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Sujet: Aux grands maux les grands moyens . [PV Aelyn]
Ryad Assad

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Rechercher dans: Meduseld   Tag sellig sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Aux grands maux les grands moyens . [PV Aelyn]    Tag sellig sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyMar 25 Déc 2018 - 15:35

Il était cruel, le destin.

Et le goût du sang dans la bouche.

La morsure de la pluie sur la chair, et le froid… ce froid insidieux et pernicieux, torture insoutenable pour l'âme la plus endurcie. Comme une voix lancinante murmurant de sinistres paroles, il pénétrait sous l'armure, dans les fibres d'un vêtement chaud, et à force de s'employer il finissait par gagner sa cible. Ce cœur chaud et palpitant, cette source de vie et de vigueur à la fois si forte et si fragile. Il l'enserrait dans ses mâchoires intangibles, et le compressait à la manière d'un de ces serpents du sud lointain, que l'on disait capable d'étouffer un animal. Ce froid terrible, ce froid effroyable, il comprimait la poitrine d'Iran, qui voyait son souffle dessiner des volutes de brume devant sa bouche. Une brume qui lui paraissait presque surnaturelle, comme si ce corps n'était pas le sien. Comme si tout ceci n'était qu'un rêve éveillé, qu'elle vivait par procuration. Elle frotta ses doigts les uns contre les autres, comme pour se prouver qu'elle était bel et bien vivante, réactive, que ses sens affûtés étaient toujours aux aguets. Son nez la piquait, sa vision était brouillée par la pluie fine mais constante qui s'écrasait sur elle comme un millier de petits aiguillons. Elle passa une main sur son visage en se répétant encore et encore, à voix très basse : « patience ».

- Patience…

Il lui fallait refréner les élans d'un corps traître face à une âme pure. L'âme d'une guerrière, lame effilée en quête de victoire et de gloire. L'objectif ne se trouvait que sur le chemin du calme absolu, de la résolution la plus infaillible. Son esprit était un océan parfaitement apaisé, et la pluie fine qui tambourinait contre sa cuirasse ne devait pas en troubler la surface. Pas le moins du monde.

- Patience…

Toujours la patience.

Elle savait que c'était sa meilleure chance. Leur meilleure chance. Mais leur meilleure chance de quoi faire ? De survivre ? Elle n'y croyait pas le moins du monde. Deux contre onze, c'était un obstacle trop difficile à surmonter. Une tâche que même les héros des temps passés auraient eu peine à accomplir. Sharaman lui-même se serait détourné d'une telle folie, et elle était prête à parier que même les plus zélés des fidèles de Melkor auraient hésité devant un tel suicide. Mais contrairement à ces derniers, elle ne se battait pas pour un dieu sombre dont elle n'avait jamais vu le visage que gravé dans le roc. Elle se battait pour un héros de chair et de sang qui avait foulé cette même terre du Rohan, et qui avait payé de sa vie la droiture morale qui le caractérisait. Pour lui, pour cet homme qu'elle avait aimé comme son propre frère, elle se battrait jusqu'à la mort, et même dans l'après-vie. Elle n'aurait de cesse de venger sa mémoire, et une partie d'elle-même savait que ses ancêtres seraient fiers.

Son sacrifice serait peut-être oublié par les vivants, mais les morts l'observaient en cet instant, et jugeaient chacun de ses actes.

Ce fut alors qu'elle l'entendit.

L'appel.

Le cri de guerre intemporel et universel.

La musique du destin.


~ ~ ~ ~


- Aux armes !

Ce fut la seule directive que les sédéistes de l'Ordre eurent le temps de hurler par-dessus le déchaînement des éléments avant le choc. Le cavalier surgi de nulle part avait été une surprise de taille, et même Sellig avait laissé transparaître la peur sur son visage buriné. La peur la plus primaire… celle éprouvée par un animal traqué qui se sent soudainement acculé. Dans ce village en véritable clapier, isolé au beau milieu des maisons dont l'une continuait de brûler derrière lui, il ne savait pas d'où pouvait venir la prochaine menace. Aelyn l'avait-elle mené à cet endroit volontairement ? Avait-elle fui en feignant le désespoir pour, au contraire, le mener précisément au lieu du massacre ? Il regretta de ne pas lui avoir brisé les deux mains pour la peine, mais pour l'heure il n'était pas temps de penser au passé ou au futur. Seul le présent comptait, et le présent prit la forme d'une silhouette terrifiante surgie des ombres en brandissant une épée qu'elle agitait de droite et de gauche, se frayant un chemin sanglant dans les rangs de l'Ordre. Deux hommes s'effondrèrent, terrassés par la puissance de la bête, ou bien par le noble destrier qu'elle montait. La bête. Une bête sauvage et fauve, que Sellig identifia immédiatement comme une menace à ne pas prendre à la légère. Il plongea de côté, dans la boue et la fange, et se releva rapidement pour essayer de voir si d'autres cavaliers viendraient à sa suite.

La bête était féroce, la bête était redoutable, mais la bête était seule. Seule au milieu d'une horde de renégats dont la traque était la spécialité. Des limiers sans merci qui savaient isoler un adversaire et le mettre à mort. Ne l'avaient-ils pas déjà fait au mariage royal, contre un ancien des leurs qui avait décidé de servir sous les ordres de Mortensen après la Guerre des Trois Rois ? Ce cavalier connut le même sort que ce traître oriental. Jeté à terre, séparé de son destrier, que pouvait-il désormais ? Il pouvait braver une lame, peut-être deux ou trois, mais le cercle se refermerait bientôt autour de lui, et il mourrait sans que sa férocité ne lui eût permis de porter le moindre coup. L'intelligence prévalait toujours sur la force.

Sellig était sûr de lui.

Trop sans doute.

Ce fut la raison pour laquelle il se laissa surprendre pour la seconde fois, lorsqu'un trait mortel se ficha dans le torse d'un des hommes, qui s'écroula en hurlant de douleur, avant que ses plaintes ne se fondissent dans le bruit de la pluie sur leurs épaules. Et pour la seconde fois, Sellig se jeta à terre, imité en cela par ses compagnons qui cherchaient l'origine du tir et l'identité du tireur. Les autres baissèrent la tête, cachés qui derrière un cadavre, qui derrière le puits, ou une charrette. Sellig pesta devant cette nouvelle perte, mais cela lui avait permis d'identifier l'origine du tir. Une ruelle proche, où devait se cacher un assassin embusqué. Une seconde passa sans qu'il ne vît débarquer de renforts, et il comprit que ses adversaires n'étaient que deux. Ils avaient tenté de les effrayer – avec succès –, mais  leur mission était de sauver Aelyn, et ils n'avaient pas les moyens de les écraser. Ils comptaient seulement sur le fait que les soldats de l'Ordre resteraient sagement terrés en craignant de voir débarquer une éored sur leurs talons. D'éored il n'y avait point cependant, et pour le dernier Canthui, l'équation était simple… Il avait perdu quatre hommes, mais il lui en restait encore assez pour se débarrasser de ces gêneurs, et filer avec sa proie. Tout ce qu'il devait faire, c'était prendre l'initiative…

Son regard glissa vers le cavalier, qui s'était rapproché de la compagne de Mortensen, et qui paraissait vouloir la tirer de ce pétrin. Son cheval ne s'était pas tant éloigné, et avec beaucoup de courage et de résolution il pouvait espérer remonter en selle avec la femme qu'il devait protéger, et filer. Cependant, pour y parvenir, il lui fallait du temps. Un temps dont Sellig n'entendait pas lui laisser disposer.

- Ne les laissez pas s'échapper, cria alors le Canthui. Tuez-le ! Tuez ce fils de chien, et ramenez-moi la femme !

Il y eut un moment de flottement, mais ses hommes n'étaient pas des tendres, et pour la plupart ils n'avaient rien à perdre. Ils préféraient mourir en essayant de ramener l'Ordre à la vie plutôt que d'attendre sagement d'être pris, emmenés dans les geôles les plus sordides du royaume, pour y être torturés pendant des semaines durant… Leur existence était celle de parias, et ils ne se laisseraient pas emmener vers la tombe docilement. Le monde voulait leur mort ? Ils en avaient autant à son service.

Un premier combattant, plus zélé que les autres, s'élança vers Learamn comme un possédé, bientôt suivi par un deuxième. Les autres, plus circonspects, attendirent un peu avant de bouger, cherchant à identifier dans quelle direction il était prudent d'avancer pour éviter les traits meurtriers qui pleuvaient sur eux.

Sellig haussa les épaules.

Il savait déjà, lui. Et alors que le combat reprenait entre Learamn et ses adversaires, il s'éclipsa dans les ombres, contournant les maisons avec la discrétion d'un chat. Avec une telle pluie, le tireur ne pouvait pas se trouver bien loin…


~ ~ ~ ~

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Quatre.

Ils en avaient déjà éliminé quatre.

Dont un qui s'était écroulé aux côtés d'Aelyn, probablement poignardé par cette dernière dans un dernier sursaut de rage. Ils venaient de redistribuer les cartes de manière spectaculaire, et ils avaient frappé fort grâce à leur attaque surprise. Iran savait que la partie n'était pas encore gagnée, mais peu à peu ils revenaient sur leurs ennemis, et ramenaient leurs chances à un niveau raisonnable. La guerrière avait touché ses cibles à deux reprises sur ses deux premiers tirs, et elle avait encore deux flèches prêtes à être utilisées pour les clouer au sol s'ils bougeaient. Après avoir hésité pendant un moment, certains commencèrent à avancer, vers Learamn, conscients qu'ils ne pouvaient pas simplement le laisser s'enfuir avec celle qui semblait être Aelyn. L'Orientale décocha un premier trait, mais manqua sa cible d'un cheveu, ce qui donna le temps à l'homme d'arriver au niveau de Learamn, et de l'engager en duel. Un duel particulièrement déséquilibré, comme le premier était debout, et le second était à terre, incapable de se redresser pour livrer un combat honorable. Mais c'était peut-être mieux ainsi, car au moins le capitaine ne risquait pas une nouvelle mauvaise chute. Elle comprit alors qu'elle ne pouvait pas continuer à utiliser son arc. Il lui restait encore quelques flèches, mais la manœuvre était risquée, car si elle laissait Learamn seul aux prises avec ces guerriers, rien ne lui garantissait qu'il ne succomberait pas. A deux contre sept, leurs chances étaient infimes, mais alors seule ? Non, elle n'avait pas d'autre choix que de plonger dans la mêlée à son tour pour sauver le capitaine. Son honneur l'exigeait : elle avait juré de protéger sa vie en échange du fait qu'il eût sauvé la sienne, et elle ne trahirait pas son serment. Alors, jugeant l'appel de l'épée irrésistible, elle dégaina son épée, et céda à la juste fureur qui s'était emparée de son cœur.

Learamn savait qu'Iran était une guerrière accomplie, comme en attestait son appartenance à la garde royale de la souveraine de son royaume. Toutefois, il n'avait jamais eu l'occasion de la voir combattre, et encore moins de la voir animée d'une telle rage. La femme qu'il avait connue, au bord de la noyade, à moitié étranglée, impuissante face aux lois du Rohan et à la méfiance de son peuple… cette femme venait de disparaître, remplacée par une toute autre créature. Une danseuse pleine de grâce et de force, qui n'avait absolument rien à voir avec Rokh tel que le Rohan l'avait connu. Ce dernier, guerrier cuirassé de la tête aux pieds, engoncé dans une armure lourde et brandissait un large bouclier, était apparu aux yeux du peuple d'Aldburg comme immortel, un mur infranchissable sur lequel la danse de guerre de Mortensen s'était brisée. Iran était tout l'inverse. Elle combattait avec vivacité, et au lieu d'encaisser les coups et de revenir à la charge, elle les esquivait sans paraître même craindre la lame de son adversaire. Un léger mouvement de côté, et l'épée ennemie siffla à côté de sa tête, la manquant d'un cheveu à peine. La riposte fut terrible, et le sédéiste eut la gorge ouverte avant d'avoir compris comment une langue d'acier était venue ouvrir sa gorge en se glissant sous sa garde.

Cinq.

Alors qu'il tombait à genoux, hébété, Iran était déjà passée aux suivants. Virevoltante, tourbillonnant d'un adversaire à l'autre, elle les força à reculer en contrôlant trois adversaires sans paraître éprouver la moindre difficulté. Learamn, momentanément privé d'adversaire, put constater qu'il avait à ses côtés une alliée de poids, et que la férocité dont elle faisait preuve pouvait bien faire pencher la balance en leur faveur. Toutefois, elle n'était pas invulnérable, et bientôt elle sembla accuser le coup d'une fatigue survenue trop vite. Elle n'avait pas reçu le moindre coup, mais elle se plia soudainement en deux comme si elle venait de recevoir un coup de poignard. Un de ses adversaires en profita pour lui abattre une lame sur le crâne, qu'elle para difficilement. Elle ne put rien faire contre le coup de pied qui la cueillit en plein abdomen et l'envoya s'écraser au sol. Lorsqu'elle se redressa, Learamn put voir que sa tunique était maculée de sang.

