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Sujet: Si la Mort a Mordu
Ryad Assad

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Rechercher dans: Les Havres d'Umbar   Tag nesrine sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Si la Mort a Mordu    Tag nesrine sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyJeu 7 Mai 2020 - 18:51
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Yse posa un regard glacé sur le cadavre de Khaan, au moment où celui-ci touchait le sol. Elle ne connaissait pas particulièrement l'homme, et n'avait aucune affection particulière pour les marchands. Le voir obtenir le sort qu'il semblait mériter n'était pas pour lui déplaire, même s'il faudrait sans le moindre doute trouver comment régler sa succession. Encore de la paperasse. Elle poussa un long soupir résigné, et fit quelques pas à l'intérieur de la pièce, pour constater les dégâts. En bas de la demeure du grand marchand, des badauds étaient déjà attirés par le cadavre, que des gardes entouraient pour éviter à quiconque d'essayer de piller les maigres biens qui restaient encore sur la dépouille encore chaude. Quelques têtes se levèrent vers la femme à la fenêtre, et Yse comprit que le peuple attendrait une réponse.

Pas une explication, oh non. Tout le monde se fichait de savoir pourquoi le Requin s'était défenestré. Les gens voulaient seulement savoir qui allait reprendre son empire.

La nature avait horreur du vide.

Le regard de la pirate glissa successivement sur les trois silhouettes qui lui faisaient face, et qui semblaient avoir traversé l'enfer ensemble. Lucinia, le regard à la fois résigné et vulnérable, paraissait attendre avec anxiété la suite des événements. Yse la connaissait personnellement, pour avoir déjà eu affaire à son père, un homme bien étrange. Elle n'avait pas d'attaches particulière à la jeune femme, mais elle avait été surprise d'entendre le sort qui avait été réservé à ses possessions – l'incendie de son manoir avait fait grand bruit –, et elle n'avait pas manqué de comprendre que son intercession serait nécessaire pour veiller à ce que les grands marchands d'Umbar ne finissent par s'entre-déchirer comme les chiens de basse fosse qu'ils étaient.

Elle était simplement arrivée trop tard, et avait laissé la mort s'abattre dans les hautes sphères. Seulement cette fois, le petit poisson avait maté le gros.

Les deux autres, Yse ne les connaissait pas. L'homme et la femme ressemblaient de toute évidence à des combattants, et ils portaient sans doute la responsabilité de la mort de Shahib davantage que la jeune marchande qui se trouvait à leurs côtés. Le sang sur les mains de cette dernière disait pourtant le contraire… Que s'était-il donc passé ici ?

- Je suppose, fit la capitaine, que vous avez une explication pour tout ce désordre.

Lucinia ne se laissa pas duper par le ton glacial d'Yse. C'était là une opportunité de s'expliquer qui ne se représenterait pas, et elle devait la saisir afin de pouvoir plaider sa cause. Les assassinats entre grands marchands étaient rares, et généralement les autorités d'Umbar veillaient à faire régner un semblant d'ordre pour éviter la déstabilisation profonde de la classe dirigeante de la cité. Ce qui venait de se produire aujourd'hui était très grave, mais il était toujours préférable de régler ce genre de choses à l'amiable plutôt que de faire un scandale de tout ceci.

- Capitaine Yse, je peux tout vous expliquer.

La jeune marchande se lança dans un récit long et détaillé de ce qui s'était passé. A la grande surprise de tous, elle n'omit aucun détail important, et ne chercha pas particulièrement à dissimuler sa responsabilité dans la mort de Shahib, pas plus qu'elle ne tut son ambition de prendre sa revanche en s'emparant de sa fortune. Le coup audacieux qu'elle avait monté aurait pu très mal finir, mais elle avait triomphé, et réclamait aujourd'hui le butin preuve à l'appui. Le morceau de papier, testament universel qui lui léguait la fortune du Requin, devait encore être paraphé par un Yse, qui ne mit pas longtemps à prendre sa décision après avoir entendu cette histoire pour le moins rocambolesque :

- Eh bien, lâcha-t-elle à la fin du récit, vous avez traversé des épreuves auxquelles bien peu auraient pu survivre, et vous avez réussi à triompher de Shahib et de son sous-fifre… Khaan, c'est bien ça ? J'estime que vous avez mérité votre vengeance, il n'était pas prudent de la part du Requin de s'attaquer impunément à l'héritage de votre père, Lucinia. Je suis heureuse que vous ayez pu vous en tirer.

C'était un mensonge. Yse s'en fichait éperdument, mais elle était fine calculatrice, et elle voyait là un moyen habile de consolider sa position. Shahib s'était toujours aligné plus ou moins nettement avec Riordan, mais depuis la mort de ce dernier, il avait eu du mal à reporter son allégeance sur un nouveau Seigneur Pirate. Sa fortune considérable demeurait un prix alléchant que se disputaient les maîtres de la ville, qui n'aimaient pas se trouver dans cette position de dépendance vis-à-vis d'un homme qui n'était, après tout, qu'un négociant. Lucinia avait redistribué les cartes, et pour asseoir sa position à la tête de cette gigantesque fortune sur laquelle elle entendait dormir, elle aurait besoin du soutien d'une figure d'autorité ici. Yse se proposait de le devenir :

- Votre plan était audacieux, pour ne pas dire ingénieux, mais il ne tient que grâce à la signature que peut apposer un Seigneur Pirate. Je suis disposée à vous aider, Lucinia, mais vous comprenez que je ne peux pas vous placer à la tête de cet empire si vous entendez défendre une politique différente de la mienne. Les intérêts des Neufs doivent prévaloir, pour qu'Umbar prospère. Comprenez-vous ?

- Je le comprends, capitaine, répondit l'intéressée avec humilité.

Yse hocha la tête :

- Bien, alors agenouillez-vous, et répétez après moi. « Moi, Lucinia Nakâda, grande marchande d'Umbar, jure solennellement fidélité à Yse, princesse des mers, capitaine du Rancunier, Seigneur Pirate de la cité d'Umbar ».

La grande marchande, qui semblait avoir ressuscité des morts, s'exécuta sans discuter. Son avenir en dépendait. Plus que son avenir, même : son destin. C'était une chose curieuse en cette ville, et les gens d'Umbar paraissaient guidés par cette force inexorable qui les menait sur les chemins du triomphe ou de l'échec. Lucinia émergeait victorieuse de cette guerre, mais à quel prix ? Nesrine et Tarik observaient la scène surréaliste qui se jouait devant leurs yeux, assistant à la naissance d'un nouvel équilibre dans les sphères du pouvoir d'Umbar. Le monde des grandes gens était décidément plein de surprises.


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Une semaine avait passé, le temps pour Lucinia de mettre ses affaires en ordre, et pour Tarik et elle de récupérer de leur long périple. La jeune femme avait eu besoin d'un peu de temps pour faire admettre sa prise de pouvoir à ses anciens adversaires. Les grandes familles marchandes avaient vu d'un très mauvais œil sa prise de contrôle des affaires de Shahib, une opération qui n'était pas commune, et qui menaçait l'équilibre des forces dans la cité. Cela dit, l'appui du capitaine Yse et le ralliement rapide des partenaires commerciaux – qui tenaient davantage au maintien des liens économiques plutôt qu'à la fidélité personnelle – avaient convaincu les Miridas et les Vulnir de tempérer leurs ardeurs. Il fallait dire qu'en plus des restes de son ancienne fortune – qui se résumait pour l'heure au Mille Soleils qui effectuait son voyage de retour vers Umbar, Lucinia avait également mis la main sur la puissante clientèle du Requin, laquelle comptait un certain nombre d'hommes de mains qui se fichaient éperdument de la mort de leur patron, et qui avaient immédiatement juré allégeance à la nouvelle tête pensante… celle qui leur versait un salaire confortable pour effectuer ses basses besognes.

Tarik et Nesrine avaient joué un rôle crucial dans l'organisation de ce nouvel empire commercial, remplissant virtuellement les fonctions de chefs de la sécurité. Ils avaient distribué leurs conseils à Lucinia pour la protéger, lui garantir une assise, et surtout empêcher les Miridas et les Vulnir de mettre en place une quelconque vengeance. Ils ne l'avaient pas fait par bonté d'âme, mais parce que l'apaisement des relations était la seule manière pour eux de pouvoir quitter Umbar sans avoir à craindre de finir avec une lame plantée entre les deux épaules.

Pourtant, après sept jours de négociations, de tractations et de courriers, il avait fallu se rendre à l'évidence. Lucinia avait conforté sa position, et n'était pas prête de la perdre. La jeune femme, qui semblait avoir vieilli et mûri, n'avait plus besoin de leur aide, et eux-mêmes pouvaient retourner à leurs occupations. Tarik, son précieux papier toujours en poche, pouvait enfin rentrer auprès des siens, et reprendre le cours de sa vie. Il avait demandé à être reçu par la grande marchande, qui s'attendait à sa visite depuis quelques temps :

- Bonjour Tarik, fit-elle. Assieds-toi, je t'en prie.

Elle avait investi le bureau de Shahib, et avait commencé à le redécorer à sa manière. La fenêtre avait été remplacée, les dernières traces de sang que les serviteurs n'avaient pas pu enlever avaient été cachées par un joli tapis aux motifs floraux. Les meubles lourds et pompeux du Requin avaient quant à eux disparu, cédant la place à des étagères élégantes et plus discrètes, qui donnaient davantage de charme et de féminité à cet espace austère et jadis peu accueillant. La désormais maîtresse des lieux se leva pour accueillir le guerrier, et s'assit en même temps que lui avec courtoisie.

Elle savait qu'il avait des choses à lui dire, mais elle ne pouvait pas contenir son excitation : il y avait tant de choses qu'elle voulait partager avec lui aujourd'hui.

