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Sujet: L'intrigue du sage, de la Dame et des aigles
Ryad Assad

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Rechercher dans: Fondcombe   Tag luin sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: L'intrigue du sage, de la Dame et des aigles    Tag luin sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyLun 8 Aoû 2016 - 1:10
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Qui était Luin ?

Personne, assurément. Elle n'était qu'une lame argentée mise au service d'une cause qui ne lui appartenait pas, et pour laquelle elle avait néanmoins fait le serment de donner sa vie. Une lame dont le nom s'envolerait dans l'oubli quand elle quitterait la Terre du Milieu, un jour. Elle était aussi froide que l'acier qu'elle maniait, et rien ne semblait pouvoir adoucir la souffrance de son cœur perpétuellement étreint par la mélancolie. Elle était une âme égarée ici, errant sans autre but que celui qu'on lui confierait, attendant patiemment d'être invitée à rejoindre les Cavernes de Mandos. L'appel de Dame Tatië n'avait donc rien de surprenant pour elle, et à dire vrai la guerrière ne se sentit pas particulièrement choquée d'être convoquée ainsi. Même si la Dame n'était pas une militaire, elle avait l'autorité pour la faire venir où bon lui semblait, même si cela impliquait de la conduire face à un danger mortel. Le pion sur l'échiquier allait là où on avait le plus besoin de lui, avançant en ligne droite sans se préoccuper de ses camarades qui tombaient à ses côtés, et qui ne connaîtraient jamais qu'un repos éternel nimbé de ténèbres. Tout pour défendre le Roi et la Reine qui se tenaient derrière, immobiles et sages, mais ô combien importants. Ces derniers étaient là, face à elle, déposant un regard profond sur leur invitée.

- Ma Dame, répondit-elle sans joie à l'accueil pourtant chaleureux de la vénérable venue de Valinor.

Elle économisait ses mots, détestant parler autant qu'elle détestait s'entendre parler. Elle s'était inclinée de nouveau, sans manifester autre chose qu'une profonde servilité qui confinait à la servitude. La grande Dame, belle et gracieuse dans ses robes superbes, semblait vouloir se pencher jusqu'à approcher cette Elfe du commun, anonyme. Luin, mal à l'aise, ne pouvait que s'écarter de cette tentative d'établir le contact, se rétractant instinctivement comme si elle se sentait agressée dans son dernier cercle, celui où la noblesse de son peuple n'avait pas à se trouver, celui où la souillure dont elle était couverte ne risquerait pas de les éclabousser. Un léger sentiment d'incompréhension teinté de crainte s'empara d'elle, et Tatië eut l'élégance de ne pas en demander de trop, préférant immédiatement passer aux présentations. Luin, quelque peu soulagée, tourna son regard un instant vers le seigneur de Limeclaire que l'on venait de lui présenter.

- Sire, dit-elle en s'inclinant de nouveau.

Elle n'avait jamais rencontré Isilo, mais elle nota immédiatement quelque chose dans son regard qui la dérangea quelque peu. Au fond de ses yeux, on voyait danser une flamme intense, brûlante et dévorante, qui animait les esprits jeunes et fougueux. Certes, il avait l'air particulièrement calme – même au regard des standards elfiques –, mais elle ne pouvait pas s'empêcher de voir en lui une sorte d'optimisme incontrôlable, une foi en l'avenir qui s'étendait à l'autre extrémité du spectre des émotions, là où le cœur de Luin n'allait pour ainsi dire jamais. Elle ne se permit aucun jugement ou aucun commentaire toutefois, car il n'était pas dans ses prérogatives que de juger de tels individus dont la sagesse et la puissance le disputaient à la noblesse et à la bonté. Il était peut-être plus jeune qu'elle, mais elle était un soldat, et ils étaient des philosophes, des penseurs et des décideurs. De leur capacité à analyser et à effectuer les choix les plus pertinents dépendait le sort de centaines, voire de milliers d'individus. A côté d'eux, elle n'était que poussière, quantité négligeable. Isilo se pencha vers elle avec courtoisie, et lui adressa des mots pleins de confiance et d'amitié, afin de faire tomber le masque de réserve que la guerrière arborait involontairement. Ce n'était pas qu'un simple salut qu'il lui offrait, mais bien une prestation de serment qui honorait celle qui le recevait bien plus que le seigneur ne pouvait l'imaginer. Une telle marque de déférence vis-à-vis d'une inconnue était rare, et la guerrière s'inclina encore, incapable de manifester autrement ses remerciements.

- Sire.