Or les coups de pied ne faisaient pas saigner…

Ce fut tout ce qu'il eut le temps de voir, car déjà un adversaire venait dans sa direction…


~ ~ ~ ~


Le capitaine avait pu reprendre quelques forces pendant le bref instant de répit que lui avait offert sa compagne d'infortune aux prises avec leurs ennemis. Quelques précieuses secondes pour souffler, pour canaliser la douleur dans sa jambe, et surtout pour réfléchir. Réfléchir à la meilleure solution à adopter. En vérité, il y en avait deux. Iran était en bien mauvaise posture, face aux deux hommes qui essayaient de l'encercler et de la prendre en défaut, mais elle contrôlait encore suffisamment le combat pour les éloigner comme elle le pouvait de Learamn et Aelyn. Elle reculait, cédait du terrain sur chaque assaut, mais s'efforçait toujours de partir dans la bonne direction, celle qui mettrait le plus de distance possible entre les tueurs et le capitaine. Learamn pouvait donc essayer de l'aider, de lui prêter main-forte dès lors qu'il se serait débarrassé du tueur qui approchait de lui… ou bien il pouvait opter pour une autre solution, tout aussi raisonnable. Iran lui offrait une fenêtre… une chance unique de s'enfuir avec Aelyn, s'il parvenait bien entendu à se débarrasser de son adversaire. Keyvan était toujours là, à distance du combat, à l'abri. Il semblait observer la situation, sans paraître incommodé par le vacarme des duels qui se déroulaient sous ses yeux, trop habitué qu'il était à voir le sang couler. Si Learamn choisissait cette option, il faisait passer le devoir avant tout, et condamnait probablement Iran à une mort certaine.

Mais pouvait-il réellement faire le choix de sauver la vie d'une étrangère au détriment de celle d'Aelyn, la guérisseuse du Rohan, la compagne de Gallen Mortensen, son Vice-Roi et mentor ? Pouvait-il réellement accepter de lui tourner le dos après avoir été si loin pour elle ? Iran n'était-elle pas un soldat ? Un soldat qui savait ce que recouvrait la notion de sacrifice, qui savait qu'il était parfois nécessaire de donner sa vie pour une cause plus grande. Une cause qui en valait la peine. Ils avaient trouvé Aelyn, ils l'avaient retrouvée en vie ! C'était un véritable miracle. Avait-il vraiment le droit de parier ainsi la vie de celle qui avait sauvé la sienne quand il était revenu presque infirme de Pelargir ?

Le temps des réflexions s'évanouit aussi vite que la rage du capitaine quand il avait découvert le corps étendu de la guérisseuse. Balayé par l'impératif de l'instant présent, par la profonde réalisation que face à l'espoir et aux promesses d'un futur brillant, il y avait la figure inquiétante de la mort qui marchait dans sa direction. Un adversaire. Un ennemi dont le visage serait bientôt oublié, un nouvel anonyme dont l'existence insignifiante prendrait fin sans que personne ne vînt pleurer sur sa tombe. Un homme, pourtant, qui se battait pour ce en quoi il croyait. Un homme qui luttait pour une cause, lui aussi, et qui se dressait comme un rempart formidable entre les plaines boueuses des terres inondées par ces pluies estivales, et la liberté. Un homme qui se battait pour son fils, pour lui offrir un avenir meilleur que celui de se faire décapiter sur une place publique devant une foule rugissant de plaisir. Un homme violent, un homme cruel, un homme malveillant, mais qui avait le défaut d'aimer profondément la chair de sa chair.

Un seul homme.

Un seul homme contre les milliers que Learamn avait vu défiler dans son existence. Des renégats d'Hogorwen en armures noires qui avaient décimé la population d'Aldburg aux sinistres sédéistes infiltrés dans l'Amirauté de Pelargir, en passant par les guerriers d'élite retranchés dans les catacombes d'une vieille ville de Rhûn… sans compter tous les brigands, bandits, et autres malfrats que le jeune guerrier avait croisé dans sa longue vie. Celui-ci était peut-être le plus important de tous. Le dernier, l'ultime adversaire venu réclamer son dû : la vie d'un soldat qui avait survécu à tant de choses en si peu de temps que d'aucuns croyaient qu'il était béni… Sans son atroce blessure au pied, qui l'avait diminué, une partie de la garde royale lui aurait délivré des honneurs sans commune mesure pour son action. Et même ainsi, estropié, affaibli, diminué, il accomplissait son devoir avec un zèle qui confinait à la folie.

Et au bout de la folie, au terme de ce chemin de souffrance et de sacrifices, il y avait un homme.

Cet homme.

Et l'épée qu'il abattit droit sur Learamn.


~ ~ ~ ~

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Pour la seconde fois, Iran se retrouva à terre après qu'un coup particulièrement puissant l'eût fait reculer et trébucher sur une aspérité de la route. Elle roula sur le côté pour s'écarter de la trajectoire de la lame qui fondit sur elle, et se releva bien vite, reculant encore pour empêcher ses deux adversaires de l'encercler. Ils tournaient autour d'elle comme des prédateurs, et chaque fois que l'un d'entre eux attaquait, c'était pour permettre au deuxième de se glisser dans son dos, afin de mieux lui porter un coup fatal. Alors elle parait comme elle le pouvait, puis s'esquivait comme une feuille chassée par un vent capricieux, s'efforçant s'échapper le plus longtemps possible à l'inévitable gravité qui la ramènerait sur le sol. Elle luttait, elle luttait de toutes ses forces, en gardant à l'esprit une chose absolument fondamentale.

Elle était toujours calme.

Face à la perspective de la mort imminente, handicapée par cette blessure traîtresse qui l'empêchait de lutter au maximum de son potentiel, elle aurait pu céder à la panique, et tenter quelque chose de stupide et d'irréfléchi qui l'aurait condamné à la mort. Au lieu de quoi, elle appliquait méthodiquement les leçons durement apprises chez Gantulga, le maître d'armes de Blankânimad. Elle se souvenait parfaitement de ce petit personnage qui ne payait pas de mine, mais qui avait entraîné des générations de gardes royaux avant elle, et qui bénéficiait d'une expérience incomparable.

« Un garde royal ne se bat pas pour triompher », lui avait-il soufflé. « Un garde royal se bat pour protéger quelqu'un. Sa vie n'a aucune valeur, pas plus que le prestige ou la victoire. Le garde royal n'est pas celui qui a le bras le plus rapide, mais celui qui est capable de mettre de côté sa propre personne pour accomplir sa mission ».

« Mais comment faire, maître ? » avait-elle demandé alors.

« Le principe est fort simple. Connais ton environnement, comprends ton adversaire, et garde-le focalisé sur ta lame, et sur rien d'autre. Si l'ennemi est poussière, alors cherche la source d'eau la plus proche, immerge-toi dedans, et laisse la poussière coller à tes vêtements, à ta peau, à tes cheveux. N'aie pas peur de te salir, au contraire ».

Il y avait des choses qu'elle n'avait jamais comprises chez Gantulga, des choses qu'elle n'aurait probablement jamais le temps de comprendre. Mais cette notion, elle l'avait intégrée de manière formidable. Se sacrifier ne signifiait pas se jeter sans réfléchir sur les lames ennemies : c'était bon pour les mercenaires, les novices, les idiots… Sa mission consistait à donner du temps à Learamn, en lui épargnant deux adversaires. En le soulageant d'autant d'ennemis qui auraient pu l'éliminer et mettre à mort Aelyn. Ils agissaient de manière impulsive, se concentrant sur elle car ils voyaient en elle la plus grande menace. Ils réagissaient de manière instinctive, et elle savait que là résidait son avantage.

Contrôlant le terrain, elle pivota brusquement dans sa retraite pour se déplacer vers une maison. Mais pas n'importe quelle maison. Elle n'avait pas bougé au hasard, et au contraire avait très bien calculé son coup. Elle feignit une peur soudaine et se replia à l'intérieur, là où il était évident qu'elle pourrait gérer plus facilement deux adversaires. Dans un endroit confiné, ils auraient plus de mal à la contourner, et c'était une décision logique. Les assassins, eux, savaient qu'elle se jetait dans la gueule du loup, car un autre de leurs compagnons se trouvait à l'intérieur. Elle vit sur leurs visages que, la surprise passée, un sourire confiant s'élargit sur leurs traits. Un sourire qui allait les pousser à la suivre, certains que ce n'était qu'une question de temps avant qu'elle ne succombât. Ils ignoraient qu'elle n'avait pas choisi cette maison au hasard, et qu'elle aussi espérait tomber nez-à-nez avec le scélérat qui s'y cachait. Elle savait ce qu'il y faisait. Elle savait ce qu'il infligeait à la pauvre jeune fille qu'il avait capturée. En entrant dans cette bâtisse, elle s'immergeait dans l'eau, et elle n'hésiterait pas à se rouler dans la poussière, quitte à en sortir salie… ou à ne pas en sortir du tout.

Du talon elle poussa la porte et pénétra à l'intérieur où elle savait qu'elle n'aurait que quelques minutes pour agir. Au lieu de chercher à se barricader, ou de réfléchir à une option défensive, elle se retourna vers l'intérieur en cherchant la pièce. La seule pièce où il pouvait se cacher. L'espace commun était tout en longueur, et il n'y avait qu'une seule porte au fond. Elle s'y précipita sans la moindre hésitation, défonça la porte d'un coup de pied, et posa les yeux sur un homme qui avait les mains occupées à passer une ceinture de laquelle pendait son épée. Trop tard.

- Misérable… Siffla Iran en l'ouvrant en deux de l'épaule à la hanche.

Sept.

L'homme mourut sans avoir le temps de terminer de s'habiller, et alors que ses muscles se relâchaient, ses chausses tombèrent sur ses chevilles de manière pathétique. Il s'écroula de tout son long, face contre terre. Iran le contempla tomber sans la moindre compassion, mais lorsque son regard se posa sur le lit et le spectacle atroce qui s'y trouvait, elle faillit rendre le contenu de son estomac. La scène était trop horrible, trop insoutenable. Elle avait beau être une guerrière endurcie, les larmes lui montèrent aux yeux. Des larmes bien inexplicables, car pour la première fois de son existence elle pleurait pour une âme occidentale. Pour une fille originaire des peuples de l'ouest, les ennemis historiques et naturels des Orientaux.

Mais ce n'était qu'une enfant…

Juste une enfant.

A cet instant, elle sut qu'elle avait perdu le contrôle. Le calme dont elle avait fait preuve jusque là venait de voler en éclats. Une vague de rage naquit au creux de sa poitrine, et se répandit dans son esprit jusqu'à occulter tout le reste. Jusqu'à balayer toute raison, toute pensée cohérente. Ce qu'elle voyait l'horrifiait à un point tel qu'aucune pensée raisonnable ne parvenait à s'opposer à sa fureur vengeresse. Un voile rouge descendit devant son regard, le reste de l'univers sembla disparaître devant cette palpitation frémissante, cette agitation nerveuse qui parcourait ses mains. Elle découvrit les crocs comme une prédatrice, et envoya valdinguer l'enseignement de Gantulga, les années d'entraînement, les conseils de son père, de ses supérieurs, et le sens du devoir. Seule la rage et la volonté de venger Rokh demeuraient.

Deux sentiments qui brûlaient avec la même force qu'au premier jour.

Elle adressa une malédiction spéciale à ses ennemis, puis sortit à la rencontre des deux hommes en hurlant, prête à tout pour rendre enfin la justice.


~ ~ ~ ~

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Livide, les yeux écarquillés, il n'en revenait tout simplement pas.

Il y avait quelque chose qu'il ne pouvait pas expliquer. Quelque chose qui lui échappait, comme un indice manquant dans une énigme cruciale. Et la question qui tournait en boucle dans son esprit était de savoir comment il en était arrivé là.

Sellig s'était éclipsé discrètement du champ de bataille à la recherche de l'archer, mais il avait été incapable de le trouver. Et pour cause, celui-ci s'était rué dans le chaos du champ de bataille contre toute logique, ce qui avait conduit le Canthui à opérer une manœuvre inutile et à perdre un temps précieux. Une partie de lui s'en voulait de s'être laissé avoir ainsi, car ce qu'il voyait ne pouvait que le choquer. Ses hommes avaient été débordés, mis en difficulté par seulement deux adversaires. Il ne comprenait pas. Il ne comprenait tout simplement pas. Les redoutables combattants de la Couronne de Fer, terreur des Peuples Libres, avaient été vaincu par seulement deux épées, et il apparaissait que le cavalier et l'archer avaient réussi à faire tourner la situation en leur faveur en dépit de leur infériorité numérique. Un tel exploit était-il possible ? Ne rêvait-il pas ? D'un autre côté, le chef de cette bande de maraudeurs n'était pas mécontent d'avoir échappé aux premières minutes du combat, car cela lui avait donné le temps et l'espace d'observer la situation. Là où il s'était caché, craignant encore de voir débarquer d'autres renforts, il avait pu analyser le champ de bataille, et définir la marche à suivre… réfléchir afin de trouver une solution, d'essayer de donner un sens à tout ce chaos…

Sellig en était arrivé à une conclusion simple. Le cavalier blessé, incapable de se relever, ne constituait pas une menace aussi grande que sa compagne. Pour une raison qu'il ignorait, il l'avait identifiée comme le principal danger dont il fallait se méfier… peut-être parce qu'elle lui rappelait étrangement l'homme qu'ils avaient tué à Minas Tirith, ce sinistre guerrier du Rhûn qui ne s'était pas rendu sans combattre. Bien qu'elle bougeât différemment, elle dégageait la même sensation de force, et il avait vu assez d'Orientaux pour savoir à quoi ils ressemblaient et s'en méfier. Ces misérables avaient rejoint les rangs de l'Ordre en masse, mais il n'avait jamais pu leur faire confiance, et pour cause, les voilà qui se liguaient aujourd'hui contre lui et son ambition de faire revivre le projet de la Couronne de Fer. Certain qu'il devait agir pour faire pencher la balance dans la bonne direction, il s'élança à la suite de ses hommes dans la demeure, incertain de ce qu'il y trouverait en entrant.

