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Sujet: Désillusions
Ryad Assad

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Rechercher dans: Esgaroth   Tag rajeski sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Désillusions    Tag rajeski sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyVen 23 Aoû 2019 - 17:13

Maniant le verbe avec une dextérité toute elfique, Delaynna captivait l'attention de son auditoire par sa stature et la douceur de sa voix. Il était bien peu de choses qu'un humain pouvait prétendre égaler chez un des Premiers Nés, et ce n'était certainement pas la grâce ou l'élégance. Le comte Saule lui-même semblait subjugué, bien que son attention fût teintée d'un désir de possession malsain que l'on sentait poindre dans son attitude. Il dévorait l'Elfe du regard, comme s'il souhaitait la conserver pour lui seul. Ce n'était pas seulement la forme du discours qui avait de quoi enchanter cet auditoire, mais également le fond. Ainsi, Angrod de Vertbois souhaitait honorer ses engagements auprès des peuples du Rhovanion, et il leur promettait son assistance en ces temps troublés. Les gens d'Esgaroth répondirent favorablement à cette nouvelle, sans cacher leur satisfaction. Le comte, plus mesuré, déclara avec solennité :

- Hélas, j'ai bien peur que la guerre soit déjà là. Des Orientaux se sont avancés le long de la Celduin, et les Gobelins se tiennent agités sous les montagnes, prêts à surgir au moindre signe de faiblesse. Et voilà désormais que notre cher Long Lac est victime d'attaques odieuses. Votre présence est un soulagement pour nous, mais je crains qu'il vous faille rapporter à votre seigneur que nous avons besoin de davantage d'assistance de sa part.

Il expira par le nez, et poursuivit :

- Des hommes en armes, des archers, des éclaireurs à l'œil perçant capables de parcourir de longues distances… Voilà ce dont nous avons vraiment besoin. La grande guerre souterraine contre les Gobelins s'enlise, et la situation avec le Rhûn s'aggrave chaque jour. Les Nains des Monts du Fer semblent remettre en cause leur allégeance à la couronne de Thorik… Le nombre de nos ennemis se multiplie, et celui de nos alliés s'amenuise. L'appui des régiments de Vertbois nous donnerait un avantage décisif, et inespéré si guerre il devait y avoir.

A travers la description qu'en faisait le comte, Delaynna pouvait constater à quel point les hommes de ces régions étaient désespérés. Encerclés par des peuples hostiles, belliqueux et avides de richesses, ils subsistaient comme un îlot de paix et de prospérité au milieu des terres désolées. Repliés sur eux-mêmes, ils n'auraient jamais pu résister à la pression de leurs puissants adversaires, et ils devaient leur indépendance et leur liberté à la vigueur de leurs alliances. Hommes, Nains et Elfes s'étaient battus côte à côte plus de quatre siècles auparavant, mais depuis lors l'alliance avait perdu de sa force. Seule la grande Bataille du Nord avait permis de réunir ces alliés ancestraux, mais l'affliction avait touché chacun de ces peuples qui, pressé d'enterrer ses morts, s'était de nouveau détourné de ses voisins.

Aujourd'hui, l'heure était grave, et le danger bien réel. Pour autant, nulle main tendue de la part des Eldar, nulle aide de la part des plus sages et des plus nobles créatures d'Arda, les enfants d'Eru Ilúvatar. Ils s'étaient détournés de leurs jeunes frères mortels, et les laissaient seuls affronter les tourments de ce monde. La présence de Delaynna, Sigvald et Achas dans la cité était un signe positif et encourageant, mais à eux trois ils ne changeraient pas la situation critique d'Esgaroth. Identifier et neutraliser la menace sur le lac serait un bon début, mais pourraient-ils restaurer les cultures détruites par le froid, entraîner une Milice compétente capable de résister à la poussée des Orientaux, et redonner confiance à un peuple meurtri ?

Rien n'était moins sûr.

Delaynna, cependant, était déterminée à montrer à ses convives qu'elle voulait agir, et qu'elle n'était pas effrayée par l'ampleur de la tâche. D'une voix assurée qui amusa beaucoup le comte Saule, l'Elfe prit la défense du beau sexe et mit en avant le rôle des femmes dans les négociations, là où les hommes pouvaient se montrer enflammés et orgueilleux. Bien évidemment, la plupart des nobles masculins attablés se fendirent d'un sourire sinon goguenard, au moins dubitatif. Ils avaient une vision du beau sexe certes moins extrême que celle que l'on trouvait en Arnor, mais il leur paraissait néanmoins inconcevable qu'une femme disposât d'atouts intellectuels à la hauteur de ceux des hommes. Chez une Elfe, ils l'acceptaient comme faisant partie de leur race, mais ils ne voyaient en aucune humaine une intelligence si vive qu'elle aurait pu les conduire à lui obéir. C'était la raison, songeaient-ils, pourquoi les royaumes étaient gouvernés par des hommes, et pourquoi seuls les barbares orientaux se laissaient conduire par une reine. Persuadé de lui faire un compliment, Saule enchaîna :

- Je crois également que nos femmes peuvent représenter un atout précieux lorsqu'il s'agit de parlementer. La beauté est leur éloquence, et la séduction leur rhétorique. Qui pourrait mieux convaincre un homme de se mettre à la table des négociations que sa propre épouse ?

