10 résultats trouvés pour Ovadiah

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Sujet: L'éducation du Riddermark
Ryad Assad

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Rechercher dans: Les Prairies   Tag ovadiah sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: L'éducation du Riddermark    Tag ovadiah sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySam 4 Mai 2024 - 14:51

- Swan, je peux te parler un instant ?

La jeune fille s’interrompit dans son travail de rangement, et se tint droite comme un i devant maître Ovadiah, à la manière d’un petit soldat de bois au garde-à-vous devant son supérieur hiérarchique. Cette éducation rigoureuse, le précepteur n’avait jamais pu y changer quoi que ce fût, malgré tous ses efforts.

Il lui posa une main paternelle sur l’épaule :

- Nous allons devoir quitter la maison, lança-t-il sans ambages. La grand-mère d’Enaël et Dernion est décédée, et nous sommes conviés à ses obsèques. J’ai besoin que nous préparions la maison à un long voyage, et avec les drôles de rumeurs qui circulent en ce moment, nous ne devons prendre aucun risque.

Swan fronça les sourcils, en répondant :

- Nous n’attendons pas Fréod ?

Ovadiah soupira, las. Il n’était pas habitué du mensonge, et il avait jugé préférable en cet instant de ne rien dire à Swan concernant leur départ prolongé, afin d’éviter précisément d’en arriver à ce point. Hélas, sa protégée avait aiguisé son esprit critique au point de voir au travers des pathétiques tentatives de détourner son attention de la seule question qui gravitait dans son esprit. Nouveau soupir. Le précepteur tira nerveusement sur ses manches.

- Fréod… commença-t-il prudemment. Fréod est un garçon intelligent, et débrouillard. S’il est pas encore rentré, c’est qu’il en a été empêché… Je suis sûr qu’il a trouvé refuge ailleurs, probablement vers Edoras, auprès des éored du roi.

- Mais s’il revient ? Quelqu’un devrait rester ici, au cas où… Je peux l’attendre, maître, vous savez que je peux tenir cette maison par moi-même !

Ses yeux s’embuèrent légèrement. Ovadiah, feignant de ne rien voir, lui glissa une main sur la joue :

- Swan… J’ai toute confiance en toi. Tu le sais. Mais tu dois aussi me faire confiance. Les parents d’Heldamn habitent non loin d’Edoras : ce n’est pas tout près, mais là-bas nous pourrons demander après Fréod, et peut-être même être réunis avec lui. Que gagnerais-tu à attendre ici toute seule, à entretenir le rêve fou d’un vieil homme ? Tu vaux mieux que cela. Toi aussi, tu as droit au bonheur.

- Maître… Souffla-t-elle, sans trouver quoi répondre.

Il sourit.

- Tu sais que mes intuitions sont souvent justes, Swan. Et cette fois, j’ai l’intuition que nous parviendrons à trouver Fréod en nous rapprochant d’Edoras. J’ai l’intuition que nous pourrons nous y rendre utiles, et apporter nos compétences à ceux qui en auront le plus besoin.

Elle acquiesça. Elle avait toujours voulu faire davantage que d’être simplement l’assistante d’un précepteur reclus qui vivait à l’écart du monde et de ses problèmes. Elle n’était pas née pour se terrer dans les ombres et pour vivre dans la crainte. En la dévisageant, Ovadiah ne put manquer de remarquer à quel point elle avait grandi, et de discerner déjà chez elle les traits de la jeune femme opiniâtre et courageuse qu’elle ne manquerait pas de devenir d’ici quelques années.

Il sourit.

Il n’était pas habitué du mensonge, mais encore une fois il avait dû se parjurer par omission.

Lui cacher ce que son intuition lui susurrait à l’oreille.

Lui cacher le terrible pressentiment qui étreignait son cœur : qu’il ne reviendrait pas ce périple.


~ ~ ~ ~


Les jours qui suivirent l’annonce de leur départ furent consacrés aux préparatifs, et ne laissèrent que peu de place aux longues conversations. Chacun s’affairait dans le domaine lui était confié, afin de préparer la maison, l’attelage, et l’équipement dont ils auraient besoin pour traverser en sécurité les plaines du Riddermark jusqu’à Edoras. Les deux adultes s’efforçaient de ne pas inquiéter les plus jeunes, mais ils eurent plusieurs fois l’occasion d’évoquer les modalités concrètes de leur voyage, et de réfléchir au parcours qu’ils devraient emprunter. Les voies qu’ils connaissaient, et qui d’ordinaire étaient rendues sûres par la présence des patrouilles des armées du roi, présenteraient peut-être de nouveaux dangers du fait des déplacements de troupes. Les bandits et brigands ne tarderaient pas à comprendre que l’absence de surveillance représentait une opportunité unique de s’enrichir sur le dos des pauvres gens qui traversaient le pays.

Ils devaient également prévoir les vivres et les simples dont ils pourraient avoir besoin, ainsi que des vêtements de rechange, du matériel en tout genre pour les menues réparations, et tout le nécessaire pour monter un camp et se réchauffer si les nuits venaient à fraîchir. Tout cela exigeait une organisation militaire, et une grande rigueur, que les enfants ne tardèrent pas à adopter pour remplir avec diligence toutes les missions qu’on leur confia.

Swan était fourbue, son corps la lançait, mais sa dernière mission de la journée impliquait de prendre soin de Canaille pour le départ prévu le lendemain dans la matinée. La brave bête, toujours fidèle malgré les années, avait besoin qu’on prît soin de ses sabots, et qu’on la pansât en prévision du départ. Équipée du nécessaire, la jeune fille s’était rendue dans les écuries, sans s’attendre à ce qu’elle allait y trouver.

Les sanglots qu’elle entendit lui intimèrent immédiatement de faire silence, et de se rapprocher prudemment.

C’était Enaël.

Le cœur de Swan s’arrêta un instant.

Des pensées confuses se bousculèrent dans son esprit. Depuis quelques semaines, elles s’étaient peu à peu rapprochées, mais la surprendre dans un tel moment de vulnérabilité n’était pas facile. Peut-être que la jeune Rohirrim préférait être seule pour déverser les larmes et la tristesse qui enserraient son cœur. Perdre un proche n’était jamais simple, et à en juger par sa réaction lors de l’enterrement de Brise, Enaël était encore sensible et pleine de douceur, incapable de cuirasser ses émotions et de les garder sous clé comme le faisaient les âmes hélas trop habituées à la perte et à la douleur.

Reculer prudemment, la laisser affronter comme elle l’entendait son chagrin, était peut-être préférable…

Swan fit quelques pas en arrière, sans conviction.

Une partie d’elle-même l’empêchait de partir totalement. Une émotion qu’elle découvrait, et qui l’incitait à surmonter ses réticences initiales pour essayer d’apporter une aide modeste face à une nouvelle dramatique à laquelle elle ne pouvait rien changer. La mort faisait cet effet. Ni les larmes, ni les cris, ni les colères ne pouvaient la faire disparaître. Ce caractère inéluctable et irréversible, chacun devait l’accepter à sa manière, mais c’était terriblement difficile lorsqu’on y était confronté pour la première fois…

Sans un mot, Swan déposa son matériel, et s’installa aux côtés d’Enaël.

Assises à même le sol, au milieu de la poussière et des brins de paille, elles restèrent à contempler le mur décrépit qui leur faisait face, faiblement éclairé par la lueur du jour qui s’engouffrait dans la pièce par les quelques ouvertures que l’on trouvait de part et d’autre du bâtiment. A quoi bon commenter la situation ? Rien de ce qu’elle pouvait dire ne pouvait apaiser cette souffrance, et Swan n’essaya même pas de rassurer la jeune fille endeuillée par la parole. Au lieu de quoi, avec une douceur qu’elle ne soupçonnait pas chez elle, elle referma un bras autour de l’épaule de sa camarade de chambrée, et l’invita à pleurer toutes les larmes de son corps contre son épaule.

Elles restèrent un long moment ainsi, enlacées, avant que la fatigue eût raison des larmes.

Enaël glissa lentement, de toute évidence épuisée, et posa sa tête sur les cuisses de Swan, qui se mit à lui caresser la tête, tout en soufflant :

- Tu n’es pas obligée de me croire, Enaël… mais je sais ce que tu ressens.

Le cœur de la jeune fille aux cheveux bruns se serra brusquement. Elle frissonna. Résista.

La douleur. Le deuil.

La mort.

Rien de tout cela ne lui était étranger, hélas.

- J’ai aussi perdu des êtres chers… Il y a longtemps… Il n’y a rien de comparable à cette douleur, et il n’y a rien que tu puisses faire pour la faire disparaître. Elle refluera avec le temps, comme la marée, sans jamais vraiment disparaître.

Les mots coulaient de sa bouche naturellement, et c’était la première fois que Swan se confiait ainsi.

- Les jours n’auront plus jamais la même saveur, les nuits sembleront plus glaciales. La course du soleil toujours plus rapide, alors que le temps qui passe te donnera l’impression d’abîmer tout ce qui est beau et qui devrait le rester éternellement. Un sourire. Le bruit d’une chaise qui craque quand on prend place dessus. Le parfum d’un oreiller familier. Mais il y aura aussi des jours heureux. De petites joies, des rires coupables car on voudrait être triste et ne plus jamais s’amuser de rien… Les morts céderont la place aux vivants, à de nouvelles rencontres, à de nouvelles personnes que tu chériras sans même t’en rendre compte. Que tu aimeras. Des personnes qui te feront oublier, un peu, l’omniprésence de la mort et de la souffrance.

Mort. Souffrance.

La cicatrice immense qui barrait le dos de la jeune fille en disait long sur ce qu’elle avait dû endurer elle-même, quoique les raisons de ces tourments ne fussent pas claires. La main de Swan caressait toujours les cheveux d’Enaël, au même rythme lent et régulier. Apaisant. Elle frissonna de nouveau. Tenta de résister. Sa voix d’ordinaire si maîtrisée se fit soudainement plus mélodieuse, plus sincère :

- Mon grand-père est mort quand j’étais jeune… Je l’aimais beaucoup… Mes parents…

Elle ne trouva pas le courage de finir sa phrase. Ses yeux, d’un bleu comme on n’en voyait pas au Rohan, étaient plongés dans ceux d’Enaël, qui pouvait y sonder la profondeur de cette mer d’affliction dans lequel baignait Swan. Les mots viendraient peut-être un jour. Pour l’heure, ce dernière ne souhaitait pas dérober cet instant à celle qui souffrait de l’absence d’un proche, pour étaler ses propres peines. La porte entrouverte se referma doucement, sans violence. Seuls leurs yeux, accrochés l’un à l’autre, témoignaient de ce qu’elles avaient partagé brièvement.

- Je veux juste te dire que je comprends, Enaël. Je comprends… Et je serai là pour toi si tu as besoin de moi.

Un frisson s’empara d’elle. Elle y céda, cette fois.

Elle n’eut qu’à se pencher en avant pour rapprocher son visage de celui d’Enaël, et déposer délicatement ses lèvres contre les siennes. Son cœur battait à tout rompre. La folie de son geste la saisit brusquement, et elle rompit ce baiser qui avait surgi des tréfonds de sa jeune âme. Son sourire contrastait avec les larmes qui coulaient désormais franchement sur ses joues, comme si ses iris aux teintes marines avaient soudainement fondu pour se déverser le long de son joli visage. Comme si cette once de joie éphémère et fragile avait fait déborder l’océan d’émotions qu’elle retenait derrière ses paupières.

- Toujours, souffla-t-elle. Je serai toujours là pour toi.
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Ryad Assad

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Rechercher dans: Les Prairies   Tag ovadiah sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: L'éducation du Riddermark    Tag ovadiah sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyJeu 11 Avr 2024 - 16:13

La silhouette d’un cavalier solitaire se détachant sur le ciel parsemé de nuages, offrait une vision saisissante que d’habiles artistes d’Esgaroth auraient peut-être su restituer sur une toile ou une tenture, avec le talent qu’on leur connaissait. Pour Enaël et Dernion, il s’agissait d’une heureuse nouvelle, une splendide apparition surgie de leur passé et de leurs rêves, qui les poussa à oublier brièvement leur chagrin et leur deuil, tandis que leurs cœurs gonflés d’allégresse reprenaient goût à la vie. Pour Swan, l’image était moins rassurante, et pendant une demi-seconde elle eut le souffle coupé, oscillant entre l’espoir fou de voir soudainement apparaître Fréod, et la crainte irrationnelle d’apercevoir…

« Papa ».

Le cri d’Enaël, profondément sincère, déchira le fil de ses pensées, la ramenant violemment à la réalité.

Elle ne comprenait pas.

D’après maître Ovadiah, les enfants lui avaient été confiés afin d’apprendre la lecture, l’écriture, le calcul, ainsi que bien d’autres choses utiles à un jeune esprit souhaitant s’élever dans la société. Généralement, ce genre d’études demandait plusieurs années de travail assidu, et les visites en famille étaient rares. La présence de cet homme ne pouvait rien signifier de bon. Emboîtant le pas à ses compagnons, Swan rejoignit le cavalier bien après Enaël et Dernion, ne souhaitant pas interrompre inutilement des retrouvailles vis-à-vis desquelles elle se sentait profondément étrangère.

- Bonjour monsieur, fit-elle d’une voix un peu plus intimidée qu’elle l’aurait voulu. Je m’appelle Swan. Souhaitez-vous que je vous conduise auprès de maître Ovadiah ?

Elle avait retrouvé sa réserve et sa raideur naturelles, et redevenait – pour l’instant du moins – l’humble servante d’un célèbre érudit du Rohan.


~ ~ ~ ~



C’eût été un euphémisme de considérer que l’arrivée de Heldamn avait constitué une surprise majeure dans la vie de la petite maisonnée. Une excellente surprise. Ovadiah, ravi de cette visite impromptue, avait serré chaleureusement le père de ses deux élèves dans ses bras, soucieux de prendre de ses nouvelles et de s’entretenir avec lui. Ils avaient discuté longuement en présence des enfants, avant de renvoyer ceux-ci à des tâches diverses pour s’accorder un moment à part dans l’étude du maître, et pouvoir aborder des sujets qui n’étaient pas adaptés pour toutes les oreilles.

- Qu’il est bon de te revoir Heldamn, tu n’imagines pas. Mes anciens élèves me rendent visite de moins en moins souvent. Beaucoup ont souffert des récents troubles. Certains sont morts durant la guerre, et d’autres… d’autres semblent avoir tout bonnement disparu. Ton apparition est un signe positif, je reprends espoir !

Son sourire sincère cachait une profonde tristesse qu’il ne révélait que rarement. Ovadiah était un homme d’une grande bonté et d’une grande douceur, qui avait formé avec amour et patience des dizaines d’étudiants durant sa vie. Toutefois, personne ne lui connaissait de femme ou d’enfant, et à l’heure où la vieillesse commençait à s’emparer de lui, le poids de cette solitude lui pesait. Quelques rumeurs racontaient bien qu’il avait nourri une relation avec une étrangère, et qu’il avait peut-être un enfant illégitime loin d’ici, mais personne n’avait pu le confirmer. Et si tel était le cas, n’était-il pas étonnant qu’il demeurât ainsi loin des siens ?

Cette pensée fugace s’échappa dans une gorgée de tisane au thym, et Ovadiah retrouva sa bonhommie habituelle.

- Ce n’est rien, vraiment. Ta famille a toujours montré beaucoup de belles dispositions pour l’apprentissage, et les descendants d’Eolkar ont toujours été bien élevés, si bien qu’il a toujours été facile de leur transmettre mon savoir… Bon, à l’exception de cet épisode avec le briquet à silex, n’est-ce pas ?

L’œil faussement sévère du précepteur se transforma bientôt en un rire sincère, alors qu’il se remémorait une des bêtises de son ancien élève. Sur le moment, il se souvenait avoir été en colère, et avoir vivement sermonné Heldamn. Aujourd’hui, il ne restait que la légèreté d’un moment complice où l’enfant jouant son rôle, transgressait les règles, tandis que l’adulte s’efforçait de les lui inculquer. Aujourd’hui, ils étaient tous les deux du côté des adultes, et ils regardaient Enaël et Dernion avec ces mêmes regards préoccupés mais bienveillants, et cette même gravité qui ne disparaîtrait que lorsque le temps aurait fait son œuvre, et aurait ôté de leurs épaules le souci permanent que ressentaient parents et professeurs vis-à-vis des âmes qui leur étaient confiées.

Le temps, maître de toutes choses.

Le temps, qui faisait mûrir les promesses de la jeunesse, mais qui rappelait aussi à lui les fruits les plus beaux et les plus purs.

- Oh… Toutes mes condoléances, Heldamn… Je ne sais que dire… Céoda était une femme remarquable, qui manquera à tous ceux qui l’ont côtoyée… Comment va ton père ? As-tu pu faire parvenir la nouvelle à ton frère ? Je sais que les enfants étaient préoccupés par le sort de Learamn, mais quoi qu’il ait pu faire, il serait bien qu’il soit là lui aussi…

La présence du Rohirrim avait tout à coup beaucoup plus de sens, à la lumière de cette nouvelle dévastatrice. Les enfants n’avaient pas vraiment eu l’occasion de dire au revoir à leur grand-mère, et il était bien naturel de venir les chercher pour assister aux funérailles. De tels rites étaient très importants, au Rohan, et Ovadiah n’était pas surpris d’apprendre qu’Eolkar tenait à faire les choses dans les règles.

