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Sujet: Si la Mort a Mordu
Ryad Assad

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Rechercher dans: Les Havres d'Umbar   Tag shahib sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Si la Mort a Mordu    Tag shahib sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySam 7 Juil 2018 - 23:18
Tag shahib sur Bienvenue à Minas Tirith ! Lucini10

L'état de santé de Tarik se dégradait à vue d'œil, et même si Lucinia avait voulu l'ignorer pour lui faire comprendre qu'elle était en colère contre lui, elle n'avait pas pu s'empêcher de laisser l'inquiétude la saisir. Il était pâle, de toute évidence fiévreux, et son regard était malade. Elle en ignorait la raison, puisqu'il s'évertuait à ne rien lui dire, mais c'étaient probablement ses blessures qui tiraient sur ses forces et qui l'affaiblissaient. Peut-être que la fuite précipitée de la veille avait consumé ses maigres forces, à moins que le fait de monter la garde toute la nuit eût contribué à cette soudaine baisse d'énergie. Et dans tout ce malheur, son comportement entêté n'aidait pas. Plutôt que d'accepter de demander de l'aide il préférait répondre sèchement aux tentatives certes maladroites mais sincères de la jeune femme pour l'aider. Elle voulut essayer de le faire manger, mais il se renferma, et lorsqu'elle lui demanda si ses blessures allaient bien, il changea de sujet avec tant de brusquerie qu'elle ne jugea pas utile de revenir sur la question.

Pourtant, elle était inquiète.

Tarik avait beau être un tueur paranoïaque et un menteur pathologique dénué de toute compétence sociale, il n'en demeurait pas moins son compagnon de route, et ce qui se rapprochait le plus d'un allié dans les étendues désolées qu'ils traversaient. Elle veillait sur lui malgré ce qu'elle percevait être une forme de folie latente qui l'amenait à se méfier de tout et de tout le monde, et elle se préoccupait de l'évolution de ses terribles blessures. Pas uniquement parce qu'elle savait avoir besoin de lui pour rejoindre Umbar. Non. Elle avait une responsabilité importante dans leur situation, et elle s'était promise qu'ils y arriveraient tous les deux. Alors elle essaierait de le tirer d'affaire. Au sens propre comme au sens figuré.

Quand ils abordèrent des passages délicats dans les collines, elle n'hésita pas à ralentir volontairement l'allure pour le laisser souffler un peu, et quand elle se rendit compte qu'il avait besoin d'aide, elle ne se fit pas prier pour le tirer par le bras afin de franchir un obstacle, ou d'évoluer sur des pierres instables. Elle n'attendait pas le moindre remerciement de sa part, mais elle voulait lui faire comprendre qu'elle était là pour lui s'il en avait besoin. Dans toute cette affaire, et malgré leurs disputes fréquentes, elle apprenait à développer un esprit de camaraderie qu'elle n'avait jamais pu expérimenter dans sa vie. Elle avait souvent entendu son père parler de cette solidarité entre marins, entre hommes pour ainsi dire, mais elle avait toujours été tenue à l'écart de ces choses. Elle était la précieuse petite fille à qui tout le monde rendait service, mais qui ne pouvait jamais rien faire de son plein gré pour aider son prochain. On lui tenait la porte, on lui épargnait les tâches ingrates, on lui portait ses affaires… Aider Tarik le maugréeur lui donnait le sentiment de pouvoir remplir une partie de son rôle. Et sans doute que les grommellements du guerrier et son refus de recevoir de l'aide accentuaient le plaisir qu'elle ressentait à pouvoir lui tendre la main.

Parvenir à la route du sud avait été une véritable victoire pour les deux voyageurs, mais le retour à un terrain à peu près praticable s'était fait trop tard. Tarik souffrait toujours autant, et il traînait des pieds de plus en plus. Il semblait écrasé sous le poids de son barda, et son silence n'augurait rien de bon. Ce fut alors qu'ils croisèrent la route d'un duo au moins aussi étrange que le leur, qui arpentait la route fort heureusement dans la même direction qu'eux-mêmes. Tarik essaya de prendre la parole, mais Lucinia avait sous-estimé la méforme de son compagnon, qui sembla s'effondrer sur lui-même, comme si répondre à cette guerrière juchée sur son cheval venait d'aspirer la dernière goutte d'énergie à sa disposition.

