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Sujet: Chronologie du Quatrième Âge !
Learamn

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Rechercher dans: Contexte   Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Chronologie du Quatrième Âge !    Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyVen 29 Jan 2021 - 13:52
La voilà enfin! L'Administration et le Staff de Bienvenue à Minas Tirith sont heureux de partager avec vous le nouveau chapitre de la Chronologie du Quatrième Âge faisant suite à la Chute de l'Ordre de la Couronne de Fer. L'an 301 du Quatrième Âge nous aura permis de fermer un chapitre pour en ouvrir un nouveau et poser les bases de la nouvelle trame.
L'immense majorité des évènements référencés ci-dessous ont été joués en rp et il vous suffit de cliquer dessus pour retrouver les sujets si vous voulez approfondir.

Bonne lecture à tous!


Citation :
Légende:

Like a Star @ heaven Evenements majeurs connus de la Terre du Milieu.

Like a Star @ heaven Naissances, morts et couronnements de la royauté.






301 du 4A

Janvier:

-Le 20: Disparition d'un régiment de l'armée de l'Arnor au Rhûdaur

Février:

- Le 12: Sur ordre de Gallen Mortensen, le Capitaine Learamn part à la rencontre du Prince #Orwen pour le convaincre de la nécessité d'un accord politique. Orwen prend la fuite devant les troupes du Roi Fendor.  
-Le 16: Mort de Krohr, Roi des Nains
-Le 21: Orwen est  nommé Ambassadeur du Rohan auprès des Nains. Il s'exile ainsi de sa patrie pour ne pas y  semer le trouble.

Mars:

-Le 5: Début d'un été précoce en Terre du Milieu
-Le 13: #Saemon Havarian, Grand Maître de la Compagnie du Sud, nomme #Ella Desbo Grande Marchande du Sud.
-Le 15 : Exécution de Warin, accusé d'être le dirigeant de l'Ordre de la Couronne de Fer.
-Complotant pour arrêter Taorin, L'arbe Blanc décide d'utiliser les services de Ryad Assad, espion rhûnadan.
-Le 16 : Mariage d'Aldarion et Dinaelin
-Le 17: Des objets précieux et parchemins sont dérobés dans le Palais Royal de Minas Tirith
- Couronnement de Thorik comme Roi des Nains
-Le roi Méphisto accorde au royaume du Rohan d'occuper Isengard et d'en disposer à sa convenance pour surveiller la Trouée.
-Taorin, émir autoproclamé du Harondor Libre, rencontre secrètement Evart Praven , noble ambitieux du Gondor, dans l'optique de nouer des liens commerciaux.
- Echange d'informations entre l'Arbre Blanc et la Compagnie du Sud.
-Le 18: L'Intendant Aleth Enon d'Arnor offre le poste de Tribun Militaire à Forlong Neldoreth.
-La Compagnie du Sud complote pour rétablir l'ordre au Harondor en évitant l'intervention militaire.
-Grâce aux informations du jeune Evart Praven, le Gondor cherche à endiguer la menace de l'invasion pirate au Harondor.
-Le 19:  Arrestation de Taorin, Emir du Harondor Libre.
-Shiva, ancienne membre de l'Ordre de la Couronne de Fer, est interrogée à Minas Tirith par les représentants des Peuples Libres. Elle révèle la présence de l'Ordre à Pelargir. Les alliances occidentales commencent à se déliter.
-Le 20: Shiva est tuée dans une embuscade malgré l'escorte de la Rose Noire et de l'Arbre Blanc. Sirion Ibn-Lahad est banni du royaume de Gondor par Capitaine #Neige.
-Le 21: Un tueur de l'Orbe tente d'assassiner Dame Aelyn dans les Maisons de Guérison. Le Comte Skaline s'interpose.
-Le 22: Le guerrier du Rhûn, Rokh est sauvagement assassiné alors qu'il s'apprêtait à combattre le Vice-Roi Mortensen en duel. La reine Lyra envoie Iran, guerrière de sa garde, à Edoras pour trouver les tueurs.  
- Le 24: Retour de la délégation d'Aldarion vers l'Arnor
-Le 27: Avec l'accord de l'Ent VertGland, le jeune Roi Fendor s'installe en Isengard et fonde l'Ordre des Lames.
-Le 29: Création des Âmes Perdues à Lossarnach. Ce  groupe de mercenaires d'élite est dirigé par le Bras de Fer et ses lieutenants.

Avril:

-Le 2: La Régence de Calion Palantir prend place à Fondcombe. Les travaux de reconstruction s'accélèrent.
-Les Nurniens demandent audience au Roi du Gondor. Ils sont renvoyés sans ménagement par le général Cartogan.
- Le 4: La lyre de Vairë est rendue aux elfes de Lothlorien par l'Intendant Bahin de Khazad dûm en signe de bonne foi.
-Du 7 au 9: Le Capitaine Learamn du Rohan, homme de confiance du Vice-Roi Mortensen, et Nathanaël de l'Arbre Blanc mènent une expédition à Pelargir pour chasser les survivants de la Couronne de Fer qui dirigent la ville. La victoire est acquise dans un bain de sang. Chute du dernier bastion de l'Ordre de la Couronne de Fer.
-Le 14: Vol des artefacts dans les Caves d'Or d' #Asthrabal. Les Âmes Perdues tentent de retrouver les coupables.
- Un groupe d'aventuriers se lancent à la quête d'un ancien trésor enfoui dans les Montagnes Blanches. L'artefact est finalement dérobé.
-Le 15: Bataille de Cair Andros.  La forteresse est prise par des étranges envahisseurs venus du Sud-Est.
-Le 16: L'Arc de Vertfeuille, ancienne arme de Legolas, est rendue aux elfes de Vertbois par Oin, compagnon de la Croix de Fer.
-Le 18: L'ost du Gondor se rassemble à Minas Tirith pour faire face aux envahisseurs.
-Le 19: L'Anneau de Laurelin est restitué aux elfes de Lindon par Olfr, ambassadeur de la Moria. Le rapprochement entre Nains et Elfes face à la cupidité des Hommes se précise.
-Le 21: Ella Desbo, Grande Marchande du Sud, nomme Evart Praven comme son secrétaire personnel.
- Le 22: Pourparlers entre le général Cartogan du Gondor et l'envahisseur.
-Le 23:  Un orc sème la terreur à Dur'Zork.
-Le 25: La missive des érudits traitant du nouveau Mal qui guette le continent est rédigée à Tharbad. Elle est envoyée aux dirigeants d'Arda.
-Le 26 : L'armée des envahisseurs qui a conquis Cair Andros se dirige vers les plaines du Rohan.
-Le 27: Les nains envoient une expédition vers le gisement de mithril
-Le 29:Lord #Rhydon est nommé Directeur de  l'Arbre Blanc . La Tête, ancien chef de l'Arbre Blanc, reste introuvable.
- Le Gondor réagit à la Missive des Erudits et se lance dans la course aux artefacts.
-Le 30: D'importants documents sont volés dans la Bibiothèque de Minas Tirith.

Mai:
-Le 2: A Umbar, la grogne monte contre le Gondor.
-Le 4: Début d'épidémie à Minas Tirith
- Le 7: Les armées du Gondor rallient Minas Tirith pour se préparer à l'affrontement  avec les Nurniens qui se font attendre.
-Le 8: Face au retrait du Roi Mephisto, le Sénateur Arnorien #Halbagost défend la nomination d'Aldarion comme Haut-Roy et la mise en place d'une domination de l'Arnor à l'Ouest.
-Le 11: Départ du Tribun Forlong et de ses compagnons à la recherche du régiment perdu au Rhûdaur
-Le 12: Des navires disparaissent à Esgaroth. Delaynna, Elfe de Lorien et Dame de l'Eau, mène l'enquête. Sigval Lingwë s'allie à des réfugiés du Rhûn pour percer le mystère du mal qui sévit sur Lacville.
-Le 15: Début de la Grande Estive.  Les Rohirrims mènent leurs cheptels sur les versants de la Moria pour échapper à la sécheresse dévastatrice.
-Le 18: Bataille de Kalil Abad. Défaite des nains. Hadhod Croix de Fer, Seigneur de la Moria, est fait prisonnier par les gobelins de Gundabad.
-Le 19: Premiers combats entre les Nurniens et les Rohirrims.
-Le 20: #Alessa de Sora arrive à Blankânimad. Elle tente de convaincre la Reine Lyra d'ouvrir son royaume aux savants de l'Ouest pour contrer les plans de la Fraternité de Yavannamirë.
-Le 22: #Dalia de Ronce arrive à VertBois pour alerter le seigneur #Angrod du danger des artefacts.
-Le 23: Les rumeurs des artefacts atteignent Khazad-dûm.
-Le 24: L'aventurier Girion Vernon arrive au Sanctuaire de Minas Tirith, à la rencontre d'un vieil homme vêtu de bleu.
-Le 26: Les pirates fondent un poste avancé à Tolfalas.
-Le 28: L'elfe Lithildren trahit les siens à Fondcombe et prend la fuite avec un survivant de l'Ordre.
-Le 30: Les Melkorites sèment la terreur à Albyor.

Juin:
- Le 1er: Les rumeurs sur  l'infidélité du Haut-Roy Méphisto remontent jusqu'aux palais.
-Le 3: Arrivée de Ryad Assad à Pelargir. Il se retrouve associé à Nathanaël pour une bien curieuse mission.
-Le 7: Arrivée d'Ella Desbo et d'Evart Praven à Djafa.
-Le 11: Tractations chez les Béornides. Les Nains en difficulté face aux gobelins appellent à l'aide.
-Le 12 : L'armée du Rohan se mobilise face aux envahisseurs Nurniens. Arrivée des premiers cheptels du Rohan chez les Nains.
-Le 13:  Capture du Tribun Forlong et d'Elenduril par les gobelins du Mont Gram. Les prisonniers sont menés vers le Mont Gundabad.
-Le 18: Lithildren et Oropher, deux elfes en cavale, pénètrent dans les ruines d'Ost-in-Edhil  où sévit le sorcier #Gier.
-Le 24: Le Grand Prêtre de Melkor, Jawaharlal, cherche à étendre son influence dans tout le royaume de Rhûn.
-Le 26: Les Dunlendings, lourdement impactés par le Rude Hiver et l'été précoce, s'attaquent aux habitations et caravanes arnoriennes dans les alentours de Tharbad.
- Du 28 au 30: Négociations tendues entre Rhûnadans, Nains et Dalites au Comptoir commercial du Rhûn.

Juillet:

-Le 1: Face aux divisions qui déchirent son royaume et l'influence croissante des Melkorites, la Reine Lyra du Rhûn manœuvre pour rétablir son pouvoir.
- En marge de la Grande Estive, les Dunlendings attaquent les cheptels des rohirrim au nord de l'Isen
-Le 4: Arrestation de Nallus, membre de la Société des Chercheurs, par les hommes du général Cartogan.
-Le 5: Les hommes du Sergent Eofend du Rohan prennent en chasse les voleurs d'artefacts dans le Riddermark. Les Rohirrims tombent dans une embuscade.  et sont massacrés. Théomer, un des cavaliers survivants, part vers Edoras.
-Le 11: Troubles au Rohan, Aelyn est enlevée au sein même du Château d'Or de Meduseld. Le Capitaine Learamn, aidée par Iran guerrière du Rhûn, mènent secrètement l'enquête. Le Cavalier de la Marche Théomer fait un rapport inquiétant au Vice-Roi Mortensen. L'elfe Qewiel est retenue dans les géôles d'Edoras.
-Le 13: Le guérisseur Rihils arrive en Isengard.
-Le Vice-Roi  Gallen Mortensen envoie #Harding sur les traces d'anciens compagnons d'armes pour en apprendre plus sur la missive des érudits et les artefacts.
-Le 14: Dame Aelyn, compagne du Vice Roi, est retrouvée sauve. Le Vice Roi Mortensen la demande officiellement en mariage. Son ravisseur Sellig, dernier canthui de l'Ordre de la Couronne de Fer, est abattu par Mortensen. Le Capitaine Learamn est banni de l'armée du Rohan pour insubordination; il s'exile avec une #Iran grièvement blessée.
-Le 17: Arrivée de Lithildren à Minas Tirith où elle rejoint la Société des Chercheurs.
-Le 19: Le faussaire Kaj Olson, soupçonné d'avoir laisser les voleurs s'introduire dans le palais royal, est mystérieusement assassiné dans les geôles de Minas Tirith.
-Le 20:  Le Capitaine Neige et Lithildren s'infiltrent dans les géôles et libèrent Nallus. Les fugitifs rejoignent le Sanctuaire, Alatar les y accueille.
-Le 23: L'Intendant Aleth Enon d'Arnor est atteint d'une maladie qui l'empêche de remplir ses fonctions. #Nivraya l'épaule dans la gestion du royaume.
-Le 29: Les hommes de la Rose Noire prennent d'assaut la demeure du Seigneur Péocle, contrôlée par l'Ordre de la Couronne de Fer. Sirion Ibn-Lahad abat Madhel, adepte du mystérieux groupe "Le Cercle et le Crâne". Mort d'Azami.


Août:

-Le 2: Wald est nommé Capitaine de la Garde Royale du Rohan par Gallen Mortensen.
-Le 5 : Des explorateurs partis en quête de trésors découvrent que des nains occupent toujours les Cavernes Etincelantes.
-Le 8: Le Roi Aldarion nomme Sirion Ibn-Lahad Comte d’Amon Araf et Intendant d'Arnor.
-Du 9 au 11: Le Roi Aldarion d'Arnor  convoque ses gouverneurs et Tribuns à Annúminas
-Le 12: Le Capitain Draggo se met au service du Prince Khaldun d'Assabia
-Le 13: Drake, Sergent de la Garde de la Fontaine,mène l'enquête au sujet d'une intrusion dans le Palais.
-Le 16 : Victoire des nains et de leurs alliés à Therka Nâla grâce au soutien d'Orwen et des renforts dalites et béornides.
-Le 20: La capture d'une prisonnière Dunlending sème le chaos en Isengard, fief du Roi Fendor.
-Le 26: Forlong Neldoreth, Tribun d'Anor, s'échappe des entrailles du Mont Gundabad avec le concours de l'Orc Snardat.


Septembre:

-Le 2 : Mort du Seigneur Alart de Roncefort. Son fils Tryon lui succède comme Baron et affirme ses ambitions.
-Le 4: L'elfe Namarien se joint aux Chevaliers du Cor Brisé qui cherchent à rallier Minas Tirith pour y sonner la révolte contre Cartogan.
-Le 7: Après une mission houleuse sur les Havres d'Umbar, l'assassin Issam Ibn-Djamal intègre la Guilde des Ombres.
-Le 11: L'ambitieux Raz'Oûl, chasseur de prime de renom, part de Djafa dans l'espoir de rallier la légendaire Bibliothèque Interdite du Khand.
-Le 15:  Aurhen, ranger elfe, est envoyé à Morthond.
-Du 22 au 23: La Cérémonie de la Purification se tient à Morthond alors qu'une ancienne malédiction resurgit.
-Le 27: Soulèvement d'esclaves à Albyor. Sanglante répression.
-Le 28: Une tempête de sable menace le Harondor.


Octobre:


-Le 4: Le Seigneur Sharrin Sharh-Narag défie le Conseil des Monts du Fer et mène un groupe de guerriers pour soutenir la reconquête des Nains.
-Le 10: Nimrod Ben-Elros, héritier déchu du Sultanat de Haradwaith, sort de prison.
-Le 13: Iran du Rhûn succombe à ses blessures dans les Terres Sauvages du Rhovanion.
-Le 15: Mise en place du Blocus de Pelargir par les pirates d'Umbar.
-Le 17: Le Conseil de Zulg-ai-Gathol envoie des soldats à la poursuite de Sharrin Sharh-Narag.
-Le 18: Les Gardes de Fer, menés par le Seigneur Sharrin, rallie la coalition de Thorik.
-Le 20: Le Sage Alatar, accueille un groupe d'insurgés dans son Sanctuaire.
-Le 25: La coalition de Thorik quitte Therkâ Nâlâ et marche vers Gundabad.
-Le 30: Le Roi Gudmund mène l'armée de Dale pour soutenir la reconquête des Nains.

Novembre:

-Le 3: Arrivée d'une délégation de Rhûnadans au palais du Roi Shomeri du Khand. A l'Est, des alliances se forment.
-Le 6: Le Roi des gobelins, Baltog, se prépare à affronter la coalition de Thorik.
-Le 7: Une malédiction s'abat sur le clan Lossoth des Ilivaa.
-A partir du 9: Purge de Minas Tirith. Les autorités s'attaquent aux organisations clandestines des bas-fonds de la ville: la Ligue des Ombres, les Griffes d'Ammoth et le Réseau d'Anakel en font tous les frais.
-Le 11: L'ex-capitaine Learamn arrive à Blankânimad. Il prête allégeance à la reine Lyra.
-Le 12: La coalition de Thorik s'empare de Nal Gunir.
-Le 17: Fimbulfambi, Seigneur du Mont Gram, envoie une armée menée pour répondre à l'appel de Baltog.
-Le 20: Arminka, capitaine des varkayin du Rhûn, s'empare de l'épée mythique Lasgarnë sur le sable de l'arène de Kryam.
-Le 23: Des placards appelant au soulèvement populaire fleurissent dans les rues de Minas Tirith.
-Le 25: À l'approche de l'hiver, les Nurniens arrêtent momentanément leur avancée dans les terres du Rohan.
-Le 27: Le Mage Mithrandir intègre la Société des Chercheurs de Minas Tirith afin de lutter contre l'épidémie.

Décembre:

-Le 2: L'Oeil de la Lune, un puissant artefact, refait surface à Tharbad.
-Le 3: Désireux de passer quelques semaines loin de sa capitale, le Roi Aldarion se retranche à Caras Aur avec son épouse.
-Le 4: Début du siège de Gundabad.
-Le 5: Départ d'un commando de la coalition, en quête d'un passage vers Gundabad dans les montagnes.
-Le 6: Nomuas Arnarion, alias le Sabre Noir, établit une antenne des Âmes Perdues à Pelargir. Les mercenaires aident la cité à lutter contre les pirates.
-Le 7: Des éclaireurs de l'Arnor élaborent un plan pour piéger les troupes du Mont Gram, en partance vers Gundabad.
-Le 9 : Arrivée d'Arminka  à Djahar'Mok en Harad dans l'espoir d'y trouver de nouveaux alliés pour sa Reine.
-Le 10: Bataille du Chemin des Trolls. Le Tribun Forlong Neldoreth refait surface avec le régiment perdu et met en déroute les armées du Mont Gram.
-Le 11: Les armées de la coalition pénètrent dans Gundabad.
-Le 12: Fin du siège de Gundabad et de la Reconquête des Nains. Mort du Roi Baltog.  Thorik conclut un accord avec le Grand Gobelin. Gundabad redevient naine mais seule une garnison peut y résider.
-Le 16: Une importante cargaison d'armes  tombe entre les mains des Melkorites d'Albyor.
-Le 20: L'elfe Qewiel vogue vers le Sud en quête d'une carte ancestrale.
-Le 27: Les Chevaliers du Cor Brisé parviennent à entrer dans Minas Tirith.
-Le 30: Naos Ibn-Lahad fait ses adieux à son frère Sirion, Intendant d'Arnor.
Sujet: Tout ce qu'on ne dit pas
Learamn

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Rechercher dans: Le Palais de Blankânimad   Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Tout ce qu'on ne dit pas    Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyDim 15 Mar 2020 - 16:52
Au cours de sa jeune carrière, Learamn avait eu plusieurs fois l’occasion de travailler au sein de groupes à la composition pour le moins surprenante. Il avait fait partie du groupe d’aventuriers des Peuples Libres lors du “Voyage des Douze” visant à porter un coup fatal à l’Ordre de la Couronne de fer; il avait également commandé une troupe hétéroclite lors d’une mission d'infiltration à Pelargir et n’avait pu compter que sur une Orientale, un soldat ivrogne et la femme enceinte du Vice-Roi comme alliés de confiance durant les derniers mois à Edoras. Mais la compagnie dont il faisait partie à présent avait placé la barre un petit peu plus haut réunissant une dame de la cour de la reine Lyra, un colosse taciturne, un esclavagiste et un Uruk. L’ancien officier savait comment la cohésion de la troupe était un facteur essentiel du succès et au moment présent il doutait grandement de leurs capacités à être sur la même ligne dans le feu de l’action.  

Jusque-là le voyage avait été plutôt agréable. Ils avaient quitté la glorieuse capitale quelques jours plus tôt après une dernière soirée de loisirs, délaissant sa chaleur et son agitation pour des régions plus agricoles parsemés de petits villages où ils pouvaient se reposer et prendre des forces après de longues heures de chevauchée. Le temps était plus frais que dans la ville, et de temps à autre une brise légère et bienvenue venait rafraîchir leurs visages. Il se surprit même à avoir un peu froid au milieu de la nuit, rien d’insupportable pour le moment mais il sentait qu’à mesure qu’ils avançaient la présence humaine se faisait de plus en plus rare et les paysages de plus en plus désolés. La traversée des grandes étendues désertiques qui les séparait d’Albyor approchait à grands pas.  Le Rohir fermait toujours la marche, juste derrière Khalmeh et sa bête. Le vent qui soufflait face à lui portait avec lui l’odeur désagréable du monstre, bien que celle-ci soit étrangement moins répugnante qu’avant leur arrivée dans la capitale. L’avait-on...lavé? Cette pensée arracha un sourire amusé au cavalier. Un orc dans une baignoire; l’image avait tout d’une mauvaise plaisanterie. Mais en y réfléchissant plus longuement, comme il n’avait apparemment pas grand-chose de mieux à faire, il se dit que cette idée n’était pas aussi farfelue qu’elle en avait l’air. Il n’y avait qu’à regarder le soin avec lequel Ava s’occupait de la créature pour se dire qu’elle avait très bien pu le savonner avant de partir en mission. Une possibilité qui n'inspirait que du dégoût au jeune homme mais dont il profitait pleinement, n’ayant plus à supporter les effluves pestilentiels qui s’en émanaient.

Learamn  avait du mal à comprendre le traitement que l’on réservait à cet orc de la part de gens qui n’hésitaient pourtant pas à réduire des congénères humains en esclavage. Il se sentait mal à l’aise lorsque la bête s’asseyait avec eux autour du feu pour y attendre son repas. Il avait toujours vécu avec cette haine viscérale de toute créature se rapprochant des orcs ou des gobelins et qui avaient tant de fois ravagé son royaume avec une cruauté sans nom. Pour lui, cet Uruk était une représentation du Mal le plus absolu; une âme damnée dont le seul but sur cette terre était de répandre le chaos. Même les sbires de l’Ordre de la Couronne de Fer ne lui inspiraient pas la même répulsion; des hommes corrompus et avides de pouvoir qui devaient être stoppés mais dont Learamn comprenait les motivations et faiblesses et pour qui la rédemption était possible.  Mais les Orcs… Pour le jeune homme les Terres du Milieu ne s’en porteraient que mieux si leur espèce disparaissait tout entière. A priori les gens d’ici n’étaient pas du même avis et de telles bêtes ne disposaient pas d’un statut inférieur aux autres esclaves. Khalmeh lui confia même qu’il leur arrivait de faire du commerce basique avec leur peuple tout en respectant leurs frontières respectives.



“Le seul genre de commerce que nous ferions avec eux, c’est celui de l’acier contre le sang.”
rétorqua Learamn sur un ton étonnamment cynique.

D’un autre côté c’était la première fois que l’ancien capitaine croisait la route d’un Orc, peu importe son espèce, et il devait bien reconnaître que leur rencontre était bien différente de ce qu’il avait pu imaginer pendant longtemps. Il s’était souvent rêvé commander une glorieuse charge de cavalerie où il pourfendait des dizaines de ces monstres sans aucun remords, comme les héros des récits qui avaient bercé son enfance. Cependant, ce n’était jamais arrivé. Des charges il en avait pourtant mené; mais à chaque fois en face se trouvaient des autres humains, voire même des frères rohirrim. L’ennemi n’était peut-être pas celui que l’on aimerait qu’il soit.  Le soin tout particulier que lui portait Ava avait même quelque chose d’un peu touchant, ils devaient faire route avec la bête et elle était décidée à ce que celle-ci puisse faire le voyage dans les meilleures conditions possibles avant de partir au front.

En plus de son dégoût plus ou moins bien réprimé à l’égard de l’Uruk, Learamn eut également le temps de réfléchir un peu plus sur ce que lui avait appris Khalmeh à propos des “Varka”. Les premières fois qu’il avait entendu Ava l’appeler de cette manière, il s’était simplement dit que cela voulait dire quelque chose comme “étranger” ou “pâle” dans la langue locale. Mais la réalité était bien moins banale. Ce récit sur ces hommes “changeurs de formes” capables de se muer en animal sanguinaire à la nuit tombée avait tout d’une histoire d’horreur que l’on racontait aux enfants pour les faire frémir ou les dissuader de s’aventurer trop loin après le crépuscule. Des mythes de loups-garous et autres phénomènes surnaturels colportés par des conteurs alcoolisés, Learamn n’y avait jamais vraiment prêté attention. Il se rappelait pourtant maintenant, que durant sa convalescence à Meduseld,  il avait feuilleté un vieux bouquin d’histoire mentionnant des légendes relatant l’existence, jadis, d’hommes capables de se transformer en ours et dont les descendants arpentaient toujours les Terres Sauvages. Et à priori ces histoires n’étaient pas des légendes par ici; la Reine Lyra faisant même usage de ces “varka” au sein de ses rangs. Elle n’avait pas elle-même mentionné ce terme lors de leur entrevue mais au biais de quelles informations Ava avait-elle bien pu décider de le qualifier de la sorte. Etait-ce ainsi qu’elle le percevait? Une bête de combat incontrôlé et incontrôlable? Une machine de guerre à l’instar de cet Orc? Lyra avait-elle fait d’une pierre deux coups en recrutant la créature et le Rohir? Depuis un moment déjà, Learamn se savait être un guerrier et pas grand-chose d’autres. Un homme qui s’était construit à travers l’affrontement et qui désormais ne se sentait vivre que lorsqu’il maniait l’épée. Depuis longtemps le jeune garçon paysan avait cédé sa place à un soldat à la fois horrifié et dépendant du champ de bataille. Son temps éloigné de l’action dans sa chambre du Château d’Or avait été un long chemin de croix et jamais il n’aurait cru qu’il serait un jour aussi satisfait de faire route vers le danger à nouveau. Son esprit savait que cela le détruisait à petit feu mais cet appétit de la guerre qui se faisait ressentir plus bas, dans ses entrailles, prenait lentement le dessus au fil des ans. Et à vrai dire il ne considérait même pas l’appellation “varka” comme une offense.  Ce genre de choses ne devrait pas lui faire plaisir et il en avait conscience mais c’était ainsi, il en était presque tristement flatté.

Peu avant le coucher du soleil; ils établirent le campement dans une zone herbacée près d’un petit ruisseau. Learamn descendit de selle et aida Khalmeh à monter les tentes et allumer le feu. Il prit ensuite quelques minutes pour étirer ses membres engourdis et entrepris une toilette rapide de Heolstor, le puissant destrier que Aleyn lui avait offert avant son périple.  Le cheval du Rohan contrastait avec les autres montures orientales, plus petites et fines; et Learamn avait choisi de partir avec lui plutôt qu’avec Keyvan comme pour garder un dernier lien avec sa terre natale et aussi fier d’afficher une partie de sa propre culture. Il avait laissé le cheval d’Iran dans les écuries du palais de Lyra, cette dernière déciderait sûrement de ce qu’il adviendrait de lui et si le jeune homme pouvait en garder la charge.  Pourtant il n’avait pas oublié son alliée disparue et portait dans la poche de sa veste, le poème tatoué sur la peau de la jeune femme; retranscrit dans sa version originale avec sa traduction par les soins de Khalmeh. Cette mission, s’il la faisait, c’était avant tout pour elle.

Ils partagèrent un repas plutôt consistent et même savoureux concocté par l’intellectuel. Décidément, cet homme avait plusieurs cordes à son arc. Puis, épuisé, Learamn se dirigea vers la tente pour trouver du repos mérité alors que l’impassible Thrakan prenait le premier tour de garde.

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Un coup de vent glacial réveilla Learamn en sursaut. En ouvrant les yeux il se rendit compte qu’il avait face à lui une immense voûte étoilée qui éclairait la sombre nuit; il n’était plus sous la tente. En alerte, il se redressa rapidement et remarqua également qu’il n’était pas allongé sur son matelas de fortune mais à même le sol, à l’extérieur. Comment avait-il pu se trouver à l’extérieur? Jamais auparavant il n’avait été atteint de somnambulisme. Il se retourna prestement, cherchant du regard Khalmeh et le reste de la troupe  mais ils avaient disparu. Il n’y avait ni tente, ni chevaux à proximité. Il sentit son souffle et le rythme de son coeur s'accélérer rapidement. Le lieu était pourtant le même mais tout ce qui l’entourait s’était tout simplement volatilisé.



“Par quel sortilège?”
murmura-t-il pour lui-même.

Il n’était pourtant pas complètement seul. Une belle voix cristalline se fit alors entendre près du ruisseau, se mêlant en harmonie  aux clapotis de l’eau. Intrigué, le jeune homme se releva et se dirigea d’un pas prudent vers la femme qui chantait, dos à lui. Les paroles qu’elle déclamait lui semblaient étrangement familières bien qu’il n’en comprenne pas le moindre mot. En s’approchant, la lueur de la Lune révéla le dos nu de l’inconnue; il était marqué par de nombreux tatouages  qui s’alignaient, s’entrechoquaient et se fondaient l’un dans l’autre pour créer un ensemble envoûtant.



Iran…”


C’était bien elle. A l’écoute de son nom, la belle Orientale interrompit sa mélopée et fit volte-face. Elle ne dit pas un mot et son visage resta inexpressif. La fraîcheur nocturne ne semblait pas la troubler outre mesure alors qu’elle était totalement nue.  Le Rohir lui se fendit d’un large sourire et accéléra le pas en sa direction.



“Ô Iran! Que fais-tu ici? Ô Iran! Moi qui te croyais perdu…”


Mais alors qu’arrivé à sa hauteur, il voulut la prendre dans ses bras; la Rhûnienne le rejeta brutalement.



“Arrière varka!”
vociféra-t-elle.

Lui resta interdit pendant quelques secondes alors que  celle qu’il aimait reculait de plusieurs pas, répugnée par ce qu’elle avait en face de lui.  Il ne comprenait pas. Honteux, il baissa les yeux et il comprit. Ses mains étaient couvertes de longs poils gris et ses ongles avaient poussé pour devenir de longues griffes acérées. Horrifié, Learamn se pencha au-dessus du ruisseau pour y contempler son reflet. Le pelage  recouvrait l’entièreté de son corps nu, son nez s’était considérablement allongé et surplombait une mâchoire monstrueuse et ses yeux avaient viré au jaune.


“Je..je ne comprends pas.”


L’Orientale était toujours là le fixant avec dégoût et crainte. Il tenta à nouveau de s’approcher d’elle mais elle gardait ses distances. L’ancien capitaine, impuissant, tomba à genoux.


Iran! Je t’en prie ! C’est moi , Learamn! Je t’en supplie; je t’aime Iran.”

Elle le dévisagea avec mépris.


“Un varka ne peut aimer.”
répliqua-t-elle froidement.

Elle s’avança alors et passa devant le Rohir sans lui adresser le moindre regard. Derrière lui, la silhouette massive de l’Uruk était apparue. Celle qui fut son alliée rejoignit la créature et lui prit la main. Sous les yeux effarés du cavalier, la Belle et la Bête s’éloignèrent dans la nuit.


-----------------------------------------------------------------------------------------

Learamn s’éveilla en sursaut. Encore sous le choc, il mit quelques instants à reprendre ses esprits et à constater que cette fois-ci tout était normal. Il se trouvait bien à l’intérieur de la tente, Khalmeh dormait profondément non loin. Incapable de se rendormir dans l’immédiat, il décida de sortir de la tente pour profiter de la fraîcheur nocturne. A nouveau, il put remarquer une silhouette féminine à proximité du ruisseau. Mais celle-ci ne chantait pas. Non elle pleurait. Un sanglot se fit discrètement entendre. Learamn fit lentement quelques pas vers elle, tout en faisant volontairement du bruit pour lui laisser le temps de se reprendre. Derrière sa façade intraitable, Ava était une femme fragile. Par deux fois il avait pu voir son armure émotionnelle se craqueler et il ne désirait pas l’accabler. Il ne pouvait que comprendre ce besoin de dignité et de dissimuler ce qui hantait le coeur. Ce qu’il s’était entraîné à faire pendant des années.  Quand il s’assit à côté d’elle, Ava avait séché ses larmes mais de légers tremblements la trahissaient. Le Rohir vit cela mais ne releva pas. Il se contentait de fixer le ciel étoilé.


“Quand j’étais enfant j’avais l’habitude de m'allonger ,  au milieu des champs d’épeautres pour y admirer les constellations d’étoiles. Une nuit j’ai même essayé de les compter, toutes. Je me suis endormi après cinq cent vingt-six  si je me souviens bien. Mon père m’a trouvé assoupi au milieu des champs et m’a ramené à la maison où ma mère se faisait un sang d’encre. J’ai appris plus tard qu’il y en avait un nombre infini, moi qui croyais être capable de toutes les compter en une nuit…”

Il eut un petit sourire discret à l’évocation de ses lointains souvenirs d’enfance.


“Peut-être que j’aurais dû y rester dans ces champs au final….”


Une vie paysanne modeste mais heureuse  auprès de sa famille. Celle qu’il avait abandonné en quête de gloire et de reconnaissance et de gloire au sein de l’armée.

Learamn quitta alors la voûte céleste des yeux et reporta son attention sur sa guérisseuse; désireux de percer ce voile de mystère qui entourait cette âme à la fois si forte et si sensible.


“Ava…Cet homme que vous aimez; celui que vous croyiez perdu… Est-il en danger?”


Il savait sa question très personnelle; et ne s’attendait pas vraiment à obtenir une réponse. Dévoiler ce genre de choses n’était pas chose aisée, particulièrement pour elle et elle déciderait probablement de l'ignorer. Mais Learamn devait en savoir plus sur celle qui avait son destin en main.

#Iran
Sujet: L'Ultime Liberté
Ryad Assad

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Rechercher dans: Le Rhovanion   Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: L'Ultime Liberté    Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyJeu 25 Juil 2019 - 12:22


A la lumière vacillante d'une torche solitaire, les hommes s'étaient rassemblés. Compagnie hétéroclite, bandits pour certains, maraudeurs sans honneur pour d'autres. Ils n'avaient ni noblesse, ni fortune, et pourtant ils formaient le cortège le plus digne qu'il était possible d'imaginer. Les mains jointes, en silence, ils observaient.

Khalmeh fut le premier à entrer dans la tente à la suite de Learamn.

Les cris et les suppliques s'élevaient dans la nuit comme une litanie funèbre, transperçant aussi bien le fin voile de tissu sous lequel s'abritait cet étrange trio que le cœur des esclavagistes. De toutes les choses qu'ils avaient pu entendre au cours de leur vie, bien peu étaient aussi saisissantes et effrayantes que l'agonie d'une jeune femme frappée par un mal pernicieux. Ils ne la connaissaient pas, ils n'avaient jamais entendu sa voix, son rire… pourtant ils frémissaient d'angoisse en percevant ces gémissements de douleur, et les appels de leur nouveau compagnon qui essayait de la maintenir en vie. Ce cavalier du Rohan qui, pour des raisons qu'ils ne comprenaient pas très bien, défiait la raison et les allégeances afin de la sauver. Ils ne pouvaient pas imaginer quelles épreuves traversées ensemble avaient pu forger un lien aussi indéfectible entre ces deux âmes. Ils ne pouvaient pas se représenter la déchirure profonde et absolue que représentait ce moment à l'échelle de la vie de l'ancien soldat. Iran était devenue, par la force des circonstances, sa raison de vivre. Sa raison de continuer. Sans elle, que ferait-il ? Où irait-il ?

Khalmeh fut le premier à quitter la tente.

Les gémissements s'étaient amplifiés, devenant tout simplement insoutenables. Les hommes avaient été gagnés par un malaise de plus en plus palpable. Et puis soudainement, plus rien.

Le silence.

L'absence.

Il avait fallu quelques secondes pour que le vent encore abasourdi recommençât à siffler la mélodie de l'univers. Un bruit indéfinissable, qui était venu leur chatouiller les oreilles, oraison à peine discernable à travers l'épaisseur de la nuit. Un souffle frais leur glissa sur la nuque, comme un baiser d'adieu déposé sur leur peau ensommeillée, comme des doigts désireux de s'attarder encore quelques secondes, mais qui s'éloignaient inéluctablement. Ils ne purent s'empêcher de regarder autour d'eux, cherchant instinctivement cette présence évanescente qui les saluait une dernière fois.

Leurs yeux étaient aveugles, pourtant.

Seul leur cœur, alourdi par le chagrin, leur indiquait la marche à suivre.

Un chant s'échappa de la gorge de Lakhsha. Sa texture évoquait celle des vagues venant mourir sur les rochers, par une chaude journée d'été. Sa voix s'élevait en volutes complexes, puis retombait dans les profondeurs pour mieux revenir en un rouleau coiffé d'écume. La litanie, comme l'océan infini, allait et venait toujours au même rythme, si bien que d'autres voix moins adroites mais non moins sincères vinrent se joindre au chœur. Une, puis deux, puis bientôt toutes. Et ils chantèrent cette nuit-là, sans discontinuer, jusqu'à ce que la torche eût terminé de brûler, et que les minces fumées qui s'élançaient à l'assaut du ciel eussent disparu dans les étoiles.

Learamn finit par sortir à son tour.

Cet homme n'était plus le même que celui qu'il avait été par le passé. Nul ne pouvait affirmer avec certitude ce qu'il avait perdu ou gagné sous cette tente. Nul ne pouvait dire ce qu'il avait abandonné volontairement, et ce qu'il avait acquis inconsciemment. Lui-même le découvrirait alors que se poursuivrait son chemin. Il ne comprendrait le poids de cette journée que bien des années plus tard, en regardant en arrière, et en mesurant l'ampleur de ses accomplissements depuis ce jour fatidique.

Pour Khalmeh, cependant, l'avenir de Learamn relevait de l'évidence, et cela lui tira un sourire.

Sous la voûte étoilée, les hommes se rassemblèrent autour du cavalier solitaire, et tour à tour vinrent lui poser une main sur l'épaule, lui adresser quelques mots. L'ancien capitaine n'en comprenait pas un seul, naturellement, mais certaines paroles avaient un sens universel.

Un bien maigre réconfort.


~ ~ ~ ~


- C'est un poème, mon ami.

Khalmeh était catégorique. Learamn ne lui avait pas posé la question directement, mais l'érudit qu'il était s'était attelé à la traduction, en comprenant qu'il s'agissait d'un texte au sens profond, gravé dans la chair du bras d'Iran. Il avait passé le reste de la nuit à en étudier le sens, absorbé par cette tâche comme s'il cherchait à se rendre utile. Ils avaient décidé de veiller Iran, réfléchissant dans le même temps à la marche à suivre. Pour l'esclavagiste, cette activité intellectuelle était aussi stimulante que réconfortante, et elle lui permettait d'occuper son esprit plutôt que de le laisser se perdre dans des méandres inconnus. En outre, il considérait que ces mots de protection, qui n'avaient pas pu stopper la lame impie de celui qui avait assassiné cette brave combattante, méritaient d'être sauvegardés, transmis et perpétués. La peau glacée disparaîtrait quant à elle, emportant ainsi les marques de la souffrance et de la guerre pour ne laisser qu'un souvenir. La connaissance, elle, demeurait.

A la lueur d'une bougie, il avait réfléchi intensément, puis avait posé son travail de côté pour accompagner Learamn dans son deuil jusqu'au petit matin. Avec les premiers rayons du soleil viendrait le temps de l'action et des décisions, mais pour l'heure il était temps de se recueillir et de prier pour le salut de l'âme de la guerrière. Son visage d'albâtre reposait immobile, et aucun souffle ne venait soulever sa poitrine. Elle avait l'air apaisée, sereine. Pouvait-on lui en vouloir de s'en être allée après avoir affronté tant de douleurs et de peines ?

N'était-elle pas, après tout, la plus chanceuse d'eux tous ?

Khalmeh avait son opinion sur la question, mais il se garda bien de rien dire. Il savait que les gens de l'Ouest avaient une manière différente d'appréhender le départ d'un proche, et il préférait ne pas présumer de l'état émotionnel de son compagnon. Au lieu de quoi, il voulut le tourner vers des pensées plus réconfortantes. Le fameux poème. Quand le soleil commença à apparaître à l'horizon, et qu'ils quittèrent la tente pour trouver de quoi boire et manger, l'esclavagiste lui fit part de ses découvertes.

- Les vers sont composés dans un vieux dialecte des alentours de la Mer du Rhûn. J'ai essayé de vous en retranscrire le sens. Le rendu n'est pas aussi élégant dans votre langue, mais c'est déjà ça. J'ai le sentiment que le poème a été composé strophe par strophe, à plusieurs années d'intervalle. Probablement selon des cérémonies propres à son clan. Voici ce qu'il dit :

« Va, enfant des plaines, jeune fille au visage doux
Les vents de l'Est t'accompagnent aujourd'hui
Ce sont les chants de tes ancêtres
Qui te regardent depuis leur noble siège
Tes pères te mènent, tes mères te soutiennent

Va, enfant des plaines, jeune fille au visage doux
Dévore la vie qui s'offre à toi
Comme le fruit de la terre et l'eau des rivières
Et toujours honore ton sang, tes dieux, ta parole
Ils sont tes biens les plus précieux en ce monde

Va, enfant des plaines, jeune fille au visage doux
Arpente le chemin qui est le tien, où qu'il te conduise
Par l'épée de justice, défends ton prochain
Par la main de miséricorde, offre lui ton aide
Toujours le cœur ouvert, mais la bouche fermée

Va, enfant des plaines, jeune fille au visage doux
Ta lignée est ton armure, de mailles entrelacées
N'en sois jamais le point faible, ici ou ailleurs
Car tous périssent, même les rois
Mais demeurent éternellement leurs hauts faits

Va, enfant des plaines, jeune fille au visage doux
Et ne crains pas la venue du crépuscule
Emprunte les pas de Saturne, ta fidèle gardienne
Elle te guidera jusqu'au terme du long voyage
Là où tout commença

Va, enfant des plaines, jeune fille au visage doux »


Il marqua une pause solennelle, avant de conclure :

- Je suppose que la dernière strophe devait être à composer, peut-être lors d'une occasion spécifique. Le poème devra s'arrêter là. J'ai pris la liberté de le retranscrire pour vous.

Le Rhûnadan avait rédigé la traduction sur un morceau de parchemin, qui portait désormais son écriture soignée. Ce n'était pas grand-chose, mais l'attention était là. Khalmeh le glissa dans la main de Learamn, et s'affaira à trouver un quignon de pain dur qu'ils pourraient avaler pour reprendre quelques forces. Rester en vie malgré la douleur était leur principale mission pour l'heure. Ils s'installèrent en silence, faisant face à l'est et au soleil levant. Assis l'un à côté de l'autre, silhouettes solitaires au milieu de leurs compagnons endormis, ils avaient les épaules basses et la mine épuisée. Ils demeurèrent sans rien dire un moment, profitant simplement des rayons qui chauffaient agréablement la peau de leur visage. Un plaisir simple dont ils prenaient conscience avec encore plus d'acuité ce matin. Khalmeh finit par lâcher sur un ton neutre :

- Ne regrettez rien, mon ami. Vous avez fait ce qu'il fallait. Elle goûte désormais à la liberté ultime, grâce à vous.

Une pause, puis il revint à des considérations plus pragmatiques :

- Vous êtes le seul à pouvoir décider de la suite la concernant, ce qui vous laisse encore deux bonnes heures. Puis nous partirons vers Vieille-Tombe, qui se trouve environ à deux jours d'ici. Son voyage s'achève, le nôtre se poursuit.

C'était un simple constat, mais il était une métaphore très juste de la vie et de la mort. Courir en direction du soleil levant, en tournant le dos aussi longtemps que possible à la nuit qui ne cessait pourtant de gagner du terrain.

Courir à en perdre haleine.
Sujet: L'Ultime Liberté
Ryad Assad

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Rechercher dans: Le Rhovanion   Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: L'Ultime Liberté    Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyMer 8 Mai 2019 - 20:10
Ils avaient la gorge sèche.

Le dos voûté.

La mine usée.

Depuis combien de temps chevauchaient-ils ainsi, au milieu de nulle part, sans rien voir d'autre à l'horizon que des plaines interminables ? Des mois ? Des années ? Peut-être davantage. Le vent qui soufflait en tourbillons charriait la poussière de la piste jusque dans leurs yeux, mais il apportait un réconfort bienvenu face aux assauts incessants du soleil qui les écrasait de son regard qui ne cillait jamais. Le grand astre du jour se dressait comme un adversaire supplémentaire, et chaque pas de plus était un souffrance par cette chaleur étouffante.

Depuis longtemps, ils n'avaient pas vu de pluie. Pas même une ondée inattendue qui leur aurait permis de remplir leurs outres d'eau bientôt vides. Les chevaux s'épuisaient sur ce sol caillouteux, irrégulier… Fort heureusement pour eux, leur chargement s'amincissait à vue d'œil. Les rations soigneusement empaquetées avaient été consommées, et les deux cavaliers avaient perdu tant de poids que les montures habituées à ces longues marches ne les sentaient presque plus.

Le chemin – si l'on pouvait appeler ainsi le sillon presque effacé qui serpentait à travers une prairie d'herbe rase et jaunie – était une véritable torture. Un calvaire. Un supplice. Avait-il toujours été aussi difficile ? Le jeune guerrier qui menait leur étrange duo avait pourtant déjà entrepris ce long périple. Pas le même trajet, certes, mais la destination était identique. A l'époque, cependant, il ne voyageait pas seul. Et il n'avait pas eu à assumer le fardeau du commandement, ni la charge de veiller sur une âme en peine qui luttait ardemment pour vivre…

Ou plutôt, pour ne pas mourir trop tôt.

Learamn marqua une nouvelle pause, alors que le soleil se faisait véritablement infernal. L'horizon se déformait sous l'effet de la chaleur, comme s'il observait son objectif à travers un lac. Comme d'habitude, il défit une petite tente de fortune qu'il installa pour préserver sa compagne de voyage et lui-même. La pratique lui permit de s'installer en quelques minutes seulement, et de prendre un repos bien mérité. Au milieu de nulle part, seul avec sa conscience et sa culpabilité.

Les deux le rongeaient plus sûrement que sa blessure qui se remettait progressivement – et paradoxalement – grâce à cette marche forcée à travers le continent. La douleur, bien que persistante, était moins vive. C'était peut-être lui, cependant, qui s'habituait à cette souffrance qui ne l'épargnait jamais. Apprendre à vivre avec ses plaies était l'apanage des guerriers, et il ne faisait pas exception. En attendant, il marchait de mieux en mieux, même s'il tardait souvent un solide bâton de marche en guise d'appui, lorsqu'il posait le pied à terre. Il le faisait parfois pour soulager sa monture du poids d'un cavalier, et la ménager jusqu'au terme de leur incroyable épopée jusqu'aux confins du monde.

Mais alors même qu'il se rapprochait inexorablement de sa destination, ses pensées étaient tirées en arrière par cette autre vie à laquelle il s'arrachait chaque jour un peu plus. Learamn, cavalier du Rohan. Learamn, capitaine de la Garde Royale.

Learamn…

Qui était-il vraiment aujourd'hui ? Un simple voyageur rendu fou par le chagrin et le malheur, qui s'était engagé dans une quête aussi folle que vaine ? Un idéaliste qui espérait empêcher son royaume de sombrer dans la guerre, après avoir lui-même mené son peuple au bord du chaos ?

Qui était-il ?

Était-il celui qui avait sciemment abandonné le Rohan pour une femme aux portes de la mort ? Ses pensées conscientes ne pouvaient oublier ce que ses songes ne cessaient de lui rappeler. Des mois auparavant, alors qu'il traversait l'Est Emnet… des colonnes de réfugiés qui remontaient vers le Plateau en quête de sécurité. Des dizaines de familles déplacées, meurtries par un nouveau fléau qui s'était abattu sur le pays des dresseurs de chevaux. Il n'avait jamais pu confirmer la nature de celui-ci. On lui avait tantôt parlé de « démons », ou de « spectres » qui surgissaient lors des nuits sans lune et dévoraient les enfants. Des créatures que certains appelaient les « Charbonneux », ou encore les « Dwimmen »…

Dwimmen…

Le terme à lui seul faisait froid dans le dos.

Learamn ne pouvait pas dire qu'il ne croyait pas en leur existence, car il avait pu les voir de ses propres yeux. A la faveur de la nuit, il avait effectivement aperçu dans le lointain des silhouettes sombres se déplaçant dans les campagnes. Certaines portaient des torches, et remontaient le fleuve comme des esprits en quête de victimes. Il s'était caché. Il avait attendu, et les Dwimmen s'en étaient allés à l'aube, laissant derrière eux le parfum amer de la désolation. Un temps, l'ancien capitaine avait songé à rentrer. Le Rohan avait besoin de lui face à cette menace, le royaume avait besoin de tous les hommes vigoureux capables de lutter contre ces manifestations cauchemardesques qui suscitaient la peur la plus viscérale chez les paysans. Mais il avait renoncé à cette volonté.

Pourquoi ?

Les raisons étaient multiples. En pratique, il n'aurait jamais pu rallier l'armée du Rohan, qui se trouvait sur la rive occidentale de l'Entalluve… Les Dwimmen, qui progressaient d'est en ouest, se trouvaient entre lui et le fleuve, l'empêchant physiquement de retourner auprès des siens. Et même s'il rejoignait Edoras, qu'apporterait-il comme nouvelle que des hordes de paysans terrifiés n'amèneraient pas déjà avec eux ? Il y avait forcément des cavaliers qui, confrontés à la menace, en avertiraient le Vice-Roi. C'était du moins ce dont il avait essayé de se persuader… Et puis que pourrait-il faire en revenant à la capitale ? Au fond de lui-même, n'y avait-il pas un vague espoir qui brûlait toujours comme des braises rougeoyantes qui refusaient de s'éteindre complètement même après que les flammes se fussent dispersées ? L'espoir de retrouver son titre et son honneur grâce à l'arrivée impromptue de ces créatures, celui de revenir comme le héros tant attendu, de renverser le cours de l'histoire par son action. Mais il n'était qu'un homme, blessé de surcroît. Une lame de plus ou de moins ferait-elle vraiment la différence aujourd'hui ?

Avait-elle fait la différence par le passé ?

Il avait prêté son épée à Gallen Mortensen, il avait chevauché jusqu'au Rhûn lointain, jusque dans la belle cité de Pelargir, mais la guerre n'avait pas quitté ce monde pour autant. Lui et ses compagnons avaient abattu l'Ordre de la Couronne de Fer, décapité le monstre qui l'animait et ses sbires les plus farouches. Dans les plaines du Rohan, devant une Aelyn agonisante, il avait bravé une mort certaine dans ce but précis, allant jusqu'à débusquer l'infâme Sellig. Le dernier Canthui. Sa mort avait-elle changé quelque chose ? Avait-elle restauré le bonheur et la paix en Terre du Milieu ? La réponse était évidente. Alors que changerait une lame solitaire face à la haine et à la noirceur du monde ?

Toutes ces considérations et bien d'autres encore se bousculaient dans l'esprit du guerrier, mais il y en avait une qui semblait surpasser toutes les autres.

Iran.