Comme il l'avait anticipé, la guerrière tenait toujours debout, et elle offrait une belle résistance face aux deux lames qui se dressaient contre elle. Mais que pouvait-elle faire contre trois adversaires ? Sellig entra dans la danse en apportant toute sa science de la guerre, et il fut évidemment le premier à porter un coup décisif à la tempête orientale. Son épée s'abattit de haut en bas, tranchant l'épaule de la jeune femme en manquant d'un cheveu de briser sa clavicule. Elle lâcha un cri de souffrance et s'écroula au sol, alors que le sang éclaboussait son visage et sa tenue. Un des sédéistes essaya de profiter de son moment de faiblesse pour l'achever, mais elle se redressa comme un serpent et lui planta sa lame si profondément dans la cuisse qu'elle entailla l'artère et condamna le malheureux à une agonie aussi longue que douloureuse. Elle voulut tourner son arme vers un second adversaire, mais Sellig lui donna un grand coup de pied dans le poignet, la désarmant sans la moindre difficulté. Son épée couverte de sang alla rouler dans la pièce en tâchant le plancher d'un liquide vermillon, pour s'immobiliser contre le mur. Trop loin, hors de portée. La guerrière à bout de souffle retomba sur le dos en cherchant comment contenir la douleur fulgurante et la perte de sang, incapable de reprendre la lutte.

L'archère était enfin vaincue.

Sellig posa une main sur l'épaule de ses hommes, derniers survivants d'une compagnie désormais décimée. L'un d'entre eux était si gravement blessé qu'il ne parvenait pas à tenir sur ses jambes, et il refermait des mains tremblantes sur sa blessure qui saignait abondamment. Son compagnon avait essayé de lui faire un bandage sommaire, mais cela ne tiendrait pas longtemps… Le Canthui souffla à celui qui était encore valide :

- Bon travail, tu as fait ce que tu as pu… Relève-la…

Les yeux dans le vague, visiblement déchiré à l'idée d'abandonner son compagnon, le soldat de l'Ordre s'exécuta. Il saisit puissamment la guerrière et la força à se redresser, insensible à ses gémissements de douleur. Elle était si faible qu'il devait la soutenir pour lui permettre de ne pas tomber, alors que son bras pendait le long de son corps, inutile et couvert de sang. Sa blessure était impressionnante, et aurait mérité d'être traitée sur-le-champ. Mais Sellig n'avait pas l'intention de lui faire cette faveur, car l'idée de l'épargner ne lui avait pas traversé l'esprit. Le Canthui l'examina des pieds à la tête. Elle était au bord de l'inconscience, mais luttait perceptiblement pour rester focalisée sur lui, le regard farouche. Ses traits étaient indubitablement étrangers, Orientaux comme il l'avait supposé, ce qui ne pouvait qu'interroger sur la raison de sa présence au Rohan, et de sa lutte acharnée contre l'Ordre de la Couronne de Fer. Elle ne portait pas la marque des guerriers de l'Orchâl, et elle n'était de toute évidence pas une traîtresse à la cause. C'était d'autant plus surprenant, et Sellig haussa un sourcil étonné.

- Où sont vos renforts ? Combien êtes-vous ? Seulement deux ?

La femme leva la tête, et plongea son regard plein de haine dans celui du Canthui. Elle était certes affaiblie, mais elle n'entendait pas répondre si facilement à ses questions. Sellig, toutefois, n'était pas le genre d'homme qui acceptait de perdre ainsi un temps précieux. L'assaut du cavalier et de l'archère avaient eu un effet dévastateur sur ses troupes, menaçant son plan au point qu'il avait un temps songé à s'échapper. Maintenant qu'il reprenait un peu le contrôle sur la situation, il n'avait pas envie de voir la situation déraper de nouveau. Il referma son poing et l'abattit comme une massue dans l'abdomen de la guerrière, touchant involontairement sa première blessure qu'elle s'était efforcée de cacher. Son cri de douleur transperça les murs et se répandit à l'extérieur, alors que des larmes de pure souffrance jaillissaient de ses yeux fermés. Sellig avait montré une certaine patience jusqu'ici, mais aujourd'hui la crainte d'être rattrapé le terrifiait, et il voulait des réponses claires. Il s'acharna comme un dément sur le corps déjà meurtri de l'Orientale, répétant inlassablement :

- Combien êtes-vous !?

Elle serra les dents aussi longtemps que le lui permettait sa force mentale, mais même les esprits les plus endurcis avaient un point de rupture. Une limite qu'un tortionnaire habile trouvait toujours comment atteindre. Alors que le sang recouvrait le poing du renégat, et que la vie quittait peu à peu le corps de la guerrière, celle-ci finit par lâcher dans un râle :

- Il n'y a que nous deux… Je le jure !

Son cri désespéré était un appel à ce que la douleur cessât, et Sellig jugea qu'elle avait dit la vérité. Elle n'était plus une menace, et il vit ses épaules s'affaisser de désespoir maintenant qu'elle était prise. Cette révélation apaisa temporairement le tueur… Son plan n'était pas encore totalement mort. Il pouvait le ramener à la vie avec un peu d'effort. En échange de quoi, il devait sacrifier quelqu'un. Un poignard glissa dans sa main, et sans la moindre pitié il le planta dans la hanche de la guerrière qui eut un hoquet de surprise en sentant l'acier glisser entre ses chairs pour la seconde fois, et déchirer ses organes. Ses traits se tordirent et elle referma ses mains autour du bras de son meurtrier, comme pour essayer de l'emporter avec elle. En vain. Sa prise se desserra, et elle s'écroula sitôt que l'homme qui la retenait relâcha sa prise. Son agonie serait longue, Sellig s'en était assuré.

- J'aurais pu te tuer rapidement, femme de l'est, mais j'ai voulu que tes derniers instants ne soient que souffrance. Rappelle-toi que c'est Sellig qui t'a tuée, quand tu arriveras auprès de Melkor. Dis-lui bien que d'autres âmes viendront après toi.

Il eut un sourire mesquin, avant de se tourner vers le dernier soldat valide, qui était reparti soigner son compagnon :

- Vois ce que tu peux faire pour lui, mais fais vite. Nous ne nous attarderons pas ici bien longtemps.

Puis il s'élança au dehors, où il chercha du regard les traces de son dernier adversaire, lui aussi blessé. Il n'était pas difficile de le repérer, aux prises avec un des guerriers de l'Ordre, chacun luttant pour sa vie sans paraître voir le reste du monde. La situation paraissait confuse autour du cavalier, et il semblait qu'un corps à corps violent était en cours. Des coups s'échangeaient, et entre la boue et la pluie, il n'était pas possible de déterminer qui était qui. Le Dernier Canthui de la Couronne de Fer, conscient que la victoire était hors de portée s'il ne faisait pas quelque chose, choisit de faire pencher la balance en faveur de son subordonné qui se battait toujours. Il dégaina son arme, et s'avança d'un pas décidé, prêt à occire celui qui ne porterait pas des traits familiers. Celui qui ne répondrait pas au nom qu'il se mit à crier.

- Rolf ! Rolf bon sang, relève-toi et laisse-moi tuer ce chacal puant !

Il se trouvait encore à une bonne distance, mais bientôt il vit un homme se redresser tandis que l'autre restait au sol. Ses poings semblaient lui avoir permis de remporter la bataille, même si celui qui était étendu, les doigts recroquevillés comme une araignée feignant la mort, bougeait toujours. Sa poitrine se soulevait alors qu'il essayait de reprendre ses esprits, et de retrouver son souffle. Sellig laissa la pointe de son épée décrire un cercle amusé dans les airs, avant de reprendre :

- Rolf, occupe-toi de la femme ! Qu'elle ne s'échappe pas !

L'intéressé tourna son attention vers Aelyn, qui reposait toujours non loin. Son regard glissa vers son fils, toujours étendu sur le sol, à demi inconscient. Il était pâle comme la mort. Il resta un moment ainsi, immobile comme une statue d'argile, un golem hésitant sur la priorité à donner. Son fils ou sa mission. Sa mission ou son fils. La voix de Sellig s'éleva de nouveau :

- Rolf ! La femme !

L'homme se pencha pour ramasser une épée qui traînait toujours au sol. Celle du cavalier, de toute évidence. Ses mouvements semblaient saccadés, comme s'il avait été blessé durant le duel. Comme s'il était lui-même sur le point de s'effondrer. Sellig s'arrêta bientôt, méfiant.

- Rolf ? Rolf, qu'est-ce qui ne va pas ?

L'homme se retourna lentement vers lui, mais le Canthui n'eut pas le temps d'obtenir la réponse qu'un cri juvénile le tira de ses pensées. Il n'eut pas le temps de se retourner qu'une douleur fulgurante le transperça au niveau de l'arrière de la cuisse, lui arrachant un profond rugissement de douleur. En baissant les yeux, il put voir les piques d'une fourche dépasser de sa jambe, lui tirant un nouveau hurlement. De rage cette fois.

- Nom de… !

Il sentit le fer s'extraire sans douceur de ses chairs, et à l'instar d'un pantin désarticulé il se mit à tituber misérablement, se retournant à temps pour voir une gamine qui lui arrivait à peine à la taille se mettre hors de portée du coup d'épée qu'il lança dans sa direction. Sellig ignorait son nom, il ignorait pourquoi ses yeux étaient embués de larmes tout en affichant une lueur pleine de haine et de crainte. Toutefois, il devina qu'elle avait quelque chose à voir avec la famille qu'il avait fait massacrer, et il comprit qu'elle n'aurait de cesse de le voir mort. Boitillant, refusant de se laisser choir, il essaya de charger la gamine qui battit précipitamment en retraite en tenant son arme de fortune trop grande pour elle. Il n'avait aucune chance de la rattraper.

Conscient qu'il ne pouvait pas la rattraper, il se tourna vers Rolf, à qui il beugla :

- Bon sang, satané crétin ! Rattrape-la ! Crève cette gamine comme tu as crevé sa famille !

Mais alors que la pluie faisait son office, et qu'elle arrachait la glaise encore humide des épaules voûtées, Sellig nota un détail qui lui avait jusqu'alors échappé. Une forme opaline sur le torse de Rolf, qui se dégageait à chaque fois qu'une nouvelle goutte tombée du ciel venait dévoiler l'identité du guerrier solitaire.

Le Canthui passa une main sur son visage trempé, et cracha par terre en reconnaissant ce symbole. C'était la tête d'un cheval sur fond de sinople.

Et cet homme n'était pas Rolf.
Sujet: Aux grands maux les grands moyens . [PV Aelyn]
Ryad Assad

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Rechercher dans: Meduseld   Tag sellig sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Aux grands maux les grands moyens . [PV Aelyn]    Tag sellig sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySam 29 Sep 2018 - 22:13
- Salope !

Rolf n'avait jamais été un poète.

Ni un tendre, d'ailleurs.

Aelyn s'en était rendue compte au moment où le premier coup de poing s'était abattu sur sa joue. Un coup de poing. Un véritable coup de poing. Pas une gifle qui lui aurait épargné de ressentir cruellement les jointures épaisses s'enfoncer dans ses chairs et lui ouvrir la pommette. Le sang mêlé de boue, emporté par la pluie, se mit à couler sur le visage de la guérisseuse qui ne pouvait rien faire pour arrêter la furie des coups qui pleuvaient sur elle. Une main puissante s'empara du poignet qu'elle tendait désespérément devant elle, le tordant avec une brutalité, avant qu'un nouvel assaut ne vînt la cueillir à la tempe. A moitié sonnée, sous le choc peut-être, Aelyn ne trouva pas le moyen de se défendre plus avant, et Rolf en profita pour lui donner une correction dont il avait le secret. Il la saisit par les cheveux, et lui adressa une claque si forte que la Rohirrim lui échappa des mains pour aller s'écraser sur le sol. Quand il ouvrit les doigts, des mèches de cheveux collées par la pluie s'échappèrent comme autant de larmes dorées retenues entre ses griffes impitoyables.

Rolf n'avait jamais été un tendre.

Ni un poète, d'ailleurs.

- Je vais te crever ! Je vais te crever sale pétasse !