La marchande lui passa une main dans le dos pour le soutenir, et elle le sentit trempé. Il transpirait abondamment, ce que révéla également son visage lorsqu'il enleva son turban. Lucinia, au comble de l'inquiétude, l'accompagna lorsqu'il se laissa tomber dans le sable et essaya de le soutenir, s'empressant de sortir son outre d'eau pour l'aider à se désaltérer. C'était donc une infection ! Elle n'aurait pas soupçonné que ses plaies auraient pu s'infecter si vite après le traitement reçu, mais probablement que le voyage avait aggravé son état et que les bandages de fortune réalisés à bord du Mille Soleils n'avaient pas tenu.

- Écoutez, fit soudain Lucinia à l'attention de l'homme qui semblait plus disposé à négocier. Nous avons besoin de rejoindre la ville la plus proche, et je suppose que vous escomptez dormir dans un vrai lit ce soir. Aidez-nous, et je aiderai en retour. Je peux vous payer.

Cependant qu'elle parlait, elle sentit que Tarik s'effondrait entre ses bras. Il n'était pas encore tout à fait inconscient, mais son esprit semblait avoir quitté son corps, comme s'il évoluait désormais dans une autre dimension, entre le sommeil et l'éveil. Lucinia avait déjà entendu parler de ce mal, et elle savait ce qu'il en ressortirait. Il serait sujet à des délires, des hallucinations, et sans doute des rêves étranges. Extérieurement, cela se traduirait par une agitation fébrile, et peut-être des spasmes qu'ils auraient besoin de calmer. Elle aida le guerrier à s'allonger par terre, à même la poussière dans le sol, et essaya de le faire boire pour l'aider à se rafraîchir. Il recracha tout immédiatement. Alors qu'elle allait s'apprêter à essayer de nouveau, une lame glissa sous son menton, la forçant à lever la tête. La guerrière avait mis pied à terre et s'était déplacée si rapidement et si silencieusement que Lucinia ne l'avait même pas vue arriver.

- Commençons par le commencement. Vos armes.

La marchande ne se fit pas prier, et enleva soigneusement les armes de Tarik, donnant elle-même l'arme qu'elle avait emportée avec elle : une épée familiale que son père avait laissée avant son départ. La femme au voile chargea les armes à bord du chariot, et les mit dans un petit coffret qu'elle ferma à l'aide d'une clé. Pendant ce temps, l'homme avait rejoint le blessé, et ils le chargèrent à bord, l'allongeant sur des sacs de toile qui contenaient de toute évidence des vêtements. Ils essayèrent de lui aménager un espace relativement confortable, mais dans son état Tarik ne se formaliserait pas de devoir dormir dans ces conditions. Il était de toute évidence épuisé, et ses muscles étaient agités de micro-contractions involontaires. La femme au voile l'examina rapidement, et s'empressa de chercher une sacoche de simples et de bandages avec lesquels elle espérait pouvoir le stabiliser.

- Votre ami va s'en sortir, ne vous inquiétez pas. Laissons Nesrine s'occuper de lui, voulez-vous ? Je m'appelle Za'Shin, et vous ?

- Lucinia, répondit-elle sans réfléchir.

- Lucinia…

L'homme médita un instant cette réponse, avant de passer à autre chose.

- Attachez le cheval de Nesrine à l'attelage, et mettons-nous en route. Chaque minute gagnée est précieuse pour votre ami.