- Tu ne croiras jamais quelle nouvelle vient d'arriver : les Miridas acceptent de renouveler le partenariat commercial, en échange d'un allègement de leurs dettes. Rien de trop important, je te rassure. J'ai cru qu'ils n'accepteraient jamais ! Tu te rends compte ? Ça veut dire que les derniers récalcitrants vont devoir rentrer dans le rang maintenant, et que je vais pouvoir financer les réparations du Rancunier. J'ai déjà pris contact avec le chantier naval, j'ai demandé à ce qu'on envoie les meilleurs architectes au Palais des Neufs pour s'entretenir avec Yse personnellement.

Elle parlait vite, avec une nervosité frivole qui rappelait les premières heures de leur rencontre, à l'époque où elle n'était qu'une jeune fille ingénue, certes douée pour le commerce, mais sans la moindre once de malice en elle. Depuis, elle avait sciemment torturé un homme en le lacérant sans merci, avant d'orchestrer sa chute au sens propre comme au sens figuré. Son enthousiasme était un paravent bien fragile qui dissimulait à grand peine l'horreur de ses actes.

Après avoir terminé de raconter ce qui l'enchantait à ce point, elle nota que Tarik ne partageait pas vraiment son énergie. Il ne s'était jamais caché de mépriser les questions commerciales, mais elle comprit qu'il y avait autre chose. Sa voix se fit plus basse, alors qu'elle comprenait ce que les mots n'avaient guère besoin d'exprimer :

- Tu t'en vas, c'est ça ?

Elle avait toujours su que ce moment viendrait tôt ou tard. Tarik et elle n'appartenaient pas au même monde, il ne pouvait rester. Et pourtant, elle lui devait tellement. Tellement… Sans lui, elle serait probablement morte dans l'incendie de sa maison. Ou morte dans les collines du Harad. Morte sur la route, ou dans le bureau de Shahib. Morte un millier de fois, de mille façons différentes. Elle n'oubliait pas qu'il avait été envoyé pour agir contre elle, et qu'il avait été le déclencheur de tous ses malheurs, mais depuis il avait payé sa dette… Il s'était acquitté de sa tâche avec noblesse, et avait contribué à les sauver tous les deux, même quand elle avait perdu espoir.

Aucun « merci » ne pourrait traduire l'étendue de sa gratitude, mais elle avait néanmoins un présent pour le guerrier. Elle se leva et se saisit d'une lame qui trônait sur un râtelier. L'épée familiale des Nakâda, un bien précieux qui semblait avoir traversé les âges. Pendant un instant, elle lut le doute dans l'esprit du marchand. Décidément, il ne lui ferait jamais totalement confiance. Elle lui tendit l'épée par la garde, afin d'apaiser ses craintes, et lui souffla :

- Cette lame est dans ma famille depuis des générations. Arriandalazar, « la Reine sous les Flots ». Elle fut forgée dans l'ancien monde, et il est dit qu'elle ne se brisera jamais ni jamais ne perdra de son tranchant. Elle appartenait à son père, puis elle fut brandie par mon frère, et elle m'a échu quand le temps fut venu. J'ai conscience qu'il ne s'agit pas d'une arme discrète, mais je gage qu'elle sera plus utile entre tes mains expertes qu'entre les miennes.

L'arme, en effet, n'était pas de celles que l'on pouvait cacher facilement dans une manche ou une ceinture. Ce n'était pas une arme d'assassin, mais plutôt une fine lame pleine de noblesse, de celles qu'on utilisait pour affronter un adversaire en face, les yeux dans les yeux. La noblesse, le guerrier en avait fait preuve ces derniers temps, et il avait laissé derrière lui une partie de son enseignement pour embrasser un chemin nouveau. La guerre, il pouvait désormais la faire aussi bien dans l'ombre que dans la lumière. Ce cadeau symbolisait ce passage. L'épée finement ouvragée était une arme de guerre, qui avait déjà tué à l'évidence, mais elle arborait aussi de fines inscriptions qui s'enroulaient sur la lame, comme des incantations.

- C'est du vieil adûnaic, la langue des anciens Núménoréens. Il est écrit « voici la lame qui brise les chaînes, voici l'épée du serment ». Et sur l'autre face, est inscrite une phrase dont le sens s'est perdu depuis des lustres. Elle dit « quand viendra l'heure après la nuit, l'acier qui a croisé le fer brisera l'or et l'argent ». Je suppose qu'il est ironique que cette arme soit restée tout ce temps entre les mains d'une famille de marchands, n'est-ce pas ?

Elle n'avait jamais compris le sens de ces paroles. Elle avait espéré le découvrir, mais cela lui semblait hors de sa portée, et quelque part Tarik lui apparaissait comme la personne la plus indiquée pour cela. Il trouverait le courage de mener cette lame sur le chemin de la vérité, et peut-être parviendrait-il à « briser l'or et l'argent ». Lucinia lui déposa aussi un document entre les mains, un petit parchemin qu'elle avait pris soin de rouler sur lui-même et de cacheter.

- Voici ton sauf-conduit pour te rendre jusqu'à Al'Tyr. Deux de mes navires partent aujourd'hui, trois autres demain. Tu es libre de monter à bord de n'importe lequel d'entre eux, les capitaines te feront le meilleur accueil grâce à ce document.

Tout était prévu. Tarik retrouvait enfin sa liberté. Lucinia le regarda droit dans les yeux, sans savoir ce qu'elle allait trouver dans ses pupilles trop souvent fermées. L'assassin n'eut aucun mal à lire l'émotion dans le visage de la grande marchande. Elle était attristée de le voir partir, comme si une page de son existence se refermait définitivement sur son innocence et sur ces jours heureux. Sans vraiment réfléchir, elle s'approcha du guerrier, et lui déposa un baiser affectueux sur la joue.

- Sois très prudent, là-bas. Qu'il ne t'arrive rien.

Elle passa une main sur son bras, mais elle ne pouvait le retenir. Ils étaient appelés par deux destins différents, et elle ne pouvait lutter contre cette force qui était déterminée à les séparer. Alors ils restèrent là un long moment, à contempler leur passé, leur présent et leur avenir.

Et tout ce qu'ils perdaient.


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Nesrine et Za'Shin discutaient de manière animée – comme souvent – en envisageant la suite de leur voyage. Ils s'interrompirent en voyant Tarik arriver. Le guerrier se remettait de ses blessures, et il aurait tout le loisir de récupérer à bord d'un des navires de la nouvelle grande marchande. Les deux voyageurs étaient au courant des dispositions prises par Lucinia, et ils ne s'étonnaient pas de voir l'assassin partir. Ils étaient même surpris qu'il fût resté à Umbar si longtemps.

- C'est l'heure de nous dire au revoir, si j'ai bien compris ?

Nesrine n'avait jamais fait dans la dentelle, mais derrière son voile on décelait tout de même une pointe de regret. Elle était une guerrière solitaire, mais elle avait apprécié la compagnie de Tarik, et ce qu'il avait apporté à leur petit groupe : de la discipline, de la rigueur. Ce qui lui manquait précisément. Cependant, elle savait aussi qu'il appartenait à la Guilde des Ombres, et qu'il n'était pas soumis à son libre-arbitre. Il n'était qu'une arme au service des plus célèbres assassins d'Al'Tyr, et il ne pouvait pas parcourir les routes à sa guise, pour mener sa vie comme il l'entendait. Il n'était pas exclus, d'ailleurs, qu'il se retrouvassent opposés à l'avenir, si d'aventure leurs chemins venaient à se croiser de nouveau. Elle ne put s'empêcher de le lui faire remarquer :

- J'espère que tu seras remis sur pied la prochaine fois qu'on se verra… cela me dérangerait de devoir botter les fesses d'un estropié.

La provocation était amicale, et tira un franc sourire à Za'Shin, qui donna une tape sur l'épaule de la guerrière, avant de tendre la main à Tarik.

- Ne l'écoutez pas, elle dit n'importe quoi, comme d'habitude. Merci, Tarik d'Al'Tyr, ou peu importe comment vous vous appelez. Vous avez accompli votre mission ici, d'après ce que j'ai cru comprendre, mais surtout vous avez accompli de nobles actes. Vous avez protégé Lucinia, vous avez restauré cette marchande dans ses droits, et vous avez permis à Nesrine et à moi d'obtenir notre vengeance.

Za'Shin ne s'était jamais ouvert sur la question, mais à plusieurs reprises il avait laissé entendre que lui aussi avait des raisons de détester le Requin. Les choses étaient peut-être trop douloureuses pour lui permettre d'en parler, mais la gratitude dans son regard était éloquente.

- Le Harad dominerait le monde depuis bien longtemps, s'il était peuplé de plus de gens comme vous. N'oubliez pas qui vous êtes, Tarik. N'oubliez pas.

Il posa une main sur le torse de l'assassin, un signe de paix de la part de certains peuples du Harad. Un encouragement aussi. Nesrine se leva à son tour, affichant un air moins moqueur que précédemment. Les paroles de Za étaient touchantes, et méritaient qu'elle se mît au diapason. Alors elle posa sa main sur l'épaule du guerrier de manière très virile, et lui souffla :

- Comme le dit l'autre idiot, n'oubliez pas qui vous êtes. Les Ombres ne détiennent qu'une partie de la vérité… c'est à vous de l'explorer complètement. Vous savez, le monde est vaste. Quoi qu'il en soit, faites bon voyage jusqu'à Al'Tyr, et prenez soin de vos blessures. Et ne mourez pas avant que nous nous retrouvions.

Elle haussa les épaules, et pour la première fois montra un visage très humain. Elle avait trouvé en Tarik un allié précieux et un rival de valeur. Elle espérait sincèrement le croiser de nouveau, quand ils auraient laissé cette sinistre histoire derrière eux, et qu'ils auraient tout deux évolué. Les adieux n'étant pas son fort, elle s'éclipsa bientôt, préférant gérer seule ses émotions contradictoires, et réfléchir à ce qu'elle ferait par la suite. Maintenant qu'elle avait obtenu sa vengeance, elle devait trouver un sens nouveau à sa vie.