- C’est tout à fait normal, et tu sais bien que je ne manquerai pas l’occasion de rendre un dernier hommage à ta mère. C’était vraiment quelqu’un de bien. Quant aux enfants… Je crois qu’ils sont prêts à entendre la nouvelle : ils sont courageux, et ils ont beaucoup grandi tous les deux depuis qu’ils ont dû s’éloigner de la ferme. Ils savent que le deuil fait partie de la vie, et je suis sûr que malgré toute leur tristesse, ils te surprendront positivement. Surtout Dernion. Tu n’imagines pas comme il change. En bien.

La proposition qui suivit provoqua une certaine surprise chez le précepteur. Rester avec Eolkar et sa famille, dans les environs d’Edoras ? Voilà bien longtemps qu’il n’avait pas été aussi désarçonné. Avant de dire non, toutefois, Archibald préféra interroger Heldamn plus avant. Il sentait que quelque chose le perturbait, et il pensait savoir de quoi il s’agissait.

- Tu sais que j’habite ici depuis des années… Ce jardin expérimental est ma fierté, et il détient peut-être la clé pour améliorer la vie de nos chers Rohirrim. J’y entrepose des plantes qui ont besoin de soins attentifs, réguliers… Je ne peux pas tout quitter si aisément, sans savoir quand je reviendrai. C’est le travail de toute ma vie. Qu’est-ce qui pourrait justifier devoir abandonner tout cela ?

La réponse ne tarda pas à arriver, portant son lot de sombres nouvelles.

- J’ai effectivement entendu parler de ces créatures étranges, qui auraient déjoué la surveillance de nos éored, et qui seraient infiltrées dans le royaume au nez et à la barbe du roi Fendor… Il y a peu, un groupe de marchands est passé dans les parages… ils avaient été attaqués sur le trajet, et ils ont dû abandonner leur cargaison en route, sans quoi ces Charbonneux auraient pris plus que leurs biens. Nous avons fait le choix de rester ici plutôt que de partir sur les routes à l’aventure.

Il se leva, incapable de rester assis pour réfléchir à une telle éventualité. Il savait que ses arguments ne tenaient pas. Une ferme isolée était une cible de choix pour des bandits ou des envahisseurs, surtout si elle recelait de nombreuses richesses. Les routes n’étaient sans doute pas sûres, mais elles leur permettaient au moins de se rapprocher d’un endroit mieux défendu, et elles augmentaient leur chance de croiser d’autres voyageurs de bonne compagnie, ou des éored susceptibles de leur fournir une escorte ou des conseils.

- Et puis il y aurait mes livres… C’est une collection inestimable… Certains de ces ouvrages viennent du Harad, et sont absolument introuvables à l’Ouest. Imagine qu’il tombe entre de mauvaises mains… Quel trésor serait perdu à cause de ma négligence…

Heldamn dut se montrer persuasif, mais il finit par réussir à convaincre Ovadiah de se pencher sérieusement sur la question.

- J’aurai besoin de quelques jours pour préparer mon départ. Si nous devons faire le voyage jusqu’à Edoras pour y rester un moment, il y aura quelques petites choses à régler avant tout. D’abord, les provisions. Je peux laisser les enfants se charger de ça, ils sauront quoi prendre. Ensuite, il faudra que je m’occupe de trier mes livres… Certains pourront être cachés soigneusement, de telle sorte que même si la maison devait être visitée par des indélicats, ils ne parviennent jamais à les trouver. Je peux m’en occuper. Ensuite, il faut absolument réparer le chariot. Le voyage l’a un peu abîmé, et je crois que les essieux et les roues ont besoin d’être entretenus pour un si long périple. Est-ce dans tes cordes, Heldamn ?

Sous ses airs malhabiles, Ovadiah cachait en réalité une personnalité très affirmée et rompue à l’aventure. Il avait passé de nombreuses années de sa jeunesse loin du Rohan, et les longs voyages le connaissaient sans doute davantage que beaucoup de jeunes hommes, même des cavaliers aguerris qui se targuaient d’avoir le goût du risque et de l’inconnu. L’inconnu, Ovadiah l’avait regardé dans les yeux, avait humé son parfum, senti sa texture. Maintenant qu’il devait penser à comment partir, et non à savoir s’il devait le faire, son esprit pragmatique et logique se remettait à réfléchir avec la même efficacité que d’habitude.

- Il faudra également s’occuper du jardin. Je tiens absolument à emporter quelques boutures qui pourront être replantées ailleurs… Swan pourra le faire, et…

Il marqua une pause.

Swan.

- Heldamn, avant toute chose, il faut que tu saches…

Comment lui dire ?

- Swan est…

Les mots restèrent bloqués dans sa gorge serrée.

- Elle est très importante, et il est essentiel qu’il ne lui arrive rien. Promets-moi que, quoi qu’il arrive, tu prendras soin d’elle si jamais cela m’était impossible. Promets-le moi, Heldamn, sur ce que tu as de plus cher et de plus sacré.
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Rechercher dans: Les Prairies   Tag ovadiah sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: L'éducation du Riddermark    Tag ovadiah sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySam 3 Fév 2024 - 12:04

- Et voilà, fit Hamel en adoptant un sourire forcé, comment la cité de Pelargir a été libérée du joug maléfique de l’Ordre de la Couronne de Fer.

Son regard glissa vers les enfants, qui semblaient boire ses paroles avec admiration. Il fallait dire que de tous les récits que l’on avait pu leur rapporter ces derniers temps, bien peu égalaient celui de la sinistre bataille qui s’était déroulée par une nuit pluvieuse dans la grande cité du Sud. Un groupe d’hommes mystérieux, mus par un esprit de liberté et par une grande noblesse, avait décidé de s’attaquer à un contre dix à la garnison de Pelargir pour éliminer ses maîtres, passés traîtreusement à l’ennemi. Hamel savait raconter des histoires, et il n’avait pas lésiné sur les quelques détails qu’il avait pu glaner ici ou là. Comment ces hommes avaient pénétré dans le quartier général de l’Amirauté, et comment ils s’étaient battus férocement contre tous les sédéistes de la Couronne de Fer, plongeant dans l’enfer des combats en se jurant de triompher ou de mourir.

- Je me demande bien qui étaient ces hommes, fit Ovadiah, qui avait déjà entendu parler de cette histoire sans en connaître toutefois les détails.

- Nul ne le sait, mais le nouveau maître de la ville, Sieur Leontochir, leur aurait promis une amitié éternelle. Quand il a repris la main sur la ville, et qu’il a restauré l’autorité du Haut-Roy Mephisto, tout le monde croyait que la situation de Pelargir allait s’arranger… C’était sans compter sur l’arrivée de ces maudits pirates. Lorsque nous sommes partis, on racontait des choses sinistres… des rumeurs venues du Harad lointain, comme quoi Umbar aurait décidé de porter un coup mortel au Gondor.

Il sentit que ces nouvelles préoccupantes faisaient planer une ombre délétère sur leur succulent repas, et avec intelligence il reprit sur un ton plus léger :

- Mais tout le monde sait que les armées du Gondor ne se laissent pas impressionner comme cela. Ah, mes enfants, j’espère qu’un jour vous pourrez vous les armées de Pelargir dans leurs armures rutilantes, marchant sous le soleil en portant haut les couleurs de notre noble royaume. C’est un spectacle magnifique, et nul doute que les Pirates se débanderont prestement lorsqu’ils verront approcher la troupe de Leontochir et la plus puissante flotte du Gondor, ha !

- Je croyais que la flotte la plus puissante se trouvait à Dol Amroth, pourtant, fit Swan en sortant brusquement de son mutisme.

Hamel haussa les épaules avec un sourire :

- C’est ce que l’on dit à Dol Amroth, pour sûr ! Mais partout ailleurs, tout le monde s’accorde à dire que c’est bien Pelargir qui tient à l’abri les côtes du Gondor.

Il partit d’un grand éclat de rire, tandis que Swan fronçait légèrement les sourcils sans qu’il fût possible de déterminer pourquoi. Cette dernière secoua légèrement la tête, refusant d’entrer dans ce débat avec un homme naturellement fier de sa cité, et porta son regard vers Enaël qu’elle s’attendait à trouver parfaitement absorbée par le récit de Sire Hamel. Il n’en était rien, cependant, et cette dernière observait au contraire un des compagnons de route du marchand, qui n’avait presque pas mangé de la soirée et qui regardait dans le lointain. On aurait dit qu’il venait de voir un spectre.

Un frisson parcourut l’échine de Swan.

Ce n’était pas la première fois qu’elle voyait ce regard.

- Sire Romuald, fit-elle pour le ramener à la raison, vous voulez encore du vin ?

Il sursauta perceptiblement, et s’excusa maintes fois, avant d’accepter et de tendre son verre d’une main encore tremblante. Romuald était un jeune marchand en comparaison de ses compagnons. Il devait avoir la moitié de l’âge de Hamel, et il avait encore des joues pouponnes derrière sa barbe de jeune homme. Ce qu’il avait vu durant son séjour avait laissé de profondes cicatrices dans son âme, et nul doute que ces visions hanteraient ses nuits pendant plusieurs lunes.

Swan le servit délicatement, pensant que l’alcool l’aiderait à se détendre quelque peu, mais elle constata soudainement que c’était une erreur en voyant ses pupilles s’écarquiller légèrement. Ses yeux semblaient ne pas pouvoir se détacher de ce liquide carmin qui se déversait à gros bouillons dans son verre. Elle s’interrompit dans son geste, et pendant une seconde qui sembla durer des heures, ils restèrent ainsi suspendus au milieu de la table, lui tenant son verre à bout de bras, et elle la bouteille.

Le malaise fut partiellement dissipé par l’intervention d’Ovadiah, qui sauta intelligemment sur l’occasion pour lever son propre verre :

- Portons un toast, mes amis. A tous ceux qui se battent pour garder nos terres en sécurité, et qui donnent leur vie pour que la nôtre soit plus douce.

Ils trinquèrent tous, mais Romuald ne trouva pas le courage de porter le verre à ses lèvres frémissantes. Sitôt qu’il le jugea convenable, il prit congé de son hôte, et se dirigea vers les chambres pour y chercher un repos qu’il ne trouverait pas. Enaël l’imita bientôt, lasse de cette première journée éreintante sur le plan physique et intellectuel, tandis que Swan et Dernion profitaient de leurs invités pour se nourrir des discussions passionnantes qu’entretenaient Ovadiah et Hamel. Ces derniers conversèrent longtemps et avec beaucoup de finesse sur les troubles politiques de la Terre du Milieu, en peignant le tableau de régions fort éloignées avec tant de détails que les enfants avaient le sentiment de s’y trouver eux-mêmes, et de voir danser devant leurs yeux les silhouettes d’armées en campagne, de rois recevant des ambassades, ou de créatures fantastiques déambulant parmi les Hommes dans les terres où cela était possible… loin de leur petit coin du Rohan où rien ne se passait jamais, donc.

Hamel était particulièrement au fait des questions politiques de sa région natale, et il parlait avec beaucoup de passion des problèmes locaux, offrant un avis que beaucoup d’érudits auraient envié :

- C’est bien le problème Ovadiah… Depuis la chute de Dur’Zork, les Pirates montrent beaucoup de confiance, et l’absence de réaction du Gondor ne peut que les encourager à continuer. Cet été, nous avons eu beaucoup de mal à nous approvisionner auprès de nos partenaires du Sud, dont beaucoup ont trouvé refuge à Djafa. Un de mes amis, marchand d’étoffes et de soieries, a vu ses profits être amputés de moitié, et il a perdu trois de ses équipiers ainsi que son officine de Dur’Zork. Les Seigneurs Pirates ont réquisitionné toutes ses marchandises pour les envoyer à Umbar en tant que prise de guerre. Même si Mephisto parvenait à reprendre la ville un jour, aucun de ces marchands ne sera compensé pour ses pertes à la hauteur du préjudice subi. On ne mesure pas encore les conséquences pour le commerce, mais tu sais à quel point Pelargir dépend de ce qui se trame au Sud. J’espère qu’une campagne sera lancée bientôt pour reprendre au moins le Harondor, et peut-être écraser une bonne fois pour toutes Umbar. Tant qu’elle demeurera autonome, elle restera une menace pour nos activités, et pour la sécurité de tout le Harad.

Ovadiah était plus mesuré, et son positionnement était davantage celui d’un homme de lettres qui savait faire la part des choses, et convoquer l’histoire pour appuyer son propos :

- Le problème d’une telle entreprise, c’est que le Gondor n’est plus aussi puissant qu’il l’était jadis, au temps d’Elessar le Grand. La dernière campagne au Khand s’est soldée par un échec retentissant devant les murs d’Assabia. Il ne fait aucun doute qu’Umbar représente un obstacle bien plus redoutable qu’une modeste cité du désert, et je ne sais pas si à l’heure actuelle le Gondor est vraiment en mesure de se débarrasser des Pirates. Quant à reprendre le Harondor, c’est sans doute l’ambition de l’état-major gondorien, mais la question la plus importante demeure « pourquoi le Harondor est-il tombé en premier lieu ? ». J’ai entendu toutes sortes de choses troublantes, des cités ouvrant librement leurs portes aux Pirates, d’autres refusant d’affronter l’ennemi et battant en retraite piteusement… Sans doute le Gondor devrait-il revoir sa politique méridionale, et accorder davantage d’autonomie aux seigneurs locaux, sans quoi ils demeureront toujours des alliés de circonstance, prêts à suivre le sens du vent. Cela faisait longtemps que l’on disait que Radamanthe n’était pas apprécié par les gens de la région de l’Harnen, et que d’aucuns appelaient à remplacer l’émir par un nouvel homme fort… Peut-être quelqu’un issu des terres du Sud, pour pouvoir parler aux seigneurs locaux et les conforter dans l’idée qu’ils ne sont pas seulement les vassaux du Gondor, mais bel et bien des membres du Royaume Réunifié à part entière.

Hamel rejeta cette idée d’un geste de la main :

- Non, il est bien mieux que le Harondor soit dirigé par Radamanthe. Il a fait ses preuves, et est loyal à Mephisto. Au moins lui a tenté de défendre Dur’Zork quand les Oliphants ont fait leur apparition sur le champ de bataille : un autre que lui aurait fui, et les Haradrim auraient ainsi pu s’emparer de la capitale sans coup férir. Ils ont certes pris Dur’Zork, mais ils ont payé le prix fort pour cela, et cette victoire a mis un coup d’arrêt à leur campagne.

- J’ai pourtant entendu dire que des traîtres se trouvaient dans la ville, et avaient ouvert les portes aux régiments Haradrim.

Le marchand hocha la tête :

- Oui, et c’est bien le problème. Des traîtres au sein de la capitale, sans lesquels la bataille aurait pu continuer pendant des semaines. Radamanthe était tellement focalisé sur le champ d’honneur qu’il en a oublié de surveiller ses arrières… Raison de plus pour ne pas confier la moindre responsabilité à des gens du Sud. Et raison de plus pour mettre les enfants au lit ! Regarde comme ils s’endorment devant nos élucubrations !

Ils partirent d’un rire léger, en regardant Dernion qui s’était assoupi. Installé confortablement dans un fauteuil de cuir qui épousait la forme de son corps, il s’était lentement laissé aspirer par le sommeil, et dormait profondément comme tout enfant de son âge à une heure aussi tardive. Swan, quant à elle, somnolait doucement près de l’âtre où les dernières bûches calcinées crépitaient encore par intermittence. En entendant qu’on parlait d’elle, elle essaya de se redresser, mais elle eut toutes les peines du monde à retrouver ses esprits. Étouffant un bâillement, elle résolut d’aller se coucher pour reprendre des forces avant le lendemain.

- Voulez-vous que je réveille Dernion pour qu’il aille dans son lit ?

- Non, laissons-le dormir pour l’instant. Nous allons mettre de l’ordre dans nos affaires, et discuter encore un peu, puis nous l’aiderons à aller dormir. Tu peux aller te reposer Swan, tu en as beaucoup fait aujourd’hui. Bonne nuit !


Éreintée, Swan rejoignit le dortoir où elle passerait la nuit avec les deux nouveaux venus. Elle s’efforça de faire le moins de bruit possible, et se mordit la lèvre en entendant la voix d’Enaël, craignant de l’avoir réveillée. Toutefois, au ton qu’elle employait, il était plus qu’évident qu’elle n’avait pas encore trouvé le sommeil, et qu’elle aussi devait être plongée dans des pensées qui l’empêchaient de se reposer. Décidément, même dans la demeure d’Ovadiah qui semblait coupée du monde, les affres de l’existence trouvaient le moyen de se faufiler entre ces murs, et d’instiller le doute et la crainte chez les anciens comme chez les plus jeunes. Il fallait sans doute envier Dernion, qui avait réussi à s’assoupir le premier.

- Ton frère est encore en bas, lâcha la jeune fille simplement. Maître Ovadiah le fera monter quand il ira se coucher, ne t’inquiète pas.

Depuis leur arrivée dans la maison, c’était peut-être la première fois que Swan se montrait réellement prévenante. Elle qui d’ordinaire était davantage portée sur l’efficacité et se souciait peu des émotions, montrait ce soir une douceur peu habituelle. Il fallait dire que les récits troublants colportés par Sire Hamel, et ses propres inquiétudes qu’elle ne parvenait pas vraiment à canaliser, semblaient avoir ouvert une brèche dans sa carapace studieuse et sérieuse. Ce fut peut-être pour cette raison qu’Enaël osa s’aventurer dans une conversation avec son étrange camarade de chambrée.