Il leva ta botte crottée, et l'abattit cruellement sur la jambe d'Aelyn. De toutes ses forces. Il ne retenait pas ses coups le moins du monde, et la frappait avec l'intention évidente de la tuer. Dans son regard se lisaient les accents de la folie. Il allait vraiment la tuer de ses propres mains. Sans merci. Sans pitié. Il s'acharnait comme une bête, incapable de refréner ses ardeurs meurtrières. Sa pauvre victime était à peine reconnaissable. La lèvre et la joue ouvertes, le visage tuméfié, les cheveux en bataille et à moitié arrachés, les vêtements salis… Elle avait l'air d'une vagabonde que l'on aurait passée à tabac dans une ruelle sombre, et non d'une dame de la cour de Meduseld. Le Rohan semblait bien loin désormais, car pour l'heure il n'y avait qu'elle et son bourreau dans cette arène sinistre aux reflets orangés d'où elle ne pouvait s'échapper. Et les coups continuaient de pleuvoir, sans jamais vouloir moucher les bougies de sa conscience, et lui accorder au moins le répit d'un coma salvateur. Elle n'aurait pas le privilège de se retrancher derrière ses paupières pour quitter ce monde sans connaître les souffrances que lui promettaient les yeux fous de Rolf.

Mais tout à coup, l'avalanche de violence cessa.

Soudainement, ce fut le silence, seulement rompu par le crépitement des flammes et la respiration lourde des deux protagonistes. Rolf, qui tenait Aelyn par le col, lâcha cette dernière à la manière d'un ours se désintéressant brusquement d'une proie. La jeune femme retomba sur le sol, boule de souffrance livrée à elle-même. Elle entendit alors une voix. Une voix qu'elle connaissait bien pour l'avoir entendue ce qui semblait être des siècles auparavant.

La voix du gamin…

Il gémissait, il appelait… et il suppliait son père d'épargner Aelyn.

- Mon fils, cria Rolf, la voix brisée.

Il y avait de l'inquiétude et de l'amour dans son ton. L'amour d'un homme qui avait choisi de servir l'Ordre de la Couronne de Fer, qui avait choisi d'être un monstre abject dont les générations futures maudiraient le nom. Un homme qui pourtant n'en demeurait pas moins un père protecteur, viscéralement préoccupé pour sa progéniture. Sa rage n'était que terreur, et sa cruauté était la seule façon qu'il avait apprise pour exprimer ses sentiments conflictuels. Il avait frappé Aelyn comme il se serait frappé lui-même pour avoir laissé une prisonnière s'enfuir avec son fils. Avec une douceur que ne laissaient pas supposer ses mains couvertes du sang d'une innocente, il s'empara de la main de son fils, et l'examina brièvement. Il y avait quelque chose de très primaire, de très animal chez lui. Il semblait sur le point de renifler sur sa peau l'odeur de la mort ou du piège que la guérisseuse avait pu tendre.

- Père… Ne lui faites pas de mal… Le bébé…

Rolf voulut répondre quelque chose. Peut-être lui expliquer qu'Aelyn l'avait drogué, enlevé, blessé, et qu'elle méritait amplement le châtiment qui venait de s'abattre sur sa misérable personne. Les mots ne trouvèrent pas le chemin de la sortie, et il se contenta de serrer son fils dans ses bras. C'était un spectacle à la fois tragique et beau, mais aussi effrayant et malsain. Comment tant de brutalité pouvait-elle côtoyer tant d'affection dans un seul et même corps ? Les Hommes étaient véritablement des créatures étranges.

Aelyn avait suivi toute la scène du coin de l'œil et en tendant l'oreille, mais elle n'avait pas senti venir la silhouette qui apparut brusquement dans son champ de vision. L'homme n'était plus dans la force de l'âge, assurément, et il avait l'air de revenir de pire champ de bataille de l'histoire de la Terre du Milieu. Son visage était buriné, ses traits tirés, ses yeux enfoncés dans leurs orbites. Les cicatrices accumulées au fil des ans surgissaient de sa barbe négligée, encadrée par des mèches de cheveux rebelles qui lui collaient au visage. Il n'avait pas le type des gens d'ici, et son accent laissait entendre qu'il venait des terres du nord. Peut-être un Arnorien. Il attrapa doucement le visage d'Aelyn, et l'examina brièvement comme un vendeur de bêtes observant une génisse :

- Alors c'est elle, la fille de joie de Mortensen ? Il aurait pu choisir mieux…

L'insulte flotta dans l'air pendant un moment. La mesquinerie était peut-être le moindre de ses vices, et cela n'avait rien de rassurant. Il s'était accroupi devant la guérisseuse, soucieux de se mettre à sa hauteur pour qu'elle puisse bien le voir et l'entendre. Contrairement aux brigands du commun, il ne cachait pas son visage, et encore moins son identité :

- Je m'appelle Sellig.


Une simple phrase. Glaçante. Les noms portaient avec eux un pouvoir, et surtout un sens. Derrière celui-ci, on sentait se dessiner la mort et la désolation, dans océan de larmes et un concert de lamentations. Il y avait quelque chose de particulièrement inquiétant chez cet homme. Une forme de détermination absolue, presque suicidaire, qui montrait qu'il ne doutait pas un seul instant de ce qu'il faisait. S'il y avait des fanatiques ici, il était leur chef. Leur source d'inspiration. Ou de crainte. Il était celui qui faisait tenir ces traîtres ensemble, celui qui les empêchait de se débander et de s'égayer dans les prairies du Riddermark comme les lâches qu'ils étaient au fond. Aelyn comprit à qui elle avait affaire lorsque, se grattant la barbe pensivement, il révéla par inadvertance le tatouage qui ornait son poignet. Le symbole était reconnaissable entre mille.

Les armes de l'Ordre de la Couronne de Fer.

C'était lui. C'était forcément lui. Le Dernier Canthui. Sellig avait été suffisamment retors et intelligent pour réchapper à la purge. Il avait survécu en Arnor pendant des mois, esquivant avec une habileté rare les troupes d'Aldarion qui le traquaient, et ce malgré la détermination d'hommes comme Sirion Ibn-Lahad. Récemment, il avait trouvé le moyen de quitter le pays, et de se rendre au Rohan, où ses fidèles lui avaient rapporté qu'ils préparaient quelque chose : une opération secrète pour reprendre le pouvoir. Il avait accouru, convaincu que l'heure était venue pour lui et pour l'Ordre de renaître. Leurs plans avaient changé quand la compagne du Vice-Roi s'était offerte à eux sur un plateau, et qu'ils avaient eu l'occasion de revenir en force… Aelyn serait le sacrifice requis pour cela, et son sang viendrait gorger les veines d'un nouveau projet, d'une nouvelle ère. Elle était là, la conviction de Sellig. Désormais qu'il tenait entre ses mains le meilleur moyen de pression contre Gallen Mortensen, Vice-Roi du Rohan… que pouvait-il lui arriver ? Avec une stratégie similaire, développée par ses soins, l'Arnor avait été mis à genoux. Or Fendor n'était pas Aldarion, et le Rohan n'avait pas la stabilité politique et institutionnelle du grand royaume des Hommes. C'était presque trop simple.

- Vous savez pourquoi je vous dis mon nom ? Demanda-t-il tranquillement.

La réponse était évidente, mais l'entendre de la bouche de ce monstre, cet ennemi des Peuples Libres qui avait toutes les raisons de détester Gallen, était encore plus effrayant :

- Je vous le dis car cela ne changera rien. Vous ne m'intéressez pas. Vous n'avez aucune valeur, en vérité. Votre mort ne changerait rien, je ne vois pas à qui vous manqueriez…

Nouvelle insulte. Ses mots insidieux étaient presque aussi douloureux que les coups de poing de Rolf. Il savait que ce n'était pas vrai. Il savait qu'Aelyn n'était pas une femme seule, qu'elle avait autour d'elle des gens qui l'aimaient, et qui espéraient ardemment son retour. Alors qu'il lisait dans ses yeux qu'elle essayait de surmonter ses manipulations aussi prévisibles qu'elles étaient efficaces, Sellig reprit :

- Celui qui compte, en revanche…

Il posa une main dominatrice sur le ventre arrondi d'Aelyn. Un geste d'une grande violence symbolique, compte-tenu de ce qu'il entendait faire du fils de Gallen. Son sourire s'étira légèrement, mais ses yeux ne riaient pas le moins du monde. Il n'ajouta rien, et se contenta de changer complètement de sujet :

- Pendant que vous faisiez connaissance avec Rolf, je me suis questionné. Où étiez-vous durant tout ce temps ? Où vous cachiez-vous ? C'est que mes hommes vous ont cherchée dans ce village. En vain.

Il observait Aelyn avec une intensité rare, presque sans ciller, comme s'il essayait de déceler le moindre indice qui aurait pu indiquer où elle s'était terrée… et si elle ne préparait pas quelque chose. Il n'avait pas survécu pendant si longtemps en mordant à l'hameçon qui se présentait. Il ne croyait rien ni personne, se méfiait de toute situation apparemment anodine. La guérisseuse s'était livrée en connaissant fort bien les conséquences… Pourquoi ne pas simplement s'enfuir en espérant ne pas être rattrapée. Pourquoi revenir ? Comme il s'y attendait, la guérisseuse ne lui confessa rien, et il souffla :

- Vos traces de pas ne décrivent pas une ligne droite… comme si vous aviez quelque chose à cacher. Étonnant, non ? J'ai envoyé un homme enquêter à ce sujet. Il finira par remonter jusqu'à votre cachette. Mais je n'ai pas le temps d'attendre, et je préférerais que vous me disiez ce que j'ai envie de savoir. Alors je vais vous poser une question. Une question très simple, d'accord ?

Il se redressa, et fit un signe de la main en direction de quelqu'un qui se trouvait derrière Aelyn. Avant qu'elle ait pu comprendre à qui il s'adressait, un bras puissant glissa sous sa gorge, la retenant prisonnière. L'homme qui s'était placé dans son dos était trop grand et trop fort pour qu'elle pût échapper à son emprise. Il ne serrait pas assez fort pour la faire suffoquer, mais il la bloquait tant et si bien qu'elle ne pouvait rien faire. Un second individu s'approcha, et lui enserra le bras droit avec force, la forçant à le tendre devant elle. Dans cette position, elle ne pouvait plus que bouger la main, ouvrir et refermer le poing. Mais Sellig n'entendait pas lui laisser autant de liberté.

Il avait d'autres plans.

- Vous ne voulez pas répondre ? Très bien.

Aelyn ne devenait pas folle. Il n'avait tout simplement rien demandé. Rien du tout. Mais dans l'intervalle, il s'était emparé des doigts de la jeune femme, et avait refermé ses mains puissantes et parcourues de cicatrices autour de l'auriculaire d'Aelyn. Il la regarda avec froideur, et lui redemanda :

- Vous êtes vraiment sûre que vous ne voulez pas répondre ?

Pour la forme, il lui donna une poignée de secondes de répit.

Puis un geste sec.

Et un cri déchirant.

L'articulation du doigt de la jeune femme décrivait maintenant une courbe tout à fait anormale. Le craquement avait été parfaitement répugnant, mais rapidement couvert par les gesticulations d'Aelyn qui essayait de se débattre en vain. Elle était retenue par deux solides gaillards qui n'entendaient pas la laisser bouger. Sellig sentait les tremblements agités dans ces doigts qui se refermaient pour essayer de lui échapper. Il sentait le pouls affolé de la guérisseuse, il voyait son regard désespéré. C'était une chose que de se faire briser un doigt par un sadique tortionnaire qui prenait son temps pour s'y prendre… c'en était une autre que de savoir qu'il allait recommencer, et de craindre le moment fatidique où il allait de nouveau vous infliger une douleur telle qu'elle menaçait de rendre fou.

- Vois, Rolf. Il est inutile de frapper une femme de toutes ses forces pour la faire souffrir. Il suffit de savoir exactement où appuyer.

Aelyn n'avait tout simplement pas la force de résister, et lorsqu'il la força à ouvrir la main de nouveau pour s'emparer de son annulaire, elle ne put rien lui opposer qui aurait pu le pousser à cesser sa torture. Avec les mêmes gestes lents et méthodiques, il referma ses mains sur ce doigt qui semblait si minuscule et si fragile en comparaison. A la manière d'un enfant cassant une brindille simplement pour savourer le plaisir d'exercer son pouvoir sur la nature inerte, il paraissait se délecter de ce qu'il allait faire :

- La question… Répondez à la question, et je vous laisse tranquille…

Il attendit patiemment, sans daigner lui poser ladite question. Sans daigner répondre à ce qu'elle aurait pu lui dire pour le convaincre. Il soupira, comme s'il regrettait de la voir se montrer si obstinée, et murmura :

- Si vous insistez…

Aelyn retint son souffle.

Et il attendit.

Il attendit encore.

Il attendit le moment où elle baisserait sa garde. Le moment où elle se déconcentrerait. Et quand il le vit passer dans ses yeux, quand il vit qu'elle se questionnait sur autre chose, que ses pensées galopantes, retenues fébrilement derrière le mur invisible de sa terreur, s'élancèrent de nouveau dans les champs de sa conscience… alors et seulement alors il passa à l'attaque.

Nouveau geste sec.

Précis.

Atroce.

Nouveau cri. Nouvelles larmes.