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Elle avait fait son paquetage, qui contenait quelques vivres, une tenue de rechange, et assez d'eau pour survivre trois jours. D'ici là, elle espérait bien repérer un point d'eau potable, ou obtenir l'aide qui lui avait été promise. En apprenant la nouvelle de la mort de Khaan, la situation lui avait paru évidente. Son protecteur était mort, et elle ne pouvait plus compter que sur elle-même pour survivre. Survivre, et protéger son père qui était toujours plongé dans un état très grave.

Elle se pencha vers le chariot où reposait son corps embaumé.

- Père ? Vous m'entendez ?

Il ne répondit pas. Les drogues qu'on lui administrait pour endiguer la douleur l'assommaient régulièrement, et elle savait que dans ces moments il n'était pas utile d'insister. Par réflexe, cependant, elle lui parlait en imaginant que dans son sommeil agité il l'entendait néanmoins :

- Nous allons trouver un lieu sûr, vous verrez.

- Camila ?

La voix la fit sursauter, et elle se retourna en portant par réflexe la main à son arme. En la voyant faire, il écarta les mains pour montrer qu'il venait en paix, et elle s'en voulut presque d'avoir réagi ainsi. C'était un homme de la garde d'Umbar. Un ami de son père, qu'elle connaissait de vue, et qui ne lui ferait jamais le moindre mal.

- Tout va bien, Camila, ce n'est que moi. J'ai négocié avec les gardes, ils te laisseront passer sans poser de questions… Tu es vraiment sûre que tu veux quitter Umbar ?

Elle hocha la tête. Il n'était pas le premier à lui poser la question :

- Oui, c'est plus sûr ainsi. Nous avons de la famille en-dehors d'Umbar, j'irai les trouver et leur demander de l'aide. Je veux juste reconstruire une vie simple, et m'occuper de mon père.

Le soldat acquiesça, et n'ajouta rien. Camila baissa les yeux un instant. Elle n'aimait pas mentir. Elle savait au fond de son cœur qu'elle ne pourrait jamais se satisfaire de la situation telle qu'elle était. L'homme qui avait détruit son existence courait toujours, et avait eu l'audace de se pavaner à Umbar après avoir contribué à la chute de Shahib le Requin. Elle n'avait aucune idée de son identité, mais elle savait deux choses à son sujet : il appartenait à la Guilde des Ombres – cela, Khaan le lui avait confirmé –, et il était basé à Al'Tyr. Elle était patiente, et elle trouverait bien le moyen de le tuer un jour.

Elle s'en était fait la promesse…


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HRP : Voilà la conclusion de ce scénario, que nous avons quand même ouvert le 20 juin 2016 ! C'est toujours plaisant d'arriver au bout de ce genre d'entreprises, et ça aura beaucoup fait grandir nos deux personnages. A partir de là, je laisse Issam faire ses adieux à Umbar, et tu peux enchaîner à Al'Tyr comme tu le souhaites pour l'intégration dans la Guilde des Ombres (considère que c'est validé haha). La question de Camila reste en suspens, on verra à l'avenir comment elle reviendra te hanter haha.

Super RP en tout cas ! J'ai cru comprendre qu'il y avait un certain marchand vers Djafa qui avait besoin qu'on aille lui secouer les puces, n'hésite pas Wink
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Ryad Assad

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Rechercher dans: Les Havres d'Umbar   Tag nesrine sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Si la Mort a Mordu    Tag nesrine sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySam 7 Juil 2018 - 23:18
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L'état de santé de Tarik se dégradait à vue d'œil, et même si Lucinia avait voulu l'ignorer pour lui faire comprendre qu'elle était en colère contre lui, elle n'avait pas pu s'empêcher de laisser l'inquiétude la saisir. Il était pâle, de toute évidence fiévreux, et son regard était malade. Elle en ignorait la raison, puisqu'il s'évertuait à ne rien lui dire, mais c'étaient probablement ses blessures qui tiraient sur ses forces et qui l'affaiblissaient. Peut-être que la fuite précipitée de la veille avait consumé ses maigres forces, à moins que le fait de monter la garde toute la nuit eût contribué à cette soudaine baisse d'énergie. Et dans tout ce malheur, son comportement entêté n'aidait pas. Plutôt que d'accepter de demander de l'aide il préférait répondre sèchement aux tentatives certes maladroites mais sincères de la jeune femme pour l'aider. Elle voulut essayer de le faire manger, mais il se renferma, et lorsqu'elle lui demanda si ses blessures allaient bien, il changea de sujet avec tant de brusquerie qu'elle ne jugea pas utile de revenir sur la question.

Pourtant, elle était inquiète.

Tarik avait beau être un tueur paranoïaque et un menteur pathologique dénué de toute compétence sociale, il n'en demeurait pas moins son compagnon de route, et ce qui se rapprochait le plus d'un allié dans les étendues désolées qu'ils traversaient. Elle veillait sur lui malgré ce qu'elle percevait être une forme de folie latente qui l'amenait à se méfier de tout et de tout le monde, et elle se préoccupait de l'évolution de ses terribles blessures. Pas uniquement parce qu'elle savait avoir besoin de lui pour rejoindre Umbar. Non. Elle avait une responsabilité importante dans leur situation, et elle s'était promise qu'ils y arriveraient tous les deux. Alors elle essaierait de le tirer d'affaire. Au sens propre comme au sens figuré.

Quand ils abordèrent des passages délicats dans les collines, elle n'hésita pas à ralentir volontairement l'allure pour le laisser souffler un peu, et quand elle se rendit compte qu'il avait besoin d'aide, elle ne se fit pas prier pour le tirer par le bras afin de franchir un obstacle, ou d'évoluer sur des pierres instables. Elle n'attendait pas le moindre remerciement de sa part, mais elle voulait lui faire comprendre qu'elle était là pour lui s'il en avait besoin. Dans toute cette affaire, et malgré leurs disputes fréquentes, elle apprenait à développer un esprit de camaraderie qu'elle n'avait jamais pu expérimenter dans sa vie. Elle avait souvent entendu son père parler de cette solidarité entre marins, entre hommes pour ainsi dire, mais elle avait toujours été tenue à l'écart de ces choses. Elle était la précieuse petite fille à qui tout le monde rendait service, mais qui ne pouvait jamais rien faire de son plein gré pour aider son prochain. On lui tenait la porte, on lui épargnait les tâches ingrates, on lui portait ses affaires… Aider Tarik le maugréeur lui donnait le sentiment de pouvoir remplir une partie de son rôle. Et sans doute que les grommellements du guerrier et son refus de recevoir de l'aide accentuaient le plaisir qu'elle ressentait à pouvoir lui tendre la main.

Parvenir à la route du sud avait été une véritable victoire pour les deux voyageurs, mais le retour à un terrain à peu près praticable s'était fait trop tard. Tarik souffrait toujours autant, et il traînait des pieds de plus en plus. Il semblait écrasé sous le poids de son barda, et son silence n'augurait rien de bon. Ce fut alors qu'ils croisèrent la route d'un duo au moins aussi étrange que le leur, qui arpentait la route fort heureusement dans la même direction qu'eux-mêmes. Tarik essaya de prendre la parole, mais Lucinia avait sous-estimé la méforme de son compagnon, qui sembla s'effondrer sur lui-même, comme si répondre à cette guerrière juchée sur son cheval venait d'aspirer la dernière goutte d'énergie à sa disposition.

La marchande lui passa une main dans le dos pour le soutenir, et elle le sentit trempé. Il transpirait abondamment, ce que révéla également son visage lorsqu'il enleva son turban. Lucinia, au comble de l'inquiétude, l'accompagna lorsqu'il se laissa tomber dans le sable et essaya de le soutenir, s'empressant de sortir son outre d'eau pour l'aider à se désaltérer. C'était donc une infection ! Elle n'aurait pas soupçonné que ses plaies auraient pu s'infecter si vite après le traitement reçu, mais probablement que le voyage avait aggravé son état et que les bandages de fortune réalisés à bord du Mille Soleils n'avaient pas tenu.

- Écoutez, fit soudain Lucinia à l'attention de l'homme qui semblait plus disposé à négocier. Nous avons besoin de rejoindre la ville la plus proche, et je suppose que vous escomptez dormir dans un vrai lit ce soir. Aidez-nous, et je aiderai en retour. Je peux vous payer.

Cependant qu'elle parlait, elle sentit que Tarik s'effondrait entre ses bras. Il n'était pas encore tout à fait inconscient, mais son esprit semblait avoir quitté son corps, comme s'il évoluait désormais dans une autre dimension, entre le sommeil et l'éveil. Lucinia avait déjà entendu parler de ce mal, et elle savait ce qu'il en ressortirait. Il serait sujet à des délires, des hallucinations, et sans doute des rêves étranges. Extérieurement, cela se traduirait par une agitation fébrile, et peut-être des spasmes qu'ils auraient besoin de calmer. Elle aida le guerrier à s'allonger par terre, à même la poussière dans le sol, et essaya de le faire boire pour l'aider à se rafraîchir. Il recracha tout immédiatement. Alors qu'elle allait s'apprêter à essayer de nouveau, une lame glissa sous son menton, la forçant à lever la tête. La guerrière avait mis pied à terre et s'était déplacée si rapidement et si silencieusement que Lucinia ne l'avait même pas vue arriver.

- Commençons par le commencement. Vos armes.

