Là votre champion se rappellera au bon souvenir des connaisseurs.

- Arminka, ça ira très bien.

Le Khandéen fronça légèrement les sourcils. Arminka ? Drôle de nom, qui ne faisait pas très local, et encore moins effrayant. Il se frotta le menton, et répéta le nom deux ou trois fois, comme pour vérifier s’il roulait bien sur la langue.

- Arminka… Arminka… C’est un choix curieux, mais osé… Et puis le fait qu’il n’y ait pas de surnom impressionnant, c’est aussi… bah… impressionnant, quoi. Arminka… Oui, ça sonne pas si mal après tout. J’imagine qu’un colosse avec un nom pareil doit être sacrément costaud. Hâte de voir votre champion arriver : dites-lui de se pointer ce soir, deux heures avant le coucher du soleil, avec le paiement. On réglera tous les détails à ce moment-là, on fera les inscriptions, le petit examen médical habituel, juste histoire de s’assurer qu’il n’entre pas dans l’arène déjà blessé, et puis ensuite on le laissera se mettre dans sa bulle. Ça vous convient ?

- Parfait. A ce soir.

Il ne comprit pas l’allusion, et lui répondit « adieu » sur un ton enjoué, content à l’idée de gagner mille pièces d’or. C’était inespéré dans ces circonstances, mais il ne cracherait pas dessus, pour sûr. Les temps étaient durs à Kryam, et il fallait bien vivre.


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Grains de Sang EmptyLun 27 Juil 2020 - 10:04
Il était effectivement très grand.

Une montagne de muscles, venue de l’Extrême-Harad, probablement réduit en esclavage chez les Suderons, avant d’être vendu aux Khandéens, qui l’avaient envoyé à Kryam pour en faire un investissement lucratif. L’Armoire avait rapporté plus d’or qu’il était permis de l’espérer à ses maîtres, mais il n’avait rien perdu de son aura impressionnante. Ce titan à la peau sombre était équipé d’une lourde cuirasse, de jambières épaisses, et de brassards d’acier qui auraient pu servir de targe à un homme de taille normale. Il avait un cou de taureau, les trapèzes saillants, et le regard féroce.

C’était tout du moins l’expression qu’il affichait quand Arminka vint le déranger.

- Qu’est-ce que tu me veux ? Fit-il de sa grosse voix de stentor. Je n’aime pas qu’on me dérange avant un combat, tu devrais le savoir.

La jeune femme hocha la tête, et s’avança de quelques pas, comme pour marquer le fait qu’elle n’était pas effrayée. Le géant parut surpris. Peut-être parce qu’il n’était pas courant de voir des servantes venir ainsi importuner les champions avant le moment crucial d’entrer dans l’arène. Peut-être parce que cette servante était habillée en tenue de combattante, et qu’elle tenait sous son bras un heaume de guerre à large cimier. Il nota immédiatement sa démarche assurée, son port altier, ainsi que les deux lames qu’elle portait à la ceinture. Une épée et un long poignard. Un choix qui correspondait parfaitement à son gabarit modeste. Elle lui répondit avec un accent étranger, qu’il identifia immédiatement comme venant du Rhûn, pour avoir déjà combattu ses compatriotes auparavant.

- Je connais votre réputation, en effet. Je ne suis pas là pour vous importuner longtemps, je souhaiterais seulement récupérer votre épée.

- Mon épée ?

Il se mit à rire franchement.

- Mon épée, tu dis ? Ce vieux bout de ferraille ? Tiens, prends-le, si tu arrives à le soulever.

Il s’empara de la lourde lame posée sur la table à ses côtés, et la jeta à ses pieds. L’arme tomba sur le sol avec fracas, et l’écho de ses rebonds alla se répéter sur les murs de pierre qui les enfermaient dans les sous-sols de l’arène. Arminka ne fit pas un geste, mais ajouta :

- Vous savez très bien de quelle épée je parle.