Comme souvent, les femmes humaines étaient ramenées à leur apparence et à leur charmes, ce que beaucoup de femmes tenaient d'ailleurs pour vrai et absolu. Elles ne se souciaient pas de convaincre par l'esprit et la raison, et se contentaient au contraire d'influencer la politique en susurrant des mots doux à leurs époux ou leurs amants. Cependant, si l'argument de l'immortelle avait totalement échappé au comte et à la plupart des mâles attablés, une des convives en particulier semblait réceptive à ce discours, et elle hocha la tête discrètement pour marquer son assentiment. Saule, voyant que Delaynna la regardait, ajouta :

- Et parmi les épouses de qualité que nous avons à notre table ce soir, puis-je me permettre de vous présenter l'une des plus éminentes. Madame la Sénéchale Rajenski-Orlova, dont la présence enchanteresse nous honore.

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Celle-ci se leva poliment face à une telle introduction, et s'inclina légèrement devant le comte. Présence enchanteresse n'était peut-être pas un terme approprié pour décrire l'intéressée. Relativement jeune pour une femme de cette importance, elle était dotée de traits beaux et nobles, mais son visage était marqué par une certaine gravité. Elle ne dégageait pas la même aura exceptionnelle que Delaynna, créature de lumière face à ses puînés mortels, mais on décelait dans son attitude une forme de respectabilité et de dignité qui s'exprimaient aussi bien par la pudeur que par la tempérance. Il y avait plus de noblesse chez cette femme que chez bien des hommes en Terre du Milieu. Pour autant, alors qu'elle put être ravie de se trouver attablée en si bonne compagnie, son visage ne trahissait aucune euphorie ou aucun plaisir. Elle était là par devoir, comme Delaynna, et elle n'appréciait pas particulièrement de se trouver en ces lieux. Encore moins de devoir supporter un discours qui lui rappelait à quel point son sexe l'handicapait socialement. De toute évidence, le comportement de Saule l'indisposait, mais elle faisait bonne figure pour ne pas froisser cet homme tout puissant à Esgaroth, et probablement pour ménager le jeu fragile des influences familiales.

- Je suis ravie de faire votre connaissance, Dame Delaynna, fit-elle d'une voix maternelle. Votre présence nous apporte à tous une lueur d'espoir en ces jours sombres que nous vivons. Quant à vous comte Saule, je vous remercie pour ces paroles fort aimables, mais je ne mérite sans doute pas tous ces compliments.

Elle se rassit doucement après avoir répondu de manière appropriée à Saule, et échangea un regard furtif avec son voisin de droite, un homme d'une certaine stature mais paradoxalement assez effacé. Lui non plus n'était pas très à l'aise ici, et il semblait jouer le rôle de protecteur vis-à-vis de la Sénéchale, même s'il n'était pas un garde du corps. Un proche, sans doute. Saule, qui aimait monopoliser l'attention et faire étalage des individus qu'il réunissait à sa cour, se permit de préciser :

- La Sénéchale nous vient de Dale, sans son illustre époux. Elle nous montre chaque jour à quel point, comme vous le disiez, votre sexe sait trouver les bons mots.

A cette réflexion, il y eut quelques sourires discrets, mais surtout un profond malaise. A l'exception notable de Toras et DuGrand, tous les autres nobles attablés s'agitèrent sur leur siège, mal à l'aise. Même la Sénéchale sembla perturbée par cette attaque à peine voilée, et elle se contenta de répondre par un petit sourire de circonstance, avant de dissimuler son trouble derrière sa coupe de vin fin. Ce fut son voisin qui sembla le plus marqué, et il s'apprêtait à répondre quelque chose quand la main de la Sénéchale se referma sur son bras pour l'en empêcher. Delaynna fut témoin de cet échange muet, à l'inverse du comte Saule qui s'était de nouveau concentré sur l'Elfe.

Elle le comprenait désormais, mais le comte était un personnage qui aimait à jouer avec son entourage, en mettant les individus en position de vulnérabilité grâce à des piques savamment choisies. Il les titillait pour les forcer à révéler leur jeu, et c'était ainsi qu'en attaquant publiquement la Sénéchale il avait réussi à faire passer un message très clair sans paraître outrepasser les limites de la politesse. Son statut dans la cité le protégeait de la plupart des ripostes, et lui permettait tout simplement de soumettre la noblesse à sa volonté, sans leur laisser prendre l'ascendant sur lui. Sa remarque aurait d'ailleurs pu être rapidement oubliée par cet homme qui semblait intéressé par tout autre chose, mais c'était sans compter sur l'impair que commit Delaynna.