La marchande ne se fit pas prier, et enleva soigneusement les armes de Tarik, donnant elle-même l'arme qu'elle avait emportée avec elle : une épée familiale que son père avait laissée avant son départ. La femme au voile chargea les armes à bord du chariot, et les mit dans un petit coffret qu'elle ferma à l'aide d'une clé. Pendant ce temps, l'homme avait rejoint le blessé, et ils le chargèrent à bord, l'allongeant sur des sacs de toile qui contenaient de toute évidence des vêtements. Ils essayèrent de lui aménager un espace relativement confortable, mais dans son état Tarik ne se formaliserait pas de devoir dormir dans ces conditions. Il était de toute évidence épuisé, et ses muscles étaient agités de micro-contractions involontaires. La femme au voile l'examina rapidement, et s'empressa de chercher une sacoche de simples et de bandages avec lesquels elle espérait pouvoir le stabiliser.

- Votre ami va s'en sortir, ne vous inquiétez pas. Laissons Nesrine s'occuper de lui, voulez-vous ? Je m'appelle Za'Shin, et vous ?

- Lucinia, répondit-elle sans réfléchir.

- Lucinia…

L'homme médita un instant cette réponse, avant de passer à autre chose.

- Attachez le cheval de Nesrine à l'attelage, et mettons-nous en route. Chaque minute gagnée est précieuse pour votre ami.

Ce n'était que sagesse, et la jeune femme obtempéra avant que l'attelage ne se mît en route. Le sentier était de piètre qualité, mais il était toujours plus agréable d'être secoué dans tous les sens à bord d'un chariot que de devoir arpenter à pied de telles étendues. Bientôt, la guerrière acheva ses soins, et avec une souplesse étonnante elle se hissa sur son cheval qui marchait tranquillement à côté de l'attelage. Lucinia considéra qu'elle pouvait aller veiller sur Tarik, ce qu'elle fit. Nesrine avait de toute évidence de solides connaissances médicales, car elle avait appliqué des cataplasmes qui étaient censés limiter l'infection, et aider à la guérison. Ce n'était rien, mais cela permettrait sans doute au blessé de tenir jusqu'à la prochaine ville. La jeune femme laissa échapper un soupir de soulagement, et posa sa main sur le front de Tarik. Il était brûlant, et ses paupières s'agitaient comme s'il essayait de se débattre dans son rêve. Elle espérait sincèrement que son interprétation était erronée, car il aurait été réellement pesant pour un homme d'être poursuivi dans la réalité aussi bien que dans le monde des songes. Elle pria Melkor pour qu'il apaisa l'âme du guerrier, et qu'il lui accordât de trouver un peu de répit dans une existence qui semblait malheureusement faite de guerre et de sang. Cette prière achevée, Lucinia essaya de garder les yeux ouverts, mais la fatigue était telle qu'elle-même ne tarda pas à flancher. Elle s'allongea à côté de Tarik, et se laissa bercer par les cahots, avant de plonger dans un sommeil qu'elle espérait réparateur.

Mais les cauchemars n'étaient pas l'apanage du seul Tarik.


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- Drôle de compagnie, fit Nesrine à voix basse, en s'assurant que les deux voyageurs dormaient bien. Ils ont l'air d'en avoir vu de dures. Ses blessures… c'est une lame qui a fait ça.

L'homme hocha la tête.

- Je m'en doutais. Le Harad n'est pas un endroit où se promener à pied. Tu as remarqué que la fille avait un accent d'Umbar ?

Nouveau regard en arrière. Leurs deux passagers dormaient profondément, et n'étaient pas prêts de se réveiller. Nesrine fit « oui » de la tête.

- Tu sais comment elle s'appelle ?

Elle répondit par la négative.

- Lucinia.

Les yeux de Nesrine se plissèrent légèrement. Elle se souvenait d'avoir entendu ce nom récemment, et il lui fallut quelques secondes pour faire le lien :

- La prime ? La prime de Shahib ? Combien déjà ?

Za'Shin acquiesça :

- Dix mille vivants. Cinq mille morts. Chacun.

La guerrière jeta un nouveau regard en arrière. Dix mille pour la gamine et pour l'estropié ? Ils avaient vraiment dû taper sur les nerfs du Requin pour qu'il mette un prix aussi élevé. Cela ne serait pas suffisant pour déplacer les chasseurs de prime les plus compétents, mais avec une telle récompense tous les brigands de seconde zone seraient à l'affût pour essayer de rafler le pactole. Même morts, ils valaient encore la peine.

- Tu penses à ce que je pense ?

- Je crois… Mais c'est quand même une drôle de coïncidence, Za…

Il sourit, et répondit :

- Il n'y a pas de coïncidence… seulement le Destin.


~ ~ ~ ~


Lorsque Lucinia se réveilla, elle put observer au-dessus de sa tête le ciel étoilé. Elle s'était habituée à le voir là, suspendu à la voûte céleste comme une fresque colorée qui changeait chaque soir au gré des nuages et de la lueur que diffusait la lune solitaire. Toutefois, elle ne cessait de s'émerveiller de sa beauté, et pendant un instant elle resta à le contempler. Tout était plus simple, quand on pouvait seulement observer et se retirer en soi-même pour méditer. Agir, en revanche, impliquait des souffrances, des échecs… des morts. Le Harad était impitoyable avec ceux qui essayaient de changer le cours de leur Destin, et la mort mordait sans sommation. La jeune femme se redressa légèrement, et constata qu'ils se trouvaient encore dans le chariot, qui continuait à avancer. Cependant, l'odeur salée et le chant des mouettes lui indiqua qu'ils se trouvaient proches de la côte.

- Nous arrivons bientôt ? Demanda-t-elle, en se redressant pour examiner Tarik qui était toujours inconscient, mais plus calme.

Za'Shin, qui conduisait l'attelage, se retourna vers elle :

- Oh, vous êtes réveillée. Nous avons dû changer de plan, je suis désolé.

- Changer de plan ? Comment ça ?

Lucinia était légèrement sur la défensive, mais elle s'efforça de ne rien montrer. Elle se contenta de regarder autour d'elle, pour constater que Nesrine avait disparu. Aucune trace de son cheval non plus. L'homme sentit qu'il fallait la rassurer, et il souffla :

- Samaha est un village parfait pour faire escale quand on vient de loin, mais c'est aussi un repaire de brigands en tout genre. Nous ne pensions pas y faire véritable halte : seulement acheter quelques vivres et repartir rapidement avant d'attirer l'attention. Mais votre ami a certainement besoin de soins prolongés, et nous n'imaginions pas vous laisser seule à le surveiller. Pas au milieu d'une telle faune.

- Je m'en serais sortie, répliqua Lucinia acerbe. Et ce n'était pas notre accord. Faites demi-tour s'il-vous-plaît.

La jeune femme se redressa davantage, mais elle se rendit compte avec désespoir qu'elle n'était pas armée, et qu'elle ne pouvait pas vraiment faire plier cet homme à sa volonté. Tarik endormi, elle devait gérer seule cette situation en utilisant ses maigres ressources, notamment son esprit.

- Vous n'avez rien à gagner à nous retenir contre notre volonté. Dans son état, mon compagnon n'a aucune valeur.

L'homme rit discrètement :

- Je sais bien, je ne suis pas un marchand d'esclaves. Je ne suis même pas un brigand, vous constaterez que vous avez toujours votre or avec vous.

C'était vrai. La jeune femme était perdue. Elle ignorait ce qu'ils pouvaient bien vouloir d'elle. Ils avaient pris leurs armes, c'était un fait, mais à part cela ils ne s'étaient pas montrés agressifs ou dangereux. Elle pouvait très bien descendre de l'attelage et prendre ses jambes à son cou si elle le souhaitait, elle n'était pas sûre qu'ils essaieraient de l'en empêcher. Cependant, Za'Shin devait savoir qu'elle ne pouvait pas transporter son compagnon inconscient, et qu'elle n'irait nulle part sans lui. Il n'avait même pas besoin de la retenir prisonnière, elle était enchaînée à Tarik, et elle n'avait aucune intention de vivre un sort différent du sien.

- Suis-je votre prisonnière ? Fit-elle.

- Je ne pense pas. Vous m'avez demandé de l'aide, et je vous l'apporte dans la mesure de mes moyens. Vous laisser à Samaha aurait signé votre arrêt de mort, et vous le savez.

Elle baissa la tête. Elle aurait pu essayer de se défendre, mais elle savait pertinemment qu'il aurait suffi de quelques bandits pour venir à bout de sa résistance. Bien des choses pouvaient les motiver : si elle était reconnue, alors elle n'aurait aucun moyen de résister à d'éventuels assassins envoyés par Shahib. Elle pouvait aussi tomber sur des voleurs qui viendraient profiter de l'occasion pour la dépouiller de ses maigres biens. Tarik inconscient, ils tenteraient leur chance en se disant qu'elle n'opposerait pas une trop grande résistance. Ou bien ce pouvaient être des marchands d'esclaves à la recherche d'une femme sans défense. Ou tout simplement des porcs monstrueux qui voudraient s'amuser avec elle en profitant de ce qu'elle n'avait personne pour veiller sur son sort. La pensée de tomber aux mains de tels homme la fit frémir. Za'Shin n'était pas rassurant, mais au moins semblait-il ne pas la regarder comme un morceau de viande. A dire vrai, il ne la regardait pas le moins du monde.

Ce fut probablement ce qui l'incita à saisir sa chance.

Elle n'avait pas d'arme, pas même un objet contondant pour l'attaquer, mais elle trouva un morceau de tissu suffisamment solide. Il la prenait pour une faible femme sans danger ? Il allait voir ! Elle fondit sur lui, et enroula le tissu autour de sa gorge dans l'espoir de pouvoir l'étrangler. Il tira par réflexe sur les rênes, et immobilisa l'attelage au milieu du chemin. S'en suivit un duel de force qui, étonnamment, commença à tourner à l'avantage de Lucinia. Elle n'imaginait pas s'en sortir, mais de toute évidence la peur et le désespoir avaient décuplé ses forces et elle était capable de tenir tête à un homme qui lui rendait au moins quarante livres. Sa victoire était proche, mais elle reçut soudainement un coup d'une grande violence dans le foie qui la fit lâcher prise. Il était venu de nulle part, surgi de la nuit, accompagné du galop d'un cheval. Elle bascula sur le côté, et se retrouva face contre terre dans la poussière, alors que des pieds entraient dans son champ de vision. Une main puissance la saisit par la gorge et la releva sans la moindre difficulté.