L’Armoire fronça les sourcils. Cette femme était au courant de choses qu’elle n’aurait pas dû connaître. De tous les objets et trophées qu’il avait pu gagner au cours de sa longue carrière de gladiateur à Kryam, l’Armoire avait gagné son lot d’épées. Le plus souvent, il réclamait les armes du vaincu quand celui-ci s’était battu vaillamment, mais il lui était arrivé également d’en obtenir en récompense par des parieurs heureux d’avoir dépouillé leur rival de toujours. C’étaient pour la plupart de belles lames, légères, effilées, qui valaient sans doute très cher. Il aurait pu lui en présenter tout un râtelier. Pourtant, elle savait qu’il savait à quelle lame elle faisait référence.

Lasgarnë. La Feuille Écarlate.

- Je n’ai pas de temps à perdre. Rentre chez toi.

- Je sais qu’elle est en votre possession. Je veux simplement la récupérer, et nous en resterons là.

Pour une femme de sa stature, elle ne se démontait pas facilement, l’Armoire devait bien le reconnaître. Il l’observa de la tête aux pieds, convaincu qu’il pouvait l’écraser dans la paume de sa main sans le moindre effort. Elle était un moucheron à ses yeux, et il n’avait rien à craindre d’elle. Cependant, il était intrigué par son insistance, sa détermination, et les efforts qu’elle avait consentis pour arriver jusqu’à lui et pouvoir lui parler. A en juger par sa tenue, elle s’était fait passer pour un gladiateur, ce qui avait dû susciter un certain nombre d’interrogations.

- Tu crois que tu m’impressionnes ? Rentre chez toi, petite, et oublie ces histoires.

- Je ne repartirai pas avant d’avoir obtenu cette épée.

Il fronça les sourcils et baissa la tête, comme s’il allait soudainement charger et l’écraser contre le mur, mais sa réaction fut en réalité bien différente. Un grand éclat de rire quitta sa gorge, et il se frappa lourdement la cuisse à plusieurs reprises. Il y avait bien longtemps qu’il n’avait pas ri ainsi avant le début d’un combat. Il devait prendre garde de ne pas être totalement déconcentré.

- Si tu continues, fit-il, tu ne repartiras pas du tout. Si ce n’est pas moi qui te casse en deux, on risque de te prendre pour une combattante et de t’envoyer dans la fosse avec les autres. Dégage pendant qu’il en est encore temps.

Cette fois, Arminka conserva le silence. Elle s’absorba dans ses pensées, contemplant de toute évidence ses options. L’Armoire l’observait attentivement, amusé autant qu’il était agacé par ce petit jeu. Il se demandait ce qu’elle allait tenter, désormais.

- Je vous propose un marché, lâcha-t-elle finalement. Entrez dans l’arène avec l’épée, et affrontez-moi. Si vous l’apportez, je vous laisserai la vie sauve.

Le colosse rit de nouveau. Cette femme était incroyable.

- Et si je gagne, qu’est-ce que j’obtiens ?

Elle eut pour la première fois un sourire, qui s’avéra être franchement inquiétant. Elle dégageait une telle confiance en elle qu’il était permis de se demander si elle n’était pas tout simplement folle. Comment, face au champion incontesté des arènes de Kryam, pouvait-elle rester de marbre ? D’une voix qui ressemblait à un feulement, elle répondit :

- Oh, mais vous ne gagnerez pas.

Sans rien ajouter, elle tourna les talons et s’éloigna en direction des grandes portes de l’arène. Une trompette sonna dans le lointain, et tout à coup l’édifice se mit à trembler. Les milliers de spectateurs tapaient du pied et donnaient de la voix pour appeler leurs champions à se masser. Ce combat épique avait attiré du monde, notamment certains hauts dignitaires de la société de Kryam, qui avaient l’intention de gagner beaucoup d’argent dans ces paris. L’Armoire ne tarda pas à voir passer les trois autres combattants. C’était un rituel. Ils devaient passer devant la salle où il méditait avant de rejoindre l’arène, pour voir dans les yeux leur bourreau avant de le combattre. Tous des guerriers, l’un portant une hache, l’autre un large cimeterre, et le troisième une masse d’armes qu’il semblait manier à une main, puisque dans l’autre il tenait un bouclier.