Ce n'était que sagesse, et la jeune femme obtempéra avant que l'attelage ne se mît en route. Le sentier était de piètre qualité, mais il était toujours plus agréable d'être secoué dans tous les sens à bord d'un chariot que de devoir arpenter à pied de telles étendues. Bientôt, la guerrière acheva ses soins, et avec une souplesse étonnante elle se hissa sur son cheval qui marchait tranquillement à côté de l'attelage. Lucinia considéra qu'elle pouvait aller veiller sur Tarik, ce qu'elle fit. Nesrine avait de toute évidence de solides connaissances médicales, car elle avait appliqué des cataplasmes qui étaient censés limiter l'infection, et aider à la guérison. Ce n'était rien, mais cela permettrait sans doute au blessé de tenir jusqu'à la prochaine ville. La jeune femme laissa échapper un soupir de soulagement, et posa sa main sur le front de Tarik. Il était brûlant, et ses paupières s'agitaient comme s'il essayait de se débattre dans son rêve. Elle espérait sincèrement que son interprétation était erronée, car il aurait été réellement pesant pour un homme d'être poursuivi dans la réalité aussi bien que dans le monde des songes. Elle pria Melkor pour qu'il apaisa l'âme du guerrier, et qu'il lui accordât de trouver un peu de répit dans une existence qui semblait malheureusement faite de guerre et de sang. Cette prière achevée, Lucinia essaya de garder les yeux ouverts, mais la fatigue était telle qu'elle-même ne tarda pas à flancher. Elle s'allongea à côté de Tarik, et se laissa bercer par les cahots, avant de plonger dans un sommeil qu'elle espérait réparateur.

Mais les cauchemars n'étaient pas l'apanage du seul Tarik.


~ ~ ~ ~

Tag shahib sur Bienvenue à Minas Tirith ! Nesrin10

- Drôle de compagnie, fit Nesrine à voix basse, en s'assurant que les deux voyageurs dormaient bien. Ils ont l'air d'en avoir vu de dures. Ses blessures… c'est une lame qui a fait ça.

L'homme hocha la tête.

- Je m'en doutais. Le Harad n'est pas un endroit où se promener à pied. Tu as remarqué que la fille avait un accent d'Umbar ?

Nouveau regard en arrière. Leurs deux passagers dormaient profondément, et n'étaient pas prêts de se réveiller. Nesrine fit « oui » de la tête.

- Tu sais comment elle s'appelle ?

Elle répondit par la négative.

- Lucinia.

Les yeux de Nesrine se plissèrent légèrement. Elle se souvenait d'avoir entendu ce nom récemment, et il lui fallut quelques secondes pour faire le lien :

- La prime ? La prime de Shahib ? Combien déjà ?

Za'Shin acquiesça :

- Dix mille vivants. Cinq mille morts. Chacun.

La guerrière jeta un nouveau regard en arrière. Dix mille pour la gamine et pour l'estropié ? Ils avaient vraiment dû taper sur les nerfs du Requin pour qu'il mette un prix aussi élevé. Cela ne serait pas suffisant pour déplacer les chasseurs de prime les plus compétents, mais avec une telle récompense tous les brigands de seconde zone seraient à l'affût pour essayer de rafler le pactole. Même morts, ils valaient encore la peine.

- Tu penses à ce que je pense ?

- Je crois… Mais c'est quand même une drôle de coïncidence, Za…

Il sourit, et répondit :

- Il n'y a pas de coïncidence… seulement le Destin.


~ ~ ~ ~


Lorsque Lucinia se réveilla, elle put observer au-dessus de sa tête le ciel étoilé. Elle s'était habituée à le voir là, suspendu à la voûte céleste comme une fresque colorée qui changeait chaque soir au gré des nuages et de la lueur que diffusait la lune solitaire. Toutefois, elle ne cessait de s'émerveiller de sa beauté, et pendant un instant elle resta à le contempler. Tout était plus simple, quand on pouvait seulement observer et se retirer en soi-même pour méditer. Agir, en revanche, impliquait des souffrances, des échecs… des morts. Le Harad était impitoyable avec ceux qui essayaient de changer le cours de leur Destin, et la mort mordait sans sommation. La jeune femme se redressa légèrement, et constata qu'ils se trouvaient encore dans le chariot, qui continuait à avancer. Cependant, l'odeur salée et le chant des mouettes lui indiqua qu'ils se trouvaient proches de la côte.

- Nous arrivons bientôt ? Demanda-t-elle, en se redressant pour examiner Tarik qui était toujours inconscient, mais plus calme.

Za'Shin, qui conduisait l'attelage, se retourna vers elle :

- Oh, vous êtes réveillée. Nous avons dû changer de plan, je suis désolé.

