Occultant l’agitation extérieure, la guérisseuse examina son patient. Les blessures du garde étaient très sérieuses et Aelyn s’en inquiéta. Le foie semblait touché et saigné abondement. Elle craignait également que l’estomac ne fût ouvert et que les sucs gastriques ne mettent pas longtemps à se répandre dans l’organisme. L’abdomen du blessé, plus dur que la normal l’informa que l’hémorragie était aussi bien interne qu’externe. Du sang noirâtre coulait de la commissure de ses lèvres alors qu’il était pris de quintes de toux déchirantes, l’affaiblissant un peu plus. Cependant, par un miracle aussi inattendu que salutaire, ni l'aorte abdominale ni la veine cave inférieur n’avaient été touchées. Le cas échéant aurait condamné le courageux rohirrim en quelques minutes seulement, sans qu’elle puisse rien y faire. Sans doute pouvait-il être considéré comme chanceux malgré son état…
« Tenez bon surtout… Ne vous endormez pas ! » l’encouragea-t-elle d’une voix douce.
Il avait besoin de soin très rapidement. Elle commença à extirper de son sac de longues bandes de tissus mais l’appel de sa tante la stoppa un instant.
"Aelyn, viens vite, je n'y arriverai pas seule !"La guérisseuse émit un gémissement entre la frustration et la panique. Si Elwyn ne pouvait gérer la jeune elfe seule et qu’elle-même ne pouvait pas s’occuper du rohirrim, l’un des deux patients allaient mourir. Et cela était inenvisageable. Elle se le refusait !
Prenant à peine le temps de réfléchir, Aelyn saisit assez violement l’épaule d’
Ariane, accroupit à ses côtés.
« Vous y connaissez-vous un peu en soins ? » interrogea-t-elle, pressée par l’urgence.
La surprise passa d’abord sur le visage de l’éleveuse mais, dès qu’Aelyn détecta le premier signe acquiescement, celle-ci la relâcha immédiatement. Elle fini d’extraire le tissu de son sac et le plaça d’autorité dans les mains l’autre jeune femme. Elle parla très vite.
« Placez ça dans sa blessure, des deux côtés, ça jugulera un peu l’hémorragie et absorbera le sang qui ne sort pas. Inutile de s’occuper de ses blessures mineures, bandez lui juste sommairement le bras pour éviter qu’il ne perde plus de sang encore. Débarrassez-le de son armure et de son casque, coupez les liens avec ça » Elle attrapa la dague qui pendait à son côté et la plaça au dessus de la pile de tissus.
« …et ne faites pas dans le détail. Une armure n’est rien face à la vie d’un homme. » elle s’interrompit un instant pour reprendre son souffle avant de continuer, plus rapide encore
« Quand ce sera fait, mettez-le sur plusieurs boucliers et faites-le porter à l’intérieur par les plus valide qui sont ici. Bougez-le le moins possible, le moindre choc pourrait le tuer… » elle finit en se levant
« Et continuez à lui parler surtout. Toujours ! Il ne doit surtout pas tomber dans l’inconscience avant d’être à l’intérieur. »Puis, sans plus attendre, Aelyn se précipita dans la chaumière de sa tante… juste à temps pour entendre la supplique d’Edor. Cette simple phrase suffit à faire comprendre à la jeune femme l’importance de l’elfe blessée. En quoi elle était importante, ça elle l’ignorait. Mais de sa vie ou de sa mort dépendrait beaucoup de choses, elle en était intimement persuadée. Sa tante acquieça de la tête sans rien dire. Elle pouvait faire de son mieux pour sauver sa patiente mais sa guérison ne dépendrait que de celle-ci.
L’intérieur de la maisonnée était en effervescence. Près de la cheminée, Elda expliquait à Eoras la température à laquelle devait être l’eau dans les deux récipients qui chauffaient au dessus du feu. Le maître-palefrenier, ne pouvant se déplacer avec efficacité en raison de ses côtes fêlées, avait été désigné pour surveiller le feu et ce qui s’y trouvait à proximité. Elwyn engagea Edor à transporter la grande bassine d’eau chaude entre les deux tables.