Nesrine.

- Za ! Tu t'es fait avoir par une gamine à peine plus lourd qu'un sac de riz ?

L'homme, qui reprenait bruyamment son souffle, répondit bientôt :

- Je ne m'y attendais pas… Elle est… surprenante…

Sans attendre, Nesrine chargea Lucinia à l'intérieur du chariot, et se remit en selle en rappelant à cette dernière :

- J'ai accepté votre présence ici, c'est pas pour que vous essayiez de tuer l'un d'entre nous. J'ai eu la bonté de vous épargner cette fois, mais si vous me refaites un coup comme ça, ce n'est pas avec la hampe de ma lance que je vous frapperai, c'est clair ?

La marchande, encore un peu sonnée, opina du chef. Que pouvait-elle faire, sinon ? Elle s'était instinctivement placée entre Tarik et Nesrine, laquelle vit bien sa manœuvre et ajouta :

- Je peux aussi arrêter de soigner votre ami, et le laisser crever… J'étais partie chercher de quoi lui permettre de se remettre, mais si vous tenez absolument à ce qu'il meure…

- Non ! Cria Lucinia, avant de reprendre plus doucement. Je vous en prie, non… Je ne ferai plus rien de stupide… Mais pitié, ne le laissez pas mourir…

Nesrine planta son regard glacial dans celui implorant de la jeune marchande. Finalement, ce fut Za'Shin qui intervint pour calmer les choses, et mettre un terme à l'incident. D'une voix apaisante, il invita sa compagne de route à apporter son assistance à Tarik. A partir de ce moment, Lucinia se montra beaucoup plus docile. La vie de son compagnon était entre ses mains, et elle avait décidé de veiller sur lui sans faillir, en attendant qu'il se réveillât. Elle ne pouvait que gagner du temps jusqu'au jour où il reprendrait enfin connaissance…


~ ~ ~ ~


Tarik finit par ouvrir les yeux. Le soleil brillait et réchauffait son corps endolori, mais ne touchait pas son visage, protégé des rayons mordants par un assemblage ingénieux qui lui procurait de l'ombre. Ses mouvements attirèrent l'attention de Lucinia, qui se trouvait immédiatement à côté de lui, et qui pénétra dans son champ de vision :

- Tarik, oh par Melkor, tu es vivant !

Elle se retint de se jeter à son cou, mais lui prit la main avec tant de force qu'il sentit tout le poids de son angoisse. Elle avait les yeux brillants, mais c'était un réel soulagement pour ne pas dire une joie qu'on pouvait lire au fond de ses iris. Elle l'examina rapidement avec une aisance qui trahissait l'habitude qu'elle avait désormais à observer ses blessures pendant qu'il était demeuré inconscient. Tout semblait en ordre, et l'infection semblait avoir été contenue par les bons soins de Nesrine. La fièvre avait baissé depuis la veille, et il allait mieux désormais, même s'il était encore très affaibli sans doute. Une voix venue de l'avant du chariot parvint aux oreilles du convalescent :

- C'est bon ? Il est remis ?

- Oui ! Fit Lucinia. Passez-moi de l'eau ! Puis, ayant sans doute reçu l'outre qu'elle demandait, elle vint aider le guerrier à boire : Doucement, doucement… Ne t'étrangle pas.

La pique tira un rire léger à Nesrine, tandis que Za'Shin fronçait les sourcils. Anticipant les questions que le guerrier pouvait avoir, Lucinia essaya de l'aider à s'orienter à la fois dans le temps et l'espace. Il se souvenait sans doute de la rencontre avec le duo, mais pas davantage. Il s'était bien « réveillé » de temps en temps, quelques minutes à peine, pendant lesquelles elle avait pu lui donner à manger et à boire, mais dans son délire il ne se souvenait sans doute de rien, ou de pas grand-chose. Quelques flashes peut-être, quelques sensations, mais rien de concret. Aujourd'hui, elle le voyait à son regard qui suivait le sien et qui paraissait être connecté à la réalité, il était bel et bien présent :

- Nous sommes à quelques heures d'Umbar, tout au plus… Tu n'entends pas ?

Il y avait effectivement un bruit. Un bruit constant, assez confus pour être perturbant, mais assez unique pour être identifiable : des gens. Des tas de gens. Une longue colonne de marchands, de fermiers et de voyageurs en tout genre qui rejoignaient la Cité du Destin. Elle fourmillait d'activité, comme toujours, et la file d'humains et de bêtes s'étirait jusqu'à cette tâche sombre au loin, au bord de la baie : Umbar. Elle aida Tarik à se redresser, pour qu'il puisse constater par lui-même à quel point ils avaient progressé. Sur sa droite, au sud, il pouvait voir la mer immense qui s'étendait à perte de vue le long de la côte. Les oiseaux marins au-dessus de leurs têtes décrivaient des cercles dans les airs, en chantant. Sur sa gauche, au nord, les plaines désolées du Harad, et les collines qui marquaient la frontière avec le Désert Sans Fin.

- Tu as dormi pendant deux jours. Tu dois avoir faim.

Faim, et des questions, mais elle jugea plus utile de lui mettre une cuillère de gruau dans la bouche. C'était froid et peu ragoûtant, mais cela avait le mérite de tenir au corps, et d'avoir plus de goût que la pain rassis. A mesure qu'il mangeait et qu'il reprenait des forces, Tarik prenait conscience de son environnement. Nesrine qui, sa lance en main, le surveillait du coin de l'œil, et cet homme dont il ignorait toujours le nom qui guidait l'attelage et qui le regardait par-dessus son épaule avec un air indéchiffrable. Ce fut ce dernier qui lança :

- Bienvenue parmi les vivants, Tarik. Je m'appelle Za'Shin. Je suis content de vous voir émerger avant que nous arrivions à Umbar. Nous n'aurons pas à expliquer aux gardes pourquoi nous transportons un homme inconscient.

Lucinia baissa la tête vers le blessé, passant une main sur son front pour voir comment évoluait son état. Il allait mieux. Elle lui lança un sourire qu'elle voulait rassurant, mais ses yeux ne mentaient pas. Ils exprimaient toute son appréhension. Il semblait s'être déroulé une éternité depuis qu'ils avaient quitté Umbar, et bien que la cité eût toujours constitué leur destination, il était à la fois émouvant et effrayant de revenir ici. Face à eux, derrière ces hauts murs bâtis des âges auparavant, se trouvaient leurs ennemis. Shahib le Requin, Khaan le Serpent, et tous leurs alliés, autant de lames qui pour l'heure ignoraient leur présence ici. L'heure fatidique approchait, et la jeune femme se rendait compte douloureusement à quel point elle était mal préparée. Ici, sans arme, sans armure, sans armée, aux portes de la Cité du Destin, elle se sentait comme une condamnée à mort avançant vers l'échafaud, au rythme du cheval placide qui tirait péniblement le chariot sur lequel elle se trouvait. Tarik était blessé, à peine capable de tenir sur ses jambes, et ils avaient pour seule compagnie Nesrine et Za'Shin, deux individus dont elle ignorait les intentions. Elle aurait voulu parler à Tarik, lui exprimer ses doutes à leur sujet, et peut-être réfléchir avec lui à une solution pour entrer discrètement à Umbar. Mais les yeux acérés de la guerrière ne la lâchaient pas, et s'assuraient qu'elle ne chercherait pas à leur nuire.

Le silence dans lequel s'enfonça Lucinia était pour le moins éloquent.

Et les murs de la cité continuaient à approcher.

#Nesrine #Shahib #Tarik
Sujet: Une escale avant de combattre...
Ryad Assad

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Rechercher dans: Annúminas   Tag nesrine sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Une escale avant de combattre...    Tag nesrine sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyDim 17 Nov 2013 - 12:14
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Le Sinistre sourit légèrement en voyant l'inconnu l'interpeler ainsi. Il n'imaginait pas que parmi ce ramassis de ratés, de menteurs et d'ivrognes, il trouverait un seul homme capable de relever le défi qu'il venait de leur imposer. Gundabad. Cela représenterait un défi même pour les plus grands héros de l'histoire, et même des armées entières avaient échoué à pénétrer dans cette sombre forteresse. Son nom à lui seul tenait éloigné la grande majorité des aventuriers, et ceux qui ne le connaissaient pas apprenaient bien vite à ce méfier des gobelins qui arpentaient la région, à la nuit tombée. Ils n'étaient pas aussi nombreux que par le passé, disait-on. Sous le règne de Sauron, ennemi des Peuples Libres, ils étaient des milliers à se déverser dans les campagnes, comme une nuée d'insectes, comme une horde frétillante à la recherche de carnages, à la recherche de sang. Mais à l'heure actuelle, ils étaient encore relativement nombreux, et ils erraient parfois, en groupes plus ou moins importants, à l'heure où le soleil ne laissait plus ses rayons réchauffer l'atmosphère, à l'heure où la nuit la plus noire reprenait ses droits. Ils se déplaçaient avec une discrétion prodigieuse, pour des créatures de leur acabit, et ils surprenaient les voyageurs les moins attentifs, en leur fondant dessus au moment où ils ne s'y attendaient pas. Et là, ils ne laissaient rien. Les charriots étaient vandalisés, pillés, et détruits sans pitié. Les chevaux étaient massacrés, et traînés à l'intérieur de la sombre forteresse où ils seraient probablement dépecés et consommés au prochain festin. Les propriétaires malchanceux étaient égorgés, et dévorés sur place par une horde sauvage et affamée, qui ne respectait rien, et ne vivait que pour accomplir de sombres desseins. Cet individu, qui souhaitait lui parler en privé, devait ignorer précisément quels étaient les dangers de Gundabad. Il avait l'air d'un étranger, d'un voyageur venu de loin - en témoignait sa tunique usée. Son corps n'était pas celui des gens de l'Arnor. Il ressemblait à un rôdeur, mais il semblait trop fin, trop élancé pour correspondre à leur profil. Il avait plutôt l'air d'une de ces fillettes du Gondor, qui une fois séparées de leurs armures rutilantes ressemblaient à des brindilles que l'on pouvait casser entre ses doigts.