Il abandonna cette excroissance désormais inutile, difforme et douloureuse, et se montra indifférent aux jambes de la guérisseuse qui battaient à côté de lui. Elle avait beau ruer, elle avait beau lutter de toutes ses forces, il était simplement concentré sur ses yeux, et ne la lâchait pas du regard. Pas une seconde. Il y lisait son effroi, tandis qu'en retour elle plongeait dans un océan de détermination. Elle pouvait lire dans ses iris impitoyables qu'il ne s'arrêterait pas. Pas tant qu'il n'aurait pas eu sa réponse. Il la força à lui offrir son majeur, et une fois qu'il eut assuré sa prise dessus, il la regarda en lâchant :

- Allons… je ne vous demande que de répondre à une simple question. Pourquoi vous obstinez-vous ?

Sellig avait déjà usé de cette méthode par le passé, et il la jugeait particulièrement efficace. Il ne demandait rien, et se contentait d'infliger de la souffrance aux gens, qui lui révélaient alors tout ce qu'ils savaient sur ce qu'ils estimaient être important. Les gens commençaient souvent par révéler l'endroit où ils cachaient leur or, car pour une raison qui échappait au Canthui, tout le monde pensait qu'il ne faisait cela que pour la richesse. Ils comprenaient souvent après deux ou trois doigts supplémentaires qu'ils faisaient fausse route, et essayaient de réfléchir vite pour ne pas subir le châtiment trop longtemps. Quand ils avaient quelque chose à se reprocher, cela allait vite en général. Ils confessaient leurs crimes, parlaient de leurs maîtresses, de leurs pensées les plus impures… Au début ils se contentaient de répondre quand on le leur demandait, avant de se mettre à babiller à tout va, espérant que dans le flot d'informations qu'ils laissaient échapper, il y aurait quelque chose qui plairait à leur tortionnaire. Sous la pression, ils finissaient par vendre les gens qu'ils aimaient : mari, femme, parents, enfants, amis, alliés… Ce n'était qu'une question de temps. Sellig avait rencontré un jour un homme si stupide qu'il avait été incapable de trouver la réponse, et que ses dix doigts avaient fini par être en lambeaux. Le sot avait cru que cela le sauverait, mais il avait rapidement déchanté quand le sédéiste de l'Ordre avait dégainé un poignard. Non pas pour le sectionner doigt par doigt, mais phalange par phalange.

Il était mort en se vidant de son sang, sans avoir trouvé la réponse.

Aelyn la trouverait-elle ?

Il la regarda avec un air désolé, et cependant qu'elle essayait de sauver misérablement sa vie en lui disant tout et n'importe quoi, mensonges et vérités confondues, il sanctionna férocement ce nouvel échec de sa part.

Tout doucement cette fois…

Elle sentit distinctement son articulation protester, résister, gémir, implorer… Puis rompre. Les tendons se déchirer, et hurler d'une voix muette alors qu'ils étaient brutalement arrachés à leur trajectoire naturelle. Sellig n'aurait su dire combien de temps elle allait prendre avant de craquer, mais il n'était pas pressé. Il avait tout le temps devant lui, et dix doigts étaient en général amplement suffisants pour briser une personne non-entraînée. Seuls les idiots souffraient, car même lorsqu'ils essayaient de toutes leurs forces d'échapper à leur sort, ils échouaient encore à trouver la réponse. Avec la moitié d'une main, Aelyn avait encore du temps avant de pouvoir être qualifiée d'idiote. Mais elle parlait déjà beaucoup plus vite, et le Canthui trouva satisfaisante sa propension à jouer le jeu. Elle n'avait pas trop le choix après tout. Il était toujours intéressant de plonger dans les angoisses des gens, de les laisser déverser leurs peurs les plus profondes, leurs doutes, leurs inquiétudes. Ils essayaient de lire en lui pour deviner ce qu'il avait envie d'entendre, et lui en retour lisait en eux pour déterminer s'ils étaient proches ou non de trouver la réponse…

- Je n'ai pas le choix, vous savez… J'ai absolument besoin que vous me répondiez. Je vous promets que j'arrêterai de vous faire du mal dès que vous cesserez de résister. Alors ?

Il la regardait intensément, et ses paroles presque sympathiques, voire compatissantes, tranchaient avec sa violence crue. Il était à la fois son bourreau et sa main tendue. Son pire et ennemi et son meilleur allié. Les deux hommes qui retenaient la guérisseuse n'avaient pas ouvert la bouche : ils n'étaient que des ombres sans nom et sans visage. Il n'y avait qu'eux deux en réalité. Aelyn et Sellig, et cette pluie qui les isolait de tout, et ces flammes qui ne dispensaient aucune chaleur, et cette promesse tacite entre eux. La réponse contre le salut.

Un éclair de déception passa dans les yeux de Sellig.

Elle échouait pour la quatrième fois…

Son index n'y résista pas, et les mêmes plaintes hurlées à s'en briser la voix s'élevèrent dans le ciel enténébré du Rohan. L'aube pointait déjà, mais la chaude lumière de l'astre du jour n'était pas encore venue dissiper les ombres et les monstres qui y rampaient. Le matin n'était pas encore là pour chasser les cauchemars, faire disparaître les mauvais rêves, et rasséréner les dormeurs. Pour l'heure, la nuit était reine, et ses princes étaient la peine et la désolation.

Avec la même lenteur mécanique, Sellig s'empara du pouce de la jeune femme, et lui expliqua sur un ton avenant :

- C'est toujours le pouce le plus douloureux.

Il s'apprêtait à ajouter quelque chose, probablement en rapport avec la fameuse réponse qu'il attendait, mais quelque chose attira son attention…

Un mouvement dans la nuit.

Ses yeux s'agrandirent tout à coup de surprise…


~ ~ ~ ~


Tag sellig sur Bienvenue à Minas Tirith ! Iran10

Le cœur d'Iran s'était fendu quand elle avait vu Learamn s'effondrer devant sa monture.

C'était sans nul doute la goutte de trop.

Le jeune capitaine, elle l'avait découvert depuis qu'elle avait appris à le connaître, avait sacrifié tellement dans sa lutte contre l'Ordre de la Couronne de Fer. Il avait été affronter des ennemis terribles, et dans sa guerre contre eux il avait perdu l'usage de son pied, sa faculté à monter à cheval, et par conséquent le respect qu'il avait pu conquérir à la pointe de l'épée. Trop jeune pour son grade, trop faible pour son rang, trop innocent pour cette vie… Il avait repoussé toutes les limites, allant jusqu'à se parjurer auprès de son Vice-Roi et modèle pour faire ce qu'il croyait juste. Il n'avait reculé devant rien, devant aucun danger, devant aucune humiliation, devant aucune menace. Mais la mort de son cheval était insoutenable.

Iran n'aurait su dire pourquoi, mais tout à coup elle éprouva un élan de compassion soudain pour cet officier ballotté par la vie, malmené par l'orage qui s'abattait aussi bien sur sa vie que sur ses épaules. Ils n'appartenaient pas au même peuple, ni au même monde… Elle était une guerrière du Rhûn, et lui était un Occidental. Ils n'avaient rien en commun, et pour ainsi dire tout les opposait. Leurs allégeances, leurs conceptions du monde… Leurs passés et leurs futurs les menaient forcément à s'opposer, de la même manière que Rokh et le Vice-Roi Mortensen n'avaient eu d'autre choix que de s'entre-détruire. Ils avaient été élevés dans ce but. Elle aurait dû se réjouir de voir Learamn brisé ainsi, à genoux… mais elle n'y parvenait tout simplement pas. Elle ne comprenait pas pourquoi, mais elle ressentait sa peine.

Elle la partageait, même.

Les larmes qui coulaient sur ses joues étaient celles du capitaine, et elle avait envie de le prendre dans ses bras comme un frère d'armes. Pour le soutenir. Pour le garder en vie. Pour lui dire que malgré tout ce qu'il avait perdu, il avait encore des raisons de combattre. Elle ne trouva pas le courage de laisser parler son cœur. Quelque chose la retint. Peut-être ces milliers d'années de haine réciproque entre l'est et l'ouest. Peut-être simplement la peur insidieuse de perdre une partie d'elle-même si elle se laissait aller à considérer Learamn au même titre qu'un Rhûnadan. Si elle comprenait l'ennemi, alors elle servait son royaume de la meilleure des façons. Si elle compatissait avec l'ennemi, elle s'égarait déjà. Et si elle en venait à aimer l'ennemi ? Ne trahissait-elle pas ses pères et ses mères ? Tous ses ancêtres qui avaient lutté pour restaurer l'indépendance des peuples de l'est, face à la cruauté des gens d'ici… tous ces ancêtres qui lui avaient raconté comment le tyran Elessar avait soumis à lui les clans du Rhûn, massacrant ses ennemis, déportant femmes et enfants pour briser le pouvoir local des anciens chefs. Son règne était inscrit dans l'histoire de son peuple comme une grande tragédie. Et les gens du Rohan avaient été complices de ceci. Learamn descendait de ceux qui, l'épée à la main, avaient forcé son peuple à mettre un genou à terre. Ceux qui, à la chute du Seigneur Sombre, avaient voulu détruire le peuple de Rhûn.

Et pourtant…

Pourtant quand elle le voyait ainsi, elle ne pouvait pas le haïr. Il n'était pas qu'un nom sur un vieux manuscrit poussiéreux, ou une figure honnie décrite habilement par un conteur… Elle voyait l'homme sous l'armure, l'enfant sous l'étalon sur fond de sinople. Sa colère envers les peuples de l'ouest s'écoulait avec ses larmes, et elle comprenait malgré elle qu'elle ne mourrait pas en établissant une alliance de circonstance avec un de ces misérables Occidentaux. Elle trouverait la mort en combattant avec un précieux allié, qui lui avait tendu la main et avait accepté de la suivre dans sa vendetta quand personne n'avait daigné poser le regard sur elle. Elle mourrait avec lui, pour le même objectif. Elle mourrait pour lui, avec en ligne de mire sa vengeance qui lui semblait aujourd'hui inatteignable.

Rokh n'était plus. Elle avait fait de son mieux pour préserver sa mémoire, et pour apporter un peu de réconfort à son âme dans l'après-vie. En éliminant ceux qui avaient mis un terme à son existence, elle lui permettrait de trouver le repos auprès de Melkor et de ses ancêtres. Mais elle savait que son entreprise était vouée à l'échec. Elle l'était depuis le début, en réalité. Et peut-être était-ce ce qu'elle avait toujours recherché en définitive : perdre la vie en sauvant l'esprit de Rokh. Le rejoindre enfin, et lutter à ses côtés jusqu'à la fin des temps.

Quelque chose lui disait que c'était mieux ainsi.

Que cela ne pouvait finir autrement.

Quand Learamn essaya de la dissuader de le suivre, elle se contenta de lui poser un doigt sur ses lèvres. C'était un geste d'une douceur inhabituelle chez la guerrière, dont le regard trahissait à la fois sa profonde détermination et le regard nouveau qu'elle portait sur le capitaine. Elle ne le considérait plus seulement comme un partenaire, mais bien comme un véritable compagnon d'armes. Un compagnon qui lui avait sauvé la vie, et qu'elle sauverait en retour en donnant sa vie pour la sienne. Il semblait avoir accepté cette réalité, à moins qu'il n'eût pas conscience que la mort leur tendait les bras. Dans leur état, avec un seul cheval et leurs blessures, ils n'avaient tout simplement aucune chance. Mais ce n'était pas une raison suffisante pour arrêter. Ils étaient des soldats, après tout… Ils n'avaient d'autre option que de se mettre en selle, et de chevaucher fièrement vers leur destin.

Iran prit les rênes, et les mena sur le sentier étroit qui descendait jusqu'au petit hameau consumé par l'incendie. Son cheval au pied sûr trouvait facilement le bon appui, et il ne semblait pas peiner autant qu'on aurait pu le penser sous le poids de deux cavaliers. Ces montures étaient taillées pour la guerre et l'endurance, capables de porter de lourdes charges et de manœuvrer habilement, même si elles n'avaient la même puissance et la même vitesse que les grands chevaux occidentaux. C'était une monture docile, obéissante, et qui ne craignait pas de se jeter au cœur de la bataille. La guerrière flatta l'encolure de son compagnon de route, et l'immobilisa en arrivant à petite distance du village :

- Nous ne pouvons pas simplement entrer l'arme au poing, au risque de nous faire massacrer sans avoir même le temps de voir nos ennemis. J'ai réfléchi à un plan.

Elle savait que Learamn était aux commandes ici, et qu'elle n'était qu'une invitée sur ses terres, mais elle le savait encore trop affecté et trop bouleversé pour raisonner logiquement. S'ils voulaient avoir une chance d'infliger le maximum de pertes aux hommes qui avaient enlevés Aelyn, ils devaient s'y prendre avec méthode, et ne pas céder à leurs élans de rage et de colère. Iran descendit de selle, et tendit les rênes au capitaine :

- Il s'appelle Keyvan… Dans votre langue, cela désigne la planète Saturne, qui est un symbole important pour les miens. C'est un noble ami. Keyvan vous guidera dans la bataille, et vous le protégerez avec votre épée.