Une première question, aussi anodine que douloureuse pour celle qui la reçut comme une flèche en plein cœur. Une seconde, plus directe, qui poussa la jeune fille à lâcher un profond soupir alors qu’elle s’asseyait sur son lit, et glissait ses jambes fuselées sous son drap en frissonnant. Swan garda le silence un long moment, alors que des pensées désordonnées se bousculaient dans son esprit. Une partie d’elle-même avait envie de simplement tourner le dos à cette main tendue, et de continuer comme elle l’avait toujours fait, c’est-à-dire en serrant les dents et en allant de l’avant. Pourquoi s’embarrasser à se confier à une quasi-inconnue sur des sujets qui ne l’intéressaient sans doute pas vraiment… Pouvait-elle changer quelque chose à la situation ? Pouvait-elle ramener Fréod à la maison, en sécurité ? Alors à quoi bon lui parler ? Il valait sans doute mieux ne rien dire, garder les choses pour soi, et s’endurcir pour affronter ces émotions certes difficiles mais ô combien fréquentes en Terre du Milieu.

Swan ferma les yeux, prête à s’endormir.

Une larme silencieuse se mit à couler le long de sa joue.

- Tu promets de garder ça pour toi ? S’entendit-elle murmurer d’une voix serrée.

Elle inspira profondément, essuyant son visage de plus en plus humide. La nuit protectrice qui les enveloppait étendait un linceul pudique qui préservait encore la dignité de la jeune fille, dont seule la respiration alourdie trahissait son émoi. Ses lèvres tremblantes ne parvinrent pas à contenir les souvenirs qui la hantaient :

- Je rêve tout le temps de la même chose… Je rêve de la mer… Un soir de tempête, je suis seule sur la plage, et je vois… quelque chose… quelqu’un, qui sort de l’eau. Une silhouette. Je n’ai pas l’impression qu’il s’agisse d’un être humain, mais…

Swan marqua une pause. Cela faisait des années qu’elle rêvait de cette scène, et qu’elle luttait contre le sentiment de paralysie qui la saisissait toujours. Elle voulait hurler, fuir, mais restait pétrifiée de terreur devant cette créature qui marchait inexorablement vers elle.

Créature.

C’était le mot qu’elle utilisait pour le décrire, et pourtant…

- Est-ce que tu as déjà eu l’impression que quelqu’un te voulait du mal, Enaël ? Je veux dire… vraiment du mal ?

Elle ouvrit la bouche pour en dire davantage, mais elle se rappela des mises en garde de Fréod, et préféra ne rien ajouter. Enaël n’était sans doute pas la Créature, mais il valait mieux lui révéler des secrets trop bien enfouis au risque de faire peser sur ses frêles épaules un fardeau qui n’était pas le sien. Consciente d’interrompre la conversation de manière un peu abrupte, Swan choisit de rebondir sur la seconde question de sa compagne, qui concernait la menace plus immédiate et plus tangible des « Charbonneux ».

- Mais rassure-toi, ce ne sont pas les Charbonneux auxquels je fais référence. Je ne sais pas si quelqu’un sait de qui il s’agit, mais Maître Ovadiah en avait déjà entendu parler, expliqua-t-elle sans savoir qu’Enaël avait capté secrètement la conversation entre l’érudit et le marchand. Apparemment, ils ont d’abord attaqué le Gondor, ce qui me semble très surprenant. Si la cité de Minas Tirith avait été attaquée, nous en aurions sans doute entendu parler. Comment alors expliquer qu’une armée ait traversé le Gondor, et soit arrivée impunément au Rohan ?

Elle marqua une pause, réfléchissant pour elle-même. Elle ignorait de quelles notions géographiques disposait Enaël, mais Swan était particulièrement à l’aise dans la discipline, et elle avait une représentation mentale du monde que bien peu d’enfants de son âge pouvaient se targuer d’avoir. Elle savait par exemple qu’une armée souhaitant travers le grand royaume des Hommes devait nécessairement s’aventurer aux abords d’une des trois places fortes : Osgiliath, Minas Tirith, ou Cair Andros. Il semblait impossible que l’une des trois eût été enlevée par des démons, mais après tout, n’avait-on pas récemment entendu des rumeurs de créatures ailées et gigantesques dans les contrées septentrionales ? Sire Hamel n’avait-il pas évoqué lui-même les formidables Oliphants, hauts comme des montagnes d’après ce que l’on murmurait ? Ne parlait-on pas avec passion de magiciens aux terribles pouvoirs arpentant le monde ? De monstres assoupis dans leurs immenses tombeaux de pierre, attendant patiemment l’heure de se réveiller ? Des démons surgis de l’Orient… cela n’avait rien de bien extraordinaire en comparaison.

Toutefois, alors que les pièces d’un étrange casse-tête s’assemblaient doucement dans l’esprit de Swan, une idée prit progressivement le pas sur toutes les autres. Une réalisation aussi violente que terrifiante. Avec raideur, elle demanda :

- Enaël… Où habitent tes parents, déjà ?
Sujet: L'éducation du Riddermark
Ryad Assad

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Rechercher dans: Les Prairies   Tag ovadiah sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: L'éducation du Riddermark    Tag ovadiah sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyMer 27 Déc 2023 - 13:54

La résistance acharnée de la souche avait eu raison de la volonté d’acier de Swan, qui déposa les armes devant l’obstacle pour chercher comment régler son principal problème de la matinée. Tous avaient fait de leur mieux en combinant leurs forces humaines et animales, mais rien n’y faisait : la souche se refusait à céder du terrain, trop profondément enracinée dans la terre robuste du Rohan. En d’autres latitudes, là où le sol était meuble et tendre, cela n’aurait été qu’un jeu d’enfants. Mais ici, après l’été prolongé qu’ils avaient connu, la terre semblait aussi dure que la pierre. La jeune fille laissa Enaël et Dernion s’éloigner quelque peu pour profiter comme ils l’entendaient de quelques minutes de repos, tandis qu’elle se creusait les méninges de son côté.

D’un œil toutefois, elle continuait à les suivre.

Elle avait été impressionnée par leur résolution, leur envie de bien faire, et par le courage d’Enaël face à cette tâche ingrate qui aurait pu rebuter nombre de précieuses. Dire que cette entreprise était un défi destiné à éprouver leur moral et leur caractère aurait sans doute été réducteur, mais Swan n’était pas très douée pour déceler les intentions des uns et des autres, et elle s’appuyait bien davantage sur les actes que sur les paroles. Enaël par le bras, et Dernion par la voix et le cœur, avaient montré à leur manière qu’ils méritaient leur place auprès de maître Ovadiah. Ce n’étaient pas des enfants gâtés dont il fallait s’occuper et dont les moindres désirs faisaient désordre. Bien au contraire, ils semblaient prêts à travailler dur, prêts à se salir les mains, à risquer quelques ampoules. De véritables Rohirrim, tels que Swan avait pu apprendre à les connaître. Des gens simples mais laborieux, qui savaient endurer les rigueurs de la vie sans se plaindre, pour tirer le meilleur de chaque jour. Des gens joyeux, également, qui pouvaient se laisser aller à rire et à chanter avec beaucoup moins de retenue que d’autres peuples en Terre du Milieu.

Elle les observa brièvement s’installer pour jouer à un jeu dont elle ignorait la nature et les règles, mais qui semblait les absorber considérablement. Pendant un instant, son esprit logique et calculateur se demanda quelle pouvait bien être la finalité de leur partie, et pourquoi ils semblaient réfléchir tant et tant au positionnement de simples pierres plates. Puis une partie plus enfantine d’elle-même, plus enfouie aussi, s’émut brusquement de cette vision simple. Deux enfants, unis par le sang et par une profonde complicité, jouant sous un beau soleil d’été…

Swan détourna le regard, confuse.

Des pensées parasites s’introduisirent bien inélégamment dans son esprit, et semèrent la pagaille dans ses souvenirs. Elle vit quelques visages familiers, au sens où elle les considérait pratiquement comme des membres de sa famille, qui lançaient quelques plaisanteries en l’air en essayant de lui tirer un sourire. Elle se souvint de soirées sous les étoiles, à jouer aux devinettes. Lui revinrent alors en mémoire l’odeur incomparable des poissons que l’on fumait, le bruit des vagues, la texture du sable entre ses orteils. Cela remontait à une éternité.

Elle soupira.

La souche.

Se concentrer sur la souche.

La porte de ses rêveries se referma sans violence, mais résolument, et elle jugea bon de la verrouiller à double-tour pour faire bonne mesure. Derrière, elle entendait ses pensées rebelles cogner contre le verrou de son extraordinaire discipline mentale, mais elle savait qu’il n’y avait rien à craindre. Elle prit une profonde inspiration, pour s’ancrer dans le présent, dans le Rohan, et lorsqu’elle ouvrit finalement les yeux, elle se retrouva exactement là où elle avait commencé son voyage intérieur. Debout devant la souche, à observer le lointain avec cet air triste et mélancolique qu’elle arborait parfois quand elle se croyait seule.

Elle donna un coup de pied rageur à son adversaire du jour, et entreprit d’en refaire le tour.

Les coups de hache et de pioche avaient clairement affaibli la structure, sectionnant même plusieurs racines qui lui avaient paru être décisives. Toutefois, elles n’avaient pas attaqué le problème assez profondément. D’après ses premières estimations, il leur faudrait creuser encore, et s’attaquer aux grosses racines qu’elle voyait poindre sous la terre remuée par leur récente bataille. De tels efforts leur prendraient au moins une grosse journée de travail, si la souche ne se montrait pas plus récalcitrante qu’elle l’imaginait. Perplexe quant à la suite à donner à cette histoire, Swan s’approcha de ses deux compagnons afin de s’enquérir de leur état. S’il leur restait quelques forces, ils pouvaient peut-être s’atteler au déblayage fastidieux avant de passer au jardin… Ils tournèrent la tête vers elle en la voyant arriver, et lui firent soudainement part d’une idée qui venait d’émerger de leur fructueuse conversation. Dernion était peut-être le plus fluet de leur étrange trio, mais il ne manquait pas de pertinence, et sa proposition laissa Swan un peu décontenancée.

- Euh… Passer autour ? Je veux dire… Euh… Je ne sais pas trop…

Les deux enfants auraient pu croire qu’elle cherchait une excuse pour leur dire que c’était une idée très mauvaise, une politesse maladroite destinée à cacher un sentiment moins noble de mépris ou de dédain. Cependant, ils comprirent bien vite que leur interlocutrice était simplement perdue quant à la meilleure stratégie à adopter. L’idée de Dernion était loin d’être mauvaise, mais elle faisait appel à des vertus que la jeune Swan n’avait pas cultivée depuis fort longtemps : la créativité, l’ingéniosité, l’esprit d’initiative. Paralysée par le poids des responsabilités qu’elle se voyait confier, elle réagissait étrangement comme une enfant privée de ses parents, égarée. Son esprit ne pouvait réfléchir au-delà de la mission qui lui avait été donnée et sans invalider la proposition de Dernion, elle avait du mal à voir ce qu’ils pouvaient faire de la souche. À ses yeux, maître Ovadiah lui avait ordonné d’accomplir cette tâche, et elle ne pouvait pas lui désobéir.

- Euh… Je… Je ne peux pas prendre cette décision : je vais aller poser la question, ne bougez pas !

Sans attendre de réponse de la part de Dernion, elle détala vers la maison et laissa ses deux compagnons avec assez de questions et de temps pour discuter en privé de la scène curieuse à laquelle ils venaient d’assister. Elle revint quelques minutes plus tard, avec des nouvelles prometteuses.

- Maître Ovadiah est d’accord. Nous pouvons laisser la souche en l’état pour le moment.

Les trois enfants poussèrent un soupir de soulagement, conscients qu’ils pouvaient désormais se consacrer à des activités moins difficiles. Forte des nouvelles consignes qu’elle venait de recevoir de la bouche du maître en personne, Swan retrouva subitement son rôle d’organisatrice, et reprit :

- Dernion, tu peux ramener Canaille. Il faudra le faire boire, et il a tendance à être un peu récalcitrant mais c’est pour son bien. Attention à ce qu’il ne te donne pas un coup de sabot. Enaël, on va ranger les outils. On se retrouve au jardin, il faut enlever les mauvaises herbes, arroser les plantes qui souffrent de la chaleur, et récolter les pommes de terre. S’il nous reste assez de temps, on fera le semis des choux, en prévision de l’hiver. Allez, on s’active, il nous reste du pain sur la planche.

Et, à l’instar d’une belle armée jardinière, ils s’exécutèrent avec empressement.

La matinée fut consacrée aux activités de la terre, et leur apporta une joie simple. L’été n’avait pas été tendre avec les récoltes et les plantations du Rohan, mais le jardin particulier de maître Ovadiah semblait avoir bien résisté aux fortes chaleurs, grâce à la science, mais également grâce à la dévotion des petites mains de Swan qui avaient veillé religieusement sur les fruits et les légumes, comme s’il s’agissait de la prunelle de ses yeux. Elle était ici chez elle, et elle ne manqua pas de présenter à Enaël et Dernion tous les recoins du jardin, qui s’étendait sur une surface moins importante qu’ils auraient pu le croire. Le verger faisait une petite centaine de mètres de long, et accueillait moins d’arbres que d’arbustes, tandis que le potager était divisé en plusieurs sections consacrées à différentes variétés de plantes. Quelques insectes paresseux voletaient au milieu des feuilles, et leur bourdonnement apaisant semblait avoir le pouvoir de guérir les âmes.

Ils y consacrèrent trois bonnes heures, les genoux dans la poussière, à désherber et à récolter ce qui pouvait l’être. Les paniers d’osier dont ils s’étaient chargés se remplissaient rapidement, et ils faisaient régulièrement des aller-retours vers la maison principale pour y déposer les précieuses récoltes. Trois bonnes heures durant lesquelles Swan s’absorba entièrement à sa tâche, sans échanger plus de quelques mots avec ses deux compagnons qui, eux, ne purent s’empêcher de transformer l’expérience en moment plaisant. Encore une fois, Swan se sentit dépassée par les émotions qu’elle ressentait. Ce n’était pas de la jalousie dans sa forme la plus sombre, celle qui pouvait pousser à la méchanceté. Non. Quand elle les observait rire et jouer, et se faire des blagues innocentes, elle ressentait seulement de l’envie : l’envie de vivre la même chose, de partager la même insouciance, de se laisser aller à sourire pour un rien, de s’émerveiller de la couleur des aubergines, de la taille des tomates, du poids des potirons… Pour amoureuse qu’elle fût de ce jardin et de ses enchantements, elle ne parvenait pas à s’enthousiasmer comme le faisaient ces deux êtres à la fois si proches et si différents.

En les regardant se chamailler pour une nouvelle facétie, Swan se surprit à éprouver un sentiment de profonde tristesse et de profonde solitude.