Et pourtant, il y avait quelque chose de particulier chez cet homme. Quelque chose qui poussait à la méfiance. Etait-ce le calme que l'on lisait dans sa voix, ou bien son regard déterminé qui semblait ne jamais ciller ? Impossible de le savoir. Guilhelm s'était retourné dans sa direction, et demeura un instant sans réponse, devant sa menace à peine voilée. Les autres personnes autour d'eux formèrent un cercle en reculant prudemment, libérant autour d'eux une véritable arène pour les laisser agir et parler. Il était évident que tous souhaitaient voir un duel se livrer et se résoudre ici. Le Sinistre opposé à un inconnu qui ressemblait un peu à un rôdeur. Le combat pouvait certes être intéressant, et il y avait déjà des murmures parmi les observateurs, qui commentaient les points forts et les points faibles de chacun, esquissant les contours d'un pari général organisé autour d'une bagarre de taverne. Mais Guilhelm était davantage intrigué par la proposition de ce nouvel arrivant que par ses propos provocateurs. Il fit tourner sa dague dans sa main, la gauche, avec une dextérité surprenante, avant de lâcher :

- Rien. Je ne peux pas te prouver que j'ai bien été au Mont Gundabad, c'est certain. Mais à moi de te donner un conseil, étranger : ne me prends pas de haut, car je réserve un traitement bien spécifique à ceux qui insultent mon honneur.

Il se rengorgea, et pendant un instant, il parut évident qu'il y allait avoir une confrontation entre les deux. Mais Le Sinistre rangea subitement sa dague dans son fourreau. Elle s'y logea avec un claquement sec, et on put presque entendre un soupir de déception générale parmi l'assemblée, qui ne souhaitait rien d'autre que de voir un beau combat en cette belle soirée :

- Cependant... je suis curieux de savoir de quoi vous voulez me parler. Suivez-moi, si le cœur vous en dit.

Sans attendre, il pivota, et fendit la foule qui s'écarta sur son passage, en direction d'un escalier qui menait à l'étage. Il s'assura que l'inconnu était sur ses talons, et gravit les premières marches alors que derrière lui, les badauds retournaient à leurs activités en grommelant, pour certains, ou en commentant la scène à laquelle ils avaient assisté, pour d'autres. La rencontre entre les deux hommes prenait déjà des proportions Aldariennes, et probablement que dès le lendemain, on raconterait comment Le Sinistre et un inconnu s'étaient affrontés sans merci dans la taverne, dans un combat d'une rare violence. Ah... les rumeurs.

Guilhelm arriva en haut des marches, et il bifurqua immédiatement en direction de la chambre qu'il occupait pour le moment. Contrairement à ce que l'on aurait pu croire, ce n'était pas un palace, et elle était relativement sobre, pour ne pas dire austère. Un lit occupait le milieu de la pièce, bordé par une table de chevet sur laquelle était déposée une unique bougie. Elle ne devait pas dispenser grande lumière lorsqu'elle était allumée, et la nuit, cet endroit devait avoir une atmosphère très particulière. Le Sinistre enfonça sa clé dans la serrure, et pénétra dans la pièce sombre sans rien dire. Il s'effaça poliment pour laisser l'inconnu rentrer, se tenant très légèrement sur le côté. Au moment précis où ils se retrouvèrent côte à côte, Guilhelm réagit avec une vivacité prodigieuse. Il empoigna l'inconnu et le col et par le bras, et le poussa à l'intérieur sans ménagement, abaissant au passage la capuche qui dissimulait ses traits. Son mouvement avait été trop rapide et trop imprévisible pour être anticipé d'une quelconque manière, et l'inconnu se retrouvait désormais au fond de la pièce, à plusieurs mètres de son interlocuteur. Le Sinistre, pendant que son interlocuteur reprenait son équilibre, en avait profité pour dégainer une arbalète qu'il tenait cachée dans un coin. Il en profita pour mettre immédiatement en joue sa cible. Lorsque celle-ci lui apparut clairement, il se permit de hausser un sourcil, avant de lancer :

- Un elfe ? Comme c'est curieux... Je ne pensais pas qu'un elfe voudrait me tuer...

Il se parlait presque à lui-même, et il reprit finalement à l'intention de l'intéressé, qui était toujours pris pour cible :

- Ecoute-moi bien, oreilles pointues. Tu as beau être rapide, à cette distance, tu ne pourras jamais éviter mon carreau, alors ne tente rien de stupide. Dis-moi simplement qui tu es, et ce que tu me veux... Sois honnête, et je te laisserai vivre. Je n'ai pas d'intérêt à te tuer.

Il semblait évident que Guilhelm souhaitait éviter la confrontation autant que possible, et qu'il préférait que tout cela se règle de manière pacifique. Toutefois, on pouvait lire une pointe de crainte dans son regard, et cela ne présageait rien de bon. Au moindre mouvement menaçant, à la moindre tentative suspecte, il appuierait sur la gâchette, et mettrait un terme à la vie de l'elfe sans attendre. Il faudrait jouer finement pour réussir à s'en sortir, cette fois...

#Celarith #Nesrine #Sinistre
Sujet: La famille, orage à mépris
Ryad Assad

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Rechercher dans: Annúminas   Tag nesrine sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: La famille, orage à mépris    Tag nesrine sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyLun 19 Aoû 2013 - 19:29
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Une désagréable sensation de fatigue s'empara de Nesrine, alors que sa conscience réintégrait progressivement son corps, abandonné depuis bien trop longtemps. Plus d'une journée avait passé sans qu'elle donnât un seul signe de vie autre que le souffle profond et régulier qui s'échappait de sa poitrine, et soulevait les cheveux qui recouvraient négligemment son visage. Elle demeura allongée quelques instants, essayant de retrouver la force de faire bouger ses muscles, tout en réapprenant à quel point il pouvait être pénible d'entendre en permanence les battements d'un cœur, le sifflement de l'air entrant et sortant des poumons, et le bruissement de la peau au contact de l'entièreté de l'univers matériel. Une cacophonie assourdissante qui lui parut soudain parfaitement invivable. Si elle n'avait pas su que tel était son véritable environnement, elle aurait probablement fait demi-tour pour retourner dans l'abîme de ténèbres dans lequel son âme s'était plongée pendant vingt-six heures. Au bout de quelques minutes qui parurent une éternité, elle finit par ouvrir timidement les yeux, pour se retrouver dans la pénombre. De toute évidence, elle était dans la même chambre où elle s'était endormie, et elle avait passé la "nuit" sans être dérangée. Ou plutôt, personne ne se trouvait dans la pièce pour l'instant, ce qui ne signifiait pas que personne n'y était rentré. Elle songea à Aglérasia, qui devait toujours être convalescente, et se releva. Nesrine savait que ses "nuits" duraient en général autour d'une journée, et elle n'était pas trop perdue mentalement, même si elle avait l'impression d'avoir été coupée du monde pendant des années. Autour d'elle, tout était calme, et elle se redressa en laissant les couvertures glisser sur sa peau nue, tâtonnant à la recherche de son voile qui était fort heureusement toujours à sa place.

Son visage visage fatigué fut découpé en deux, lorsque le fin morceau de tissu vint s'emparer de la partie basse de celui-ci, laissant exposé au monde son regard d'un bleu intense. Ses yeux papillonnèrent vivement, alors qu'elle faisait la mise au point, et qu'elle repérait dans la semi-obscurité ambiante. Le lit dans lequel elle n'avait pas dormi était toujours là, la petite table aussi. Quelqu'un avait remis remis le miroir face à la pièce et non plus face au mur, mais cela ne la dérangeait guère désormais qu'elle portait la seule protection dont elle avait besoin. La jeune femme se leva gauchement, encore un peu ankylosée et raide, et marcha à travers la pièce pour se dégourdir un peu les jambes. Elle sentait le sang se forcer un passage à travers les veines tel un torrent d'eau comprimé dans un tuyau trop étroit. Elle avait l'impression qu'une chaleur brûlante descendait en flèche le long de ses membres fuselés, pour combattre la froideur du sol qui tentait de s'immiscer en elle via la plante de ses pieds. C'était comme un combat acharné pour sa survie, qui se déroulait à un niveau trop infime pour qu'elle en fût témoin, même si elle devinait les efforts que faisaient les petits soldats de son organisme pour remporter cette bataille. Décidant de les aider un peu, elle se pencha pour récupérer la couverture, et l'enroula autour d'elle comme si elle sortait d'un bain. En réalité, c'était principalement parce qu'elle n'avait pas trouvé ses vêtements, qui avaient mystérieusement disparu. Seules ses armes demeuraient présentes, soigneusement rangées au pied de la table par quelqu'un d'autre qu'elle.

Contrainte de se vêtir ainsi, elle se dirigea vers la porte, non sans avoir passé une main dans ses cheveux pour essayer d'y remettre de l'ordre. Cependant, ils étaient secs et abîmés, et elle avait l'impression qu'on lui avait greffé de la paille dans le crâne. Renonçant bien malgré elle à les coiffer alors qu'ils étaient dans cet état, elle quitta la petite chambre, et gagna la pièce à vivre, où se trouvait Marta. La femme était en train de préparer le repas du soir, qui devait mijoter encore plusieurs heures. A part la chanson qu'elle fredonnait doucement, et le raclement de la cuillère sur la marmite, on n'entendait nul bruit à l'intérieur de la maison.