Coincée par la maladresse du sergent Hadden, elle avait voulu se sortir de ce mauvais pas grâce à une pirouette habile, mais malheureusement elle ne maîtrisait pas tous les éléments du contexte d'Esgaroth pour pouvoir éviter les pièges et les écueils. En cherchant à se montrer courtoise, elle avait voulu associer à sa mission les différentes composantes de la cité d'Esgaroth : la Milice, bien entendu, qui avait enquêté sur cette affaire depuis le début et qui semblait bien débordée, mais aussi la populace de la ville dont les idées et les convictions n'étaient pas que folie. Cependant, l'atmosphère changea du tout au tout quand elle évoqua les Ménestrels.

Saule se durcit perceptiblement, ses mâchoires se crispant alors que son poing se serrait fermement. Les autres invités semblèrent reculer légèrement sur leur siège, comme si une telle mention risquait de leur éclater au visage. Même Hadden, qui n'était pas féru de politique et qui ne connaissait pas tous les tenants et les aboutissants des puissants, sembla estomaqué par les paroles de Delaynna. Il en oublia presque sa déception de voir l'Elfe ne pas abonder dans son sens, et lui jeta un regard qui signifiait « changez vite de sujet ! », essayant de la protéger contre la furie du comte qui n'était pas connu pour être un homme particulièrement tolérant.

De toute évidence, le propos n'était pas apprécié, et il semblait même dangereux de le tenir ainsi en public. C'était d'autant plus surprenant que la ville d'Esgaroth était connue pour l'Académie des Ménestrels, où les meilleurs artistes de la Terre du Milieu rêvaient de se rendre. Il fallait croire que certaines rivalités et inimitiés existaient dans la cité lacustre, au point de ne pas pouvoir évoquer ce corps prestigieux face au comte. Ce dernier plissa les yeux, comme s'il cherchait à déceler si l'Elfe avait ou non fait exprès de parler des Ménestrels. Il ne parvint pas à se faire une idée précise, mais cela réactiva subitement sa méfiance naturelle.

Quelque chose en lui avait changé.

Sa courtoisie et sa sympathie s'étaient envolées sans explication, et ne restait plus de lui que cette dureté froide qui semblait définir sa personnalité. Même son ton s'était transformé, et était devenu plus cassant, plus impitoyable :

- Je constate que vous êtes animée de nobles sentiments, Dame Delaynna. Les femmes éplorées dont vous parlez sont effectivement de notre responsabilité, et soyez assurée que nous prendrons en charge leur situation. Cependant, puisque vous vous en remettez à moi pour « clarifier votre opinion », vous devez savoir que tous à Esgaroth ne sont pas préoccupés par le bien-être de la cité. Certains ne se soucient pas des dangers du lac, et pensent au contraire à comment fragiliser cette ville… De vieilles allégeances perdurent, et la loyauté vis-à-vis du roi Gudmund se fait parfois vacillante. Même les cœurs les plus nobles se laissent parfois persuader…

Son regard glissa vers celui de la Sénéchale de manière si appuyée que la réflexion se transforma en véritable accusation. L'intéressée, d'abord surprise, se composa un masque impassible qu'elle enfila en un battement de cil, opposant aux insinuations du comte une défense par le silence qui se montra relativement efficace. Pour la deuxième fois de la soirée elle venait d'être prise à partie personnellement, ce qui en disait long sur les rapports complexes que le comte et elle entretenaient. Saule, dont le but n'était pas de démarrer une dispute sur place, revint à Delaynna. Il s'était penché vers elle, et leurs épaules se frôlaient désormais dans une proximité qui ne déplaisait pas à l'humain :

- Comme vous l'avez évoqué, nous devons rester solidaires, proches les uns des autres, mais éloignés des traîtres et des ennemis. Il serait terriblement dommage que vous, entre tous, soyez influencée par ceux qui ne demandent qu'à déstabiliser le comté d'Esgaroth. Des individus qui colportent de viles rumeurs, et agitent les peurs de la populace, à seule fin de servir leurs propres intérêts.

Il s'était rapproché très près de Delaynna cette fois :

- Cette affaire sur le lac, je suis persuadé que vous la résoudrez et que vous ramènerez l'ordre à Esgaroth. Attention toutefois aux esprits séditieux, et aux âmes rebelles que vous croiserez en chemin. Il serait fâcheux que l'ambassadrice du seigneur Angrod soit accusée d'ingérence, ou pire… de soutenir les ennemis du roi Gudmund. Nous ne voudrions pas qu'un malentendu conduise à une brouille entre nos deux peuples, n'est-ce pas ?

#Saule #Rajeski
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