- Changer de plan ? Comment ça ?

Lucinia était légèrement sur la défensive, mais elle s'efforça de ne rien montrer. Elle se contenta de regarder autour d'elle, pour constater que Nesrine avait disparu. Aucune trace de son cheval non plus. L'homme sentit qu'il fallait la rassurer, et il souffla :

- Samaha est un village parfait pour faire escale quand on vient de loin, mais c'est aussi un repaire de brigands en tout genre. Nous ne pensions pas y faire véritable halte : seulement acheter quelques vivres et repartir rapidement avant d'attirer l'attention. Mais votre ami a certainement besoin de soins prolongés, et nous n'imaginions pas vous laisser seule à le surveiller. Pas au milieu d'une telle faune.

- Je m'en serais sortie, répliqua Lucinia acerbe. Et ce n'était pas notre accord. Faites demi-tour s'il-vous-plaît.

La jeune femme se redressa davantage, mais elle se rendit compte avec désespoir qu'elle n'était pas armée, et qu'elle ne pouvait pas vraiment faire plier cet homme à sa volonté. Tarik endormi, elle devait gérer seule cette situation en utilisant ses maigres ressources, notamment son esprit.

- Vous n'avez rien à gagner à nous retenir contre notre volonté. Dans son état, mon compagnon n'a aucune valeur.

L'homme rit discrètement :

- Je sais bien, je ne suis pas un marchand d'esclaves. Je ne suis même pas un brigand, vous constaterez que vous avez toujours votre or avec vous.

C'était vrai. La jeune femme était perdue. Elle ignorait ce qu'ils pouvaient bien vouloir d'elle. Ils avaient pris leurs armes, c'était un fait, mais à part cela ils ne s'étaient pas montrés agressifs ou dangereux. Elle pouvait très bien descendre de l'attelage et prendre ses jambes à son cou si elle le souhaitait, elle n'était pas sûre qu'ils essaieraient de l'en empêcher. Cependant, Za'Shin devait savoir qu'elle ne pouvait pas transporter son compagnon inconscient, et qu'elle n'irait nulle part sans lui. Il n'avait même pas besoin de la retenir prisonnière, elle était enchaînée à Tarik, et elle n'avait aucune intention de vivre un sort différent du sien.

- Suis-je votre prisonnière ? Fit-elle.

- Je ne pense pas. Vous m'avez demandé de l'aide, et je vous l'apporte dans la mesure de mes moyens. Vous laisser à Samaha aurait signé votre arrêt de mort, et vous le savez.

Elle baissa la tête. Elle aurait pu essayer de se défendre, mais elle savait pertinemment qu'il aurait suffi de quelques bandits pour venir à bout de sa résistance. Bien des choses pouvaient les motiver : si elle était reconnue, alors elle n'aurait aucun moyen de résister à d'éventuels assassins envoyés par Shahib. Elle pouvait aussi tomber sur des voleurs qui viendraient profiter de l'occasion pour la dépouiller de ses maigres biens. Tarik inconscient, ils tenteraient leur chance en se disant qu'elle n'opposerait pas une trop grande résistance. Ou bien ce pouvaient être des marchands d'esclaves à la recherche d'une femme sans défense. Ou tout simplement des porcs monstrueux qui voudraient s'amuser avec elle en profitant de ce qu'elle n'avait personne pour veiller sur son sort. La pensée de tomber aux mains de tels homme la fit frémir. Za'Shin n'était pas rassurant, mais au moins semblait-il ne pas la regarder comme un morceau de viande. A dire vrai, il ne la regardait pas le moins du monde.

Ce fut probablement ce qui l'incita à saisir sa chance.