Il n'avait jamais été aussi proche de la jeune femme, et en vérité, avait-il jamais été aussi proche de quelqu'un ? Chaque jour, il s'occupait d'elle à la manière d'un père… d'un frère… d'un mari… Leur relation était à nulle autre pareille. D'aucuns auraient pu y voir une manifestation de son esprit rohirrim et de sa galanterie toute chevaleresque l'obligeant à protéger de toutes ses forces cette malheureuse, femme avant tout, qui dépendait entièrement de lui. Il y avait peut-être de ça.

Cependant, pouvait-il ignorer les sentiments d'espoir qui l'assaillaient quand il la sentait s'agiter fébrilement, comme un père espérant les premiers mots de sa précieuse fille ? Il veillait sur ses moindres besoins, même les plus naturels, et en avait peut-être conçu un respect nouveau pour les guérisseurs. Des hommes inconscients pour des périodes prolongées, il en avait déjà vu plusieurs, et il savait quel traumatisme cela représentait pour les familles et les compagnons d'armes. Avait-il jamais vraiment pensé à ce que cela impliquait pour les guérisseuses qui s'occupaient de les nourrir et de les changer après chaque journée quand leur métabolisme éliminait les déchets ingérés ? Il n'y avait certainement pas pensé au moment de s'embarquer dans son très long voyage, et il avait dû apprendre sur le tas, improviser parfois, et surmonter ses peurs les plus humaines. Celle de la nudité. Celle de la nature profondément animale de l'être humain, créature de sécrétions et de fluides. Celle de la féminité, enfin, altérité ultime pour un guerrier habitué à vivre au milieu d'hommes. Il se souviendrait ainsi longtemps de la première fois qu'il avait eu à affronter les saignements de la jeune femme.

Et de la seconde.

Pouvait-il en outre ignorer le pincement au cœur qu'il ressentait chaque fois qu'il faisait et défaisait le pansement qui couvrait son abdomen, dont il se sentait en partie responsable ? N'était-ce pas lui, frère d'armes devenu grand frère, qui aurait dû la protéger et empêcher tout ceci, voire même recevoir le coup mortel à sa place ? La plaie exigeait de lui une attention constante, car Iran n'aurait sans doute pas dû se déplacer, et il avait craint à plusieurs reprises au début du voyage que la suture ne fût pas assez solide. Chaque fois que le pansement lui paraissait trop usé, il s'efforçait de le changer et d'appliquer les baumes que lui avaient confiés Aelyn à Edoras. Ils avaient fait merveille, mais hélas il était rapidement tombé à court de cataplasmes et autres onguents, si bien qu'il avait dû faire avec ce qu'il avait pu trouver sous la main. De l'eau claire et un pain de savon pour enlever les impuretés, recette qu'il utilisait aussi bien pour lui-même que pour les langes de la jeune femme et ses propres habits quand ceux-ci lui paraissaient trop sales. Il partageait tout avec Iran, à la manière d'un frère dévoué qui s'efforcerait de protéger sa puînée, sans se soucier de ses propres besoins, ni de son propre confort.

Pouvait-il enfin ignorer l'embarras, la curiosité et la pointe d'affection qu'il éprouvait pour cette femme chaque fois qu'il s'occupait de la toiletter ? Délester son visage de la poussière du voyage n'avait bientôt plus suffi, et il avait été contraint de se comporter avec elle comme un amant particulièrement délicat, plein de tendresse et de respect pour ce corps à la fois fort et vulnérable. Les mains calleuses qu'il passait sur cette peau douce afin de garantir à Iran qu'elle demeurât propre avaient longtemps cherché à esquiver cette tâche qui pouvait par bien des aspects paraître plus ardue que de monter à l'assaut d'une armée ennemie. Cependant, la pudibonderie n'était pas une option, et il avait dû se résoudre à partager avec sa compagne des moments qu'il n'aurait sans doute jamais imaginé vivre avec une femme qui ne fût pas sienne. Cette transgression symbolique bien nécessaire avait fait évoluer leur relation de manière inattendue. Cette femme au corps parfait n'avait désormais plus aucun secret pour lui. Il avait pu examiner longuement les fines inscriptions qui serpentaient autour de son bras, peut-être des textes sacrés pour son peuple, à moins qu'ils ne fussent des enchantements pour la protéger de tout mal. Si tel était le cas, cette magie orientale s'était révélée bien inefficace pour lutter contre la lame acérée de Sellig… Et pourtant, qui pouvait dire si ces charmes enveloppés dans sa chair ne l'aidaient pas à rester en vie ?

Allongé sous la tente aux côtés de la guerrière, Learamn attendait en observant le soleil qu'il voyait nettement derrière la toile. Il connaissait peut-être par cœur le corps de cette femme, chacune de ses courbes, chacune de ses cicatrices pour lesquelles il avait eu le temps de s'imaginer mille histoires. Il aurait reconnu entre mille le parfum de ces cheveux de jais qu'il humait quotidiennement depuis une éternité désormais, et il lui paraissait comprendre à un niveau qui dépassait l'entendement la moindre de ses réactions, le moindre de ses gémissements, la plus petite manifestation d'inconfort.

Pour autant, à la manière d'un livre écrit dans une langue étrangère, Iran lui demeurait ostensiblement hors de portée.

Il n'avait pas accès à ce qui faisait toute la beauté de sa personne : cette voix, cet accent, cette manière de bouger, de parler, de sourire ou de froncer les sourcils. Ses yeux pétillants, vifs et intelligents étaient désormais froids et figés, incapables de se fixer sur lui quand il essayait de capter l'attention de la jeune femme. A chaque fois qu'il avait essayé de soulever ces fines paupières, il n'y avait lu que le reflet de son propre désespoir. Iran symbolisait son existence, la nature même de son conflit intérieur. Elle était bel et bien là, tangible, palpable, indéniablement vivante… pourtant, à la manière d'une bougie sur le point de s'éteindre, elle ne brillait plus, et menaçait de s'écrouler au moindre souffle de vent. Lui-même avait cessé de briller quand il avait perdu son armure, son épée, son fidèle destrier… et le vent qui soufflait dans les plaines ne le menaçait-il pas non plus de le jeter à bas de sa monture ?

Il aurait pu trouver une fin indigne sur le sol des terres sauvages, si ce n'était pour sa mission un peu folle, qui consistait à ramener Iran au Rhûn, pour lui permettre de mourir sur ses terres, là où elle était née. Sans cela… Sans cette mince chandelle qui le guidait encore dans les ténèbres de son existence, pour quoi serait-il là ?

Pour quoi… ?

Pour quoi donc… ?

Pour qui… ?

Le soleil finit par décliner. La chaleur par retomber. Learamn se redressa, et se remit en route, inlassablement. Iran contre lui, comme au premier jour. Le soleil acheva de descendre, dans son dos, puis réapparut le lendemain matin légèrement sur sa droite. Et ainsi de suite, sans que rien ne vînt troubler la monotonie du paysage…

Les bandits avaient déserté ces terres désolées après le Rude Hiver, rejoignant les routes commerciales qui passaient plus au nord, près de la Celduin. Les terres sauvages étaient pratiquement désertes, et si pauvres que nul ne songeait à les réclamer pour lui-même. Quel souverain aurait souhaité régner sur ce pays désolé, ravagé par les guerres du passé, et promis à un avenir similaire si quiconque souhaitait s'y implanter ? La solitude offrait à la fois un bouclier bienvenu au cavalier, mais elle compliquait singulièrement sa tâche. S'il avait pu trouver quelques caravanes marchandes au nord de l'Emyn Muil, elles l'avaient rapidement abandonné aux abords de la route qui rejoignait Dale. Le fleuve était un lieu d'échanges, mais la route terrestre semblait plus sûre à l'heure actuelle, et il avait croisé la route de nombreux réfugiés d'Ithilien qui s'étaient installés temporairement dans les parages en attendant que la menace des Dwimmen fût passée.

C'était là que Learamn avait appris que ces spectres étaient venus de l'Est, surgis comme une nuée innombrable à la faveur de la nuit. Des Orientaux, peut-être, car qui d'autre habitait les terres perdues à l'est de l'Anduin sinon les ennemis ancestraux des Peuples Libres ? Les mêmes ennemis chez qui Learamn envisageait de se rendre. Il avait quelques menues complications avec certains réfugiés quand ils avaient aperçu Iran, craignant qu'elle n'appartînt aux envahisseurs, et il lui avait fallu faire preuve de diplomatie et de force pour échapper à la vindicte populaire. Quelques temps auparavant, il n'aurait su que dire devant la foule rassemblée. Aujourd'hui, il pouvait prendre la parole avec assurance et confiance devant des hommes qui avaient le double de son âge, sans trembler.

Que de chemin parcouru…

Il avait donc repris son voyage sain et sauf, mais conscient qu'il n'aurait d'amis ni en Rhûn ni au Rhovanion, là où la présence d'une femme de l'Est pouvait être interprétée comme un funeste présage. Et depuis lors, personne. Pas la moindre trace, pas la moindre silhouette à l'horizon. Les Hommes semblaient avoir déserté les environs, abandonnant la région aux bêtes en tout genre. Certaines, bien trop rares hélas, étaient assez dociles pour se laisser abattre sans lui poser trop de souci. D'autres, en revanche, se révélaient être bien plus dangereuses et il avait pris l'habitude de ne dormir que d'un œil depuis quelques temps. Les deux chevaux qu'il menait avec lui représentaient des cibles particulièrement juteuses pour d'éventuels prédateurs, et il n'avait pas les moyens de poursuivre avec une seule monture valide, sauf à accepter de se séparer de ses provisions, de sa tente, et du matériel léger mais éminemment important dont il avait besoin au quotidien. Marmites, gamelles, ustensiles divers et variés, cordes… Autant d'objets dont il ne pouvait véritablement se passer sans compromettre très sérieusement la fin de son périple.

Chaque jour ressemblait à s'y méprendre au précédent, et garder la notion du temps dans de telles conditions était véritablement un exploit. Les marches étaient de moins en moins longues, le repos de moins en moins réparateur, et il se surprenait de plus en plus à s'allonger pour attendre, trop épuisé pour reprendre la route, trop éveillé pour trouver la force de dormir. Ce jour-là, ses jambes le lançaient particulièrement après qu'il eût marché pendant de longues heures dans la matinée. Comme à son habitude, il dressa la tente pour contrer les rayons du soleil, et s'installa avec Iran dans un silence bien trop familier. Ses pensées s'envolèrent vers des contrées éloignées, mais seuls les Valar auraient pu savoir lesquelles exactement. Songeait-il au Rohan et à la menace qui planait sur lui ? Pensait-il à sa famille, et aux dangers qu'elle devrait probablement affronter ? Évoquait-il au contraire des souvenirs heureux pour se donner du courage ? Pour retrouver une forme d'espoir alors que tout semblait perdu ?

Il fallait dire que l'avenir semblait sombre. Ses rations étaient épuisées depuis la veille, et il n'avait croisé aucun gibier dans les parages, bien qu'il conservât son arc à portée de la main. Cela expliquait aussi pourquoi il voyageait à pied, car tirer avec Iran en selle était tout bonnement impossible. L'exigence de rester en permanence à l'affût tout en n'ayant rien à se mettre sous la dent était particulièrement difficile pour l'organisme. La fatigue le terrassait, et son estomac l'informait de la manière la plus douloureuse possible de la faim qui le tenaillait. Allongé, il lui paraissait impossible de trouver le sommeil, et de refaire ses forces. Seule la perspective d'un bon repas pourrait le guérir et lui redonner l'énergie nécessaire pour continuer sa mission… Ses pensées étaient embrouillées, confuses, pour ne pas dire chaotiques, et il se redressa pour essayer de remettre de l'ordre dans son esprit troublé.

Ce fut alors qu'il vit.

En tournant la tête, il n'avait pas pu manquer de voir ces deux billes scintillantes qui le fixaient. Il y eut pendant un instant un long et profond silence, et pas le moindre mouvement sinon celui de la toile agitée par le vent au dehors. Puis une voix éraillée, douloureuse, presque désincarnée :

- C… Capitaine… ?

Stupeur.

Que dire ?

Que faire ?

Comment réagir ?

La guerrière était éveillée, consciente bien qu'elle parût ailleurs comme dans une réalité distante. Elle essayait de revenir à elle de toutes ses forces, mais il était évident qu'elle ne faisait que retarder l'inéluctable. Son état était trop grave, sa blessure trop profonde. Les miracles d'Aelyn et des guérisseurs du Riddermark ne faisaient que repousser sa mort, en accentuant de manière inutile ses souffrances. Ce sursaut annonçait peut-être que sa fin était proche. Retrouvant pourtant une énergie certaine, Iran tendit la main posa sa main sur le bras de Learamn. Elle était si légère qu'on aurait dit un courant d'air. Son regard se fit plus précis, et sa voix plus assurée :

- Ils arrivent, capitaine.

Devant l'absence de réaction de Learamn, qui était comme paralysé, elle se mit soudainement à crier :

- Réveillez-vous !!

Ce qu'il fit.

Learamn émergea en sursaut d'un sommeil dans lequel il ne se souvenait pas d'avoir plongé. Iran, toujours à ses côtés, n'avait pas bougé. Ses paupières étaient toujours closes, et sa respiration parfaitement régulière. Mais ce qui ne l'était pas, c'était le bruit qu'il percevait à l'extérieur. Ce n'était pas celui des chevaux, ou celui du vent. C'était autre chose. Un bruit diffus, comme des tambours qui auraient joué dans le lointain.

Un lointain beaucoup trop proche…

Ayant oublié la faim et la fatigue, Learamn sortit de sa tente, cherchant l'origine de ce bruit. Il ne mit pas longtemps à la trouver. Une colonne marchait dans sa direction, depuis l'ouest vers le Rhûn. Il distinguait nettement des cavaliers, et une longue file de silhouettes alignées qui allaient à pied. Peut-être une trentaine ou une quarantaine. Ils avaient l'air de souffrir sous le soleil, mais eux refusaient de s'arrêter et s'efforçaient de tenir l'allure. Il était trop tard pour se cacher, car les cavaliers se faisaient déjà de grands signes de la main, pointant du doigt la tente solitaire et absolument immanquable sous laquelle se cachait le corps inerte de Iran.

A dire vrai, Learamn n'avait pratiquement aucune option.

Il pouvait tenter de fuir, mais dans ces conditions il n'irait pas loin. Son cheval était las, et avec deux cavaliers il n'était pas possible de distancer les douze montures qui entouraient les fantassins. En outre, Iran avait survécu si longtemps grâce à la prudence et aux bons soins de son protecteur. Elle ne supporterait sans doute pas une cavalcade effrénée.

Restait la possibilité de se battre, mais que pouvait-il faire avec si peu de flèches et une seule épée ?

Alors qu'il considérait ses options, les détails que la compagnie qui approchait lui apparurent plus nettement. Ceux qu'il avait brièvement pris pour des soldats n'en étaient pas, en réalité. Ils allaient par deux, enchaînés comme des bêtes de somme, le dos courbé sous l'effort. Ce n'étaient de toute évidence pas des soldats, mais des prisonniers…

Non.

Des esclaves…


#Iran
Sujet: Aux grands maux les grands moyens . [PV Aelyn]
Ryad Assad

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Rechercher dans: Meduseld   Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Aux grands maux les grands moyens . [PV Aelyn]    Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyMar 25 Déc 2018 - 15:35

Il était cruel, le destin.

Et le goût du sang dans la bouche.

La morsure de la pluie sur la chair, et le froid… ce froid insidieux et pernicieux, torture insoutenable pour l'âme la plus endurcie. Comme une voix lancinante murmurant de sinistres paroles, il pénétrait sous l'armure, dans les fibres d'un vêtement chaud, et à force de s'employer il finissait par gagner sa cible. Ce cœur chaud et palpitant, cette source de vie et de vigueur à la fois si forte et si fragile. Il l'enserrait dans ses mâchoires intangibles, et le compressait à la manière d'un de ces serpents du sud lointain, que l'on disait capable d'étouffer un animal. Ce froid terrible, ce froid effroyable, il comprimait la poitrine d'Iran, qui voyait son souffle dessiner des volutes de brume devant sa bouche. Une brume qui lui paraissait presque surnaturelle, comme si ce corps n'était pas le sien. Comme si tout ceci n'était qu'un rêve éveillé, qu'elle vivait par procuration. Elle frotta ses doigts les uns contre les autres, comme pour se prouver qu'elle était bel et bien vivante, réactive, que ses sens affûtés étaient toujours aux aguets. Son nez la piquait, sa vision était brouillée par la pluie fine mais constante qui s'écrasait sur elle comme un millier de petits aiguillons. Elle passa une main sur son visage en se répétant encore et encore, à voix très basse : « patience ».

- Patience…

Il lui fallait refréner les élans d'un corps traître face à une âme pure. L'âme d'une guerrière, lame effilée en quête de victoire et de gloire. L'objectif ne se trouvait que sur le chemin du calme absolu, de la résolution la plus infaillible. Son esprit était un océan parfaitement apaisé, et la pluie fine qui tambourinait contre sa cuirasse ne devait pas en troubler la surface. Pas le moins du monde.

- Patience…

Toujours la patience.

Elle savait que c'était sa meilleure chance. Leur meilleure chance. Mais leur meilleure chance de quoi faire ? De survivre ? Elle n'y croyait pas le moins du monde. Deux contre onze, c'était un obstacle trop difficile à surmonter. Une tâche que même les héros des temps passés auraient eu peine à accomplir. Sharaman lui-même se serait détourné d'une telle folie, et elle était prête à parier que même les plus zélés des fidèles de Melkor auraient hésité devant un tel suicide. Mais contrairement à ces derniers, elle ne se battait pas pour un dieu sombre dont elle n'avait jamais vu le visage que gravé dans le roc. Elle se battait pour un héros de chair et de sang qui avait foulé cette même terre du Rohan, et qui avait payé de sa vie la droiture morale qui le caractérisait. Pour lui, pour cet homme qu'elle avait aimé comme son propre frère, elle se battrait jusqu'à la mort, et même dans l'après-vie. Elle n'aurait de cesse de venger sa mémoire, et une partie d'elle-même savait que ses ancêtres seraient fiers.

Son sacrifice serait peut-être oublié par les vivants, mais les morts l'observaient en cet instant, et jugeaient chacun de ses actes.

Ce fut alors qu'elle l'entendit.

L'appel.

Le cri de guerre intemporel et universel.

La musique du destin.


~ ~ ~ ~


- Aux armes !

Ce fut la seule directive que les sédéistes de l'Ordre eurent le temps de hurler par-dessus le déchaînement des éléments avant le choc. Le cavalier surgi de nulle part avait été une surprise de taille, et même Sellig avait laissé transparaître la peur sur son visage buriné. La peur la plus primaire… celle éprouvée par un animal traqué qui se sent soudainement acculé. Dans ce village en véritable clapier, isolé au beau milieu des maisons dont l'une continuait de brûler derrière lui, il ne savait pas d'où pouvait venir la prochaine menace. Aelyn l'avait-elle mené à cet endroit volontairement ? Avait-elle fui en feignant le désespoir pour, au contraire, le mener précisément au lieu du massacre ? Il regretta de ne pas lui avoir brisé les deux mains pour la peine, mais pour l'heure il n'était pas temps de penser au passé ou au futur. Seul le présent comptait, et le présent prit la forme d'une silhouette terrifiante surgie des ombres en brandissant une épée qu'elle agitait de droite et de gauche, se frayant un chemin sanglant dans les rangs de l'Ordre. Deux hommes s'effondrèrent, terrassés par la puissance de la bête, ou bien par le noble destrier qu'elle montait. La bête. Une bête sauvage et fauve, que Sellig identifia immédiatement comme une menace à ne pas prendre à la légère. Il plongea de côté, dans la boue et la fange, et se releva rapidement pour essayer de voir si d'autres cavaliers viendraient à sa suite.

La bête était féroce, la bête était redoutable, mais la bête était seule. Seule au milieu d'une horde de renégats dont la traque était la spécialité. Des limiers sans merci qui savaient isoler un adversaire et le mettre à mort. Ne l'avaient-ils pas déjà fait au mariage royal, contre un ancien des leurs qui avait décidé de servir sous les ordres de Mortensen après la Guerre des Trois Rois ? Ce cavalier connut le même sort que ce traître oriental. Jeté à terre, séparé de son destrier, que pouvait-il désormais ? Il pouvait braver une lame, peut-être deux ou trois, mais le cercle se refermerait bientôt autour de lui, et il mourrait sans que sa férocité ne lui eût permis de porter le moindre coup. L'intelligence prévalait toujours sur la force.

Sellig était sûr de lui.

Trop sans doute.

Ce fut la raison pour laquelle il se laissa surprendre pour la seconde fois, lorsqu'un trait mortel se ficha dans le torse d'un des hommes, qui s'écroula en hurlant de douleur, avant que ses plaintes ne se fondissent dans le bruit de la pluie sur leurs épaules. Et pour la seconde fois, Sellig se jeta à terre, imité en cela par ses compagnons qui cherchaient l'origine du tir et l'identité du tireur. Les autres baissèrent la tête, cachés qui derrière un cadavre, qui derrière le puits, ou une charrette. Sellig pesta devant cette nouvelle perte, mais cela lui avait permis d'identifier l'origine du tir. Une ruelle proche, où devait se cacher un assassin embusqué. Une seconde passa sans qu'il ne vît débarquer de renforts, et il comprit que ses adversaires n'étaient que deux. Ils avaient tenté de les effrayer – avec succès –, mais  leur mission était de sauver Aelyn, et ils n'avaient pas les moyens de les écraser. Ils comptaient seulement sur le fait que les soldats de l'Ordre resteraient sagement terrés en craignant de voir débarquer une éored sur leurs talons. D'éored il n'y avait point cependant, et pour le dernier Canthui, l'équation était simple… Il avait perdu quatre hommes, mais il lui en restait encore assez pour se débarrasser de ces gêneurs, et filer avec sa proie. Tout ce qu'il devait faire, c'était prendre l'initiative…

Son regard glissa vers le cavalier, qui s'était rapproché de la compagne de Mortensen, et qui paraissait vouloir la tirer de ce pétrin. Son cheval ne s'était pas tant éloigné, et avec beaucoup de courage et de résolution il pouvait espérer remonter en selle avec la femme qu'il devait protéger, et filer. Cependant, pour y parvenir, il lui fallait du temps. Un temps dont Sellig n'entendait pas lui laisser disposer.

- Ne les laissez pas s'échapper, cria alors le Canthui. Tuez-le ! Tuez ce fils de chien, et ramenez-moi la femme !

Il y eut un moment de flottement, mais ses hommes n'étaient pas des tendres, et pour la plupart ils n'avaient rien à perdre. Ils préféraient mourir en essayant de ramener l'Ordre à la vie plutôt que d'attendre sagement d'être pris, emmenés dans les geôles les plus sordides du royaume, pour y être torturés pendant des semaines durant… Leur existence était celle de parias, et ils ne se laisseraient pas emmener vers la tombe docilement. Le monde voulait leur mort ? Ils en avaient autant à son service.

Un premier combattant, plus zélé que les autres, s'élança vers Learamn comme un possédé, bientôt suivi par un deuxième. Les autres, plus circonspects, attendirent un peu avant de bouger, cherchant à identifier dans quelle direction il était prudent d'avancer pour éviter les traits meurtriers qui pleuvaient sur eux.

Sellig haussa les épaules.

Il savait déjà, lui. Et alors que le combat reprenait entre Learamn et ses adversaires, il s'éclipsa dans les ombres, contournant les maisons avec la discrétion d'un chat. Avec une telle pluie, le tireur ne pouvait pas se trouver bien loin…


~ ~ ~ ~

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Quatre.

Ils en avaient déjà éliminé quatre.

Dont un qui s'était écroulé aux côtés d'Aelyn, probablement poignardé par cette dernière dans un dernier sursaut de rage. Ils venaient de redistribuer les cartes de manière spectaculaire, et ils avaient frappé fort grâce à leur attaque surprise. Iran savait que la partie n'était pas encore gagnée, mais peu à peu ils revenaient sur leurs ennemis, et ramenaient leurs chances à un niveau raisonnable. La guerrière avait touché ses cibles à deux reprises sur ses deux premiers tirs, et elle avait encore deux flèches prêtes à être utilisées pour les clouer au sol s'ils bougeaient. Après avoir hésité pendant un moment, certains commencèrent à avancer, vers Learamn, conscients qu'ils ne pouvaient pas simplement le laisser s'enfuir avec celle qui semblait être Aelyn. L'Orientale décocha un premier trait, mais manqua sa cible d'un cheveu, ce qui donna le temps à l'homme d'arriver au niveau de Learamn, et de l'engager en duel. Un duel particulièrement déséquilibré, comme le premier était debout, et le second était à terre, incapable de se redresser pour livrer un combat honorable. Mais c'était peut-être mieux ainsi, car au moins le capitaine ne risquait pas une nouvelle mauvaise chute. Elle comprit alors qu'elle ne pouvait pas continuer à utiliser son arc. Il lui restait encore quelques flèches, mais la manœuvre était risquée, car si elle laissait Learamn seul aux prises avec ces guerriers, rien ne lui garantissait qu'il ne succomberait pas. A deux contre sept, leurs chances étaient infimes, mais alors seule ? Non, elle n'avait pas d'autre choix que de plonger dans la mêlée à son tour pour sauver le capitaine. Son honneur l'exigeait : elle avait juré de protéger sa vie en échange du fait qu'il eût sauvé la sienne, et elle ne trahirait pas son serment. Alors, jugeant l'appel de l'épée irrésistible, elle dégaina son épée, et céda à la juste fureur qui s'était emparée de son cœur.

Learamn savait qu'Iran était une guerrière accomplie, comme en attestait son appartenance à la garde royale de la souveraine de son royaume. Toutefois, il n'avait jamais eu l'occasion de la voir combattre, et encore moins de la voir animée d'une telle rage. La femme qu'il avait connue, au bord de la noyade, à moitié étranglée, impuissante face aux lois du Rohan et à la méfiance de son peuple… cette femme venait de disparaître, remplacée par une toute autre créature. Une danseuse pleine de grâce et de force, qui n'avait absolument rien à voir avec Rokh tel que le Rohan l'avait connu. Ce dernier, guerrier cuirassé de la tête aux pieds, engoncé dans une armure lourde et brandissait un large bouclier, était apparu aux yeux du peuple d'Aldburg comme immortel, un mur infranchissable sur lequel la danse de guerre de Mortensen s'était brisée. Iran était tout l'inverse. Elle combattait avec vivacité, et au lieu d'encaisser les coups et de revenir à la charge, elle les esquivait sans paraître même craindre la lame de son adversaire. Un léger mouvement de côté, et l'épée ennemie siffla à côté de sa tête, la manquant d'un cheveu à peine. La riposte fut terrible, et le sédéiste eut la gorge ouverte avant d'avoir compris comment une langue d'acier était venue ouvrir sa gorge en se glissant sous sa garde.

Cinq.

Alors qu'il tombait à genoux, hébété, Iran était déjà passée aux suivants. Virevoltante, tourbillonnant d'un adversaire à l'autre, elle les força à reculer en contrôlant trois adversaires sans paraître éprouver la moindre difficulté. Learamn, momentanément privé d'adversaire, put constater qu'il avait à ses côtés une alliée de poids, et que la férocité dont elle faisait preuve pouvait bien faire pencher la balance en leur faveur. Toutefois, elle n'était pas invulnérable, et bientôt elle sembla accuser le coup d'une fatigue survenue trop vite. Elle n'avait pas reçu le moindre coup, mais elle se plia soudainement en deux comme si elle venait de recevoir un coup de poignard. Un de ses adversaires en profita pour lui abattre une lame sur le crâne, qu'elle para difficilement. Elle ne put rien faire contre le coup de pied qui la cueillit en plein abdomen et l'envoya s'écraser au sol. Lorsqu'elle se redressa, Learamn put voir que sa tunique était maculée de sang.

Or les coups de pied ne faisaient pas saigner…

Ce fut tout ce qu'il eut le temps de voir, car déjà un adversaire venait dans sa direction…


~ ~ ~ ~


Le capitaine avait pu reprendre quelques forces pendant le bref instant de répit que lui avait offert sa compagne d'infortune aux prises avec leurs ennemis. Quelques précieuses secondes pour souffler, pour canaliser la douleur dans sa jambe, et surtout pour réfléchir. Réfléchir à la meilleure solution à adopter. En vérité, il y en avait deux. Iran était en bien mauvaise posture, face aux deux hommes qui essayaient de l'encercler et de la prendre en défaut, mais elle contrôlait encore suffisamment le combat pour les éloigner comme elle le pouvait de Learamn et Aelyn. Elle reculait, cédait du terrain sur chaque assaut, mais s'efforçait toujours de partir dans la bonne direction, celle qui mettrait le plus de distance possible entre les tueurs et le capitaine. Learamn pouvait donc essayer de l'aider, de lui prêter main-forte dès lors qu'il se serait débarrassé du tueur qui approchait de lui… ou bien il pouvait opter pour une autre solution, tout aussi raisonnable. Iran lui offrait une fenêtre… une chance unique de s'enfuir avec Aelyn, s'il parvenait bien entendu à se débarrasser de son adversaire. Keyvan était toujours là, à distance du combat, à l'abri. Il semblait observer la situation, sans paraître incommodé par le vacarme des duels qui se déroulaient sous ses yeux, trop habitué qu'il était à voir le sang couler. Si Learamn choisissait cette option, il faisait passer le devoir avant tout, et condamnait probablement Iran à une mort certaine.

Mais pouvait-il réellement faire le choix de sauver la vie d'une étrangère au détriment de celle d'Aelyn, la guérisseuse du Rohan, la compagne de Gallen Mortensen, son Vice-Roi et mentor ? Pouvait-il réellement accepter de lui tourner le dos après avoir été si loin pour elle ? Iran n'était-elle pas un soldat ? Un soldat qui savait ce que recouvrait la notion de sacrifice, qui savait qu'il était parfois nécessaire de donner sa vie pour une cause plus grande. Une cause qui en valait la peine. Ils avaient trouvé Aelyn, ils l'avaient retrouvée en vie ! C'était un véritable miracle. Avait-il vraiment le droit de parier ainsi la vie de celle qui avait sauvé la sienne quand il était revenu presque infirme de Pelargir ?

Le temps des réflexions s'évanouit aussi vite que la rage du capitaine quand il avait découvert le corps étendu de la guérisseuse. Balayé par l'impératif de l'instant présent, par la profonde réalisation que face à l'espoir et aux promesses d'un futur brillant, il y avait la figure inquiétante de la mort qui marchait dans sa direction. Un adversaire. Un ennemi dont le visage serait bientôt oublié, un nouvel anonyme dont l'existence insignifiante prendrait fin sans que personne ne vînt pleurer sur sa tombe. Un homme, pourtant, qui se battait pour ce en quoi il croyait. Un homme qui luttait pour une cause, lui aussi, et qui se dressait comme un rempart formidable entre les plaines boueuses des terres inondées par ces pluies estivales, et la liberté. Un homme qui se battait pour son fils, pour lui offrir un avenir meilleur que celui de se faire décapiter sur une place publique devant une foule rugissant de plaisir. Un homme violent, un homme cruel, un homme malveillant, mais qui avait le défaut d'aimer profondément la chair de sa chair.

Un seul homme.

Un seul homme contre les milliers que Learamn avait vu défiler dans son existence. Des renégats d'Hogorwen en armures noires qui avaient décimé la population d'Aldburg aux sinistres sédéistes infiltrés dans l'Amirauté de Pelargir, en passant par les guerriers d'élite retranchés dans les catacombes d'une vieille ville de Rhûn… sans compter tous les brigands, bandits, et autres malfrats que le jeune guerrier avait croisé dans sa longue vie. Celui-ci était peut-être le plus important de tous. Le dernier, l'ultime adversaire venu réclamer son dû : la vie d'un soldat qui avait survécu à tant de choses en si peu de temps que d'aucuns croyaient qu'il était béni… Sans son atroce blessure au pied, qui l'avait diminué, une partie de la garde royale lui aurait délivré des honneurs sans commune mesure pour son action. Et même ainsi, estropié, affaibli, diminué, il accomplissait son devoir avec un zèle qui confinait à la folie.

Et au bout de la folie, au terme de ce chemin de souffrance et de sacrifices, il y avait un homme.

Cet homme.

Et l'épée qu'il abattit droit sur Learamn.


~ ~ ~ ~

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Pour la seconde fois, Iran se retrouva à terre après qu'un coup particulièrement puissant l'eût fait reculer et trébucher sur une aspérité de la route. Elle roula sur le côté pour s'écarter de la trajectoire de la lame qui fondit sur elle, et se releva bien vite, reculant encore pour empêcher ses deux adversaires de l'encercler. Ils tournaient autour d'elle comme des prédateurs, et chaque fois que l'un d'entre eux attaquait, c'était pour permettre au deuxième de se glisser dans son dos, afin de mieux lui porter un coup fatal. Alors elle parait comme elle le pouvait, puis s'esquivait comme une feuille chassée par un vent capricieux, s'efforçant s'échapper le plus longtemps possible à l'inévitable gravité qui la ramènerait sur le sol. Elle luttait, elle luttait de toutes ses forces, en gardant à l'esprit une chose absolument fondamentale.

Elle était toujours calme.

Face à la perspective de la mort imminente, handicapée par cette blessure traîtresse qui l'empêchait de lutter au maximum de son potentiel, elle aurait pu céder à la panique, et tenter quelque chose de stupide et d'irréfléchi qui l'aurait condamné à la mort. Au lieu de quoi, elle appliquait méthodiquement les leçons durement apprises chez Gantulga, le maître d'armes de Blankânimad. Elle se souvenait parfaitement de ce petit personnage qui ne payait pas de mine, mais qui avait entraîné des générations de gardes royaux avant elle, et qui bénéficiait d'une expérience incomparable.

« Un garde royal ne se bat pas pour triompher », lui avait-il soufflé. « Un garde royal se bat pour protéger quelqu'un. Sa vie n'a aucune valeur, pas plus que le prestige ou la victoire. Le garde royal n'est pas celui qui a le bras le plus rapide, mais celui qui est capable de mettre de côté sa propre personne pour accomplir sa mission ».

« Mais comment faire, maître ? » avait-elle demandé alors.

« Le principe est fort simple. Connais ton environnement, comprends ton adversaire, et garde-le focalisé sur ta lame, et sur rien d'autre. Si l'ennemi est poussière, alors cherche la source d'eau la plus proche, immerge-toi dedans, et laisse la poussière coller à tes vêtements, à ta peau, à tes cheveux. N'aie pas peur de te salir, au contraire ».

Il y avait des choses qu'elle n'avait jamais comprises chez Gantulga, des choses qu'elle n'aurait probablement jamais le temps de comprendre. Mais cette notion, elle l'avait intégrée de manière formidable. Se sacrifier ne signifiait pas se jeter sans réfléchir sur les lames ennemies : c'était bon pour les mercenaires, les novices, les idiots… Sa mission consistait à donner du temps à Learamn, en lui épargnant deux adversaires. En le soulageant d'autant d'ennemis qui auraient pu l'éliminer et mettre à mort Aelyn. Ils agissaient de manière impulsive, se concentrant sur elle car ils voyaient en elle la plus grande menace. Ils réagissaient de manière instinctive, et elle savait que là résidait son avantage.

Contrôlant le terrain, elle pivota brusquement dans sa retraite pour se déplacer vers une maison. Mais pas n'importe quelle maison. Elle n'avait pas bougé au hasard, et au contraire avait très bien calculé son coup. Elle feignit une peur soudaine et se replia à l'intérieur, là où il était évident qu'elle pourrait gérer plus facilement deux adversaires. Dans un endroit confiné, ils auraient plus de mal à la contourner, et c'était une décision logique. Les assassins, eux, savaient qu'elle se jetait dans la gueule du loup, car un autre de leurs compagnons se trouvait à l'intérieur. Elle vit sur leurs visages que, la surprise passée, un sourire confiant s'élargit sur leurs traits. Un sourire qui allait les pousser à la suivre, certains que ce n'était qu'une question de temps avant qu'elle ne succombât. Ils ignoraient qu'elle n'avait pas choisi cette maison au hasard, et qu'elle aussi espérait tomber nez-à-nez avec le scélérat qui s'y cachait. Elle savait ce qu'il y faisait. Elle savait ce qu'il infligeait à la pauvre jeune fille qu'il avait capturée. En entrant dans cette bâtisse, elle s'immergeait dans l'eau, et elle n'hésiterait pas à se rouler dans la poussière, quitte à en sortir salie… ou à ne pas en sortir du tout.

Du talon elle poussa la porte et pénétra à l'intérieur où elle savait qu'elle n'aurait que quelques minutes pour agir. Au lieu de chercher à se barricader, ou de réfléchir à une option défensive, elle se retourna vers l'intérieur en cherchant la pièce. La seule pièce où il pouvait se cacher. L'espace commun était tout en longueur, et il n'y avait qu'une seule porte au fond. Elle s'y précipita sans la moindre hésitation, défonça la porte d'un coup de pied, et posa les yeux sur un homme qui avait les mains occupées à passer une ceinture de laquelle pendait son épée. Trop tard.

- Misérable… Siffla Iran en l'ouvrant en deux de l'épaule à la hanche.

Sept.

L'homme mourut sans avoir le temps de terminer de s'habiller, et alors que ses muscles se relâchaient, ses chausses tombèrent sur ses chevilles de manière pathétique. Il s'écroula de tout son long, face contre terre. Iran le contempla tomber sans la moindre compassion, mais lorsque son regard se posa sur le lit et le spectacle atroce qui s'y trouvait, elle faillit rendre le contenu de son estomac. La scène était trop horrible, trop insoutenable. Elle avait beau être une guerrière endurcie, les larmes lui montèrent aux yeux. Des larmes bien inexplicables, car pour la première fois de son existence elle pleurait pour une âme occidentale. Pour une fille originaire des peuples de l'ouest, les ennemis historiques et naturels des Orientaux.

Mais ce n'était qu'une enfant…

Juste une enfant.

A cet instant, elle sut qu'elle avait perdu le contrôle. Le calme dont elle avait fait preuve jusque là venait de voler en éclats. Une vague de rage naquit au creux de sa poitrine, et se répandit dans son esprit jusqu'à occulter tout le reste. Jusqu'à balayer toute raison, toute pensée cohérente. Ce qu'elle voyait l'horrifiait à un point tel qu'aucune pensée raisonnable ne parvenait à s'opposer à sa fureur vengeresse. Un voile rouge descendit devant son regard, le reste de l'univers sembla disparaître devant cette palpitation frémissante, cette agitation nerveuse qui parcourait ses mains. Elle découvrit les crocs comme une prédatrice, et envoya valdinguer l'enseignement de Gantulga, les années d'entraînement, les conseils de son père, de ses supérieurs, et le sens du devoir. Seule la rage et la volonté de venger Rokh demeuraient.

Deux sentiments qui brûlaient avec la même force qu'au premier jour.

Elle adressa une malédiction spéciale à ses ennemis, puis sortit à la rencontre des deux hommes en hurlant, prête à tout pour rendre enfin la justice.


~ ~ ~ ~

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Livide, les yeux écarquillés, il n'en revenait tout simplement pas.

Il y avait quelque chose qu'il ne pouvait pas expliquer. Quelque chose qui lui échappait, comme un indice manquant dans une énigme cruciale. Et la question qui tournait en boucle dans son esprit était de savoir comment il en était arrivé là.

Sellig s'était éclipsé discrètement du champ de bataille à la recherche de l'archer, mais il avait été incapable de le trouver. Et pour cause, celui-ci s'était rué dans le chaos du champ de bataille contre toute logique, ce qui avait conduit le Canthui à opérer une manœuvre inutile et à perdre un temps précieux. Une partie de lui s'en voulait de s'être laissé avoir ainsi, car ce qu'il voyait ne pouvait que le choquer. Ses hommes avaient été débordés, mis en difficulté par seulement deux adversaires. Il ne comprenait pas. Il ne comprenait tout simplement pas. Les redoutables combattants de la Couronne de Fer, terreur des Peuples Libres, avaient été vaincu par seulement deux épées, et il apparaissait que le cavalier et l'archer avaient réussi à faire tourner la situation en leur faveur en dépit de leur infériorité numérique. Un tel exploit était-il possible ? Ne rêvait-il pas ? D'un autre côté, le chef de cette bande de maraudeurs n'était pas mécontent d'avoir échappé aux premières minutes du combat, car cela lui avait donné le temps et l'espace d'observer la situation. Là où il s'était caché, craignant encore de voir débarquer d'autres renforts, il avait pu analyser le champ de bataille, et définir la marche à suivre… réfléchir afin de trouver une solution, d'essayer de donner un sens à tout ce chaos…

Sellig en était arrivé à une conclusion simple. Le cavalier blessé, incapable de se relever, ne constituait pas une menace aussi grande que sa compagne. Pour une raison qu'il ignorait, il l'avait identifiée comme le principal danger dont il fallait se méfier… peut-être parce qu'elle lui rappelait étrangement l'homme qu'ils avaient tué à Minas Tirith, ce sinistre guerrier du Rhûn qui ne s'était pas rendu sans combattre. Bien qu'elle bougeât différemment, elle dégageait la même sensation de force, et il avait vu assez d'Orientaux pour savoir à quoi ils ressemblaient et s'en méfier. Ces misérables avaient rejoint les rangs de l'Ordre en masse, mais il n'avait jamais pu leur faire confiance, et pour cause, les voilà qui se liguaient aujourd'hui contre lui et son ambition de faire revivre le projet de la Couronne de Fer. Certain qu'il devait agir pour faire pencher la balance dans la bonne direction, il s'élança à la suite de ses hommes dans la demeure, incertain de ce qu'il y trouverait en entrant.

Comme il l'avait anticipé, la guerrière tenait toujours debout, et elle offrait une belle résistance face aux deux lames qui se dressaient contre elle. Mais que pouvait-elle faire contre trois adversaires ? Sellig entra dans la danse en apportant toute sa science de la guerre, et il fut évidemment le premier à porter un coup décisif à la tempête orientale. Son épée s'abattit de haut en bas, tranchant l'épaule de la jeune femme en manquant d'un cheveu de briser sa clavicule. Elle lâcha un cri de souffrance et s'écroula au sol, alors que le sang éclaboussait son visage et sa tenue. Un des sédéistes essaya de profiter de son moment de faiblesse pour l'achever, mais elle se redressa comme un serpent et lui planta sa lame si profondément dans la cuisse qu'elle entailla l'artère et condamna le malheureux à une agonie aussi longue que douloureuse. Elle voulut tourner son arme vers un second adversaire, mais Sellig lui donna un grand coup de pied dans le poignet, la désarmant sans la moindre difficulté. Son épée couverte de sang alla rouler dans la pièce en tâchant le plancher d'un liquide vermillon, pour s'immobiliser contre le mur. Trop loin, hors de portée. La guerrière à bout de souffle retomba sur le dos en cherchant comment contenir la douleur fulgurante et la perte de sang, incapable de reprendre la lutte.

L'archère était enfin vaincue.

Sellig posa une main sur l'épaule de ses hommes, derniers survivants d'une compagnie désormais décimée. L'un d'entre eux était si gravement blessé qu'il ne parvenait pas à tenir sur ses jambes, et il refermait des mains tremblantes sur sa blessure qui saignait abondamment. Son compagnon avait essayé de lui faire un bandage sommaire, mais cela ne tiendrait pas longtemps… Le Canthui souffla à celui qui était encore valide :

- Bon travail, tu as fait ce que tu as pu… Relève-la…

Les yeux dans le vague, visiblement déchiré à l'idée d'abandonner son compagnon, le soldat de l'Ordre s'exécuta. Il saisit puissamment la guerrière et la força à se redresser, insensible à ses gémissements de douleur. Elle était si faible qu'il devait la soutenir pour lui permettre de ne pas tomber, alors que son bras pendait le long de son corps, inutile et couvert de sang. Sa blessure était impressionnante, et aurait mérité d'être traitée sur-le-champ. Mais Sellig n'avait pas l'intention de lui faire cette faveur, car l'idée de l'épargner ne lui avait pas traversé l'esprit. Le Canthui l'examina des pieds à la tête. Elle était au bord de l'inconscience, mais luttait perceptiblement pour rester focalisée sur lui, le regard farouche. Ses traits étaient indubitablement étrangers, Orientaux comme il l'avait supposé, ce qui ne pouvait qu'interroger sur la raison de sa présence au Rohan, et de sa lutte acharnée contre l'Ordre de la Couronne de Fer. Elle ne portait pas la marque des guerriers de l'Orchâl, et elle n'était de toute évidence pas une traîtresse à la cause. C'était d'autant plus surprenant, et Sellig haussa un sourcil étonné.

- Où sont vos renforts ? Combien êtes-vous ? Seulement deux ?

La femme leva la tête, et plongea son regard plein de haine dans celui du Canthui. Elle était certes affaiblie, mais elle n'entendait pas répondre si facilement à ses questions. Sellig, toutefois, n'était pas le genre d'homme qui acceptait de perdre ainsi un temps précieux. L'assaut du cavalier et de l'archère avaient eu un effet dévastateur sur ses troupes, menaçant son plan au point qu'il avait un temps songé à s'échapper. Maintenant qu'il reprenait un peu le contrôle sur la situation, il n'avait pas envie de voir la situation déraper de nouveau. Il referma son poing et l'abattit comme une massue dans l'abdomen de la guerrière, touchant involontairement sa première blessure qu'elle s'était efforcée de cacher. Son cri de douleur transperça les murs et se répandit à l'extérieur, alors que des larmes de pure souffrance jaillissaient de ses yeux fermés. Sellig avait montré une certaine patience jusqu'ici, mais aujourd'hui la crainte d'être rattrapé le terrifiait, et il voulait des réponses claires. Il s'acharna comme un dément sur le corps déjà meurtri de l'Orientale, répétant inlassablement :

- Combien êtes-vous !?

Elle serra les dents aussi longtemps que le lui permettait sa force mentale, mais même les esprits les plus endurcis avaient un point de rupture. Une limite qu'un tortionnaire habile trouvait toujours comment atteindre. Alors que le sang recouvrait le poing du renégat, et que la vie quittait peu à peu le corps de la guerrière, celle-ci finit par lâcher dans un râle :

- Il n'y a que nous deux… Je le jure !

Son cri désespéré était un appel à ce que la douleur cessât, et Sellig jugea qu'elle avait dit la vérité. Elle n'était plus une menace, et il vit ses épaules s'affaisser de désespoir maintenant qu'elle était prise. Cette révélation apaisa temporairement le tueur… Son plan n'était pas encore totalement mort. Il pouvait le ramener à la vie avec un peu d'effort. En échange de quoi, il devait sacrifier quelqu'un. Un poignard glissa dans sa main, et sans la moindre pitié il le planta dans la hanche de la guerrière qui eut un hoquet de surprise en sentant l'acier glisser entre ses chairs pour la seconde fois, et déchirer ses organes. Ses traits se tordirent et elle referma ses mains autour du bras de son meurtrier, comme pour essayer de l'emporter avec elle. En vain. Sa prise se desserra, et elle s'écroula sitôt que l'homme qui la retenait relâcha sa prise. Son agonie serait longue, Sellig s'en était assuré.

- J'aurais pu te tuer rapidement, femme de l'est, mais j'ai voulu que tes derniers instants ne soient que souffrance. Rappelle-toi que c'est Sellig qui t'a tuée, quand tu arriveras auprès de Melkor. Dis-lui bien que d'autres âmes viendront après toi.

Il eut un sourire mesquin, avant de se tourner vers le dernier soldat valide, qui était reparti soigner son compagnon :

- Vois ce que tu peux faire pour lui, mais fais vite. Nous ne nous attarderons pas ici bien longtemps.

Puis il s'élança au dehors, où il chercha du regard les traces de son dernier adversaire, lui aussi blessé. Il n'était pas difficile de le repérer, aux prises avec un des guerriers de l'Ordre, chacun luttant pour sa vie sans paraître voir le reste du monde. La situation paraissait confuse autour du cavalier, et il semblait qu'un corps à corps violent était en cours. Des coups s'échangeaient, et entre la boue et la pluie, il n'était pas possible de déterminer qui était qui. Le Dernier Canthui de la Couronne de Fer, conscient que la victoire était hors de portée s'il ne faisait pas quelque chose, choisit de faire pencher la balance en faveur de son subordonné qui se battait toujours. Il dégaina son arme, et s'avança d'un pas décidé, prêt à occire celui qui ne porterait pas des traits familiers. Celui qui ne répondrait pas au nom qu'il se mit à crier.

- Rolf ! Rolf bon sang, relève-toi et laisse-moi tuer ce chacal puant !

Il se trouvait encore à une bonne distance, mais bientôt il vit un homme se redresser tandis que l'autre restait au sol. Ses poings semblaient lui avoir permis de remporter la bataille, même si celui qui était étendu, les doigts recroquevillés comme une araignée feignant la mort, bougeait toujours. Sa poitrine se soulevait alors qu'il essayait de reprendre ses esprits, et de retrouver son souffle. Sellig laissa la pointe de son épée décrire un cercle amusé dans les airs, avant de reprendre :

- Rolf, occupe-toi de la femme ! Qu'elle ne s'échappe pas !

L'intéressé tourna son attention vers Aelyn, qui reposait toujours non loin. Son regard glissa vers son fils, toujours étendu sur le sol, à demi inconscient. Il était pâle comme la mort. Il resta un moment ainsi, immobile comme une statue d'argile, un golem hésitant sur la priorité à donner. Son fils ou sa mission. Sa mission ou son fils. La voix de Sellig s'éleva de nouveau :

- Rolf ! La femme !

L'homme se pencha pour ramasser une épée qui traînait toujours au sol. Celle du cavalier, de toute évidence. Ses mouvements semblaient saccadés, comme s'il avait été blessé durant le duel. Comme s'il était lui-même sur le point de s'effondrer. Sellig s'arrêta bientôt, méfiant.

- Rolf ? Rolf, qu'est-ce qui ne va pas ?

L'homme se retourna lentement vers lui, mais le Canthui n'eut pas le temps d'obtenir la réponse qu'un cri juvénile le tira de ses pensées. Il n'eut pas le temps de se retourner qu'une douleur fulgurante le transperça au niveau de l'arrière de la cuisse, lui arrachant un profond rugissement de douleur. En baissant les yeux, il put voir les piques d'une fourche dépasser de sa jambe, lui tirant un nouveau hurlement. De rage cette fois.

- Nom de… !

Il sentit le fer s'extraire sans douceur de ses chairs, et à l'instar d'un pantin désarticulé il se mit à tituber misérablement, se retournant à temps pour voir une gamine qui lui arrivait à peine à la taille se mettre hors de portée du coup d'épée qu'il lança dans sa direction. Sellig ignorait son nom, il ignorait pourquoi ses yeux étaient embués de larmes tout en affichant une lueur pleine de haine et de crainte. Toutefois, il devina qu'elle avait quelque chose à voir avec la famille qu'il avait fait massacrer, et il comprit qu'elle n'aurait de cesse de le voir mort. Boitillant, refusant de se laisser choir, il essaya de charger la gamine qui battit précipitamment en retraite en tenant son arme de fortune trop grande pour elle. Il n'avait aucune chance de la rattraper.

Conscient qu'il ne pouvait pas la rattraper, il se tourna vers Rolf, à qui il beugla :

- Bon sang, satané crétin ! Rattrape-la ! Crève cette gamine comme tu as crevé sa famille !

Mais alors que la pluie faisait son office, et qu'elle arrachait la glaise encore humide des épaules voûtées, Sellig nota un détail qui lui avait jusqu'alors échappé. Une forme opaline sur le torse de Rolf, qui se dégageait à chaque fois qu'une nouvelle goutte tombée du ciel venait dévoiler l'identité du guerrier solitaire.

Le Canthui passa une main sur son visage trempé, et cracha par terre en reconnaissant ce symbole. C'était la tête d'un cheval sur fond de sinople.

