Ce fut bientôt une vraie petite foule qui s’était amassée autour de la tente où le sergent Dervenn gisait mort. Chaque nouvel arrivant, intrigué par une telle activité et horrifié en voyant la scène, posait des questions pour en savoir un peu plus sur ce qu’il s’était réellement passé. De leur côté, Holmo et Eotrain continuaient de couvrir leur frère d’arme en prônant la légitime défense; les hommes du sergent Eadric étaient plutôt populaires au sein de la troupe et n’eurent finalement que peu de mal à convaincre les autres guerriers de leur version des faits. Toutefois, il y avait une personne qui n’était pas prête à accepter ceci.
“Laissez passer ! Laissez passer par les Valars!” Vociférait la Lice.
Le Capitaine Osgarsson jouait des coudes pour se frayer un chemin jusqu’à l’intérieur, Rihils sur ses talons. Ils étaient remontés des cachots d’Orthanc quelques minutes plus tôt afin d’arriver à temps pour le rapport détaillé du sergent Eadric, jugeant inutile de poursuivre l’interrogatoire de la captive dans l’immédiat. Sur le chemin il avait repéré l’agitation inhabituelle et avait fait un détour pour voir de lui-même ce qu’il se passait.
La scène qui se présenta à ses yeux le laissa interdit pendant une fraction de seconde. Dervenn, l’un de ses soldats en lequel il faisait le plus confiance, gisait sous ses yeux, égorgé par un de ses frère d’armes. Il échangea un regard avec le guérisseur, ce dernier n’avait même pas besoin de se pencher sur le corps pour comprendre qu’il n’y avait plus aucun espoir pour sauver le pauvre hère. La tristesse accabla le cœur du capitaine pendant un court moment; ce bon Dervenn ne méritait définitivement pas de mourir ainsi. Mais l’heure n’était pas au chagrin et il se devait de prendre les décisions qui s’imposait.
Osgarsson demanda des explications au trois hommes occupant la tante et Holmo se contenta de répéter la version qu’il avait donné à tous les témoins de la scène de crime.
Mais il ne pouvait s’enlever cette idée que quelque chose ne tournait pas rond. Dervenn était un sous-officier calme et réfléchi d’ordinaire, s’emporter de la sorte ne lui ressemblait absolument pas. Quoiqu’il en était, le meurtre d’un supérieur hiérarchique, peu importe la raison, représentait un grave crime qui risquait d’avoir de sérieuses conséquences pour l’agresseur.
La situation devenait de plus en plus hors de contrôle depuis l’arrivée de la prisonnière quelques heures plus tôt. Eadric avec pété les plombs, la rumeur qu’une sorcière avait infiltré le camp se propageait, l’Ordre des Lames s’en était mêlé, et Dervenn venait de se faire assassiner par un frère d’armes. Quelque chose ne tournait pas rond et La Lice frissonna un instant à l’idée que la prisonnière avait bien appelé à quelque force surnaturelle pour les maudire. Mais il balaya vite ces pensées néfastes de son esprit. Non! Ce genre de choses n’existaient plus, tout du moins pas ici. Il aboya des ordres, comme pour l’aider à reprendre ses esprits
“Alors qu’est ce que vous attendez comme des légumes de la sorte? Recueillez son corps et amenez le à la morgue et que ça saute!. Quant à lui…”Le capitaine de la Porte d’Isengard fixa alors celui qu’il n’avait eu aucun mal à identifier comme le meurtrier. Ce dernier avait toujours le regard étrangement vide et le visage sans expression; il ne semblait ni particulièrement horrifié par son acte ni effrayé des conséquence, juste un peu choqué. Osgarsson s’approcha, intrigué par son comportement inhabituel. Pourquoi n’avait-il pas même cherché à fuir au vu de la gravité de son geste? Comptait-il vraiment sur les justifications bancales de ses amis pour lui sauver la mise? Mais l’officier connaissait Dervenn, c’était un homme droit qui n’aurait su se rendre responsable d’un tel crime, c’était aussi un ami. Ce qui expliqua la prodigieuse torgnole qu’il asséna à Ameno; sous la violence de l’impact ce dernier tituba et tomba sur sa couche. Mais il n’eut aucune réaction.
“Tu vas parler vermine! Gronda la Lice.
Par la barbe du Vieux de la Montagne tu vas répondre de tes actes!”
C’est ce moment que Rihils choisi pour intervenir, craignant sûrement que son ami subisse le même sort que le sergent.
“Sois prudent Ansgar, il ne semble pas très stable. Regarde son attitude. Et je ne pense pas que cela soit judicieux de faire avancer l’enquête avec ce public.”L’officier desserra les poings et observa un instant l’accusé, son air hagard et hébété était en effet bien curieux pour un soldat qui cavalait encore dans le Riddermark quelques heures plus tôt.
“Mettez le aux arrêts! Fouillez le et attacher ses mains! Puis amenez le moi dans mes quartiers!”
Les soldats les plus réactifs s’empressèrent d’obéir à leur supérieur et Ameno fut rapidement maîtrisé, sans autre incident majeur.
“Quant à vous! fit-il en désignant Holmo et Eotrain.
Suivez moi sans un mot!”Il traversa à nouveau le camp d’un pas leste et furieux pour retourner vers son lieu de travail; le sergent Eadric qu’il avait convoqué un peu plus temps pour faire son rapport complet et visiblement remis de ses émotions l’y attendait.