Elle n'avait pas d'arme, pas même un objet contondant pour l'attaquer, mais elle trouva un morceau de tissu suffisamment solide. Il la prenait pour une faible femme sans danger ? Il allait voir ! Elle fondit sur lui, et enroula le tissu autour de sa gorge dans l'espoir de pouvoir l'étrangler. Il tira par réflexe sur les rênes, et immobilisa l'attelage au milieu du chemin. S'en suivit un duel de force qui, étonnamment, commença à tourner à l'avantage de Lucinia. Elle n'imaginait pas s'en sortir, mais de toute évidence la peur et le désespoir avaient décuplé ses forces et elle était capable de tenir tête à un homme qui lui rendait au moins quarante livres. Sa victoire était proche, mais elle reçut soudainement un coup d'une grande violence dans le foie qui la fit lâcher prise. Il était venu de nulle part, surgi de la nuit, accompagné du galop d'un cheval. Elle bascula sur le côté, et se retrouva face contre terre dans la poussière, alors que des pieds entraient dans son champ de vision. Une main puissance la saisit par la gorge et la releva sans la moindre difficulté.

Nesrine.

- Za ! Tu t'es fait avoir par une gamine à peine plus lourd qu'un sac de riz ?

L'homme, qui reprenait bruyamment son souffle, répondit bientôt :

- Je ne m'y attendais pas… Elle est… surprenante…

Sans attendre, Nesrine chargea Lucinia à l'intérieur du chariot, et se remit en selle en rappelant à cette dernière :

- J'ai accepté votre présence ici, c'est pas pour que vous essayiez de tuer l'un d'entre nous. J'ai eu la bonté de vous épargner cette fois, mais si vous me refaites un coup comme ça, ce n'est pas avec la hampe de ma lance que je vous frapperai, c'est clair ?

La marchande, encore un peu sonnée, opina du chef. Que pouvait-elle faire, sinon ? Elle s'était instinctivement placée entre Tarik et Nesrine, laquelle vit bien sa manœuvre et ajouta :

- Je peux aussi arrêter de soigner votre ami, et le laisser crever… J'étais partie chercher de quoi lui permettre de se remettre, mais si vous tenez absolument à ce qu'il meure…

- Non ! Cria Lucinia, avant de reprendre plus doucement. Je vous en prie, non… Je ne ferai plus rien de stupide… Mais pitié, ne le laissez pas mourir…

Nesrine planta son regard glacial dans celui implorant de la jeune marchande. Finalement, ce fut Za'Shin qui intervint pour calmer les choses, et mettre un terme à l'incident. D'une voix apaisante, il invita sa compagne de route à apporter son assistance à Tarik. A partir de ce moment, Lucinia se montra beaucoup plus docile. La vie de son compagnon était entre ses mains, et elle avait décidé de veiller sur lui sans faillir, en attendant qu'il se réveillât. Elle ne pouvait que gagner du temps jusqu'au jour où il reprendrait enfin connaissance…


~ ~ ~ ~


Tarik finit par ouvrir les yeux. Le soleil brillait et réchauffait son corps endolori, mais ne touchait pas son visage, protégé des rayons mordants par un assemblage ingénieux qui lui procurait de l'ombre. Ses mouvements attirèrent l'attention de Lucinia, qui se trouvait immédiatement à côté de lui, et qui pénétra dans son champ de vision :

- Tarik, oh par Melkor, tu es vivant !

Elle se retint de se jeter à son cou, mais lui prit la main avec tant de force qu'il sentit tout le poids de son angoisse. Elle avait les yeux brillants, mais c'était un réel soulagement pour ne pas dire une joie qu'on pouvait lire au fond de ses iris. Elle l'examina rapidement avec une aisance qui trahissait l'habitude qu'elle avait désormais à observer ses blessures pendant qu'il était demeuré inconscient. Tout semblait en ordre, et l'infection semblait avoir été contenue par les bons soins de Nesrine. La fièvre avait baissé depuis la veille, et il allait mieux désormais, même s'il était encore très affaibli sans doute. Une voix venue de l'avant du chariot parvint aux oreilles du convalescent :

- C'est bon ? Il est remis ?

- Oui ! Fit Lucinia. Passez-moi de l'eau ! Puis, ayant sans doute reçu l'outre qu'elle demandait, elle vint aider le guerrier à boire : Doucement, doucement… Ne t'étrangle pas.