Et cet homme n'était pas Rolf.
Sujet: Aux grands maux les grands moyens . [PV Aelyn]
Ryad Assad

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Rechercher dans: Meduseld   Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Aux grands maux les grands moyens . [PV Aelyn]    Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyLun 17 Sep 2018 - 1:33

La poursuite… Iran était taillée pour cela.

Une traqueuse infatigable, une chasseresse impitoyable, elle avait l'âme et les compétences d'une limière, capable de suivre une piste des heures durant sans jamais la perdre, pour remonter finalement jusqu'à sa proie et la saisir férocement à la gorge. Le sourire qu'avait vu Learamn, il ne l'avait pas imaginé. Il avait véritablement vu se dessiner sur les traits de la guerrière la satisfaction pleine et entière de l'animal qui sommeillait en elle. La bête entraînée et formée dans un seul but, qui pouvait enfin s'accomplir dans ce qu'elle faisait de mieux.

Pister, débusquer, et anéantir.

Elle tendit les rênes d'Ouragan à Learamn, et n'attendit pas qu'il fut en selle pour lancer sa propre monture au galop. C'était une allure risquée, ils le savaient tous les deux, mais dans cette course de vitesse ils n'avaient pas le choix. Ils ne pouvaient pas se contenter de laisser leur fuyard filer, au risque qu'il ne rapportât leur présence à ses compagnons d'armes. Ils devaient absolument le rattraper, et pour cela ils devaient accepter de prendre davantage de risques qu'il n'en prenait lui-même. A plusieurs reprises, l'Orientale se dressa sur ses étriers comme si elle essayait d'estimer la distance entre elle et la silhouette qu'ils apercevaient devant eux. Elle avait son arc, et savait s'en servir convenablement à défaut d'être une experte dans le domaine. Toutefois, entre la pluie, le vent et la faible visibilité, elle considérait ses chances de porter un coup au but comme totalement nulles. Elle se ravisa, jugeant préférable de miser sur l'endurance de sa noble bête.

Les chevaux du Rohan l'avaient toujours impressionnée, grands qu'ils étaient et lourds surtout. Des armes parfaites pour mener de dévastatrices charges de cavalerie, mais guère adaptés aux manœuvres et aux terrains difficiles. Ils étaient rapides, puissants et effrayants, mais leurs appuis étaient plus fragiles, et leur pas était moins sûr, ce qui donnait un net avantage à la monture de la jeune femme par rapport à celle du fuyard mais aussi de son compagnon, le capitaine Learamn. Ils se rapprochaient rapidement de leur cible, ce qui était une bonne chose, mais alors qu'ils gagnaient du terrain elle sentait que lui et le Rohirrim prenaient des risques importants dans cette course poursuite.

La suite devait lui donner raison, hélas.

- Learamn !!

Elle sentit trop tard le capitaine basculer. Ouragan manqua son appui, et s'écrasa de tout son poids contre le sol, envoyant valdinguer son cavalier comme un fétu de paille. Iran lâcha un cri de surprise et d'inquiétude mêlées, alors qu'elle tendait vainement la main pour essayer de le retenir et d'accrocher quelque chose. Mais tout était allé trop vite, et elle sentit ses doigts se refermer sur du vide, alors que les deux silhouettes disparaissaient dans la nuit. Il lui fallut une force immense pour ne pas faire demi-tour et aller prêter main-forte à son compagnon, mais elle savait qu'il ne lui aurait pas pardonné de s'arrêter pour lui. Pas alors que leur homme se trouvait si proche, presque à portée de main. Elle dégaina de nouveau son arc, encocha une flèche avec souplesse, et la décocha brusquement en visant non pas le cavalier mais l'arrière-train de sa monture.

Il y eut un hennissement, puis un bruit de chute soudain accompagné d'un cri de détresse.

Iran manœuvra habilement pour ralentir et revenir à toute allure vers son ennemi qui, déjà debout, courait en direction inverse, à savoir vers Learamn. Elle ne le laisserait pas approcher ! Dégainant son épée cette fois, elle lui coupa la route et abattit violemment sa lame sur la tête du malheureux, qui détourna le coup comme il le put. Dans le même geste, elle était descendue de selle et continua sa danse mortelle, concentrée exclusivement sur son adversaire. Ils n'échangèrent pas le moindre mot, se contentant de se battre comme deux fauves luttant pour leur survie. Dans chacun de ses gestes, elle déversait à la fois sa rage et sa frustration, sa haine et son mépris, mais aussi les années d'expérience et les précieux conseils des meilleurs maîtres d'armes de son clan et de Blankânimad. D'aucuns l'oubliaient, mais elle avait croisé le fer avec Gallen Mortensen lui-même. Cependant elle n'avait pas affaire à un amateur, et le guerrier de l'Ordre était roublard. Il savait se défendre, riposter, et il se battait avec en lui la crainte absolue… celle qui vous donne des ailes et vous pousse à surmonter n'importe quel danger. Il redoublait d'ardeur au combat, conscient que s'il parvenait à se débarrasser d'elle, il avait des chances de survivre à cette journée.

Cette simple pensée le galvanisait, et transforma un combat qui aurait dû être facile en une passe d'arme de haute volée qui sanctionnerait la moindre erreur…


~ ~ ~ ~


Lorsque Learamn arriva, Iran avait triomphé. Le souffle court mais le regard toujours lucide, elle avait mis son adversaire à genoux, et avait posé le fil d'une lame acérée sur son cou. Au moindre signe de résistance, elle le décapiterait sans merci. C'était la mort la moins douloureuse qu'elle pouvait lui accorder… un cadeau qu'il ne méritait probablement même pas compte tenu de ce qu'il avait fait subir à Rokh. Toutefois, elle n'avait pas le temps de recueillir la souffrance qu'elle estimait être une juste réparation pour le sort de son compagnon, et devrait se contenter d'une fin expéditive qui ne la satisferait pas très longtemps. Elle détourna les yeux une seconde du sédéiste de l'Ordre de la Couronne de Fer pour s'enquérir de l'état de santé du capitaine de la Garde Royale. Son regard s'assombrit. Il était en bien mauvais état.

Iran avait vu la chute, et tout en sachant qu'il n'était pas mort sur le coup, avait conclu qu'il ne pourrait sans doute plus marcher, et donc l'accompagner dans la fin de cette aventure. Elle s'était fait une raison en voyant la violence de l'impact, et s'apprêtait très sincèrement à obtenir les renseignements dont elle avait besoin, puis à poursuivre seule après s'être assurée que Learamn survivrait à cette nuit cauchemardesque. Elle écarquilla les yeux en voyant qu'il avait trouvé en lui la force de volonté de se hisser sur ses jambes et de continuer à avancer. Cet effort presque surhumain l'honorait, mais pour la première fois la guerrière se dit que l'homme qui l'accompagnait était peut-être plus fou qu'elle… Elle avait accepté de tout sacrifier pour venger Rokh, la mémoire de son compagnon… La mort ne l'effrayait pas le moins du monde, et elle avait déjà partiellement accepté l'idée qu'elle ne reviendrait pas de cette mission. Mais Learamn, lui, se battait pour quelqu'un qui était peut-être encore en vie, et cela lui donnait une énergie bien supérieure encore. Il lui parut tout à coup effrayant. Effrayant car déraisonnable, et totalement hors de contrôle.

Elle n'avait aucune idée de ce qu'il serait prêt à faire pour sauver Dame Aelyn.

Il avait depuis longtemps dépassé la limite du supportable, et sans les plantes orientales qui lui avait fait inhaler Iran, il aurait probablement été incapable de monter en selle et de chevaucher si longtemps. Cependant, ce n'étaient pas les plantes qui l'animaient en cet instant, et ce n'était pas non plus l'eau merveilleuse qu'il lui avait fait goûter qui donnait à ses yeux cette lueur de détermination sauvage. Il y avait quelque chose d'autre. Quelque chose de malsain et de dangereux qui s'agitait en lui… Un sentiment qu'Iran connaissait trop bien pour l'avoir connu elle-même.

La haine.

Il haïssait l'Ordre de la Couronne de Fer, de tout son être, de toute son âme. Cette haine le maintenait en vie, le maintenait debout, mais elle le contraignait à suivre le chemin de la destruction et de la violence. Iran, dont la vengeance revêtait un caractère presque noble en comparaison, s'écarta de son chemin comme bousculée par la férocité de ses sentiments.

- Capitaine, je…

Il n'écouta pas, et se jeta sur le fuyard, certain qu'il détenait les réponses à toutes ses questions. Elle vit dans ses yeux qu'il ne lui ferait pas de quartiers, et qu'il avait bel et bien abandonné la mesure et le calme dont il avait su faire preuve jusqu'alors. Il était aveuglé, sourd à tout appel à la raison, et la guerrière n'essaya même pas de le détourner de son entreprise, consciente qu'il y avait mieux à faire. Si elle en croyait son expérience limitée avec leur homme, il ne parlerait pas. Il n'avait rien à gagner à leur révéler la vérité, car la mort était la seule issue pour lui. Elle savait qu'il s'obstinerait à les retarder, même si cela devait impliquer pour lui d'innombrables souffrances. Pourtant, un nouveau signe du destin vint les guider et les mettre sur la piste.

Le feu et le sang.

L'Ordre.

Les flammes gigantesques qui jaillissaient au nord leur donnaient la voie à suivre. Par ce temps, cela ne pouvait pas être une coïncidence, et ils devaient poursuivre leur chemin dans cette direction. Iran le sentait. Elle le savait. Et elle savait que Learamn le savait aussi, mais devant cette nouvelle preuve de la cruauté de leurs ennemis, il s'emporta franchement cette fois. Elle savait que sa rage n'était pas entièrement consumée, et elle choisit de ne pas l'en empêcher. Elle estimait qu'il avait le droit à la colère, après tout ce qu'il avait vécu, et très franchement elle n'avait pas envie de s'interposer. Pour une raison qu'elle ignorait, elle s'inquiétait de ce qu'il serait capable de lui faire si elle contrevenait à ses directives. Cependant qu'il continuait à hurler furieusement, elle s'éloigna de quelques pas pour récupérer sa monture. Veillant à ce que le capitaine ne le vît pas, elle passa une main sur son flanc, et l'examina brièvement.

Les gouttes de pluie diluèrent le sang qui venait d'empourprer ses doigts, là où une lame agile avait transpercé sa cuirasse.

Elle fit une grimace, et choisit d'ignorer la douleur pour se concentrer sur ce qu'elle avait à faire dans l'immédiat.

Mais quelque chose attira alors son attention.


~ ~ ~ ~


Il ne l'entendit que lorsqu'elle se saisit de toutes ses forces et le tira physiquement pour le redresser.

- Capitaine ! Arrêtez ! Arrêtez !

Elle avait la voix presque paniquée, soucieuse, et il revint à la réalité soudainement, cessant de se débattre entre ses bras au risque de la frapper par inadvertance. Sentant la tension refluer dans ses muscles, elle l'obligea à se tourner vers elle pour détourner les yeux du triste spectacle :

- Capitaine, il est mort… arrêtez de vous acharner…

S'en était-il rendu compte, ou venait-elle de lui apprendre la nouvelle ? Elle n'aurait su le dire, mais elle vit une lueur indéchiffrable passer dans les yeux de Learamn. Quelque chose avait changé en lui, et pendant un instant ils restèrent à se regarder droit dans les yeux, leurs visages battus par la pluie torrentielle qui s'abattait sur eux deux.

Il venait de tuer un homme à mains nues.

Alors qu'il essayait de tourner la tête pour observer le carnage, Iran lui posa une main sur la joue l'en empêcher. Elle voulait le préserver d'une vision d'horreur qui aurait pu l'achever. Elle-même avait trouvé le spectacle effroyable, tant il lui rappelait le sort que les hommes de la Couronne de Fer avaient infligé à Rokh. Un visage méconnaissable, défiguré au point d'en devenir à peine humain, par des âmes si noircies par la violence qu'elles en étaient à peine humaines elles aussi. Elle aurait voulu rassurer Learamn, lui dire que ce n'était rien, mais les mots restèrent coincés dans sa gorge, et elle se contenta de dire :

- Venez, nous devons encore sauver Dame Aelyn.

L'information parvint jusqu'à son cerveau, et le ramena progressivement à la réalité. Il restait encore des combats à mener. Il restait encore de l'espoir. Iran s'éloigna de quelques pas, et ramena son cheval oriental par la bride. Elle capta immédiatement le regard de Learamn qui, revenant à lui peu à peu, se souvenait des événements récents. La cavalcade. Ouragan. La chute. Il l'interrogea du regard, et elle vit son désarroi alors qu'elle-même ne pouvait pas lui cacher la vérité. Les mots n'avaient pas encore franchi ses lèvres que ses yeux avaient déjà révélé la triste nouvelle.

- Je suis désolée, capitaine…

Elle lui attrapa fermement le bras, pour l'empêcher de sombrer, et le tira vers le cheval qui les attendait en piétinant :

- En selle capitaine, je vous en supplie. Que cette nuit ne soit pas vaine.

Iran l'implora du regard, elle aussi au bord de la rupture. A deux, dans leur état, avec une seule monture et à peine assez de courage pour les préserver du froid qui les déchirait de l'intérieur, elle ne leur donnait aucune chance de réussite. Elle s'efforçait de l'encourager car elle avait prêté serment. Serment auprès de Rokh qu'elle ne l'abandonnerait pas. Et serment auprès d'elle-même qu'elle se battrait aux côtés de celui qui lui avait sauvé la vie. Son désespoir quasi-total, elle le dissimulait du mieux possible.

Et la pluie sur ses joues cachait admirablement ses larmes.
Sujet: Aux grands maux les grands moyens . [PV Aelyn]
Ryad Assad

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Rechercher dans: Meduseld   Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Aux grands maux les grands moyens . [PV Aelyn]    Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyLun 20 Aoû 2018 - 14:32
Aelyn avait raison. Les femmes n'avaient pas le temps de plonger dans un récit détaillé de la situation qui avait conduit la guérisseuse à en arriver là. Chaque seconde qui s'écoulait les rapprochait d'une issue potentiellement fatale. Cependant, il était important pour elles de comprendre la nature de la menace qui planait sur leur maison, si elles voulaient pouvoir s'en prémunir. Il y avait là-dehors des forces hostiles qui viendraient bientôt les traquer, et si elles souhaitaient pouvoir les affronter, elles ne pouvaient pas rester dans l'ignorance. Toutefois, les mots que prononça Aelyn n'étaient pas pour rassurer quiconque. Un enlèvement, un assassinat, une guérisseuse séquestrée… Les misérables qui avaient commis ces crimes odieux n'avaient reculé devant rien jusqu'à présent, et il n'était pas permis d'espérer la moindre clémence de leur part.

Ce que comprenait la doyenne, à mesure que le récit se développait, c'était que la situation était bien plus grave qu'elle aurait jamais pu l'imaginer. Les bandits n'étaient pas rares dans les plaines du Riddermark, mais ils se décourageaient rapidement et fuyaient quand on leur opposait une trop grande résistance. Ceux qui pourchassaient la fuyarde n'étaient pas de simples bandits… ils avaient davantage l'air d'assassins déterminés, qui feraient couler un bain de sang plutôt que d'abandonner leur mission. Pourtant, il y avait tout de même de l'espoir. Ce garçon encore inconscient n'était pas une menace aussi importante que les autres, d'après Aelyn, ce qui signifiait qu'il était possible de le rallier à leur cause, et peut-être de le convaincre de dissuader ses compagnons. En outre, les tueurs ignoraient où se trouvait leur fugitive, et il leur faudrait un long moment avant de fouiller toutes les maisons du village. C'était la raison principale pour laquelle la grand-mère avait demandé à ce que le feu principal fût éteint. Cela leur donnerait un maigre répit… Elles attendraient patiemment dans la pénombre, et se terreraient jusqu'à ce que le soleil se levât et qu'elles pussent en voir davantage. Le jour avait tendance à disperser le mal.

C'était leur meilleure chance.

Aelyn poursuivit son récit, relatant la façon dont elle avait réussi à s'échapper. Elle avait fait preuve de beaucoup d'ingéniosité et de ressource, mais surtout d'une volonté de fer. La volonté d'une mère prête à tout pour préserver la vie de son enfant. Même si celui-ci n'était pas encore né, elle refusait d'abandonner et de le laisser à la merci des hommes violents qui l'avaient attaquée. Les guerriers sous-estimaient parfois la volonté d'acier d'une mère, surtout une femme du Rohan. Elles avaient pour modèle la glorieuse Eowyn dont l'histoire n'oublierait jamais les exploits, et elles étaient capables de se dresser contre l'injustice et la folie lorsque la situation le commandait. Aelyn avait dignement incarné cet esprit de résistance et d'indépendance.

Mais le caractère indomptable avait un prix…

Les stigmates des sévices subis par la guérisseuse étaient atroces, et assez inquiétants. Ils en disaient aussi long sur le courage de la jeune femme que sur la cruauté de ses geôliers. Ils n'avaient pas hésité à s'en prendre à son enfant alors qu'il se trouvait encore en son sein. C'était un crime de la pire espèce chez tous les êtres dotés d'une once de morale. Ces hommes étaient en réalité des monstres, des créatures de cauchemar qui ne reculeraient devant rien pour accomplir leurs sombres desseins.

- Ne vous excusez pas d'avoir cherché de l'aide auprès de nous, fit la grand-mère. Vous auriez été bien bête de rejeter l'assistance de vos sœurs rohirrim. Notre royaume est divisé, mais nous savons encore nous unir lorsque c'est nécessaire.

Ces paroles réconfortantes ne changeaient pas la réalité de la situation critique dans laquelle elles se trouvaient toutes, mais elles avaient l'avantage de rappeler à Aelyn qu'elle n'était pas seule dans cette affaire. Elle pouvait compter sur le soutien indéfectible de cette petite famille, qui semblait prête à tout pour la mettre à l'abri. Cependant, ces femmes comprenaient-elles bien la nature du danger ? Il était permis d'en douter, sauf en ce qui concernait la doyenne, mais elle faisait un effort visible pour ne pas inquiéter ses filles et ses petites-filles. La guérisseuse finit par demander à voir son « patient », le jeune garçon qu'elle avait pris en otage pour pouvoir s'échapper, et qui était toujours inconscient. Solide sur ses jambes, elle prit la direction d'une petite chambre un peu à l'écart, guidée par la plus âgée des trois jeunes. Elle ne parlait pas beaucoup, mais se montrait serviable et attentive.

Quand Aelyn lui demanda de l'aider à déplacer le jeune garçon, elle eut un moment d'hésitation, avant d'écouter soigneusement les consignes de la guérisseuse, et de mettre ses maigres forces à la contribution.

- Un linge humide, je peux trouver ça, fit l'adolescente soucieuse de se montrer utile.

C'était une fermière, mais elle avait déjà quelque expérience de soigner les malades et les bêtes, aussi n'était-il pas difficile pour elle de se projeter sur de menus soins comme celui-ci. Elle promit sagement à Aelyn de s'occuper du jeune garçon, et laissa cette dernière rejoindre la doyenne. Elles devaient effectivement discuter de choses extrêmement importantes…


~ ~ ~ ~


Diviser et écraser.

Iran hocha la tête lentement.

Le plan de Learamn était simple mais efficace. Il lui rappelait ses classes dans l'armée du Rhûn. Même si les femmes y étaient tolérées, se faire une place dans un univers très majoritairement masculin n'était pas une sinécure, et elle avait dû travailler plus dur que les autres pour se hisser au rang où elle se trouvait actuellement. Elle avait passé des heures à s'entraîner, bien après que ses compagnons eussent quitté les sables de l'arène pour se restaurer. Elle avait étudié, appris des meilleurs, et elle s'était forgée une solide réputation qui était parvenue jusqu'aux oreilles de maître Gantulga de Blankânimad. Il l'avait recommandée personnellement pour entrer dans la garde royale… un appui qui suffisait à lui seul pour obtenir un poste dans le prestigieux corps d'armée.

« Iran est une guerrière accomplie » avait-il ainsi annoncé. « Elle a la force d'un tigre, l'œil vif de l'aigle, mais surtout, surtout, elle a l'intelligence et la ruse du dragon ».

Une intelligence et une ruse mises au service de la tactique militaire, qui avaient toujours produit des résultats excellents et qui l'avaient propulsée dans l'entourage personnel de la Reine. Elle avait gravi les échelons avec ce qu'elle avait dans le crâne, et avait réussi à gagner le respect de ses pairs par sa capacité à comprendre les mécanismes de la guerre pour les faire tourner à son avantage. Et sa tactique préférée ?

Un sourire carnassier fleurit sur ses lèvres.

- À vos ordres, capitaine.

Il les diviserait, elle se chargerait de les écraser.

Iran s'éloigna furtivement, traînant les deux chevaux par la bride pour rester aussi discrète que possible. La pluie tiède qui coulait sur ses épaules et sous ses pas compliquait légèrement sa progression, mais elle finit par atteindre l'endroit que lui avait indiqué Learamn : d'épais buissons qui avaient survécu difficilement à l'hiver interminable, et qui étaient désormais brûlés par le soleil. La malheureuse plante ne se remettrait sans doute pas de cette pluie soudaine qui la noyait, mais avant de périr elle offrirait une couverture idéale pour la guerrière qui se dissimula derrière, hors de vue. Elle prit la liberté de se mettre en selle, afin de pouvoir arriver rapidement en cas de danger. Learamn était ralenti par sa blessure, et si leurs ennemis sortaient en force, elle voulait pouvoir le rejoindre avant eux. Elle ne s'inquiétait pas particulièrement du sort de l'officier, ce qui était à la fois une bonne et une mauvaise chose. Une partie d'elle le considérait comme un combattant aguerri, et elle préférait lui faire confiance que de douter perpétuellement de ses capacités et de ses décisions. Mais d'un autre côté, elle avait prêté serment, et elle n'avait pas l'intention de le laisser seul face au danger. Si elle voulait se libérer de ses obligations, elle n'avait pas le choix.

Bientôt, le rugissement du cor s'éleva par-dessus celui de la pluie et du vent, promesse de mort et de désolation pour les ennemis du Rohan. L'histoire avait longtemps opposé les Orientaux et les Occidentaux, et pendant un bref instant Iran se sentit transpercée par une crainte ancestrale. Un frisson remonta le long de son échine, comme si l'appel au combat la désignait comme la cible de la furie vengeresse de ce peuple de cavaliers. Les gens du Rohan et leurs cors avaient fait couler le sang de l'Est à plusieurs reprises, et la chasseresse avait appris à haïr et à se méfier de cette menace sinistre qui flottait dans l'air, ce cri plaintif qui annonçait souvent le malheur de son peuple. Elle se remémora les récits exaltés des guerres ancestrales, où les Rhûnedain avaient lutté avec honneur jusqu'au dernier, balayés par la violence des sauvages dresseurs de chevaux, et leurs cors inquiétants. Puis elle se souvint que Learamn était aujourd'hui son allié. Dans des circonstances aussi étranges que tragiques, elle en était venue à travailler avec lui, et à vouloir défendre les mêmes intérêts que les siens. Elle ne devait pas avoir peur de cette mélodie vengeresse.

Pas aujourd'hui.

D'autres qu'elle, en revanche, devaient trembler dans leurs chausses, à l'heure où le sang devait couler. A l'intérieur de cette bâtisse, les ravisseurs de la Dame du Rohan, les assassins de Rokh, les derniers résidus de l'Ordre de la Couronne de Fer… les misérables que le monde détestait et méprisait, devaient croire leur dernière heure arrivée. Qui pouvait s'annoncer ainsi, fièrement, sinon une éored au grand complet, venue pour les faire payer leurs crimes. Ils n'étaient que deux, mais ils portaient avec eux toute la colère de leurs peuples respectifs, et c'était comme s'ils étaient des milliers tant la rage qui menaçait de les consumer gorgeait leurs muscles d'une énergie féroce. Une longue minute passa, avant que les deux guerriers ne repérassent finalement une trace d'activité à l'intérieur. Une silhouette observant à travers une fenêtre, seulement révélée par une brève éclaircie dans le ciel. Learamn sonna de nouveau dans son cor, comme pour appeler ses ennemis à la guerre…

Puis tout bascula.


~ ~ ~ ~


Aelyn s'était installée à table, avec les trois adultes : la grand-mère et ses deux filles. Les enfants vaquaient à leurs occupations, s'affairant à fermer les volets et à condamner les portes à l'aide de lourdes planches de bois qui tiendraient un certain temps. Elles étaient malheureusement les dernières du village, car toutes les autres familles avaient émigré vers Edoras ou les villages voisins. Elles seules étaient restées, se regroupant sous le même toit pour se tenir compagnie et s'entraider pendant que leurs maris et leurs pères étaient absents, affairés chez les Nains. La doyenne ne pouvait pas s'en plaindre, car elle était heureuse d'avoir sa famille auprès d'elle, et même si ses petits-fils étaient absents, elle pouvait se féliciter d'avoir à s'occuper de cinq belles âmes, fortes et courageuses. C'était elle qui avait insisté pour les accueillir sous son toit, pour qu'elles missent en commun ce qu'elles avaient le temps que la situation revînt à la normale. C'était sans doute une sage décision…

- Nous avons bien quelques fourches, fit une des mères. S'ils essaient de vous toucher, nous les accueilleront comme il se doit.

- Tu devrais aller les chercher, lança la matriarche.

- Je peux y aller, grand-mère. J'ai fini.

C'était la petite Lora. Elle avait l'air un peu effrayée, mais courageuse néanmoins. Son regard glissa vers Aelyn, et elle rougit légèrement. Du haut de ses dix ans, elle n'était pas bien grande, mais elle avait envie de se montrer à la hauteur de la tâche, et de protéger cette inconnue qui venait d'entrer brusquement dans leurs vies. Même si cela impliquait de courir au-dehors, dans l'inconnu. L'idée paraissait ne pas rencontrer l'unanimité, et quelques voix s'élevèrent contre cette idée, mais la petite trouva les mots pour convaincre ses aînées :

- Je peux me faufiler… Personne ne me verra. Et puis je connais bien la grange.

Ce dernier argument calma légèrement l'opposition. Elle y jouait effectivement régulièrement avec ses amis et ses sœurs, ce qui ne manquait pas d'agacer gentiment ceux qui y travaillaient quotidiennement, et qui devaient composer avec les interminables parties de cache-cache d'enfants qui leur couraient dans les jambes alors qu'ils soignaient les animaux, ou stockaient les réserves pour l'hiver. Lora avait toujours été la plus douée, et elle connaissait toutes les meilleures cachettes, au grand désespoir de ceux qui essayaient de la retrouver. Elle saurait indéniablement se débrouiller et échapper au danger si jamais il venait à se présenter. En outre, l'envoyer au dehors permettait à sa mère et sa tante d'assurer la protection d'Aelyn. De toute façon, elles prenaient toutes des risques immenses dans cette histoire… L'affaire fut rapidement entendue, et la petite s'éclipsa discrètement, non sans avoir convenu au préalable d'un code pour lui permettre d'entrer. Deux coups rapides, trois coups longs, deux coups rapides.

- Ne vous en faites pas, souffla la grand-mère en essayant de cacher sa propre inquiétude. Lora est une enfant pleine de ressource…

Cela suffirait-il pour autant ?

Seul l'avenir le leur dirait. Mettant à profit chaque moment qui leur était donné, les femmes décidèrent de convenir d'un plan. Aelyn n'eut pas véritablement son mot à dire dans l'affaire, puisque la doyenne insista pour qu'elle fût au centre de leurs préoccupations, comme si sa survie primait sur celle de toutes les autres. Puisque c'était elle que recherchaient les assassins, c'était elle qu'il fallait protéger en priorité. Il s'agissait d'une idée avec laquelle les deux mères étaient en parfait accord, et la guérisseuse n'eut pas le choix que d'être traitée au même rang que les trois filles. La grand-mère essaya de récapituler :

- Vous, fit-elle en pointant Aelyn du doigt, vous cacherez dans la réserve avec les filles. Vous y serez un peu à l'étroit, mais ils ne penseront pas à chercher sous le plancher… Mes filles et moi, nous nous cacherons dans ma chambre. S'ils forcent l'entrée de la maison, nous essaierons de les convaincre qu'ils font fausse route, et nous leur donnerons plus d'une raison de repartir s'ils insistent et essaient d'entrer dans la chambre. Attendons seulement que Lora revienne pour nous enfermer soigneusement.

Le destin se chargea cependant de jeter le trouble sur leur plan. Rompant le claquement régulier de la pluie contre le toit, un son très spécifique s'imposa à leurs oreilles. Un hennissement. Un cavalier venait d'arriver dans le village. Peut-être davantage, comment auraient-elles pu le dire ? Elles ne pouvaient pas affirmer avec certitude que ce ou ces cavaliers étaient la menace qu'elles redoutaient… mais pouvaient-elles prendre le risque ? Qui d'autre pouvait se promener dans les plaines du Rohan à une heure pareille, et arriver dans un village où jamais personne ne se rendait si peu de temps après Aelyn ? Des secours ? Ou bien les mêmes hommes qui l'avaient placée dans cette situation, et qui espéraient désormais finir le travail ?

Les femmes se regardèrent.

Elles avaient un autre problème, qui pesait sur leurs consciences comme une enclume… Lora n'était pas encore rentrée. Que devaient-elles faire alors ? Pouvaient-elles toujours se barricader comme prévu, en prenant le risque de laisser la jeune fille dehors avec un ou plusieurs inconnus dont seuls les Valar connaissaient les intentions ?

La vie d'une enfant, certes débrouillarde, valait-elle davantage que celle d'une guérisseuse d'Edoras ?


~ ~ ~ ~

Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! Iran10

Il avait ouvert la porte en grand, sans se soucier de la refermer. Cela aurait probablement dû les mettre sur la piste. Ils étaient pourtant restés cachés patiemment, fidèles à leur plan initial. Iran, le corps plaqué contre l'encolure de sa monture, observait la situation avec les yeux et la posture d'une lionne suivant sa proie du regard. Une proie dont l'attitude trahissait une forme de panique, et un grande empressement, des gestes saccadés qui n'étaient pas forcément très cohérents. Une proie qui ne se comportait pas non plus exactement comme prévu. La stratégie de Learamn était simple : forcer les hommes qui se trouvaient à l'intérieur à sortir, à prendre un risque, à aller vérifier de quoi il retournait. Diviser. La suite était déjà écrite, et ils connaissaient tous les deux suffisamment leur métier pour savoir quoi faire quand l'occasion se présenterait. Mais l'occasion ne se présenta jamais.

Au lieu de sortir à la recherche de celui qui avait soufflé dans le cor, la silhouette qu'ils avaient aperçue prenait la direction inverse. Celle des écuries. Vers le seul cheval qui se trouvait dans les parages.

L'homme prenait la fuite !

Iran comprit cela avec un temps de retard, au moment où elle le vit s'empresser de se hisser en selle, jetant des regards inquiets derrière lui comme s'il craignait de voir surgir la moitié de l'armée du Rohan sur ses talons. La guerrière se redressa et, s'assurant qu'elle tenait fermement la bride du cheval de Learamn, elle se lança au galop dans sa direction, s'arrêtant à ses côtés au moment même où leur fuyard quittait l'écurie à bride abattue.

- Un traître doublé d'un lâche ! Il a préféré prendre la fuite ! Que faisons-nous, capitaine ?

Elle avait laissé le cheval à Learamn, prête à suivre ses directives. Tout son instinct de guerrière lui criait de courir après le malandrin, de le rattraper et de lui faire payer ses crimes. Toutefois, elle savait que bien d'autres choses étaient en jeu que la mémoire de Rokh. Le Rohirrim cherchait à sauver quelqu'un qui était encore en vie, et elle ne pouvait pas faire passer ses préoccupations avant celles parfaitement légitime de son seul allié. Mais pouvaient-ils réellement laisser cet homme s'échapper ? Ou du moins prendre une avance considérable, puisque la pluie rendait ses traces aisées à suivre. Ils ne pouvaient pas affirmer avec certitude qu'Aelyn se trouvait à l'intérieur de la demeure, mais ils ne pouvaient pas non plus écarter cette possibilité d'un revers de main. Peut-être qu'une douzaine de tueurs armés se trouvaient encore à l'intérieur, prêts à les cueillir… Cet homme effrayé était peut-être une distraction, un leurre pour les pousser au dilemme.

Les diviser.

Iran fronça les sourcils.

- Capitaine ?

L'empressement dans sa voix était parfaitement audible, alors qu'elle fixait leur ennemi de ses yeux glacés. La silhouette du cavalier disparaissait déjà au loin, et avec elle la promesse de venger Rokh. Elle était liée à Learamn par serment, mais tout son être la poussait à poursuivre cet homme… Elle se tourna vers le Rohirrim, qui hésitait toujours sur la marche à suivre :

- Capitaine, que faisons-nous ?

Une décision devait être prise. Rapidement.
Sujet: Aux grands maux les grands moyens . [PV Aelyn]
Ryad Assad

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Rechercher dans: Meduseld   Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Aux grands maux les grands moyens . [PV Aelyn]    Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyMar 14 Aoû 2018 - 16:07

++ Melkor soit loué ++

Les mots prononcés en rhûnien glissaient sur sa langue, portant des accents aussi mélodieux que menaçants. La main glacée des ténèbres se retira de ses épaules, et laissa la place à un feu brûlant qui dévorait ses entrailles. L'abattement avait disparu, et désormais la furie guerrière s'emparait de ses sens. Son cœur se mit à battre plus vite, et bientôt les derniers relents de douleurs refluèrent derrière l'armure mentale qu'elle venait d'endosser. L'acceptation solennelle de Learamn venait de lui ôter un poids immense. Son regard enflammé plongea dans celui du jeune capitaine. Il était affaibli, cruellement meurtri par la violence de ce monde, et pourtant son âme était toujours inflexible. Face au danger, face à ses supérieurs qui lui intimaient de rester dans la cité, il était prêt à prendre tous les risques pour accomplir son devoir et sauver sa reine. Iran resta un long moment à l'observer.

Tout n'était peut-être pas mauvais, sur les lointaines terres de l'ouest.

La femme se tourna vers Eopren. Le vétéran était toujours blessé, et il était certain qu'il ne pourrait pas les accompagner. Il risquait de compromettre leurs infimes chances de succès malgré lui. Son chemin s'arrêtait ici dans cette aventure, mais il avait accompli plus qu'un simple soldat, et son rôle avait été décisif encore une fois. En se ralliant à Iran, il avait achevé de convaincre Learamn. La jeune femme lui serait éternellement reconnaissante d'avoir su mettre de côté leurs différences pour la protéger dans les moments sombres. Elle se pencha doucement vers lui, posant une main amicale sur son bras :

- Eopren, vous connaissiez l'homme qui est tombé dans la cellule voisine… Pour tous les crimes qu'il a commis, il a accompli une dernière bonne action. Il m'a révélé la cachette de ces malfaisants. En échange, il m'a demandé une seule chose : que son neveu soit bien traité. Si nous devions ne pas revenir…

Elle n'eut pas besoin de finir sa phrase. Certaines choses n'avaient pas besoin d'être prononcées à haute voix. Ils étaient tous les trois des guerriers, et ils connaissaient parfaitement les implications d'un tel serment. Eopren ferait le nécessaire, permettant à la guerrière de partir affronter son destin l'esprit léger.

La mort, sans doute.

Elle inspira profondément, sans que l'on pût déceler la moindre trace de peur en elle. Son esprit était parfaitement concentré, focalisé sur sa mission. Elle avait accepté stoïquement l'idée qu'elle ne rentrerait pas vivante au Rhûn, mais la perspective de mourir pour une noble cause l'apaisait étrangement. Elle avait le sentiment que rien ne pourrait la détourner de sa mission. Si son âme ne craignait pas le trépas, alors quel homme dans ce monde serait en mesure de l'arrêter ? Elle observa Learamn un instant. Il paraissait résolu lui aussi, à sa manière. Il connaissait la fin de l'histoire, mais il ne reculerait pas. Pour Iran, c'était une forme de consolation. Elle savait que son compagnon d'armes, bien que blessé et diminué, ne l'abandonnerait pas à une mort certaine pour sauver sa vie. Il se battrait de toutes ses forces, et lui permettrait sans doute de planter une lame en acier dans le cœur de leurs ennemis.

Aussi rapidement que le leur permettaient leurs corps endoloris, Iran et Learamn quittèrent les cachots, et prirent la direction des écuries. Le jeune capitaine savait quoi faire, comme si après avoir passé tant de temps à obéir et à exécuter les ordres, il savait parfaitement comment contourner les directives du Vice-Roi. La jeune femme l'observa faire avec un brin d'admiration. Il renonçait à tout ce pour quoi il s'était toujours battu, mettant en jeu tout ce qu'il avait gagné pour cette vendetta. Sa réputation, son rang, sa vie… Il prenait tous les risques, sans aucune certitude de revenir victorieux. La folie confinait au courage chez ce jeune officier, et pendant un instant Iran se dit qu'il était peut-être préférable pour lui de mourir au champ d'honneur que de survivre à cet affrontement. Puis elle se souvint de son devoir, et se dit qu'elle ferait tout pour qu'une telle chose n'arrivât point.

Au dehors, les deux cavaliers furent accueillis par une pluie forte, qui claquait contre les toits de chaume et sur le sol boueux des rues. Un orage d'été qui ferait plaisir à la terre et aux paysans, rafraîchissant l'atmosphère et permettant de remplir temporairement les réserves d'eau. Il rendait aussi les traces particulièrement faciles à suivre, ce qui était à la fois un avantage et un inconvénient pour Iran et Learamn. Ils pourraient pister plus facilement leurs proies si elles venaient à essayer de s'échapper, mais il serait également très simple à quiconque de les filer au train. Ils devraient se montrer prudents. En quelques secondes, les cheveux de la jeune femme se retrouvèrent trempés, et elle acheva de les essorer au moment où ils arrivaient aux écuries, où le capitaine distribua ses consignes. Les écuyers filèrent comme le vent pour chercher leurs effets personnels, laissant les deux guerriers seuls. Par prudence, le Rohirrim souhaitait informer son suzerain de l'emplacement de leurs ennemis, et Iran consentit à l'en informer. Elle comprenait sa position, et elle savait que leurs chances de succès étaient trop infimes pour conserver cette donnée pour eux-mêmes. S'ils échouaient, le Vice-Roi pourrait faire s'abattre son courroux sur ses ennemis, et venger la mémoire de Rokh en même temps qu'il vengerait celle de son capitaine et d'une inconnue venue de l'est lointain.

- Vous avez meilleure mine ainsi armé, capitaine.

Elle n'avait pas pu s'empêcher de le lui dire. Appuyé sur ses béquilles, lourd et pataud, il ressemblait à un infirme incapable de rien faire. Mais aujourd'hui, avec cette tunique aux armes de son royaume, cette épée qui pendait fièrement à son côté, et ces pièces d'armure qui faisaient rejaillir le prestige de son rang… il n'était plus le même homme. Et elle-même n'était plus la même femme. Elle avait sorti de ses affaires une boîte qui ressemblait à s'y méprendre à celles que les dames utilisaient pour se farder. Cependant, la marque carmin qu'elle jeta en travers de son visage n'avait rien à voir avec les poudres délicates que l'on voyait parfois chez les plus coquettes. Elle ne cherchait pas à plaire ou à séduire, mais bien à effrayer et à impressionner. Sa cuirasse de style oriental lui donnait l'air d'une chasseresse, ce que ne venait pas démentir l'arc accroché à la selle de son cheval.

« Au moins mourrons-nous comme des guerriers », se dit Iran.

Elle s'apprêtait à partir, mais Learamn l'interrompit à sa plus grande surprise, pour lui tendre une outre anodine. Elle l'avait vu en boire, mais supposait qu'il s'agissait d'un alcool local pour endiguer la douleur : une précaution dont elle n'avait pas besoin. Il insista cependant pour qu'elle en goûtât, et elle ne trouva pas la force de résister. Pourtant, lorsqu'elle porta l'outre à ses lèvres, elle ne sentit pas le goût habituel des spiritueux que les hommes en campagne fabriquaient parfois. Ce n'était que de l'eau. Mais pas n'importe quelle eau. La meilleure eau qui lui avait été donné de goûter ! Un liquide si frais et si pur que, comme le lui avait annoncé le capitaine, elle parut retrouver toutes ses forces en un instant. Elle ouvrit grand les yeux, en proie à une ivresse soudaine, alors que le précieux liquide qu'elle avalait à grandes gorgées semblait régénérer ses muscles et éclaircir son esprit.

Ce fut alors qu'elle le vit.

Elle avait cligné des yeux, et tout à coup il se trouvait là. Droit et fier comme à son habitude. Il la fixait intensément, un sourire énigmatique accroché au visage. Iran voulut se convaincre qu'il n'était qu'une hallucination, mais elle avait beau cligner des yeux, il ne voulait pas disparaître. Elle paraissait être la seule à le voir, cependant, car Learamn suivit la direction de son regard sans paraître apercevoir l'apparition surnaturelle qui se tenait à moins d'un mètre derrière lui.

- Rokh… souffla la jeune femme.

Un frisson lui traversa l'échine, et elle reprit dans sa propre langue :

++ Rokh, tu es là… Comment est-ce possible ? ++

La vision ne répondit rien, et se contenta d'observer Learamn. Le défunt guerrier s'approcha de lui, comme s'il examinait un adversaire potentiel. Toutefois, il n'y avait aucune animosité dans son regard, et il paraissait seulement le jauger en toute simplicité :

++ Ne le laisse pas mourir… Il a encore un rôle à jouer. ++

Iran cligna des yeux. Rokh la dévisagea avec plus de force, comme si la vie du jeune capitaine était d'une importante capitale pour la suite. Comme si à cet instant précis, davantage que la vengeance qu'elle était censée faire s'abattre sur le cou de ses ennemis, c'était Learamn qui devait primer. Stupéfaite, elle mit un moment avant de répondre sur un ton solennel :

++ Il ne lui arrivera rien, Rokh… Je te le promets. ++

Qui était-elle pour s'opposer à la volonté de Melkor, et à celle de l'esprit de Rokh qui surgissait de l'après-vie pour lui parler ? Personne. Ses yeux devinrent soudainement humides, alors qu'elle voyait son défunt ami s'éloigner d'elle soudainement, comme appelé vers l'orage qui grondait toujours au dehors.

++ Rokh, est-ce que je te reverrai ? ++

La silhouette du guerrier se retourna, et ouvrit la bouche pour répondre. A cet instant précis, Iran revint à la réalité, en se rendant compte que Learamn la tenait fermement par l'épaule, une main sur son visage pour la forcer à le regarder dans les yeux. Elle bafouilla quelque chose, donna une première réponse en rhûnien, avant de retrouver ses mots dans la langue de l'ouest :

- Je… je vais bien…

Elle tremblait encore un peu, mais davantage à cause de l'émotion qu'à cause d'une quelconque souffrance. Elle observa une dernière fois l'endroit où son ami s'était tenu quelques instants plus tôt. Il avait disparu désormais, fantôme parmi les colonnes liquides qui cascadaient depuis les cieux infinis. La guerrière ne laissa pas le temps à Learamn de s'inquiéter outre mesure de son sort. Elle était peut-être une femme, et la magie étrange contenue dans cette eau lui avait sans doute fait perdre pied pendant quelques instants, mais elle n'en demeurait pas moins une combattante avant tout. Il en faudrait bien davantage pour la faire vaciller, d'autant qu'elle se sentait plus revigorée que jamais, prête à tout affronter.

Elle se hissa en selle, et suivit alors Learamn qui partageait sa détermination et, dans un sens, son impatience. La peur chassée, il ne restait plus chez Iran qu'une euphorie presque inquiétante, qui la poussait vers les lames acérées de ses ennemis en souriant. Elle ne put s'empêcher de laisser échapper un cri de joie lorsqu'ils franchirent au triple galop les portes béantes, gardées par quelques misérables écrasés par la pluie. Ils s'éloignèrent de leur chemin en les voyant passer, reconnaissant brièvement le capitaine Learamn – ce qui les empêcha de les arrêter dans un premier temps – avant de voir l'Orientale – ce qui les incita à donner l'alarme. Ils auraient peut-être moins d'avance que prévu, mais qu'importe !

- Le prisonnier m'a dit une demi-journée de cheval, cria Iran par-dessus le vent qui fouettait leurs visages. Au galop, nous devrions pouvoir le faire en moitié moins de temps.

Un galop léger, qui se révélerait exigeant pour leurs montures, tout en préservant leurs forces dans la mesure du possible. Une allure qui convenait parfaitement à un cheval oriental, plus petit et plus endurant. Le destrier puissant sur lequel était juché Learamn pouvait sans nul doute atteindre une vitesse plus importante, mais pour combien de temps ? Elle n'aurait pas su le dire, et préféra trouver une allure intermédiaire susceptible de convenir aux deux montures. Ils chevauchèrent ainsi sans discontinuer, ralentissant quand le terrain devenait délicat, pour rattraper leur retard là où l'herbe rase ne présentait aucun obstacle. La nuit sombre ne les empêchait pas de trouver les chemins les plus sûrs, grâce à leur expérience combinée. Iran ne connaissait pas le terrain, mais elle avait des yeux de lynx et un instinct stupéfiant. Learamn l'ignorait, mais elle était une pisteuse hors-pair, et c'était une des raisons pour lesquelles elle avait réussi à se hisser si haut malgré ses origines relativement modeste. Son allure de chasseresse renvoyait à un passé pas si lointain, durant lequel elle avait dû se battre pour survivre au quotidien, et où elle avait développé des talents exceptionnels pour la traque. Même dans des conditions difficiles comme celles-ci, et à la vitesse à laquelle ils se déplaçaient, elle était capable de définir la meilleure voie à adopter pour ne pas blesser les chevaux et éviter les faux-pas. Learamn complétait son instinct par la connaissance qu'il avait du Rohan, une terre sur laquelle il était né et où il avait grandi. Les yeux fermés il pouvait en dessiner une carte mentale, et il anticipait sur les moindres difficultés.

Ils chevauchèrent ainsi pendant une éternité, frêles silhouettes battues par les vents et la pluie. Il ne faisait pas particulièrement froid, mais les conditions étaient éprouvantes, et ils arrivèrent fourbus à la bâtisse qu'ils recherchaient. Ils faillirent la repérer trop tard, et ils eurent la chance qu'un rayon de lune jaillît inopinément pour leur donner un aperçu de la situation, sans quoi ils auraient probablement réalisé qu'ils étaient arrivés à destination au moment où leurs ennemis leur seraient tombés dessus. Ils bifurquèrent rapidement, et se replièrent à une distance raisonnable, là où ils ne pouvaient ni être vus ni être entendus. Iran, passant une main dans ses cheveux trempés, demanda au capitaine :

- Je n'ai vu qu'un seul cheval autour de la maison. Si votre reine est retenue prisonnière ici, ses geôliers ne sont pas nombreux. Peut-être que les autres sont partis vaquer à d'autres occupations, qui sait ?

Elle observa la maison un instant. Pas un mouvement, pas une lumière à l'intérieur. Tout était beaucoup trop calme.

- Vous avez une idée pour entrer ?

Elle préférait lui laisser le contrôle de la situation : c'était sa terre, et sa suzeraine. C'était à lui de décider s'il souhaitait essayer une approche discrète, ou bien frapper très fort sans se soucier des dégâts. Dans les deux cas, elle s'arrangerait pour entrer la première… et s'assurer qu'il n'arriverait rien au jeune capitaine.

Elle en avait fait le serment.

Deux fois.
Sujet: Aux grands maux les grands moyens . [PV Aelyn]
Ryad Assad

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Rechercher dans: Meduseld   Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Aux grands maux les grands moyens . [PV Aelyn]    Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyMer 28 Mar 2018 - 13:02

Ce ne fut que lorsque l'eau fraîche commença à couler entre ses lèvres qu'Iran parut revenir à elle. Elle s'était efforcée de rester aussi immobile que possible, fragile poupée de chiffon entre les mains maladroites d'Eopren, qui veillait sur elle en faisant barrage de son corps. Il avait tressailli, dans l'obscurité de leur cellule partagée, au moindre son suspect provenant de l'extérieur. Elle avait senti ses muscles se contracter, prêts à passer à l'action malgré ses blessures. Elle ignorait leur gravité, et elle ne pouvait qu'imaginer que lui aussi être victime de l'Ordre de la Couronne de Fer, mais qu'il avait réussi d'une manière ou d'une autre à échapper à leurs griffes. Il n'était pas en mesure de les défendre tous les deux, aussi téméraire fût-il, et Iran avait parfaitement conscience que si quelqu'un cherchait à s'en prendre à eux, à terminer le travail, c'était encore sur le surin qu'elle tenait fermement en main qu'il faudrait compter. Elle n'avait pas lâché son arme de fortune, et avait jugé opportun de la dissimuler contre son avant-bras quand les gardes avaient fait leur apparition. Ils n'avaient pas pensé à examiner le cadavre qu'elle avait laissé, sans quoi ils auraient pu remarquer la dizaine de points de perforation dans son flanc. Elle avait dû attendre leur départ pour s'ouvrir sur le sujet à Eopren :

- S'ils reviennent, je me chargerai de leur sort.

Il était difficile d'y croire, quand on la voyait rétractée ainsi, à peine capable de tenir à genoux. Elle reprenait son souffle péniblement, mais de toute évidence les vertiges continuaient à l'empêcher de se stabiliser. Pourtant, il y avait quelque chose dans son ton qui ne laissait pas de place au doute. Ses airs de femme étaient trompeurs ici au Rohan, et laissaient parfois oublier qu'elle appartenait à la garde personnelle de Lyra. Elle n'avait rien à envier aux gardes royaux Rohirrim en termes de compétences, et si combat il devait y avoir, elle tiendrait son rang avec honneur. Eopren semblait conscient de cela, et il ne tenta pas de la dissuader ou de récupérer l'arme qu'elle avait pris soin de lui montrer – ou plutôt, compte tenu de l'obscurité, de lui faire toucher.

Ils avaient par la suite gardé un silence quasi-complet, le vétéran se contentant de la rassurer de temps à autre, et de s'assurer qu'elle allait bien. Il faisait preuve d'une certaine prévenance à son égard, et dans la nuit insondable de cette prison, ils n'étaient plus un homme du Rohan et une femme du Rhûn, mais bien des compagnons d'armes qui veillaient l'un sur l'autre. Pour la première fois, Iran se sentit réellement soutenue, accompagnée, et elle en sut gré à Eopren qui avait risqué sa vie pour la sauver, et qui ne semblait pas décidé à l'abandonner à son sort. C'était sans doute pour Learamn qu'il faisait tout cela, mais il semblait s'être pris d'affection pour elle. Iran se demanda si cela avait avoir avec son caractère, ou si quelque chose dans son passé l'inclinait à agir ainsi. Il se comportait avec elle comme si elle était sa sœur cadette… Lui rappelait-elle un membre de sa famille qu'il souhaitait protéger ? Avait-il seulement une famille ? Ces questions n'avaient aucun sens pour l'heure, et la guerrière s'abstînt de les prononcer, préférant se concentrer sur ce qui était primordial. Son esprit s'était mis à réfléchir à un plan, et avant qu'elle s'en rendît compte elle s'était assoupie, somnolant dans un univers à la frontière du rêve et de la réalité, où elle crut apercevoir Rokh qui l'appelait de très loin, et qui lui demandait de le venger.

Cette vision lui tira un sanglot étouffé dans son demi-sommeil, qu'Eopren ne put manquer d'entendre. Il y avait tant de souffrance derrière le masque guerrier de cette jeune femme qu'il était n'était pas difficile de comprendre comment elle tenait encore debout. Le jour où elle obtiendrait la vengeance qu'elle était venue chercher, le sentiment qui la maintenait en vie disparaîtrait, et elle s'écroulerait alors sans but. Elle courait droit vers sa perte, mais rien ne la ferait dévier du cap qu'elle s'était fixé, et dont elle connaissait probablement l'issue.