Non vraiment, elle était folle…


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Grains de Sang EmptySam 12 Sep 2020 - 21:56
L’Armoire ne put s’empêcher de faire une entorse à son règlement personnel. En tant que champion de Kryam, il était le clou de la soirée, l’attraction principale, et les différents prétendants se battaient pour avoir l’honneur de l’affronter. Ils se départageaient au cours d’un combat d’une violence sans nom, où le dernier homme debout obtenait le droit de lutter contre le détenteur du titre. Les duels étaient le plus souvent des combats à mort, car la foule locale aimait le sang. L’Armoire faisait alors son entrée dans l’arène, et achevait le vainqueur qui avait déjà largement souffert pour en arriver là. Il lui laissait le plus souvent la vie sauve quand il s’agissait d’un combattant expérimenté, ou un de ceux qui avaient une belle carrière devant eux. Les gladiateurs n’étaient pas des monstres entre eux, et l’Armoire n’avait plus rien à prouver depuis fort longtemps.

Cependant, il s’astreignait généralement à ne pas observer les combats à l’avance, pour ne pas se laisser influencer et déconcentrer. Il aimait méditer, ne faire qu’un avec son corps, pour ensuite déverser toute sa puissance sur le sable chaud de l’arène principale. Cette fois, cependant, il voulut assister à l’entrée des combattants. L’annonceur, qui s’époumonait pour se faire entendre par-dessus le brouhaha de la foule, présentait les combattants un à un. L’Armoire ne parvenait pas à détourner le regard de cette silhouette chétive, protégée au torse, aux jambes et aux poignets, la tête surmontée de ce même heaume qu’elle arborait quand ils s’étaient croisés.

- Tu connais la gamine ? Fit l’Armoire à son entraîneur, un expert de la guerre.

- Non, apparemment elle a été pistonnée pour entrer dans l’arène. A croire qu’il y en a qui veulent mourir plus vite que les autres. On m’a dit qu’elle se faisait appeler Arminka.

L’Armoire hocha la tête, observant la guerrière avec attention. Elle portait un large bouclier, presque aussi haut qu’elle, et une lance à la hampe solide. Ses deux lames l’accompagnaient fidèlement, pour l’accompagner au corps à corps si jamais elle devait défendre chèrement sa vie. Les chances de la voir réchapper de ce duel à quatre étaient extrêmement minces, mais elle avait montré tant d’aplomb qu’il était difficile de ne pas vouloir en savoir davantage. Hélas, l’Armoire voyait mal de loin, et il dut se reposer sur son entraîneur pour lui raconter le duel. La dernière image qu’il eut d’Arminka fut sa petite foulée quand elle entra dans l’arène sous les applaudissements nourris de la foule compacte.

- Concentre-toi sur la petite. Raconte-moi ce que tu vois.

- Très bien… Là ils saluent la foule et les dirigeants… Je peux te dire que c’est sa première fois dans une arène, elle a l’air un peu paumée la pauvre. C’est pas une place pour les enfants ici.

Il eut un rire sec, mais l’Armoire était étrangement concentré. C’était l’heure de vérité désormais : il allait savoir ce que cette petite avait dans le ventre. Un nouveau coup de trompette fut donné, et la foule s’embrasa comme si elle avait été un fétu de paille brusquement immolé.

- Oh, eh bien ça commence très fort ! Ses deux voisins se sont jetés sur elle, sans doute pour l’éliminer rapidement et ensuite se concentrer sur le troisième larron, qui a l’air plus dangereux. C’est bien pensé, il vaut mieux s’en prendre aux plus faibles dès le départ.

Le public se mit soudainement à crier de joie et à applaudir, ce qui laissa penser à l’Armoire qu’Arminka venait de rendre son dernier soupir.