Iran avait toujours pensé que son cheval prendrait sa retraite avant elle-même. Elle l'avait imaginé coulant de vieux jours paisibles à Blankânimad, après avoir servi fidèlement la Reine et Melkor. Aujourd'hui, si la perspective de mourir ne l'effrayait pas, le sort de son cheval était source d'inquiétude. Que se passerait-il s'il tombait, percé par les lames de leurs ennemis ? Que se passerait-il s'ils le capturaient, et s'enfuyaient avec ? S'il vivait ses derniers jours à transporter un meurtrier sans foi ni loi ? S'il était vendu et transformé en bête de somme, fouetté et insulté ? La guerrière s'efforça de contrôler ses tremblements nerveux, même si sa voix était moins assurée.

++ Prends soin de lui ++ souffla-t-elle à Keyvan dans sa langue natale.

Puis elle revint à l'officier, et lui expliqua comment elle comptait procéder :

- Je vais entrer dans le village en premier. Si je peux repérer Dame Aelyn et trouver un angle de tir pour utiliser mon arc, votre arrivée serait être une diversion parfaite. Une fois que nous serons révélés tous les deux, peu importe combien j'aurais pu en abattre, il nous faudra lutter de toutes nos forces.

Elle marqua une pause, avant d'ajouter :

- Le plus important, c'est que vous fassiez preuve de patience… Laissez-moi le temps d'approcher, laissez-moi le temps de me mettre en position. Je sais que vous mourez d'envie de les charger tête la première, et moi aussi… Mais si vous faites cela, alors nous n'aurons aucune chance de sauver Dame Aelyn. Pensez à elle. Elle est peut-être toujours en vie, à attendre notre arrivée. Jamais vous ne feriez passer vos sentiments personnels avant sa propre sécurité.

Il l'écoutait d'une oreille distraite, visiblement perdu dans ses pensées, et elle insista en lui prenant les mains dans un signe d'affection et de soutien :

- Learamn, fit-elle avec une familiarité surprenante.

Elle voulut lui dire quelque chose. Peut-être des mots d'adieu… Peut-être des remerciements… Peut-être lui dire à quel point elle était honorée de mourir à ses côtés… Les mots restèrent coincés dans sa gorge nouée. Mais ses yeux brillants d'émotion exprimaient tout cela à la fois, et elle serra un peu plus fort les mains du capitaine qu'elle tenait toujours entre les siennes.

Puis, sans rien ajouter, elle s'évanouit dans la nuit.


~ ~ ~ ~


La lame était pleine de sang en se retirant sèchement des chairs où elle était plantée. Il y eut un grognement de douleur et de surprise mêlées, accompagné par les cris de guerre des âmes effrayées qui se battaient pour ce qui était juste. Aelyn n'aurait pu prévoir ce qui allait se passer, pas davantage que Sellig et ses hommes, qui avaient été contraints de battre en retraite précipitamment, abandonnant l'un d'entre eux à la fourche qui venait de le transpercer au niveau des reins. Alors qu'il s'écroulait lourdement sur le sol, le misérable qui retenait la guérisseuse par la gorge dévoila l'identité de celle qui l'avait tuée. Une femme à laquelle Aelyn devait beaucoup en cette triste soirée.

La doyenne.

Ses yeux sévères et sa mine déterminée forcèrent les hommes de Sellig à reculer précipitamment, pour se placer hors de portée de cette furie vengeresse qui, accompagnée de ses deux filles, s'était approchée de l'objet de toutes les convoitises que représentait Aelyn avec l'intention de la défendre. Sa voix unique retentit comme une menace à prendre au sérieux :

- Reculez tous, bande de scélérats ! J'ai embroché votre copain, je peux très bien recommencer !

Comme un seul homme, ils s'exécutèrent, sans prendre le risque de porter encore la main à leurs armes. Trois femmes contre une douzaine de soldats entraînés de l'Ordre de la Couronne de Fer… Les chances n'étaient pas en la faveur des premières, et Sellig savait parfaitement qu'il avait l'avantage. Il lui suffisait d'attendre la bonne opportunité. En attendant, son regard se porta sur Aelyn, vers qui la doyenne s'était penchée pour prendre de ses nouvelles. Rolf l'avait salement amochée, mais ses doigts brisés étaient un traumatisme à la fois beaucoup plus violent et handicapant. Les mains d'une guérisseuse, son meilleur outil pour soigner son prochain, pour apaiser les maux des malades, mais aussi pour confectionner ses remèdes et ses décoctions. Le Canthui fit claquer sa langue.

Six.

Il lui restait encore six doigts valides.

Cinq sur la main gauche, et ce fameux pouce qu'il n'avait pas eu le temps d'arracher comme on arrachait la cuisse d'un poulet. Elle n'avait pas encore eu l'occasion de goûter à la véritable souffrance, hélas. Mais cela viendrait bien assez tôt. Lui et ses hommes se jetèrent un regard, et ils commencèrent à se déployer tout doucement, formant un arc de cercle pour envelopper les trois femmes et leur proie.

Cependant qu'ils procédaient, la doyenne s'était penchée vers Aelyn, une infinie tristesse dans le regard. Même sans connaître la jeune femme, son état ne pouvait que susciter la pitié et un élan naturel de compassion. Passée violemment à tabac comme une vulgaire putain cognée par un client ivre, elle avait subi une torture à laquelle les hommes les plus vaillants n'auraient pas résisté. Le sang qui coulait de ses nombreuses plaies au visage, ses mains tremblantes, ses doigts arqués, et son regard hébété témoignaient tous à leur manière de l'inhumanité de son traitement. Elle avait fait preuve d'un courage extraordinaire pour endurer tout ceci, et pour oser se présenter face à ces hommes en sachant pertinemment qu'ils allaient lui faire vivre un véritable calvaire. La grand-mère ne pouvait s'empêcher de se sentir affreusement coupable. Comment avaient-elles pu laisser Aelyn affronter seule un tel danger ? Ses hurlements déchirants avaient porté jusqu'à la maison familiale, malgré le vent et la pluie, et avaient convaincu les trois femmes de sortir à la rencontre de ces hommes pour prêter main-forte à cette inconnue. Elles avaient laissé les deux petites dans la demeure, à l'abri, et avaient accouru pour porter secours à une sœur rohirrim en passe de se faire tuer par de sinistres assassins. Même si elles étaient en infériorité numérique, même si tout semblait jouer contre elles, elles ne pouvaient pas laisser Aelyn mourir pour les défendre… pas davantage qu'Aelyn n'avait pu les laisser se sacrifier pour la sauver. Prises dans ce cercle d'assistance mutuelle duquel elles ne pouvaient s'échapper, elles étaient aussi bien à faire face à leur destin toutes ensemble.

- Je suis désolée, fit la plus âgée à la guérisseuse à voix très basse.

Sans lâcher sa fourche, elle essaya de tirer la blessée vers la maison, où elles pouvaient envisager de se retrancher, de se barricader, de se protéger. Certes ils incendiaient les maisons, certes ces tueurs semblaient prêts à tout, mais en l'absence d'une stratégie cohérente elles faisaient ce qu'elles pouvaient pour gagner du temps. Cependant, à une seule main il était difficile de traîner une personne adulte, et la doyenne s'avoua rapidement impuissante. Sellig, la voyant faire, prit la parole :

- Vous êtes très braves, mesdames… Cependant, vous devriez rentrer chez vous, vous enfermer soigneusement, et prier pour que j'oublie votre existence. Cette femme est à moi, et vous n'avez aucune chance de nous échapper.

Les hommes continuaient à se déployer, et la doyenne vit venir le piège. Si elles s'élançaient maintenant, elles pouvaient peut-être espérer rejoindre leur abri, mais elles n'y parviendraient jamais avec Aelyn dans cet état. La pauvre pouvait à peine tenir sur ses jambes, encore moins marcher ou courir pour se protéger d'une bande de sicaires assoiffés de sang. Comprenant que la situation était désespérée, la grand-mère se pencha de nouveau vers Aelyn pour lui glisser quelques mots réconfortants à l'oreille :

- Tout va bien… Tout va très bien…

C'était un pieux mensonge que l'on disait aux enfants pour les aider à accepter les tragédies du monde. Pourtant la future mère n'était pas une enfant, et ces mots avaient une toute autre fonction. Détourner l'attention, pendant qu'un petit poignard glissait dans la main gauche de la jeune femme encore étendue sur le sol. Le transfert s'était effectué dans la plus grande discrétion, mais les deux échangèrent un regard entendu. Un regard qui disait « quand le moment viendra, vous ne devrez pas hésiter ». Même si cela allait contre ses principes, même si cela allait contre toute morale, elle n'avait pas d'autre choix que de se battre de toutes ses forces si elle souhaitait repartir d'ici en vie… ou à tout le moins protéger la Terre du Milieu du danger que représentait Sellig et ses rêves de grandeur pour l'Ordre de la Couronne de Fer.

Quitte à mourir, autant mourir pour quelque chose.

La doyenne se redressa et répondit d'une voix autoritaire :

- Vous devriez rentrer chez vous, étranger… Vous ne connaissez pas les femmes du Rohan, mais vos hommes si, vraisemblablement. Regardez comme ils tremblent dans leurs chausses.

Sellig ne put s'empêcher de regarder ses sbires, cherchant à déceler la faiblesse chez eux. Ils dégageaient une grande confiance en groupe, assurément, mais individuellement ils semblaient beaucoup plus prudents et attentifs. La fourche n'était pas une arme noble, loin de là, mais plus d'un bretteur habile s'était retrouvé surpris par un paysan audacieux. La chance du débutant, disait-on parfois. Personne n'avait envie de se faire ouvrir les boyaux par une arme aussi rustique que dangereuse…

- Vous voyez, reprit la doyenne. Des lâches. Vous voulez nous tuer ? Venez donc ! Vous goûterez au même fer que votre camarade !

Menaçante elle l'était. Impressionnante aussi. Son courage était digne d'être chanté dans les contes et les légendes, alors qu'Aelyn ne connaissait même pas son nom. Mais ce n'était peut-être pas l'essentiel, finalement. Elle incarnait cette figure de bonté et de dévotion dont le Rohan avait besoin, cette force résolue, prête à se dresser contre tous les complotistes et les machinateurs qui ruinaient les espoirs de paix et d'harmonie pour les Peuples Libres. Trois femmes et leurs armes de fortune, ici une fourche, là un couteau large, là encore une gourdin solide… Trois innocentes face à une armée de tueurs professionnels surentraînés, qui avaient déjà passé par le fil de l'épée des adversaires bien plus coriaces, qui avaient survécu aux batailles les plus effroyables, et à la vengeance des ennemis de l'Ordre. C'était à la fois beau et épique.

Et comme souvent, ces épopées s'achevaient dans le sang.

Sellig dégaina son épée, et d'un signe il lâcha ses chiens de guerre vers les trois gardiennes d'Aelyn. Sa frêle ligne de défense face au malheur. Un bouclier de papier face à la rage enflammée des rescapés de l'Ordre.

Et comme un symbole, toutes trois marchèrent à leur rencontre, refusant de leur céder un pouce de terrain.



~ ~ ~ ~


Tag sellig sur Bienvenue à Minas Tirith ! Iran10

Le vacarme du combat cessa brusquement.

Les lames cessèrent de s'entrechoquer, les cris cessèrent de retentir, et un calme surnaturel retomba sur le village. Iran respirait fort, pour contenir la douleur dans son flanc. Elle pressait une main fébrile sur sa plaie, essayant de canaliser la perte de sang. Quand elle restait tranquille, elle pouvait reprendre des forces, mais dès qu'elle bougeait le saignement reprenait de plus belle, et la douleur la transperçait. Elle secoua la tête pour chasser ces pensées parasites, et vérifia que sa queue de cheval était bien serrée. Elle ne voulait pas avoir les cheveux dans les yeux pour ce qui allait suivre, et pour lequel elle devait être totalement concentrée. Adossée à une maison, elle avait entendu le son de l'engagement, et avait d'abord cru que Learamn avait oublié ses consignes et s'était jeté bêtement dans la mêlée. Elle avait été moyennement soulagée en constatant que ce n'était pas lui qui affrontait les tueurs qui avaient enlevés Aelyn. C'étaient des cris de femme qu'elle entendait, et alors qu'elle se rapprochait discrètement, elle avait entendu distinctement que le combat impliquait un trop grand nombre de personnes pour qu'il s'agît seulement de la furie d'un cavalier isolé.

Mais elle arrivait trop tard, tout semblait déjà terminé.

Iran se pencha rapidement, pour essayer de glaner un aperçu de la situation. Et ce qu'elle vit n'était guère rassurant. Trois silhouettes féminines étaient étendues par terre. Des paysannes à en juger par leur accoutrement. Deux d'entre elles ne respiraient plus du tout, à l'évidence, tandis que la troisième s'agitait encore. Elles avaient à l'évidence lutté de toutes leurs forces contre un ennemi nettement supérieur en nombre, et n'avaient pas fait le poids. Pourtant elles avaient emporté avec elles un homme, et semblaient en avoir blessé un second. Toutes n'étaient pas tombées, cela dit : il en restait une quatrième, qui se tenait debout, encerclée par trois adversaires qui brandissaient leurs épées dans sa direction. Elle regardait ailleurs, mais Iran ne pouvait pas voir ce qui attirait ainsi son attention. Ou plutôt l'attention de toutes les personnes rassemblées là. Elle essaya de se concentrer pour entendre ce qu'ils se disaient, mais la pluie tombait dru et elle était trop loin pour saisir le sens de leurs paroles. Elle vit seulement un des tueurs s'approcher de la femme au sol, et la forcer à regarder quelque chose. Un autre, qui paraissait commander à la petite compagnie, sembla donner un ordre, et dans la seconde le cri déchirant de la femme debout se fit entendre.