L'arrivée de Learamn et de Wald, le fait de pouvoir boire quelque peu, et le repos qu'elle avait pu emmagasiner, permirent à Iran de reprendre ses esprits convenablement, et de suivre les tenants et les aboutissants de la conversation. La situation était grave, et le jeune capitaine distribua ses ordres efficacement, essayant de répondre au mieux à l'urgence de l'affaire. Un double homicide dans les geôles, des assaillants dans la nature au beau milieu d'Edoras… il y avait encore beaucoup à faire avant de pouvoir ramener le calme et la sérénité dans les rues de la cité. Les hommes du Vice-Roi auraient besoin de passer chaque rue au peigne fin pour en déloger les tueurs, qui devaient composer avec un blessé mal en point. Iran choisit cependant de laisser ces considérations de côté, car il y avait beaucoup plus pressant :

- Capitaine, je sais où ils se cachent. Les gens de l'Ordre, je sais où se trouve leur repaire… Nous n'avons pas une seconde à perdre, nous devons nous y rendre sur-le-champ.

Elle voulut se lever, mais elle sentit tout à coup que Learamn hésitait. Pourquoi ? Pourquoi maintenant ? A l'heure où ils savaient enfin où frapper, où leurs ennemis étaient vulnérables car ignorant qu'ils avaient été débusqués… comment pouvait-il tempérer ses ardeurs guerrières et lui intimer du geste de rester immobile. Les yeux d'Iran exprimèrent toute l'ampleur de sa confusion. Interloquée, elle insista :

- Capitaine, nous devons y aller. Maintenant.

Mais le visage fermé de Learamn lui apprit que les choses n'étaient pas aussi simples. Elle entendit alors avec retard ce qu'il avait laissé échapper presque par maladresse, et ses grands yeux s'écarquillèrent de surprise. A mesure qu'elle comprenait ce que cela impliquait pour elle, pour son honneur, pour Rokh et sa mémoire, elle se mit à frémir, comme si tout à coup la trahison du Rohan la frappait en plein cœur :

- J'avais votre parole…

La déception absolue dans son ton était presque aussi violente qu'un coup de poing. Elle ne s'adressait pas spécifiquement à Learamn, auprès de qui elle s'était pourtant engagée à aller affronter l'Ordre, mais plus généralement au Rohan et à Mortensen qui avait accepté de la laisser l'accompagner en échange d'une place d'honneur au moment de cueillir la vengeance à la pointe de l'épée. Savoir qu'il refusait de la faire libérer – car qui d'autre que lui pouvait contraindre ainsi Learamn ? – avait de quoi faire enrager la guerrière. Celle-ci cédait pourtant à d'autres émotions, qui n'étaient pas habituelles chez elle : l'amertume, l'abattement, et une forme de rancœur tenace envers les peuples de l'Ouest qu'elle avait commencée à enterrer, mais qui venait de surgir de nouveau avec plus de force. Des lâches et des menteurs qui revenaient sur leur parole : voilà qu'elle avait la preuve de leurs méfaits, et elle était tellement choquée d'avoir pu se laisser attendrir qu'elle avait du mal à leur en vouloir.

Sa fierté orientale prit le dessus, et elle se dégagea de l'étreinte pourtant amicale d'Eopren, pour se relever brusquement. Serrant les dents pour contenir le vertige, elle tourna le dos aux deux hommes, et passa les mains sur son visage, comme pour s'empêcher de hurler. Tout dans sa posture montrait à quel point la blessure infligée par les paroles de Learamn était profonde. Elle lui avait fait confiance, elle avait placé ses espoirs en lui, en priant Melkor de pouvoir apaiser la mémoire de Rokh… Comme avait pu le déceler brièvement Eopren, la vengeance était la seule chose qui faisait tenir Iran : en être privée, c'était ne plus avoir aucune raison d'exister, et la peur de perdre ce sentiment maléfique mais moteur dans son existence la faisait vaciller.

- J'avais votre parole, reprit-elle acide en se retournant vers Learamn. J'avais votre parole, et… et…

Elle ajouta quelque chose dans sa propre langue, qui ressemblait à un juron, au ton qu'elle employa. Les mots de la langue commune semblaient ne pas pouvoir exprimer sa frustration et la rage qui bouillonnait en elle. Son regard était furieux. Furieux et blessé. Or, n'était-il pas imprudent de pousser ainsi une jeune femme qui n'avait rien à perdre dans ses derniers retranchements ? Elle ne prêtait plus attention à ce qu'ils disaient, à leurs tentatives d'apaiser la situation. L'angoisse de ne pas pouvoir accomplir le destin qu'elle s'était fixé la rendait déraisonnable, et elle leva les mains pour les interrompre :

- Assez ! Je ne veux pas de votre pitié ! Je ne veux pas de votre compassion !

Son regard se durcit, et tout à coup elle cessa d'être la fragile Iran, perdue au milieu des terres du lointain Rohan. Elle endossa une armure invisible, et redevint la féroce combattante au service du trône du Rhûn. Elle n'était pas auprès d'alliés, elle n'était pas auprès d'amis, seulement des hommes qui tentaient de lui barrer la route. Learamn ne pouvait pas nier que les ordres du Vice-Roi étaient limpides. Il avait refusé de libérer la prisonnière, et condamnait cette dernière à n'être qu'une simple spectatrice de la lutte qui allait se jouer. Cependant, la jeune femme avait pour elle un levier qui n'était pas négligeable. Elle s'en rendit compte en voyant que le Capitaine hésitait quant à la marche à suivre, et poussa son avantage sans hésiter le moins du monde :

- Le temps nous est compté, et je suis la seule à savoir où se trouvent les assassins de Rokh… ceux qui détiennent votre Vice-Reine. Vous avez besoin de moi pour les localiser, alors faites-moi sortir d'ici, laissez-moi chevaucher à vos côtés, et me battre.

Iran avait raison sur toute la ligne. Les assassins avaient fui, et ils pouvaient tout aussi bien essayer de contacter les ravisseurs d'Aelyn pour leur intimer de déplacer la guérisseuse dans un lieu plus sûr. Chaque seconde était précieuse, et ils ne pouvaient pas se perdre en palabres, ou essayer de négocier avec une femme à la volonté de fer. Pouvaient-ils pour autant prendre le temps de contacter le Vice-Roi ? Learamn souhaitait-il réellement se confronter de nouveau à Mortensen ? L'homme était devenu sombre et amer, et il n'était pas difficile d'imaginer ce qu'il ferait endurer à Iran si celle-ci refusait de partager les informations qu'elle détenait. Il la briserait, il la torturerait sans merci, il ne reculerait devant aucune atrocité pour lui faire cracher la vérité.

Cette femme méritait-elle réellement un tel sort ?

Si Learamn contactait son supérieur comme il le devait, il perdrait d'abord un temps précieux, mais surtout il risquait de s'aliéner encore davantage la jeune Iran, voire de la perdre toute entière entre les griffes de Mortensen. A l'instar du Vice-Roi du Rohan, elle était fière et têtue, courageuse et déterminée. Leurs caractères similaires risquaient de les amener dans une impasse qui ne profiterait à personne, et qui risquait d'amener plus de malheurs encore. Qu'adviendrait-il des relations entre le Rohan et le Rhûn si Iran souffrait aux mains du Vice-Roi ? La guerre et la violence étaient-elles les seules langues qu'ils parlaient ? Mais dans le même temps, que pouvait un simple garde royal, tout capitaine fût-il ? Il restait à voir au jeune homme quelles étaient ses options, et ce qu'il était prêt à sacrifier dans sa lutte contre l'Ordre de la Couronne de Fer. Iran lui rappela douloureusement l'urgence dans laquelle ils se trouvaient :

- Il n'est plus temps de réfléchir, Capitaine. Si vous avez peur de m'accompagner, laissez-moi au moins les affronter, seule s'il le faut. Je préfère mourir en leur faisant payer leurs crimes que de passer une seconde de plus ici. Je ne vous demande rien d'autre que mon épée, mes simples et mon cheval.
Sujet: Aux grands maux les grands moyens . [PV Aelyn]
Ryad Assad

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Rechercher dans: Meduseld   Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Aux grands maux les grands moyens . [PV Aelyn]    Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyLun 8 Jan 2018 - 18:27

Contrairement à ce que la jeune femme avait pu penser, ce n'étaient pas les rayons du soleil qui pénétraient dans sa cellule par le mince interstice qui séparait la porte du sol de pierre. Non. C'était une lueur plus fébrile, plus ténue, celle d'une torche que l'on portait à bout de bras pour éclairer un chemin par trop sombre. Il y eut quelques bougonnements, des grommellements alors que certains des prisonniers se retournaient dans leur sommeil pour échapper à la morsure d'une lumière douloureuse pour leurs yeux fatigués habitués à la pénombre. Au bruit qu'ils faisaient, les hommes en armes qui avançaient étaient deux, peut-être trois, et ils amenaient selon toute vraisemblance un nouveau prisonnier, un ivrogne repêché au fond d'un caniveau, sans doute. Iran s'efforça de fermer les yeux et de faire abstraction du monde extérieur, mais elle eut la désagréable surprise de constater que l'on installait le prisonnier – récalcitrant, à en juger par ses vociférations sonores – à côté de sa cellule. La belle affaire. Le misérable s'amusait à frapper sur sa porte en demandant à ce qu'on le libérât sur-le-champ, mais les gardes ne lui firent pas ce plaisir, et alors qu'ils partaient, il fut accueilli par les cris rageurs des autres pensionnaires des lieux. On ne plaisantait pas avec le sommeil ici, et ses efforts n'étaient pas du goût des dormeurs dont le repos était encore la seule échappatoire. Bientôt il se tut, et Iran l'entendit se déplacer lourdement vers le fond de son réduit. Il s'installa pesamment à même le sol, et elle l'entendit soupirer profondément, avant de marmonner quelque chose pour lui-même. Le mur de pierre qui les séparait aurait dû couper le bruit mieux que ça, et elle s'étonna de percevoir aussi bien ses allées et venues. L'explication était simple, et elle lui apparut rapidement quand elle se décida à quitter sa position allongée pour examiner l'affaire d'un peu plus près.

Un petit trou avait été percé dans le mur, permettant aux deux cellules de communiquer. Il était barré par une grille, et se trouvait trop haut pour qu'elle pût voir de l'autre côté, mais elle sentit distinctement le fer âgé sous ses doigts lorsqu'elle tendit la main. Un système d'aération commode dans ces geôles qui se trouvaient dans les profondeurs de la terre, et qui permettait d'amener de l'air frais tout en évitant les courants d'air au ras du sol. Malin, mais désagréable à cette heure de la nuit. Debout sur la pointe des pieds, la tête d'Iran se trouvait encore trop bas pour atteindre l'ouverture, mais avec ses mains tendues elle essaya de mesurer les dimensions pour voir si elle pouvait la boucher avec un vêtement ou n'importe quoi qui pût lui permettre de couper le bruit. Une bonne nuit de sommeil ne serait pas de trop pour affronter sa dure journée du lendemain, et elle avait l'impression que son voisin ne cesserait pas son vacarme avant encore quelques heures.

- Mais qu'est-ce que vous foutez ? L'interrogea-t-il bientôt avec brusquerie, en entendant ses mains qui s'agitaient sur le métal.

La jeune femme fit claquer sa langue, et répondit sèchement, sans cacher son agacement :

- À moins que vous ne vous taisiez, je n'ai pas d'autre choix si je veux réussir à dormir… Par Melkor, ce que vous êtes bruyant !

Pas de réponse. Elle s'immobilisa, et se demanda si l'intéressé n'avait pas soudainement décidé de se montrer courtois, et de faire silence pour lui permettre de se reposer. Elle s'en voulut presque de lui avoir si mal parlé, et de ne pas lui avoir gentiment demandé de faire silence. Soulagée, elle lui glissa un « merci », et s'apprêta à aller se coucher, quand tout à coup il reprit avec une anxiété que ne dissimulait pas le fait qu'il parlât à voix basse :

- Attendez ! Attendez, attendez, ne partez pas !

Elle l'entendit se rapprocher du mur, et chercher les barreaux lui-même. Des sons lui indiquèrent qu'il essayait de trouver des prises sur le mur lisse pour se hisser et pouvoir regarder dans sa cellule à elle. Il sembla y parvenir pour un temps, sans doute dans une position très précaire, avant de se rendre compte que son effort était parfaitement inutile :

- Bon sang, il fait aussi sombre chez vous que chez moi.

- En effet, répondit-elle, méfiante.

Son état avait changé soudainement, et elle s'inquiétait un peu de savoir quelle était la raison de revirement brusque. Pourquoi cette soudaine curiosité à son égard ? Pourquoi agissait-il comme si elle était soudainement la clé lui permettant de sortir d'ici ? Il lui apporta la réponse sous la forme d'une question à laquelle elle ne s'attendait pas. Pas le moins du monde. Pas ici. Sur un ton à la fois plein d'espoir et de crainte, il souffla :

- Vous êtes l'Orientale ? La femme que Mortensen a ramenée de son voyage au Gondor ?

Ce fut au tour d'Iran de rester silencieuse. Quelque chose lui disait qu'elle n'avait pas intérêt à répondre. Pourtant, ne s'était-elle pas déjà trahie ? Son accent était parfaitement reconnaissable, et elle ne parlait pas la langue des hommes d'ici, si bien que la langue commune était la seule avec laquelle elle pouvait communiquer. Il n'était pas difficile de faire le rapprochement. Mais elle se demandait pourquoi cela avait de l'importance. Son silence n'apporta aucune confirmation, mais l'homme reprit :

- Vous êtes la femme qui allait aux bains, n'est-ce pas ?

La guerrière comprit alors. Ces questions étaient loin d'être anodines… et cette voix était loin d'être aussi étrangère qu'elle avait pu le croire au début. En réalité, elle était même assez familière, mais elle avait seulement effacé de son esprit la possibilité de l'entendre entre ces murs. L'attitude d'Iran se modifia, et elle grogna comme un fauve soudainement sur la défensive :

- Et vous êtes…

- Oui. Vous avez deviné… Bon sang, je n'arrive pas à croire que vous soyez en vie…

Fière, la guerrière se rapprocha du mur qui les séparait, pestant intérieurement de ne pas pouvoir le traverser pour aller cueillir sa vengeance contre le misérable qui avait osé l'agresser et la laisser pour morte. Elle lui aurait fracassé le crâne à mains nues si elle l'avait pu, et tant pis pour les conséquences. Mais, barrée dans son entreprise par un obstacle infranchissable, elle se contenta de répondre un ton plus haut :

- Vous allez regretter que je ne sois pas morte, quand je mettrai la main sur vous !

- Et toi, fit une autre voix venue d'une autre cellule, tu vas regretter de pas fermer ta grande gueule à cette heure de la nuit !

Iran ouvrit de grands yeux, outrée par ce commentaire déplacé, mais elle ne trouva pas quoi répondre, et reprit un peu plus bas à la seule attention de son voisin :

- Je vais vous faire payer votre tentative, scélérat.

Il rit pour lui-même, d'une manière que la jeune femme trouva fort déplaisante. Se moquait-il de ses menaces ? La défiait-il de réussir à les mettre à exécution ?

- J'ai bien peur que vous ne puissiez jamais obtenir vengeance… Lâcha-t-il sombrement. Le Vice-Roi me fera décapiter à la première heure demain matin. Enfin… si je passe la nuit, cela va sans dire. Et pour votre gouverne, vous tuer n'a jamais été notre intention.

- Ah oui !? Gronda Iran, avant de se rendre compte qu'elle risquait encore de s'attirer les foudres des autres détenus, et de poursuivre plus discrètement. Et que pensiez-vous qu'il adviendrait de moi après m'avoir noyée ?

De longues secondes sans réponse, puis :

- Je ne sais pas… Je ne sais pas… Je ne pensais pas que… Enfin… On voulait simplement vous faire peur, pour que vous partiez d'ici… Pour que vous quittiez le Rohan…

Iran voulut répondre, mais les mots moururent dans sa gorge. Elle avait décelé une fêlure dans la voix de son interlocuteur, qui l'incitait à ne pas l'attaquer de front. S'il lui confiait tout cela, ce n'était pas uniquement parce qu'il était condamné à mort, et qu'il voulait vider son sac avant d'offrir sa tête au bourreau. Non. Il y avait autre chose. L'homme à qui elle parlait était bouleversé, et elle devinait qu'il se dominait à grand peine. Cela donnait à son discours des accents de vérité qui, il fallait l'avouer, émoussaient la colère et la hargne de la guerrière. Privée de sa vengeance, et du plaisir de pouvoir faire couler le sang pour laver son honneur, elle en était réduite à devoir utiliser les mots : exercice dans lequel elle n'excellait pas…

- Vous détestez les gens comme moi, fit-elle.

Ce n'était pas vraiment une question, mais il se laissa prendre :

- Les femmes, vous voulez dire ? Ou les Orientaux ?

- Les deux…

Il considéra sa réponse un instant, comme s'il souhaitait – pour des raisons qui n'appartenaient qu'à lui – lui offrir une réponse honnête. Peut-être parce qu'au fond, il cherchait aussi une réponse honnête pour sa propre conscience, et qu'il lui fallait quelques secondes pour se souvenir des raisons qui l'avaient poussé à essayer de tuer une parfaite inconnue. Il finit par lâcher :

- Je ne déteste pas les femmes… Même si les voir avec une épée me donne la nausée. Je déteste les Orientaux, par contre. Vous et vos coutumes étranges… Partout où vous passez, vous semez la mort, que ce soit par le fer, le feu, ou la magie. Ce sont les gens comme vous qui nous empêchent de vivre en paix. C'est à cause de vous que le Rohan est dans cet état. Je ne dis pas que je suis un innocent, et j'ai fait mon lot de saloperies moi aussi, mais vous êtes ce qu'il y a de pire en Terre du Milieu. Alors oui, je vous déteste. Et vous voir ici, dans nos murs, manger notre pain et boire notre eau… ça me donne envie de vous renvoyer chez vous à grand coup de pied dans le cul.

- Si ça peut vous rassurer, je vous déteste aussi, répondit-elle.

Il lâcha un petit rire, et elle y associa un sourire narquois. Leur haine réciproque leur fournissait un point commun inattendu, et partager un moment de complicité dans cette situation était si saugrenu et si incongru que cela détendit curieusement l'atmosphère entre les deux. La jeune femme se rapprocha du mur, et souffla :

- Ce sont les vôtres qui ont tué mon ami… Et si je suis ici, c'est uniquement à cause de votre lâcheté.

- Les Rohirrim, vous voulez dire ? Ou l'Ordre ?

Elle hésita un instant, considérant le sens de sa question pour regarder au fond de son cœur et examiner la nature de ses sentiments, avant de répondre :

- Les deux.

Oui. Elle détestait l'Ordre de la Couronne de Fer, ces maudits vauriens qui lui avaient enlevé Rokh, et qui avaient mutilé le guerrier au point que son âme ne rejoindrait jamais ses ancêtres. C'était un affront qu'elle ne pourrait jamais pardonner. Mais elle tenait aussi les Rohirrim pour responsables de tout cela. C'était un peuple qu'elle avait appris à connaître par l'entremise de cet ami perdu, et dont elle suivait curieusement le parcours, tout en se forgeant une idée assez analogue à celle de Rokh. Des hommes malhonnêtes, couards, vicieux, qui revenaient sur la parole donnée et qui trahissaient leurs serments. Des hommes qui se vautraient dans le luxe et la débauche autant qu'ils se roulaient dans la fange et le purin. Afin de survivre dans cet environnement, elle s'était drapée dans une tristesse infinie, et s'était coiffée d'un mépris universel qu'elle arborait fièrement en présence de ce peuple étrange qui lui avait pris son ami. Son frère. Son compagnon d'armes. Son voisin de cellule parut réfléchir un instant, avant de souffler :

- J'ai entendu parler de votre ami. Par des rumeurs. S'il a bien été assassiné par des gens de l'Ordre, comme on le raconte, ils avaient de bonnes raisons de le faire. Ils ne font rien sans raison. Mais ne croyez pas qu'il n'y avait que du négatif avec eux… Hogorwen aurait pu être un bon roi, s'il n'avait pas eu à affronter tant de conspirateurs. Mortensen n'a pas voulu se soumettre. Puis il y a eu Fendor, puis Orwen, son propre fils… Hogorwen a tout fait pour ramener l'ordre, pour redonner sa gloire au Rohan… Il s'est servi de l'Ordre pour essayer d'établir la paix, et quand le moment serait venu, il aurait gouverné seul et aurait été un bon souverain. On se serait souvenu de lui comme du Restaurateur…

- Je ne comprends pas un mot de ce que vous racontez, fit Iran qui n'était pas au fait de la politique intérieure du Rohan.

L'homme eut un rire bref, naturel, avant de rétorquer :

- Je suppose que tout cela vous est bien égal. A moins que ça vous fasse plaisir de voir le Rohan affaibli, divisé. Comme ça, quand vous viendrez avec vos oliphants, vous ne trouverez pas une grande résistance.

Elle haussa un sourcil :

- Des oliphants ?

- Mais oui, vous savez… Ces immenses bêtes, que l'on dit hautes comme des montagnes, avec des défenses plus épaisses que des troncs d'arbres. On raconte encore au coin du feu comment le roi Théoden a jadis fait face à toute une armée de ces choses, et a réussi à les terrasser.

Iran réfléchit un instant, essayant de voir de quoi il voulait bien parler. Le terme « oliphant » ne lui était pas familier, car sa maîtrise du Commun était loin d'être parfaite, même si elle était une utilisatrice bien plus aguerrie que nombre de ses collègues dans la garde royale. Elle ne connaissait qu'une seule créature qui correspondait à la description que lui faisait son interlocuteur, mais elle les appelait par un autre nom :

- Vous parlez des mûmakil ? Ces grandes bêtes de guerre se trouvent au Sud, pas dans les terres de l'Est.

- Je croyais que les Orientaux les élevaient…

Elle fit « non » de la tête pour elle-même, se rendant compte à quel point cet homme ignorait la géographie du monde. En réalité, elle-même ignorait la géographie de l'Ouest de la Terre du Milieu, et jusqu'à récemment elle ignorait la différence entre le Rohan et le Gondor. Pour elle, tous ces « Hommes de l'Ouest » formaient un seul et même peuple, et elle avait eu du mal à comprendre leurs nombreuses divisions, et à accepter l'existence d'une multitude de races étranges. Elle pensait que les Elfes, créatures de malheur, étaient les seules entités non-humaines à arpenter le monde, mais en réalité les légendes sur le petit peuple que lui racontaient ses parents semblaient être fondées. Elle ravala son ignorance derrière un masque de mépris, et répliqua avec dédain :

- Dans mon pays, que vous appelez Rhûn, nous n'élevons pas ces choses. Nous partons à la guerre à pied, ou à cheval, mais nous ne sommes pas des dresseurs d'animaux sauvages comme le sont les gens du Sud. Ils ont bien des noms, mais votre peuple connaît leur terre sous celui de Harad. C'est une région lointaine et hostile, peuplée d'hommes belliqueux et farouches. Ils élèvent des créatures mystérieuses, des mûmakil qui pourraient enjamber d'un seul pas les remparts d'Edoras, mais aussi bien d'autres monstruosités dont ils gardent jalousement le secret. Je n'en ai jamais vu moi-même, mais on dit que les mûmakil sont les créatures les plus effrayantes qui soient, et que les gens du Harad les craignent autant qu'ils les vénèrent.

- Je suppose que je n'aurai pas la chance d'en voir.

- En effet.

Il gardèrent le silence un long moment après cela, chacun demeurant absorbé dans ses pensées. Iran ne savait pas trop quoi tirer de cette conversation étrange avec un homme qu'elle aurait tué sans hésiter en temps normal. Apercevoir son côté humain n'avait pas fait disparaître son désir de vengeance, bien au contraire, mais cela travaillait sa curiosité. Elle était une traqueuse, une chasseresse, et elle avait toujours faim du moindre indice. Surtout si une information de première main lui permettait de retrouver les assassins de Rokh. Au fond d'elle-même, elle savait que cet homme pouvait la conduire aux assassins qu'elle recherchait depuis si longtemps, et elle avait cruellement besoin d'une piste pour respecter son serment. Alors elle ravala sa fierté, et rompit le silence :

- Vous dormez ?

Il répondit par la négative. De toute évidence, lui non plus ne parvenait pas à trouver le sommeil, et cherchait dans cette conversation un petit quelque chose qui l'aiderait à repousser ses cauchemars. Iran reprit :

- Dites-moi… Connaissez-vous les hommes qui ont tué Rokh ?

- Hélas… Mais je ne peux rien vous dire.

La guerrière n'était pas très douée pour amener les gens à se confier subtilement, et elle rétorqua sans détour :

- Ils vous tueront de toute façon. Ils ont déjà fait assassiner votre compagnon. Vous devriez chercher le moyen le plus efficace de le venger.

- Mandred… Dit-il en prenant soudainement une voix très sombre. J'ai entendu ça, oui… Je ne pensais pas qu'ils iraient jusque là… Et j'imagine que je suis sur leur liste maintenant, car ils ne prendront pas le risque de me laisser parler… Mais qu'est-ce que je pourrais bien faire de la vengeance, hein ? Dans ma position, à quoi ça pourrait bien me servir ?

C'était une bonne question, à laquelle Iran ne trouva pas de véritable réponse. A quoi pouvait bien servir la vengeance ? Si elle tuait cet homme, cela effacerait-il le souvenir douloureux de son agression ? Si elle tuait les hommes de la Couronne de Fer, cela ramènerait-il Rokh ? La futilité de son entreprise lui apparut soudainement, et pendant un bref instant elle sembla vaciller, avant de se reprendre. Elle ne cherchait pas la vengeance pour un gain matériel spécifique, mais parce que c'était son devoir, et parce que son honneur le lui commandait. Le reste était superflu… Ce n'était pas quelque chose qu'elle pouvait expliquer à son voisin de cellule, et elle se mura dans un silence pesant, pensive. De longues minutes passèrent, avant qu'elle entendît de nouveau sa voix :

- A moins d'une demi-journée de cheval, à l'Est d'Edoras… Dans une vieille ferme située non loin d'un gué entre la Snowbourne et la grande route de l'Ouest… C'est là qu'ils se sont repliés, j'ai entendu une partie de leur plan…

- Que… ?

- Il y a autre chose, coupa l'homme qui semblait vouloir terminer ses explications. Leur chef… c'était un homme important dans l'Ordre de la Couronne de Fer… un homme dangereux… D'après ce que j'ai compris, il a participé à la prise de Fondcombe, et…

Iran se demanda s'il était en plein délire. Elle ne comprenait pas à quoi il faisait référence, ni pourquoi il lui donnait tous ces détails qui lui paraissaient inutiles à la réalisation de sa mission. Toutefois, quand elle essaya de l'interrompre pour lui demander des précisions sur « Fondcombe », un nom qu'elle n'avait jamais entendu de sa vie, elle le sentit se crisper :

- Ce n'est pas le plus important pour le moment. Rappelez-vous seulement que c'est le dernier Canthui de l'Ordre, il a survécu à toutes les purges et à toutes les traques… S'il réapparaît aujourd'hui, ce n'est pas pour rien…

- Pourquoi est-ce que vous choisissez de me dire tout ça maintenant ? Vous savez bien que…

Elle ne trouva pas comment finir sa phrase. Elle avait espéré pouvoir recevoir toutes ces informations, mais tout à coup il lui semblait que l'homme était bien trop coopératif, et qu'il cédait trop facilement. Il devait bien savoir, en effet, qu'elle allait rapporter tout cela à Learamn, et qu'ils organiseraient une traque des séides de la Couronne de Fer. Si ce qu'il lui disait était vrai, elle veillerait à ce que pas un n'en réchappât, et elle ferait s'abattre sur leur nuque le poids de la justice sous la forme d'une langue d'acier. Il était donc sciemment en train d'envoyer ses compagnons à la mort, et elle ne s'expliquait pas ce changement soudain. Il lui fallait comprendre ses motivations pour déterminer si elle pouvait accorder du crédit à ses paroles, ou bien si elle devait s'en méfier comme de la peste.

- Je sais, je sais… Mais n'allez pas croire que je vous dis ça gratuitement… J'ai cru comprendre que vous aviez l'oreille du Capitaine Learamn, et autant ce gamin m'insupporte, autant je sais qu'il peut m'aider… Il inspira profondément, avant de reprendre : Tout ce que je vous ai dit est vrai, et en retour je voudrais simplement qu'il pourvoie aux besoins de mon neveu… Ses parents sont morts pendant la guerre, et c'est moi qui m'en occupait jusqu'à présent. C'est un gamin intelligent, et il pourrait faire de grandes choses pour le Rohan, à condition qu'on s'occupe de lui. Alors… alors promettez-moi que vous ferez en sorte que Learamn, ou n'importe qui de compétent, veille à son éducation, et qu'il ne sera pas confié à un orphelinat ou tout simplement abandonné.

- C'est tout ? Demanda-t-elle malgré elle.

Elle ne s'y attendait pas vraiment. De la part d'un homme qu'elle considérait comme un tueur en puissance, elle n'avait pas vu venir ce soudain élan de compassion pour une vie innocente, et elle devait bien admettre que ce geste était d'une certaine noblesse.

- Oui… C'est tout. Pour être honnête, si vous vous faites tuer en partant à leur rencontre, je ne m'en porterai pas plus mal. Et si vous survivez, alors vous n'aurez plus de raison de rester, et vous repartirez dans votre royaume, en emportant votre magie avec vous. N'est-ce pas ?

Elle hocha la tête, comme s'il pouvait la voir, ce qui n'était naturellement pas le cas. Il interpréta correctement son silence, et dans sa voix on sentit une forme de soulagement. Cet engagement qu'elle venait de prendre lui ôtait de toute évidence un poids immense, comme s'il transmettait un fardeau dont il avait lui-même hérité, probablement à la mort des parents dudit garçon.

- Bien… C'est entendu alors. Et maintenant, approchez…

Interloquée, elle se retourna pour faire face à l'espace creux dans le mur, et tendit les doigts alors qu'il lui glissait entre les mains un objet fin et froid. Elle le réceptionna sans mot dire, et l'examina à l'aveugle, pour découvrir qu'il s'agissait d'une lame fine et courte, qu'il avait dû conserver cachée dans sa botte ou dans un coin de sa tunique. On l'avait enfermé ici à la hâte, et de toute évidence la fouille n'avait pas été approfondie.

- Qu'est-ce que vous voulez que je fasse avec ça ?

- Que vous vendiez chèrement votre peau.

- Pardon ?

Il rit doucement, et ajouta :

- Les voilà déjà qui approchent… Merci pour cette conversation… et adieu.

Iran se retourna en entendant des bruits de pas dans l'obscurité, qui approchaient des cellules. Il y eut des murmures, des chuchotis, et elle entendit des clés qui tintaient les unes contre les autres. Pourtant, pas de lumière, pas de torche… Ce n'étaient pas les gardes qui venaient avec un nouveau prisonnier, non. C'était une visite imprévue, dont l'issue serait de toute évidence funeste. Il n'était pas difficile de deviner que l'arrestation de Gram risquait fort de nuire aux plans de l'Ordre, et qu'ils ne pouvaient pas le laisser tomber entre les mains du Vice-Roi, qui aurait tôt fait de le faire parler. Et quitte à faire d'une pierre deux coups, ils en profiteraient pour se débarrasser de l'Orientale, et isoler encore un peu plus le jeune Learamn. Iran raffermit sa prise sur son surin, et rassembla son courage. Dans cette nuit impénétrable, elle n'aurait qu'une seule chance de faire jouer l'effet de surprise, et elle ne devait pas la manquer. Elle entendit que l'on s'arrêtait devant sa porte, et elle perçut le bruit d'une serrure en train d'être déverrouillée.

- Rokh… murmura-t-elle pour elle-même. Regarde-moi combattre…

L'huis grinça douloureusement sur ses gonds fatigués, et une silhouette se glissa à l'intérieur, cherchant à s'habituer à la luminosité encore plus faible ici que dans le couloir. Si Iran demeurait invisible pour son assaillant, il n'en était pas de même pour lui, qui se découpait distinctement dans l'entrebâillement de la porte. Il tenait quelque chose qui ressemblait à une corde, et de toute évidence il avait l'intention de l'étrangler dans son sommeil. Un meurtre discret, qui laisserait peu de traces compromettantes, et ne ferait pas beaucoup de bruit. Il s'avança de quelques pas, pénétrant dans la cage d'un fauve avec une imprudence qui devait lui coûter la vie. Avant qu'il eût le temps de la localiser, Iran se jeta sur lui et le poignarda à plusieurs reprises dans le flanc. La lame entrait et sortait de la chair avec un bruit sec, mais aucun cri ne s'échappa de la bouche du malheureux, car l'Orientale avait pris soin de plaquer sa main sur son visage afin d'étouffer le moindre signal d'alarme.

Bientôt, le sicaire s'écroula, trop atteint pour pouvoir encore tenir debout. Elle l'accompagna dans sa chute, mais alors qu'il rendait son dernier soupir, elle se rendit compte qu'il y avait du grabuge dans la cellule voisine. Gram était aux prises avec un autre adversaire, et elle devait lui porter assistance. Elle fila vers la porte ouverte de sa cellule avec l'intention de surgir dans le dos du misérable qui s'en prenait lâchement à son voisin, seulement pour être cueillie par autre combattant qui, la surprise passée, fit parler sa force et son gabarit. Il donna un coup de poing dans l'estomac de la jeune femme qui se plia en deux, et en profita pour glisser la rugueuse corde de chanvre sous son menton. Immédiatement, la guerrière se sentit privée d'air, et un vent de panique souffla en elle. Elle se débattit férocement, et s'engagea alors un duel désespéré qui s'acheva rapidement, lorsqu'elle rabattit son arme de fortune dans la cuisse de son adversaire, jusqu'à la garde.

Celui-ci ne put retenir un véritable hurlement de douleur, avant de la lâcher immédiatement, trébuchant et prenant appui sur les barreaux les plus proches pour ne pas tomber. Il jurait encore et encore, la main refermée sur la plaie dégoulinante. Le bruit du sang qui coulait à gros bouillons était assourdissant dans cette nuit absolue, et les cris et les jurons du blessé ne couvraient pas le vacarme du torrent d'hémoglobine qui s'échappait de sa plaie. Elle ne l'avait pas raté. Sitôt lâchée, Iran tomba à genoux, et se recroquevilla par terre, alors qu'elle réapprenait à respirer. Ironiquement, elle se dit que son séjour dans l'eau l'avait préparée à cette situation, et elle parvint à retrouver ses esprits plus rapidement que la première fois, ce qui lui sauva sans doute la vie. Calmant les battements de son cœur affolé en prenant plusieurs inspirations aussi discrètes que possible, elle rampa non pas en direction de la sortie, mais vers les cellules qui se trouvaient le plus au fond. C'était de son point de vue le meilleur moyen de demeurer invisible, et elle se félicita de ce choix plein de lucidité lorsque les assassins qui venaient apparemment d'en finir avec Gram rejoignirent leur camarade blessé, en l'encourageant à se taire. Les questions fusèrent, les réponses étaient incohérentes, mais lorsqu'ils découvrirent qu'un de leurs compagnons était mort, ils décidèrent de battre en retrait avant que le jour ne se levât, abandonnant derrière eux la preuve embarrassante de leur passage sous la forme de leur ami étendu sur le dos, les yeux vides. Un mort et un blessé constituaient déjà un revers cuisant pour un assassinat apparemment facile, et ils ne pouvaient se permettre en plus d'être pris par la garde. Les grognements de douleur de l'homme qui boitait s'éloignèrent rapidement avant de disparaître, étouffés dans le lointain. Iran attendit d'être certaine qu'ils étaient partis pour se relever. Elle serrait fermement ce surin couvert de sang, craignant que l'un d'entre eux se fût caché dans les ténèbres pour attendre qu'elle tombât dans son piège. Il n'en était rien cependant, et elle entra dans la cellule de Gram, que ses ravisseurs avaient laissée ouverte dans leur empressement. À tâtons, elle trouva le corps du soldat.

Il était mort.

Elle ne perçut aucun mouvement lorsqu'elle posa les mains sur son torse, et aucun filet d'air ne vint caresser ses doigts lorsqu'elle les glissa devant sa bouche ouverte. Elle ne le voyait pas, mais elle devinait que l'homme s'était débattu, et que pendant que l'un d'entre eux se chargeait de le distraire, le second était passé dans son dos pour l'étrangler. Elle l'imaginait ruer de toutes ses forces, dernier soubresaut de résistance avant une fin annoncée. Le pauvre se savait condamné – par les assassins de l'Ordre ou par la justice de Mortensen –, et il avait volontairement sacrifié ses chances de survie pour la sauver, elle. Et tout cela pour un enfant… Cette mort n'émouvait pas davantage  Iran que les précédentes, et elle ne pleurait pas non plus tous les inconnus qu'elle voyait tomber depuis qu'elle avait décidé de faire sienne la voie des armes. Elle avait vu son lot de batailles, empilé son lot de cadavres, et de telles tragédies glissaient sur elle désormais, comme si son âme était couverte d'une armure d'acier. Toutefois, en dépit de sa froideur et de son détachement, elle savait devoir la vie à cet homme, et elle n'appréciait pas l'idée de ne pas avoir eu l'occasion de payer la dette qu'elle avait donc envers lui. Ce n'était pas un homme bien, mais à quelques minutes de sa mort, il avait fait preuve d'un courage surprenant, qu'elle se devait d'honorer. Elle entreprit alors de prononcer quelques paroles rituelles pour recommander son âme à Melkor, et pour s'assurer qu'il passerait sereinement dans l'après-vie et ne reviendrait pas hanter les vivants sous la forme d'un spectre.

Elle était encore à son chevet quand les gardes qui amenaient le pauvre Eopren arrivèrent. Le guerrier, que l'on avait pansé et soigné, était conduit aux cachots pour y passer la nuit sur les ordres du capitaine Wald. Lui et ses geôliers ne purent que constater les dégâts, arrivant bien après la bataille. Iran, à la lumière de la torche qu'on tendit au-dessus d'elle et du cadavre, apparaissait marquée. L'incendie puis cette confrontation inattendue avaient laissé des traces, et elle était plus affaiblie qu'elle voulait bien l'admettre. Les deux gardes, paniqués en découvrant l'ampleur du carnage, hésitaient quant à la marche à suivre. Arrêter l'Orientale ? N'était-elle pas déjà sous les barreaux ? Que devaient-ils faire du corps du prisonnier ? Et de ce second cadavre embarrassant, qui posait la question de l'implication d'au moins un des geôliers dans cette affaire ? Il y aurait des comptes à rendre, et ils ne pouvaient pas vraiment étouffer l'affaire. Pas à moins de faire disparaître et Iran, et Eopren, ce qui n'était de toute évidence pas leur intention…

Le vétéran s'agenouilla auprès d'elle, et elle se laissa basculer contre lui dans un geste qui n'avait de tendre que l'apparence. Elle était encore frémissante, et bien fragile, si bien que la présence rassurante et chaleureuse d'Eopren lui apparaissait comme la seule forme de réconfort pour le moment. D'aussi près, elle ne pouvait pas ne pas remarquer les blessures du Rohirrim, et sa mine éreintée. En retour, il pouvait voir à la lueur de la torche la trace douloureuse qu'une corde avait laissée sur la gorge fine de la jeune femme. Nouveau stigmate de son engagement dans la lutte qu'ils menaient au péril de leur vie. Un capitaine estropié, un vétéran blessé, et une étrangère diminuée… Elle était belle, leur bande d'éclopés. Pourtant, courageux face à la douleur, ils étaient tout ce qui se dressait entre l'Ordre et son objectif – quel qu'il fût. A voix basse, l'Orientale souffla à son allié :

- Il faut que je parle au Capitaine Learamn, Eopren. Je crois savoir où ils se cachent…

Toute cette situation prenait des proportions imprévues, qui dépassaient de très loin les compétences des geôliers qui cherchaient encore quoi faire. Iran espérait qu'Eopren pourrait sortir une carte inattendue de sa manche pour les tirer de ce mauvais pas, les mettre à l'abri d'une nouvelle tentative d'assassinat, et surtout leur permettre de reprendre l'initiative.
Sujet: Aux grands maux les grands moyens . [PV Aelyn]
Ryad Assad

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Rechercher dans: Meduseld   Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Aux grands maux les grands moyens . [PV Aelyn]    Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyJeu 29 Déc 2016 - 17:25

Iran était encore légèrement étourdie après son séjour dans la fournaise, mais ce ne fut pas la raison pour laquelle les hommes qui l'encadraient la saisirent fermement par les bras. Ils craignaient davantage de la voir s'échapper que de la voir s'effondrer sur le sol, prise par une soudaine faiblesse. Ils s'y étaient mis à deux pour cela ; un de chaque côté, comme une escorte zélée, tandis que les autres s'étaient déployés devant et derrière elle, formant un barrage de leur corps entre elle et la liberté à laquelle elle avait jusque là été habituée. En fait de liberté absolue, elle avait surtout goûté à une laisse plus longue que la normale. Edoras, quoi qu'elle y fût théoriquement invitée, n'était pas un territoire dans lequel elle pouvait se promener librement, et son incarcération à venir n'était que la preuve que son statut se rapprochait davantage de celui d'une prisonnière politique. Les hommes ici considéraient que sa présence étaient contre nature, car ils craignaient la sorcellerie des gens de l'Est, et ils étaient animés d'un ressentiment encore brûlant par rapport aux exactions de l'Ordre de la Couronne de Fer. Cela ne rendait pas la situation plus juste pour autant.

La guerrière, cependant qu'on l'emmenait au loin, se retourna pour jeter un dernier regard au Capitaine Learamn. Elle aurait voulu pouvoir lui crier quelque chose, lui dire que tout allait bien se passer, et qu'il devait continuer sans elle. C'auraient été des mots héroïques, pleins de bravoure, qui n'auraient pas manqué de souligner à quel point elle était prête à tout sacrifier pour leur quête. Elle n'en trouva pas la force, pourtant. Ses lèvres restèrent closes, et elle se contenta de le dévisager avec un mélange curieux de déception et de résignation. Les deux sentiments n'étaient pas dirigés contre lui, mais il était le seul qui pouvait les recevoir et les apprécier à leur juste valeur. Il était le seul qui pouvait comprendre à quel point la situation était terrible, car non seulement elle respirait l'injustice, mais en sus elle les éloignait de leur principale préoccupation, qui était de mettre la main sur leurs ennemis. Le temps précieux qu'ils ne récupéreraient jamais était gaspillé sur le sol, piétiné par les soldats inconscients de leur crime. Et les deux Rohirrim qui restaient en retrait savaient qu'agir contre cette folie reviendrait à réduire leurs chances à néant. Ils devaient rester focalisés sur leur mission. Le regard qu'Iran et Learamn avaient établi se déchira comme un morceau d'étoffe soumis à une tension trop forte, quand la pression des soldats se fit insoutenable. Elle cessa de résister, et se laissa emporter là où ils avaient décidé de la conduire. Sans doute un trou sombre et puant dans lequel elle aurait le temps de réfléchir à sa condition. Tête basse, enlevée dans l'anonymat le plus complet, elle ne trouva un peu de réconfort que dans la pensée que, peut-être, ils avaient fait une découverte qui leur permettrait d'avancer dans leur enquête.

Oui.

Eopren avait vu la tête tranchée.

Avec de la chance, il parviendrait à mettre Learamn sur la bonne piste, et s'ils pouvaient faire la démonstration de la culpabilité des deux survivants, ils résoudraient tous leurs problèmes d'un seul et même coup. Ils pourraient prouver l'innocence de la guerrière, découvrir qui avait apporté les germes de la trahison au cœur de la capitale du Rohan, et peut-être découvrir où était retenue Dame Aelyn. L'Ordre avait voulu faire disparaître ces cadavres pour une bonne raison, mais heureusement ils n'étaient pas parvenus à effacer complètement leurs traces. Il restait encore de l'espoir.

- Pourquoi souriez-vous, Orientale ?

L'intéressée glissa son attention vers le dénommé Wald, qui commandait la petite troupe, et répondit en levant le menton fièrement, refusant de laisser la moindre tentative d'humiliation l'atteindre :

- Je souris car je sais que, même si vous m'arrêtez, vous n'empêcherez pas la vérité d'éclater au grand jour.

Il parut s'étonner de sa réponse pleine de confiance, et la corrigea :

- Je ne cherche pas à étouffer une quelconque vérité. Je fais simplement mon travail.

- C'est tout comme.

Elle se mura dans un silence obstiné après cela, et Wald ne la dérangea pas avec davantage de questions. Il fallait dire qu'en dépit de son désir de vouloir obéir aux ordres qui lui avaient été donnés, il ne pouvait pas s'empêcher de s'interroger face aux réactions auxquelles il était confronté. Learamn avait paru bien sûr de lui en déclarant la jeune femme innocente, et elle-même ne montrait aucun signe d'inquiétude concernant son futur proche. Il s'agissait peut-être d'une tactique pour l'impressionner, ou d'une façon de se cuirasser pour ne pas céder à la panique et révéler bien involontairement des informations cruciales. Qui pouvait le dire ? Pas lui en tout cas : il n'était pas payé pour se poser des questions, et encore moins pour discuter les directives qu'on lui confiait. Soldat avant tout, il se fondait dans sa fonction et n'existait que pour aider d'autres plus intelligents et plus sages que lui à mettre en œuvre leurs grands desseins. Chassant ses doutes, il mit le cap vers la prison où la femme serait retenue, gardant les lèvres serrées.

Ce silence convenait bien à Iran, qui pouvait mieux cacher sa légère inquiétude. A dire vrai, elle n'avait jamais été faite prisonnière, et c'était un fait dont elle tirait une certaine fierté. Elle s'était toujours juré qu'elle ne serait pas prise vivante par l'ennemi, et elle savait qu'aujourd'hui les circonstances étaient particulières puisque justement, les hommes qui l'escortaient ne représentaient pas l'ennemi. Tout au plus un obstacle temporaire sur la voie vers la résolution de son enquête et de sa vendetta. Pour autant, cette situation signifiait aussi qu'elle n'avait aucune idée de la façon dont elle serait traitée une fois qu'on aurait mis son esprit indomptable en cage. Elle se souvenait très bien des récits que Rokh lui avait fait de son séjour au Rohan, notamment de son emprisonnement et des mauvais traitements qu'il avait reçus. Elle ne s'attendait pas à subir la même chose, car elle n'était pas ici en qualité de prisonnière de guerre capturée sur le champ de bataille.

Non.

Ils ne pouvaient pas considérer et punir de manière identique deux crimes qui n'avaient rien à voir… A fortiori car dans son cas, elle n'était que suspecte, pas coupable. Rokh, lui, n'avait jamais caché sa position et son allégeance. Un frisson désagréable lui parcourut l'échine, et elle fit un effort pour contrôler sa réaction et ne pas s'ébrouer comme elle l'aurait souhaité. Les hommes autour d'elle puisaient le peu de courage qui les animait dans leur nombre et dans la peur qu'elle pouvait dégager : elle n'allait pas nourrir et gonfler leur sentiment, au risque de le voir se retourner contre elle un jour. Toutefois, son malaise persistait. Cette sensation qui ne voulait pas disparaître lui donnait l'impression que quelqu'un se tenait penché sur son épaule, et observait chacun de ses faits et gestes. Elle se sentait curieusement épiée, et la présence de ce contingent réduit pour accompagner chacun de ses pas n'était pas pour la rassurer. Mais il y avait quelque chose de plus… C'était comme si… comme si un esprit était là, en train de la scruter, de la regarder pendant qu'elle agissait et qu'elle marchait vers son destin. Elle n'osait même pas se retourner, de peur de voir le visage de Rokh lui sourire. Elle avait déjà eu l'occasion d'apercevoir l'esprit du jeune guerrier, mais une telle proximité avec le monde des morts la mettait mal à l'aise, et elle ne souhaitait pas particulièrement renouveler l'expérience.

- Après vous.

Iran émergea d'un rêve éveillé, et constata qu'ils se trouvaient devant de grandes portes ouvragées, scellées avec soin. Elle ne se souvenait pas vraiment du trajet, et elle aurait été bien incapable de situer l'endroit dans la ville. Ils étaient près du Palais, mais elle ne le voyait pas de là où ils se trouvaient, car la vue lui était barrée par le relief. Des hommes vinrent à leur rencontre, de nouveaux gardes qui les dévisageaient avec un brin de suspicion. Pour ainsi dire, tous les sentiments négatifs étaient polarisés sur elle, et elle leur rendit leur méfiance d'une œillade assassine. Il n'était pas question pour elle de se laisser intimider par les individus qui allaient « assurer sa protection », ou plus certainement essayer de lui faire passer l'envie de rester une seconde de plus dans leurs terres. Dans un coin de son esprit, elle se prit à les trouver stupides : ce qu'ils ne comprenaient pas, c'était qu'elle n'était pas là par plaisir, et que si elle avait pu retourner au Rhûn dans l'instant avec la certitude d'avoir pu venger la mort de son ami, elle l'aurait fait sans hésiter. Mais cela n'était pas encore possible. Dès l'instant où elle aurait rempli ses obligations sur ces terres étranges, elle se ferait une joie de repartir.

- Ça vous fait marrer d'aller en taule ? Demanda l'un des geôliers.

Elle s'était laissée aller à un sourire méprisant qu'elle regretta rapidement. Il était stupide de se mettre à dos ses gardiens avant même d'avoir ouvert la bouche. Essayant de ne pas en rajouter pour ne pas aggraver son cas, elle se contenta de faire « non » de la tête, ce qui parut convenir à son interlocuteur. Il se détourna d'elle, et écouta Wald qui lui donnait les instructions qu'il avait lui-même ordre de suivre. Emprisonner la femme en attendant nouvel ordre, ne laisser personne la voir, la traiter correctement, sans pour autant céder à ses exigences. Elle écouta tout cela d'une oreille distraite, absorbée dans la contemplation de la porte qui ne s'était pas encore ouverte pour elle. Elle lui évoquait vaguement un point de passage vers un monde pire, un monde de souffrance et de ténèbres au sein duquel une place l'attendait. La pensée n'était pas pour la réjouir, et elle sut gré à Wald d'abréger la conversation. Quitte à plonger dans l'arène, autant écourter l'attente et y aller.

Après avoir inspiré profondément, elle abandonna son escorte armée, et se laissa conduire à l'intérieur de la prison par Wald et les deux geôliers. L'intérieur n'était pas particulièrement accueillant, mais elle éprouva une forme de soulagement en se disant qu'il ne s'agissait pas des oubliettes labyrinthiques de Blankânimad. C'était déjà ça… Son idée des prisons, inspirée par ce qu'elle avait pu apercevoir dans son propre pays, l'avait conduite à penser qu'on la mettrait dans une pièce tellement loin de tout qu'on finirait par oublier même où elle se trouvait. Il n'en serait rien pour cette fois. Le garde royal faisait preuve d'un peu plus de sympathie, et il s'arrangea pour rester auprès d'elle alors qu'ils remontaient le corridor principal, autour duquel s'ouvraient des cellules crasseuses et miteuses. La plupart étaient occupées, et les prisonniers tendaient leurs mains vers le petit cortège, quémandant ici un morceau de pain, ici un peu d'eau. Ils étaient misérables et ridicules, leurs membres décharnés jaillissant des bouches obscures de leurs cellules comme des langues de vipère. Wald s'arrangea pour qu'aucune ne touchât Iran. Il ne portait sans doute pas l'Orientale dans son cœur, mais sa galanterie avait pris le dessus sur son désamour. Heureusement !