- Euh... Bonjour... ou bonsoir, lâcha Nesrine d'une voix un peu rauque.

Marta se tourna dans sa direction, et lui offrit un sourire paisible, serein. Elle détailla son invitée des pieds - nus - à la tête - décoiffée -, et s'empressa d'abandonner sa cuisine pour venir à sa rencontre :

- Ma pauvre, vous avez besoin d'un bon bain pour vous relaxer. Vous êtes coiffée comme si vous aviez couru dans les bois.

Nesrine, qui tenait peut-être autant à sa chevelure qu'à la vie elle-même, accepta la remarque avec un calme qui pouvait paraître étonnant chez elle. Mais bien reposée, elle était davantage disposée à faire preuve de patience et de gentillesse, ce qui n'était pas du luxe. Elle n'était d'ailleurs pas du genre à refuser un bain, et elle avait l'impression qu'elle ne s'était pas lavée depuis des lustres. D'autant qu'il n'y avait rien de mieux pour ses muscles encore endoloris. Cependant, elle était d'abord concernée par le cas d'Aglérasia, et elle interrogea la maîtresse de maison à ce sujet. Celle-ci la prit par le bras pour la tirer vers une pièce à part dans laquelle se trouvait une baignoire, tout en répondant :

- Elle est sortie, pour l'instant. Elle se sentait mieux, et elle voulait marcher au grand air pour reprendre des forces. Elle m'a assuré qu'elle ne s'éloignerait pas trop, et qu'elle ne rentrerait pas trop tard.

Nesrine acquiesça, puis interrogea :

- Et Viktor ? Enfin... je veux dire... votre mari.

- Il est sorti aussi. Il m'a dit qu'il voulait voir le corps de l'homme qui vous a agressée avant qu'il ne soit enseveli sous la neige. Et sur le chemin du retour, il fera en sorte de trouver du bois pour attiser nos feux. Les températures ont encore baissé. Et maintenant que vous êtes rassurée, allez-vous enfin vous décider à entrer dans cette baignoire ?

Nesrine s'exécuta sitôt que la femme fût partie, non sans lui avoir au préalable montré où se trouvaient ses vêtements - qu'elle avait lavés et séchés - ainsi qu'une serviette propre. La haradrim avait pris soin de verrouiller la porte afin d'interdire l'accès de la pièce à quiconque, et elle s'immergea complètement, prenant un grand plaisir à être enveloppée ainsi de la douce chaleur d'une eau bouillante chauffée au feu de bois tiédie par de l'eau glacée. Le mélange était subtil et harmonieux, et le bain était parfait selon ses envies du moment. Elle n'aurait pas pu rêver mieux. Ayant abandonné son voile à l'extérieur, elle plongea la tête sous l'eau, et profita pendant un instant de l'impression d'isolement que l'on pouvait ressentir au milieu de l'élément aqueux. Elle avait l'impression qu'il s'y jouait une mélodie qu'elle percevait péniblement, et si elle avait eu assez de souffle dans ses poumons, elle se serait volontiers attardée pour l'écouter. Mais l'Homme n'étant pas fait pour garder la tête sous  la surface des choses, elle regagna son élément naturel en inspirant bruyamment, et entreprit de flâner dans son bain, laissant son esprit vagabonder ici et là. Elle songea à tout ce qu'il venait de se produire en quelques jours, et se dit que les choses avaient plutôt bien tourné pour l'heure. Après avoir échappé aux hommes de Braga, elles avaient réussi à rejoindre cette famille adorable, et elles avaient de bonnes chances de localiser le village qu'elles cherchaient. Elles n'avaient jamais été aussi proches du but. Et même la blessure de Aglérasia, qui avait été un vrai choc, semblait n'être qu'un lointain souvenir. La jeune femme marchait déjà, et semblait retrouver des forces peu à peu. Il lui faudrait sans doute encore du repos avant de pouvoir chevaucher tranquillement, mais tant qu'elles se trouvaient dans ce havre de paix, rien ne pouvait les atteindre.

La haradrim profita longuement du confort liquide, mais décida au bout d'un moment qu'il était temps de se savonner, avant que l'eau ne devînt totalement froide. Elle se pencha pour attraper un pain de savon, et entreprit de se frictionner vigoureusement les cheveux, d'abord, puis tout le corps ensuite. L'odeur était forte et elle aurait pu être désagréable, si le voyage ne l'avait pas habituée à plus difficilement supportable. De fait, elle trouva cela parfaitement acceptable, et se décrassa efficacement, déterminée à chasser toute trace de saleté de son épiderme. Après avoir lavé ses cheveux une première fois, et les avoir rincés, elle réitéra l'opération pour être certaine de ne rien avoir oublié. Sa chevelure était longue, et longue était la part de temps qu'elle consacrait régulièrement à leur entretien. Elle finit cependant par achever sa toilette, et ce fut avec l'impression étrange de sortir d'un cocon qu'elle se hissa hors de l'eau. Le froid la saisit immédiatement, et elle s'empara vivement de la serviette pour se sécher, et passer ses vêtements. Cette fois, elle ne prit pas son temps, pressée par la sensation glaciale sur sa peau, et l'affreuse impression d'avoir été plongée dehors en pleine tempête. Elle passa sa tunique fort légère, et s'empressa de regagner la pièce à vivre, non sans avoir au préalable réajusté son voile sur son visage.

Marta était toujours à la cuisine, installée tranquillement devant l'âtre qui dispensait une douce chaleur. En voyant arriver son invitée, elle afficha une mine surprise, et lui lança gaiement :

- Je pense que vous devriez venir ici... que je vous aide à démêler tout ça !

Et elle faisait bien entendu référence aux cheveux de la jeune femme, qui, trempés, ne ressemblaient plus à grand chose tandis qu'ils cascadaient autour de sa tête librement. Elle avait fait en sorte de les sécher autant que possible, mais elle sentait encore de fins filets d'eau couler insidieusement le long de son dos, lui causant des frissons désagréables dont elle se serait bien passé.

- Asseyez-vous à mes pieds, allez ! Ordonna gentiment la maîtresse de maison, à une Nesrine rendue docile par la somnolence qui commençait à s'emparer d'elle.

La jeune femme s'installa donc dos au fauteuil que Marta occupait, assise par terre, laissant cette petite dame s'occuper de sa chevelure. Elle avait sorti de Melkor savait où un peigne, et elle s'appliquait méticuleusement à retirer tous les nœuds qui avaient pu se former. Elle agissait avec célérité et efficacité, tirant parfois quelques grimaces de douleur à sa patiente, qui demeurait silencieuse. Une petite gêne s'installa, que dissipa rapidement la plus âgée :

- Alors, Nesrine... Parlez-moi un peu de vous ! D'où venez-vous donc ? Je ne crois pas que vous soyez originaire d'ici, je me trompe ?

- Non, vous avez raison. Je suis née au Harad, loin au Sud du Gondor.

- Ce doit être un endroit formidable, non ? Bien différent d'ici !

Nesrine opina du chef :

- Très différent, oui ! Là-bas, le ciel est toujours bleu, et les nuages sont rares. Là où je suis née, il ne pleuvait guère souvent, et le soleil était toujours présent. Les températures étaient bien supérieures à celles que l'on trouve ici. Les paysages sont différents, aussi. Nous avons de grandes étendues désertiques : du sable à perte de vue, avec des dunes, quelques arbustes morts parfois. Et puis au détour d'un virage, une oasis avec ses palmiers, sa végétation, ses fruits et son eau. Nul sentiment n'est pareil à celui de découvrir une oasis après avoir arpenté le désert.

Marta continuait inlassablement son travail, mais avait ralenti la cadence, comme si elle voulait profiter de cette conversation avec la femme du Sud. Elle reprit tranquillement :

- Vous avez encore de la famille, là-bas ? Je veux dire... Qu'est-ce que font vos parents pendant votre absence ? Car excusez-moi de vous le dire, mais vous m'avez l'air bien jeune pour faire un si long périple...

L'intéressée se rembrunit un peu, mais comme elle était de dos, seule la légère contraction des muscles de ses épaules trahit sa gêne :

- Je n'ai plus de famille là-bas. Je n'ai jamais connu mon père, et c'est ma mère qui nous a élevées seules. Mais elle est morte il y a quelques années. Assassinée. Au Harad, la vie peut-être dangereuse, et les criminels ont bien plus de pouvoir qu'ici.

- C'est terrible, je suis désolée... Mais vous avez dit "nous"... Vous avez un frère ?

Nesrine baissa la tête. Elle avait dit cela sans réfléchir, et n'avait pas eu l'intention d'orienter la conversation dans ce sens. Cependant, elle se sentait totalement incapable de ne pas répondre. Elle était comme assommée par son bain, par le feu qui crépitait dans l'âtre devant elle et qui la réchauffait agréablement, par l'odeur de nourriture qui se dégageait de la marmite et qui lui mettait l'eau à la bouche, par le contact régulier du peigne sur ses cheveux et le bruit qui en résultait. Elle marqua cependant une hésitation, avant de répondre :

- J'ai une sœur. Mais j'ignore où elle se trouve. Je suis à sa recherche.

Marta demeura silencieuse un instant, et son peigne s'arrêta quelques secondes. Nesrine s'interrogea, avant que le mouvement ne reprît. Alors, la femme lâcha presque avec tendresse :

- Vous l'aimez beaucoup, votre sœur. N'est-ce pas ?

