[Amon Delen]Un peu de poulet pour les officiers

Rien ne semblait distinguer le petit village d'Amon Delen de la dizaine d'autres villages équivalents réparti au nord du Rhudaur. Pauvre, isolé mais bien barricadé, il était surtout rarement sujet à des visites. Pourtant, cela faisait trois fois en quelques mois que des visiteurs étrangers y passaient.

Il y avait d'abord eu ce régiment, des gens pressés et désagréables. Puis cette petite équipe de secours, à peine plus sympathiques… enfin, ce groupe…enfin cette armée. Pipo ne les avait pas comptés mais ils étaient plusieurs milliers. Heureusement ils avaient amené leur nourriture. D'autant qu'un deuxième groupe presqu'aussi nombreux avait fini par les rejoindre. Le village était devenu trop petit pour accueillir tout le monde et un camp avait été dressé autour de la ville. Les soldats avaient construit une seconde rangée de barricades tout autour de leurs baraquements. Seuls les officiers avaient pris leurs quartiers au cœur même du village. On leur avait libéré quelques maisons pour qu'ils puissent dormir de façon plus ou moins confortable. Cela ne plaisait pas tellement aux habitants concernés mais dans un sens, cela éloignait les gobelins.


Pipo s'approcha de la table où s'étaient attablés les deux officiers en chef. Ils avaient demandé qu'on leur prépare à manger, ils paieraient qu'ils disaient. Pipo avait dressé une table façon taverne mais dans sa modeste chaumière et il avait tué un poulet pour leur servir.

Le premier des deux hommes, celui qui était arrivé avec la première armée, était grand et sec. Il portait une queue de cheval grisonnante. L'autre était à peine plus petit mais se distinguait par une longue barbe grise.


“Aldarion est un peu coincé, il ne veut pas prendre le risque d'encore de deforcer le royaume en envoyant ses troupes au loin. Dans le même temps il ne veut pas donner l'image d'un souverain attentiste incapable d'aider ses alliés.”

C'était celui à la queue de cheval qui parlait. Pipo faisait semblant de s'occuper de son feu mais écoutait attentivement.

“Estef, je sais tout cela…nous en avons parlé à Annuminas cet été.”, avait grogné l'homme barbu.


Le dénommé Estef avait répondu par un léger sourire.


“Oui, Fein, mais ce qui a changé c'est que nous avons trouvé un moyen d'agir.”

L'autre s'était redressé sur son siège, soudain intéressé. Estef avait sorti une longue pipe de son manteau. D'un mouvement de tête il avait requis l’approbation de Pipo avant de l'allumer. Le villageois avait approuvé silencieusement, profitant de l'occasion pour s'approcher en déposant un petit pot faisant office de cendrier.

“Mes hommes ont repéré des mouvements importants au niveau du Mont Gram. Nous avons la confirmation qu'une armée importante doit rejoindre Gundabad et se mêler à la lutte en cours. Cela serait catastrophique pour nos alliés.”

Fein avait sorti une pipe à son tour. Elle était faite d'un bois noueux. Il dégagea une bague de tabac de son épais manteau de cuir.

“Je vous vois venir. Cependant je ne vois pas en quoi une attaque frontale des soldats du Mont Gram serait moins coûteuses en hommes que de se rendre à Gundabad.”
“Parce que nous allons les piéger..Nous allons leur tendre une embuscade.”

Il déroula une carte de la région et pointa un col dans la chaîne de montagne qui séparait l'Arnor de l'Angmar.

“C'est ce qui semble, aujourd'hui, constituer la frontière entre la zone d'influence des Mont Gram et de Gundabad. C'est aussi un des seuls endroits où les renforts gobelins vont devoir traverser à découvert pour rejoindre le réseau de Gundabad.”

Fein acquiesça. Pipo s'approcha derrière eux pour reprendre leurs assiettes.

“Si nous les attaquons là, suffisamment loin de leur lieu d'émergence…”, reprit Fein.
“Ils auront le choix entre un combat hasardeux en espérant être passés avant l'aube… ou une retraite disciplinée. Or, nous connaissons leur sens de la discipline. Il y a de grandes chances que même au sein de l'armée, l'option à privilégier ne soit pas suivie unanimement.”, continua Estef.

Fein tapa du poing sur la table.

“C'est un bon plan ! Vous en avez référé au Roi ?”

Estef agita un petit papier qu'il venait de sortir d'une de ses poches.

“J'ai reçu son accord par pigeon ce matin même.”

Les pigeons voyageurs pouvaient parcourir plus de mille kilomètres par jour ce qui, via un système de relais, constituait souvent le moyen de communication le plus rapide.

Les deux hommes se levèrent, leur conversation était terminée et il ne leur restait plus qu'à mettre leur plan à exécution.

Pipo restait avec la vaisselle mais aussi beaucoup de précieuses informations.