Les malheureux que l'on gardait ici étaient reclus dans des pièces de taille inégale qui s'étaient rajoutées anarchiquement au fil du temps. Certaines étaient dotées d'une large grille qui servait de porte, et qui avait l'avantage de laisser entrer la lumière. Elles offraient à leurs occupants une certaine connexion avec le monde extérieur, mais plus on s'enfonçait – le terme définissait bien l'impression ressentie par Iran, car il lui paraissait descendre pas à pas dans les entrailles de la terre –, plus les portes étaient épaisses, obscurcissant l'univers intérieur des cellules. De larges battants de bois renforcés de fer et fermés par d'immenses cadenas rouillés étaient refermés sur des inconnus terrés là comme de petites créatures pathétiques. Elle déglutit en se demandant ce qui se passerait si, pour une raison ou une autre, son cadenas devenait trop vieux et refusait de s'ouvrir après qu'elle eût été enfermée dans une minuscule cellule. Resterait-elle bloquée ici jusqu'à la fin de ses jours ? L'idée dut se lire sur son visage, car Wald prit la peine de lui souffler :

- Vous serez entendue demain dans la matinée, ne vous en faites pas.

- Je ne m'en fais pas.

Sa bravoure n'était que bravade, et probablement que Wald s'en rendit compte. Il eut la délicatesse de ne rien dire, et elle ne s'étendit pas davantage sur le sujet. On ouvrit finalement la porte de sa cellule, laquelle pivota avec un grincement désagréable et un raclement qui en disait long sur l'usure de l'ensemble. Elle pénétra librement à l'intérieur, avant de se retourner vers les hommes qui se trouvaient là, et qui échangeaient quelques mots dans leur propre langue. Le garde royal adressa un signe de tête à la jeune femme, et s'éclipsa sans rien ajouter, accompagné par le bruit de ses bottes sur le sol. Les deux autres lui jetèrent un seau et une morceau de tissu, avant d'emboîter le pas du premier, non sans lancer un sourire goguenard à leur nouvelle pensionnaire, qui allait décidément passer une bien mauvaise nuit…


~ ~ ~ ~


La jeune femme se réveilla en pleurant. Sa première réaction fut de sécher ses larmes, alors que dans le même temps les vestiges de son cauchemar étaient emportés dans les tréfonds de son esprit. Elle savait pourtant de quoi elle avait encore rêvé : toujours la même chose, la seule chose qui pouvait la bouleverser à ce point… La mort de son ami, pour ne pas dire de son petit frère, l'avait secouée bien plus qu'elle n'aurait pu l'imaginer. Même aujourd'hui, après tout ce temps, elle continuait de souffrir de son absence, et ses nuits étaient agitées par des visions horribles qui venaient s'imposer à elle. Malgré tout, elle faisait face à chaque nouvelle journée sans rien dire, serrant les dents pour ne pas céder.

Céder n'aidait personne.

Sa tentative pour se redresser lui tira une grimace de douleur. Elle avait mal au dos d'être restée allongée sur une paillasse inconfortable, et elle s'étonnait même d'avoir réussi à trouver le sommeil alors que des bruits suspects – probablement ceux de sales bestioles rôdant autour d'elle – avaient menacé de la rendre folle. Elle serra les dents, et parvint finalement à se redresser, essayant d'observer autour d'elle pour estimer quelle heure il était. Elle n'avait pas été mise dans une des cellules du fond, celles qui devaient être perpétuellement plongées dans le noir, pourtant elle n'y voyait rien. Elle en conclut qu'il faisait encore nuit au dehors, et qu'elle avait tout simplement été dérangée dans son sommeil. Elle s'emmitoufla dans le morceau de tissu – elle avait compris après un moment qu'il s'agissait d'une couverture, bien trop légère à son goût –, et essaya de se reposer pour affronter sa dure journée du lendemain. Mais quelque chose la dérangeait, sans qu'elle put expliquer quoi. Peut-être ce courant d'air glaçant qu'elle n'arrivait pas à chasser, et qui semblait lui murmurer des choses.

- Iran.

Elle sursauta comme rarement. Ses yeux s'agrandirent comme ceux d'un félin cherchant à capter le moindre rayon lumineux. Elle guettait chaque recoin, observant autour d'elle sans rien apercevoir. Son cœur battait la chamade. Elle était sûre et certaine d'avoir entendu une voix !

- Iran.

Incapable de répondre, elle s'immobilisa en essayant de déceler un mouvement dans l'obscurité, quelque chose. N'importe quoi. Son esprit se mit à formuler des hypothèses, essayant d'articuler l'option la plus logique et l'option la plus dangereuse pour trouver ce à quoi elle devait se préparer. Était-ce un assassin venu pour la tuer dans son sommeil, profitant de sa vulnérabilité ? Il trouverait face à lui une guerrière prête à vendre chèrement sa vie, le cas échéant. Mais la voix n'était, curieusement, pas menaçante. Au contraire, on aurait dit qu'elle l'invitait à se rapprocher.

- Iran

Elle se fit plus faible, et la guerrière ne put s'empêcher de répondre par un « oui » timide. Elle était redevenue une enfant pétrifiée de terreur, recroquevillée dans le noir en priant pour ne pas voir surgir Elessar le Terrible. Elle aurait dû rester silencieuse, et laisser passer le fantôme pour qu'il se rendît ailleurs porter ses malheurs. Et pourtant, au fin fond de sa solitude, elle n'avait pas envie de perdre cette présence qu'elle percevait comme rassurante, amicale, pour ne pas dire familière. Partagée entre ces deux sentiments contradictoires, elle fit de son mieux pour rester lucide et rationnelle. Mais ce n'était pas chose aisée, car la voix reprit, un ton plus bas encore :

- Iran… Le feu et le sang… Si tu veux me venger, donne-leur le feu et le sang…

- Rokh ?

La femme de l'Est se leva brusquement, et s'approcha de la porte de sa cellule, empoignant les barreaux et se mettant à les secouer comme si elle pouvait les faire sauter de leurs gonds :

- Rokh ! Rokh !

Des cris mécontents lui parvinrent des cellules avoisinantes, et elle se tut, essayant seulement de capter un mouvement dans le couloir enténébré. Elle ne vit rien, pas le moindre signe que quelqu'un s'était tenu là. Seulement les premiers rayons du soleil qui commençaient à filtrer sous le seuil d'une porte qui semblait se trouver un monde plus loin. Iran baissa la tête, alors que les paroles mystérieuses tournaient en boucle dans son esprit.

Leur donner le feu et le sang…


~ ~ ~ ~


- Gram ? Gram ? Tu dors ?

L'intéressé ouvrit les yeux, fit une grimace de déplaisir, et repoussa de la main l'homme qui venait de se pencher sur lui en bougonnant :

- Plus maintenant, figure-toi… Qu'est-ce que tu veux ?

- C'est Eopren, il voudrait te parler.

Les sourcils de Gram se froncèrent légèrement, comme si cette phrase anodine venait de déclencher chez lui bien plus qu'elle n'aurait dû. Il était plongé dans un rêve pas désagréable, et être réveillé pour entendre de telles nouvelles n'était pas pour lui plaire. Il considéra sa situation un bref instant : Eopren était un soldat bien connu dans la caserne, toujours embarqué dans des affaires louches mais qui ne faisaient de mal à personne. Il pouvait tout aussi bien venir le voir parce qu'il voulait avoir un renseignement, ou parce qu'il entendait lui vendre quelques trucs qu'il avait récupérés au noir. Mais cela valait-il vraiment la peine de le réveiller en pleine nuit pour ça ? Non, quelque chose clochait, et il n'était pas prêt à baisser sa garde.

- Dis-lui que j'arrive, le temps de m'habiller.

Il attendit que le soldat se fût un peu éloigné pour se lever et prendre ses affaires. Il avait déjà sa tunique sur lui, et il se contenta de récupérer un sac qui contenait ses effets personnels. Il l'avait préparé quand les choses avaient commencé à mal tourner, pour le cas où il devrait prendre la fuite rapidement. Il n'avait pas pensé à échapper à la justice de son propre peuple, mais plutôt à celle de l'Ordre. S'il les décevait, ils n'auraient aucun scrupule à le tuer, et puisqu'il avait été embarqué dans cette histoire contre sa volonté, les chances de ne pas se montrer à la hauteur étaient grandes. Eopren était-il envoyé par la Couronne de Fer pour se débarrasser de lui ? Était-il un de leurs complices, lui aussi ?

Un brin de panique le saisit, et il empoigna fermement son poignard sans bien trop savoir pourquoi. S'il tuait un de ses compagnons en uniforme, il ne ferait qu'aggraver son cas, ce qui n'arrangerait pas ses affaires. Dans tous les cas, il était coincé, alors autant prendre la fuite. Les hommes que Mandred avait contactés lui avaient ordonné de continuer à agir normalement pour ne pas éveiller l'attention. Finalement, c'était sans doute une mauvaise idée, et ils avaient dû s'en rendre compte. Attentif à ne pas réveiller les autres soldats qui ronflaient bruyamment, il tourna le dos à la porte principale et se dirigea vers une issue privée qui menait vers une cour intérieur où les militaires s'entraînaient. Elle était déserte à cette heure, et il lui suffirait d'escalader un mur pour se retrouver en ville, et de là filer. En ouvrant la porte toutefois, il eut la surprise de se retrouver nez à nez avec un plastron aux armes du Rohan.

- Ah… Eopren, je…

Il ne savait pas quoi dire. Le vieux briscard n'était pas né de la dernière pluie, et il avait réussi à le piéger. Il capta un brin d'étonnement dans les yeux de son alter ego, lequel se transforma bien vite en une suspicion à peine contenue.

- Euh… Qu'est-ce que tu fais là ?

La question aurait été plus appropriée dans la bouche du vétéran, qui ne manqua pas de remarquer que plusieurs choses clochaient. Comment expliquer cette sortie impromptue par une porte dérobée, ou encore la présence d'un sac de voyage dans sa main gauche ? Mais ce que Eopren n'avait pas pu déceler, c'était la lame que Gram gardait dans sa main droite, repliée contre son avant-bras. S'il se sentait menacé d'une quelconque manière, s'il percevait l'étau se resserrer autour de lui, il n'hésiterait pas à s'en servir. Et dans ce duel, même s'il n'avait pas la chance de porter une armure comme son vis-à-vis, il pouvait compter sur sa jeunesse et sur un physique avantageux. Reprenant un peu d'assurance, il referma la porte derrière lui, et demanda :

- Qu'est-ce que tu me veux, Eopren ?

La donne avait changé. Restait à savoir lequel des deux serait le premier à faire un faux mouvement…

________

HRP : Je laisse à Nath le soin de répondre pour la partie qui concerne Gallen Smile.
Sujet: Aux grands maux les grands moyens . [PV Aelyn]
Ryad Assad

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Rechercher dans: Meduseld   Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Aux grands maux les grands moyens . [PV Aelyn]    Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyVen 16 Déc 2016 - 15:17

Iran, silencieuse comme à son habitude, observait Learamn droit dans les yeux avec une attention presque dérangeante. C'était quand on l'observait sous cet angle, sous cette lumière particulière, que l'on pouvait voir à quel point elle était désespérée de retrouver les assassins de feu son ami. Elle avait soif de la moindre information, et le moindre élément qui pouvait lui permettre de se rapprocher de la résolution de sa vendetta désaltérait son angoisse permanente. L'angoisse d'échouer. L'angoisse de laisser les meurtriers de Rokh s'en tirer et disparaître. Elle réprima un frisson, fermant les yeux un instant alors que le récit se poursuivait ininterrompu.

Le jeune Capitaine, avec une franchise désarmante, lui racontait non seulement l'histoire de l'Ordre mais également la sienne. Il n'aurait pas pu mieux ouvrir son récit qu'il ne l'avait fait, et à mesure que ses mots coulaient, la guerrière comprenait à quel point son destin et celui de l'Ordre de la Couronne de Fer étaient liés. Voilà qui expliquait sans doute pourquoi il ne pouvait pas rester sans rien faire, malgré les injonctions du Vice-Roi. Il avait un compte personnel à régler avec cette organisation, et il souhaitait de toute évidence être de ceux qui porteraient un coup fatal au monstre tapi dans l'ombre qu'ils affrontaient. A cause de ces hommes malveillants, il avait été obligé de s'enrôler contre son propre peuple qui s'était déchiré dans une guerre civile atroce et violente. Il avait dû faire le choix de soutenir des hommes qui s'opposaient à leur roi, et qui étaient ainsi devenus des renégats. Les vainqueurs de ce terrible conflit avaient eu le privilège de décider qui était le bon et qui était le méchant ; ils avaient fait d'Hogorwen le vilain de cette pièce tragique et sanglante, tandis que tous ceux qui s'étaient ligués contre lui étaient devenus des héros. Mais qu'en aurait-il été si l'issue s'était retrouvée inversée ? Learamn aurait probablement été exécuté comme bon nombre de rebelles, et son nom serait passé à la postérité comme celui d'un traître, d'un parjure qui avait soutenu le mauvais camp…

Le destin ne tenait parfois qu'à un fil.

Iran ne put s'empêcher d'admirer la bravoure qu'il avait fallu au jeune homme pour accepter de faire un choix aussi difficile. Tout abandonner, accepter le risque et le danger, et lutter férocement pour défendre une cause perdue d'avance. Tout sacrifier, en payer le prix, et finalement remporter une victoire inattendue… Quand elle le regardait, qu'elle voyait les blessures de sa chair, qu'elle sentait les blessures de son âme… elle ne pouvait s'empêcher de se demander quel choix serait le sien dans pareille situation. Elle appartenait à la Garde Royale, elle avait prêté serment de fidélité absolue à sa suzeraine, et elle avait juré de donner sa vie pour elle si nécessaire. Mais la justice d'une cause importait-elle davantage que les serments passés ? Elle soupira légèrement, alors que la réponse lui apparaissait clairement. Elle était là, évidente, enfouie dans les racines de son éducation, dans les paroles de son père qui lui passait une main sur la tête en lui rappelant qui elle était. Elle avait, inscrite dans sa peau sous la forme de tatouages complexes et indéchiffrables pour quiconque n'était pas initié des secrets de sa tribu, la vérité sous sa forme la plus pure. Une vérité que ses ancêtres se passaient de génération en génération, et considéraient comme leur bien le plus précieux.

Elle remercia intérieurement son père pour son enseignement, et sa mère pour la discipline qu'elle avait su lui inculquer. Elle savait qu'elle ne pourrait pas les décevoir. Jamais.

Revenant à Learamn, elle ne put s'empêcher de lever un sourcil en entendant prononcé le nom de Vieille-Tombe, le terme que les gens d'ici employaient pour décrire la grande cité occidentale du Rhûn. Ainsi c'était au cœur même de son royaume que les ennemis du monde s'étaient dissimulés ? Ils l'avaient fait à l'insu des espions de la Reine Lyra, qui aurait sinon tout tenté pour traquer et éradiquer ces assassins jusqu'au dernier. Iran ignorait jusqu'à quel point les habitants d'ici étaient au courant de ces choses, mais elle ne pouvait pas leur en vouloir d'être méfiants envers elle. S'ils associaient le glorieux royaume de Rhûn aux odieux misérables qui avaient élu domicile dans les catacombes de la cité cémétériale, alors ils ne pouvaient que haïr tous les représentants du premier au motif qu'ils avaient de la main des seconds. A la fois honteuse et indignée, Iran se laissa aller à une moue qui exprimait ses émotions les plus profondes. La colère, le sentiment d'injustice, et bien entendu l'envie de laver l'honneur de son peuple tout entier.

Elle fit cependant en sorte de garder le silence, déterminée à écouter Learamn jusqu'au bout pour ne pas interrompre son récit et lui faire perdre le fil. Ses dernières paroles n'étaient malheureusement pas rassurantes, et alors qu'elle espérait le voir faire preuve d'optimisme, il ne put que la mettre en garde face à la dangerosité de ceux qu'ils traquaient. L'Ordre était une bête puante et répugnante, mais particulièrement coriace et difficile à tuer. Elle savait qu'elle aurait fort à faire, et qu'il ne s'agirait pas de porter la justice à des hommes qui demanderaient merci et pardon. Ils se battraient jusqu'au bout, et elle devrait se montrer impitoyable pour mener sa quête à son terme. Prenant acte, elle hocha la tête avec vigueur, et répondit implacable :

- Nous trancherons toutes celles qui se présenteront. Jusqu'à ce qu'il n'en reste plus une seule. Que Melkor guide notre bras.

Elle sentit que Learamn ne partageait pas totalement son avis, mais elle fut incapable de discerner pourquoi, et elle passa à autre chose. L'état de santé du Capitaine la préoccupait quelque peu, car il paraissait à la fois brûler d'un désir ardent de se remettre, mais également hanté par des souvenirs et de mauvais esprits qui venaient ponctionner son énergie réparatrice. Elle se leva bientôt, et s'affaira à débarrasser son plateau, ses couverts, pour le laisser s'installer confortablement. Elle n'écouta pas ses protestations, agissant avec rigueur et précision. Elle n'avait rien d'une mère en l'occurrence, et elle incarnait toute la discipline d'un soldat cherchant à accélérer la rémission d'un compagnon d'armes. Il n'y avait pas de tendresse particulière dans ses gestes, et elle ne se perdait pas à rêvasser et à sourire pendant qu'elle s'occupait à nettoyer la pièce où ils se trouvaient.

Elle se retourna comme une furie, main sur la poignée de son arme, quand des coups sourds vinrent retentir contre la porte. Les paroles de Learamn résonnaient encore en elle : « Ils ont des agents et des adeptes partout, cachés, tapis dans l'ombre... ». Pendant un bref instant, elle se demanda s'ils n'étaient pas là dehors, venus pour tenter de les éliminer. Elle jeta un regard au Capitaine, qui paraissait moins inquiet, et qui indiqua simplement au visiteur d'entrer. Le guerrier Eopren fit son apparition, et Iran se détendit légèrement. En temps normal, probablement qu'il aurait été surpris de la voir dans cet état, mais il paraissait venir pour des affaires plus urgentes, et il en oublia même d'appeler son supérieur hiérarchique par son grade.

Ce fut précisément ce détail qui inquiéta la guerrière, car un tel manquement au protocole ne pouvait signifier qu'une seule chose : quelque chose de très grave était arrivé. Les explications du militaire tombèrent comme un coup de massue, et Iran ne put s'empêcher de s'exclamer :

++ Impossible ! ++

Mais c'était au contraire bien possible, car leurs ennemis avaient déjà prouvés qu'ils pouvaient s'introduire dans le Château d'Or. Quel endroit de la ville ne pouvaient-ils pas toucher ? La colère s'empara de la guerrière, qui se fit soudainement très sombre, ruminant sa propre stupidité. Les preuves dont ils avaient besoin… envolées ! Leur seul piste venait désormais de disparaître, et elle ne pouvait pas concevoir qu'après avoir été si proches de leurs ennemis, ils se retrouvaient désormais perdus au milieu de nulle part. Son menton se mit à trembler de frustration, mais Learamn était déjà prêt à passer à l'action, et elle se remémora qui elle était, et ce qu'elle devait faire :

- Vos béquilles, Capitaine. Après vous.

Alors qu'ils rejoignaient le lieu du crime, Iran ne put s'empêcher de demander à Eopren :

- Y a-t-il des suspects ? A-t-on vu quelqu'un ?

L'intéressé lui fit signe qu'il n'en savait rien, probablement que l'affaire était trop récente pour que des témoins se fussent déjà manifestés. Elle serra les poings de rage, et descendit la volée de marches qui menait au dehors. Le Capitaine, malgré sa blessure, allait à un bon rythme, et elle fut contrainte d'allonger la foulée pour le suivre. Il était consumé par le besoin de savoir, de découvrir par lui-même toutes les preuves possibles concernant cet incendie. Une ou deux fois, il vacilla sur ses appuis, mais jamais il n'eut besoin de leur aide pour se remettre en route. Sa force de caractère étouffait la douleur, et il progressait sans se rendre compte qu'il souffrait le martyr. Ce fut alors qu'il se retourna vers eux, et qu'il leur lança cette phrase énigmatique. Le feu et le sang. Iran regarda Eopren, espérant qu'il pourrait l'éclairer, mais il paraissait aussi perdu qu'elle. Suivre le feu et le sang ? Qu'est-ce que cela pouvait bien signifier ? Elle était une traqueuse émérite, mais encore fallait-il que ses proies eussent la bonté de laisser des traces derrière elles. Que trouveraient-ils dans les ruines de la morgue ? Que trouveraient-ils sur des cadavres mutilés et incinérés ? Elle ne reprit pas le Capitaine cependant, et se contenta de le suivre en espérant que son intuition les mènerait quelque part.

Ils arrivèrent bientôt sur la scène macabre, qu'ils n'eurent aucun mal à repérer dans la nuit. Des langues orangées sortaient encore de la morgue, alors que des dizaines de personnes se passaient des seaux pour essayer de contenir l'incendie. Les ravages avaient été maîtrisés, du fait essentiellement que la morgue était avant tout une sorte de caverne aménagée, et non une bâtisse en bois. Sans cela, les dégâts auraient pu être catastrophiques, car le temps était propice à la propagation d'un incendie. Sec, avec un vent léger mais constant… ils auraient eu beaucoup de mal à sauver Edoras si l'Ordre avait voulu frapper fort. Une odeur âcre et répugnante se dégageait du charnier, laquelle incommodait sérieusement les civils et les militaires affairés à achever les restes de l'incendie. Certains, couverts de suie, devaient reculer pour reprendre leur souffle et décrasser leurs poumons, alors que d'autres se précipitaient pour les remplacer. Les habitants avaient fait un bon travail, et ils avaient réussi à inonder l'entrée de sorte que les flammes étaient confinées à l'intérieur. Des hommes particulièrement braves avaient réussi à s'insinuer dans la morgue, et ils en avaient retiré les cadavres, dont deux étaient en flammes quand ils étaient arrivés. Ce n'était que lorsqu'ils avaient réussi, à les traîner dehors qu'ils avaient remarqué que leur tête manquait. Le troisième, assassiné à l'aide d'une lame, n'était autre que Boliden, le type qui s'occupait des lieux. Il était certes un peu bizarre, mais il n'avait jamais fait de mal à personne, et sa mort était autant un choc qu'un mystère.

Mystère que Iran était bien décidée à élucider, et elle ne se fit pas prier pour cela.

Mue par un élan irrépressible, elle se rua dans la chaîne, s'emparant d'un seau d'eau, mais au lieu de le passer à son voisin, elle s'élança vers le brasier. Peut-être Learamn et Eopren crurent-ils qu'elle allait simplement contribuer à éteindre l'incendie – ce qui aurait été un noble geste – et pour cette raison ils ne firent rien pour l'arrêter. Ils auraient peut-être dû. Au lieu de jeter l'eau sur les flammèches qui bondissaient vers elle, elle baissa la tête et pénétra dans la morgue sans réfléchir. La dernière chose qu'elle entendit avant d'être happée par le vacarme assourdissant du feu dévorant fut une voix abasourdie lui crier :

- Revenez, il n'y a plus personne à sauver là-bas !

Mais il y avait quelqu'un encore… Rokh Visuni, son ami, dont elle devait sauver la mémoire. Elle n'avait pas le choix ! Sitôt entrée dans la morgue, la chaleur étouffante la saisit à la gorge, et elle se baissa par réflexe. Sa vision se brouilla, et elle sentit des larmes inonder son regard. Les prochaines secondes seraient cruciales. Observant autour d'elle, elle ne vit que des flammes qui se penchaient dans sa direction, comme attirées par la perspective de la caresser de leurs langues incandescentes. Elle se recroquevilla pour les éviter, et essaya de repérer quelque chose. N'importe quoi qui pourrait lui permettre de repartir d'ici avec un indice ! Mais il n'y avait rien. Pas un objet laissé par l'assassin, pas une note, pas un mot, pas une trace ou un signe. Elle se mit à tousser violemment, et elle piocha dans l'eau du seau pour s'humidifier le visage. Le liquide se transforma en vapeur en quelques secondes, et elle eut l'impression de transpirer encore davantage.

Mais elle devait avancer !

A force de persévérance, elle finit par découvrir quelque chose. Un indice. Un véritable indice ! Un objet grossièrement sphérique qui lui tournait le dos. Elle hésita longuement avant de tendre la main vers lui, mais elle finit par vaincre sa répulsion et par faire ce que son devoir lui commandait. Le visage qu'elle fit pivoter vers elle avait été largement dévoré par le feu, mais il n'était pas totalement défiguré. Elle reconnut le visage de son agresseur, du moins en partie. C'était ça, la preuve !

Elle sourit, et voulut se lever pour rejoindre la sortie, mais son corps refusa de lui obéir. Difficile d'exprimer les choses de manière différente. Son esprit commandait, mais son corps refusait d'agir. Tout au plus était-elle capable de mouvements lents et grossiers, mais rien qui pût lui permettre de se relever et de courir à l'abri. Même le seau qu'elle avait laissé non loin lui paraissait inatteignable en l'état. Elle tomba à genoux, et essaya de progresser tant bien que mal à quatre pattes pour s'extraire de cette maudite prison de flammes qui se refermait sur elle. Toutefois, la tâche était insurmontable. Elle était déjà restée plus longtemps qu'elle ne l'aurait dû, et désormais l'espoir de regagner la surface s'était transformé en un rêve douloureux. Elle s'effondra à plat ventre, le souffle court, privée de l'air que les flammes engloutissaient avidement.

- Iran !

Elle ouvrit les yeux, sans se souvenir de les avoir fermés. Une main ferme la prit sous les épaules, une autre glissa sous ses genoux, et elle se sentit brusquement quitter le sol. L'impression étrange de ne rien peser se dissipa quand elle prit conscience que son sauveur n'était pas Melkor lui-même venu la guider vers ses ancêtres, mais bien un Rohirrim dont elle connaissait le visage. L'ami de Learamn : Eopren ! Elle sortit de sa torpeur un instant, mais au lieu de le remercier, elle lui attrapa le col, et le força à regarder ce qu'elle lui pointait du doigt :

- Regardez ! Cria-t-elle. Regardez ! Regardez !

Il ne faisait que ça, et il finit par voir le visage partiellement brûlé. Elle n'avait pas la force de lui donner plus d'explications, et elle se contenta donc de lui intimer de regarder. Il s'immobilisa ainsi quelques secondes, jusqu'à ce qu'il lui apparût qu'elle n'allait pas lui donner davantage d'ordres du même genre. Alors, accomplissant ce pour quoi il était entré en premier lieu, il franchit la porte de la morgue et ramena Iran à l'extérieur, en sécurité.

La morsure intolérable de l'air glacial lui donna l'impression que chaque pore de sa peau était transpercée par des aiguilles insidieuses. Eopren la déposa sur le sol, et elle fut immédiatement entourée par des Rohirrim qui vraisemblablement ne la reconnurent pas sur-le-champ, car ils s'inquiétaient de sa santé. Elle entendit une voix puissante écarter la foule, et elle vit bientôt le Learamn se pencher vers elle, visiblement soucieux :

++ Capitaine... ++ lâcha-t-elle avant d'être prise d'une quinte de toux, ++ ...de l'eau. ++

Elle n'avait pas réalisé que les mots étaient sortis de sa bouche en rhûnien, ce qui devait laisser son interlocuteur bien embarrassé. Il y eut des questions, pressantes et confuses, mais elle n'en comprit pas une seule. Le Westron, langue qui lui était étrangère, était trop difficile à déchiffrer pour son esprit embrumé, et elle se contenta de répondre :

++ Il a vu… Il a vu son visage… ++

Et elle espérait sincèrement qu'Eopren, lui, pourrait identifier le corps. Ils avaient dû laisser la tête à l'intérieur, et d'ici à ce que l'incendie fût totalement arrêté, elle aurait eu le temps de finir calcinée. Mais si le Rohirrim avait gardé en mémoire les traits qu'il avait pu observer… s'il pouvait faire les liens qui s'imposaient… alors elle n'était pas mécontente d'avoir risqué sa vie ainsi. Cependant, elle n'était pas encore au bout de ses peines…


~ ~ ~ ~


Avalant à vive allure les derniers mètres qui les séparaient de l'effroyable spectacle, Wald et la douzaine d'hommes sous son commandement écartèrent de leur chemin tous ceux qui se trouvaient là, jusqu'à ce qu'ils aperçussent le Capitaine Learamn, de la Garde Royale. Wald appartenait également à ce corps prestigieux, contrairement à ceux qui le suivaient aujourd'hui, et il salua son officier avec toute la déférence nécessaire. C'était un soldat courageux, déterminé et particulièrement loyal. Il avait été parmi les premiers à soutenir la rébellion de Mortensen, et il était de ces hommes sur qui on pouvait compter en toutes circonstances.

- Mon Capitaine, commença-t-il, quelle tragédie n'est-ce pas ?

La question était anodine, mais montrait que l'homme voyait dans son supérieur plus qu'un arriviste catapulté là bien trop vite. Il avait du respect pour Learamn, probablement plus que la moyenne des gardes, mais cela ne signifiait pas qu'il faisait confiance aveuglément aux capacités du jeune homme. Il le savait être un guerrier émérite, et s'il n'avait aucune idée de ce qu'il avait traversé en allant libérer l'actuel Vice-Roi, il pouvait dire que cela avait été un enfer, à en juger par le regard changé du Capitaine à son retour. Il y avait dans les yeux d'un homme qui avait vu la noirceur absolue du monde une sorte de fissure à nulle autre pareille. Toutefois, nombreux étaient les gens qui plongeaient dans les abysses, et tous n'en ressortaient pas grandis. Certains devenaient fous, perdaient contact avec la réalité, ou bien devenaient dangereux. Le regard que Wald plongeait dans celui de Learamn paraissait chercher à établir auquel de ces trois niveaux le Capitaine se trouvait.

- Mon Capitaine, je vais devoir vous demander de vous écarter.

La surprise de Learamn ne l'étonna pas. A dire vrai, il s'attendait à le trouver sur son chemin, et il avait déjà soigneusement réfléchi à la chose pendant qu'ils marchaient vers ses appartements. Il s'attendait à se heurter à un mur inflexible, et il avait été obligé de faire l'état des lieux de leurs forces respectives avant d'arriver. Le plus jeune pouvait faire jouer son grade dans la balance, mais il ne pouvait pas s'opposer à une enquête officielle concernant une affaire aussi grave que celle à laquelle ils étaient confrontés. Il risquait simplement de tout perdre, car le Vice-Roi n'était pas d'humeur à pardonner à quiconque de faire des vagues. Pas même à un soldat qu'il avait pris sous son aile, et qu'il avait toujours protégé.

- Nous avons pour ordre d'emmener l'Orientale avec nous. Je vous saurais gré de ne pas vous interposer.

Voilà, les choses étaient dites. Imaginer qu'il allait accepter aussi facilement était inespéré, mais il fallait compter sur le fait qu'il n'oserait pas faire de scandale devant tant de gens réunis. Il ne pouvait pas non plus espérer la protéger contre treize épées avec ses seules béquilles. Wald posa un regard condescendant sur un soldat couvert de suie qui approchait, paraissant vouloir protéger la jeune femme assise par terre, qui semblait les regarder sans comprendre :

- En arrière soldat, rentrez dans les rangs. Allez prêter assistance à ces gens, puis revenez faire votre rapport quand l'incendie aura été maîtrisé.

L'hésitation se peignit sur le visage de l'intéressé. Désobéir à un ordre direct était passible de très lourdes sanctions, mais la situation n'exigeait-elle pas qu'il demeurât aux côtés de Learamn qui, après tout, était le plus gradé des deux ? Wald, qui avait pour lui l'ancienneté et un charisme certain, haussa les sourcils en voyant Eopren demeurer planté là :

- Je n'ai pas pour habitude de me répéter, soldat. Dois-je faire une exception pour vous ?

La question était rhétorique, et Wald revint à Learamn :

- Cette femme a été vue en train de pénétrer dans la morgue peu avant qu'elle soit incendiée. Les rumeurs circulent vite : on nous a rapporté que l'homme qui travaillait là avait été tué, et que des cadavres avaient été mutilés. Des pratiques atroces que les Orientaux semblent apprécier, n'est-ce pas ?

Iran, qui avait retrouvé ses esprits, bondit sur ses jambes et s'indigna :

- Ce sont des mensonges ! Capitaine, je vous prie de croire que…

- Il suffit, trancha Wald. Gardez votre salive pour quelqu'un qui sera disposé à vous écouter. Il se dit des choses bien étranges à votre sujet, et l'on a rapporté que vous aviez usurpé l'identité du Capitaine Learamn en vous emparant de sa cape pour mener votre enquête sur les deux meurtres. Je suppose que vous n'étiez pas au courant, mon Capitaine. Quoi qu'il en soit, pour ce seul crime, vous êtes passible d'emprisonnement, et si vous êtes reconnue coupable de meurtre et d'actes sacrilèges sur les corps de deux de nos compagnons, je ferai en sorte d'être au premier rang quand vous serez pendue.

Ses paroles, pour glaçantes qu'elles fussent, ne le faisaient pas sourire le moins du monde. Il ne ressentait pas le plaisir sadique que d'autres auraient pu éprouver en cet instant. Il faisait simplement son travail, en espérant qu'il n'y aurait pas de complications :

- Je vais devoir vous demander de me remettre votre lame. Je vous déconseille de résister ou de tenter quelque chose de stupide. Ces hommes, dit-il en désignant les Rohirrim qui l'escortaient, ne portent pas les gens comme vous dans leur cœur. Évitez de leur donner une raison d'agir.

Iran dégaina son épée sans prévenir, et les douze soldats sortirent leurs armes dans un bel ensemble, prêts à charger au moindre signe de danger. Elle les fixait avec attention, glaciale, son regard profond rendu inquiétant par la suie qui collait à son visage et qui assombrissait ce dernier. Analysant encore et encore la situation, elle se rendit compte que jamais elle n'échapperait à autant d'adversaires. Elle n'était pas en état de fuir, et elle ne connaissait pas assez bien la ville pour tenter de se cacher. Sa seule option restait de faire face. Dignement.

La guerrière fit tourner la lame dans sa main, et la tendit à Learamn qui n'eût d'autre choix que de s'en emparer. Elle regarda le Capitaine droit dans les yeux, et souffla :

- Le feu et le sang. Restez concentré sur ça.

Puis, calmement, elle écarta les bras, prête à se rendre sans lutter. Wald jeta alors un regard à Learamn, comme pour lui demander tacitement s'il allait tenter quelque chose. La tension entre les deux hommes était à son comble.

Les gens autour, ombres parmi les ombres, paraissaient ne pas appartenir au même monde que les soldats qui discutaient. Ils se déplaçaient avec empressement pour gérer l'incendie, sans prendre conscience de ce qui se jouait à seulement quelques mètres. Là, sans qu'aucun des acteurs n'en fût conscient, se déroulait le scénario qu'un esprit ingénieux et vil avait écrit. Depuis l'intérieur du Palais, un homme au sourire mauvais porta un toast à la première victime de son plan. L'Orientale avait voulu les suivre à la trace, elle avait échoué. Quand elle aurait été condamnée à mort grâce à quelques témoignages qui ne lui avaient pas coûté si cher que ça, il ferait en sorte de s'occuper du soldat en qui ce maudit Learamn avait confiance. Il y avait forcément un moyen de le faire tomber, et quand il aurait trouvé lequel, il ne resterait plus que l'estropié. Quand ses deux béquilles auraient été jetées dans l'oubli, il aurait le droit au sort que l'Ordre réservait à ses plus féroces adversaires.

Une mort douloureuse, lente, et solitaire.
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Ryad Assad

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Rechercher dans: Meduseld   Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Aux grands maux les grands moyens . [PV Aelyn]    Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyLun 14 Nov 2016 - 0:11

Une agitation fébrile avait gagné le Château d'Or de Méduseld, sans que la majorité des gens qui y vivaient n'en connût la raison précise. Le secret de la disparition d'Aelyn avait miraculeusement réussi à ne pas se répandre comme une traînée de farine coulant d'un sac percé, et pour l'heure la situation était sous contrôle. Le Vice-Roi avait donné des consignes très précises à la poignée d'officiers de la Garde Royale, afin que cette affaire fût gérée avec efficacité et rapidité. Des cavaliers avaient été envoyés à la poursuite des différents groupes qui s'étaient évanouis dans la nature, mais on considérait qu'il y avait bien peu de chances pour que ces leurres parvinssent à en apprendre plus sur l'identité des ravisseurs. Tout au plus fourniraient-ils des informations générales sur la façon dont l'enlèvement s'était produit, et peut-être pourraient-ils dire si Aelyn était déjà morte ou non. Puis ils y iraient pourrir dans un cachot sombre et humide, ou bien mourraient sous les coups d'un tortionnaire trop zélé. Tout dépendrait de leur propension à donner la bonne réponse, et du bon vouloir d'un homme à la poigne de fer qui n'hésiterait pas à les tuer lui-même. Le Vice-Roi Mortensen paraissait beaucoup plus dur, beaucoup plus froid, et il était certain qu'il ne montrerait pas la moindre pitié pour ceux qui se dresseraient sur son chemin. Iran avait lu la rage contenue qu'il s'efforçait de dominer… une rage qu'elle n'avait pas même aperçue dans ses yeux lorsqu'elle avait croisé le fer avec lui. Elle ne voulait pas être à la place des hommes qui avaient commis ce crime lorsqu'ils seraient amenés devant le Vice-Roi.

Toute cette agitation, ces soldats qui couraient d'un bout à l'autre de la ville sans vraiment savoir pourquoi, profitait beaucoup à Learamn. Le jeune capitaine avait pris la décision d'aller à l'encontre de son mentor et de son supérieur hiérarchique, refusant de rester alité et inutile quand son pays avait besoin de lui. Sa marge de manœuvre était réduite, son champ d'action limité par la portée de ses béquilles, mais il pouvait compter sur un soutien indéfectible à défaut d'être efficace. Iran se tenait à ses côtés, inflexible, déterminer à aller jusqu'au bout. Elle n'était peut-être personne ici, au Rohan, mais elle ne craignait pas les risques que sa position impliquait. Seule la mort l'arrêterait dans sa quête de vengeance et de justice. Learamn fit ensuite appeler un homme étrange, qui dévisagea Iran avec une forme de méfiance teintée de respect. Elle lui rendit exactement le même regard, incapable de baisser les yeux devant ce type qui lui rendait pourtant une bonne tête.

Elle apprit ainsi qu'il s'appelait Eopren, et de toute évidence il s'agissait d'un ami du jeune Capitaine. Un second allié providentiel, qui lui non plus ne semblait pas avoir accès aux plus hautes sphères, mais qui travaillait dans l'ombre pour aider Learamn. A défaut d'avoir l'air intelligent, il fallait bien avouer qu'il disposait d'informations de première main, car il leur apprit que deux hommes avaient été retrouvés morts le jour même. Probablement que le rapport n'était pas encore parvenu aux oreilles du Vice-Roi, et que l'enquête ne faisait que commencer à ce sujet. Le trio avait donc un coup d'avance sur tous les autres, et dans cette course où le temps risquait de leur faire défaut, ils ne pouvait pas se permettre de ne pas tenir compte de cette information.

Iran se mit à réfléchir intensément. Deux soldats morts, la compagne de Mortensen enlevée, des cavaliers qui fuyaient dans toutes les directions pour semer le trouble chez leurs poursuivants… il y avait quelque chose qui ne collait pas, mais elle était bien en peine de l'expliquer. Elle attendit le départ d'Eopren pour faire part de ses observations au jeune Capitaine :

- Pourquoi laisser deux cadavres ? Demanda-t-elle.

Elle laissa planer sa question un moment, laquelle n'appelait pas vraiment de réponse. Au contraire, elle soulevait de plus en plus d'interrogations.

- Pourquoi laisser des traces aussi évidentes, pour ensuite chercher à s'échapper ?

Deux possibilités prenaient forme dans son esprit. La première était qu'ils avaient un plan parfaitement huilé qu'elle ne comprenait pas, lequel consistait à les égarer le plus possible pour mieux les pousser à la faute. La seconde était que, justement, ils n'avaient rien prévu et qu'ils avaient agi dans la plus grande précipitation. Elle n'aurait su dire quelle option était la plus effrayante… Learamn assimila ces informations, et poursuivit sa réflexion. Il paraissait évident que les ravisseurs de Dame Aelyn ne s'étaient pas infiltrés à Méduseld en se déguisant en soldats : il leur aurait été trop difficile de trouver l'équipement adéquat, et de passer inaperçu en la transportant. Ils avaient dû se déguiser en serviteurs, lesquels transportaient couramment du matériel vers ou en provenance des appartements royaux. Afin de faire progresser quelque peu leur enquête, le jeune Capitaine convoqua une femme qui se trouvait être en charge des serviteurs, qu'il interrogea au sujet des nouvelles têtes qu'elle avait pu voir.

Iran n'écouta que d'une oreille la conversation, ne pouvant pas s'empêcher de noter l'animosité qu'elle détectait à son endroit. Cette Mafrida dévisageait l'Orientale avec une sorte de mépris rehaussé de dégoût qui donnait un mélange assez désagréable. Les deux femmes échangeaient de longs regards qui, s'ils avaient été des épées, auraient fait couler le sang depuis bien longtemps. L'Intendance incarnait parfaitement cette catégorie de Rohirrim qui considéraient que l'étrangère n'avait rien à faire sur leurs terres, et qui l'observait avec suspicion. Au moins, ce n'était pas une agressivité de tous les instants, et Iran savait gérer la crainte qu'elle lisait sur le visage de la femme d'âge mûr. Toutefois, il y avait dans son ton des insinuations qui n'étaient pas pour servir le rapprochement entre leurs deux peuples, et si Iran était prête à les laisser glisser sur la carapace qu'elle s'était construite, Learamn refusa de passer à côté. Il prit la défense de sa seule alliée en la circonstance, et tint tête à l'Intendante sans hésiter une seule seconde. Un geste que la femme du Rhûn apprécia à sa juste valeur. Il n'était pas obligé de se ranger officiellement à ses côtés, car leur collaboration n'était pas motivée par l'amitié ou un quelconque sentiment analogue. Les objectifs qu'elle partageait avec Learamn primaient sur toutes les autres considérations secondaires. Elle ne se souciait pas d'être appréciée ou respectée, tant que les gens d'ici lui donnaient la possibilité d'avancer dans son enquête.

Alors, quand elle vit le cavalier remettre l'Intendante à sa place, elle ne put s'empêcher d'esquisser un bref sourire.

Puis ce fut à elle de jouer. Learamn avait rassemblé des informations, déniché des pistes, mais c'était à elle de les explorer. Le guerrier ne pouvant pas se déplacer, elle devait agir comme l'extension de sa volonté pour mettre un terme aux agissements des individus qui étaient derrière toute cette sombre affaire. Afin de lui témoigner de toute la confiance qu'il lui portait, il lui offrit même la cape de la garde royale qu'on lui avait confiée. Un symbole de prestige et de pouvoir que la jeune femme n'aurait même pas dû pouvoir toucher… alors la porter sur ses épaules ? Elle le regarda droit dans les yeux :

- En êtes-vous sûr ?

Il avait de toute évidence pesé le pour et le contre, car il ne changea pas d'avis, et laissa la jeune femme l'enfiler. Elle ressentit immédiatement le poids des responsabilités qui pesaient sur elle, et elle savait qu'elle allait immanquablement s'attirer de nombreux regards et de nombreuses critiques. Tant pis. Ils devaient agir rapidement, et si cela pouvait l'aider à surmonter les obstacles qui se dresseraient immanquablement devant elle, cela en valait la peine.

- Je ne vous décevrai pas, Capitaine.

Elle fit claquer ses talons de manière particulièrement martiale, et quitta les appartements du jeune homme sans rien ajouter. Sa mission s'annonçait longue et fastidieuse, mais elle était prête à tout pour la mener à son terme.


~ ~ ~ ~


Retrouver l'endroit où le meurtre avait été commis n'avait pas été difficile, même si elle ne connaissait pas bien le palais. Il lui avait suffi de demander à quelques personnes s'il y avait un endroit de Méduseld dont l'accès était condamné pour l'heure. Les réponses s'accordaient toutes, et elle mit le cap précisément là où on lui avait déconseillé de se rendre. Elle parvint bientôt sur place, et fut accueillie par deux hommes en armes qui lui barrèrent instantanément la route :

- Halte, le chemin est barré. Faites demi-tour.

- Je dois passer, je tiens mes ordres de la plus haute autorité.

Elle avait jugé bon de ne pas donner l'identité de Learamn immédiatement, laissant les hommes faire les liens qui s'imposaient. Elle avait été ramenée par le Vice-Roi, et ils supposèrent donc qu'il s'agissait d'un ordre direct de sa part, contre lequel ils ne pouvaient rien. Pour ne rien arranger, leur regard capta l'insigne de la Garde Royale, et ils en furent à l'évidence troublés.

- Je… Vous appartenez à la Garde ?

Elle ne confirma ni n'infirma l'information, et se contenta de passer entre les deux hommes qui lui emboîtèrent le pas. Elle les imaginait scruter la cape qui flottait derrière elle, en se demandant ce qu'ils devaient en faire. Se mettre au garde-à-vous devant une étrangère parce qu'elle affichait un rang supérieur au leur, ou bien l'arrêter pour imposture sur-le-champ ? Jusqu'à présent, toutefois, elle avait bénéficié de la protection du Vice-Roi, et ils jugèrent préférable de ne rien tenter contre elle tant qu'elle ne faisait rien de compromettant. Les laissant à leurs pensées, Iran descendit la volée de marches, et déboucha sur l'endroit où le double meurtre avait été commis. Les corps avaient été évacués, mais d'abondantes traces de sang témoignaient encore de la violence qui s'était abattue ici.

- Deux corps, c'est bien ça ?

- O-Oui, ils ont été transportés à la morgue.

Elle hocha la tête, balayant les alentours du regard. De là où ils se trouvaient, un chemin descendait en pente douce jusqu'au cœur de la ville, mais elle ne voyait pas vraiment comment ils auraient pu quitter Edoras sans être remarqués. Il leur aurait fallu traverser une des artères les plus fréquentées de la capitale, à une heure de passage. Ensuite, ils auraient dû franchir les portes en priant pour échapper aux gardes. Non, ils avaient dû trouver un autre moyen de disparaître…

- Est-ce que ce chemin conduit à une issue ? Y a-t-il un moyen de fuir Edoras par ici ?

- Pas que je sache. C'est pour ça qu'il n'y avait qu'un garde en poste. Les employés du Palais empruntent tout le temps ce chemin, et…

- Comment ça « un garde » ? L'interrompit Iran. Je croyais qu'il y avait deux corps.

Le militaire regarda son compagnon, avant d'ajouter :

- C'est exact. Le Vice-Roi a ordonné de doubler la garde, c'est pour ça que nous sommes deux.

La guerrière fronça les sourcils.

- Où se trouve la morgue ?


~ ~ ~ ~


Les renseignements des soldats avaient été précis, et elle arriva au lieu dit alors que la nuit tombait tranquillement sur la capitale du Rohan. La journée avait été longue et riche en émotions, si bien que la guerrière commençait à ressentir une certaine fatigue. Ses yeux demandaient à se fermer, et ses jambes étaient lourdes. Fort heureusement, sa détermination était toujours aussi forte, et elle continuait à travailler dur sur son enquête grâce à sa volonté de fer. Elle s'enfonça dans les profondeurs de la terre, faisant abstraction avec une facilité déconcertante de l'obscurité ambiante et de l'odeur atroce qui remontait vers la surface. Cet endroit, rares étaient les gens à le visiter assurément, car c'était là que l'on préparait les corps pour leur dernier voyage. Le gardien des lieux, un type patibulaire à la mine blafarde, ne cacha pas sa surprise lorsqu'il vit qu'on venait toquer à la porte de son sanctuaire.

Il lança quelque chose dans une langue que Iran ne comprenait pas, et devant sa mine désolée il reprit dans un Commun approximatif :

- Quoi ? Quoi ? Qu'e' qu'cé ?

- Deux corps sont arrivés récemment, dit-elle en levant deux doigts. Je voudrais les voir.

Le type bizarre la considéra un moment, regarda derrière elle pour voir si personne ne la suivait, puis ouvrit la porte en grand pour la faire entrer. Il avait l'air suspicieux au possible, et de toute évidence le fait d'être une femme avait facilité les choses plus encore que la cape de la Garde Royale, que l'homme ne paraissait pas avoir remarquée. Il faisait de drôles de bruits, et paraissait agité de tics nerveux qui le rendaient curieusement inquiétant. Sans doute que la solitude et la proximité permanente des cadavres l'avait rendu un peu dérangé sur les bords. Il se déplaça vers l'intérieur de la pièce, où s'étendaient plusieurs tables de pierre sur lesquelles gisaient des silhouettes couvertes d'un simple drap. Approchant une des bougies qui éclairait piteusement la pièce, il découvrit la première et révéla un visage livide, glacé par la mort, figé dans une expression de surprise. Le malheureux avait eu la gorge tranchée, mais il n'était pas mort sur-le-champ, en attestait son regard écarquillé de peur.

Iran n'eut pas même un mouvement de recul en l'apercevant. Elle n'en avait peut-être pas l'air, mais en tant que membre de la garde de Blankânimad, elle avait eu l'occasion de voir son comptant de morts. Elle ne s'émouvait plus dorénavant de si peu. Une gorge tranchée n'était pas la pire façon de mourir. Ses pensées glissèrent vers Rokh un très bref instant, mais elle empêcha les images atroces de son cadavre défiguré de venir parasiter ses pensées du moment, qui devaient rester claires. Le type expliqua quelque chose dans la langue des gens d'ici, mais la guerrière n'y prêta guère attention. Elle aurait de toute façon été bien en peine d'en comprendre un traître mot. Au lieu de quoi, elle se concentra sur les indices dont elle disposait. L'homme avait dû être tué par derrière, attaqué par un assaillant qui s'était glissé dans son dos. Quelle triste fin… La jeune femme essaya de se faire une image mentale de la situation. Elle revoyait les traces de sang qui indiquaient l'endroit où l'infortuné s'était tenu lors de ses derniers instants.

En bas des escaliers.

Face à la ville.

Elle marqua une pause. Cela signifiait qu'il avait été tué par quelqu'un qui venait de l'intérieur du Palais… Selon toute vraisemblance, leurs ennemis étaient déjà présents entre les murs du Château d'Or, ce qui corroborait les soupçons de Learamn sur les nouveaux servants récemment incorporés au personnel. Mais cela n'expliquait pas pourquoi on avait retrouvé sur les lieux un second cadavre. Iran rejeta le drap sur le malheureux, et s'approcha du second, dont elle découvrit le visage avec beaucoup de surprise.

++ Impossible ! ++ Laissa-t-elle échapper dans sa langue natale.

Ce ne pouvait être une coïncidence. Sous les yeux, elle avait un des membres du trio qui s'était mis en tête de lui barrer la route chaque matin. Mort lui aussi. Elle accusa le coup, en prenant soudainement conscience que les deux affaires étaient liées bien davantage qu'elle l'imaginait. Dans son esprit, de nombreuses questions se mirent à défiler, et elle mit un moment à trouver la force de les organiser logiquement. Tout d'abord, elle avait besoin de connaître l'identité de cet homme, mais elle n'obtiendrait rien de la part du type de la morgue. Premièrement car il ne devait pas savoir de qui il s'agissait, et secondement, même s'il connaissait son nom, elle n'était pas certaine de réussir à comprendre ce qu'il lui dirait. Non, il valait mieux demander au Capitaine Learamn de venir l'identifier formellement, de sorte à partir sur des certitudes et non sur des hypothèses branlantes. Elle se demandait aussi pourquoi il s'était soudainement retrouvé impliqué dans son agression puis dans l'enlèvement d'Aelyn. Elle ne pouvait pas croire qu'il se fût trouvé là par hasard, mais elle ne voulait pas non plus faire peser tout le poids des responsabilités sur lui. Ces trois hommes étaient stupides, pas du genre à être capables de mettre en place un plan aussi élaboré.

A moins qu'ils eussent précisément joué un rôle tout du long pour endormir sa vigilance ?