La jeune haradrim crut recevoir un coup de poing dans l'estomac, et elle demeura figée, incapable d'offrir une quelconque réponse. Les questions ne cessaient de tourner dans sa tête : comment cette femme avait-elle pu lire cela dans ses paroles, alors qu'elle s'exprimait toujours de manière déplaisante lorsqu'elle abordait ce sujet très délicat. Elle avait conçu une haine féroce envers elle, envers tout ce qu'elle pouvait représenter, et toute la responsabilité qu'elle portait dans la mort de leur mère. Comment cette vieille femme pouvait-elle dire qu'elle l'appréciait ? Et si ce n'était pas le cas, qu'est-ce qui rendait Nesrine si mal à l'aise ? Pourquoi ne pouvait-elle simplement pas répondre : "Non, je la hais et je veux la tuer" ? Pourquoi ne pouvait-elle pas dire : "Elle est responsable de la mort de notre mère, et je n'aurai de cesse que de la voir étendue à mes pieds dans une mare de sang" ? Elle l'ignorait, mais fut heureusement coupée dans ses pensées par le bruit d'une porte qu'on ouvrait.

Marta et elle se levèrent, pour découvrir Viktor, emmitouflé dans une épaisse pelisse, qui franchissait le seuil en s'ébrouant pour chasser la neige qu'il avait dans les cheveux. Il s'écarta, vivement, et céda la place à Aglérasia, qui était sur ses talons. Ils portaient tous deux du bois - une belle quantité pour lui, beaucoup moins pour elle qui ne pouvait se servir que d'un bras -, et ils refermèrent rapidement l'huis pour préserver la chaleur à l'intérieur. De toute évidence, ils avaient fait la dernière partie du trajet ensemble, et ils avaient probablement dû en profiter pour discuter un peu. Cela dit, leurs visages paraissaient tendus. Ils se débarrassèrent de leurs fardeaux, puis quittèrent leurs manteaux, et allèrent s'installer en frissonnant à côté du feu. Nesrine vint s'asseoir tout près d'Aglérasia, prenant ses mains entre les siennes pour les réchauffer. Elle semblait être attentive à ses moindres désirs, et se tenait prête à réagir si elle commandait quoi que ce fût. Marta leur servit un bon repas chaud, composé de viande et de légumes, qu'elle servit avec du pain un peu dur mais qui tenait au corps. C'était un repas modeste, mais dans leurs estomacs affamés il paraissait divin. La maîtresse de maison s'enthousiasme de l'appétit de ses invitées, et les encouragea à en reprendre si elles le désiraient - ce dont ne se priva pas la haradrim. Puis, une fois le repas terminé, ils plongèrent dans un silence confortable, que rompit Viktor au bout d'un moment :

- Alors Aglérasia, avez-vous pu explorer un peu les environs ? Le chemin que je vous ai décrit pour aller au village de votre sœur est probablement caché par la neige, mais vous devriez pouvoir le retrouver.

Il se tut, écoutant la réponse de la jeune femme, avant de reprendre sur un ton tout aussi sérieux :

- Il y a autre chose... Je préférais attendre de vous parler à toutes les deux, mais... Quand je suis allé voir le corps que vous m'avez décrit, je l'ai effectivement trouvé. Cependant... Êtes-vous bien certaines de ne pas avoir trouvé son cheval ?

Les deux femmes se regardèrent. Aglérasia était inconsciente, mais elle devait se souvenir que l'homme qui les avait attaquées était à pied, et qu'il n'avait aucune monture à ses côtés. Mort, il n'avait pas pu la récupérer, et Nesrine n'avait pas localisé le cheval qui l'avait porté jusque là. Elle avait cru qu'il était resté attaché, et avait prestement sorti cette pensée de son esprit, davantage concentrée sur la survie de sa compagne. Cependant, cette question ravivait des interrogations. Viktor regarda tour à tour les deux jeunes femmes, puis posa les yeux sur sa femme qui semblait inquiète d'entendre la suite de son récit :

- Je... Le corps était toujours là, comme vous l'aviez dit. J'étais surpris, d'ailleurs, car il n'était pas recouvert de neige comme je le pensais. Mais surtout, ce que j'ai trouvé bizarre, c'étaient les traces de sabots tout autour. Je ne suis pas un expert en la matière, mais je pense qu'il y avait plusieurs montures. Est-ce que... Est-ce que vous savez ce que cela signifie ?

Nesrine plongea ses yeux bleus dans ceux d'Aglérasia. Elle croyait connaître la réponse à cette question, hélas, mais elle espérait bien lire autre chose dans le regard de sa compagne. Visiblement, Viktor était davantage inquiet qu'en colère, cependant il interrogeait directement la femme blessée, attendant de sa part une réponse et une décision claires.

#Nesrine #Aglérasia
Sujet: Négociations glacées...
Ryad Assad

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Rechercher dans: Les Caves d'Or   Tag nesrine sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Négociations glacées...    Tag nesrine sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyDim 2 Sep 2012 - 0:08
Une pluie diluvienne s'était abattue sur Minas Tirith, conséquence d'une évolution positive de la météo. L'air s'était un peu radouci, et les flocons de neige s'étaient transformés en un torrent d'eau. De quoi tirer un rictus invisible du reste du monde à Nesrine, qui s'efforçait de dissimuler les tremblements de son corps transi de froid. Le voile qui dissimulait la moitié inférieure de son visage s'agitait au rythme de sa respiration saccadée, et seule la cape épaisse qu'elle portait autour de ses frêles épaules, ainsi que l'abri relatif que leur fournissait le coin de toit sous lequel ils se trouvaient, l'empêchaient d'être totalement trempée. En même temps, originaire du Harad, elle avait bien du mal à s'acclimater aux terres de ce qui correspondait au Nord, pour elle. Mais bizarrement, elle avait l'impression qu'elle n'était pas la seule.

Chassant de ses pensées le temps horrible qui semblait lui en vouloir personnellement, elle se concentra sur ce qui allait suivre, tout en en frottant distraitement ses mains l'une contre l'autre, dans un vain espoir de les réchauffer. La mission était un succès, si on pouvait dire ça. En tous cas, le parchemin avait été récupéré, et c'était l'essentiel. Nul ne l'avait ouvert, c'était encore mieux, et ils étaient vivants tous les deux, ce qui était un bonus agréable. Avec un soupir de résignation, la jeune femme décida de se décoller du mur sur lequel elle était adossée pour marcher quelque peu. Elle avait les jambes engourdies, certes, mais les tremblements qu'elle éprouvait n'étaient pas seulement dus au froid.

Ses yeux d'un bleu profond scrutaient les ténèbres qui s'abattaient pesamment sur la Cité Blanche, en quête de leur mystérieux contact, qui leur avait donné rendez-vous pour leur remettre leur paiement, et les libérer de leur contrat. Nesrine était toujours nerveuse à ce moment-là des opérations. Elle savait que plus un employeur était riche et puissant, et plus il avait les moyens de se débarrasser d'un ou deux pions, pour faire disparaître toute trace. C'est pourquoi elle gardait une main à portée de ses dagues. En cas de soucis, elle les sortirait à la vitesse de l'éclair, et advienne que pourra. Son acolyte était quelques mètres plus loin, scrutant lui aussi la pénombre, mais dans une autre direction. Ils étaient peu désireux de se faire surprendre, et pas bien pressés de mourir bêtement.

Un sifflement bref retentit, et Nesrine se retourna. L'homme arrivait. Elle le maudit intérieurement, et rabattit davantage la capuche sur son visage, avant de se jeter sous les torrents d'eau qui tombaient du ciel. Le sol était boueux, et elle avait les pieds trempés. Quel plaisir. Elle était pressée de terminer tout ça, de récupérer son paiement, et d'aller se coucher. Elle manquait cruellement de sommeil, et son comportement s'en ressentait. L'intermédiaire s'arrêta à bonne distance, et d'une voix de conspirateur il lâcha :

- Vous l'avez ?

Nesrine était à cran, et elle avait l'intention d'en terminer rapidement, quitte à ne pas se montrer très courtoise :

- Bien sûr qu'on l'a ! On ne vous aurait pas contacté, sinon. Dépêchez-vous de nous payer, prenez votre truc, et fichez-le-camp. J'ai froid.

L'homme qui lui faisait face eut un sourire froid. Il ouvrit son manteau, et glissa une main à l'intérieur. Sous sa cape, Nesrine empoigna fermement sa dague, prête à tout. Mais il n'y avait aucune raison de s'inquiéter. Le négociateur sortit simplement deux bourses pleines d'or, qu'il leur remit sans un mot. Puis il tendit la main, et la jeune femme consentit non sans un certain soulagement à lui remettre le paquet. Il le fit disparaître dans les replis de son manteau, et sans rien ajouter, tourna les talons. Le tout avait duré moins d'une minute. Nesrine se dépêcha d'oublier tout cela, et fila chercher une chambre dans une auberge luxueuse, où elle pourrait prendre un peu de repos avant de continuer sa quête. Elle avait toujours une personne à tuer...

~~~

Dans une pièce richement décorée, qui n'avait sans doute rien à envier aux plus belles salles du palais des rois de Gondor, se tenait le célèbre Asthrabal, confortablement installé dans un fauteuil qui valait sans doute plus que tout un quartier de Minas Tirith. C'était un homme direct et franc, et il attendait de ses subordonnés la même efficacité discrète, sans emphase inutile, sans perte de temps préjudiciable. C'est la raison pour laquelle lorsqu'il entra, le jeune négociateur ne se vautra pas aux pieds de son employeur, la bouche remplie de compliments :

- Monsieur, lâcha-t-il à la fois en guise de salut et d'entrée en matière. J'ai le parchemin que vous m'avez demandé de rapporter. En excellent état, d'après mes observations. J'ai payé comme il se doit le couple de mercenaires qui a effectué la mission, mais j'ai fait en sorte qu'ils en sachent assez peu. Personne ne peut remonter jusqu'à vous.

Asthabral ne réagit pas. Il attendit un moment, avant de finalement répondre :

- Très bien. Posez ça là, et contactez notre ami elfe. Dites-lui que nous avons trouvé ce qu'il cherchait.

Le négociateur s'inclina légèrement :

- Ce sera fait, monsieur.
#Nesrine #Asthrabal
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