Celle-ci se jeta inutilement sur les lames qui lui barraient la route, et elle finit transpercée par les trois épées qui se dressaient sur son chemin. Cruels et violents, ses assassins abattirent leurs lames sur elle alors qu'elle gisait au sol, comme pour s'assurer qu'ils en avaient bien fini avec elle. Iran ferma les yeux, en essayant de se convaincre qu'elle n'aurait rien pu faire pour elle de toute façon. Mais le cauchemar ne semblait pas encore terminé… Deux silhouettes apparurent bientôt : un homme, qui amenait avec lui une jeune fille qu'il tenait à la merci d'un poignard. Que faisait donc là cette enfant ? Était-elle la fille d'une des infortunées victimes ? Le chef et l'homme qui l'avait capturée échangèrent quelques mots, puis un rire général s'empara des tueurs. L'homme au poignard et sa jeune captive s'éloignèrent bientôt, en direction d'une bâtisse proche. Iran ignorait quelle âge avait l'enfant, mais elle était beaucoup trop jeune… et il y avait assez peu de doute sur ce que cet homme envisageait de lui faire subir. La façon dont il avait refermé ses mains épaisses sur ces hanches encore trop fines était révélatrice.

De là où elle se trouvait, Iran n'entendait rien, mais elle voyait beaucoup. Elle voyait qu'ils discutaient, et que l'homme qui était de toute évidence le chef rassemblait ses fidèles. La guerrière les compta mentalement. Les trois à l'épée, celui au poignard qui avait désormais disparu de son champ de vision, le chef, le blessé qui s'appuyait lourdement sur un de ses compagnons, et encore quatre autres. Cela faisait onze hommes.

Onze.

Elle avait parié sur sept ou huit, et déjà ses estimations n'étaient pas optimistes. Mais alors onze ? Onze guerriers aguerris, prêts à tout pour défendre leur prise et empêcher que quiconque vînt sauver cette femme encore en vie qui était peut-être Aelyn – Iran était trop loin pour le dire avec certitude. La situation était encore plus compliquée que prévu… L'Orientale compta ses flèches. Elle n'en avait que huit. Même pas assez pour tuer tous ces malandrins, à supposer qu'elle atteignît toutes ses cibles. Elle en planta deux dans le sol devant elle, et retira la fine couche de tissu en toile serrée qui protégeait la corde de son arc des intempéries. Prenant soin de se mettre à l'abri des éléments, elle encocha une flèche, tout en prenant le parti d'en coincer une seconde entre ses dents. Elle gagnerait quelques précieuses secondes, de quoi faire pleuvoir un déluge mortel sur ses ennemis, et peut-être en tuer deux ou trois, si elle était chanceuse.

Elle inspira profondément, puis expira lentement.

Elle était prête.

Désormais, tout dépendrait de Learamn, et de la façon dont il approcherait la situation. Dès qu'elle l'entendrait, dès qu'elle le saurait sur le point d'embrocher leurs ennemis, elle délivrerait ses quatre tirs en espérant toucher au but le plus souvent possible, avant de plonger dans la mêlée en faisant parler sa science de l'épée. Accroupie sous l'auvent d'une maison battue par la tempête, elle essayait d'apaiser les battements de son cœur. Chaque seconde qui passait était une véritable torture, et elle aurait voulu voir Learamn surgir enfin. Il était plus que temps de mettre un terme aux agissements de l'Ordre de la Couronne de Fer, de ces traîtres qui répandaient le feu et le sang dans leur sillage. Iran tremblait de tout son être, plus impatiente qu'elle l'avait jamais été durant toute sa vie.

Le cri d'une fillette retentit brusquement.

La guerrière serra les dents. Elle devait se persuader qu'elle ne pouvait rien faire en attendant l'arrivée providentielle de Learamn. C'était lui, le signal. C'était lui qui devait déclencher l'assaut. Elle pria pour le voir arriver bien vite, car les hurlements juvéniles qui lui parvenaient malgré la distance étaient absolument insoutenables.
Sujet: Baroud d'horreur
Ryad Assad

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Rechercher dans: Les Champs du Pelennor   Tag sellig sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Baroud d'horreur    Tag sellig sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySam 18 Oct 2014 - 2:11
Il courait à travers les fourrés, se déplaçant bien moins silencieusement qu'il l'aurait dû, mais tant pis ! Il avait d'importantes nouvelles à annoncer, et on lui avait demandé de faire preuve de célérité. Pour l'instant, la rapidité était presque aussi importante que la discrétion, s'ils voulaient arriver à leurs fins. Ainsi, bien qu'épuisé, affamé et assoiffé, il continuait à avaler les mètres, à écarter les branches basses qui se dressaient sur son chemin et qui paraissaient ne pas vouloir le laisser aller de l'avant. Il progressait tant bien que mal, mû par une énergie prodigieuse, et par une crainte qu'il ne s'expliquait pas. Il avait peur, oui. Peur ce qui se trouvait sur ses talons, de qui avait pu le repérer et le suivre depuis qu'il avait quitté le monde habité. Peur également de ceux vers qui il s'en retournait, et qui l'effrayaient plus que la plupart des êtres humains pouvaient le faire. Pourtant, il n'était pas un couard, et on pouvait même dire qu'il avait eu ses heures de gloire par le passé. Mais depuis quelques temps, la situation avait changé, et il était passé du prédateur à la proie, du traqueur à la bête traquée, isolée, et cruellement soumise aux aléas de la vie. Mais peut-être... peut-être que tout ceci leur permettrait enfin de retrouver leur place, de sortir de la clandestinité dans laquelle ils avaient plongés.

En dépit de l'obscurité, il reconnut le chemin qu'il avait mémorisé par cœur avant de partir, et bifurqua là où les branches du chêne aux racines noueuses croisaient celles du bouleau, au point de former sur moins d'un mètre une petite arche qu'ils avaient identifiée très rapidement en explorant les environs. Ils en avaient fait le point d'entrée de leur campement secret, et il savait qu'arrivé là, il devait encore parcourir une trentaine de mètres, avant de s'arrêter et de se mettre à siffler selon un air particulier. Les guetteurs qui se trouvaient là ne plaisantaient pas avec la sécurité, et deux jours auparavant, il avait failli ne jamais pouvoir regagner le campement, après avoir temporairement oublié la mélodie qu'il devait donner comme mot de passe. Il avait dû faire un effort de volonté, le vide dans son esprit, pour parvenir à retrouver le refrain de cette chanson assez triste, qu'il avait aussitôt sifflé avec un sentiment de soulagement. En effet, quand il s'était avancé à découvert en direction de ce qui ressemblait à une vieille mine abandonnée, il avait été satisfait de ne pas recevoir un trait mortel en pleine poitrine. Et lorsqu'il avait poussé la fragile porte en bois, il n'avait pas été accueilli par la lame froide d'une dague glissant entre ses côtes. Au lieu de quoi, il avait eu le droit à un regard sombre, un salut à peine grogné, et un signe de la main lui indiquant de filer faire son rapport.

Aujourd'hui encore, les choses se passèrent ainsi, et il pénétra en baissant la tête dans la mine. Il y faisait sombre et froid, comme si elle était totalement abandonnée, mais il savait que dans une des salles que les travailleurs avaient aménagés pour se reposer, stocker de l'eau et des onguents, ses supérieurs avaient élu domicile. Oh certes, ils n'entendaient pas rester bien longtemps. Pas plus de quelques jours, en vérité. Ils étaient tout à fait conscient du caractère précaire de leur situation, et ils savaient qu'ils avaient sur le dos des poursuivants qui ne leur permettaient pas de s'attarder plus d'une semaine au même endroit. S'ils s'autorisaient un repos que leurs corps réclamaient à grands cris, ils finiraient réveillés par les cris d'une bande armée venue leur fondre dessus pour leur régler leur compte... s'ils se réveillaient jamais. Après tout, on disait que parmi ceux qui les traquaient se déplaçaient des esprits, des spectres. Un fantôme qui se glissait au milieu des dormeurs, et qui leur ôtait la vie silencieusement et toujours sans laisser de traces. On murmurait son nom, mais il était malvenu de le prononcer ici, si on ne voulait pas s'attirer les foudres de tous les autres. La situation était déjà compliquée, inutile de rajouter du stress à quiconque.

Tâtonnant le long des murs de pierre soutenus à intervalle réguliers par de belles poutres qui s'affaiblissaient à mesure que les années passaient, il suivit le chemin unique qui s'enfonçait en pente douce dans les entrailles de la terre, après avoir descendu un escalier qui l'avait mené au niveau où on menait les excavations. Les toiles d'araignée peuplaient sa route, et il fit un effort notable pour éviter de les déranger. Conserver les lieux intacts, et donner l'illusion qu'ils étaient véritablement inhabités, telle était leur façon de procéder pour perdre un peu plus les hommes qui les traquaient, et qui finissaient toujours par mettre la main sur leurs cachettes. Une journée de gagnée parce qu'on s'était montré prudent, cela pouvait signifier une journée de plus à chasser pour obtenir de la viande fraîche, avant de devoir reprendre la route en évitant les dangers qui s'y promenaient. Quand on savait à quel point l'étau se resserrait autour d'eux, chaque seconde arrachée à leurs ennemis était précieuse.

Il s'engouffra dans un boyau que rien ne différenciait des autres, mais qu'il savait être le bon. Il avait compté soigneusement, et il ne s'était pas trompé. On lui avait dit de faire attention, car personne n'avait exploré la mine jusqu'au fond, et il pouvait marcher pendant des heures avant de se rendre compte qu'il s'était trompé de chemin. Et ensuite, pour se retrouver... Mieux valait ne pas y penser, et ne pas commettre d'erreurs. Ses pas ne produisaient presque aucun son sur le sol, et seule sa respiration de plus en plus rauque rompait le silence qui l'aurait sinon enveloppé tout entier. Il ne se retenait pas, conscient que sans un son, il serait devenu complètement fou. Il avait besoin de se rassurer, de se convaincre que la vie l'habitait toujours, et qu'il n'était pas soudainement entré dans les ténèbres de la mort. Tant qu'il percevrait les bruits de son corps éreinté, il saurait qu'il était en vie, et il en tirait une forme de satisfaction. Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir, dit-on.

Il finit par repérer une lumière vacillante qui brillait au loin, et son cœur s'emballa à la pensée du bon repas chaud qui l'attendait. Oh certes, il serait plus chaud que bon, mais par les temps qui couraient, il valait mieux ne pas faire le difficile. Ce serait, comme souvent, une soupe assaisonnée avec ce qu'ils auraient pu trouver : quelques herbes aromatiques, peut-être un peu de pain s'ils étaient chanceux. Guère plus. Ils partageraient les rations équitablement, et se délecteraient de chaque cuillérée avant d'aller dormir, essayant de rester confiants quant à leur sort. Ne pas penser qu'ils avaient une chance d'échouer, c'était la seule façon de se ménager une chance de réussir.

Au bout d'un moment qui lui parut une éternité, comme si la flamme solitaire qui brillait dans son champ de vision s'éloignait à mesure que ses pas le poussaient à s'en rapprocher, il finit par déboucher dans une pièce où il fut accueilli par un peu de chaleur, et une dizaine de paires d'yeux qui le regardèrent avec lassitude. Tous étaient au bout du rouleau, et on lisait dans leurs gestes, dans leurs yeux, une forme de résignation qu'il était de plus en plus difficile de supporter. Dans tous les yeux sauf dans un regard, qui brûlait toujours d'une détermination féroce, et qui permettait à tous les autres de tenir le choc. C'était sans doute grâce à lui qu'aucun d'entre eux n'avait encore déserté. Naturellement, ils savaient qu'ils n'avaient aucune chance de s'en sortir seuls dans le monde extérieur, qu'ils seraient traqués, qu'ils seraient retrouvés, et qu'ils finiraient tués sans la moindre pitié. Toutefois, après des mois passés à courir et à se cacher, ils ne pouvaient plus supporter l'obscurité dans laquelle ils baignaient quotidiennement, et ils n'aspiraient plus qu'à courir au dehors, respirer l'air pur et frais de la forêt qui s'éveille au petit matin, quitte à recevoir dans la seconde qui suivrait un carreau d'arbalète entre les épaules. Mais lui parvenait à chasser cette idée saugrenue de leur esprit, et à les focaliser sur quelque chose de plus grand, de plus important. Grâce à lui, ils avaient un objectif, un espoir, et une perspective pour le futur.