Son frère lui manquait.


~~~~



Après avoir travaillé si dur toute la matinée, les enfants furent autorisés à prendre une brève pause. Celle-ci prit la forme d’un bon bain chaud pour se délester de la sueur et de la poussière des activités physiques, et d’un repas léger mais succulent, qui suffit à leur redonner des forces sans leur infliger une terrible fatigue tout l’après-midi. Dès qu’ils eurent fini de débarrasser la table, ils furent autorisés à se rendre dans l’office de maître Ovadiah, sans doute la pièce la plus importante de la demeure. Elle se trouvait au rez-de-chaussée, dans une aile un peu à l’écart, dans un endroit de la maison où les enfants n’étaient pas autorisés à se rendre en-dehors de leurs classes. Ovadiah sortit de la poche de son veston une petite clé dorée, qu’il introduisit dans la serrure, et d’un geste souple du poignet il leur ouvrit la porte d’un monde comme ils n’en avaient jamais connu.

- Bienvenue dans mon bureau, les enfants. Bienvenue.

D’un ample geste de la main, il les invita à pénétrer à l’intérieur du bureau, dont la taille impressionnante s’expliquait en grande partie par la présence d’une superbe bibliothèque, qui n’avait probablement pas d’égal au Rohan, à l’exception de celles que l’on trouvait à Edoras. Les nombreux ouvrages et documents d’archive, soigneusement classés et organisés, étaient un véritable trésor de savoirs que certains savants venaient parfois consulter depuis des contrées fort lointaines. Les deux enfants n’avaient pas encore accès à la lecture, mais ils ne tarderaient pas à pouvoir déchiffrer le sens de ces mystérieux traités qui s’empilaient sur le bureau, dans les étagères, et dans les nombreux coffres que l’on voyait ici ou là. Un monde entier s’étendait sous leurs yeux, fait de voyages, de récits et d’innombrables épopées. La lecture était aussi la promesse d’un avenir différent pour eux, qui pouvaient s’arracher à leur condition, au pénible travail de la terre. Quand ils seraient aussi habiles avec les lettres qu’un jongleur avec ses balles, qu’est-ce qui les empêcherait de prendre la route d’Edoras pour y monnayer leurs services ? Ils pouvaient aspirer, comme leur oncle Learamn, à réaliser une noble et belle carrière… en espérant connaître une meilleure fin. Lui aussi avait appris à déchiffrer le sens des lettres et des mots, lui aussi avait appris le savoir contenu dans les livres… Mais il y avait sans doute des leçons qu’il n’avait pas assimilées entièrement, pour avoir connu une chute aussi spectaculaire que l’histoire de son ascension.

Peut-être trouveraient-ils le récit des aventures de leur oncle dans un de ces ouvrages, s’ils osaient poser la question à maître Ovadiah.

- Vous êtes ici dans ma bibliothèque personnelle, que j’ai constituée patiemment au cours de mes années de voyage. Avec du travail, vous serez capables de parcourir ces ouvrages, et d’apprendre par vous-mêmes ce qu’ils contiennent. Pour l’heure, cependant, je préfère que vous ne déambuliez pas librement parmi les livres. Certains contiennent les clés de la liberté de l’esprit humain, mais d’autres peuvent s’avérer dangereux pour de jeunes âmes encore innocentes. Les livres ont un grand pouvoir, et ils peuvent corrompre le cœur des Hommes quand ils ne sont pas maniés avec précaution.

Son regard grave ne laissait pas de doute quant au poids des paroles qu’il venait de prononcer, qui ressemblaient à un avertissement dont ils feraient bien de se souvenir à l’avenir. Le précepteur avait déjà vu ce que la connaissance pouvait faire aux hommes, en particulier durant ses séjours dans les terres du Sud. Les hommes du Harad, contrairement à l’image que l’on dépeignait d’eux au Rohan, n’étaient pas des sauvages et des brutes sans cervelle. Au contraire, ils cultivaient les arts et la science avec un certain raffinement, mais sans la noblesse et la bonté qui caractérisaient les Hommes de l’Ouest. Pendant longtemps, Ovadiah avait été convaincu que la nature profonde de ces « mauvais hommes » expliquait leur attitude vis-à-vis des valeurs qu’il considérait comme cardinales : la tempérance, la loyauté, l’honneur, le soin des petits… Cependant, depuis la Guerre des Trois Rois qui avait déchiré le royaume des seigneurs des chevaux, son opinion avait évolué. Peut-être parce que deux de ses anciens élèves avaient rejoint les rangs de l’Ordre de la Couronne de Fer… Son chagrin avait été immense, et il en était arrivé à la conclusion que le mal se trouvait en réalité dans le cœur de tous les Hommes, d’où qu’ils vinssent. Dès lors, il ne pouvait plus enseigner avec la même liberté de ton, et la même désinvolture qu’auparavant. Il lui était désormais primordial de former des esprits pétris de ces valeurs cardinales, sans quoi son enseignement n’aurait aucun sens. Après avoir lâché un soupir, il leur indiqua du doigt deux coffres, scellés par un cadenas.

- Ces ouvrages vous sont donc interdits, et il n’est pas certain que durant votre séjour ici, vous y ayez accès. Mais comme vous le voyez, vous aurez de quoi vous exercer, et de quoi satisfaire votre curiosité. Si vous êtes assidus et studieux, vous parviendrez vite à lire par vous-mêmes, et vous pourrez emprunter certains de ces livres pour les feuilleter le soir.

Ovadiah adressa un sourire compatissant aux deux jeunes. La tâche semblait à la fois attrayante et ardue, mais elle était loin d’être impossible à réaliser, pourvu qu’ils consacrassent la même énergie à l’apprentissage intellectuel qu’aux travaux des champs. D’après Swan, ils avaient fait montre d’un bel enthousiasme, et le jugement de la jeune fille avait beaucoup de valeur aux yeux du vieux précepteur, qui se fiait à ce qu’elle avait vu durant leur matinée de travaux. Il prit un livre dans son étagère, et l’ouvrit à une page où étaient représentés des caractères mystérieux, formes abstraites pour les deux ingénus qui semblaient trépigner d’impatience à l’idée d’en découvrir tous les mystères.

- Nous allons donc commencer par les bases, les principes élémentaires de l’écriture, à savoir les voyelles et les consonnes. Vous les trouverez dans l’ordre. Voici le o, par exemple. Et voici le a. Sur ces tablettes en argile, vous vous exercerez à reproduire les symboles que voici. D’ici la fin de la journée, je veux que vous ayez parfaitement mémorisé toutes ces lettres, et que vous soyez capables de les reproduire de mémoire à l’aide de ce calame. Quand je vous dirai o, je veux que ce symbole apparaisse immédiatement dans votre esprit.

Il leur désigna deux chaises, devant un bureau, et les invita à prendre place. La lueur du pâle soleil de l’après-midi s’engouffrait par la fenêtre située non loin, éclairant de manière fort convenable leur plan de travail, et leur offrant encore de nombreuses heures de jour durant lesquelles ils pourraient s’exercer, avant d’avoir besoin d’une bougie.

- Le temps sera un facteur important, chers enfants. Il vous faudra faire preuve de patience, et de discipline. On forme son esprit de la même manière que l’on forme son corps à toute autre tâche. Seul le temps et le travail vous permettront d’exceller dans ce nouveau domaine. Je vous en prie, vous pouvez commencer, ne vous laissez pas distraire par les divagations d’un vieil homme. Quand vous arriverez au bout de la tablette, vous n’aurez qu’à l’humidifier légèrement pour effacer votre exercice, et recommencer.

Enaël et Dernion prirent ainsi place face à leur nouveau travail. Sur la page devant eux, s’étendait une quantité impressionnante de glyphes obscurs qui, combinés dans un ordre précis, formaient des mots, puis des phrases, des paragraphes, et enfin des ouvrages entiers. Pour l’heure, ils n’en étaient qu’aux balbutiements, aux premiers pas chancelants, à l’analyse fastidieuse de la plus petite unité qui composait la pensée des grands sages. Ovadiah eut un sourire attendri en les voyant se pencher vers les pages qui produisaient un bruit feutré quand ils les tournaient avec mille précautions. Quant à lui, il s’installa confortablement dans le fauteuil qui était le sien, pour feuilleter un ouvrage tout en prenant quelques notes dans la marge. Il glosait fréquemment les ouvrages qu’on lui envoyait, y adjoignant ses observations et ses commentaires, avant d’envoyer des lettres parfois élogieuses et parfois réprobatrices à ses contacts en Terre du Milieu. Même ici, au cœur de cette retraite, il continuait à entretenir de nombreux contacts avec les savants du monde.

Un silence apaisant s’installa entre le professeur et ses élèves, seulement rompu par le grattement régulier de la plume sur le papier, et du calame sur l’argile. Après avoir fait tant d’efforts, et s’être tant dépensé durant la matinée, les enfants auraient pu croire que le travail de l’esprit était moins éreintant, mais en réalité il exigeait d’eux une grande concentration. Les formes n’étaient pas difficiles à mémoriser en elles-mêmes, mais elles exigeaient une gymnastique intellectuelle à laquelle les deux enfants n’étaient guère habitués. De temps à autre, ils demandaient une précision à leur professeur, notamment l’association du son et du signe, pour travailler leur mémoire, avant de replonger dans la répétition soignée du geste.

Les heures défilèrent ainsi. Calmes. Chaque seconde semblait s’étirer à l’infini, et seules les ombres qui s’étiraient paresseusement donnaient une vague idée de l’écoulement du temps.

Ovadiah se félicita de constater que ses deux protégés étaient capables de travailler dans le silence pendant de longues périodes. Cela les mènerait loin. Il croyait beaucoup dans l’autonomie de ses protégés. Il préférait éviter de se trouver derrière leur épaule, et s’amusait de voir les stratégies qu’ils mettaient en place pour mémoriser des connaissances nouvelles, chacun à leur manière. Leurs sourcils froncés et leurs moues perplexes tirèrent un sourire au précepteur, qui savait que le chemin était encore long vers la lecture fluide d’un texte, et vers la formulation d’une pensée précise. Ils étaient au début d’un voyage dont ils ne reviendraient jamais vraiment.

Les rêveries du maître et les difficultés des enfants furent brusquement interrompues par quelques coups discrets frappés à la porte. Swan s’invita dans la pièce avec un empressement très inhabituel chez elle.

- Maître, fit-elle la voix curieusement inquiète. Les marchands du Sud sont arrivés, avec deux jours d’avance sur leurs propres prévisions. Ils… Ils portent d’étranges nouvelles, je crois que vous devriez venir. Rapidement.

Ovadiah comprit à l’attitude de sa protégée que sa présence était requise et quelque chose se tramait. Il partit avec tant de précipitation qu’il oublia d’ordonner explicitement à Dernion et Enaël de continuer leur travail, ce qui signifiait qu’il ne leur interdisait pas non plus de le suivre à une distance respectable. Le précepteur trotta jusqu’au salon, où il découvrit trois marchands éreintés, dont le voyage ne s’était visiblement pas passé sans heurts.

- Hamel, mon vieil ami, fit Ovadiah sans cacher son trouble. Que vous est-il arrivé ? Vous avez l’air d’avoir traversé les plaines de Gorgoroth.

L’intéressé haussa les épaules, en serrant chaleureusement la main du professeur. Il avait le visage allongé, et de longs cheveux bruns qui lui tombaient jusqu’aux épaules. Ses yeux sombres semblaient porter toute la peine du monde, et les mots mirent un moment à franchir ses lèvres.

- Je ne sais pas… Nous avons eu de la chance dans notre malheur, d’autres n’ont hélas pas eu cette fortune…

- Asseyez-vous, prenez un verre. Je veux tout entendre.

Swan n’eut pas besoin de consigne, et elle se hâta de filer à la cuisine pour servir quelque chose aux voyageurs. Elle connaissait les habitudes de son maître, et trouva sans mal une bouteille de cognac parfaitement adaptée à cette situation tout à fait exceptionnelle. Hamel, connaisseur de ces choses, dégusta la première gorgée avec délectation et lâchant un soupir de soulagement.

- Ovadiah, par où commencer ? Crois-tu aux démons et aux créatures de cette nature ? Je crois que c’est ce que nous avons rencontré. On murmurait déjà des choses, loin à l’Est, au Gondor, mais les monstres sont arrivés jusqu’à nous désormais. J’en ai vu des centaines, le long de l’Entalluve, en route vers l’Ouest. Armés jusqu’aux dents. Des monstres à la peau aussi noire que la suie, et aux yeux rouges comme le sang qu’ils boivent. Les hommes les appellent Charbonneux… Les paysans ont fui vers l’Ouest, mais nous avons pensé qu’il valait mieux pousser vers le Nord, ne serait-ce que pour prévenir les villages isolés. Cela a été une terrible erreur…

Il marqua une pause, et ses compagnons baissèrent subitement la tête.

- Nous étions onze quand nous sommes partis de Pelargir, et nous voilà seulement trois… Le monde est devenu fou, Ovadiah. Complètement fou… Nous avons subi deux attaques de ces Charbonneux, à la nuit tombée. Nous avons à peine survécu à la dernière, et nous avons dû abandonner la moitié de notre cargaison sur la route… C’était il y a une semaine, et depuis nous avons chevauché avec célérité sans croiser de nouveaux démons.

Ovadiah fronça les sourcils, pensif.

- Je n’ai jamais entendu parler de telles créatures, ces « Charbonneux »… Leur description ressemble cependant à certains récits qui me sont parvenus depuis le Gondor. D’étranges envahisseurs venus de l’Orient, qui ont semé la terreur en Anórien. Si vous dites qu’ils sont au moins à une semaine d’ici, alors peut-être ignoreront-ils les contrées de la Marche orientale, et qu’ils bifurqueront vers l’Ouest. Nos terres n’ont rien de particulier à offrir et…

- Pardonnez-moi de vous interrompre, maître, trancha brusquement Swan avec une rudesse qui ne lui ressemblait pas, mais qui trahissait la profondeur de son trouble. Avons-nous des nouvelles de Fréod… Sire Hamel ?

Ce dernier accueillit la question avec gravité, mais secoua la tête négativement :

- Nous n’avons rien entendu à son sujet, je suis désolé. S’il a été plus malin que nous, il aura pris le chemin de l’Ouest avec les convois de civils. Je suis certain qu’il est en sécurité…

- C’est un garçon intelligent, abonda Ovadiah. Il aura eu la présence d’esprit de s’éloigner du danger, et de penser à sauver sa vie avant toute chose. Tout ira bien, Swan. Nous aurons bientôt de ses nouvelles, j’en suis persuadé. Mais pour l’heure, vous devez être affamés et vous avez besoin de repos. Hamel, vous et vos compagnons pouvez dormir ici ce soir, vous êtes les bienvenus évidemment. Vous dormirez dans le dortoir des garçons, et je ferai dormir mes étudiants dans le dortoir des filles exceptionnellement. Swan, je te laisse t’occuper de nos invités et leur montrer leurs appartements. Je vais aller prévenir Enaël et Dernion, mais je vous saurais gré de leur épargner les détails de vos mésaventures. Ils sont encore jeunes, et je préférerais ne pas les inquiéter outre mesure, d’autant que ma demeure est encore sûre jusqu’à preuve du contraire. Ils doivent se concentrer sur leurs études, et rien d’autre.

En disant cette phrase, Ovadiah se rappela que les enfants dont il parlait avaient des parents, une famille entière au Rohan, qui pouvait être concernée par les attaques ignobles de ces « Charbonneux ». Peut-être valait-il mieux ne pas les effrayer, mais en même temps était-il judicieux de les priver de la possibilité de communiquer avec leurs proches ? Le maître soupira profondément. Ce genre de décisions n’était pas facile à prendre, mais il se rappela qu’on lui avait confié librement la garde de ces deux jeunes gens car on avait confiance dans son jugement, et dans sa capacité à veiller sur eux. C’était ce qu’il entendait faire, de la manière qui lui paraîtrait la meilleure.

En rentrant dans son bureau, il trouva les deux jeunes gens au même endroit que là où il les avait laissés, toujours aussi studieux. D’une voix douce et qu’il voulut très apaisante, il souffla :

- Alors, vous progressez ? Est-ce que les lettres vous semblent un peu plus familières désormais ?

Il sourit, mais son regard trahissait d’autres préoccupations.

- Je… Nous avons la visite d’invités inattendus ce soir, des amis marchands qui viennent de loin. Ils sont fourbus, et ont besoin d’une chambre. Dernion, tu iras exceptionnellement dormir avec les filles ce soir. Nous reporterons également l’évaluation que je vous préparais à demain, si vous le voulez bien. Nous devons d’abord nous occuper de nos invités. Vous êtes donc libérés pour ce soir, et vous pouvez aller aider Swan aux cuisines.

Puis, constatant que quelque chose semblait perturber les enfants, il ajouta :

- Est-ce que tout va bien ?
Sujet: L'éducation du Riddermark
Ryad Assad

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Rechercher dans: Les Prairies   Tag ovadiah sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: L'éducation du Riddermark    Tag ovadiah sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyDim 26 Nov 2023 - 18:13

Un bon feu crépitant dans l’âtre, un repas chaud préparé avec soin, et le rire joyeux des enfants… Le cœur d’Ovadiah trouva la paix ce soir-là, alors qu’il s’amusait de la curiosité innocente de Dernion. Décidément, l’esprit de ce jeune garçon était aussi vaste qu’un palais, et tout semblait l’intéresser. Si sa bouche lui avait permis de poser mille questions à la fois, il l’aurait sans doute fait sans réserve. Nul doute qu’en plongeant le nez dans un livre pour la première fois, il ne ressortirait pas de ce puits infini de savoir. Le précepteur reconnaissait en lui des traits familiers, qui lui tirèrent un sourire attendri. Pour l’heure, ses émerveillements étaient assez simples, mais ils ne tarderaient pas à se complexifier… Il s’étonnait par exemple de la nourriture qui leur était servie, lui dont l’expérience en matière de cuisine se limitait très certainement à ce qu’il avait toujours mangé dans sa propre famille. Il était difficile de lui en vouloir, car la cuisine du Rohan était davantage fondée sur la nécessité de survivre plutôt que sur une quelconque recherche d’un plaisir culinaire. Ici toutefois, il s’ouvrirait à d’autres saveurs, et s’il était déjà bouleversé par les fèves, il n’en reviendrait pas des variétés de fruits exotiques que l’érudit s’efforçait de faire fleurir ici.

- Eh oui, jeune Dernion. Figure-toi que l’on peut en faire toutes sortes de choses. Nous les préparons généralement avec des oignons, des échalotes, ou de l’ail, et parfois une sauce au vin. Mais on peut également les broyer, et les réduire en une purée très consistante qui tient au corps toute la journée. Ces fèves, en l’occurrence, viennent d’une souche suderonne, qui semble s’acclimater plutôt bien au Rohan. Les Haradrim ont pour habitude d’en faire des beignets qu’ils épaississent avec une sorte de farine légère, avant de les faire frire dans de l’huile bouillante. Ils les mangent salés, avec des épices de leurs lointaines contrées, ou avec de la menthe ; mais certains en font aussi des desserts en rajoutant à la pâte des fruits confits.

Ovadiah s’essuya les lèvres à l’aide de sa serviette, tandis que l’image des mets succulents qu’il décrivait s’imprimait dans l’esprit de ses jeunes invités. Ils salivaient rien que de penser à ces douceurs venues d’ailleurs, qui ne ressemblaient en rien à ce qu’ils connaissaient. L’érudit avait cette faculté incroyable de rendre n’importe quelle conversation intéressante : il semblait avoir quelque chose de pertinent à dire sur tous les sujets, et il avait cette manière de narrer les choses qui savait captiver son auditoire. Les enfants trouveraient en lui un homme susceptible de les instruire, certes, mais également de les faire rêver et de leur ouvrir les portes de mondes dont ils ne soupçonnaient même pas l’existence. Swan l’écoutait religieusement, sans pour autant croiser son regard. Elle gardait le nez rivé dans son assiette, mangeant lentement et avec dignité, mais le petit sourire qui fleurissait presque imperceptiblement sur ses lèvres ne trompait pas. Elle savourait ces paroles avec délectation, comme plongée dans une vision.

Dernion et Enaël également, mais ce n’était pas de nourriture terrestre dont les deux jeunes gens avaient faim. Ils étaient davantage intéressés par la nourriture intellectuelle. Leur curiosité du monde, de ses peuples, de ses territoires et de ses gens ne les quittait jamais vraiment. En s’éloignant de leur maison, en parcourant le Rohan ainsi pendant des jours, ils prenaient peut-être mieux conscience de l’immensité de la Terre du Milieu, de la diversité de ses peuples, et de la richesse qui résidait au-delà de leur horizon… Leurs questions ne cessaient de pleuvoir, comme une douce pluie d’été abreuvant un sol trop longtemps privé d’eau.

- Le Harondor ? Ma foi, c’est une terre magnifique que j’ai eu l’opportunité de visiter plusieurs fois dans ma jeunesse. Cette principauté, cet émirat comme l’appellent les gens qui y vivent, est gouverné par le vaillant Radamanthe, qui répond effectivement devant le Haut Roy Mephisto du Gondor, le plus puissant souverain de ce monde. Ce sont les terres frontalières du Sud, gorgées de soleil et de vie, où foisonnent certains des esprits les plus brillants qu’il m’ait été donné de rencontrer. Isidor Andro, qui a écrit le remarquable Traité sur les peuples au-delà de l’Anduin, et qui est un ami personnel, était originaire du Harondor. C’est un pays tout à fait étonnant, où la vie serait douce et prospère si hélas les Haradrim n’y faisaient pas la guerre de manière aussi régulière. Le Harondor appartient encore au Gondor, mais ces terres ont perdu de leur charme depuis l’époque où j’y voyageais… Nombre d’érudits ont dû fuir les combats, et ont trouvé refuge plus loin au Nord. On y rencontre encore le courage et la valeur, mais on y croise bien davantage la briganderie et le mensonge. Les routes du Sud ne sont plus aussi sûres qu’elles l’étaient…

Il eut un regard en coin pour Swan.

Celle-ci ne sembla pas le remarquer.

Ils continuèrent ainsi leur agréable repas, ponctué de questions et d’observations pertinentes de la part des plus jeunes, tandis qu’Ovadiah déployait son savoir immense comme un barde jouerait de la lyre ou du luth. Ses mots, toujours justes, formaient une mélodie prompte à bercer les esprits et à transporter les âmes. Enaël et Dernion étaient encore trop jeunes pour résister à de telles leçons, et ils ne tardèrent pas à sentir leur concentration diminuer. Leurs oreilles épuisées avaient de plus en plus de mal à se donner du sens aux paroles de leur précepteur, rapidement distraites par le craquements des bûches qui brûlaient joyeusement dans l’âtre. Dernion fut le premier à étouffer un bâillement, qui annonça la fin de leur succulent dîner. Après leur avoir souhaité une bonne nuit, le vieil homme les regarda s’éloigner vers leurs chambres, tout en se demandant à quoi ils rêveraient ce soir… Aux braves chevaliers qui se battaient pour le contrôle de l’Harnen face aux hordes suderonnes ? Aux plantes merveilleuses et aux forêts luxuriantes qui couvraient certaines des régions les plus sauvages d’Arda ? Aux sorcelleries de l’Orient, où s’était égaré le brave Learamn ?

Il sourit.

Tant qu’ils se souvenaient de la douceur de la terre du Rohan, du parfum des champs après la moisson, de la chaleur de leur famille réunie autour d’une bonne histoire après une longue journée de labeur… Tant qu’ils se souvenaient que l’éducation n’avait qu’un seul objectif : les conduire vers eux-mêmes.