“Ah vous voilà ! Très bien, vous pouvez tous faire votre rapport et m’expliquer tout ce qu’il cloche chez vous. Un homme qui égorge froidement son supérieur, voilà quelque chose que je n’avais pas encore vu dans l’armée du Rohan. Sergent vous entrerez le premier sous ma tente pour me faire le récit détaillé de votre patrouille et de vos activités depuis votre retour; quand à vous deux, Rihils recueillera vos témoignages individuellement sur votre mission et sur l’incident qui vient de se produire. Si vos versions venaient à différer, alors j’agirai en conséquences. Quant au quatrième larron, il ne devrait pas tarder.” Effectivement, les soldats qui s’étaient chargé de mettre Ameno aux arrêts firent bientôt leur apparition, le coupable avec eux. Il affichait toujours cet air interdit, comme s’il n’était pas dans leur monde. La Lice s’enquit alors de l’avis expert de Rihils sur son état. Le guérisseur s’approcha et examina le jeune soldat mais ne put arriver à une conclusion très clair.
“Il semble complètement ailleurs. Je dirai qu’il a subi un traumatisme d’une nature encore à déterminer, ou alors qu’il est sous l’influence d’une quelconque drogue. J’aurais besoin d’un examen plus poussé mais pour le moment il serait mieux de le tenir à l’écart des regards de la troupe.”
Ansgar avait sa petite idée du lieu où il voulait l’enfermer pour le sortir de sa torpeur , mais cela devrait attendre la fin du rapport des hommes d’Eadric. Les autres hommes se contentèrent d’amener le pauvre bougre un peu plus loin, en attendant qu’on l’envoie en cellule. Le capitaine entra alors dans sa tente, accompagné de son aide de camp et de deux gardes personnels en qui il faisait toute confiance. Au vu de la situation, mieux valait-il prendre ses précautions et la Lice était un homme prudent. Les mêmes mesures furent prisent pour Rihils, flanqué de deux soldats protecteurs et à qui on avait amené un siège en dehors de la tente. Le guérisseur sortit sa plume et une feuille de papier. On fouilla les deux hommes et retira leurs armes, puis Eotrain fut amené plus loin.
Rihils commença alors à poser ses questions d’une voix calme et posée.
“Holmo c’est cela? Je vous en prie, faites moi le récit de ce que vous avez fait et vu en patrouille. Qui est cette prisonnière? Pourquoi avez vous croisé des hommes du Pays de Dun? Et surtout que diable s’est-il passé dans votre tente?”
A l’intérieur de la tente, le ton du capitaine de la Porte d’Isengard envers son subordonné était moins diplomatique.
“Eadric! Vous savez que je vous ai toujours considéré comme un de mes hommes les plus valeureux et précieux. Il serait dommage que toute cette histoire remette en question ce statut. Alors par les Valars, dites moi tout ce qui s’est passé là-bas, je veux tout savoir!”.
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“Bon on ne peut plus rien faire pour lui. Débarrassez moi ce corps à la morgue avant que l’odeur ne contamine la pièce.”
Dame
Méronne, affectueusement surnommée Mère Torture, était l’infirmière en chef du domaine royal de l’Isengard. Une femme d’une soixantaine d’année, robuste et expérimentée; elle ne se distinguait pas vraiment par sa tendresse et faisait finalement assez peu dans le sentiment. Elle avait depuis longtemps appris à approcher sa profession de manière la plus détachée possible sur le plan émotionnel, en particulier depuis qu’elle officiait ici où le manque criant de moyens et de médecins compétents impliquait un taux important de décès. L’arrivée du Roi et de son entourage avait un peu amélioré la situation mais ils étaient encore loin d’atteindre le niveau de l’hôpital de Meduseld par exemple.
La matronne s’épongea son front ruisselant de sueur, malgré l’antipathie qu’elle suscitait auprès des soldats, il fallait avouer qu’elle ne comptait pas ses heures et donner toute sa personne pour sauver ceux qu’il pouvait l’être. La manière avec laquelle elle faisait cela n’était peut être pas des plus agréables pour les guerriers qui espéraient généralement être pris en charge par une jeune et attirante infirmière sans expérience. Mais
Méronne était là pour sauver leurs vie, non satisfaire leur ego et leurs ardeurs masculines. D'aucuns pourraient dire qu’elle n’était pas une brave dame.
Elle se dirigea d’une allure très masculine vers le fond de l’infirmerie où des rideaux dissimulaient le patient qui s’y trouvait. De telles mesures était parfois prises quand un homme de stature importante était blessé et devait être séparé du reste. Dans ce cas précis, quand celui-ci était arrivé elle n’avait pas donné cher de ses chances de survie. Mais le guérisseur Rihils qui avait été pendant un moment le seul autorisé à l’approcher, dépêché depuis Edoras avait fait de vrais miracles pour le sauver malgré de grave séquelle que le pauvre hère garderait à vie.
“Très bien mon Capitaine! Il est l’heure de changer vos pansements.”fit elle d’un ton monotone en traversant les rideaux.
Mais elle s’arrêta dans son élan, surprise. Le lit était vide. Le masque immaculé qui reposait sur le chevet du lit avait lui aussi disparu.