La pique tira un rire léger à Nesrine, tandis que Za'Shin fronçait les sourcils. Anticipant les questions que le guerrier pouvait avoir, Lucinia essaya de l'aider à s'orienter à la fois dans le temps et l'espace. Il se souvenait sans doute de la rencontre avec le duo, mais pas davantage. Il s'était bien « réveillé » de temps en temps, quelques minutes à peine, pendant lesquelles elle avait pu lui donner à manger et à boire, mais dans son délire il ne se souvenait sans doute de rien, ou de pas grand-chose. Quelques flashes peut-être, quelques sensations, mais rien de concret. Aujourd'hui, elle le voyait à son regard qui suivait le sien et qui paraissait être connecté à la réalité, il était bel et bien présent :

- Nous sommes à quelques heures d'Umbar, tout au plus… Tu n'entends pas ?

Il y avait effectivement un bruit. Un bruit constant, assez confus pour être perturbant, mais assez unique pour être identifiable : des gens. Des tas de gens. Une longue colonne de marchands, de fermiers et de voyageurs en tout genre qui rejoignaient la Cité du Destin. Elle fourmillait d'activité, comme toujours, et la file d'humains et de bêtes s'étirait jusqu'à cette tâche sombre au loin, au bord de la baie : Umbar. Elle aida Tarik à se redresser, pour qu'il puisse constater par lui-même à quel point ils avaient progressé. Sur sa droite, au sud, il pouvait voir la mer immense qui s'étendait à perte de vue le long de la côte. Les oiseaux marins au-dessus de leurs têtes décrivaient des cercles dans les airs, en chantant. Sur sa gauche, au nord, les plaines désolées du Harad, et les collines qui marquaient la frontière avec le Désert Sans Fin.

- Tu as dormi pendant deux jours. Tu dois avoir faim.

Faim, et des questions, mais elle jugea plus utile de lui mettre une cuillère de gruau dans la bouche. C'était froid et peu ragoûtant, mais cela avait le mérite de tenir au corps, et d'avoir plus de goût que la pain rassis. A mesure qu'il mangeait et qu'il reprenait des forces, Tarik prenait conscience de son environnement. Nesrine qui, sa lance en main, le surveillait du coin de l'œil, et cet homme dont il ignorait toujours le nom qui guidait l'attelage et qui le regardait par-dessus son épaule avec un air indéchiffrable. Ce fut ce dernier qui lança :

- Bienvenue parmi les vivants, Tarik. Je m'appelle Za'Shin. Je suis content de vous voir émerger avant que nous arrivions à Umbar. Nous n'aurons pas à expliquer aux gardes pourquoi nous transportons un homme inconscient.

Lucinia baissa la tête vers le blessé, passant une main sur son front pour voir comment évoluait son état. Il allait mieux. Elle lui lança un sourire qu'elle voulait rassurant, mais ses yeux ne mentaient pas. Ils exprimaient toute son appréhension. Il semblait s'être déroulé une éternité depuis qu'ils avaient quitté Umbar, et bien que la cité eût toujours constitué leur destination, il était à la fois émouvant et effrayant de revenir ici. Face à eux, derrière ces hauts murs bâtis des âges auparavant, se trouvaient leurs ennemis. Shahib le Requin, Khaan le Serpent, et tous leurs alliés, autant de lames qui pour l'heure ignoraient leur présence ici. L'heure fatidique approchait, et la jeune femme se rendait compte douloureusement à quel point elle était mal préparée. Ici, sans arme, sans armure, sans armée, aux portes de la Cité du Destin, elle se sentait comme une condamnée à mort avançant vers l'échafaud, au rythme du cheval placide qui tirait péniblement le chariot sur lequel elle se trouvait. Tarik était blessé, à peine capable de tenir sur ses jambes, et ils avaient pour seule compagnie Nesrine et Za'Shin, deux individus dont elle ignorait les intentions. Elle aurait voulu parler à Tarik, lui exprimer ses doutes à leur sujet, et peut-être réfléchir avec lui à une solution pour entrer discrètement à Umbar. Mais les yeux acérés de la guerrière ne la lâchaient pas, et s'assuraient qu'elle ne chercherait pas à leur nuire.

Le silence dans lequel s'enfonça Lucinia était pour le moins éloquent.

Et les murs de la cité continuaient à approcher.

#Nesrine #Shahib #Tarik
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