~~~~


Accroupie devant un seau d’eau rempli de vaisselle encore sale, les manches retroussées pour ne pas s’éclabousser inutilement, Swan frottait énergiquement les assiettes à l’aide d’un morceau de tissu. L’obscurité et le silence confortable que lui offrait la nuit ne la dérangeaient pas vraiment, pas davantage que d’effectuer les corvées de la maison. Elle aurait sans doute préféré aller s’allonger et profiter d’une nuit de sommeil bien méritée, mais elle savait également que tous seraient heureux d’avoir des couverts propres dès le matin pour entamer leur journée de la meilleure des manières. Elle entendit les pas lourds d’Ovadiah qui s’approchait dans son dos, et s’interrompit brusquement. Le vieil homme souffla à voix basse, pour ne pas déranger les enfants qui devaient sans doute s’endormir.

- Tu as l’air soucieuse.

Elle soupira.

- Fréod n’est toujours pas là, et je…

Swan inspira profondément, sans parvenir à contenir les larmes qui lui montaient déjà aux yeux, mélange d’émotions qu’elle ne parvenait pas à canaliser. Elle voulut achever sa phrase, mais les mots furent étranglés par un sanglot qui la surprit elle-même. Elle renifla bruyamment, et souffla fort pour essayer de chasser ce sentiment terrible de culpabilité et de crainte profonde. En vain. Ovadiah lui jeta un regard compatissant et attristé, puis s’avança pour lui poser une main amicale sur l’épaule.

- Il a promis de faire attention, et je suis certain qu’il tient parole. Ce n’est pas son genre de nous causer du souci, et je suis certain qu’il y a une explication parfaitement logique à son retard. Tu sais que les marchands doivent arriver ces prochains jours… nous leur demanderons des informations à ce moment-là.

Elle sécha les quelques larmes qui avaient coulé sur ses joues.

- Oui maître, vous avez raison… Mais que se passera-t-il si quelqu’un déc… ?

- Swan, l’interrompit Ovadiah avec un mélange de douceur et de fermeté. Ne pense pas à ces choses ce soir. Tout ira bien, nous sommes en sécurité ici. D’accord ?

Elle hocha la tête, puis se retourna pour reprendre sa vaisselle là où elle l’avait laissée. Ovadiah resta quelques secondes à l’observer, elle et sa silhouette gracieuse, réduite à gratter des assiettes en cachant ses larmes. Il ne put s’empêcher d’éprouver une grande pitié pour cette jeune âme, mais il savait également qu’il ne pouvait trouver les mots susceptibles de la réconforter, et qu’il valait mieux la laisser s’apaiser naturellement plutôt que d’ouvrir cette conversation à une heure aussi tardive. Résolu à ne pas la priver d’une parole bienveillante, il lui souhaita bonne nuit avec toute la bienveillance humainement possible, avant de s’éclipser discrètement. Hélas, c’était un vœu qu’il savait difficile à réaliser.


~~~~



A l’exception du rayon de lune qui se glissait dans la pièce par la fenêtre, la chambre des filles était plongée dans l’obscurité la plus totale. Swan y évoluait toutefois avec autant d’aisance que s’il avait fait grand jour, preuve qu’elle connaissait ces lieux à la perfection. Elle avait pris soin de déposer ses vêtements au pied de son lit, sur un petit coffre de bois qui contenait sans doute l’entièreté de ses maigres possessions avant de se glisser sous les épaisses couvertures. La nuit était fraîche, mais Swan étant particulièrement frileuse, elle dut se frictionner vigoureusement les bras pour essayer de se réchauffer légèrement. Elle avait toujours du mal à trouver le sommeil dans de telles conditions, et le confort très relatif du lit ne l’aidait pas à trouver une position dans laquelle aurait pu passer une nuit véritablement reposante. Alors, comme chaque soir, elle se mit à fixer les ténèbres qui peuplaient le plafond de la chambre, jusqu’à ce que ses paupières alourdies décidassent de se fermer d’elles-mêmes.


Son sommeil était très aléatoire… Parfois, il lui fallait de longues heures avant de pouvoir combattre l’envie irrépressible de rester éveillée au point d’en avoir les yeux endoloris. Ce soir-là, cependant, elle sentit très rapidement les bras du sommeil l’envelopper délicatement, et l’attirer vers un repos bien mérité. Son esprit, à demi-conscient, assistait en spectateur impuissant à son immersion dans cet état curieux, perdu entre le monde onirique et celui, tangible, où évoluait Enaël, quelques lits plus loin. Sa respiration s’apaisa, se faisant plus profonde et plus régulière, tandis que ses yeux continuaient de fixer le plafond par habitude. D’abord, elle ne vit rien que l’obscurité, avant de capter une série de mouvements furtifs et lents, comme un long serpent ondulant le long du plafond… La créature, à peine discernable dans la nuit noire, semblait un instant immense, puis l’instant d’après n’être faite que d’un entrelacs complexe de fils de soie tressés les uns aux autres. Certains de ces filaments se détachèrent puis, portés par une brise invisible, s’envolèrent à la limite de sa conscience en prenant progressivement des formes plus familières…

Des lignes brisées.

Irrégulières.

Des filaments qui venaient s’échouer inlassablement à ses pieds en charriant avec eux les débris de son existence. Des objets dont elle ignorait pour la plupart la nature et la fonction… et puis un coffret en bois. De grandes tentures, qui ressemblaient un peu à des drapeaux, s’envolèrent devant elle et allèrent s’accrocher dans les branches d’un arbre qui n’était pas là quelques secondes auparavant. L’arbre descendait du plafond, et ses branches presque invisibles ressemblaient à des racines hors de terre… Swan plissa les yeux, croyant apercevoir quelque chose dans les ténèbres. Enaël respirait de plus en plus fort à ses côtés… cela ne pouvait donc pas être elle qui lui souriait…

Non.

C’était un visage familier, mais pourtant indéfinissable, qui semblait s’arracher du mur comme s’il ne s’agissait que d’un enchevêtrement complexe de toiles d’araignées. Des arachnides descendaient d’ailleurs le long de la cloison, hors de son champ de vision, creusant les poutres de la pièce avec leurs pattes griffues… La jeune fille se figea, horrifiée, alors que la plus grande d’entre elles s’emparait d’une lame argentée dissimulée sous son abdomen gigantesque et velu. La créature aurait pu l’attaquer, mais elle se contenta de rester là à aiguiser son arme patiemment. Ses yeux d’un bleu très clair, le même bleu que ceux de Swan étaient rivés sur cette dernière, qui ne pouvait pas détourner le regard.

Elle étouffait.

Littéralement.

Le démon nocturne n’avait pas bougé, mais elle ressentait un poids terrible sur sa poitrine qui la clouait au lit, sans lui laisser la possibilité de faire entrer le moindre filet d’air dans ses poumons. Elle ne se souvenait pas avoir cligné des yeux, mais tout à coup l’arachnide disparut sans que sa présence ne s’évanouît pour autant. Elle ne voyait plus la créature à présent, mais elle entendit distinctement sa voix s’élever dans les ténèbres.

« Dis-moi, Al’… ? »

Elle déglutit.

Tout son corps était comme paralysé. Pétrifié. Elle tentait bien de s’agiter, de hurler de toutes ses forces, d’appeler à l’aide… rien n’y faisait. Elle ne pouvait que rester là, curieusement immobile, figée par ce monstre qui tentait de la faire suffoquer sans merci. Une autre voix venue de loin, reprit en écho.

« Dis-moi, Swan ? »

Elle voulut répondre, mais son cri mourut avant même d’atteindre la lisière de ses cordes vocales. Une larme solitaire coula le long de sa joue.

« Dans quel coin du Rohan tu vis ? »

En proie à une terreur nourrie par son incompréhension la plus totale, elle se sentit mourir… puis revenir brusquement à la vie lorsque son corps prit une grande inspiration malgré elle. Une inspiration douloureuse et violente qui la poussa à se redresser violemment, la main sur la poitrine pour chasser l’impression désagréable d’avoir été compressée contre son lit. Son cœur battait à tout rompre, et son front était emperlé de sueur.

Pourtant, tout cela n’avait pas duré plus de quelques minutes.

Swan capta un bref mouvement à côté d’elle, et sursauta en voyant qu’Enaël s’était réveillée, et qu’elle avait quitté sa couchette pour s’approcher, visiblement préoccupée par l’état de sa camarade de chambrée. La jeune fille aux cheveux bruns lui fit signe que tout allait bien, mais peina à se montrer rassurante. Elle était livide, un état encore accentué par la pâleur de la lumière qui s’engouffrait dans leur dortoir.

- Pardon… J’ai seulement fait un cauchemar… Je…

Désorientée, elle tenta de se raccrocher à ses souvenirs confus, et répondit à ce qu’elle croyait être la question d’Enaël, mais qui appartenait en réalité à ses sombres rêveries.

- Je… Je vis au Rohan, juste ici… Je… Est-ce qu’on peut en parler plus tard ? S’il-te-plaît ? Il faut que je boive quelque chose…

Elle se leva un peu plus vivement que nécessaire, et essuya promptement ses joues avant de mettre le cap sur la pièce à vivre où elle était certaine de pouvoir trouver de l’eau, un verre, et de la solitude.


~~~~


Les premiers rayons du soleil vinrent tirer les enfants de leurs rêveries, leur promettant une journée qui s’annonçait douce quoique venteuse. Les nuages filaient à toute vitesse en direction de l’Ouest, comme s’ils fuyaient quelque chose. Ils se disloquaient en une multitude de fresques étranges, évoquant tour à tour des silhouettes guerrières embarquées dans de nobles combats, des créatures mythiques aux gueules effrayantes, ou des animaux du quotidien qui s’égayaient joyeusement l’espace d’un bref instant, avant de se dissoudre dans une nouvelle enveloppe corporelle. Swan se montra particulièrement distante, et rejeta toutes les tentatives de la part d’Enaël d’aborder les événements de la veille au soir. Elle semblait ne même pas vouloir répondre aux questions les plus élémentaires sur son passé, ce qui ne pouvait pas manquer de susciter la curiosité des deux nouveaux venus.

Toutefois, ils n’eurent guère le temps de mener une enquête approfondie.

Swan leur réservait une matinée difficile pour les distraire de leurs questionnements.

- Nous allons commencer par la souche, avait-elle dit avec autorité. Profitons de ce qu’il ne fasse pas trop chaud pour faire le plus difficile, puis nous terminerons par le jardin avant le repas. Dernion, je te laisse aller chercher Canaille et la sangle qui se trouve dans l’enclos. Enaël, va chercher les outils dont nous aurons besoin : hache, pelle, pioche, tout ce qui pourra nous servir à déraciner cette souche.

La jeune fille distribuait ses ordres avec clarté et, franchement, avec une aisance qui ne s’improvisait pas. Elle ressemblait quelque peu au commandant d’un navire, distribuant les tâches à ses moussaillons inexpérimentés qui couraient en tous sens pour apporter le nécessaire. La principale différence résidait dans le fait qu’elle ne s’emportait jamais. Elle pouvait paraître agacée, frustrée parfois, mais elle n’avait jamais un mot plus haut que l’autre, et ne tenait pas à se donner en spectacle. Pour autant, son commandement était efficace, et ils eurent bientôt réuni tout le nécessaire pour attaquer leur tâche.

- On va utiliser la force de Canaille pour arracher cette souche, tout en essayant de couper tout ce qui peut gêner. Les racines sont profondes, il faut essayer d’en arracher autant que possible. Dernion, tu t’occupes de la traction. Enaël, avec moi, on leur facilite le travail.

Sans attendre, elle leva bien haut sa pioche et l’abattit à la base de la souche, en espérant sectionner tout ce qui la tenait ancrée dans le sol. Elle frappait avec énergie, envoyant voler des copeaux de bois dans toutes les directions, canalisant toutes ses émotions dans ce simple geste répété. A chaque fois que la pioche s’écrasait dans le bois, elle lâchait un ahanement sonore teinté de colère. Cependant, après presque une heure d’efforts et de souffrance, ils furent bien obligés de se rendre à l’évidence : la souche ne lâchait pas.

Swan leur proposa de prendre une pause, transpirant dans son surcot gris et sa chemise épaisse.

- Je ne comprends pas, fit-elle en s’essuyant le front dans sa manche. Qu’est-ce que j’ai mal fait ?
Sujet: L'éducation du Riddermark
Ryad Assad

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Rechercher dans: Les Prairies   Tag ovadiah sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: L'éducation du Riddermark    Tag ovadiah sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyMer 17 Fév 2021 - 13:41

Eolkar avait expliqué à Ovadiah que les enfants ne le décevraient pas, et pour l’heure il devait dire que son vieil ami ne s’était pas trompé. L’enthousiasme débordant de Dernion pour la connaissance se mariait à la perfection avec l’esprit indomptable de sa sœur qui, certes, semblait se désintéresser des choses de l’esprit, mais ne manquait pas de curiosité pour le monde et ses mystères. Ils avaient fait une longue route, loin de leur famille pour la première fois, et pourtant ils ne demandaient qu’à apprendre, désireux de se mettre au travail, sans doute conscients de la chance qu’ils avaient.

A table, ils jugèrent cependant utile de demander à quelle sauce ils allaient être mangés, conscients que les règles de la maison du précepteur seraient sans doute différentes de ce qu’ils avaient l’habitude de voir chez eux. Ovadiah, tout en glissant une serviette sur ses genoux à la manière des aristocrates du Gondor, leur répondit :

- Les journées sont routinières ici, mais commencent toujours par le même rituel. La matinée est consacrée aux activités du corps, et l’après-midi aux activités de l’esprit. L’un ne va sans l’autre, et cette maison a besoin d’un bel entretien pour rester propre et belle afin d’accueillir les jeunes enfants comme vous qui souhaitent apprendre des choses du monde.

Il fit un geste de la main en direction de l’extérieur, et reprit :

- Demain, nous irons au jardin, et je vous montrerai comment l’entretenir. Nous ferons la récolte des fèves qui sont prêtes, et nous les mettrons dans les paniers prévus à cet effet. Il faudra également aller puiser de l’eau pour la journée, faire quelques menues réparations sur la clôture, et…

- Et enlever la grosse souche, intervint Swan qui semblait agir comme une extension de l’esprit de son maître.