Ses deux garçons, malgré les recommandations, étaient descendus prêter main forte. Ils étaient habitués au sang et aux sales blessures. Plus d’un fois, à Aldburg, on lui avait amené un paysan ou un soldat salement amoché sans se soucier de la présence de ses enfants à ses côtés… Mais Aelyn n’aimait pas qu’ils voient ça. Efficacement, Eogast recouvrait le sol de sable, autour des paillasses de fortune, pour éviter que les guérisseuses ne glissent sur le sang frais qui ne manquerait pas de maculer leur périmètre d’action. Eofyr, les bras chargés d’instruments, faisaient des aller et retour entre la salle de soin d’Elwyn et la salle principale de la maison transformée en salle d’opération d’urgence.
« Je suis là Tante Elwyn ! Elda, il va bientôt y avoir un autre patient, il fait une hémorragie interne et son estomac est perforé. Tu nettoieras sa plaie des deux côtés avec la jeune femme, il faut que je puisse voir ce que je ferais le plus possible ! Tout le sang qu’il a déjà perdu risque de réduire ma visibilité ! » La jeune femme d’Aldburg se dirigea donc d’un pas rapide vers sa tante et l’elfe allongée. Certaines de ses plaies saignaient de nouveau abondement. Peut-être cela aurait été une bonne chose si la situation l’avait permit car le sang ferait s’écouler les agents infectieux dont la longue chevauchée avait dû permettre l’installation. Elwyn lui fit un récapitulatif des blessures de Marionel tandis que sa nièce se lavait rapidement les mains, puis elle prit la parole en se mettant à l’ouvrage à l’aide d’aiguilles et de fils médicaux. La jeune immortelle étant dans une profonde inconscience, il était inutile de perdre de précieuses secondes à la plonger dans un sommeil artificiel.
« Je ligature les vaisseaux des plaies qui sont de mon côté, je n’aurais qu’à me retourner pour m’occuper du garde. J’ai une minute tout au plus, voir deux, ce sera suffisant ! » décréta-t-elle, comme pour se persuader elle-même.
« Tu n’auras pas besoin de moi pour recoudre les muscles et la peau n’est-ce pas ? »« Je m’en débrouillerais à ce moment-là, ne t’inquiètes pas. » la rassura sa tante.
« Il va falloir gratter une partie de la chair infectée je le crains… »L’expérience conjuguée des deux guérisseuses et leur capacité à travailler efficacement de concert firent des merveilles. Le résultat fut rapide et propre. Les dangereux saignements stoppèrent progressivement. Juste à temps car les soldats passèrent enfin la porte. Rimbold, pâle comme une statue de cire, était allongé sur un brancard de fortune. Elda se précipita pour aider à l’installer sur la plus large des tables, et, un linge propre dans chaque main, expliqua la procédure à
Ariane.
Aelyn sentit ses genoux trembler. La fatigue du voyage, de la nuit avancée et le contrecoup de tous les évènements qui s’étaient succédés commencèrent à se faire sentir. Ce n’était pourtant pas le moment de lâcher. La vie d’un homme était entre ses mains maintenant. Elle s’appuya lourdement contre le bord du meuble qui soutenait l’elfe et inspira un grand coup. L’odeur du sang et des huiles essentielles désinfectantes qui avaient été mélangée à l’eau lui emplirent les narines. Elle finit sa dernière ligature, coupa le dernier fil et vérifia la propreté de la dernière plaie avant de laisser les rênes à sa tante. Elwyn entreprit donc de rassembler les chairs ensemble avec précision. Marionel était hors de danger pour le moment. Le temps venu, quand plus personne ne sera en danger de mort imminente dans la bâtisse, les deux guérisseuses s’occuperaient des détails de sa guérison. Pour l’instant, elle était allongée inconsciente sur un vieux drap tâché et, malgré la fièvre, la vie revenait en elle peu à peu. Quelques couleurs revinrent sur son front et ses lèvres. Elwyn, sans quitter son travail des yeux, s'adressa à Edor :
« Elle va vivre. »La plus jeune des guérisseuses se tourna alors vers son second patient. Le sable crissa sous ses pieds. La nuit était loin d’être finie…
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