- Oh non, elle est toujours debout, et elle se bat bien. Elle vient se désarmer le type à la hache, et de l’envoyer dans les cordes avec son bouclier. Vraiment elle a une jolie technique, de bons déplacements, une excellente gestion de la distance. Elle se sert de sa lance pour les menacer de loin, et quand ils essaient d’approcher, elle utiliser le bouclier pour se glisser au plus près et exploiter sa petite taille. Elle a un style très académique, on dirait une militaire entraînée, c’est superbe, et oh ! Le premier sang est pour elle !

Il y eut des vivats, et l’Armoire ne put s’empêcher de demander des détails :

- Elle a touché celui à la masse d’arme en pleine gorge. C’est une blessure superficielle, elle n’a fait que l’érafler, mais il saigne bien. Par contre ça va devenir compliqué si celui au cimeterre s’approche aussi. A trois contre un, j’ai peur qu’elle se retrouve en difficulté… Hm… Hm…

- Allez, raconte bon sang, j’ai envie de savoir.

L’entraîneur s’excusa. Il était de toute évidence captivé par le duel. De là où ils se trouvaient, ils percevaient distinctement le choc des armes, que même l’entièreté de la ville de Kryam criant à l’unisson n’aurait pas pu couvrir.

- Elle m’impressionne, ta gamine. Pas une éraflure pour le moment, et elle leur mène la vie dure aux trois. J’ai rarement vu quelqu’un se servir aussi bien de son bouclier. Allez gamine, il faut que tu en blesses un pour t’en tirer. Allez ! Et… non !? Tu te fous de moi !?

- Quoi ? Elle est morte ?

L’entraîneur fit « non » de la tête :

- Elle a lâché son bouclier, et s’est emparée de sa lance à deux mains. C’est audacieux, mais ça a l’air de payer pour le moment ! Elle vient déjà d’en mettre un par terre, et oh ! Voilà le deuxième qui a pris un sacré coup sur le casque. Ah, quelle entrée en matière ! Tu verrais la foule, ça faisait bien longtemps que je ne l’avais pas vue comme ça.

Les vivats commençaient à descendre des gradins. Les connaisseurs comme les novices s’enthousiasmaient pour ce combat inégal, à trois contre une, et pour la résistance farouche qu’opposait la plus petite des trois. Il était bien naturel pour les spectateurs d’un tel duel de se ranger du côté du plus faible. Pour avoir le loisir de vibrer, le plaisir de frissonner et de croire en l’impossible pendant un bref instant. Or, à chaque coup qu’esquivait la frêle brindille battue par les vents, à chaque coup de roseau qu’elle assénait aux vieux cèdres qui la menaçaient, elle ouvrait un peu plus grande la porte des possibles. Qui aurait pu parier sur elle, inconnue et nouvelle dans l’arène ?

Quelques fous, sans doute.

Quelques fous qui commençaient à apercevoir les contours de la richesse.

- Bon sang, par Melkor ! C’est fini.

L’Armoire sursauta en entendant ces paroles, incapable de cacher son étonnement. Il attrapa son entraîneur par le bras, en le serrant plus fort que de raison. De sa grosse voix d’ours, il se mit à gronder :

- Fini ? Comment ça, « fini » ? Elle a gagné ? Elle est morte ? Explique donc !


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Grains de Sang EmptyJeu 24 Sep 2020 - 13:14
Ses doigts tremblaient autour du manche de sa sublime épée.

Lasgarnë.

La lame superbe était décorée d’une multitude de décorations finement ciselées, des nervures et de fins entrelacs qui figuraient des motifs floraux délicats et raffinés. Il était difficile d’imaginer qu’un tel objet d’art eût pour fonction de donner la mort, tant il était beau. Pourtant, Lasgarnë n’était pas de ces jouets que l’on passait à la ceinture en guise de décoration ou de parure. Elle était faite d’un acier si tranchant qu’on disait l’arme capable de couper un homme en deux d’un seul revers. L’Armoire avait eu l’occasion de vérifier cette théorie une fois.