Elle se reprit. Non. Ils n'avaient aucun moyen de savoir qu'elle allait se retrouver impliquée, et encore moins de raisons de vouloir attirer son attention. Pourquoi lui jouer la comédie s'ils prévoyaient ensuite de la faire disparaître ? Ça ne tenait pas. Alors quoi ? Trop d'éléments lui manquaient pour pouvoir affirmer avec certitude qu'ils étaient les instigateurs de tout ceci. Elle allait avoir besoin de davantage de preuves afin de convaincre Learamn. Relevant un peu plus le drap, elle examina le corps de la victime, sans trop savoir ce qu'elle cherchait. Un indice, n'importe quoi qui pût l'aider à mieux comprendre d'où venaient ces hommes, et ce qu'ils cherchaient. Elle découvrir en premier lieu le point d'entrée d'une lame qui avait percé le foie du soldat. Elle n'était pas particulièrement experte, mais elle pouvait estimer qu'il avait été tué par une dague, à en juger par la taille. Le spectre qui errait à côté d'elle, suivant son regard, lui apporta confirmation en faisant glisser devant elle une dague sans charme, encore couverte de sang. Le meurtrier n'avait pas pris la peine de la retirer du cadavre, de toute évidence.

Pourquoi semaient-ils autant d'indices ?

Elle chassa cette nouvelle question, et poursuivit son examen. Le corps ne présentait pas d'autre blessure, mais en revanche il lui offrit un indice qui en valait cent. Le macchabée avait une marque à nulle autre pareille gravée dans la chair, en haut de l'avant bras. Ce symbole, Iran avait appris à le reconnaître, puis à le haïr, comme à peu près tout le monde en Terre du Milieu. Il s'agissait ni plus ni moins de la marque de la Couronne de Fer. La jeune femme se fit soudainement très sombre. Elle était convaincue depuis le début que c'étaient ces hommes qui avaient tué Rokh, et d'après les renseignements que Mortensen avait mis à sa disposition, ils se trouvaient encore au Rohan. Elle avait cru pendant longtemps qu'ils agissaient tapis, cherchant par tous les moyens à s'échapper du pays qui les retenait prisonnier malgré lui. La vérité était toute autre. Le monstre était blessé, il agonisait, mais dans ses derniers soubresauts il pouvait encore mordre et tuer. L'Ordre de la Couronne de Fer ne reviendrait jamais au faîte de sa puissance, laquelle avait été brisée à jamais. Toutefois, poussés par le désespoir, des hommes qui n'avaient pas pu abandonner leur allégeance continuaient de travailler en secret pour se tailler une porte de sortie. Même si leurs chances de succès étaient quasiment inexistantes, ils n'avaient d'autre choix que d'essayer. Et pour cette raison, ils étaient plus dangereux que jamais.

- Je reviendrai demain examiner ces corps, est-ce que vous comprenez ? Ne les déplacez pas. Sous aucun prétexte.

Elle n'était pas sûr que l'homme la comprenait, mais elle se devait d'essayer. C'était d'une importance capitale :

- Demain. Je reviens demain.

- Demain ? Répéta-t-il, comme si ce mot faisait écho à quelque chose qu'il connaissait.

- Oui. Demain. Demain.

Elle prit congé sans plus de cérémonie, et rejoignit la surface seulement pour constater que la nuit était tombée complètement. Le soleil, qui avait disparu à l'horizon, ne dispensait plus son agréable chaleur. Elle se sentit soudainement frissonner, et elle fila prestement pour rejoindre Learamn, et lui faire part de ses découvertes. Il n'était pas temps de traîner.


~ ~ ~ ~


Iran trouva Learamn dans ses appartements, là où elle l'avait quitté. Malgré l'heure avancée, elle ne se fit pas prier pour entrer et venir discuter avec lui des affaires les plus pressantes. Elle le trouva attablé devant un dîner léger, et alors qu'il mangeait elle lui fit un rapport aussi complet que possible. Elle lui expliqua d'abord quelles avaient été ses observations sur le lieu du double meurtre, et lui précisa qu'elle pensait que l'attaque venait de l'intérieur du Palais par rapport à ce qu'elle avait pu observer à la morgue par la suite :

- La blessure sur son cou était propre et nette, il avait le regard surpris comme s'il n'avait pas vu venir son agresseur. Le garde était posté en bas des escaliers, il ne pouvait fixer que l'extérieur, il n'avait rien à surveiller à l'intérieur. Cela signifie certainement que les ravisseurs de Dame Mortensen avaient au moins un complice à l'intérieur. Mais il y a autre chose…

Elle marqua une pause, observant Learamn dans les yeux. Les mains croisées dans le dos, puisqu'elle n'avait pas pris la peine de s'asseoir, elle essaya maladroitement de cacher sa gêne et son hésitation.

- Ce matin quand vous m'avez… retrouvée… Vous souvenez-vous que je vous disais que trois hommes s'étaient mis en tête de m'importuner quotidiennement ?

Le jeune homme ne pouvait l'avoir oublié, et Iran poursuivit :

- Le second cadavre était l'un d'entre eux. J'en suis certaine. Lui a été poignardé de face, on ne lui a laissé aucune chance, mais il a forcément vu son agresseur. Je pense que c'est lui qui était l'infiltré dans le Palais. Il a probablement égorgé l'autre garde, et aidé ses complices à enlever Aelyn. En définitive, ils l'auraient tué. Tout s'explique par la marque qu'il a sur le bras : celle de la Couronne de Fer.

Elle sentit que ce mot provoquait une réaction chez Learamn, sans vraiment savoir pourquoi. Elle fit en sorte de le garder concentré sur leur mission du moment, et calma immédiatement ses ardeurs en levant des mains apaisantes :

- Demain, attendons demain. Le corps ne s'échappera pas, et nous avons besoin de nous reposer pour garder l'esprit clair. Si vous l'identifiez, et que nous retrouvons ses deux acolytes, nous pouvons espérer remonter jusqu'aux ravisseurs de Dame Mortensen.

De toute façon, que pouvaient-ils faire à cette heure ? Aller identifier le corps leur prendrait déjà un moment, compte-tenu de la blessure du Capitaine. Localiser les soldats à cette heure de la nuit serait un autre défi, alors que s'ils patientaient quelques heures, ils pouvaient espérer les trouver à leur poste, ou au moins demander à leurs officiers supérieurs de les convoquer. Cherchant à détourner l'attention du soldat, Iran s'assit sur le bord de son lit, et le fixa intensément :

- Cette affaire semble liée à l'Ordre de la Couronne de Fer, d'une manière ou d'une autre. J'ai entendu des bribes, des rumeurs. Rokh… Rokh m'a raconté certaines choses également. Mais j'ai besoin de savoir qui sont ces gens, si je dois les combattre.

Elle eut un sourire sans joie :

- A votre arrivée ici… Vous étiez dans un triste état. Votre Vice-Roi a laissé entendre que vous les combattiez, et qu'ils étaient responsables de vos blessures. Peut-être pouvez-vous m'en dire davantage au sujet de ces gens.

Elle n'avait pas voulu remuer le couteau dans la plaie, mais elle s'était rendue compte qu'elle avait un besoin vital de comprendre à qui elle avait affaire. Ils étaient ceux qui avaient recruté Rokh, puis qui l'avaient tué. Ils étaient ceux qui avaient blessé Learamn, et qui maintenant avaient enlevé Aelyn. Si elle voulait pouvoir porter un coup mortel à la bête, elle devait en connaître le point faible, et seul le jeune Capitaine était en mesure de le lui révéler pour l'heure. Elle fit silence, et laissa au guerrier blessé le temps de rassembler ses souvenirs pour lui faire un récit cohérent.

La nuit s'étirait autour d'eux, seulement chassée par la lueur vacillante d'une bougie solitaire.


~ ~ ~ ~


L'homme qui travaillait à la morgue, aussi surprenant que cela pût paraître, ne dormait pas au milieu des corps qu'on venait régulièrement lui apporter. Il travaillait jusqu'à la nuit tombée, puis nettoyait et rangeait soigneusement son matériel, avant de rentrer chez lui où l'attendait un lit vide et une assiette de gruau froid. Tout occupé qu'il était à classer ses outils, il ne prêta guère attention aux bruits de pas dans l'escalier de pierre usé par le temps, et il sursauta en entendant que l'on toquait à la porte. Sans doute la femme étrange qui revenait le voir. Elle ne comprenait pas un mot de rohirique, et elle n'avait pas pu entendre les avertissements qu'il donnait à tous les gens qui rentraient ici : « attention, on vient de recevoir de nouveaux corps ». Elle l'avait surpris dans un sens, car elle n'avait pas paru incommodée par l'odeur ou la vue du triste spectacle qui s'était offert à elle. Elle avait paradoxalement semblé dérangée par sa présence à lui, le fait qu'ils ne se comprissent pas n'arrangeant rien au malaise. Alors l'entendre revenir était aussi surprenant que plaisant : ce n'était pas tous les jours qu'il avait la visite d'une charmante créature.

- 'Trez ! Cria-t-il sans se retourner.

Il entendit la porte glisser sur ses gonds usés, mais ce ne furent pas les pas délicats des bottes légères de la jeune femme qui accompagnèrent le grincement du métal. Au lieu de quoi, il perçut distinctement que plusieurs individus étaient entrés dans son dos. Plus lourds, à en juger par le craquement de la planche de bois grinçante. Plus grands, d'après l'ombre qu'ils projetaient sur le sol. Plus menaçants, si on considérait le reflet que leurs lames argentées jetaient sur les parois de la morgue.

Il leva les mains pour montrer qu'il n'était pas armé, et se retourna pour faire face à cette intrusion. Ce devait être une méprise. Il n'avait rien fait de mal. Il était innocent ! Il vit dans le regard des hommes qui lui faisaient face que cela n'avait aucune importance. Ils étaient là pour rendre l'injustice, et lorsque le corps du pauvre homme alla rejoindre celui des deux soldats tués un peu plus tôt dans la journée, les Valar fermèrent prudemment les yeux pour pleurer silencieusement la disparition d'une âme pure et bonne fauchée par la violence des séides de Melkor. Le meneur des assassins observa les environs un instant, et finit par désigner les deux cadavres :

- Faites-les disparaître. Séparez leurs têtes de leurs épaules, et brûlez-les. Que personne ne puisse jamais les identifier.

- Bien, Sikkink.

- Dépêchez-vous. Et ne laissez aucune trace derrière, comme d'habitude.

Il quitta les lieux rapidement. Il avait encore à faire pour s'assurer que Mortensen ne retrouverait jamais sa compagne, et assurer à son parti une victoire qui le fuyait depuis trop longtemps. Le Rohan était faible. Les Rohirrim étaient faibles. Ils tomberaient encore sous la coupe de l'Ordre, et des cendres laissées par Hogorwen rejaillirait la flamme d'un nouveau chef.

Le dernier Canthui de la Couronne de Fer.
Sujet: Aux grands maux les grands moyens . [PV Aelyn]
Ryad Assad

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Rechercher dans: Meduseld   Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Aux grands maux les grands moyens . [PV Aelyn]    Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyDim 10 Juil 2016 - 20:37
Aelyn avait su se montrer convaincante.

Il fallait dire que le jeune garçon qui se trouvait en face d'elle était à la fois effrayé et fasciné par la jeune femme. A son âge, il n'avait jamais vraiment discuté avec une personne du sexe opposé, encore moins avec une femme noble. Les filles étaient des créatures étranges et suspectes que son père lui défendait formellement d'approcher de peur qu'elles le détournassent de ses véritables obligations. Il les avait toujours regardées avec curiosité, mais sans oser contrevenir aux ordres. Maintenant qu'il était là, il pouvait constater que ce que l'on racontait à leur sujet était fondé. Elles étaient vraiment folles. La compagne du Vice-Roi ne cessait de parler de son enfant, et son inquiétude dévorante se lisait dans son regard devenu soudainement très dérangeant. Le garçon avait le sentiment que s'il ne faisait pas exactement ce qu'elle voulait, elle allait soudainement se mettre à hurler et se transformer en une sorte de créature maléfique qui le damnerait pour l'éternité pour n'avoir pas su sauver son enfant. Terrorisé, mais conservant sur le visage une expression digne, il leva les mains pour la rassurer et lui souffla :

- Je vais voir ce que je peux faire. Je reviens. Ne bougez pas.

Curieux. Il parlait avec une sorte de prévenance qui était presque insultante de la part d'un ravisseur, comme s'il n'était pas véritablement convaincu qu'enlever la compagne du Vice-Roi du Rohan fût la bonne solution pour servir la cause qui était la sienne, mais qu'il suivait son groupe pour éviter de s'attirer leurs foudres. Il se redressa et s'éloigna en direction de la porte, laissant la Vice-Reine seule. Ses pas le menèrent à l'extérieur, où il retrouva ses compagnons. Ils étaient cinq pour le moment, à monter la garde autour de leur planque. Les soldats de l'Ordre étaient habitués à se terrer, et ils avaient un certain nombre de cachettes au Rohan, qui dataient de l'époque de la guerre civile. Des lieux sûrs, où ils pouvaient se retrouver secrètement pour se ravitailler, et repartir mener leurs opérations clandestines. Des points relais où ils déposaient et recevaient des courriers, afin de communiquer avec leur hiérarchie. Autant de lieux qui avaient été cruciaux dans la prise de contrôle du royaume.

Depuis la Chute, ces cachettes avaient perdu leur fonction, mais elles demeuraient de très bonnes planques pour des hommes traqués qui souhaitaient faire profil bas. Le garçon, en sortant, ne put s'empêcher de regarder à l'horizon. On voyait, au loin, les courbes élégantes d'une colline surplombée par une construction ancienne et majestueuse, qui se dressait comme un symbole au sommet de ce promontoire. Pas un château en ruines abandonné, non. La demeure des Rois du Rohan. Edoras n'était qu'à sept ou huit heures de là où ils se trouvaient, bien plus proche que la prudence le suggérait. C'était tout le génie de ce plan, d'ailleurs. Des cavaliers étaient partis dans toutes les directions, suivant de fausses pistes qui ne les mèneraient nulle part, tandis que le véritable nid se trouvait tout proche, là où personne ne penserait à les chercher. Terrés, ils avaient vu différents groupes quitter Edoras à toute allure, leurs étendards flottant au vent alors qu'ils se lançaient sur les traces de simples leurres. Frappés en plein cœur, la panique ne tarderait pas à se répandre dans leurs rangs.

- Alors ?

La voix caverneuse ne surprit pas le garçon, qui était habitué à l'entendre le rabrouer désormais. Il ne recevait jamais de compliments de cette voix, seulement des reproches plus ou moins virulents. Baissant la tête pour éviter d'affronter du regard l'homme qui venait de s'adresser à lui, il répondit :

- Elle va bien, pour le moment. Mais elle a peur que le bébé arrive.

- Hm… Fais en sorte que ça n'arrive pas. Si elle commence à crier, il faudra la faire taire, et nous aurons fait tout ça pour rien.

Le gamin hocha la tête, et attrapa les affaires d'Aelyn. Ils avaient pris tout ce qu'elle avait sur elle pour ne laisser aucune trace, mais ne s'étaient même pas posés la question de savoir ce qu'elle transportait. C'était une chance qu'elle eût pensé à prendre sur elle des remèdes, sans quoi ils auraient été en grande difficulté. Assurément, les autres n'auraient pas voulu sacrifier leur couverture pour veiller au confort de leur prisonnière, et ils se seraient contentés de la tuer pour passer à autre chose. Une fois qu'il eût mis la main sur le nécessaire, il retourna à l'intérieur et descendit le long du chemin en pente douce qui s'enfonçait dans les profondeurs de la terre. Le passage était étroit, et ils avaient eu du mal à faire passer la « Vice-Reine » à l'intérieur tout en s'y faufilant eux-mêmes. Il s'agissait d'une vieille mine abandonnée, qui avait été réinvestie par les mercenaires de l'Ordre. Elle était peu profonde, le gisement ayant dû être épuisé rapidement, mais elle fournissait un abri de choix car elle était protégée des éléments, et surtout elle était particulièrement difficile à repérer depuis l'extérieur. Perdue au milieu de petites collines, entourée de rochers qui avaient dû être déblayés lors de l'excavation, il fallait plus que de la chance pour tomber dessus : il fallait un véritable talent de pisteur que bien peu de gens possédaient.

Certain qu'ils étaient à l'abri pour l'instant, le jeune garçon retourna vers Aelyn qui semblait avoir retrouvé un peu de sérénité. De toute évidence, être seule lui permettait de se calmer, tandis que la moindre présence extérieure ravivait son inquiétude. C'était compréhensible. Sans méchanceté aucune, il lui lança sa sacoche qu'elle attrapa au vol, puis il s'installa devant elle pour l'observer. Pour la surveiller. Il était son geôlier, après tout.


~ ~ ~ ~


Learamn avançait le dos voûté, comme si tous les malheurs du monde s'étaient abattus sur lui, et qu'il tentait tant bien que mal de leur échapper, claudiquant appuyé sur ses béquilles. Il allait lourdement, gauche, maladroit. Infirme. La jeune femme du Rhûn avait du mal à l'imaginer sous un autre jour, elle qui l'avait vu pour la première fois alors qu'il était allongé dans un lit, inconscient, cruellement blessé. On lui avait raconté son courage, sa bravoure, l'avenir brillant auquel il était promis. Elle ne voyait de lui que l'image qu'il lui renvoyait à présent : celle d'un guerrier brisé, qui errait tel un spectre à la recherche d'une mission, d'une raison de continuer à hanter ces murs. S'il n'en trouvait pas, qu'avait-il encore à apporter à ce château ? A son Vice-Roi ? Il pouvait tout aussi bien rentrer chez lui, et réapprendre à manier la houe et la faux sur une jambe. On ne se moquerait pas de lui, on ne le montrerait pas du doigt en sifflant. Si les gens avaient encore un peu de respect pour les vétérans qui donnaient leur vie pour défendre leur royaume, ils se plieraient en quatre pour lui rendre la vie douce.

Mais était-ce ce dont le jeune Capitaine avait envie ? Etait-ce ce dont il avait besoin ?

La réponse arriva, fracassante. La béquille valdingua au loin, alors que Learamn, secoué par la colère et la frustration, peinait à tenir debout. Le souffle court, les joues rougies, il paraissait contenir péniblement ses émotions. Cette démonstration de rage n'était que l'arbre cachant la forêt. Silencieusement, la jeune femme continua sa route dans le couloir, et se pencha pour récupérer la pauvre béquille malmenée. Elle était solide, et de bonne facture, même si elle avait l'air relativement ancienne. Les poignées avaient été lissées par l'usage, et les tissus que l'on avait mis pour aider l'utilisateur à ses caler sous son aisselle n'étaient pas de première jeunesse. Quelqu'un d'autre avait profité de ces béquilles, sans doute pendant un long moment. Un autre blessé, un autre soldat dont la vie, les espoirs et les rêves avaient été brisés par une flèche malencontreuse, par une rencontre douloureuse avec le fil d'une lame.

Avait-il un jour retrouvé l'usage de son corps, ou était-il mort avec le goût amer du regret sur les lèvres ?

En revenant vers le Capitaine, Iran le trouva légèrement différent. Il avait ravalé ses émotions les plus brûlantes, la colère qui menaçait de le dévorer comme des flammes qui consumeraient un bois trop sec, et il avait endossé le masque de la détermination. De toute évidence, il avait pris une décision, et quand il en fit part à la jeune femme elle ne dissimula pas son étonnement. Ses sourcils se levèrent, et elle ne put s'empêcher de lui demander :

- Vous voulez que je vous aide à désobéir à votre supérieur ?

Techniquement, Mortensen n'avait pas donné l'ordre à Learamn de ne pas intervenir dans cette histoire, mais les regards échangés étaient parfois plus éloquents que les mots, et le jeune soldat ne pouvait pas prétendre n'avoir pas compris. S'il allait délibérément mettre son nez dans cette histoire, et que les choses tournaient mal, il pourrait considérer être responsable de la mort d'Aelyn. Une mort qu'il aurait provoquée par arrogance, et par orgueil. En revanche, s'il réussissait par miracle à la sauver… s'il parvenait à montrer à tout le monde qu'il pouvait encore faire la différence… Eh bien ? Cela changerait peut-être les choses, peut-être pas. Iran ne pouvait prédire avec certitude quelles seraient les conséquences de ses actes, et elle savait simplement qu'elle l'aiderait à faire ce qu'il souhaitait, même si cela l'obligeait à prendre des risques inconsidérés.

- Je vais vous aider, Capitaine.

Elle avait lâché cela sur un ton si dur et si cassant que son visage parut s'enténébrer pendant un instant. Elle n'était plus vraiment la jeune femme triste et perdue que Learamn avait pu observer par moments. Elle était de nouveau la guerrière redoutable, membre de la garde personnelle de Lyra. Une combattante aussi talentueuse qu'expérimentée, qui avait tout de même croisé le fer avec Gallen Mortensen sans avoir à rougir de ses compétences. Privée de son armure, apparaissant sous des traits féminins, elle tendait à faire oublier que sa présence en ces lieux tenait avant tout à ses capacités martiales qu'à sa relation avec Rokh.

- Dites-moi simplement par où commencer, poursuivit-elle avec la même détermination chevillée au corps. Si ceux qui ont enlevé votre Reine sont aussi ceux qui ont assassiné mon ami, je les traquerai jusqu'à mon dernier souffle.

Son regard s'embrasait alors qu'elle parlait, et la colère de Learamn avait trouvé un écho curieux chez la guerrière orientale, qui paraissait animée du même désir de faire payer à ces criminels leurs actes odieux. Et de même que le jeune Capitaine, elle était impuissante à agir. Pas parce que son corps la trahissait, non, mais parce que son statut ici ne lui donnait pas la possibilité d'agir. Mais s'ils unissaient leurs forces… s'ils se battaient côte à côte… alors oui, peut-être qu'ils pourraient enfin terrasser leurs ennemis, et apaiser la souffrance qu'ils ressentaient au plus profond de leur chair ou de leur âme.

Si seulement.
Sujet: Aux grands maux les grands moyens . [PV Aelyn]
Ryad Assad

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Rechercher dans: Meduseld   Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Aux grands maux les grands moyens . [PV Aelyn]    Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyMar 17 Mai 2016 - 19:45

Learamn parlait avec une certaine lenteur, une certaine langueur que son corps détendu ne pouvait combattre. Il était bien. Son esprit était détaché des considérations physiques, et flottait librement hors d'un corps meurtri qui l'avait fait souffrir trop longtemps. Iran ne s'inquiéta pas de le voir s'allonger, et le laissa faire. Il avait l'air plus jeune, plus fragile, et quelque part beaucoup plus humain qu'auparavant. Elle n'aurait pas cru ressentir de nouveau ce sentiment étrange de se pencher vers un enfant que l'on avait arraché au berceau, un enfant bien trop jeune pour porter sur ses frêles épaules le poids de tant de responsabilités. Tant de vies dépendaient de son commandement, de sa lucidité et de sa capacité à faire la guerre. Il avait perdu tout cela, mais les responsabilités demeuraient. Que valait un cavalier qui ne pouvait monter ? Que valait un guerrier qui ne pouvait combattre ? Elle perçut son tourment, et le tourment de son pays à travers ses paroles.

Le capitaine ne s'en rendait peut-être pas compte, mais il était la représentation du pays qu'il décrivait. Il était blessé comme le Rohan l'était. Il était amer comme le Rohan l'était. Il était en quête d'un honneur perdu comme le Rohan l'était. Appuyé lourdement sur une canne tel un vieillard, allongé par terre à ramper sans dignité, il figurait mieux que quiconque son royaume qu'il chérissait tant et qu'il voulait sauver, dût-il y laisser la vie. Mille hommes auraient pu vouloir prendre sa place, bien mieux, sans avoir à souffrir des conséquences de leurs décisions. Mille hommes se succéderaient à son poste, et on oublierait peut-être son nom, perdu dans les brumes de l'histoire. Pourtant il ne voulait pas abandonner. Il ne voulait pas laisser à un autre le soin de porter son fardeau.

Son fardeau.

Iran secoua la tête. Ses pensées venaient de glisser vers le souvenir de Rokh, et une bouffée de chagrin s'empara de son cœur, l'enserrant dans sa prise mortelle qui menaça de la faire succomber. Son fardeau. Elle inspira profondément, essayant de se discipliner, de penser à autre chose. L'instant présent était plus important que toute autre considération. Le regret, la tristesse, la peine… rien de tout cela ne la conduirait à retrouver les assassins de feu son ami. Elle devait garder la tête froide. Inspirer. Expirer. Continuer à vivre.

La jeune femme ne se sentait pas en position de parler. Répondre au jeune capitaine n'aurait servi à rien. Il ne cherchait pas le réconfort dans les conseils qu'elle aurait pu lui prodiguer, et il paraissait surtout faire le bilan de sa propre existence, mettre enfin des mots sur des pensées qu'il avait trop longtemps conservées pour lui, enfouies sous le casque du guerrier parti au combat. Il verbalisait son angoisse, sa crainte de voir son pays sombrer dans la folie, emporté par la corruption et l'intérêt. Iran devait bien avouer que l'affliction qu'elle lisait sur ses traits la surprenait quelque peu. Elle n'aurait jamais imaginé que, de ce côté de l'Anduin, se trouvaient des individus si honorables et si dévoués à leur cause qu'ils souffraient de voir leurs compatriotes ternir l'image de leur royaume. C'était inattendu, et quelque part elle comprit pourquoi Rokh s'était pris d'admiration pour le Maréchal… le désormais Vice-Roi Mortensen. Ces valeurs d'honneur et de respect existaient-elles chez tous les peuples ? Iran s'interrogea sincèrement, elle qui avait toujours vu les hommes de l'Ouest comme des pleutres sans honneur.

- Ne pleurez pas, capitaine. Ce n'est pas votre faute.

Elle avait laissé échappé cela sur un ton neutre en regardant Learamn dans les yeux. Du pouce, elle vint chasser la larme qui venait de s'échapper des yeux du jeune homme blessé. Il était sincèrement éprouvé, diminué par sa blessure, et il lui laissait entrevoir l'étendue de son mal-être. Un mal-être qu'elle n'aurait souhaité à personne d'aussi honorable. Pourquoi fallait-il toujours que les couards s'en sortissent sans peine, alors que les braves devaient endurer mille tourments ?

Elle le laissa poursuivre, plonger dans des ténèbres bien plus profondes. Il éprouvait le regret du soldat, celui qui soudain se rend compte que le chemin qu'il emprunte est fait de ténèbres, de sang et de violence. Un simple regard en arrière, vers cette époque bénie de l'insouciance et de la paix de l'âme, pouvait faire basculer le plus solide des combattants sur les pentes glissantes de la folie. En temps normal, elle aurait peut-être laissé le capitaine s'enfoncer dans ses sombres pensées : elle n'était pas de son peuple, elle n'avait pas à agir pour préserver la vie d'un homme qui un jour se révélerait peut-être être son ennemi. Mais en l'occurrence, elle avait besoin de lui, elle avait besoin de ce qu'il pouvait lui apporter : ses conseils, son soutien, son influence. Et puis, elle lui devait la vie… Jusqu'à ce qu'elle eût payé sa dette, elle s'occuperait de lui de son mieux. Elle en avait fait le serment.

- Peut-être, lâcha-t-elle. Vous auriez peut-être mieux fait de rester chez vous. Vous seriez encore auprès de vos parents. De vos amis. Vous seriez peut-être mort, également.

Son ton n'avait pas changé d'un iota, mais l'atmosphère se fit glaciale soudainement. Elle passa une main sur le front de Learamn, puis sur sa joue. Elle voulait s'assurer qu'il n'était pas fiévreux et que la plante ne le faisait pas tout simplement délirer. Sa peau était chaude sous ses doigts froids, et elle sentait les pulsations de son cœur faire vibrer ses tempes intensément. Il allait bien, et elle mettait davantage son état sur le compte de l'émotion. Devant son incompréhension, elle enchaîna :

- Une guerre a eu lieu ici, capitaine. Des gens sont morts. Qu'auriez-vous fait si vous n'aviez pas manié l'épée ? Auriez-vous pu protéger votre famille ? Sauvé ceux qui comptent pour vous ?

Probablement que non. Hélas quand la guerre frappait une région, les serfs et les esclaves étaient les premières victimes. Ils perdaient tout : leurs biens, leur foyer, leur terre, leur famille et finalement leur vie. On leur arrachait tout sans la moindre once de pitié, et on laissait leur cadavre pourrir au milieu de tant d'inconnus dont le nom ne passerait jamais à la postérité. Tristes victimes d'un sort inhumain.

- Vous avez choisi un chemin duquel on ne revient pas, capitaine. Mais vous l'avez choisi pour de bonnes raisons. Qu'importe le reste ? Un jour vous retrouverez votre village, exactement comme vous l'avez quitté. C'est notre seule récompense.

Elle se leva et alla boire à l'outre qu'elle veillait toujours à gardée remplie. Dans la pénombre de la pièce, ne paraissait-elle pas moins étrangère ? Les tatouages fins et complexes qui parcouraient sa peau disparaissaient dans les ténèbres, et ses traits indéniablement étrangers n'étaient plus si facilement distinguables. Iran ne ressemblerait jamais à une femme du Rohan, c'était certain… Cependant, en cet instant, elle ne ressemblait plus vraiment à une femme du lointain Rhûn. Elle n'était qu'une guerrière parlant à un autre guerrier sans être barrée dans son entreprise par des drapeaux, des uniformes ou des supérieurs. La proximité entre elle et Learamn venait de la guerre, qu'ils avaient tous les deux dû affronter. Elle venait de la perte, à laquelle ils devaient tous les deux faire face. Elle venait de l'espoir, qu'ils essayaient tous les deux de retrouver. Elle reposa l'outre, et resta ainsi un moment, face au mur, dos au blessé.

- C'est notre seule récompense, répéta-t-elle. Nous ne nous battons pas pour changer le monde… Nous nous battons pour qu'il demeure en l'état.

Elle baissa la tête.

- Pour que les gens que nous aimons…

Elle allait ajouter quelque chose, quand on frappa soudainement à la porte. Elle lança un regard à Learamn, mais une voix venue du dehors s'éleva bientôt.


~ ~ ~ ~


- Tenez, buvez.

Devant l'expression de la prisonnière, il porta l'outre à ses lèvres et en but une gorgée. L'eau n'était pas empoisonnée. Quel besoin auraient-ils eu de la tuer de cette manière, de toute façon, après tout le mal qu'ils s'étaient donnés pour la faire sortir d'Edoras discrètement ? Leur plan avait parfaitement fonctionné, grâce aux renseignements et à la coopération des deux anciens membres de l'Ordre encore infiltrés dans le Palais à l'heure actuelle. Les hommes qui surveillaient sans aucun zèle les portes de la ville n'avaient même pas posé un regard sur leur chariot vide qui repartait vers la campagne. Ils s'en mordraient les doigts dans quelques heures, quand Mortensen aurait mis la ville sens dessus dessous sans mettre la main sur sa compagne. Cela avait été relativement facile de procéder à l'exfiltration de la « Vice-Reine », et ils s'étaient rapidement dispersés pour offrir des fausses pistes aux Eored qui les poursuivraient.

Aelyn, comprenant qu'elle n'avait pas d'autre choix que d'accepter l'acte de pitié de son geôlier, se décida finalement à boire. Elle devait être déshydratée, et à dire vrai elle avait bien malmenée lors de sa capture. La frustration de leur chef s'était déversée sur elle, et elle portait encore les stigmates de son passage à tabac. Ce n'était pas une noble façon de traiter une Dame du Rohan, guérisseuse de surcroît, mais qu'y pouvaient-ils ? Ces hommes avaient vécus cachés, traqués par tous. Ils s'étaient abrités dans d'anciennes mines, de vieilles forêts hostiles, ou des montagnes escarpées. Beaucoup avaient été retrouvés, dénoncés par les habitants, et finalement tués. D'autres avaient été désignés par un mystérieux informateur qui semblait toujours pouvoir les dénicher. On racontait qu'il vendait leurs noms à un certain Sirion, un homme d'Aldarion d'Arnor, qui se chargeait ensuite de les traquer et de les tuer. La dernière compagnie de l'Ordre le craignait comme la peste, autant qu'elle craignait celui ou celle qui se chargeait de les localiser.

- Faites-moi voir vos poignets.

La « Vice-Reine » n'avait pas vraiment le choix. Ils étaient abîmés par le métal, et sa peau conserverait un moment les traces de l'outrage. Le soldat de l'Ordre, tenant la main de la jeune femme dans la sienne, observait attentivement pour vérifier qu'elle ne risquait pas d'infection ou qu'elle ne s'était pas entaillée les veines. Il ne la pensait pas capable de se suicider – encore qu'elle pouvait essayer de leur damer le pion en s'ôtant la vie –, et il voulait surtout s'assurer qu'elle ne succomberait pas bêtement aux mauvais traitements. Cependant, il y avait un aspect qu'il ne pouvait guère approcher : sa grossesse. Il n'était pas qualifié pour cela, et tout ce qu'il pouvait faire était de l'interroger pour savoir si elle se sentait bien. Ce qu'il fit, non sans une certaine maladresse due à son manque d'expertise.

- Vous avez mal ? Demanda-t-il en désignant son ventre. Vous sentez le bébé approcher ?

A dire vrai, il ne s'était jamais tenu aussi près d'une femme enceinte de toute son existence, et s'il savait comment les enfants étaient créés, il ne semblait pas vraiment sûr de la façon dont ils naissaient. Là d'où il venait, c'était une affaire de femmes, et il n'avait jamais eu l'occasion de l'apprendre par la suite au cours de ses voyages. Rien de très étonnant chez un garçon de son âge.

Seize ans, ce n'était pas bien vieux.

- Vous avez besoin de quelque chose d'autre ?

Ses yeux noisette plongèrent dans ceux d'Aelyn, qui semblait partagée à son sujet. Il lui lâcha le poignet, et tendit la main pour récupérer l'outre d'eau. La question pouvait sembler ironique, mais elle ne l'était pas tout à fait. Certes, ils ne pouvaient pas offrir ce que la Dame du Rohan désirait : la liberté, un cheval et un sauf-conduit vers Edoras. Ils ne pouvaient même pas lui offrir un lit décent, un endroit propre où s'allonger et un bon repas. Mais ils étaient décidés à la traiter convenablement, car ils savaient que Mortensen allait venir négocier en personne. Si sa compagne était blessée, il risquait de tout simplement perdre la raison. Les choses s'achèveraient dans un bain de sang, et ils y perdraient tous la vie. Ce n'était pas le plan.


~ ~ ~ ~


Un marteau de peur fit voler en éclat la bulle de quiétude dans laquelle Iran et Learamn étaient enfermés. Leur univers privé, où tout semblait plus lent, plus feutré, plus calme… tout cela venait d'être balayé par les paroles du garde qui semblait ne pas vouloir entrer pour leur annoncer la nouvelle en face. La Rhûnadan se tourna vers le capitaine et l'interrogea du regard, mais il paraissait encore plus désemparé qu'elle. De toute évidence, les plantes avaient altéré son jugement, et il n'était pas encore tout à fait prêt à revenir à la réalité. Le décalage entre ce que l'on attendait de lui et ce qu'il était effectivement capable de faire était peut-être trop grand. Iran prit les devants, et s'empressa d'apporter sa canne au blessé.

- Mon capitaine, est-ce que tout va bien ?

- Nous arrivons, répondit Iran sans réfléchir.

Il y eut un instant de silence, pendant lequel elle s'employa à remettre Learamn sur ses jambes. Il n'oscillait pas, et à part ses yeux légèrement rougis, il paraissait en forme. Il aurait cependant besoin d'aide pour aller là où l'on avait besoin de lui, et sans un mot elle lui prit le bras fermement pour l'empêcher de trébucher.

- Mon capitaine, je…

Le garde venait d'ouvrir la porte, une moue curieuse sur le visage, comme s'il attendait à trouver son officier dans une position compromettante avec une étrangère. Après tout, s'enfermer dans la chambre d'une femme de Rhûn n'avait rien de très naturel. Le visage du soldat se trouva apaisé lorsqu'il constata qu'il ne se passait rien de répréhensible, et qu'il pouvait entrer sans crainte. Il se tordit toutefois de surprise en apercevant l'hématome sur le visage d'Iran, qui ne faisait rien pour le cacher. Détournant le regard, il revint à Learamn :

- Mon capitaine, tous les officiers ont été appelés à leur poste. Je dois vous conduire auprès du Vice-Roi de toute urgence. Dame Aelyn a disparu.

La guerrière aurait voulu en savoir davantage sur cette histoire, naturellement, et sa première réaction en tant que Cataphracte aurait été d'utiliser son autorité pour interroger le soldat du rang qui lui faisait face. Ici, toutefois, elle n'était personne. Elle dut se résoudre à attendre que Learamn posât les questions, et à conserver le silence alors qu'ils rejoignaient la salle où se tenait Mortensen. Hélas il leur fallut une éternité pour y parvenir. L'estropié faisait de son mieux, et il serrait les dents, mais il était toute de même terriblement ralenti. Les plantes qu'il avait inhalées avaient peut-être apaisé sa douleur, mais elles ne l'avaient pas rendu plus vivace. Pour cela, il aurait fallu lui donner une autre décoction, mais elle n'était pas certaine de ce qu'elle aurait comme effet sur un homme de l'Ouest. Lorsqu'ils arrivèrent finalement au lieu dit, ils trouvèrent porte close, deux gardes en faction devant l'entrée, lesquels leur refusèrent le passage :

- Halte, mon capitaine. Je suis désolé, le Vice-Roi a demandé à ce que personne n'interrompe la réunion.

Iran se tint en retrait de la conversation qui suivit. La frustration, l'inquiétude et le manque d'informations pouvaient faire dire des choses regrettables, mais il n'était pas de son devoir de chaperonner le capitaine. Elle veillerait à sa sécurité, s'assurerait qu'il allait aussi bien que possible… pour le reste, il devrait se débrouiller. L'échange prit une tournure désagréable, mais il fut interrompu lorsque la porte s'ouvrit brusquement, laissant passer plusieurs officiers qui avaient sur le visage une expression fermée et concentrée. Ils se dispersèrent sans un mot pour Learamn qui était pourtant un des leurs, et sans un regard pour Iran et les soldats. Certains se comportaient ainsi par mépris, à l'évidence, tandis que d'autres étaient simplement focalisés sur leur mission au point de ne rien voir d'autre.

- Je vous attends ici, souffla Iran à l'oreille du jeune officier.

Elle lui lâcha le bras, et le regarda peiner à trouver son équilibre. Il n'avait pas le choix : cette conversation, il devait l'affronter seul.
Sujet: Aux grands maux les grands moyens . [PV Aelyn]
Ryad Assad

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Rechercher dans: Meduseld   Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Aux grands maux les grands moyens . [PV Aelyn]    Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyVen 19 Fév 2016 - 0:06

La béquille dérapa sur plusieurs mètres, renvoyant en écho sur les murs le bruit caractéristique du bois qui heurte la pierre. Sa course fut arrêtée par un pied qui mit fin à la mélodie désagréable. Une main attrapa l'objet, et les pieds s'approchèrent lentement du jeune Capitaine étendu par terre, lequel  se trouvait dans une posture bien peu digne de son rang. Ce fut alors qu'il entendit une voix familière crier à quelqu'un qu'il ne pouvait pas voir :

- Faites quérir Dame Mortensen !

- Qui ? Ah… Dame Aelyn, o-oui, bien sûr.

Iran ajouta :

- Dites-lui que le Capitaine a fait un malaise. Je le ramène à ses appartements. Et évitez de le crier sur tous les toits, si possible.

Le garde eut un instant d'hésitation, et il demanda sur un ton qui en disait bien plus qu'il ne voulait :

- Vous êtes sûre que vous allez… je veux dire, vous ne voulez pas que je le porte ?

La jeune femme le dévisagea pendant un instant, comme s'il se moquait d'elle. Et puis elle se souvint qu'ici, les femmes n'étaient pas censées faire ce genre de choses. Elles ne soutenaient pas les hommes qui tombaient, elles ne passaient par le bras par-dessus leurs épaules pour les aider à marcher. Tout simplement, elles ne se mettaient jamais en situation de froisser leurs robes ou leur honneur. Cela tombait bien, Iran ne portait pas vraiment des robes, et elle avait une conception de l'honneur toute différente. Une conception qui lui ordonnait de prendre soin elle-même du jeune Capitaine.

- Je saurai me débrouiller, dit-elle sur un ton sec.

Le soldat tourna les talons, et elle revint à Learamn, qui gisait toujours sur le sol. Elle s'accroupit devant lui, et lui tendit la main très simplement. Son bras parcouru de tatouages incroyablement fins et complexes trahissait la force de sa poigne, et quand le Capitaine se résolut à accepter son aide, il put sentir qu'elle le tirait avec une force qu'il n'aurait probablement pas soupçonnée. Iran était une femme, mais elle était également une guerrière accomplie, sélectionnée personnellement par la Reine Lyra pour l'accompagner lors du mariage royal. Il était bon de n'oublier aucun de ces éléments si l'on voulait la cerner.

- Vous vous dépensez trop, lâcha-t-elle sur un ton neutre. Vous n'allez pas vous rétablir si vous continuez comme ça.

Il était difficile de savoir dans quel but elle disait cela. Etait-ce simplement pour faire la conversation, et essayer de dédramatiser un moment qui pouvait s'avérer gênant pour l'officier ? Etait-ce une réprimande ? Etait-ce – mais cela aurait été beaucoup plus inattendu – un conseil formulé pour encourager le Capitaine à prendre soin de lui ? Comment le dire ? Iran demeurait tellement mystérieuse, et elle ne jugea pas utile de donner davantage de précisions concernant ses intentions. Peut-être parce que même pour elles, elles n'étaient pas claires.

Une fois Learamn remit sur pieds, elle se rendit compte qu'il ne parviendrait pas à avancer tout seul. Elle ignorait la cause de sa faiblesse passagère – elle n'était pas guérisseuse – mais elle pouvait lire dans sa gestuelle et dans son regard qu'il ne ferait pas deux pas sans s'écrouler à nouveau, au risque de se blesser. Il s'appuyait sur elle bien plus qu'il n'aurait dû, et elle sentait qu'il vacillait quelque peu. Sa blessure devait le faire souffrir, mais il faisait preuve de sang-froid, et elle n'avait entendu aucun cri de douleur. Il gardait tout cela pour lui, en lui, comme s'il se refusait à montrer sa faiblesse à quiconque, même aux pierres qui l'entouraient. Elle comprenait cela et, plus important encore, elle le respectait. Il souhaitait conserver sa dignité, et puisait sa force dans sa résistance à une douleur qui aurait dû le terrasser. C'était louable.

- Je crains que vous ne soyez pas en mesure de rejoindre vos appartements, Capitaine. Les miens sont plus proches, venez donc.

Elle ne lui laissa guère le choix de la destination, et ne lui demanda pas davantage son avis lorsqu'elle passa son bras autour de ses épaules. D'une main ferme, elle le soutenait comme un soldat valide soutient un camarade blessé sur le champ de bataille, tandis que dans l'autre elle conservait une des deux béquilles dont il n'avait pour l'heure guère l'utilité. Elle l'incita à faire un pas en avant, puis un autre, et bien qu'il boitillât pour suivre la cadence qu'elle lui imposait, elle refusa de le traiter comme un impotent et de ralentir de trop. Elle-même était encore un peu secouée, et elle avait besoin de s'asseoir. Elle ignora comment il prit son insistance, se demandant s'il y verrait une forme de sadisme de sa part, ou au contraire s'il croirait qu'elle voulait lui montrer qu'il était toujours capable de fournir des efforts.

Ils n'eurent pas loin à aller, car Learamn n'avait pas chuté loin des appartements de la jeune femme, qui elle-même se rendait aux cuisines pour y attraper quelque chose à manger. Ses aventures de la matinée l'avaient vidée, et elle avait senti qu'un bon repas lui permettrait de digérer tous ces événements étranges. Un garde sur les talons, elle avait donc pris la route, pour débouler après moins d'une minute sur le Capitaine étendu sur le sol. A croire qu'ils étaient destinés à tomber l'un sur l'autre quand ils en avaient le plus besoin. Elle garda cette réflexion pour elle, et s'immobilisa brutalement, alors qu'ils étaient presque arrivés.

- Attendez une seconde.

Elle libéra le Capitaine, et se contenta de lui tenir fermement le bras, sans pour autant donner l'impression qu'il était particulièrement diminué. Sa prévenance était curieuse, pour ne pas dire suspecte. Iran n'avait pas donné l'impression de se soucier particulièrement du sort d'aucun rohirrim depuis qu'elle était arrivée à Edoras, et pourtant elle prenait sur elle de faire en sorte de préserver la réputation de Learamn, sans même qu'il lui eût demandé de le faire. Quand elle fut certaine qu'il tiendrait sur ses jambes le temps de franchir les quelques mètres qui les séparaient de la porte de ses appartements, elle l'incita à reprendre la route, et salua d'un geste de la tête le garde qui se tenait devant la porte.

Celui-ci se raidit en voyant son capitaine, mais ne fit aucun commentaire, se contentant de lui ouvrir la porte poliment et de s'écarter. Ce n'étaient pas ses affaires que de savoir ce que son officier supérieur faisait avec leur invitée Orientale, et il n'était pas particulièrement curieux de toute façon. Iran laissa entrer le blessé en premier, referma soigneusement le battant, et s'empressa de revenir vers lui alors qu'il oscillait dangereusement sur ses bases.

- Voilà, je vous tiens.

Elle avait réussi à se glisser devant lui, et elle l'aida péniblement à manœuvrer dans la chambre exiguë, jusqu'à pouvoir enfin s'asseoir sur le lit de fortune qu'on avait installé là à destination de la jeune femme. Elle l'aida à déplier sa jambe, et cala l'oreiller derrière son dos pour lui offrir une position un peu plus confortable, avant de se tourner vers le bureau, unique autre pièce de mobilier de la pièce.

Iran affichait encore un visage différent, cette fois. Elle était habillée, ce qui constituait une différence notable, d'autant que ses vêtements tranchaient souverainement avec ceux que l'on trouvait ordinairement dans les terres de l'Ouest. Elle ne portait pas à proprement parler une robe, même si de loin la méprise était fort possible. En réalité, elle portait une longue veste qui lui tombait jusqu'aux mollets, laquelle était nouée à la ceinture par une épaisse ceinture de tissu d'un bleu profond. En-dessous, elle portait rien de moins que des chausses, comme un homme. Cela expliquait son aisance à se déplacer.

Elle avait noué ses cheveux derrière sa tête en une longue queue de cheval qu'elle portait haute, ce qui dégageait son visage et incidemment révélait l'ampleur de l'hématome qu'elle avait sur le visage. Celui-ci avait grossi et foncé au point donner l'impression qu'elle avait peint son œil de charbon. Il était curieux de voir qu'elle ne semblait pas vouloir faire d'effort particulier pour cacher le stigmate de sa rencontre infortunée dans les bains, et qu'au contraire elle paraissait assumer entièrement cette marque que d'aucuns auraient considérés comme infamante. La jeune femme avait, semblait-il, retrouvé ses sens et toute sa dextérité car elle virevoltait parmi ses affaires avec une précision méthodique. Elle dégagea un espace suffisant pour déposer quelques plantes qu'elle réduisit en une fine poudre à l'aide d'un petit pilon. Ce n'était certes pas de la médecine comme les gens de l'Ouest le concevaient, mais elle avait ses habitudes, et comptait en faire profiter le Capitaine.

- C'est une plante qui pousse là d'où je viens, expliqua-t-elle. Les miens la considèrent comme magique, et nous l'utilisons dans bien des cas. Je l'utilise communément ainsi, en poudre. Cela va vous détendre, et apaiser un peu la douleur.

Elle fit glisser la poudre sur une fine lamelle de cuir, et la tendit précautionneusement au rohirrim, pour ne pas en renverser :

- Tenez. Inhalez fort, et ensuite bouchez-vous le nez.

Elle le laissa faire. Elle savait quel effet il ressentirait, pour l'avoir elle-même expérimenté à de nombreuses reprises. Une sensation de brûlure désagréable, puis une envie d'éternuer irrépressible. Son organisme voudrait évacuer la poudre, mais il fallait au contraire la laisser faire effet. Après une poignée de secondes, il ressentirait sans doute des picotements dans ses extrémités, puis viendrait le moment de détente qui pouvait confiner à l'extase, et durer plus ou moins longtemps selon les gens. Comme c'était la première fois qu'il y goûtait, l'effet serait sans doute particulièrement puissant sur lui.

Elle le regarda faire avec attention, et un sourire amusé fleurit sur son visage en voyant ses yeux s'ouvrir en grand. Elle lui souffla :

- Ne vous inquiétez pas, c'est inoffensif. Attendez, je connais autre chose.

Elle s'assit sur le lit juste à côté de lui, de sorte à lui faire face, et tendit ses mains délicatement pour ne pas l'effrayer. Elle comprenait qu'il pût avoir un mouvement de recul en la voyant faire, car il n'était pas très courant de se trouver face à une presque inconnue qui voulait vous toucher le visage. Il la laissa faire cependant, peut-être convaincu par la prévenance dont elle faisait preuve à son égard… plus certainement par la plante réduite en poudre, dont les effets commençaient à se faire sentir. Elle ne posa que le bout des doigts sur la peau de Learamn, mais cibla des endroits précis, sur lesquels elle effectua des pressions très particulières. C'étaient des points de relaxation, que l'on pouvait stimuler relativement facilement, et qui permettaient d'évacuer les tensions. Iran était loin d'être experte en la matière, mais elle en savait suffisamment pour aider à sa manière le jeune officier. Son serment l'y obligeait.

- Vous pouvez parler si vous voulez.

Elle avait soufflé ça l'air de rien. La plante pouvait rendre ceux qui en consommaient particulièrement sensibles, et enclins à vider leur sac. Telle était le pouvoir de cette magie naturelle, et elle se souvenait du dernier « patient » sur lequel elle avait eu à la tester. Elle s'en souvenait même très bien. Lui aussi était un jeune guerrier, terriblement blessé dans sa chair comme dans son âme. Lui aussi avait fait en sorte de tout garder pour lui, et de ne pas laisser quoi que ce soit transparaître derrière un masque d'acier. La seule différence, c'était qu'il était Lieutenant, et qu'il s'appelait Rokh.

Le temps semblait passer à une lenteur extrême. Iran avait transformé ses points de pression en un massage quelque peu inexpérimenté, mais pas moins efficace. Le Capitaine se détendait perceptiblement, et il ne ressentait plus, pour un temps du moins, la souffrance atroce dans son pied blessé. Elle n'en savait que peu à propos de ce à quoi il pensait, cependant. Son esprit voguait sur des eaux qui lui étaient inconnues, et il poursuivait son introspection en lui laissant seulement quelques pistes, quelques phrases qu'il consentait à lui dire. Elle était réceptive à tout ce qu'il avait à lui offrir. Elle se fichait de savoir s'il voulait lui parler de ses parents, ou de la femme qu'il aimait, de son enfance ou du futur qu'il imaginait, de ses batailles ou des enfants qu'il voulait élever. Elle était simplement là, et puisqu'il lui avait sauvé la vie, elle avait décidé de lui offrir cela. Une magie de l'Est, si puissante qu'elle faisait tomber les barrières de l'esprit et mettait à nu les tourments de l'âme, pour mieux les exorciser.

Aucun démon ne pouvait lui faire de mal s'il décidait de lui faire face.


~ ~ ~ ~


On frappa à la porte d'Aelyn, qui ouvrit après quelques secondes. L'homme qui se trouvait là était un garde comme les autres, dans une armure impeccable. Elle ne l'avait jamais vu, assurément, mais elle ne pouvait pas se tromper sur son expression : il paraissait troublé, pour ne pas dire terriblement gêné. Baissant les yeux, il lui lança :

- D-Dame Aelyn, je suis désolé, j'ai besoin que vous veniez immédiatement. I-Il se passe quelque chose de très grave !