Il frappa dans ses mains avec un grand sourire :

- Oui c’est bien ça, la grosse souche ! Avec une monture et deux bras supplémentaires, je ne doute pas que nous parviendrons à l’avoir enfin !

Le travail ne paraissait pas faire peur à la jeune fille aux cheveux bruns, qui hocha la tête simplement, tout en servant ses nouveaux compagnons d’apprentissage. Elle avait le geste sûr, la main ferme, et paraissait aussi à l’aise à accomplir toutes les tâches ménagères qu’une femme mariée, en dépit de son jeune âge. Il y avait chez elle quelque chose de curieusement gracieux, alors qu’elle dégageait paradoxalement la force et la résistance des gens du peuple, qui n’étaient généralement pas connus pour leur délicatesse. Ce curieux mélange renvoyait involontairement Enaël à la comparaison, elle dont les manières étaient sans doute moins raffinées que cette inconnue, mais qui dans le même temps n’avait pas l’efficacité rare de cette dernière. Swan lui jeta un regard en coin, comme pour jauger la compétition, mais ne parut nullement impressionnée par cette nouvelle venue qui semblait certes farouche, mais encore bien tendre.

Dernion, de son côté, n’avait pas encore obtenu la réponse à sa question. Plus que les travaux des champs, il se demandait surtout de quelle leçon maître Ovadiah allait les régaler, et de quelle manière il allait les faire découvrir le monde fascinant du savoir et de la connaissance. Le précepteur, qui aurait été bien en peine de ne pas voir la curiosité de l’enfant, se fendit d’un sourire amusé, avant de nourrir son sentiment bien naturel :

- Et demain après-midi, nous commencerons notre première leçon de lecture. Nous apprendrons d’abord à reconnaître les lettres, les signes qui composent les mots, et quand vous aurez bien appris vos leçons, nous apprendrons à les assembler ensemble pour déchiffrer des textes. Ce sera la partie fastidieuse de votre apprentissage, mais sans doute la plus importante. Savoir lire, c’est se donner la possibilité d’apprendre par soi-même. C’est en tout cas un premier pas dans cette direction. C’est l’indépendance de l’esprit, la capacité à discerner le vrai du faux, le bon du moins bon. Les mots écrits, gravés, inscrits, renferment un grand pouvoir qu’il est possible de maîtriser… Pour s’en protéger, quand certains l’utilisent à des fins néfastes, mais aussi pour faire le bien.

Il ne daigna pas préciser ce qu’il entendait par « des fins néfastes », mais les enfants avaient encore en mémoire les sinistres événements de la Guerre Civile. Ils n’en connaissaient pas forcément les tenants, sinon par les racontars des adultes de passage qui portaient les nouvelles, qui racontaient à qui voulait l’entendre que les troupes royales détenaient la liste des traîtres et des ennemis de la couronne, qu’ils passaient de village en village pour les débusquer. La vision d’un cavalier portant un ordre royal écrit avait hanté les cauchemars de beaucoup, au Riddermark, même si finalement bien peu d’arrestations avaient été conduites dans le royaume. La Nuit des Lances Noires avait largement suffi à dompter le royaume des dresseurs de chevaux.

Si lire pouvait les protéger de tels épisodes horribles, il valait certainement mieux commencer l’apprentissage au plus tôt. Ovadiah le croyait sincèrement, et savait qu’il parviendrait à de bien meilleurs résultats quand les enfants auraient une compréhension correcte des signes et des glyphes. Ils continuèrent à discuter, évoquant des sujets divers et variés, et notamment les lentilles qu’ils mangeaient à table. Le précepteur, fier de ses plantes, ne put s’empêcher d’expliquer :

- Ces lentilles sont originaires du Harondor, de la région près de Methir pour être précis. Elles ont montré une très belle résistance à la chaleur, ce qui n’a pas été le cas de nos pousses de blé qui ont beaucoup souffert. Swan les cuisine à merveille.

La jeune fille rougit, mais ne répondit rien, gênée plus que nécessaire par ce compliment anodin, sans qu’il fût aisé d’en déterminer la raison.

Le repas se poursuivit sans encombre. Ils évoquèrent quelques souvenirs heureux, et Ovadiah leur raconta une ou deux anecdotes savoureuses sur Eolkar qui firent beaucoup rire les enfants, mais somme toute ils étaient fatigués et avaient besoin de se reposer. Le long voyage, le bain et le repas chaud dans leur ventre eurent rapidement raison de leur résistance, et ils gagnèrent leurs lits sans tarder.


Swan ne rejoignit Enaël que plus tard, après avoir vaqué à ses occupations domestiques, nommément la vaisselle et le nettoyage de la salle principale. Elle ouvrit la porte doucement, et se glissa à pas feutrés dans la chambre des filles en prenant grand soin de ne pas réveiller la silhouette allongée sur le lit au fond de la pièce. Elle ne vit pas qu’Enaël était endormie, et l’observait en silence. Assise sur le lit, elle ôta ses bottes, sa robe et sa tunique, avant d’enfiler une chemise de nuit en lin. Ce fut à cet instant qu’Enaël put remarquer que Swan avait une grande cicatrice dans le dos, lui barrant le corps de droite à gauche. Elle était fine et régulière, comme celles qu’on pouvait se faire en se coupant par inadvertance, mais en bien plus grand. Assurément, ce n’était pas le genre de marques que la plupart des gens portaient au Rohan, encore moins à cet âge.

La jeune fille aux cheveux bruns s’allongea dans son lit avec un soupir de soulagement, et ferma les yeux.
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Rechercher dans: Les Prairies   Tag ovadiah sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: L'éducation du Riddermark    Tag ovadiah sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyMer 3 Fév 2021 - 17:13

Converser avec de jeunes esprits plaisait toujours autant à Ovadiah, qui trouvait en eux une forme très pure d'intelligence, dépourvue la plupart du temps de pré-conceptions nocives à la réflexion. Il se plaisait à écouter leurs théories, leurs idées, leurs pensées, conscient qu'elles façonneraient bientôt le monde tel qu'il le connaissait, pour en faire – encore fallait-il l'espérer – un monde meilleur. Il souhaitait sincèrement que l'éducation des quelques enfants qu'on venait lui confier parviendrait à infléchir la course tragique de la Terre du Milieu, plongée dans toujours plus de tourments. Certes, on n'avait plus connu de guerres épiques comme celles des anciens âges, mais la cruauté des Hommes semblait s'incarner différemment désormais.

Pendant longtemps, il avait été facile de croire que tout mal venait de Morgoth et de Sauron.

Désormais qu'ils n'étaient plus, les érudits ne pouvaient que faire le constat terrible que les Hommes étaient responsables des malheurs qu'ils vivaient en ce moment.

A l'Est comme à l'Ouest.

- L'origine des gens de notre peuple, je n'en connais que ce que racontent les livres à propos de ceux qu'on appelait les Éothéod, le peuple des chevaux. Des gens braves et nobles, montant des chevaux d'une grande beauté, descendirent du Nord pour prêter main-forte au Gondor, alors qu'ils étaient désespérés. Ils étaient menés par Eorl le Jeune, le plus brave de tous, dont les prouesses impressionnèrent tant le roi du Gondor qu'il lui confia la terre la plus belle et la plus riche qu'il avait parmi son domaine. C'est cette même terre que vous foulez aujourd'hui. Le Rohan.

Il prit une profonde inspiration, se laissant envahir par un sentiment de fierté apaisant. Le Rohan, cette terre magnifique, ne connaissait ni le joug des maîtres du monde ténébreux, ni la tyrannie des grands rois dans leurs cités de pierre. Ici, on y vivait encore libre, capitaine de son destin, fidèle aux traditions de jadis.

- Je ne sais si les Rohirrim viennent de l'Est, mais si tel est le cas, alors nous ne pouvons qu'être fiers de nous. Fiers de nos valeurs, fiers d'avoir toujours su honorer nos serments d'amitié, et d'avoir résisté aux ennemis du monde. Morgoth ne trouva jamais aucun ami au Riddermark et, par Eorl, espérons qu'il n'en trouve jamais.

Son enthousiasme faisait chaud au cœur, mais il choisit pour le bien être de ses élèves de ne pas aborder les tragiques épisodes de la guerre civile. Les cicatrices en étaient encore trop récentes, et comment expliquer à de si jeunes âmes que d'innombrables jeunes hommes avaient décidé de suivre l'Usurpateur, en suivant un drapeau aux armes de la Couronne de Fer ? Ils comprendraient bien assez vite qu'il y avait de la corruption même chez les Rohirrim, mais pour l'heure ils devaient saisir une distinction essentielle. Pour imparfaite qu'elle fût, leur société demeurait très supérieure à celle des gens de l'Est. Ici, on ne réduisait pas son prochain en esclavage, on ne le tuait pas sans raison, au nom d'une divinité obscure… Ici, on respectait la vie, quoique l'or tînt une place bien importante dans certaines considérations.

Comme il l'avait pressenti, Ovadiah eut la confirmation que les questions des deux jeunes gens n'avaient rien d'innocent. Il connaissait beaucoup de choses, et avait effectivement entendu parler de la disgrâce de leur oncle Learamn. Propulsé capitaine de la Garde Royale, un honneur qui avait rejailli sur toute sa famille, il avait incarné pendant un temps l'espoir de tout un royaume qui souhaitait ardemment sortir de la tourmente et revenir à ses coutumes. Hélas, le fardeau avait été trop lourd à porter. On disait de lui qu'il avait été grièvement blessé, et qu'il ne s'en était jamais remis… qu'il s'était déshonoré sous les ordres de Mortensen, et qu'il avait perdu son titre et son rang.

Banni de l'armée, devenu un paria, il se murmurait qu'il s'était exilé, mais personne ne savait où.

Ovadiah ne dissimula pas sa surprise en entendant qu'il avait migré vers l'Est, un choix étonnant quand on savait que le Rohan était entouré par deux illustres alliés. L'Arnor, aux terres innombrables, aurait sans doute accueilli bien volontiers une lame comme celle de Learamn, car on racontait que les survivants de l'Ordre de la Couronne de Fer y étaient encore très actifs, et qu'on manquait de bras pour déraciner cette mauvaise herbe. Même le Gondor aurait pu être un refuge idéal pour un guerrier prêt à servir la couronne, car les dangers se multipliaient à l'Est et au Sud, et on disait que le grand royaume des Hommes était en grand besoin d'assistance sur ses frontières.

Alors pourquoi l'Est ? Il ne put s'empêcher de poser la question.

- Je suis sûr que votre oncle avait des raisons de partir à l'Est, mais je dois bien admettre n'avoir pas entendu parler de sorcellerie. Et encore moins d'une sorcière, même si on raconte effectivement qu'une femme étrange aurait été accueillie dans l'entourage du Vice-Roi. Je n'ai plus rien entendu à son sujet depuis fort longtemps.

Dernion partageait de toute évidence l'avis de son précepteur : il n'écartait pas l'hypothèse de la magie par principe, mais cherchait à trouver des causes plus profondes, moins évidentes. Décidément, malgré sa jeunesse, ce garçon avait quelque chose en lui qu'il fallait à tout prix perfectionner.

- La seule hypothèse que je peux raisonnablement formuler, si l'on exclut la magie, serait celle d'une mission. Une mission secrète, et sans doute très dangereuse, qui aurait pu le pousser à s'embarquer dans un tel voyage. Je ne vois pas pour quelle raison un Rohirrim rejoindrait ainsi un territoire ennemi, sans même prendre la peine de contacter sa famille.

Il haussa les épaules, mais jugea préférable de ne rien dire de plus. En s'efforçant de leur apporter un bref réconfort à travers une hypothèse qui rehaussait le prestige de leur oncle, il voulait leur donner des motifs d'espoir. Cependant, il connaissait assez bien les tenants et les aboutissants politiques pour savoir que le Rohan et le Rhûn étaient à couteaux tirés. On avait longtemps discuté, dans les cercles érudits du royaume, de l'altercation publique entre Gallen Mortensen et la souveraine du Rhûn. Certains avaient cru qu'une nouvelle guerre allait s'abattre sur eux, et on avait tenu rigueur à Mortensen de son imprudence. Le peuple, en revanche, avait accueilli la nouvelle avec enthousiasme, satisfait que le Vice-Roi eût tenu tête à une souveraine étrangère.

Une souveraine qui pouvait d'un jour à l'autre débarquer à leurs portes avec des dizaines de milliers d'hommes en armes.

Pour l'heure, cependant, on n'avait pas vu une telle menace apparaître sur les frontières du royaume, et Ovadiah s'en félicitait.

- Je sais que votre oncle vous manque, comme il manque au Rohan… Je ne peux pas affirmer avec certitude qu'il reviendra, car nul ne peut lire l'avenir, sinon les plus sages et les plus nobles des Elfes, dont beaucoup ne sont plus de ce monde aujourd'hui. Cependant, il nous reste l'espoir. C'est une belle chose que l'espoir, comme une flamme que l'on peut entretenir, et préserver en soi pour chasser les ténèbres. Espérons que votre oncle aille bien, et qu'à travers les épreuves qu'il traverse aujourd'hui, il garde en lui l'amour de sa famille et des siens. Croyons à son retour, et ne manquons jamais de lui réserver une place à notre table, comme nous lui en réservons une dans nos pensées. Et puisque cela ne peut pas faire de mal, souhaitons-lui bonne chance dans sa mission.

Il eut un petit sourire énigmatique, et talonna sa monture pour l'entraîner dans un petit galop, alors qu'ils apercevaient au loin le cours d'un ruisseau où ils pourraient se désaltérer.


~ ~ ~ ~


Ovadiah et les enfants firent une pause pour se sustenter à midi, puis reprirent la route après avoir pris un peu de repos à l'ombre. Ils continuèrent ainsi jusqu'au soir, puis le lendemain, et le jour d'après. Le temps passait à un rythme étrange, presque irréel, tandis que s'éloignaient les frontières du monde que les deux enfants connaissaient. Les collines se succédaient, similaires mais pourtant toujours différentes, offrant à leurs yeux curieux des raisons de s'émerveiller. Ils aperçurent des animaux sauvages qui avaient pris soin de quitter le couvert des forêts pour s'aventurer dans les plaines à la recherche de nourriture. Quelques chevreuils les saluèrent, et ils virent détaler une forme sombre qui ressemblait à un sanglier. Ici, les Hommes étaient plus rares que dans le Sud du royaume, et les animaux régnaient encore en maîtres, indifférents aux activités des bipèdes.

Ils ne croisèrent pas l'ombre d'un humain sur leur route, alors que d'ordinaire on voyait passer quelques familles nomades et leurs troupeaux, qui se déplaçaient vers un nouvel espace fertile pour y faire paître leurs moutons. Ceux-ci avaient migré vers les terres des Nains, loin à l'Ouest, laissant des fermes en friche, des maisons vides, et des villages étonnamment silencieux. Ovadiah habitait non loin de l'un d'entre eux, dont la population avait été drastiquement réduite. Il le pointa du doigt aux enfants, quand ils aperçurent enfin sa silhouette à l'horizon :

- D'ordinaire, une cinquantaine d'âmes habitent ce village. Aujourd'hui, je crois qu'il ne reste qu'une ou deux personnes, qui cultivent un lopin de terre. Des irréductibles qui n'ont pas voulu partir avec les femmes et les enfants, pour rejoindre un bourg plus important. Ma maison se trouve à moins d'une journée à l'est de ce village, nous y sommes presque.

Ils laissèrent sur leur gauche la perspective rassurante de s'abriter dans un village, et mirent le cap vers le Nord-Est, en espérant arriver rapidement à la demeure du précepteur.

Celui-ci habitait une petite maison enfoncée entre plusieurs collines, si bien qu'ils ne la virent qu'en arrivant tout proches, découvrant l'endroit où ils allaient recevoir leur éducation. Ovadiah avait l'air d'un homme simple et modeste, mais il avait là une bien jolie maison, construite en rondins de bois solides, capable de résister aux hivers les plus rigoureux. Tout autour, s'étendaient des champs qui n'étaient pas conçus pour nourrir plus d'une grande famille, mais qui semblaient bien entretenus. On y voyait toutes sortes de plantes : des oignons, des fèves, des blés, dans une diversité assez exceptionnelle compte-tenu de ce qui se produisait au Rohan par ailleurs.

- C'est mon jardin expérimental. Une partie est réservée à la consommation – et heureusement, sans quoi nous aurions été obligés de partir nous aussi –, tandis que l'autre me sert à faire quelques travaux personnels. J'essaie de voir comment s'acclimatent des plantes étrangères à nos climats, de faire des greffes pour voir si certaines plantes peuvent être plus résistantes… C'est une petite passion personnelle.

Il sourit, tout en continuant à leur montrer les environs :

- La maison est modeste, mais il y a quelques dépendances creusées directement dans la colline. Un endroit frais, où il est possible d'entreposer quelques vivres, même si cela demande de l'entretien. Vous verrez qu'on ne manque pas de travail, ici.

Et c'était bien vrai. Les élèves qui étaient confiés à Archibald avaient la lourde tâche de participer à l'entretien de la demeure et du jardin, en échange d'une éducation de qualité. C'était une opportunité en or pour les enfants des villages avoisinants, qui souvent venaient passer un an sous son toit pour apprendre les rudiments de la lecture, de l'écriture, mais surtout du calcul. Bien rares étaient les parents qui voulaient voir leurs enfants lire des livres – qu'ils n'avaient de toute façon pas les moyens de leur payer –, mais le calcul était essentiel pour le négoce, et se devait d'être maîtrisé par cœur.