Il n’aurait pas l’occasion de l’observer à nouveau.

Le sang qui coulait de ses lèvres éclatées dégoulinait sur son menton couturé de cicatrices, avant de venir s’écraser sur le sable de l’arène, chauffé par le soleil qui s’était écrasé de tout son poids sur l’enceinte toute la journée durant, et qui leur épargnait de plus en plus ses rayons mortels à mesure qu’il basculait vers l’horizon. Il cracha sur le côté, essayant de retrouver son souffle et ses esprits. Il avait depuis longtemps perdu le reste : sa hache s’était égarée quelque part dans son dos, et s’il apercevait encore son bouclier renversé, il se trouvait hors de portée. Non, il était seul et cruellement désarmé, si ce n’était pour l’épée elfique qu’il serrait de toutes ses maigres forces.

Tête basse, il capta l’ombre démesurée qui s’approchait de lui à pas lents.

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Il leva les yeux péniblement, et pendant un instant il lui fallut plisser les paupières pour ne pas être aveuglé par le soleil rasant qui enveloppait les épaules de son bourreau. Une lueur étrange passa dans le regard du géant, accompagnée d’un grand froid qui l’envahit soudainement. Il reconnut cette émotion comme si elle l’avait frappée de plein fouet en pleine figure. C’était la peur. Non pas la peur primaire, celle qui amenait un guerrier à se surpasser, à triompher de l’adversité quand la mort fonçait droit sur lui, inarrêtable. Plutôt une crainte admirative et respectueuse, qui le réduisait au silence. Il avait toujours su qu’il n’était pas le meilleur combattant de Kryam, mais sans nul doute le plus féroce et le plus déterminé. C’était cela qui lui avait permis de remporter la victoire. Ici, les pieds dans le sable et la tête bourdonnant des cris de la foule enragée, ce n’était pas la maîtrise de l’épée qui comptait.

C’était du moins ce qu’il croyait.

La femme lui avait donné tort, sur tous les points. Elle maîtrisait mieux l’épée que lui, assurément, mais surtout elle était à n’en pas douter la guerrière la plus acharnée, la plus violente et la plus impitoyable qu’il avait eu l’occasion de croiser. Un véritable animal dressé pour le combat, qui prenait l’apparence d’une innocence jeune femme pour mieux séduire sa proie. Il n’avait fait qu’entrevoir la bête, mais en cet instant il craignait plus que tout de voir ce qui se cachait sous ce masque de chair humaine qui lui servait de visage.

- Êtes-vous Lanko ? La Déesse de la Chasse Éternelle ?

Elle fit « non » de la tête, et d’un revers de sabre lui trancha la main qui tenait son arme. Il lâcha un cri de douleur qui résonna dans le silence de l’arène de Kryam. Le public s’était tu, abasourdi par la performance. Personne ne pouvait décemment se réjouir de la chute d’un grand champion, a fortiori quand son avenir était désormais condamné. Privé de sa main, il ne pourrait plus rien faire d’autre que d’assister aux combats depuis les gradins. La carrière de l’Armoire venait de s’achever, ici même. Quant à la guerrière qui venait de le mettre à terre, elle se contenta de se pencher pour récupérer l’arme, prenant soin de la détacher de la main qui y était toujours fermement agrippée.

- Comme promis, je te laisse la vie. Merci d’avoir apporté l’épée.

Triomphante, elle leva les deux lames au-dessus de sa tête, et la foule poussa un rugissement de plaisir en scandant son nom. De toutes les travées, des applaudissement nourris descendaient, tantôt dépités quand les parieurs venaient de perdre leur investissement, tantôt survoltés quand certains qui avaient la folie de parier sur elle venaient de remporter une fortune. La vie de Kryam avait ses charmes, et la fête serait belle pour certains ce soir.

Arminka ne s’attarderait pas en ville inutilement. Elle avait ce qu’elle était venue chercher, et il ne lui restait aucune raison particulière de prolonger son séjour au Khand désormais. La suite de sa mission l’attendait.


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