C'était plus qu'il n'en fallait pour alarmer la guérisseuse. Tout le monde savait que sa fonction consistait à prendre soin des malheureux, des pauvres et des infortunés. Elle n'avait pas besoin d'être la compagne du Vice-Roi pour ressentir naturellement un élan de compassion envers ceux qui souffraient, et certainement que sa fonction n'allégeait pas son fardeau. Alors venir la voir et lui parler en ces termes, c'était presque comme la convoquer sans lui donner la possibilité de refuser. Malgré sa grossesse bien avancée, elle continuait à aller et venir dans la forteresse sans relâche pour assister ceux qui en avaient le plus besoin. Elle ne prit que quelques minutes à se préparer, rassembler son précieux matériel, avant d'emboîter le pas du militaire qui paraissait si bouleversé qu'il était incapable de donner des explications cohérentes. Il finit par se résoudre à lui dire où ils se rendaient :

- En ville, Ma Dame. Il faut que nous nous dépêchions, je suis désolé.

Il marchait à grandes enjambées, profitant de ce que les couloirs étaient déserts ou presque pour se hâter en essayant tout de même de conserver un rythme que pouvait soutenir la pauvre guérisseuse qui peinait à le suivre. Ils arrivèrent bientôt à un escalier qui descendait vers une petite cour, laquelle donnait ensuite directement sur la ville. C'était une issue qu'on empruntait volontiers quand on voulait quitter le Palais sans passer par l'entrée principale, mieux gardée mais aussi plus fréquentée. Le garde s'effaça pour laisser passer la jeune femme, qui s'immobilisa en bas des marches. Comment aurait-il pu en être autrement ?

En face d'elle, un soldat gisait. Mort. La gorge ouverte.

Avant qu'elle put pousser un cri, on glissa un bâillon dans sa bouche, et on la tira en arrière pour l'empêcher de crier. Le garde qui l'avait emmenée dans ce traquenard la retenait fermement, jouant de son physique pour conserver l'avantage, alors que sa pauvre victime se débattait furieusement. Il faisait en sorte de ne pas lui faire du mal, toutefois, et il ne cessait de répéter :

- Je suis désolé… Je suis désolé…

Il était sincère. La jeune femme trouva le moyen d'échapper pour un temps à son étreinte, et elle essaya de s'échapper, mais un homme se dressa face à elle. Il était sorti de nulle part, et avant qu'elle eût compris de quoi il retournait, il lui saisit les cheveux et la projeta sans ménagement contre le mur le plus proche. Elle s'y brisa comme une statue de cristal, et retomba mollement sur le sol, sonnée. L'inconnu, les yeux enragés, lui donna un coup de pied rageur dans le ventre qui aurait tiré un hurlement à la jeune femme si elle n'avait eu ce maudit bâillon entre les dents. Alors qu'il s'apprêtait à frapper de nouveau, le rohirrim qui avait traîtreusement livré sa suzeraine s'interposa et le saisit par le col :

- Assez ! Vous aviez dit que vous ne lui feriez aucun mal !

Le guerrier mystérieux recula de quelques pas, repoussé par la colère du juste, mais il se reprit bien vite, et écarta farouchement ces bras venus le menacer :

- Je ne tolère pas qu'on pose la main sur moi !

Avec une rapidité foudroyante, il sortit un poignard de derrière son dos, et le planta sauvagement dans la cuirasse du soldat, et qui referma son poing dessus en ouvrant grand la bouche, cherchant désespérément de l'air. C'était trop tard pour lui. Son meurtrier abandonna son arme, dont le manche dépassait du corps du rohirrim, et siffla entre ses dents. Quatre individus apparurent bientôt, déguisés en serviteurs du Palais. Il recula, et les laissa prendre en charge la « Vice-Reine ». Elle allait avoir son rôle à jouer dans cette histoire, et il n'était pas encore temps de la faire mourir…

- Emmenez-la en lieu sûr, et ne vous faites pas remarquer. Quand vous aurez terminé, Tiago, tu sais ce que tu as à faire. Modric, contacte le reste de la compagnie, nous décollons. Ces chacals du Rohan vont nous donner la chasse, offrons-leur assez de fausses pistes pour les tenir occupés ! Valerian, assure-toi que Mandred et son copain comprennent bien ce qui les attend s'ils ne coopèrent pas avec nous.

Les trois types hochèrent la tête. Ils fixèrent soigneusement le bâillon sur Aelyn, lui nouèrent les poings et les chevilles, avant de la faire glisser dans un grand sac. C'était la meilleure façon de la faire passer inaperçu. La quatrième silhouette s'avança vers son chef, prête à recevoir ses ordres :

- Ah, Sikkink, tu vas être nos yeux et nos oreilles ici. Reste incognito, récupère des informations, et surtout assure-toi que nous ayons toujours une longueur d'avance sur eux. Je veux que Mortensen soit à nos pieds, et pour cela j'ai besoin de tout savoir.

Sikkink hocha la tête, et prit la direction du Palais, afin de s'y trouver quand l'alerte serait donnée. Le plan se déroulait conformément à ce qui avait été prévu. Ils avaient répété leur fuite des dizaines de fois, si bien que chacun savait ce qu'il avait à faire. Il leur avait simplement manqué l'opportunité, que ces trois idiots de rohirrim leur avaient fournie sur un plateau. Désormais, ils feraient danser le Rohan dans la paume de leur main. Ils étaient la première graine.

Les racines de l'Ordre.

Le germe de la destruction.
Sujet: Aux grands maux les grands moyens . [PV Aelyn]
Ryad Assad

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Rechercher dans: Meduseld   Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Aux grands maux les grands moyens . [PV Aelyn]    Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySam 26 Déc 2015 - 22:54

Le torchon ne brûlait pas encore avec la Vice-Reine du Rohan… ou plutôt la compagne du Vice-Roi… mais elle et Iran n'étaient clairement pas d'accord sur la façon de voir le monde. Le contraire aurait été bien surprenant, de toute manière, et la guerrière du Rhûn ne s'attendait pas à être comprise par une femme de l'Ouest, une étrangère et une sauvage. Alors oui, elles allaient s'opposer, et la colère qu'elle entendit de la femme bientôt mère ne la surprit pas outre mesure. Elle s'y attendait, elle y était préparée et, pire, cela ne lui faisait ni chaud ni froid. Le conflit menaçait de prendre une tournure beaucoup plus personnelle, mais fort heureusement l'arrivée du Capitaine Learamn ramena un peu de sérénité chez les deux protagonistes de ce duel féminin qui menaçait d'être brutal. Lui, claudiquant toujours en prenant appui lourdement sur ses béquilles, faisait peine à voir. Il avait l'air épuisé, et elle s'en voulut un peu de s'emporter contre lui. Il avait l'air abattu, blessé davantage dans son âme que dans sa chair – bien qu'il parût également souffrir le martyr –, et elle appuyait encore là où cela faisait mal, sans la moindre pitié. Mais si c'était par là qu'elle devait passer pour obtenir réparation et justice, alors elle le ferait.

Toutefois, alors qu'elle soutenait fièrement le regard du guerrier, la guérisseuse releva derrière elle quelque chose qu'elle avait laissé échapper sans s'en rendre compte le moins du monde. Trois hommes. Elle se retourna vers la compagne de Mortensen en lui jetant un regard lourd de sens. Un regard qui signifiait « comment pouvez-vous le savoir ? ». Puis elle écarquilla les yeux en comprenant qu'elle était elle-même à l'origine de cette révélation. Sa micro-réaction était difficile à percevoir, mais il était certain qu'elle l'avait vue. Cette guérisseuse dont on avait ensorcelé le regard pour lui donner une couleur curieuse ne l'avait pas loupée, elle l'observait comme à la recherche de la moindre faille dans sa garde. Iran choisit de ne rien dire, convaincue que nier ne ferait que renforcer la conviction de la rohirrim. Si elle changeait de sujet, par contre, elle avait une chance que celle-ci oubliât ce qu'elle avait entendu. La femme elle-même lui donna l'opportunité de relancer la conversation dans une direction qui lui paraissait plus convenable, et elle sauta sur l'occasion, trop heureuse de laisser de côté les détails de son agression, dont elle se fichait éperdument.

Elle resta un moment à observer cette femme enceinte, agenouillée simplement devant ce soldat blessé qui la regardait faire avec sur les traits un air profondément dévoué. Que venait-elle faire dans cette scène qui n'avait pas de sens ? Elle se demandait si les mots qui sortaient de la bouche de la guérisseuse lui étaient bien adressés, si elle ne rêvait tout simplement pas. Elle, forte et dangereuse ? Certes, il aurait été bien malvenu de la sous-estimer, et elle était plus capable de tenir tête à un homme : elle n'avait pas été choisie par sa Reine pour rien, et ses qualités n'étaient plus à prouver. Cependant, en l'instant, on ne pouvait en aucun cas la qualifier de forte. Elle se sentait comme une enfant impuissante, et sa tête la lançait horriblement, bien qu'elle s'efforçât de le cacher. Alors pourquoi lui parler ainsi ? Etait-ce pour la flatter ? La manœuvre ne prendrait pas ! Elle rétorqua, avec acidité :

- Gardez votre compassion pour votre peuple. Il en a plus besoin que moi. Je ne suis pas des vôtres, et je ne vous demande pas de faire preuve de bonté envers moi. Je ne m'attends pas à être mieux traitée que les miens quand ils séjournent parmi vous…

Son regard se perdit un bref instant dans le lointain. Elle faisait explicitement référence à Rokh, et elle savait à quel point il avait été cruellement traité quand il s'était trouvé au Rohan. Constamment rabaissé, constamment humilié, reclus dans une petite chambre ridicule qui ressemblait davantage à une cellule. Il lui avait tout expliqué, et elle avait attendu depuis le début d'être mise dans les mêmes conditions que lui. Cependant, nul garde à sa porte ne la privait de sortie, son lit était plus confortable que celui d'une prison, et elle jouissait d'une certaine liberté qu'elle n'arrivait pas à expliquer. Elle avait fait le choix de suivre le Vice-Roi au Rohan en s'attendant à être traitée comme une prisonnière de guerre, à être surveillée chaque heure de chaque jour. Au lieu de quoi, on l'avait ramenée comme une invitée. La gentillesse de la guérisseuse était le coup de grâce dans le portrait qu'elle s'était fait du Rohan, et elle refusait de le voir se fissurer. Elle refusait de les voir autrement que comme les sauvages qu'ils étaient. Elle avait entendu des histoires, murmurées dans le camp, sur ces hommes rudes et grossiers, brutaux et peu éduqués qui allaient à la guerre sur le dos de grands chevaux de guerre. Ce qu'elle avait sous les yeux était conforme à ce qu'elle avait imaginé… à ceci près que quelques sauvages se montraient incroyablement bien disposés à son égard. En dépit de sa colère, la guérisseuse en faisait partie.

Elle poursuivit son argumentaire avec sérieux et brio, parlant bien mieux que le pouvait la guerrière. Iran n'était pas née militaire, contrairement à Rokh, mais elle avait grandi dans une famille relativement pauvre du Rhûn. Elle n'avait ni l'éducation ni le vocabulaire suffisant pour tenir une conversation aussi complexe avec la guérisseuse, qui semblait de toute évidence bien plus intelligente et instruite. Contrairement à beaucoup de ses compagnons d'armes au sein du régiment, Iran ne s'était pas hissée parmi les troupes d'élite de la Reine grâce à son statut et à sa richesse – lesquels s'accompagnaient souvent d'un enseignement de qualité –, mais bien parce qu'elle avait travaillé dur pour cela. Toute sa solde servait à nourrir sa famille, qui désespérait de la voir revenir vivante. Elle ne cessait de leur assurer qu'elle rentrerait un jour, mais maintenant elle se retrouvait là, au Rohan, piégée dans une quête de vengeance qui risquait de la mener sur le même sentier mortel que son ami Rokh. Alors, quand la femme du Rohan lui démontra qu'elle avait tout intérêt à coopérer, elle ne sut que répondre :

- Liées ? Vous voulez dire que ceux qui ont tué Rokh pourraient…

Elle détourna le regard un instant, confuse. La manipulation de la compagne du Vice-Roi fonctionnait sans la moindre difficulté sur l'esprit peu habitué à ces gymnastiques complexes de la guerrière. Elle avait su comment l'orienter dans la bonne direction pour la pousser à baisser sa garde. Le Capitaine également. Iran tourna la tête dans sa direction, alors qu'il l'observait sévèrement en lui faisant comprendre que lui non plus n'abandonnerait pas avant d'avoir trouvé les responsables de son agression qu'il semblait trouver profondément odieuse. Elle ne comprenait pas pourquoi il s'obstinait à vouloir condamner certains des siens, plutôt que de laisser passer l'affaire. Elle avait clairement exprimé le désir de ne pas faire remonter le problème, et elle ne voyait pas pourquoi il cherchait absolument à rendre une justice dont elle ne souhaitait pas. Il était bien curieux. Malheureusement, elle était liée à lui, pour le meilleur et pour le pire. Avec beaucoup plus de courtoisie que vis-à-vis de la guérisseuse, elle répondit :

- Je ferai ce que vous voudrez, Capitaine…

Elle inclina légèrement la tête, les lèvres pincées et le regard fermé, comme s'il lui en coûtait d'abandonner sa résolution. Elle avait les yeux brillants, mais elle ne versa pas une larme et se contenta d'attendre les questions de Learamn, qui devait se demander ce qui motivait un tel revirement dans son comportement. Elle inspira profondément, et répondit :

- Des gens méprisants et hostiles ? Vous voulez dire, à part tous les gens qui croisent mon chemin ici ?

Elle soupira :

- On m'a craché dessus, Capitaine… Deux fois. Quelques gardes m'ont insulté alors que je passais auprès d'eux. Je crois même qu'on m'a jeté quelque chose un jour… une pierre, peut-être. Mais elle m'a manquée, et je n'ai pas vu qui était à l'origine de ce tir. Et puis…

Elle dévisagea la guérisseuse et son patient, faisant une moue quelque peu contrariée, avant de leur avouer à contre-cœur :

- Il y a trois hommes. Toujours les mêmes. Ils m'attendent chaque matin lorsque je me rends aux bains. Et chaque matin, ils cherchent à me provoquer. Aujourd'hui je n'ai peut-être pas été aussi patiente que d'ordinaire, et nous en sommes venus aux mains… C'était juste avant que l'on ne m'agresse…

Elle savait que cela désignait les trois hommes comme des suspects, mais elle s'empressa d'ajouter, presque penaude :

- J-Je ne connais pas leurs noms, je suis désolée. Et je serais bien en peine de vous en faire un portrait… vous vous ressemblez tous tellement !

Learamn accepta ces informations, mais ne fit aucun commentaire. Il devait sans doute garder ses observations pour lui. Il ordonna à Iran de ne plus quitter ses appartements, du moins sans protection, et il lui notifia qu'il allait faire venir des factionnaires pour assurer sa sécurité. Elle ouvrit la bouche pour protester, et une étincelle outragée s'alluma dans son regard… avant de disparaître aussitôt, sans raison apparente. Ses protestations moururent dans sa gorge, et elle serra les mâchoires, avant de hocher la tête en lâchant sèchement :

- Comme vous voudrez, Capitaine.

Le militaire s'éclipsa bientôt, s'échappant de la pièce sur ses trois jambes, refermant soigneusement derrière lui. La guérisseuse et la guerrière demeurèrent seules pendant un moment, la seconde s'occupant de la première avec délicatesse. Le visage d'Iran avait déjà changé de couleur, et l'endroit où ce poing inamical avait rencontré sa peau veloutée virait progressivement au noir, menaçant de la défigurer. La compagne de Mortensen prépara une décoction à base de plusieurs ingrédients qu'elle réduisit en poudre puis mélangea pour en faire un breuvage tout à fait imbuvable. Il fallut presque plus de courage à Iran pour l'avaler en entier que pour confesser le détail de son agression. Incapable de cacher son dégoût, elle reposa la tasse en lâchant :

- Je préfère tous les onguents du monde à cette boisson, Dame Mortensen.

Elle ignorait au juste comment appeler la guérisseuse, et puisqu'elle ne pouvait pas la nommer Vice-Reine, elle avait pris le partie de lui donner la seule dénomination qui lui paraissait logique. Etait-ce trop que de supposer qu'ils partageaient déjà le même nom ? Elle ne connaissait rien aux coutumes d'ici, et ne comprenait pas quelle était exactement la position de la guérisseuse par rapport à son compagnon.

Finalement, cette dernière finit par partir après avoir prodigué ses ultimes conseils qu'Iran accepta sans dire si elle allait ou non les appliquer. Sitôt que la jeune femme eût quitté la pièce, toutefois, elle se laissa aller sur son lit, épuisée. Elle avait l'impression d'être lourde et lente, incapable de se déplacer correctement. Elle avait maintenu l'illusion tant qu'il lui avait été possible, mais maintenant que plus personne n'était là pour l'observer, elle pouvait enfin tomber les masques, et se laisser aller au repos. Elle ferma les yeux, et plongea en quelques minutes dans un sommeil curieux, guère réparateurs. Ses visions oniriques lui montrèrent un poing gigantesque qui obscurcissait tout son champ de vision, une couronne au milieu de flammes qui brûlait au cœur de la nuit, et un cheval solitaire qui paissait paisiblement sur une île trop lointaine pour qu'elle pût y accéder…


~ ~ ~ ~


Il était clairement mal à l'aise, incapable de rester tranquille. Il jetait des regards furtifs à droite et à gauche, alors que personne ne pouvait le voir là où il se tenait. Les deux autres lui avaient bien dit de ne pas s'inquiéter, mais comment voulaient-ils qu'il reste calme, après ce qu'ils avaient fait ? L'Orientale n'avait pas voulu rester tranquille, comme ils l'avaient pensé ! Quand ils avaient eu l'idée de venir se venger, ils voulaient simplement lui faire une belle frayeur, et lui faire passer l'envie de les défier à nouveau. Jamais ils n'avaient voulu la tuer ! Et puis ça avait dérapé. Elle s'était défendue, la bougresse, et il l'avait cognée. Oh, par les Valar, il avait tellement paniqué qu'il avait frappé de toutes ses forces, sans même prendre en considération qu'elle lui rendait au moins vingt centimètres et vingt kilos. Il l'avait éteinte d'un seul coup ! Il ne s'y attendait pas. Sentir son corps se relâcher soudainement, entendre sa nuque craquer de la sorte… Il en frémissait d'horreur rien que d'y repenser. Il l'avait lâchée, et lui et ses deux compagnons avaient filé illico, certains qu'elle était déjà condamnée, et que si le coup ne la tuait pas, elle finirait noyée. Ils avaient détalé comme des couards, terrifiés à l'idée d'être pris sur le fait. Ce n'était qu'un accident… un simple accident. Ils n'avaient pas voulu tout ça…

Et maintenant il était seul. Il avait pris sa décision une heure avant, et il était venu frapper à la porte qui restait toujours ouverte pour les gens comme lui. Pour les gens qui étaient passés par là où il était passé. Une porte qu'il aurait préféré ne jamais devoir franchir, mais il savait qu'il trouverait de l'aide. On lui ouvrit, naturellement,  et il rentra sans un mot dans une petite bâtisse lugubre, apparemment abandonnée. La façade était décrépite, abîmée, les fenêtres brisées et barrées par des panneaux de bois. Les voisins ne voyaient jamais personne entrer ou sortir d'ici. Et pour cause, depuis la Fin, presque toutes les opérations avaient cessé. Seuls les plus fidèles demeuraient. Une fois à l'intérieur, le soldat fut accueilli par une odeur de poussière et de renfermé qui lui agressa les narines. Un homme se tenait devant lui, et l'invita sans un mot à prendre place. Le militaire refusa, et s'empressa de lancer :

- Je n'ai pas le temps. Ecoutez, j'ai fait quelque chose de terrible… J'ai… J'ai tué quelqu'un, et j'ai besoin de m'en aller. Vous pouvez arranger ça, n'est-ce pas ? Vous avez déjà fait échapper des gens, je le sais !

L'homme mystérieux portait un capuchon qui dissimulait son visage, mais sa respiration lourde et sifflante s'accéléra un bref instant. Il paraissait sceptique :

- On dirait une manœuvre pour me faire confesser des choses… On dirait un piège…

- Non, je vous assure que ce n'est pas un piège ! Je… Oh, pitié, j'ai commis un crime horrible, et quand on me retrouvera… Je ne sais pas ce que le Vice-Roi me fera… J'ai entendu des histoires horribles, on dit qu'il a déjà torturé des gens, qu'il en a tué d'autres. Depuis la guerre, il se montre impitoyable, et je ne veux pas finir entre ses griffes !

L'inconnu inspira profondément. Il ne semblait pas en croire un mot, mais il ne dit rien :

- La marque… ?

Le soldat leva les yeux au ciel, et remonta sa manche jusqu'à révéler une marque qui se trouvait en haut de son avant-bras. Ce n'était pas un tatouage, mais bien une marque de brûlure profondément gravée dans sa chair. Il avait accepté de les servir à jamais, et même s'ils avaient perdu, il demeurait un de leurs fidèles serviteurs. L'homme au capuchon savait qu'il était davantage un serviteur qu'un fidèle, lui qui avait rejoint les rangs de Mortensen dès que le vent avait tourné. Dès que la situation avait paru défavorable, beaucoup avaient abandonné les couleurs de leur maître, et avaient rallié les rebelles pour mieux accélérer la Fin. En temps normal, il aurait dû tuer cet impudent qui osait venir lui quémander de l'aide, mais il se trouvait qu'il tombait bien. Très bien, même.

- Bien… J'accepte de t'aider… Mais seulement si tu acceptes de m'aider en retour.

- Tout ce que vous voudrez !

L'inconnu se releva, et rabattit son capuchon. Il n'était pas si inconnu que ça, et le soldat recula d'un pas, presque plus terrifié par cette apparition que par la perspective de se voir cloué au piloris par la fureur de Mortensen. Il n'était pas possible de se tromper, et même si la fatigue semblait avoir pris ses quartiers sur son visage, la lueur de détermination froide et sauvage qui brillait au fond de son regard n'avait toujours pas disparu. D'une voix glaçante comme la mort elle-même, il siffla :

- Montre-moi comment pénétrer dans les appartements royaux, et je t'enverrai dans un endroit où Mortensen ne pourra plus jamais t'atteindre.

Le soldat ne trouva même pas la force d'accepter cette proposition. Il avait peut-être fait la plus grosse erreur de sa vie… pourtant il ne pouvait plus reculer désormais. Il était trop tard.
Sujet: Aux grands maux les grands moyens . [PV Aelyn]
Ryad Assad

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Rechercher dans: Meduseld   Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Aux grands maux les grands moyens . [PV Aelyn]    Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyLun 30 Nov 2015 - 11:36

Iran n'était guère habituée à être soignée par des mains aussi douces que celles de la Vice-Reine. Elle ne se souvenait pas de la dernière fois où on l'avait traitée aussi… gentiment. Il fallait dire que dans l'armée, la plupart du temps les soldats s'occupaient de leurs propres problèmes. En campagne, en mission, en patrouille, chacun était tellement préoccupé par ses soucis, et il n'était pas question de demander de l'aide à quelqu'un. Les blessés les plus graves étaient de toute façon presque morts, et tous les autres savaient à quel point ils étaient chanceux d'être en vie. Iran faisait partie de ceux-là, qui jusqu'à présent passaient entre les gouttes, esquivaient les griffes de Melkor qui cherchait à ramener leur corps dans son royaume. Elle eut donc un mouvement de recul. Un réflexe, presque. Elle tendit les mains, comme pour repousser la guérisseuse, mais son regard glissa rapidement vers le jeune officier. Il n'était pas remis de ses terribles blessures, mais elle ne doutait pas qu'il interviendrait si elle posait ne fût-ce qu'un doigt sur sa suzeraine. Alors elle n'en fit rien, et se contenta de laisser faire. Frissonnant en sentant cette peau étrangère frotter contre la sienne, elle attendit le verdict, qui lui tira un discret soupir de soulagement. Au moins, elle n'avait rien de cassé, ce n'était que superficiel. Au fond, elle le savait, elle ne sentait pas une douleur suffisamment vive pour avoir quelque chose de sévèrement abîmé, mais elle était encore un peu choquée, et elle aurait très bien pu avoir focalisé son attention sur autre chose au point d'oublier la douleur. Que quelqu'un lui confirmât qu'elle allait bien n'était pas pour lui déplaire, loin de là. Toutefois, au moment où elle se rendit compte qu'elle était en train de baisser sa garde, elle ne put s'empêcher de griffer, comme un animal acculé tentant de préserver ses distances avec un prédateur plus fort que lui. Le prédateur, c'était tout le royaume du Rohan, contre lequel elle se sentait désespérément seule. Et sa griffure prit la forme d'une pique acerbe, acide, qui n'eût que peu d'effet sur la Vice-Reine, laquelle se mit à rire simplement.

Cela faisait longtemps qu'Iran n'avait pas ri, et elle demeura interloquée devant la réaction de cette femme qui représentait tout de même son exact opposé entre ces murs. Là où elle était une guerrière, roturière, venue de l'Est lointain, la femme blonde était une guérisseuse noble et Occidentale. Elles n'avaient, pour ainsi dire, rien en commun. Là où la première prenait la vie, à la pointe de l'épée, la seconde s'apprêtait à la donner comme en témoignait son ventre arrondi. Elles appartenaient à deux univers différents, et Iran ne pouvait qu'être surprise de voir avec quelle simplicité cette femme s'approchait d'elle, la touchait, lui parlait, comme si elle était une vieille amie. Son comportement n'était pas… pas décent. La guérisseuse entreprit alors de lui donner un élément d'explication qu'elle n'avait pas saisi. Ainsi, elle n'était pas noble, et pas mariée, si bien qu'on pouvait considérer qu'elle n'était pas non plus Vice-Reine, et que l'enfant qu'elle portait avait été conçu en dehors des liens sacrés du mariage. Le regard d'Iran manifesta tout son étonnement devant cette situation qui lui apparaissait improbable, du début à la fin.

Quand la compagne du Vice-Roi – pouvait-on lui trouver un titre plus approprié, puisqu'elle n'était légalement rien d'autre que la femme qui partageait ses nuits ? – se retourna pour chercher quelque chose dans sa sacoche, la Rhûnadan lança un regard d'incompréhension au Capitaine Learamn, comme pour lui demander : « Est-ce normal chez vous que de laisser une femme non mariée porter les enfants de votre suzerain ? ». Elle ne comprenait pas. Oh, bien entendu, elle n'était pas sotte et elle savait que bien des enfants étaient conçus avant que les épousailles ne fussent prononcées. Toutefois, elle avait toujours cru qu'il en était ainsi chez la roture, et que la noblesse mettait un point d'honneur à sauvegarder son sang et sa pureté, via un contrôle très strict des alliances. Il arrivait parfois qu'un enfant naquît de l'union d'un noble et d'une roturière, mais il n'était en général pas reconnu par son père, ou bien gardait à vie le titre de bâtard, ce qui n'était pas plus enviable. Qu'adviendrait-il donc de l'enfant que portait la guérisseuse ? Serait-il condamné à l'infamie pour l'écart de conduite de ses deux parents ? Elle était incapable de le dire, et son trouble se peignit sur son visage encadré de longs cheveux d'un noir d'encre, comme on n'en trouvait pas sur ces terres.

Comme le militaire semblait ne pas trop comprendre où elle voulait en venir avec ses gros yeux et ses signes de tête, elle fut obligée de prendre la parole, et ses mots furent plus que maladroits. Sans douceur, mais sans intention de blesser, elle évoqua la terrible blessure du jeune guerrier. Son pied bandé cachait bien mal l'ampleur de sa plaie, et elle ne pouvait qu'imaginer la douleur qu'il ressentait à chaque instant. Une douleur physique, naturellement, à chaque fois qu'il posait le pied au sol et essayait de faire quelques pas. Une douleur mentale, surtout, car le pauvre n'était pas en mesure de marcher, de se tenir en selle, ou de combattre. Que pouvait-il bien faire, donc ? Qu'était-il s'il n'était pas ce jeune capitaine dont on évoquait le nom dans les couloirs ? Valait-il réellement mieux que les infirmes que l'on voyait mendier dans les rues, quémandant la pitié de ceux qu'ils croisaient ? Elle savait ce par quoi pouvait passer un homme fort, soudainement blessé par la vie. Elle savait ce que cela pouvait signifier que d'en être réduit à tout réapprendre. Elle savait à quel point cela pouvait être long, difficile, éprouvant. Quand elle vit le regard de Learamn se fermer, se durcir, elle sut qu'il était conscient de la difficulté. Elle aurait simplement voulu lui dire que la réalité était encore pire que ce qu'il imaginait…

Elle sentait qu'il était blessé, mais elle n'ajouta rien. Elle n'était ni son amie, ni sa confidente, et il n'avait rien à lui dire, et qu'elle ne tirerait rien d'un quelconque interrogatoire, même s'il était conduit poliment. Cependant, alors qu'elle pensait qu'il allait s'en tenir là, il ajouta quelques mots sur un ton détaché, comme si son geste était particulièrement banal. Cela n'avait rien de normal que de sauver la vie d'une inconnue, a fortiori quand elle était originaire d'un autre royaume. Ce n'était pas le geste d'un homme du commun, et en dépit de ce qu'il voulait lui faire croire, bien des gens seraient passés à côté d'elle sans la sortir de l'eau où elle flottait. Elle le regarda intensément de ses yeux noisette, une moue indéchiffrable au coin de la bouche. Elle finit par répondre, sans que l'on pût percevoir la moindre once de reproche en elle :

- On ne survit pas avec ce genre de pensées… Pas là d'où je viens.

Elle baissa la tête, pour plusieurs raisons. Elle ne voulait pas trop évoquer la lointaine contrée d'où elle était originaire, si différente d'ici. Elle ne voulait pas non plus entrer en conflit avec lui sur ce point, car elle ne voulait pas dire par là qu'il était incapable… Seulement, sauver une vie pouvait amener plus de problèmes que l'achever. Elle avait déjà entendu des histoires, des gens qu'on avait sauvés alors qu'ils ne le méritaient pas, et qui faisaient preuve de la pire ingratitude. L'histoire du Rohan devait regorger également de ces hommes à qui un puissant seigneur laissait la vie sauve, et qui poursuivaient leurs sombres manigances, laquelle coûtait la vie à bien plus d'innocents. De vils serpents. Elle se détourna de cette conversation, certaine que s'il voulait revenir sur la question, il trouverait bien l'opportunité de le faire en un autre temps et en un autre lieu. Ce qui la rassurait toutefois, c'était de savoir qu'il avait accepté son offre. Elle allait pouvoir sauvegarder son honneur, même si elle se demandait encore comment. C'était la première fois avec un étranger… Quand la guérisseuse fut certaine qu'ils étaient tous en état d'être déplacés, elle leur ordonna de se mettre en route pour quitter les lieux, et Iran ramassa prestement ses affaires en sentant le bras de la compagne du Vice-Roi soutenir le sien pour l'empêcher de tomber. Elle aurait voulu se dégager, mais elle préférait ne pas se donner en spectacle, car ses jambes n'étaient pas encore bien assurées. Passer en station verticale lui avait coûté bien plus qu'elle ne l'aurait cru possible, et son séjour prolongé dans l'eau l'avait désorienté au point que sans aide, elle n'aurait pas été au bout du couloir. Le Capitaine à la jambe blessée, la guérisseuse enceinte, et l'Orientale étourdie se lancèrent donc dans un éprouvant périple qui devait les conduire jusque dans leurs quartiers. Leur drôle de compagnie tira un froncement de sourcils à Iran, qui se demandait si Melkor n'avait pas réuni leur inutilité au même endroit, pour son bon plaisir. C'était bien curieux…

Elle ne fit pas la conversation, et personne ne se sentit de la faire à sa place. Dans un silence de plomb, seulement rompu par leur respiration saccadée qu'ils essayaient de cacher tant bien que mal, pour ne pas attirer sur eux l'inquiétude de ceux qui les entouraient, ils avalèrent les mètres avec une lenteur affligeante. Le Capitaine, en dépit de sa jambe blessée, n'était pas le plus lent des trois, et il menait leur petite compagnie en s'appuyant lourdement sur les béquilles qui lui permettaient de marcher relativement convenablement. De là où elle se trouvait, Iran pouvait voir les muscles de son dos se contracter et se relâcher à mesure qu'il fournissait ses efforts, et elle sentait de la tension dans sa démarche, de la raideur dans sa façon d'avancer. Il ne marchait pas vraiment : il se battait, comme si chaque pas le rapprochait un peu plus de la guérison. Combien de temps avant qu'il ne se laissât abattre par l'absence de progrès, par le rappel constant d'une faiblesse qui refuserait de passer ? Combien de temps ? Iran en était là de ses pensées quand elle sentit que la guérisseuse la poussait légèrement à l'écart du chemin. Elle n'avait même pas entendu que des gens d'armes venaient, et elle se retrouva bien vite isolée dans un coin, là où ils ne pourraient pas les voir. Hélas pour Aelyn, qui espérait bien faire, la guerrière comprit de travers son intention, et se sentit quelque part vexée d'avoir été cachée ainsi. Elle aurait préféré pouvoir se tenir droite, fière devant ces hommes qui l'auraient regardée avec étonnement. Au lieu de quoi, elle avait été mise de côté comme une tare que l'on chercherait à cacher. Son amour-propre en prit un coup, mais elle s'efforça de passer outre. Rokh avait vécu bien pire…

C'était la pensée qui lui permettait de tenir quand elle doutait. Rokh avait vécu bien pire. Elle n'en avait aucune idée, en réalité, mais il lui paraissait bon de le croire. Cela alimentait sa colère contre les gens d'ici, une colère qu'elle transformait en une formidable énergie destinée à sa survie. Elle se nourrissait de tout ce qu'ils lui jetaient au visage : leur mépris, leur honte, leur haine, leur vile pitié. Elle en faisait la pierre glacée sur laquelle elle aiguisait sa volonté, jour après jour. Sans un mot, ils reprirent leur chemin, et arrivèrent bientôt dans les quartiers de la jeune femme, qui étaient probablement les plus proches. La guérisseuse fit installer sa patiente sur son lit, et celle-ci se sentit soudainement nauséeuse que de s'être allongée si rapidement. Elle ferma les yeux, et inspira profondément, pour se calmer. Elle entendit vaguement l'échange qui eut lieu entre le Capitaine et la jeune femme, mais perçut distinctement le bruit d'une porte que l'on claquait, et ceux de béquilles heurtant le sol. Tac, tac, tac. De plus en plus ténu, jusqu'à devenir un murmure. Elle sentit bientôt le lit s'enfoncer légèrement à sa droite, et elle ouvrit les yeux. La compagne du Vice-Roi était là, les yeux posés sur elle comme pour examiner son état. Iran se fit violence pour chasser toute trace de malaise de son visage, et écouta attentivement la rohirrim.

Elle trouva ses paroles déplacées, et en ressentit une certaine frustration. Ce n'était pas ce qu'elle avait envie d'entendre ! Pas en cet instant. Elle se redressa, incapable de soutenir une conversation de ce type en étant allongée – d'autant qu'elle avait le sentiment désagréable que son corps trempé inondait son lit, et qu'elle ne pourrait plus jamais y dormir. Elle se mit en position assise, face à la guérisseuse, ce qui lui coûta une généreuse part du peu d'énergie qu'elle avait à disposition. Son regard vacilla un instant, mais elle se raccrocha à son sentiment du moment, celui de la colère :

- Je me fiche que vous trouviez le coupable ! Elle avait parlé plus fort que prévu, et cela lui fit mal à la tête. Baissant d'un ton, elle reprit : Je ne veux ni de votre pitié, ni de votre compassion, ni de vos remords. Je ne suis là que dans un seul but, et vous savez très bien lequel.

Elle soutint le regard de la guérisseuse avec une telle détermination et une telle haine qu'il était difficile de ne pas se sentir touché. Iran avait perdu quelqu'un qu'elle estimait beaucoup, et elle n'aurait de cesse de retrouver ceux qui avaient commis un tel crime. Elle avait supplié le Vice-Roi de mettre tous ses hommes en route pour traquer les coupables, quand elle avait entendu parler d'un groupe de cavaliers qui avait été aperçu dans les plaines du Riddermark. Toutefois, il n'avait rien voulu faire, trop occupé à administrer ce royaume de paysans. Elle s'était sentie trahie, et rester à Edoras quand des hommes sillonnaient le pays impunément n'était pas pour lui plaire. Ils devaient être loin maintenant, et elle sentait que chaque jour, elle perdait un peu plus leur trace. Cela faisait déjà deux mois, et elle n'avait que des bribes, à peine une piste. Des cavaliers avaient tenté de forcer la Trouée du Rohan pour aller vers l'Ouest. Certains avaient réussi, d'autres avaient été refoulés, et se cachaient dans le pays. Elle n'avait rien : pas un nom, pas un lieu, pas un signalement. Elle ne savait même pas par où commencer. Cinglante, elle renchérit :

- Que ne feriez-vous pas si on vous arrachait un être cher ? Cela a-t-il un sens pour les gens d'ici ? Croyez-vous que je me soucie de trois idiots qui ne me portent pas dans leur cœur ? Je me fiche de leur sort !

Elle reprit son souffle, sans cesser de regarder la guérisseuse dans les yeux. Elle ne s'était même pas rendue compte qu'elle venait de dévoiler un élément qu'elle avait jusqu'alors tenu caché. Elle était résolue à faire passer sa mission avant sa propre vie, avant sa propre sécurité, ce qui n'était pas rien. Sa relation avec le jeune lieutenant était spéciale, et on lui avait arraché Rokh de la façon la plus brutale et la plus abjecte qui fût. Elle ne pourrait jamais oublier ce qu'elle avait vu, le supplice qu'il avait subi avant et après son trépas. Elle ne pouvait pas fermer les yeux sans penser à…

La porte s'ouvrit.

Iran inspira profondément. Elle était encore un peu troublée, et l'arrivée du Capitaine Learamn l'apaisa quelque peu. Au moins il lui rappelait qu'elle n'avait pas à s'emporter devant une femme qui pouvait tout aussi bien demander sa condamnation à mort le lendemain. Elle passa une main sur son visage, surprise d'y sentir encore des traces d'humidité. Elle se sentait poisseuse, sale bien qu'elle eût passé un moment dans l'eau. Elle avait envie de passer une tenue propre, et d'aller prendre l'air. Mais la guérisseuse ne paraissait pas d'humeur à la laisser faire. Le jeune homme s'assit lourdement, sans cacher le plaisir qu'il éprouvait à pouvoir enfin se reposer, et leur annonça que les coupables de l'agression sur Iran seraient retrouvés et punis comme ils le méritaient. La Rhûnadan lança un regard insistant à la compagne du Vice-Roi, comme pour lui faire comprendre qu'il y avait plus important. A quoi cela servirait-il de perdre du temps à chercher ses agresseurs, quand des criminels bien plus dangereux se déplaçaient librement dans le royaume ? Comme elle ne prenait pas la parole, alors qu'elle était pourtant la seule à pouvoir trancher dans cette affaire – et la seule à pouvoir ordonner au Capitaine de ne pas conduire son enquête –, Iran répondit à Learamn :

- Je ne demande pas à être accueillie. Je ne demande pas à être appréciée. Je demande justice. Je demande à ce que les serments pris soient honorés. Qu'importe ce que votre peuple pense de moi : c'est parfaitement réciproque. Je veux simplement accomplir ce pour quoi je suis là…

« … Et me venger » ajouta-t-elle in petto. Elle n'aurait pas pu leur dire les choses de la sorte, mais c'était pourtant bien la vérité. Ils n'auraient sans doute pas voulu la laisser faire si elle leur avait dit ce qu'elle comptait faire aux hommes responsables de la mort de Rokh. Elle préférait leur cacher – si c'était seulement possible – la profondeur de sa blessure, et l'étendue de la violence qu'elle s'apprêtait à déchaîner. Elle savait qu'au fond, elle n'y arriverait pas seule : elle avait besoin d'aide. De leur aide. Pourquoi eux ? Elle n'en savait rien. Peut-être parce qu'ils étaient comme elle : inutiles, et marginaux. Probablement parce que leur influence leur permettrait d'obtenir des informations qu'elle n'obtiendrait jamais par ailleurs. Certainement parce qu'elle savait que, du fait de leur condition, ils ne pourraient pas lui mettre des bâtons dans les roues quand elle massacrerait les auteurs du meurtre de Rokh.

Elle regarda la guérisseuse une nouvelle fois. Etait-elle prête à se lancer à la recherche d'individus capables de tout ? Rien n'était moins sûr…
Sujet: Aux grands maux les grands moyens . [PV Aelyn]
Ryad Assad

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Rechercher dans: Meduseld   Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Aux grands maux les grands moyens . [PV Aelyn]    Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyVen 30 Oct 2015 - 1:42

En un instant, Iran eut l'impression que son espace avait été envahi par une foule de gens. D'abord le Capitaine Learamn, qui continuait de l'observer avec des yeux inquiets qui la remplirent de questions. Pourquoi la dévisageait-il ainsi ? Etait-il stupide au point de ne pas se rendre compte qu'elle n'était pas du Rohan comme lui ? Il n'était pas normal qu'il eût vis-à-vis d'elle une telle réaction, alors que tout le monde dans ce royaume continuait de la traiter comme une créature inférieure, comme une moins que rien. Pourquoi s'évertuait-il à l'observer comme s'il se souciait sincèrement de ce qui pouvait lui arriver ? Elle enfouit son visage dans sa main – l'autre étant toujours occupée à maintenir un semblant de dignité derrière la serviette qu'elle avait eu la bonne idée de ne pas laisser traîner trop loin –, en essayant de donner l'impression qu'elle n'était pas en train de pleurer. Malheureusement, ses épaules trahirent légèrement les sanglots qu'elle ne pouvait pas totalement réfréner. Quand elle s'en rendit compte, honteuse, elle se dépêcha de sécher ses larmes. Elle était encore un peu choquée après ce qu'il venait de se passer. Bouleversée et confuse, elle ne contrôlait plus les réactions de son corps qui évacuait la pression comme il pouvait. Soudainement, elle se mit à trembler de manière incontrôlable. Ses tremblements, qui pouvaient passer pour une réaction due au froid, se calmèrent légèrement quand une femme apparemment surgie de nulle part lui tendit sa chemise de nuit. Elle la regarda sans trop comprendre d'où elle venait, avant de s'emparer de son vêtement en lâchant un « merci » un peu déconnecté. Elle avait du mal à faire la mise au point, et son esprit était sans cesse obnubilé par ce qu'elle avait failli vivre. Ou plutôt, par ce qu'elle avait vécu. Elle inspira profondément, et entreprit de se couvrir un peu plus, tout en regardant la femme qui venait d'arriver.

Elle était en train de poser des questions, de distribuer des ordres, avec une autorité que les deux hommes ne semblaient pas contester. Le page, un peu gêné par la scène à laquelle il venait d'assister, s'éloigna rapidement pour aller « prévenir le Vice-Roi », qui n'était autre que le fameux Mortensen, laissant la jeune Rhûnedain seule avec les deux Rohirrim. Le guerrier paraissait très surpris par la situation, et ses explications ne donnaient pas beaucoup plus d'indices concernant le comment et le pourquoi une femme étrangère était passée à deux doigts de la noyade au beau milieu des bains des gardes royaux. Dommage… Iran aurait bien voulu en apprendre plus sur son ou ses agresseurs, et si elle avait été paranoïaque elle aurait presque pu accuser le Capitaine d'avoir voulu protéger celui qui avait failli la tuer. Presque, car alors qu'elle retrouvait ses esprits, elle se rendit compte qu'il était trempé lui aussi, et qu'il avait dû s'employer pour la sortir du bassin où elle avait été immergée. Quelle raison aurait-il eu de laisser des gens la noyer pour finalement lui sauver la vie ? Et puis elle lisait dans son regard qu'il n'y était pour rien, et qu'il cherchait tout autant qu'elle à comprendre ce qu'il s'était passé. Peut-être même davantage qu'elle, ce qui l'étonna. Elle frissonna. L'instant d'après, Aelyn était penchée sur elle, et elle eut un mouvement de recul involontaire. Par Melkor, combien de temps était-elle restée perdue dans ses pensées pour que quelqu'un pût s'approcher à se point sans qu'elle le vît venir ?

Les questions la frappèrent durement, alors que pourtant elles avaient été posées sur un ton particulièrement amical et chaleureux. C'était peut-être précisément la raison pour laquelle elles étaient surprenantes, d'ailleurs. Comment expliquer un déchaînement de violence si brutal, suivi immédiatement d'une sincère compassion à son égard ? Elle était perdue, complètement désorientée, et incapable de savoir si elle devait s'éloigner d'eux, ou au contraire se jeter dans leurs bras pour chercher du réconfort. Tout cela la dépassait pour le moment, et elle n'avait pas encore l'esprit assez clair pour réfléchir convenablement. De l'éminence à la base de son pouce, elle essuya son nez qui continuait à saigner. Elle passa négligemment sa langue sur ses lèvres, goûtant à son propre sang sans que cela parût être la première fois. Elle avait vraiment mauvaise mine. L'hématome qui prenait une teinte plus sombre sur sa joue lui tira une douloureuse grimace, alors qu'elle répondait d'une voix encore un peu faible :

- Je vais bien… Je peux me lever, ça va…

Joignant le geste à la parole, elle poussa sur ses jambes pour essayer de se remettre en station verticale, mais échoua misérablement. Elle n'était pas encore aussi remise qu'elle souhaitait le faire croire. Cet échec fit monter en elle un sentiment d'humiliation et d'impuissance qui lui tira un soupir à fendre l'âme. Elle n'avait pas seulement éprouvé la peur de mourir, quand cette main ennemie avait décidé de la maintenir sous l'eau. Elle avait surtout ressenti terriblement sa propre incapacité à se sortir de cette situation, le sentiment effroyable de solitude et d'abandon qui avait étreint son cœur de manière impitoyable. Elle avait ressenti sa propre faiblesse, et cela lui avait fait prendre conscience de sa fragilité. Ici, au Rohan, elle était seule. Seule et vulnérable. Elle n'était qu'une toute petite chose que chacun pouvait piétiner à son gré. Cette prise de conscience lui tira une nouvelle série de larmes, qu'elle s'empressa de chasser d'un revers de main en répandant accidentellement un peu de sang sous ses yeux. Elle ne pleurait pas de tristesse, elle pleurait pas réflexe, mais pleurer la rendait triste. Elle était certaine qu'ils allaient se méprendre sur son compte, la considérer comme ce qu'elle n'était pas… C'était cela qui assombrissait ses pensées.

Après tout ce qu'elle venait de vivre, elle n'avait pas envie de lire de la pitié ou de la sollicitude dans son regard. Ils n'étaient pas ses amis, pas ses alliés. Ils ne devaient pas… ne pouvaient pas se montrer prévenants avec elle. Elle aurait préféré qu'ils cessassent de la regarder, et qu'ils se concentrassent sur leurs propres affaires, qu'ils allassent chercher les responsables de son agression ou, mieux, les responsables de la mort de Rokh ! Mais ils n'en feraient rien. Pas aujourd'hui.  Ils avaient tous bien mieux à faire que d'honorer la mémoire d'un vaillant homme mort dans des circonstances atroces. Elle désespérait chaque jour un peu plus de voir les coupables rattrapés un jour. Alors, résignée à ne pas voir sa vengeance accomplie, elle décida de prendre l'aurochs par les cornes, et de répondre à leurs questions. De toute évidence, ils s'en posaient beaucoup, et puisqu'ils n'entendaient pas la laisser respirer tant qu'ils n'auraient pas eu leurs réponses, elle prit le parti de les satisfaire le plus rapidement possible. Et puis cela l'aidait à penser à autre chose qu'au traumatisme qu'elle venait de subir. Tant mieux. Un peu plus sèchement que nécessaire, comme pour les éloigner d'elle, elle répondit :

- Pourquoi laissez-vous votre suzeraine s'approcher si près de moi, Capitaine… ? Vous avez bien dû remarquer que je n'étais pas des vôtres…

Son ton, Aelyn pouvait en témoigner, rappelait étrangement celui de Rokh. Plutôt, il voulait y ressembler, mais elle n'y arrivait pas complètement. Elle était encore trop humaine, trop sensible pour réussir à les glacer d'une simple phrase assassine. Elle ressemblait plutôt à une jeune femme perdue essayant de sauvegarder le peu de dignité qu'il lui restait. Elle n'avait rien du tueur implacable que la guérisseuse avait rencontré par le passé. Le preux guerrier qui avait tragiquement perdu la vie était une exception, même parmi les siens, et son caractère d'acier avait des côtés dérangeants même pour les gens de son propre pays. Il n'avait d'ailleurs que peu d'amis là-bas. Iran pouvait se targuer de faire partie de ce cercle très fermé… Elle avait discuté avec lui, à son retour au pays, et avait entendu ses récits au sujet des gens de l'Ouest. Des récits qui faisaient état de leur cruauté à son égard, de leur malveillance parfois, mais également – plus rarement – de leur courage et de leur droiture. Il avait simplement oublié de lui dire à qui elle pouvait faire confiance, et de qui elle devait se méfier comme de la peste. Il n'avait sans doute pas pensé à ce qui allait se passer durant ce mariage… ni même imaginer qu'elle allait faire le pari fou de rester à l'Ouest pour chercher son meurtrier. Il aurait ri d'elle s'il avait eu l'occasion de la voir faire. Il aurait ri et il aurait eu raison de se moquer de sa faiblesse…

Un nouveau frisson lui parcourut l'échine. Elle sentit pendant un instant la main de Rokh se poser sur son épaule, comme un fantôme du souvenir revenu pour la protéger. Cela ne dura qu'une fraction de seconde, mais elle eut l'impression qu'il se trouvait là, avec elle, et qu'en se retournant elle allait le voir, un sourire narquois aux lèvres, comme pour l'encourager à se relever. Elle posa la main là où elle espérait sentir les doigts de son ami, mais ne rencontra que la peau de son épaule. Il était parti. Une ombre passa sur ses traits. Elle inspira profondément, et s'arma du courage qu'avait eu Rokh quand il avait passé ces longs mois ici, au Rohan. Il avait traversé cette situation bravement, et elle devait au moins à sa mémoire de s'en sortir avec les honneurs elle aussi. Elle trouverait son coupable un jour, et elle le ferait payer, même si cela devait lui prendre dix ans !

- J'ai déjà eu l'occasion de vous rencontrer, Capitaine… Reprit-elle plus calmement et plus poliment. Mais vous n'étiez pas éveillé. On m'a dit que vous reveniez d'une difficile mission. Et votre jambe…

Elle ne termina pas sa phrase. Pour plusieurs raisons. Elle s'en voulut un peu d'avoir rappelé ce douloureux souvenir à ce guerrier qui, de toute évidence, avait beaucoup souffert et souffrait encore. Il n'était toujours pas remis, loin de là, et elle ne pouvait qu'imaginer à quel point cela pouvait être pénible de devoir récupérer d'une telle blessure. Elle avait vu son corps se tendre légèrement quand elle avait pris la parole. Etait-ce à cause de ce qu'elle venait de dire, ou bien parce qu'elle était une étrangère ? Elle n'aurait su le dire, mais elle avait préféré ne pas aller plus loin. En outre, elle s'était interrompue également car elle s'était rendue compte que sa réponse soulevait de nouvelles questions. Pourquoi était-elle venue rendre visite au blessé alors qu'il dormait ? Quelle raison avait-elle de vouloir le rencontrer ? Elle ne souhaitait pas encore en discuter avec le Capitaine. Elle avait entendu des choses à son sujet, mais elle devait faire la part des choses, et trouver le bon moment, la bonne façon… Elle changea de sujet habilement, et rebondit sur quelque chose de plus important dans l'immédiat : la raison qui expliquait pourquoi elle se trouvait dans cet état.