- Vos lits ont été aménagés, ils se trouvent à l'étage. Vous verrez que les règles de la maison sont simples, tout vous sera expliqué.

Ils descendirent de selle, un peu fourbus, s'occupèrent des chevaux, puis pénétrèrent dans la pièce principale où brûlait un bon feu de bois qui leur procura instantanément une sensation de bien-être. Une odeur délicate s'échappait d'une marmite en fonte qui avait pris place au-dessus des flammes, rappelant à leurs estomacs affamés qu'ils n'avaient pas eu le plaisir d'avoir un vrai repas depuis bien trop longtemps. Sur leur droite, une porte s'ouvrit, et une silhouette apparut. Une jeune fille aux cheveux très noirs, qui ne devait pas être bien plus âgée qu'Enaël, s'approcha d'eux et s'inclina légèrement devant Ovadiah.

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- Bon retour, maître. Avez-vous fait bon voyage ?

- Très bon, j'ai eu la chance d'avoir une charmante compagnie au retour. Swan, laisse-moi te présenter Enaël et Dernion, les enfants d'Eolkar. Dernion, Enaël, je vous présente Swan.

L'intéressée jeta un regard légèrement méfiant aux deux nouveaux venus, mais leur serra tout de même la main énergiquement. Cette jeune fille avait le bras solide, sans doute à force de réaliser des travaux des champs. Elle les observait de ses yeux clairs, cherchant de toute évidence à deviner s'ils offriraient une contribution précieuse à l'entretien de la maison, ils s'ils seraient tout simplement deux bouches de plus à nourrir.

- Bien… Swan, montre-leur donc la chambre, et donne-leur de quoi se laver. Quand ils seront prêts, nous mangerons.

Elle inclina de nouveau la tête, et leur montra le chemin.

- Nous dormirons dans la chambre des filles, fit-elle à Enaël en lui montrant une porte sur la gauche, et tu dormiras dans la chambre des garçons. Fréod n'est pas là, mais il devrait rentrer bientôt.

Il était déjà difficile d'arriver dans une nouvelle maison, et la perspective de dormir dans des chambres séparées n'arrangeait pas forcément la situation. Swan fit semblant de ne rien voir, et désigna du doigt un lit parmi les quatre qui se trouvaient là. Il avait l'air relativement confortable, et s'il n'avait pas été si proche des autres, il aurait sans doute eu l'air beaucoup plus attrayant. Il leur faudrait s'habituer à partager l'espace avec d'autres enfants, un exercice qui n'était pas aisé.

- Tu peux déposer tes affaires ici. Prends de quoi te changer, si tu as des vêtements propres.

Elle se tourna ensuite vers Enaël, et lui fit signe de la suivre vers la chambre des filles, qui contenait également quatre lits, dont seulement un était occupé. Swan pointa du doigt le lit le plus éloigné du sien :

- Voilà le tien. Dépose tes affaires, et rejoins-moi en bas.

L'accueil aurait certainement pu être plus chaleureux, mais de toute évidence il faudrait un peu de temps avant de réussir à percer la carapace de cette autre élève. Les trois enfants redescendirent, et Swan s'empara au passage d'un grand baquet qu'elle remplit d'eau bouillante, avant de sortir en chancelant sous le poids du liquide. Elle le déposa à l'extérieur, derrière un rideau de fortune qui protégeait leur pudeur, sans les abriter de la brise légère qui traversait les plaines et ne manquerait pas de leur donner des frissons quand ils se déshabilleraient.

Swan était peut-être un peu distante, mais elle était efficace. Elle alla puiser de l'eau froide dans un puits non loin, et la versa doucement dans l'eau chaude pour ajuster la température.

- C'est bon comme ça ? Fit-elle aux nouveaux venus, qui devraient se partager le baquet. Bien. Vous avez du savon ici, et des serviettes là. Si vous n'avez pas d'autre question, je vais remettre de l'eau à chauffer.

Elle tourna les talons, et les laissa seuls pour la première fois depuis bien longtemps.


~ ~ ~ ~


Une fois lavés et changés, et non sans avoir bien discuté, Enaël et Dernion rejoignirent leur hôte à table. Alors qu'ils approchaient de la porte, en s'efforçant de se tenir pour ce premier repas commun, ils surprirent des bribes de conversations que le bois n'étouffait pas assez bien.

C'était d'abord la voix de Swan, inquiète :

- Il aurait dû être rentré depuis longtemps… Il avait un cheval bien plus rapide que Canaille… Je ne comprends pas pourquoi il n'est pas encore là. Quand vous êtes arrivés, j'ai cru que c'était lui…

Puis celle d'Ovadiah, qui se voulait rassurante :

- Il a peut-être pris du retard. Ce genre de voyages comporte son lot d'imprévus : il suffit que l'Entalluve ait été en crue, et qu'il ait dû contourner par l'Ouest pour que son trajet ait été rallongé d'une bonne semaine. Je suppose que tout…

Il s'interrompit, en voyant les deux enfants d'Eolkar arriver, et se leva pour les accueillir à table. Retrouvant sa bonhomie, il lança :

- Ah, excellent ! Vous êtes propres et beaux, et vos estomacs doivent crier famine. Qu'avons-nous ce soir ?

- De la soupe, et des lentilles, avec quelques tranches de mouton séché, répondit Swan en se levant pour servir tout le monde. Il faudra d'ailleurs penser à en acheter, si nous ne voulons pas tomber à cours. Ton assiette, Dernion.

Archibald eut un petit rire amusé, comme si cette question ne le perturbait pas le moins du monde. De toute évidence, il faisait confiance à son jardin pour les nourrir jusqu'au retour des troupeaux. Une fois qu'ils furent tous servis, il se tourna vers les enfants, et leur lança :

- Alors Enaël, Dernion, que pensez-vous de votre nouvelle demeure temporaire ? Êtes-vous bien installés ? Y a-t-il quelque chose que vous voudriez savoir, avant que nous commencions les choses sérieuses à partir de demain ?

Il plongea sa cuillère dans ses lentilles, qui étaient parfumées à l'aide d'une plante qu'on ne trouvait guère au Rohan, et qui leur donnait un goût excellent. Il roula des yeux de plaisir, et fit un signe appréciateur à Swan qui rougit légèrement, avant de baisser la tête… pour cacher sa tristesse.
Sujet: L'éducation du Riddermark
Ryad Assad

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Rechercher dans: Les Prairies   Tag ovadiah sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: L'éducation du Riddermark    Tag ovadiah sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySam 16 Jan 2021 - 3:04

Alors qu’ils chevauchaient tous les trois sous le soleil du Rohan, Archibald ne pouvait s’empêcher de méditer sur les dernières paroles de son vieil ami. Maints enfants avaient déjà reçu son enseignement, mais ils appartenaient pour la plupart à de riches familles nobles qui souhaitaient accorder à leur progéniture une éducation de qualité, quand ils n’habitaient pas à Edoras ou à Aldburg. Cela faisait bien longtemps qu’il n’avait plus eu à prendre sous son aile des enfants du commun, a fortiori des enfants qui semblaient avoir traversé tant de difficultés. Le monde n’était jamais en paix, mais depuis quelques temps le sort semblait s’acharner sur le Riddermark. L’hiver, la guerre civile, et maintenant la sécheresse… Ces malheureux étaient nés dans un monde tourmenté, et ne devaient pas concevoir qu’il existât autre chose que l’affliction, la tristesse et la mort au-delà des frontières de leur foyer.

Voyager à travers leur propre royaume leur ferait le plus grand bien, et leur permettrait de voir que le monde recelait bien des merveilles, qui pouvaient ravir les envies d’aventure d’une jeune cavalière, et la curiosité débordante d’un esprit en quête d’érudition.

Ils chevauchèrent ainsi pendant un moment, savourant tout d’abord le calme ambiant, le bruit régulier et apaisant des sabots de leurs montures, le souffle puissant de ces incroyables créatures qui paraissaient heureuses de les guider à travers les collines du royaume. La journée était belle, promettant de devenir plus chaude d’ici quelques heures, sans toutefois leur rendre le voyage inconfortable. Le sentier qu’ils suivaient croisa la route de quelques hameaux isolés, qui se firent de plus en plus rares à mesure que le chemin se rétrécissait pour finir par s’évanouir dans les hautes herbes comme s’il n’avait jamais existé. C’était peut-être la première fois, pour ces jeunes âmes, qu’ils se retrouvaient ainsi hors des sentiers battus, sans leurs parents.

La sensation devait être déroutante.

- Une question ? Fit Ovadiah en paraissant sortir de ses pensées. Mais bien sûr, je t’en prie. Que veux-tu savoir ?

Son savoir, acquis à force de patience et de persévérance, était encyclopédique et il ne doutait pas de pouvoir répondre à la curiosité d’une enfant… cependant, il ne put cacher sa surprise en l’entendant l’interroger sur l’Est lointain. Pendant un instant, il se demanda à quoi elle pouvait bien faire référence, avant de comprendre à son regard et à son attitude emplie de crainte qu’elle faisait référence à cet Est, cet Orient distant que beaucoup considéraient comme le repaire du Mal absolu.

Enaël, qui semblait sincèrement curieuse à ce sujet, lui donna sa propre version des faits. Comme beaucoup d’enfants – et d’adultes ! – elle était convaincue que les territoires à l’Est de l’Anduin étaient maudits, habités par des créatures non naturelles, peuplés d’une multitude féroce prête à déferler sur leur royaume s’ils n’y prenaient pas garde. Ovadiah avait vécu une longue vie, et s’il craignait les Orientaux comme toute personne normale, il savait aussi que la noirceur existait dans les cœurs des Hommes de l’Ouest. La guerre civile n’avait pas été le fruit d’ennemis extérieurs : c’étaient bien des Rohirrim qui avaient tué des Rohirrim. Comment lui expliquer la subtilité du monde, sans l’ennuyer ?

- Connais-tu l’histoire des Hommes, jeune Enaël ?

Il s’étonnait toujours de voir que les gens pouvaient naître, vivre et mourir sans jamais se préoccuper de savoir d’où ils venaient. Ce n’était pas une question que lui posaient souvent ses étudiants, davantage préoccupés par des considérations pratiques : la lecture, l’écriture, le calcul, et tout autre savoir qui pouvait directement s’appliquer à la gestion d’un domaine. Cependant, de manière occasionnelle, il lui arrivait de croiser un esprit vif et curieux qui lui donnait l’opportunité de disserter sur l’origine de leur propre race.

- Parmi les livres des Eldar, on trouve un grand ouvrage qui relate l’histoire des premiers Hommes. Un conte, transmis à travers les âges jusqu’à aujourd’hui, et qui revêt un certain intérêt. Les Elfes, dans leur grande sagesse, racontent que les Hommes s’éveillèrent à l’Est, dans une terre si lointaine que personne aujourd’hui ne sait où elle se trouve. A cette époque, nous étions encore jeunes, curieux de tout, dénués de toute méchanceté, mais ô combien influençables. Nous étions, à n’en pas douter, des enfants.

La comparaison était voulue, et il se plaisait toujours à glisser une pointe de morale dans ses histoires, pour instruire les plus jeunes et leur rappeler que leur travail, leur application et leur dévouement constituaient les clés essentielles de leur élévation morale et, par conséquent, de l’élévation de toute la société. Lire n’avait pas grand sens s’ils étaient empreints de vilénie et de malveillance.

- Peu de temps après leur éveil, nous rapporte ce conte, les Hommes furent approchés par un des Valar, une des créatures les plus puissantes qui soit… Morgoth. Grands étaient ses pouvoirs, tout comme l’était sa cruauté et sa noirceur. Il était l’ennemi des autres Valar, l’ennemi des Elfes… l’ennemi de tout ce qui est bon en ce monde. Il se dit que Morgoth parvint à séduire ces Hommes, à l’aide de mensonges, et de subterfuges… Il tissa sa toile maléfique à l’Est et y fit apparaître de sombres créatures, des monstres malveillants dotés de pouvoirs étonnants. On y trouve encore des formes primitives de magie noire, et des choses inexplicables qui n’appartiennent plus à notre temps… Cependant…

Il marqua une pause, pour savourer son effet dramatique, et s’assurer que les deux enfants écoutaient encore ce qu’il avait à leur raconter :

- Cependant, tous les hommes de l’Est n’étaient pas mauvais. Certains étaient même bons, car ils voyaient les mensonges de Morgoth, et devinaient que ses intentions à l’égard de leur peuple étaient mauvaises. On dit que certains luttèrent bravement contre le Vala, mais ils furent bientôt éliminés, éradiqués par sa puissance ténébreuse, et on n’entendit plus jamais parler d’eux… Hélas, comme vous le voyez, les Hommes de l’Est furent autant les alliés que les victimes de Morgoth, puis de son serviteur, Sauron… Certains le servirent par conviction. D’autres, par crainte.

Il baissa la tête un instant, rassemblant ses pensées, avant de poursuivre :

- Aujourd’hui, les Hommes de l’Est restent dangereux, et il est toujours judicieux de les craindre. Ils vénèrent encore Morgoth, qu’ils appellent Melkor, et on raconte des choses terribles au sujet de ses plus fidèles adorateurs. Des choses que je ne répéterai pas, de crainte d’attirer l’attention de ces sorciers. Et pourtant, comme des enfants qui auraient été guidés dans le mauvais chemin par un précepteur indigne, je crois qu’il reste encore l’espoir de ramener certains d’entre eux vers la lumière. Ces Orientaux ont commis beaucoup de crimes et d’atrocités, mais tous ne sont pas aussi maléfiques que leurs maîtres, quoique la méchanceté soit souvent présente dans leurs cœurs, enclins à la colère et à la violence.

Son récit s’acheva sur cette note à la fois sombre et touchante. Les Orientaux, des enfants perdus qu’il convenait de sauver de l’influence maléfique d’un dieu sombre les ayant corrompus alors qu’ils étaient encore un peuple jeune et influençable… C’était une belle morale, qui mettait certainement de côté les siècles de guerres contre ces peuples, qui avaient certainement entériné la haine réciproque entre Occidentaux et Orientaux, indépendamment de l’influence de Melkor. Ovadiah n’ignorait pas que les relations entre les deux peuples étaient guidées par l’épée davantage que par la plume, mais il souhaitait offrir à ses élèves une morale à laquelle se raccrocher, et pour l’heure celle-ci était suffisante.

Il constata toutefois que l’attention de ses deux nouveaux élèves semblait s’éloigner de son propos, comme s’ils pensaient à quelque chose en particulier. La curiosité d’Enaël trahissait un intérêt qui dépassait strictement le cadre académique, tandis que l’effacement soudain de Dernion paraissait être le reflet d’un malaise qui n’avait rien à voir avec les simples rumeurs que chacun colportait ici ou là sur les manifestations les plus maléfiques de l’Est. Il ne put s’empêcher de demander :

- Pourquoi cette question Enaël ? Il n’est pas courant que des enfants se fassent autant de souci au sujet des gens de l’Est. Que craignez-vous, au juste ?

Son interrogation était incisive, parfaitement calculée. Il devinait la crainte dans leurs cœurs, et plutôt que de l’ignorer, il préférait l’affronter en face, armé du poids de ses connaissances et de toute la bienveillance qu’il avait à sa disposition.
Sujet: L'éducation du Riddermark
Ryad Assad

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Rechercher dans: Les Prairies   Tag ovadiah sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: L'éducation du Riddermark    Tag ovadiah sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyJeu 24 Déc 2020 - 14:41

L’accueil reçut par maître Ovadiah était à la hauteur de la réputation de son ami, connu comme un homme aussi chaleureux que sincère. Leurs retrouvailles faisaient sincèrement plaisir au précepteur, qui se félicitait de pouvoir renouer le contact avec un de ses anciens amis. Dans les temps troublés qu’ils avaient affronté récemment, entre la guerre civile et l’hiver maléfique, tous les Rohirrim s’étaient rappelés ce qui comptait vraiment. La famille, les amis, un bon feu de bois et une bonne boisson. Il n’en fallait souvent pas davantage pour être heureux, mais on avait tendance à ne pas prêter attention à ces petits plaisirs simples quand le monde était en paix.

- J’ai été reçu comme un prince, Eolkar, je te remercie !

Il inclina légèrement la tête, avec la politesse qui le caractérisait, tout en jugeant opportun de ne pas pousser plus avant la conversation autour du sujet le plus douloureux. La maladie de Céoda ne semblait pas s’arranger, mais Eolkar était fier et se refuserait à en parler comme d’une affliction. C’était un homme d’action, un travailleur, qui voyait la vie au prisme de ce qu’il pouvait changer. La situation de sa femme lui échappait pour le moment, et pour s’y consacrer pleinement, il lui fallait régler la situation de ses petits-enfants le plus rapidement possible.

- Merci pour ton accueil, mon vieil ami. J’ai conscience qu’il n’est pas facile d’avoir un couvert en plus à cette époque. Je ne te dérangerai pas davantage, cela dit : j’ai hélas des affaires pressantes à régler, et je ne peux pas m’absenter bien longtemps de chez moi.

Son sourire bonhomme avala l’éclair soucieux qui s’était posé un bref instant sur son visage, et la conversation suivit son cours comme si de rien n’était, jusqu’au moment fatidique où les enfants reçurent enfin la nouvelle déchirante de leur séparation à venir. Naturellement, ils furent atterrés. Ovadiah avait déjà eu à instruire de jeunes garçons, et il connaissait ces moments douloureux où les plus jeunes étaient arrachés à leur foyer pour être confiés à un inconnu. Les bénéfices de leur éducation future ne leur apparaissaient pas encore clairement, et tout ce qu’ils voyaient, c’était la perspective de ne plus jamais serrer leurs parents dans leurs bras.