L'inflexion de sa voix avait changé légèrement, trahissant une légère surprise que son interlocuteur ne parut pas remarquer. Elle était perplexe : être ainsi conviée auprès de nobles qui s'efforçaient de lui donner une place, de regarder au-delà de son statut, était troublant. Le malaise qu'elle éprouvait alla croissant lorsque Isilo, avec une simplicité désarmante, la prit dans ses bras. C'était un geste commun, pour ne pas dire normal, mais il semblait à la guerrière qu'il y avait des âges que l'on n'avait eu pareille attention envers elle. Elle fut si gênée et étonnée qu'elle ne trouva pas véritablement comment répondre, et qu'elle ne rendit pas son étreinte à celui qui la lui offrait pourtant de bon cœur. Aurait-elle dû le faire ? N'était-ce pas trop familier, trop déplacé envers un seigneur qu'elle venait à peine de rencontrer ? Tatië et lui, par leur volonté de casser la distance sociale qui les séparaient de la guerrière, plaçaient Luin dans un état d'inconfort qui n'était pas habituel chez elle. Elle avait l'impression d'être un poisson hors de l'eau, perdu dans un univers dont les codes lui étaient étrangers, et qui lui paraissait curieusement douloureux, sans pour autant que quiconque fît montre de la moindre hostilité. Elle étouffa un soupir de soulagement quand l'étreinte amicale prit fin, et que chacun retrouva sa place et son rang.

Elle ne put même pas retrouver une parfaite sérénité en observant la cité alentour, car ils se trouvaient dans une section qui avaient été magnifiquement restaurée par les artisans de son peuple, lesquels avaient redonné aux fontaines, aux colonnes et aux arabesques leur splendeur d'antan. Voilà qui n'était pas pour apaiser le cœur de la guerrière, dont les yeux perçants ne pouvaient pas manquer de noter un léger contraste entre le nouveau et l'ancien, une très légère imperfection dans la rénovation, ou bien un changement de style infime là où les mains expertes avaient dû recréer ce qui avait été perdu. A l'instar de la marque indélébile gravée dans sa chair, les plaies de la cité pouvaient être refermées, mais rien ne pourrait gommer la cicatrice que portait la Dernière Maison Simple. Luin ne voyait pas une coursive élégante et sinueuse, entourée de parterres de fleurs et de sculptures raffinées. Elle voyait des hommes en livrée noire et blanche dont les lames étaient maculées de carmin, la seule couleur qui paraissait exister dans l'abîme de violence où elle avait été enchaînée. Elle entendait très distinctement le son du métal contre la pierre. Elle revoyait très précisément les éclats jaillir dans les airs, arrachés impitoyablement par une force sauvage et brutale.

La guerre.

Les images du conflit s'estompèrent comme un mauvais rêve disparaît aux premières lueurs du jour naissant, sans laisser rien de plus qu'un goût amer dans la bouche et un frisson dans l'échine. Rien qu'elle n'eût pas déjà expérimenté. Luin revint donc à ses interlocuteurs, s'attendant à recevoir des informations plus précises sur sa mission, ou à tout le moins sur la destination où ils allaient se rendre. En tant que garde d'Imladris, elle n'espérait pas de ses officiers qu'ils lui expliquassent les détails les plus spécifiques de sa mission. Elle n'avait pas besoin – et pas intérêt – à être dans la confidence. Bien des guerres avaient été perdues parce que de braves soldats avaient été capturés par l'Ennemi, qui avait su trouver à les faire parler d'une manière aussi odieuse qu'efficace. On se contentait donc, en général, de lui assigner une tâche assez particulière, qui n'avait de sens que lorsqu'elle était mise en perspective, observée avec un recul suffisant. Souvent il s'agissait d'une mission simple à comprendre, mais dure à réaliser. Les combats les plus âpres étaient souvent livrés pour des objectifs d'une simplicité affligeante. « Tenez le pont », avaient dit les officiers, avant de voir arriver au pas de charge des centaines de guerriers en armures lourdes. Combien étaient tombés pour tenir l'intenable ? Les souvenirs revenaient la hanter en permanence, tels des spectres aux doigts crochus qui lui susurraient de mauvaises choses au creux de l'oreille. Chassés par un simple mouvement de la tête, ils disparurent sans résister, promettant de revenir quand sa vigilance retomberait. Luin jeta un bref regard à Tatië, avant de revenir à Isilo, ignorant lequel des deux allait se lancer, et auprès duquel elle devait prendre ses ordres. Étonnamment, au lieu de rentrer dans le vif du sujet et d'aborder immédiatement le sujet qui les concernait tous les trois, le seigneur de Limeclaire se fendit d'un commentaire qui ne laissa pas Luin indifférente. Ses mots, presque prophétiques, pénétrèrent l'esprit de la guerrière comme une flèche et percèrent l'armure qu'elle avait érigée autour de ses propres sentiments. Etait-il devin ? Pouvait-il sincèrement lire dans l'avenir, et lui promettre qu'un jour prochain, son tourment prendrait fin ? Ou bien lui annonçait-il de manière voilée qu'elle ne reviendrait pas de la mission qu'ils entendaient lui confier. Il avait dit que beaucoup d'années étaient encore devant elles, mais allait-elle les passer auprès de sa belle Imladris, ou sur les rivages lointains de Valinor ?