Il n'y eut pas un mot, mais les regards furent éloquents, et on se comprit sans avoir besoin de s'exprimer à haute voix. Un des hommes sortit un récipient en étain, et servi deux louchée de soupe au nouveau venu, qui s'installa et but bruyamment, sans se soucier de tous les regards qui étaient posés sur lui. On y lisait une forme d'impatience, d'excitation, mais aussi de crainte. Si les choses ne marchaient pas comme prévu, ils pouvaient tous y laisser la vie, et ils devaient donc se montrer prudents, ne pas se laisser gagner par l'émotion le moment venu. Tout reposerait sur leur capacité à tenir leurs nerfs, qui pour l'heure avaient été mis à rude épreuve. S'ils étaient là, c'était parce que de tous ceux qui restaient, ils étaient peut-être les plus expérimentés et les plus compétents, mais même des soldats entraînés avaient leur limite. Et il fallait croire qu'ils l'avaient dépassée depuis longtemps. Désormais, on allait voir s'ils étaient capables de se transcender pour survivre. De toute façon, s'ils n'y parvenaient pas, ils en subiraient les conséquences bien assez tôt.

Reposant sa cuillère sur le sol, le dernier arrivé s'essuya la bouche d'un revers de manche, et en profita pour chasser les gouttes qui s'étaient perdues dans sa barbe. Il l'avait laissée pousser depuis quelques mois, davantage parce qu'il n'avait jamais trouvé le temps de se raser que parce qu'il avait eu envie de changer de style. Toutefois, il trouvait des avantages : ainsi, il était difficilement reconnaissable, et même si aux yeux de tous il avait l'air un peu hirsute, il avait pris le temps de se raser avant de partir en exploration - pour passer inaperçu - et de tous ses compagnons il était celui qui avait l'air le moins sauvage. Les autres le dévisageaient derrière leurs épaisses moustaches et leurs barbes immenses qui leur tombaient parfois sur la poitrine. Ils étaient méconnaissables, eux qui avaient jadis affiché le visage strict et sévère de combattants imberbes, ils étaient désormais des vagabonds sans identité, qui seraient sans peine passés pour des mendiants dans les rues de n'importe quel village.

- Alors ? Demanda l'un des types d'une voix grave et rocailleuse.

- Quelles nouvelles ? Lança un autre, qui se grattait la tête régulièrement, comme si les poux étaient revenus s'y installer.

L'intéressé tendit les mains près du feu, pour les réchauffer un peu :

- Il marche. Il peut nous faire entrer dans la cité, et nous présenter à quelqu'un qui peut nous fournir des armes là-bas. Il a dit qu'il ne pourrait pas faire rentrer plus de deux d'entre nous sans éveiller l'attention. Après ça, à nous de nous débrouiller.

Les hommes se regardèrent, et murmurèrent entre eux, avant qu'une voix s'élevât :

- Et pour le plan ? Il a un plan ?

- La Reine sera probablement au Palais, avec son mari. S'ils sortent, ils seront bien escortés. Mais là-bas, on a une chance. Il faut simplement faire vite, avant qu'ils repartent.

Il y eut un assentiment collectif. La plupart d'entre eux s'était déjà rendu à Minas Tirith, et ils connaissaient bien la cité. S'y repérer ne leur poserait aucun problème, et ils pouvaient sans peine s'élever dans les niveaux en profitant de l'agitation due au mariage. Toutefois, une fois dans le palais, les choses deviendraient beaucoup plus compliquées. Mais avec de la détermination, ils pouvaient y arriver. Ils n'avaient besoin que d'une opportunité, et leurs problèmes seraient réglés d'un seul coup. Un tel coup d'éclat au beau milieu d'un événement de cette importance était une aubaine qu'ils ne pouvaient pas laisser passer. Restait à savoir s'ils y arriveraient effectivement, ou s'ils seraient pris avant.

- Et pour après ? Il nous aidera ? Qu'a-t-il dit ?

- Si nous réussissons, il est avec nous. Il peut trouver leurs noms, et s'arranger pour s'en débarrasser. Mais nous devons agir avant. Sans ça, il a été clair : il ne nous apportera aucun soutien.

Parmi le groupe rassemblé là, une des silhouettes difficilement reconnaissables n'avait pas encore pris la parole. Loin d'être en retrait, il écoutait avec beaucoup d'attention, et paraissait assimiler les informations, pour mieux en déduire ce qu'il fallait faire. De tous, il était évident rien qu'à voir de quelle manière les autres l'observaient craintivement qu'il était le chef, et que tous attendaient de savoir quelle allait être son verdict. Il se gratta le menton pensivement, et s'éclaircit la voix. Depuis ce fameux jour où leur destin à tous avait basculé, il avait beaucoup changé physiquement, mais son charisme n'avait pas diminué, loin de là. Son visage était encore plus sombre, sa voix encore plus caverneuse, et bien qu'aussi atteint que ses compagnons, la flamme de la détermination continuait à brûler en lui, et à le pousser toujours en avant. C'était cette flamme qui poussait ses hommes à le suivre. Cette flamme, et la crainte de voir une lame en acier leur passer à travers le corps si jamais ils venaient à lui désobéir ou à le trahir. Il lâcha, finalement :

- Toi, et toi, c'est vous qui accomplirez notre mission... Deux hommes... C'est peu, mais vous pouvez y arriver. Je ne viendrai pas avec vous, mais je sais que vous serez à la hauteur. Nous bougerons jusqu'au prochain point de rendez-vous, et nous opérerons la jonction avec les autres. Rejoignez-nous là-bas une fois que vous aurez terminé.
.
Les deux hommes, peut-être un peu plus en forme que les autres, sans doute les plus loyaux et les plus combatifs, hochèrent la tête avec gravité. Ils savaient que les risques étaient grands, mais ils iraient jusqu'au bout. Simplement parce qu'ils n'avaient pas le choix, simplement parce qu'ils n'avaient plus d'autre raison de vivre. Ils avaient mis tout leur cœur dans une entreprise qui s'était achevée avec fracas. Ils avaient tout perdu, et désormais ils étaient rongés par la haine, l'amertume, et l'envie de vengeance. Oui. Même s'ils devaient y laisser la vie, ils iraient jusqu'au bout. Forçant la voix pour rendre une dernière fois hommage à leur chef, ils s'écrièrent comme un seul homme :

- A vos ordres, Canthui !

#Sellig
Sujet: Des renforts...
Aldarion

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Rechercher dans: Fondcombe   Tag sellig sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Des renforts...    Tag sellig sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyMar 25 Mar 2014 - 21:58
Les guetteurs surveillaient depuis longtemps le petit groupe qui avançait dans la plaine aux alentours de l'entrée de Fondcombe. C'était un groupe du trentaine de cavaliers, ils portaient des équipements hétéroclites mais de qualité, le signe caractéristique d'une troupe de mercenaires.

" Ami ou ennemi ?"

De toute évidence ils cherchaient l'entrée de la vallée cachée. Les guetteurs pouvaient soit se signaler et leur indiquer le chemin à suivre ou, au contraire, demeurer cachés et envoyé une troupe plus importante pour se débarrasser des gêneurs. Pour le coup, l'indécision régnait au sein du petit groupe. L'ordre engageait régulièrement des mercenaires. Cependant, ils n'attendaient pas spécialement de renforts. Il s'agissait sans doute de maraudeurs en cavale ou à la recherche d'un emploi. C'était du boulot pour les officiers, pas pour eux. Néanmoins, un des guetteurs, un elfe renégat, remarqua un détail évocateur.

" L'homme de tête, le barbu, il a un tatouage de l'ordre sur le poignet."

Aucun des autres guetteurs n'aurait été en mesure de distinguer un tel détail à une telle distance. L'elfe était un renfort précieux et bien à son poste. Aussitôt, les guetteurs quittèrent leur abri pour faire signe aux nouveaux venus. A mesure qu'ils se rapprochaient, un autre garde reconnut plus précisément l'officier qui dirigeait cette étrange compagnie.

" C'est un Canthui, je ne me souviens plus de son nom, il était assigné à l'Arnor."

~*~

Tag sellig sur Bienvenue à Minas Tirith ! Sellig10

Ceux qui avaient, jadis, connu la Salle du Feu, un endroit empli de calme et de joie, n'auraient sans doute pas pu la reconnaître, transformée en quartier général pour Lammath. De nombreuses tapisseries avaient été brûlées, le sol était poussiéreux et de longs tissus noirs recouvraient les murs. Les fauteuils confortables de jadis avaient été entassé dans un coin de la pièce. Il ne restait plus qu'une grande table recouverte d'un fatras de cartes. Dans le fond, même le feu semblait plus sombre. Enfin, Lammath, ombre oppressante était installé au fond d'un haut fauteuil face à la porte.

" Neleg..."

Sellig inclina la tête dans un signe de respect. Cependant, il n'attendit pas la permission de l'elfe pour commencer à parler. Les nouvelles étaient beaucoup trop importantes et cruciales.

" Je suis porteur de mauvaises nouvelles. Le Roi Aldarion a réussi à échapper à notre contrôle. Sans que nous puissions nous l'expliquer, il a reçu de l'aide extérieure qui lui a permis de se fournir en chevaux. Il a profité de la nuit pour fuir. Pire, nos espions semblent indiquer qu'il se dirige tout droit vers le campement du Tribun Vilyan. L'Arnor risque de nous échapper si nous n'agissons pas."


Il respira un instant. Sellig était réputé pour être grossier, peu habitué aux coutumes du monde mais était connu pour disposer d'une intelligence tactique assez développée. Il avait été un des artisans de la mise en place de la prise de l'Arnor par l'Ordre. Malgré son rang inférieur, il était souvent sollicité par ses supérieurs pour obtenir un avis tactique pertinent.

" J'ai tenté de joindre les Edwen... je n'ai reçu aucune réponse. Pourtant, nous devons à tout pris arrêter Aldarion avant qu'il n'atteigne sa capitale. Malheureusement, avec une petite centaine d'hommes je ne ferai pas le poids s'il rejoint les troupes de Vilyan. Nous devons agir et vite, nous ne pouvons attendre une réponse de nos supérieurs."

Sellig avait directement songé à Lammath. C'était un homme d'action, un véritable chef de guerre qui n'hésiterait pas à prendre des décisions. De plus, second avantage, il disposait de troupes en nombre dont il pourrait potentiellement se séparer pendant un temps. Cependant, il était également réputé pour être instable et dangereux. Le Canthui avait, en conséquence, choisi ses mots avec prudence.

#Sellig #Lammath #Lâmmath
Sujet: Une paisible soirée glaciale
Aldarion

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Rechercher dans: Amon Sûl   Tag sellig sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Une paisible soirée glaciale    Tag sellig sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyDim 6 Jan 2013 - 17:12
Tag sellig sur Bienvenue à Minas Tirith ! Sellig10

Sellig chevauchait en tête sur la Grande Route de l'Est. Il faisait partie de la première patrouille. Afin de s'assurer que personne ne puisse quitter Amon Sul indemne, l'Ordre avait mis à sa disposition une grosse trentaine de cavalier expérimentés. A côté de ça, un groupe hétéroclite d'elfes, de nains et de vagabonds tenaient un petit campement sur la Grande Route de l'Est. Enfin, il avait recruté à Bree des gens de petite condition, des pleutres et des faiblards... s'ils étaient inaptes au combat, ils demeuraient des yeux acérés et Sellig les avait réparti dans un large périmètre autour de la tour. Ils avaient reçu des cors de chasse qu'ils devaient utiliser pour indiquer tout mouvement en direction d'une des deux routes.

Privée de cavalerie, la garnison d'Amon Sul ne tiendrait pas longtemps face aux cavalier de Sellig, surtout en terrain découvert. Cette stratégie lui permettait de garder la pression sur sa cible malgré des troupes en nombre limité.

Sa patrouille venait de revenir à toute allure du croisement entre la route de l'Est et la route du Nord. Quelqu'un au campement avait fait aller le cor et il s'était hâté afin de voir de quoi il retournait. Alors qu'il arrivait au niveau de l'entrée du petit camp, un nain sale et à l'air mauvais s'approcha de lui.

"C'était une fausse alerte Canthui... C'était juste une petite patrouille de rôdeurs... On en a chopé un, les autres on réussit à s'enfuir."

Sa voix était grasse et était loin du charme rocailleux des plus nobles des nains. C'était un roturier, un rustre et un mauvais bougre. Sellig ne l'aimait pas beaucoup mais il n'avait pas beaucoup de choix sur ses compagnons. Il enrageait cependant d'avoir fatigué sa monture inutilement.

" Où est t'il ?"

Le nain lui indiqua un coin un peu à l'écart de la route où un homme était attaché à un piquet de bois. Sellig mit pied à terre et confia sa monture au nain. Celui ci se dirigea avec le reste de la patrouille jusqu'aux écuries. Le second de Sellig, un elfe à l'air cruel et arrogant, le suivi tandis qu'il s'approchait de l'homme qui était assis dans la neige.

"Mauvaise posture hein ?"

Il cracha au sol un mollard digne d'un gobelin, juste à côté du rôdeur. Au même moment, un homme portant la tenue caractéristique de l'ordre entra dans le campement, provenant directement du petit bois en contrebas où il avait visiblement été se soulager.

" Si tu ne veux pas que ça devienne pire, dis moi qui tu es, d'où tu viens et ce que tu fais sur cette route..."

#Sellig
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