La plus grande fut la plus véhémente, et Archibald sourit en la voyant gonfler les joues et ouvrir grand les yeux, bouillonnant d’une colère qui cachait bien mal sa peur. Un sentiment bien naturel, dissimulé derrière une fierté farouche digne d’Eowyn. Leur grand-père les connaissait bien, de toute évidence, car il trouva la faille dans leur armure en prononçant un seul mot : « aventure ». Le terme était flatteur, car le précepteur ne les emmènerait pas affronter dragons et trolls comme dans les histoires d’antan, mais il était certain qu’à leur échelle, ils vivraient quelque chose qui y ressemblerait. Certes, les longues heures d’étude devant un livre n’étaient pas aussi excitantes que les chevauchées l’arme à la main, mais elles formaient le caractère plus sûrement que la guerre, qui avait tendance à le détruire. Cela dit, Ovadiah n’était pas un précepteur comme on en trouvait dans les grandes villes, et il se faisait toujours une joie d’instruire les enfants sur autre chose que les glyphes, les nombres et l’histoire.

Visiblement apaisés, ou en tout cas intrigués, les enfants se présentèrent à lui à tour de rôle, montrant d’ores et déjà que l’éducation que leurs parents leur avaient inculquée était excellente. La plus âgée, dont le tempérament fougueux débordait aussi sûrement que l’eau d’une marmite laissée trop longtemps sur le feu, lui confia sans la moindre once de doute qu’elle entendait devenir une cavalière du Rohan. Ni plus, ni moins. Archibald sourit. Il connaissait parfaitement les difficultés que ce chemin comportait. Il connaissait une femme qui avait voulu suivre une telle voie et qui, humiliée et déshonorée, désavouée par les siens, avait été obligée de s’exiler du Rohan. On n’en avait plus jamais entendu parler depuis, mais des rumeurs disaient qu’elle poursuivait son rêve, dans des terres lointaines qui ne figuraient sur aucune carte. Plus récemment, la nomination d’une femme au sein de la Garde Royale avait fait grand bruit… Eolkar ignorait sans doute que son propre fils était à l’origine de cette décision, mais le bruit courait que le jeune Learamn avait fait beaucoup pour emmener cette guerrière là où elle était.

Hélas, depuis la disgrâce de son protecteur, elle était désormais livrée à elle-même à Edoras, conservant son poste uniquement du fait de la bienveillance de la concubine du Vice-Roi. Une situation bien précaire…

En levant les yeux vers Eolkar, Archibald remarqua immédiatement que celui-ci n’était pas enthousiasmé par le choix de carrière de sa fille, qu’il imaginait sans doute faire un bon mariage, porter de beaux enfants, et vivre une vie simple loin des épées et des boucliers. Quel père ne rêverait pas d’un tel avenir pour sa fille ? Il n’appartenait pas à Archibald de choisir un camp, même s’il avait sa propre opinion sur le sujet. Il se contenta donc de répondre de manière évasive :

- J’ai déjà instruit un certain nombre de cavaliers, Enaël, fille de Heldamn, même si beaucoup de mes étudiants choisissent la voie des lettres par la suite.

Une réponse diplomate, de quoi donner du grain à moudre à chaque camp. Il reporta ensuite son attention sur le cadet, qui répondait au nom de Dernion, et qui semblait être bien plus effacé que sa sœur. Il avait l’air discret, réservé, et en se présentant il ne fit pas la moindre mention d’un désir chevaleresque, semblant beaucoup plus intéressé par la connaissance telle qu’on pouvait la trouver dans les ouvrages. Archibald nota cette information dans un coin de son esprit, pour plus tard, et accueillit les paroles du garçon avec une chaleur réconfortante :

- Je me ferai un plaisir de te transmettre mon savoir, Dernion. Je suis persuadé que je parviendrai à satisfaire la curiosité que je devine en toi. En partie, tout du moins, car le monde est vaste et riche en mystères qu’il appartient aux plus jeunes de découvrir.

Ces présentations faites, Ovadiah invita les enfants à se préparer au départ qui aurait lieu le lendemain. Ils devaient prendre de quoi se vêtir, se chausser et se couvrir au cas où le climat ferait une nouvelle fois des siennes, mais pour le reste, le précepteur s’occupait de tout. Ils seraient nourris et logés, en échange d’une contribution aux travaux des champs et de la ferme, tandis que leur temps libre serait consacré à l’étude. Ovadiah mettrait à leur disposition tout le nécessaire : les livres, le papier, l’encre, et tout le nécessaire pour leur permettre de s’exercer à tracer des lettres. Si Eolkar avait dû faire appel à un précepteur inconnu, le coût d’un tel service aurait été exorbitant… Bien supérieur à celui qu’un habitant des campagnes pouvait se payer. Ovadiah leur offrait vraiment un don unique, qui pouvait leur permettre de s’élever socialement, à l’image de leur oncle.

Le bruit de leurs pas précipités s’estompa avec la distance, et Archibald finit par dire :

- Ils ont l’air merveilleux. La petite Enaël a le caractère bien trempé, elle fera la fierté de sa famille, j’en suis certain. Et Dernion n’est pas en reste. J’ai hâte de pouvoir commencer à travailler avec lui : j’ai l’intuition que son potentiel est énorme.

Il posa une main sur le bras de son ami, et l’invita à s’asseoir en sa compagnie.

- Je sais que la situation n’est pas facile en ce moment, mais ne te fais pas de souci pour les enfants. Je veillerai sur eux quoi qu’il arrive. Concentre-toi sur ta famille, et fais-moi confiance.

Il adressa une petite tape amicale sur le bras d’Eolkar, et entreprit bientôt de changer de sujet, pour rattraper le temps, et évoquer leurs vieux souvenirs. Installés là, réchauffés par la chaleur de l’âtre qu’ils alimentaient de temps en temps de quelques bûches, ils discutèrent jusque tard dans la nuit, se souvenant de leurs aventures, des bons moments, des moins bons… Des amis croisés, des amis perdus… Tout ce qui faisait la vie, en définitive. Ils finirent par aller se coucher, regrettant presque de ne pas pouvoir prolonger ces moments qui leur semblaient toujours trop courts. Le temps, cet ennemi invisible, parvenait toujours à les tenir éloignés l’un de l’autre.


~ ~ ~ ~


Un beau soleil se levait sur les plaines du Riddermark, caressant le crin des chevaux parés pour le voyage. Canaille s’était bien reposée, et semblait avoir meilleure mine que la veille. Ovadiah lui flatta l’encolure, et lui adressa quelques mots doux à l’oreille pour l’encourager. Il avait entendu les enfants se lever, et il devinait qu’ils étaient en train de dire au revoir à leur famille. Ce moment, Archibald préférait le laisser aux proches, et il s’absentait toujours pour s’affairer ailleurs. Il était sensible, et ces démonstrations d’affection lui tiraient facilement une petite larme qu’il ne voulait pas faire couler devant ses futurs élèves, qui avaient besoin de voir en lui un adulte responsable.

Il vérifia ses bagages, les sabots de sa monture, fit l’inventaire de ses maigres possessions de voyage selon un rituel qui le rassurait. Il venait de terminer quand les enfants arrivèrent, accompagnés par Eolkar et leur mère. Archibald s’approcha de cette dernière, et lui prit chaleureusement les mains :

- Ne vous inquiétez pas, ils sont entre de bonnes mains, et ils ne manqueront de rien.

Des paroles ne pouvaient pas apaiser pleinement une mère, mais elles ne pouvaient pas faire de mal. Il s’approcha ensuite d’Eolkar :

- Mon vieil ami, le temps passe toujours trop en vite en ta compagnie, mais j’ai été content de pouvoir discuter avec toi. J’espère que nous aurons l’occasion de nous revoir rapidement. Prends soin de tout le monde ici.

Il sourit, et monta en selle. Les enfants finirent par l’imiter, après avoir pris soin de dire au revoir, et d’achever leurs préparatifs. Les chevaux s’ébrouèrent, contents de se mettre au travail, et les trois voyageurs s’éloignèrent de quelques pas le long du chemin.

- Ce sont vos premiers pas, les enfants. Savourez-les bien, profitez-en bien. Beaucoup n’ont pas la chance de partir ainsi à l’aventure, et rêveraient d’être où vous vous trouvez. C’est normal d’avoir peur, mais ne la laissez pas vous contrôler. Inspirez profondément, et dites-vous que c’est une bien belle journée pour chevaucher.

D’un léger mouvement du bassin, il mit Canaille au petit trot, et ils mirent ainsi de la distance avec la maison familiale, qui disparut bientôt derrière une colline. C’était le moment le plus ardu, et Ovadiah savait par expérience qu’il valait mieux le rendre le plus bref possible. Une fois qu’il ne restait plus que la route devant, le cœur ne pensait plus au foyer, mais seulement à la perspective d’une aventure trépidante.

Enaël et Dernion étaient étrangement silencieux, mais Archibald se doutait qu’ils finiraient par parler. La curiosité des enfants était merveilleuse, et il était là pour les guider dans ce monde…
Sujet: L'éducation du Riddermark
Ryad Assad

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Rechercher dans: Les Prairies   Tag ovadiah sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: L'éducation du Riddermark    Tag ovadiah sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyLun 7 Déc 2020 - 23:49
Les rires des enfants lui parvinrent bien avant de sentir l’odeur alléchante du déjeuner, comme portés par le vent d’est qui charriait d’ordinaire de bien sombres nouvelles. Cette fois, cependant, personne ne semblait se plaindre de la pluie, et tout un chacun accueillait volontiers le crachin que combattait un soleil encore vivace en cette saison hivernale. Dissimulé derrière les minces nuages gris, il leur jetait des œillades envieuses, comme s’il brûlait de se prélasser sur la terre meuble, parmi les arbres, entre les pierres, dans les ruisseaux. La nature semblait apaisée, retrouvant peut-être enfin son équilibre après avoir connu tant de dérèglements. De mémoire d’homme, on n’avait encore jamais connu pareille sécheresse, et les habitants du Riddermark n’aspiraient à rien d’autre qu’un peu d’harmonie : le retour à une forme de normalité qui leur manquait tant. Les gens d’ici étaient routiniers, et quoi qu’ils ne fussent guère réticents à l’idée de partir à l’aventure, ils savouraient le confort de leur foyer, et ne se plaignaient guère des jours qui passaient sans que l’ombre et la flamme ne vinssent les distraire de leurs obligations envers le sol et les bêtes.

Tout à ses pensées, le cavalier solitaire qui traversait l’Estemnet gardait un œil attentif sur sa vieille canaille. Le canasson était comme son maître : vieux et fatigué, et quoi qu’il eût le pas sûr, il fallait surveiller qu’il ne trébucherait pas sur un sol trop ingrat. Le sentier qu’ils empruntaient n’avait pas été entretenu depuis quelques temps, et cela se ressentait. Ce qui avait été un champ paraissait aujourd’hui être une forêt de mauvaises herbes qui montaient jusqu’au mollet.

- Allez, Canaille, encore un petit effort.

La maisonnette se rapprochait peu à peu. Elle était un peu à l’écart du hameau le plus proche, profitant de sa position excentrée pour avoir de belles terres cultivables qui montaient à l’assaut d’une belle colline en pente douce que le cavalier descendait présentement. Elle était flanquée d’une grange de belle taille, et disposait d’un moulin à eau modeste. A peine de quoi assurer la subsistance de la famille, mais suffisamment pour leur éviter d’avoir à faire plusieurs heures de marche simplement pour moudre leur récolte. C’était un petit accomplissement dans ces terres reculées, qui avait dû demander des années de travail aux générations qui s’étaient succédé ici.

Des enfants jouaient dans les prés, courant l’un après l’autre dans ce qui ressemblait à une démonstration d’innocence touchante. La liberté et la quiétude des âmes les plus pures qui s’exprimaient par les seuls modes que l’Homme aurait dû connaître : les rires partagés. Leur charivari s’entendait de loin, et donnait le sentiment que la vie s’était emparée de ces murs de briques inanimés, pour les dépoussiérer tout à coup. La maison décrépite et ancienne n’avait tout à coup plus l’air d’une cabane abandonnée aux airs de coupe-gorge, mais d’un foyer familial au sein duquel se côtoyaient jeunes et vieux autour d’un bon feu de bois.

Quelle vision apaisante.

Le cavalier mit pied à terre en frappant sur son grand manteau pour en lisser les plis et se donner l’air présentable. Il noua soigneusement la bride de sa vieille monture à un poteau près d’un abreuvoir, essuya ses bottes, et toqua à la porte avec dignité.

Une femme lui ouvrit, sans paraître particulièrement méfiante, ce qui indiquait qu’elle savait qui il était. Il prit tout de même la peine de se présenter :

- Madame, enchanté de faire votre connaissance. Je suis Archibald Ovadiah… Le précepteur.

Il lui fit une jolie courbette comme on en faisait à la cour d’Osgiliath ou de Minas Tirith en retirant son chapeau, et accepta bien volontiers son invitation à entrer.

- C’est une fort jolie maison que vous avez-là. Est-elle à vous ?

Il avait la conversation facile, et le verbe chaleureux, si bien qu’il n’était pas difficile de discuter avec lui. Avant d’avoir compris, il se retrouva assis à la table familiale avec un bon verre de bière, et une assiette trop copieuse pour son estomac. De toute évidence, on voulait l’impressionner et le recevoir avec les honneurs, pour le persuader de traiter convenablement les enfants durant leurs leçons. C’était une attention délicate, mais bien inutile.

- Merci, mais il ne me reste pas la place pour la moindre petite bouchée, fit-il en levant des mains apaisées qui signifiaient qu’il avait beaucoup apprécié le repas. Je vais simplement attendre les enfants près du feu si vous le voulez bien. J’apprécie toujours le crépitement des flammes.

La permission accordée, il ne se gêna pas pour s’installer sur le fauteuil le plus proche de l’âtre, plongeant dans ses pensées derrière ses yeux clos, comme il en avait l’habitude. Il s’absorbait ainsi dans de profondes réflexions, parfois durant plusieurs heures, mais ne manquait jamais d’être attentif à ce qui se tramait autour de lui. Les bruits de pas et les murmures lui indiquèrent qu’il n’était pas seul. Il se leva et accueillit l’homme bien charpenté qui vint droit à sa rencontre :

- Eolkar, quel plaisir de te voir… Comment se fait-il que tu sembles rajeunir à chaque fois que je te vois ?

Leur poignée de main trahissait une certaine complicité. Il fallait dire qu’Eolkar et Archibald étaient de vieux amis, d’une époque qui semblait désormais tellement reculée qu’elle leur paraissait presque n’avoir jamais existé. Depuis, le Rohirrim s’était marié, et avait eu de grands et beaux enfants qui faisaient la fierté du Riddermark. Ou l’avaient fait, tout du moins. A voix très basse, le précepteur murmura :

- Comment va Céoda… ?

Il avait appris pour la maladie de sa femme : les rumeurs circulaient plus vite que les étourneaux dans ces contrées où il ne se passait jamais grand-chose. La moindre nouvelle était reprise et colportée afin de distraire les villageois de leur quotidien. Plus elles étaient tristes, hélas, plus elles se répandaient. Après une brève conversation d’usage, les deux adultes portèrent leur attention sur l’objet de la visite d’Archibald.

Les deux enfants se cachaient derrière leur grand-père, presque timides face à cet inconnu qui les salua avec courtoisie et respect :

- Bonjour jeune homme, bonjour jeune fille. Je suis monsieur Ovadiah, un ami de votre grand-père ici présent. Je suis heureux de faire votre connaissance.


Il leur adressa un sourire affectueux et rassurant, mais ce n’était guère nécessaire, car il n’était pas très impressionnant. Lourdement appuyé sur sa canne, il avait l’air d’avoir vu deux ou trois fois plus d’hivers que le grand-père des enfants. Son regard était alerte, cependant, et il avait l’air d’avoir conservé toute son intelligence. Le fait le plus marquant de sa personnalité était sans le moindre doute sa petite taille. Enaël n’était pas bien vieille, mais elle le dépassait déjà, et continuerait encore de grandir. Eolkar savait cependant qu’avec Archibald, il ne fallait pas se fier aux apparences. Cet homme avait à n’en pas douter plus d’un tour dans son sac, et il ferait un merveilleux précepteur.

- Je comptais reprendre la route dès cet après-midi, mais les nuits sont noires ces derniers temps, et je préfère ne pas prendre de risque inutilement. Cela poserait-il problème si nous repartions demain matin ?

Le regard des enfants trahit bien involontairement leur incompréhension, et Archibald jugea opportun de leur expliquer quelles allaient être les modalités de leur éducation en sa compagnie :

- Je ne sais pas si votre grand-père vous a informés, mais je ne peux pas assurer mon enseignement ici. Je dois m’occuper de ma ferme, et j’ai d’autres obligations auxquelles je ne peux pas me soustraire. Mais vous m’accompagnerez, et je vous instruirai.

Il se garda bien de dire que cela permettrait aussi de soulager Eolkar de deux bouches à nourrir, alors qu’il devait consacrer beaucoup de temps à sa femme… La maladie était un fléau auquel nul n’était préparé, et si Archibald pouvait offrir son aide d’une manière ou d’une autre, il était ravi de pouvoir le faire. Essayant de faire oublier aux enfants leur déception initiale, il leur lança :

- D’ici là, nous avons un peu de temps pour faire connaissance. Profitons-en !
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