Elle frémit. Perceptiblement. Bien peu de choses échappaient aux Elfes, de toute façon, mais même un Homme aurait pu noter le changement dans sa posture, dans son attitude. Elle baissa les yeux subitement, comme pour cacher la raison de son trouble passager, bien rare chez les gens de son peuple.

- Bien, sire.

Que dire d'autre ? Qu'elle voulait continuer la lutte tant qu'elle en aurait la force, et que la seule fin qu'elle voyait pour elle-même était sur un champ de bataille, silhouette solitaire et sans nom gisant dans son propre sang, au milieu d'une plaine dévastée, peuplée par les cadavres et dont seuls les corbeaux déchireraient l'immobilité ? Qu'elle ne savait rien faire d'autre, que toute sa vie durant elle avait porté l'épée, et que seule celle-ci donnait un sens à sa pathétique existence ? Qu'elle avait besoin de se battre pour défendre la cité qui lui était chère, la cité qui vivait dans sa chair, qu'elle choyait et à laquelle elle était liée par le sang qu'elle avait fait couler entre ses pierres ? Il n'aurait pas compris. Elle, une simple Elfe d'Imladris sans nom ni noblesse… il ne pouvait comprendre la vacuité du monde qu'elle parcourait, lui qui était appelé à accomplir de grandes choses. Elle ne lui en voulait pas. Ils n'appartenaient pas au même univers, et depuis les siècles qu'elle parcourait cette Terre du Milieu, elle n'avait eu de cesse de perdre peu à peu les fragments de son espoir en l'avenir, dispersés aux quatre vents, balayés par le souffle puissant des créatures de ténèbres qui arpentaient ses cauchemars.

Luin quitta ses sombres pensées, et revint à Tatië qui se chargea de lui expliquer les modalités précises de leur départ. Elle avait dans sa voix et dans son attitude une grande assurance, mais il paraissait tout de même que bien des choses demeuraient incertaines. Le danger qu'ils risquaient de devoir affronter était encore difficile à cerner, de même que les conséquences de leur action. La vénérable Elfe en dit autant qu'elle le pouvait sans trahir les secrets qui entouraient nécessairement les affaires des puissants, avant de confier à la guerrière qu'elle attendait de sa part un engagement volontaire et libre. Luin ne s'y attendait pas, et elle ne répondit certainement pas comme l'aurait espéré Tatië. Elle ne connaissait pas la liberté de choix, et en tant que soldat de la garde d'Imladris, elle ne pouvait décider de son propre chef de quitter son poste pour aller à l'aventure. Légèrement hésitante, elle commença :

- Est-ce que…

Ce qu'elle détestait sa voix, quand elle résonnait ainsi à ses oreilles. Trop grave. Elle reprit :

- Si l'Intendant Palantir vous a donné son approbation, je vous accompagnerai.

Bien entendu, ils avaient pris les devants et il était certain que tout avait été arrangé auprès des supérieurs de Luin pour lui permettre de quitter temporairement son affectation. Curieusement, elle n'avait pas donné son avis personnel sur la question. Pas qu'elle fût foncièrement contre l'idée de cette quête, mais elle estimait simplement qu'il n'était pas dans ses attributions que de contester des décisions. Deux seigneurs Elfes lui faisaient confiance pour assurer leur protection, et c'était tout ce qui comptait. Cela ne réduirait pas sa détermination, et elle mettrait la même énergie à les protéger qu'elle en aurait mis à défendre sa chère cité. Elle mourrait avant qu'il leur arrivât le moindre mal.

C'était aussi ce qu'elle s'était dit concernant Imladris.

Pourtant, elle était toujours en vie.

- Quand partons-nous ?

Elle était passée rapidement aux questions pratiques, sachant pertinemment qu'elle n'avait pas besoin de beaucoup de temps pour se préparer. Son épée et son bouclier reposaient dans ses quartiers, de même que les vêtements qu'elle emporterait pour son voyage. Le tout ne tiendrait que dans un léger barda, auquel elle accrocherait un arc d'appoint pour la chasse. Les seigneurs ne l'avaient pas explicitement spécifié, mais elle supposait que la célérité serait un facteur important, et il n'était pas question pour elle de sortir son armure de guerre, laquelle avait de toute façon vu trop de batailles récemment. Elle irait en toute simplicité vers cet aller qui serait peut-être sans retour, laissant derrière elle tout ce qui lui était cher pour plonger dans l'inconnu.

#Isilo #Luin #Tatië
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