Elle aurait bien voulu leur mentir, leur dire qu'elle avait glissé, fait une mauvaise chute, et qu'elle s'était cognée la tête avant de sombrer, mais elle ne pouvait pas. Premièrement, elle s'était déjà suffisamment ridiculisée, entre ses larmes et l'impudique nudité dans laquelle elle avait été retrouvée. Elle ne souhaitait pas qu'ils la prissent définitivement et irrémédiablement pour une incapable, une personne débile et impotente qui ne méritait que mépris. Deuxièmement, elle ne pouvait pas dissimuler la trace sur son visage, causée par un poing violent venu s'écraser sur sa joue, ni le sang qui coulait de son nez. Elle avait été agressée, sans douceur, et ils n'auraient jamais accepté de la croire si elle leur avait servi une excuse à dormir debout. Pour autant, elle n'était pas obligée de leur dire tout ce qu'elle savait. Elle ne voulait pas faire de vagues, et elle n'était pas prête de dénoncer les hommes qui s'amusaient à la titiller quotidiennement. Elle ignorait même si c'étaient bien eux les responsables, mais qui d'autre pouvait avoir eu l'envie de se débarrasser d'elle, alors que quelques instants auparavant elle avait décidé de les défier ? Elle ne les connaissait pas, mais elle savait ce qu'il se passerait si on les punissait à cause de leur geste à son égard. Sans surprise, ils lui en voudraient à mort, et ils trouveraient bien un moyen de se venger d'une manière ou d'une autre. En outre, leurs amis se sentiraient trahis par leur chef, et cela amènerait bien davantage de problèmes que cela en résoudrait. Condamner ses hommes pour protéger une Orientale ? Le Vice-Roi y perdrait énormément, et elle n'était même pas certaine qu'il irait jusque là pour elle. Elle n'était rien à ses yeux, et elle ne pouvait pas avoir foi en lui. Non, elle ne pouvait faire confiance à personne…

- J'ai senti quelqu'un me retenir sous l'eau, avança-t-elle prudemment. Je n'ai pas vu de qui il s'agissait, désolée…

Désolée, elle l'était sincèrement. Peut-être pas pour les raisons qu'ils imaginaient. Certes, elle aurait bien voulu leur dire avec certitude qui était responsable de cette attaque ignoble, mais surtout elle aurait bien voulu connaître le visage du coupable pour lui faire payer ses crimes en personne. Hélas,  elle n'en avait pas les moyens pour l'heure, et elle devait se résoudre à devoir laisser passer l'affaire. Elle espérait seulement que les deux Rohirrim en feraient autant, et qu'ils laisseraient tomber. Elle s'arrangerait tout simplement pour être prudente la prochaine fois, et ne pas aller se baigner sans emporter une lame avec elle. Cependant, alors que les choses se remettaient en ordre dans sa tête, une nouvelle pensée vint s'intercaler avec ses premières réactions. Une pensée qui aurait dû être parmi les premières, mais elle avait été si choquée qu'elle s'était concentrée sur le principal : survivre. Maintenant qu'elle avait repris son souffle, qu'elle avait un peu retrouvé sa sérénité, elle se rappelait de qui elle était, et de ce qui constituait sa personnalité. Elle demanda au militaire tout en connaissant par avance la réponse qu'il allait lui donner :

- C'est vous qui m'avez sauvé la vie ?

Il ne pouvait pas le nier, beaucoup trop d'éléments allaient dans ce sens pour que la modestie entrât encore en ligne de compte. Elle plongea son regard dans le sien, et lui souffla :

- Je vous suis redevable, Capitaine…

Sans doute le Rohirrim n'imaginait pas l'implication de telles paroles. Iran déplia ses longues jambes fuselées, et se redressa en prenant appui sur le bras d'Aelyn, la guérisseuse, Vice-Reine du Rohan. Les deux femmes se connaissaient, et avaient déjà eu l'occasion de se rencontrer pendant le mariage royal, deux mois auparavant. Elles ne s'étaient guère vues depuis leur retour de Minas Tirith du Gondor, l'Occidentale vaquant aux obligations liées à son statut et à son rang, tandis que l'Orientale continuait à rechercher des indices concernant les assassins de Rokh. Cependant, comment auraient-elles pu oublier leur première rencontre, quand la guerrière s'était jetée sur le Vice-Roi Mortensen en essayant de le tuer, pour venger la mémoire de son ami ? Comment auraient-elles pu oublier cette confrontation terrible entre Lyra et Gallen, qui aurait pu aboutir au déclenchement d'une guerre terrible, mais qui avait finalement débouché sur une alliance curieuse, presque contre nature ? Ce jour resterait gravé dans leurs mémoires pour longtemps, assurément…

Iran se retrouva bientôt debout, mais elle n'était pas encore très stable sur ses appuis. La guérisseuse pouvait sentir à la pression qui s'exerçait sur son bras que sans son aide, la guerrière aurait eu toutes les peines du monde à ne pas s'écrouler. Elle était tout simplement épuisée, encore un peu désorientée, mais elle ne voulait rien laisser paraître. Elle voulut se débrouiller seule, s'écarta un bref instant de la main tendue, mais vacilla largement et s'effondra à moitié dans les bras d'Aelyn. Elle ne ferait pas deux mètres sans s'écrouler, à ce rythme-là…
Sujet: Aux grands maux les grands moyens . [PV Aelyn]
Ryad Assad

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Rechercher dans: Meduseld   Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Aux grands maux les grands moyens . [PV Aelyn]    Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyJeu 24 Sep 2015 - 17:56


Cela faisait deux mois déjà. Deux mois, et elle ne s'en remettait toujours pas.

Allongée dans son lit, recroquevillée sur elle-même, Iran était en larmes. Ce n'étaient plus les sanglots déchirants qui la saisissaient au beau milieu de la nuit, qui la tiraient de ses cauchemars violents et qui lui donnaient l'impression qu'un étau la compressait jusqu'à la faire exploser. Seulement des larmes. Des larmes qui ne semblaient pas trouver de fin, comme si rien ne pouvait atténuer la peine terrible qu'elle ressentait. Il fallait dire que chaque fois qu'elle fermait les yeux, des images horribles s'imposaient dans son esprit. Rokh. Mort. Elle avait toujours du mal à le croire. Ce n'était qu'un gamin, et maintenant… il n'était plus là.

Elle s'était attachée à lui. Beaucoup. Trop, sans doute, mais il était trop tard pour penser à ça désormais. Elle avait été en charge de son sort lorsqu'il était revenu au Rhûn, affaibli, amaigri et avec des blessures qui n'étaient pas jolies à voir. C'était elle encore qui avait écouté son histoire, et qui avait veillé sur lui jour et nuit, en s'assurant qu'il allait s'en sortir. Mais elle avait plus que ça, pour ce guerrier trop jeune, brisé par la vie. Elle avait parlé avec lui, l'avait poussé à se confier, et pendant ses longs mois de convalescence, elle avait fait en sorte de le faire sortir peu à peu de sa coquille. Enfin, elle avait décidé de l'accompagner quand il avait voulu aller rendre visite à ses parents. Beaucoup pensaient, déjà à l'époque, qu'ils entretenaient une relation. Cela y ressemblait oui, et elle comprenait les rumeurs qui circulaient à leur sujet. On murmurait qu'ils allaient se marier, et que Rokh allait chercher la bénédiction de son père pour ces épousailles. Il n'en fut rien. Iran fut la seule à savoir ce qu'il se dit sur cette petite île de la mère de Rhûn où les parents du guerrier vivaient toujours. Et ce n'était pas son père qu'il allait voir.

Il cherchait la présence de sa mère, dont il lui avait confié avoir oublié jusqu'au visage… jusqu'au nom. Il s'était enfoncé dans la guerre tant et tant qu'il était devenu un homme trop vite, trop tôt. Il n'avait jamais connu les joies de serrer sa mère dans ses bras, ne s'était jamais senti aimé, ne s'était jamais laissé aller à faire confiance. Il avait intégré très tôt les notions du guerrier, et cela avait pris la place de tout le reste, tant et si bien qu'il ne restait plus dans son cœur de place pour personne. Iran le savait, et bien qu'elle appréciait Rokh plus qu'aucun autre homme, elle ne voyait pas en lui la personne avec qui elle pourrait passer le reste de ses jours. Elle ne l'avait jamais vu ainsi. Elle était à peine plus âgée que lui, et pourtant elle le voyait encore comme un enfant. Elle avait voulu le protéger, comme une grande sœur, comme une marraine. Il n'avait jamais demandé autant, et il n'avait jamais demandé davantage. Elle l'avait soutenu de son mieux, et quand ils étaient revenus de ce périple dans le passé du guerrier, elle avait décidé de l'emmener avec elle à Blankânimad. Il devait rendre des comptes à ses supérieurs, rejoindre l'armée qu'il avait quittée, et elle ne voulait pas qu'il déshonorât sa famille en finissant ses jours comme un mercenaire. Elle connaissait son talent, et savait qu'il serait repris s'il présentait ses excuses, s'il travaillait dur, s'il donnait des garanties.

Là encore, elle avait été bien surprise. A son retour, il s'était enfermé cinq minutes avec un officier, qui lui avait obtenu une audience avec la Reine elle-même. Une heure plus tard, il était réintégré, avec les honneurs, sans paraître avoir fourni d'effort particulier. Il avait mis un moment à lui expliquer pourquoi, et elle avait fini par comprendre la vérité un soir qu'ils discutaient, après une patrouille particulièrement harassante. Elle lui avait demandé encore une fois comment il avait pu revenir si facilement, ce qui avait réussi à convaincre la Reine elle-même de le reprendre. Il avait alors tout expliqué. Absolument tout.

Il avait commencé par raconter la façon dont il avait quitté l'armée pour intégrer les rangs de l'Ordre de la Couronne de Fer, comment il y avait combattu, comment il y avait servi fidèlement. Iran n'osait même pas réfléchir à ce que cela impliquait. Cela signifiait que Lyra elle-même était au courant de tout cela, et que dans un certain sens elle avait contribué au développement de cette organisation qui avait déstabilisé les peuples de l'Ouest. En soi, cela n'avait rien de choquant, mais pour la jeune femme, cela faisait de Rokh non pas un déserteur, mais bien un héros. Elle l'avait alors perçu comme un militaire à part, à qui on avait confié une mission de premier ordre : aller porter la guerre au cœur des royaumes occidentaux pour les faire vaciller. Il paraissait voir les choses sous un autre angle, mais il se garda bien de lui dire que pour lui, l'Ordre était un ramassis de mensonges et de promesses non tenues.

Il en était bientôt arrivé à l'épisode de la bataille d'Aldburg, où les hommes du lointain pays de Rohan s'étaient battus les uns contre les autres dans une guerre civile qui avait vu les morts se compter par centaines. Elle avait eu du mal à croire à ce qu'il lui racontait, tant cela ressemblait à une fable. Les défenseurs de la citadelle, en infériorité numérique, avaient réussi à tuer le roi qui s'était jeté dans la bataille au mépris de toute prudence. La bataille avait tourné en la défaveur des assaillants, et Rokh avait été fait prisonnier, torturé, avant d'être lié à son adversaire par un contrat bien curieux. Iran avait été fascinée par ce personnage du Maréchal Mortensen que lui décrivait le guerrier. Elle avait remarqué que Rokh n'accordait son estime qu'à une poignée de personnes, et qu'il s'agissait rarement d'estimer leurs compétences militaires. Or, il parlait du Maréchal comme d'un très grand guerrier, d'un « adversaire honorable » et d'un « champion digne de lui ». Il y avait de quoi impressionner, et elle imaginait l'intensité de leur duel épique au beau milieu du champ de bataille.

Iran connaissait donc le Maréchal, devenu désormais Vice-Roi, mais elle ne s'attendait pas à être amenée à le côtoyer comme Rokh l'avait fait. Si on lui avait dit que la situation allait tourner de la sorte, elle n'y aurait pas cru. Jamais. Premièrement, elle n'imaginait pas son ami mourir. En aucun cas. Elle avait vu à quelles blessures il avait survécu, elle avait vu ce dont il était capable même en étant blessé, et elle savait qu'il ne se laisserait pas tuer facilement. Même le duel contre le Vice-Roi ne l'inquiétait pas tant que cela, et elle avait fait preuve de beaucoup de confiance à la veille de ce combat. Là où tout avait basculé. Elle ne comprenait pas encore trop les tenants et les aboutissants de ce drame. Elle savait simplement que son ami était mort, et que, aveuglée par la haine et par une envie de vengeance qui brûlait encore en elle aujourd'hui, elle s'était jetée sur l'homme qu'elle estimait responsable de tout ceci.

La jeune femme ferma les yeux, et sécha ses larmes maladroitement. Elle ne voulait plus penser au passé. Elle devait se concentrer sur le présent. Se levant péniblement, elle ouvrit la fenêtre de la petite chambre qu'on lui avait affectée au milieu de la caserne des gardes de la capitale du Rohan. Ses yeux se posèrent sur la cité d'Edoras aux toits de chaume, et sur ses habitants qui vaquaient à leurs occupations. Elle resta à contempler ce drôle de spectacle un instant, laissant son regard s'égarer sur qui installait son étal pour le marché, qui discutait avec son ami des dernières rumeurs entendues à l'auberge, qui partait gaiement au travail dans les champs voisins. Parfois, elle se demandait si tout cela était réel. L'était-ce ? Ce monde, si vaste, qu'elle percevait au-delà des plaines qui s'étendaient à perte de vue, existait-il vraiment ? Elle avait parfois du mal à le croire. Arda était si vaste, et ses peuples si divers, si nombreux. Elle venait des contrées lointaines du Rhûn, des régions orientales sans non plus venir des franges du royaume. Pour elle, tout cela était tellement… bizarre. Elle se sentait perdue, petite, écrasée. Si ce n'avait été pour Rokh, elle ne serait pas restée dans un tel endroit. Mais elle se devait de le faire pour honorer la mémoire de son ami, honorer son engagement pris auprès de la Reine, et simplement parce qu'elle voulait faire payer au coupable de ce crime odieux.

Deux mois, et toujours aucune piste, sinon de maigres indices. Les malfaiteurs étaient loin maintenant, mais elle demeurait convaincue qu'elle finirait par obtenir des informations intéressantes. Il lui fallait seulement chercher, continuer à tendre l'oreille, interroger et recueillir les témoignages. Elle finirait bien par mettre la main sur une piste, et alors elle ne la lâcherait pas. Pour rien au monde.

Suivant le même rituel depuis qu'ils étaient revenus à Edoras, Iran se dirigea vers la salle commune où les gardes se lavaient. On ne pouvait pas dire qu'ils en faisaient un usage intensif, et beaucoup ne devaient pas y venir régulièrement, à en juger par leur odeur. Les lieux n'avaient rien à voir avec l'équivalent oriental, beaucoup plus propre et mieux entretenu. Cependant, c'était déjà un luxe de savoir que l'eau était changée quotidiennement, ce qui signifiait qu'en se levant assez tôt, elle pouvait profiter de deux choses qu'elle n'aurait pas eu sinon : une eau propre, et une certaine intimité.

Elle avait été surprise, en arrivant ici, de constater qu'il n'y avait aucune femme dans l'armée. Elles n'étaient pas si nombreuses en Rhûn, mais dans chaque caserne, il y avait tout de même des espaces dédiés aux membres féminins de l'armée, et on ne pouvait pas dire qu'elles étaient négligées. Au Rohan, elle était pour ainsi dire la seule représentante du beau sexe de la caserne, et bien évidemment aucune disposition n'était prise pour elle. On lui avait proposé de loger ailleurs, mais elle avait refusé – par fierté, essentiellement – et elle se trouvait désormais dans cette situation curieuse où elle devait partager les lieux avec un public exclusivement masculin. Les hommes ici ne lui facilitaient pas la tâche, et elle savait être une sorte d'attraction pour la caserne d'Edoras, une curiosité. La plupart faisait simplement en sorte de ne pas se trouver dans la même pièce qu'elle, ce qui lui convenait amplement.

Comme tous les matins, elle passa sa chemise de lit, s'enroula dans une serviette, attrapa ses vêtements propres, et se dirigea d'un pas décidé vers les bains. Il n'y avait personne dans les couloirs à cette heure-ci, et elle ne se souciait pas de marcher pieds nus. Le contact de la pierre froide sur sa peau lui procurait un picotement agréable qui achevait de la réveiller. Comme tous les matins, en tournant à l'angle du dernier couloir, elle eut le déplaisir de constater que les mêmes hommes se trouvaient là. Trois Rohirrim qui avaient remarqué son petit manège, et qui s'étaient mis en tête de lui pourrir la vie. Personne n'était là pour les surveiller, les rabrouer, et ils s'étaient un jour dressés face à elle, l'empêchant fermement de passer. Depuis, ils venaient régulièrement, et se montraient toujours aussi agressifs et aussi méprisants avec elle. Elle ne comprenait pas toujours très bien ce qu'ils disaient, car ils parlaient vite, et certains mots étaient lancés en rohirrique, leur langue de sauvages. Mais l'essentiel ne lui échappait pas. Surtout à cause de leur ton, et de leur regard mauvais :

- Alors, voilà la Chienne du Vice-Roi qui vient se toiletter. Tenace, la putain… T'as pas encore compris ?

Iran ne s'arrêta même pas, et continua à avancer vers eux. Elle avait longtemps ignoré d'où lui venait ce surnom de « Chienne du Vice-Roi ». Et puis elle avait appris totalement par hasard que Rokh, du temps de sa captivité, avait été surnommé le « Chien de Farma », du nom de la femme qu'il devait protéger. Elle se sentait profondément insultée à chaque fois qu'ils l'appelaient de la sorte, et elle ne pouvait qu'imaginer à quel point son ami défunt avait pu être choqué par un tel traitement. Ce qu'il avait enduré était difficilement concevable pour elle, mais plus le temps passait, plus elle avait l'impression de comprendre comment il avait été reçu ici. Il aurait été injuste de dire que tous les Rohirrim se comportaient de la sorte, mais trois hommes particulièrement butés suffisaient à ruiner ses journées. Elle s'avança vers eux comme d'habitude, consciente qu'ils allaient essayer de l'intimider pour la faire repartir :

- Tu veux vraiment qu'on te casse la figure ? Tu sais, on commence à en avoir assez de te voir tourner dans les parages, alors tu ferais peut-être mieux de te tirer avant qu'on s'énerve vraiment cette fois.

Elle répondit sèchement :

- Ecartez-vous. Je ne le répéterai pas deux fois…

Elle était vraiment agacée aujourd'hui, et elle n'avait pas envie de perdre du temps à discuter avec eux. D'ordinaire, elle les laissait jouer quelques minutes, avant de les menacer. Ils la bousculaient sans lui faire de mal, et partaient en riant, en lui lançant un « à demain » moqueur. Mais aujourd'hui, elle ne leur avait pas donné le privilège de passer leurs nerfs sur elle, et elle était directement passée à la case menace. Le plus grand des trois, dont elle ignorait toujours le nom, regarda ses compères en lançant :

- Oh, mais c'est qu'elle est teigneuse la Chienne. Peut-être qu'on devrait lui apprendre les bonnes manières. Hein ? On te ménage parce que t'es une gonzesse, mais si ça se trouve tu te fous de nous… T'as quoi entre les jambes, hein ?

Il tendit la main vers sa serviette, dans l'intention évidente de la lui arracher. C'était principalement pour cette raison qu'elle gardait une chemise de lit en-dessous, consciente que ces trois types pouvaient un jour passer à la vitesse supérieure. Elle était contente de ne pas s'être laissée surprendre, et d'avoir tout prévu. Elle retint de justesse le morceau de tissu, et écarta le type en le repoussant du plat de la main, tout en criant :

- Fichez le camp, perfides !

Ils rirent :

- Oh la la, « perfides », rien que ça ? Allez, casse-toi où c'est moi qui vais te casser en deux.

Elle ne recula pas. Avec plus de violence, il s'empara de sa serviette, et la tira de toutes ses forces. Elle ne résista même pas, et profita de son élan pour le pousser en arrière. Il trébucha, et tomba lourdement en arrière, le regard incroyablement surpris. Iran recula d'un pas, plus pour se préparer à se défendre que par crainte. Elle n'avait pas voulu le pousser aussi fort, et elle se rendait compte maintenant qu'elle était peut-être allée trop loin. Mais elle doutait sérieusement de leur courage : ils n'oseraient pas s'en prendre à elle, surtout pas si cela devait laisser des traces. Ils risquaient fort d'être punis par leurs supérieurs, voire pire si elle en référait au Vice-Roi. Le type se releva, mais n'ajouta rien, et s'éloigna avec ses compagnons. Iran soupira de soulagement, et ramassa ses affaires. Comme tous les matins, elle espérait que ce serait la dernière fois… Aujourd'hui avec peut-être plus de confiance. Elle les avait remis à leur place sans en faire trop, et ils comprendraient peut-être qu'il était peine perdue d'essayer de la faire craquer.

Heureuse de pouvoir se délasser, elle referma la porte des bains derrière elle, quitta ses vêtements, et s'immergea dans l'eau encore brûlante. Il était toujours difficile d'y rester la première minute, mais elle serrait les dents, et finissait par apprécier le contact agréable de l'eau chaude sur son corps. Le bain en lui-même était assez spacieux, et elle ne se trouvait pas dans une baignoire. Plutôt une petite cuve où elle se tenait debout, assez large pour qu'elle n'en touchât par les bords avec les bras, et assez profonde pour qu'elle n'en touchât pas le fond avec les pieds. Accoudée au bord, elle avait l'impression de recevoir un massage délicat, et cette impression chassait ses mauvais rêves au loin, la laissant apaisée et détendue pour quelques temps. C'était son rituel le plus important, celui qui permettait d'aborder la journée sereinement et efficacement. Sans cela, elle risquait de s'effondrer à tout moment, elle le savait bien. Elle se laissa porter un moment, les yeux fermés, avant de glisser la tête sous l'eau. Les joues légèrement gonflées, elle se plaisait à entrouvrir de temps en temps ses lèvres pincées pour laisser quelques bulles s'échapper. Elle aurait eu plaisir à les regarder remonter à la surface, mais elle n'était pas une nageuse experte, et elle craignait toujours d'ouvrir les yeux sous l'eau. Elle se contentait de savourer leur bruit particulier, et leur contact délicat sur le bout de son nez. Avec un sourire, elle remonta à la surface pour prendre son inspiration…

C'était son plan, tout du moins.

Une main puissante se referma comme une pince sur son crâne, et la maintint sous l'eau avec force. Elle se débattit immédiatement, furieusement, et réussit à se dégager brièvement. En se contorsionnant, elle avait réussi à échapper à cette prise venue d'elle ne savait où. Elle émergea en inspirant bruyamment, la bouche grande ouverte pour happer l'air à grandes goulées, les yeux encore fermés à cause de l'eau. Elle passa une main sur son visage pour voir le visage de ses agresseurs, mais la main revint à l'assaut et l'enfonça de nouveau sous la surface. Cette fois, la prise était plus assurée, et la main sur sa nuque lui laissait moins de possibilités de se défendre. Elle tendit ses bras pour agripper cette main ennemie, incapable de prendre appui sur ses jambes qui n'atteignaient pas le fond, trop loin pour elle. Elle se débattait comme une fauve, mais en vain. Sans vraiment le vouloir, elle prit appui du pied sur la paroi de la cuve, et poussa de toutes ses forces. En s'éloignant du bord, là où se tenait son agresseur, elle le mettait en difficulté. Elle sentit qu'il perdait sa prise, et elle put revenir une seconde fois à la surface, cherchant désespérément à comprendre ce qu'il se passait.

Alors qu'elle essayait de s'éloigner de nouveau, elle comprit que son assaillant n'avait pas abandonné quand elle sentit qu'on la tirait par les cheveux. Une intense douleur lui vrilla le crâne, et elle fut ramenée sans ménagement vers le bord. Réagissant à l'instinct, elle griffa son adversaire au poignet suffisamment fort pour lui faire lâcher un juron. Profitant de ce qu'elle avait encore la tête hors de l'eau, elle poussa un cri sauvage pour se donner du courage, mais celui-ci fut interrompu lorsqu'un poing vint s'écraser contre son visage. Ce fut comme si on avait soudainement électrocuté son corps, pour le vider de toute énergie. Soudainement rendue apathique, elle ne put rien faire lorsqu'on plongea de nouveau son corps sous l'eau. Elle ne se débattit plus, et alors que l'air se raréfiait dans ses poumons, elle se sentit soudainement partir très loin. Les ténèbres se refermèrent autour d'elle, et sans un cri elle s'éteignit…


~ ~ ~ ~


Iran revint à elle en toussant bruyamment, crachant de l'eau tout en se roulant sur le côté. Elle ouvrit les yeux brusquement, et remarqua qu'un visage était penché sur elle : celui d'un homme assez jeune qu'elle avait déjà vu par le passé. C'était un des proches du Vice-Roi. Elle le repoussa de toutes ses maigres forces, et tendit la main pour s'emparer de sa serviette qu'elle utilisa pour protéger sa pudeur. Elle ne comprenait plus rien. Elle était complètement désorientée, perdue, mais ce qui la frappa en premier fut de se rendre compte qu'elle ne se trouvait plus dans l'eau. Ce dont elle était certaine, c'était de ne pas s'être échappée de cette cuve seule, ce qui signifiait que quelqu'un l'en avait sortie. Ses agresseurs ? Le type en question ? Elle n'avait aucune réponse. Elle tremblait. Combien de temps était-elle restée allongée ainsi ? Elle l'ignorait. Elle avait mal à la tête. Impossible de fixer ses pensées. Elle ferma les yeux, les ouvrit de nouveau. Le type était toujours là, de toute évidence aussi déboussolé qu'elle. Peut-être un peu moins, quand même. Elle tendit la main, comme pour l'empêcher d'approcher, mais il s'avança quand même. Elle chercha dans sa mémoire, sans se souvenir de son nom. Mais son grade lui revint !

- Capitaine de la garde du Roi… Lera… Lea… Lear…

Elle était incapable de s'en souvenir, mais ce qui était certain c'était qu'il n'était pas un de ces trois types bizarres qui venaient régulièrement la malmener. Elle était convaincue que c'était l'un d'entre eux, sinon les trois, qui avaient décidé de venir se venger. Malheureusement, elle n'avait aucune preuve. Ses pensées étaient confuses, sautaient du coq à l'âne, et elle revint au Capitaine, qui l'observait. Ses affaires personnelles étaient par terre, comme s'il les avait lâchées précipitamment avant de venir l'aider. Elle se demandait toujours pourquoi il observait son visage avec autant d'attention. Elle comprit en passant la main sur sa joue gauche. Aïe. Elle avait un bel hématome sur la pommette, et sa narine gauche continuait de saigner quelque. Ça ne devait pas aider à apaiser son mal de tête. Elle se pinça fermement l'arrête du nez, et essaya de retrouver ses esprits. Assise à même le sol, tenant cette ridicule serviette contre elle, elle se sentait cruellement démunie… Une larme solitaire coula le long de sa joue, et se mêla à l'eau qui dégoulinait encore de ses cheveux trempés.

Par Melkor, elle avait eu la peur de sa vie...
Sujet: Un rendez vous avec le destin
Ryad Assad

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Rechercher dans: Les Champs du Pelennor   Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Un rendez vous avec le destin    Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyVen 22 Mai 2015 - 14:26

Lyra fronça les sourcils. Ce sale occidental, Vice-Roi de son Etat, ne se prenait visiblement pas pour un moins que rien. Il ne faisait pas même preuve de la moindre once d'humilité, alors que les accusations qui étaient proférées à son encontre étaient sérieuses et pouvaient conduire leurs deux pays à la guerre. Etait-il fou ? Essayait-il de lui montrer qu'il ne la respectait pas, qu'il n'avait pas la moindre considération pour le grand royaume oriental ? La jeune femme savait que les hommes de l'Ouest n'avaient que mépris pour les femmes, qu'ils considéraient comme tout juste bonnes à faire des enfants. Il ne devait pas supporter qu'une femme fût là, à l'accuser et à le toiser. Il croyait encore qu'il se trouvait chez lui, sur ses terres rustres et sauvages, et qu'il pouvait dominer son interlocutrice parce qu'il avait les chausses pleines. Un sourire empli d'une suffisance terrible fleurit sur le visage de la Reine de l'Est, révélant ses dents impeccables. Elle n'allait certainement pas se laisser marcher sur les pieds par ce guerrier sans manières, qui n'était même pas roi. Tout au plus un remplaçant zélé qui pensait pouvoir traiter avec les puissants de ce monde. Elle ne lui céderait pas un pouce de terrain. Jamais. Jamais. Sa voix claqua dans l'air, en écho à celle de Gallen Mortensen, à qui elle n'avait rien à envier en matière d'aura. Il était certes viril et impressionnant, mais derrière son aspect plus fluet, elle dissimulait un esprit en acier trempé. Il ne parviendrait pas à la faire plier, car elle représentait l'ensemble de son royaume. Ce n'était pas un duel de volonté, c'était un duel politique, et aucun d'entre eux ne pouvait reculer. Répondant à sa première critique, ses mots tranchèrent l'air aussi sûrement qu'une lame :

- Et dans mon pays, nul n'ignore l'identité d'un souverain. C'est plein de honte et de déférence qu'un homme répond des accusations qui lui sont portées. Je suppose que ces coutumes sont trop barbares pour vous, cela dit…

L'ironie de son ton glissa comme de l'eau sur le Vice-Roi, qui paraissait ne pas être homme habitué à la diplomatie. Elle l'avait supposé dès le premier coup d’œil, mais elle s'en rendait compte totalement désormais. Mortensen était un guerrier, un homme plus habitué à manier l'épée qu'à faire preuve de diplomatie. Il agissait avec la même fougue que lorsqu'il combattait, et il ne s'embarrassait pas de détails. Dans son esprit, la victoire valait mieux que toute autre considération, et il ne mettait pas en perspective l'importance de cette conversation. Il ne comprenait pas que pour gagner, il lui faudrait accepter de renoncer à la victoire totale qu'il désirait. Lyra, qui voyait son manque d'expérience comme un danger, décida de monter elle-même en intensité. Il souhaitait la défier ? Il allait voir qu'elle n'était pas femme à se laisser abattre par une grosse voix et un regard appuyé. Elle en avait vu de dures, elle avait dû mater les nobles de son royaume, elle avait dû s'imposer à la tête d'un pays plongé dans une situation difficile, elle avait dû faire face à une guerre civile. Elle écraserait ce nouvel obstacle sous sa botte, avec l'élégance qui la caractérisait toujours.

- J'ai fait de ce duel un événement politique ? Ha ! Comment osez-vous m'accuser ainsi, Vice-Roi ? Vous êtes celui qui êtes venu défier Rokh publiquement, comme pour venir insulter notre peuple tout entier ! Que croyiez-vous donc ? Que venir arpenter notre camp en méprisant mes hommes était un signe diplomatique ? Que défier publiquement un de mes lieutenants était une bonne façon de rapprocher nos deux peuples ? Allons, vous êtes le seul responsable de tout ceci, et vous ne tromperez personne ! Votre condescendance est répugnante, vous qui vous pensez supérieur et intouchable. Auriez-vous été aussi enclin à accepter que je ne réponde pas à pareilles accusations, si les rôles avaient été inversés ?

Lyra venait d'égaliser, quelque part. Elle n'avait pas répondu à Gallen sur la question de l'honneur, et lui concédait au moins cela. Il était le champion du Rohan, et même si elle avait voulu essayer de le démontrer de toutes les façons possibles et imaginables, elle n'aurait jamais réussi à ruser suffisamment pour prouver qu'il était malhonnête et couard. Pas lui. Cependant, il ne pouvait pas nier que son attitude était contre-productive. En cherchant à la faire plier, il ne faisait que l'arc-bouter sur ses positions, car en tant que Reine, Lyra ne pouvait décemment laisser le meurtre d'un des siens impunis. Premièrement, elle n'en avait pas envie, et elle estimait qu'un tel outrage devait être réparé d'une façon ou d'une autre. Ensuite, ses hommes ne l'auraient pas accepté, et elle était persuadée que si elle ne réglait pas la solution de manière ferme, certains de ses soldats iraient exercer un droit de vengeance qu'ils estimaient légitime. Les Rohirrim en subiraient les conséquences, les deux camps seraient à couteaux tirés, et ce serait la guerre. Même Lyra trouvait qu'une telle extrémité était dangereuse… Enfin, si elle ne montrait pas de l'efficacité dans la gestion de cette crise, ce seraient ses conseillers qui le lui feraient payer cher. Ils l'accuseraient de manquer de poigne, et trouveraient bien un moyen de se débarrasser d'elle. Elle aurait les mains libres tant qu'elle réussirait à leur inspirer plus de crainte que de dégoût. Quand cela aurait changé, ils la remplaceraient par quelqu'un de parfaitement belliqueux, et cette fois la guerre serait inévitable.

Lyra haussa les sourcils, en écoutant le Vice-Roi poursuivre son plaidoyer, sans paraître comprendre qu'il allait clairement loin. Trop loin. Avant même de s'en rendre compte, elle s'était levée, et ses hommes comprirent quel message il y avait derrière ce simple geste. Ils ne parlaient pas tous un Commun impeccable, et ils n'avaient peut-être pas entendu, mais la Reine, elle, avait bien compris que Mortensen venait de la menacer. Le fou ! Quittant son trône, elle fit ce que probablement aucun monarque – et a fortiori aucune femme – n'aurait fait à sa place. Elle s'avança droit vers le Vice-Roi, à qui elle rendait une bonne tête et une bonne vingtaine de kilos. Elle s'immobilisa à un pas seulement du cadavre de Rokh, qui se trouvait entre eux deux, et elle le défia du regard avec une animosité qu'elle n'essayait même plus de cacher. Ses gardes, perplexes, ne savaient trop comment réagir. Ils n'avaient pas encore adopté d'attitude menaçante, mais ils étaient prêts à intervenir. Si Lyra posait la main sur le manche de son arme, ils tueraient sans hésiter les deux Rohirrim. Gallen avait beau être un combattant d'exception, et il avait beau mépriser ouvertement les hommes qui l'entouraient, il savait qu'il ne sortirait pas vivant d'un affrontement en si nette infériorité numérique. Et surtout, Aelyn n'y survivrait pas. Lyra, dont la voix n'était que rage et colère, tonna :

- Ma garde d'élite ne s'interposera pas, Vice-Roi, car je n'aurai pas besoin d'elle pour vous faire ravaler vos paroles à la pointe de mon sabre ! Ce n'est pas un objet d'apparat que je porte à la hanche, et si vous voulez que je prenne la place de Rokh, sachez que j'y suis toute disposée. Mais ne me menacez plus jamais, Vice-Roi, ou bien je jure devant Melkor que le sang coulera ! Si vous tenez à ce que nos deux peuples entrent en guerre aujourd'hui, continuez à me braver. Mais vous serez seul responsable des conséquences !

La Reine était transfigurée, et elle avait laissé tomber le masque condescendant qu'elle portait d'ordinaire. Cette fois, elle était paradoxalement plus impressionnante et plus effrayante qu'auparavant, quand elle jouait encore son rôle de monarque distinguée. La voir en colère était stupéfiant, et elle paraissait sur le point d'enjamber le cadavre de Rokh pour coller son poing dans la figure de Gallen. La seule chose qui l'en empêcha fut le changement de ton soudain du Vice-Roi. Avait-il été sensible à ses paroles, et avait-il fini par comprendre que son comportement n'amènerait que plus de ténèbres et plus de violence ? Avait-il soudainement reconnu en elle non pas une femme impressionnable, mais bien un adversaire politique et militaire à sa hauteur ? Ou bien était-ce simplement qu'il n'avait plus envie de jouer à ce petit jeu ? Difficile à dire. Quoi qu'il en fût, il parut s'apaiser tout à coup, et ses paroles se firent plus raisonnables, plus tranquilles. Lyra laissa retomber la tempête qui soufflait en elle, et ses yeux parurent retrouver une apparence normale, cessant enfin de jeter des éclairs. Elle se détendit perceptiblement, sans abandonner toutefois sa posture méfiante. Elle laissa le Vice-Roi poursuivre jusqu'au bout, avant de lui répondre avec une froideur rare :

- Vous n'êtes pas aussi vertueux que vous voulez bien le croire, Vice-Roi. Vous avez peut-être été un homme pur, mais vous n'êtes plus l'incarnation du bien tel que vous me l'avez décrit. Rokh est mort le lendemain de votre provocation en duel. « Un rohirrim n'humilie pas son ennemi » : ne croyez-vous pas qu'en venant le défier comme vous l'avez fait, vous avez pu porter son nom aux oreilles de ses assassins ? Rokh était un homme d'honneur, et venir le défier devant ses compagnons était une humiliation à laquelle il ne pouvait rester insensible. Pourtant, vous auriez pu faire autrement. Vous le savez… Quoi qu'il arrive, vous avez une part de responsabilité dans sa disparition.

Lyra recula également, et la tension parut s'atténuer tout d'un coup. Chacun se mit à mieux respirer dans la pièce, mais ils avaient besoin de quelques secondes pour tous reprendre leurs esprits, pour tous se calmer. Les mots avaient peut-être dépassé la pensée, ou au moins avaient exprimé des pensées qui n'étaient pas exprimables en l'état. Peut-être parlaient-ils sous le coup de l'émotion, d'une fierté mal placée que Lyra et Gallen partageaient équitablement. Aucun d'entre eux n'avait souhaité céder de terrain, et ils avaient bataillé ferme au bord du précipice, au risque de jeter leurs deux pays dans une confrontation sans précédent. Rares étaient les gens qui tenaient à la Reine de l'Est, toutefois, et une fois que sa rage eût disparu, elle sut apprécier le courage du Vice-Roi, qui ne s'était pas abaissé devant elle. A voir son regard, elle devinait qu'il ne s'attendait pas non plus à la voir réagir ainsi. Il détourna les yeux, et porta son attention sur une personne qui venait de rentrer dans la pièce : la combattante qui s'était jetée sur lui pour essayer de le tuer. Elle avait dû entendre les cris, et n'avait pas pu résister à l'envie de venir constater de ses propres yeux. Son regard s'arrêta sur le linceul qui recouvrait Rokh, et elle frémit. Les paroles de Gallen la ramenèrent à la réalité, et elle lui jeta un regard acide, avant de s'adresser à Lyra en Rhûnien. La Reine lui répondit calmement, et elles eurent un échange assez bref. Ce fut Lyra qui répondit enfin, comme si elle traduisait :

- Iran aimait Rokh, Vice-Roi. Mais pas comme vous l'imaginez. Elle était comme sa sœur aînée, et elle a pris soin de lui à son retour. Son décès l'attriste bien plus que chacun d'entre nous ici.

Les regards de la Reine et des deux Rohirrim glissèrent vers celui de la jeune femme, nommée Iran. Elle avait les yeux brillants de larmes, et elle paraissait en effet particulièrement éprouvée par la présence du corps de Rokh, si proche. Alors que d'ordinaire, les Rhûnedain étaient suffisamment disciplinés pour ne pas laisser leurs émotions prendre le dessus, elle avait fait la démonstration de leur humanité de manière spectaculaire. Elle paraissait s'en vouloir quelque peu, mais ses raisons étaient pures. Profitant de l'accalmie, et à la plus grande surprise de son époux visiblement, ce fut la femme du Rohan qui prit la parole. Lyra posa son attention sur elle, et sut apprécier son sens du consensus. Elle n'était pas moins déterminée que son mari, mais elle avait une façon de présenter les choses qui était moins brutale. Elle avait au moins le mérite de reconnaître que leur situation était dramatique, et qu'il valait mieux prendre quelques pincettes avec une femme qui pouvait les mettre à mort sans autre forme de procès. Elle la laissa donc généreusement développer ses arguments, et lorsqu'elle acheva la première partie de son exposé, Lyra réagit avec une sérénité retrouvée :

- Peu m'importent les raisons, Vice-Reine. Nos deux peuples n'ont jamais réussi à se comprendre malgré de nombreux siècles, et je ne cherche pas à comprendre les motifs qui ont pu pousser votre époux à commettre un tel acte. Vous y voyez un meurtre horrible, mais pour Rokh c'est bien davantage. Il n'a pas eu le droit à la fin que tout guerrier recherche, et il a été atrocement mutilé. Croyez-vous que son esprit trouvera le chemin du repos après cela ? Vous comprenez peut-être enfin pourquoi il nous importe tant de savoir quel est le nom du coupable.

La Vice-Reine parut accepter cet argument, et elle semblait de toute évidence comprendre que pour Lyra comme pour le Rhûn, trouver un coupable ou à tout le moins trouver des réponses était une préoccupation centrale. Elle reprit donc son argumentaire, qui était peut-être moins enflammé que le discours de son mari, mais qui était paradoxalement plus efficace. Lui avait préparé le terrain en jouant la carte de la brutalité, et elle apaisait la situation comme un baume, faisant passer les arguments que le guerrier n'avait pas été en mesure d'imposer. Ce curieux duo fonctionnait bien, et Lyra sentait que sa position devenait de moins en moins tenable. Ce Gallen, qu'elle ne connaissait que de réputation, paraissait être un homme trop irréprochable pour qu'elle pût s'attaquer à lui aussi frontalement, mais elle était certaine de ce qu'elle avait vu et elle ne regrettait pas ce qu'elle lui avait dit. Il se drapait dans l'honneur et la vertu, mais il était souillé de l'intérieur. Son âme était noircie, et il n'était pas aussi noble qu'il voulait bien le prétendre. Revenant à la Dame du Rohan, Lyra répondit :

- Vous dites que vous devez beaucoup à Rokh, et il a passé du temps dans votre pays, à tel point que d'aucuns le croyaient mort. Son retour a été une surprise et un choc. Certains se sont demandés s'il n'avait pas troqué sa liberté contre une nouvelle allégeance…

Iran, la guerrière du Rhûn, fit un pas dans la direction de sa souveraine avec l'intention de dire quelque chose, probablement pour défendre la réputation de Rokh, qui ne pouvait plus malheureusement parler pour lui-même. Cependant, la Reine l'arrêta net et ne prononça qu'un seul mot qui fit tomber la femme en armure à genoux, prosternée face contre terre. Cette capacité qu'avait Lyra à dominer son peuple était aussi impressionnante que dérangeante, mais cela répondait de toute évidence à des coutumes locales implantées depuis très longtemps. Sans paraître trouver l'interruption anormale, elle reprit :

- « Voici le sort des traîtres »… il pourrait tout aussi bien s'agir d'un des vôtres, qui n'aurait pas apprécié de le reconnaître parmi son peuple. Sur ce point, Vice-Reine, je ne peux être certaine de rien, et je préfère ne pas m'avancer. J'ai choisi Rokh car j'avais confiance en lui, mais cette histoire prend des proportions trop importantes pour que je puisse rien laisser au hasard.

L'argument de la Reine de l'Est était difficile à entendre, mais il n'était en définitive que celui de la raison. Personne à part les deux Rohirrim ne savait ce qu'il s'était produit à Aldburg, et beaucoup avaient soupçonné Rokh d'avoir retourné sa veste au cours de son séjour. Il avait juré que non, et il avait réussi à convaincre jusqu'à sa souveraine. Toutefois, les événements qui venaient de se produire étaient graves, du point de vue de la sécurité de Lyra elle-même. Si un de ses hommes, non pas un membre de sa garde personnelle mais tout de même un membre de sa délégation, était en intelligence avec des individus qui lui souhaitaient du mal, elle ne pouvait pas laisser passer l'opportunité de découvrir qui étaient ces opposants à son pouvoir hégémonique. Cependant, elle était aussi disposée à découvrir la vérité que les deux Occidentaux qui lui faisaient face, et elle ne souhaitait pas véritablement les accabler pour le simple plaisir de les accabler. Leur défense était solide, et son accusation était fondée sur des éléments flous. Ils n'avaient pas craqué comme elle l'espérait, elle allait devoir récupérer la situation d'une autre façon. Levant la main pour inviter la Dame du Rohan à procéder à l'examen du cadavre qu'elle sollicitait, elle s'approcha du corps en suivant la réflexion de cette femme aux cheveux dorés.

Iran, qui s'était relevée en sentant que l'injonction de sa suzeraine prenait fin, détourna le regard en voyant le cadavre de Rokh de nouveau exposé. Elle était de toute évidence trop endurcie pour rendre son repas, mais elle avait clairement la nausée rien que de voir le traitement atroce qui avait été infligé à ce valeureux guerrier. Ses poings se serrèrent de rage, et son regard d'un noir de jais plongea dans celui de Gallen, comme pour lui souhaiter de ne pas être le responsable de cet acte odieux et criminel. Elle était aveuglée par sa rage, et si la tension était retombée entre Lyra et le Vice-Roi, elle-même cherchait désespérément quelqu'un à condamner pour cette cruauté barbare. Rokh était un homme qui n'était pas consensuel, qui pouvait énerver par bien des aspects, mais il ne méritait certainement pas une mort pareille. Pas même le dernier des mécréants ne méritait d'être traité ainsi, et celui qui avait commis cet acte serait châtié par Melkor lui-même, si elle ne le trouvait pas avant. Son menton tremblait légèrement, signe de son trouble, mais elle était farouche et fière. Quand un de ses compagnons vint pour la prendre par l'épaule, et lui faire détourner le regard, elle se dégagea sans ménagement en lui répondant sèchement dans sa langue natale. Elle revint un instant à Gallen, comme pour le défier de se moquer, avant de baisser la tête et d'essayer de comprendre ce qu'il s'était passé.

Lyra laissa l'exposé d'Aelyn se poursuivre, écoutant très attentivement son expertise, et comprenant par ailleurs que la jeune femme disposait d'une solide formation de guérisseuse pour être capable de tirer de telles conclusions. Elle avait dû voir de nombreuses blessures auparavant pour parler avec une telle assurance et une telle confiance. Cela lui donnait un certain crédit que la Reine de l'Est n'était pas prête à remettre en cause. Son récit permettait de comprendre dans une certaine mesure quelle fin avait trouvé le vaillant guerrier, et ses paroles n'aidèrent pas à apaiser la fureur contenue de Lyra. Non seulement Rokh avait été massacré, mais en plus on l'avait tué à l'aide de poignards et de carreaux d'arbalètes. Plusieurs impacts signifiait plusieurs tireurs. Ainsi donc, il n'avait pas péri dans un duel honorable, mais bien pris en traître par une bande de sicaires qui avaient accompli leur basse besogne, et l'avaient saigné comme un animal promis à l'abattoir. Il n'y avait décidément rien de pardonnable à ce geste, et le malaise se mit à courir chez les Rhûnedain, qui n'avaient qu'une envie : partir en quête de vengeance. Il valait mieux ne pas les laisser chercher le coupable eux-mêmes…

- Vos stratégies de combat… marmonna Lyra en regardant pensivement le corps de Rokh. Nous n'utilisons pas non plus les arbalètes, Vice-Reine, et votre démonstration innocente de fait nos deux peuples. De nouvelles questions sont posées, désormais, et des réponses doivent y être apportées.

Elle se tourna vers Gallen, qui après tout représentait l'autorité supérieure de son royaume, et lui lança :

- Le Rhûn et le Rohan ont longtemps été ennemis, Vice-Roi, mais ironiquement, nous devons aujourd'hui travailler ensemble pour trouver les responsables de cet assassinat. Je tiendrai mes hommes tranquilles, et je vous garantis que nulle vendetta ne sera lancée tant que nous serons ici. En revanche, vous devez trouver le coupable, et rendre la justice. J'aurais bien assumé cette tâche moi-même, mais vos peuples haïssent et méprisent tellement le nôtre que j'aurais été empêchée dans mon entreprise. Si vous êtes vraiment un homme d'honneur, et si vous voulez rendre hommage à Rokh, alors occupez-vous de cette affaire. Si vous ne le faites pas pour lui, faites-le au moins pour préserver la paix de votre royaume.

Elle marqua une pause lourde de sens, laissant la menace implicite les pénétrer tous les deux. Le Rohan avait été considérablement affaibli par la guerre civile, et même si les prétentions de Lyra à leur déclarer la guerre étaient pure bravade, il n'était pas dans l'intérêt des Occidentaux de trop la provoquer. Les rares fois où les Orientaux avaient quitté leurs terres lointaines, ils avaient apporté mort et destruction, au point qu'on en avait parlé pendant des siècles. Ce mariage était l'occasion de promouvoir la paix, et même s'il était évident qu'ils ne seraient jamais alliés, ils devaient faire un effort pour ne pas ruiner ceux du Royaume Réunifié. Laissant ses interlocuteurs prendre la mesure de ce qu'elle venait de leur dire, elle se tourna vers la guerrière qui se trouvait à ses côtés. Elles eurent un bref échange en rhûnien, avant que la militaire hochât la tête, et partît précipitamment de la tente royale non sans saluer respectueusement sa souveraine. Devant l'incompréhension des deux Rohirrim, cette dernière s'expliqua :

- Iran ira avec vous. Elle vous sera utile, plus que vous pouvez l'imaginer. Je ne connais personne qui veuille retrouver les véritables coupables autant qu'elle.

Dans une envolée de capes aux senteurs épicées, Lyra se retourna et prit de nouveau place sur son trône massif, au milieu de ses esclaves. Elle leva la main, et congédia ses deux « invités », en leur souhaitant bonne chance. Aelyn et Gallen n'avaient plus qu'à suivre la direction que leur indiquait du bras le garde qui s'était rapproché d'eux. Leur entrevue avec la Reine Lyra était terminée, mais les choses sérieuses ne faisaient que commencer…


~ ~ ~ ~


Le couple avait rejoint la délégation du Rohan, et avait dû répondre aux questions pressantes de leur entourage, qui cherchait des réponses. Chacun était prêt à en découdre avec ces Orientaux, car la tension était montée parmi ceux qui étaient restés au niveau de l'aire de duel. Les deux délégations étaient rentrées sans s'adresser la parole, dans un silence pesant. Pendant un moment, on aurait pu croire qu'une guerre allait se déclencher au milieu des Champs du Pelennor. Fort heureusement, les ordres du Vice-Roi et de la Reine de l'Est avaient été respectés à la lettre, et personne n'avait tiré l'épée. Après avoir pu prendre un peu de repos, Gallen et Aelyn se retrouvèrent plongés au milieu de leurs obligations respectives, qui les forcèrent à donner des ordres pour s'assurer que tout irait pour le mieux. Mais dans un coin de la tête, ils conservaient les paroles de Lyra en mémoire. On vint finalement les trouver, un peu moins de deux heures après la fin de leur entrevue avec les Rhûnedain, pour leur annoncer qu'ils avaient de la visite. Un messager passa la tête dans la tente, et souffla :

- Seigneur, quelqu'un demande à vous voir. Elle insiste pour que vous veniez immédiatement.

Ce « elle » ne pouvait être qu'une seule personne, et lorsque Gallen et Aelyn sortirent à la rencontre de l'inconnue, ils ne furent pas surpris de trouver en face d'eux la guerrière qui s'était attaquée au Vice-Roi, et qui était chargée de les accompagner. Son apparence, toutefois, était très différente. Elle avait troqué son uniforme régulier de l'armée de Rhûn, son armure lourde dorée, pour se parer d'une tunique de cuir sombre rehaussée de rouge sombre. Ses bras étaient nus, mais elle portait sur ses épaules une cape en fourrure qui devait être plus traditionnelle que destinée à la protéger du froid – il régnait en effet une douce chaleur sur le Gondor, après le Rude Hiver qui avait sévi. Plus surprenant encore, elle avait décidé d'arborer des peintures de guerre, probablement spécifiques à sa tribu, dont une barrait son visage d'une joue à l'autre. Un long trait de peinture rouge qui, encore fallait-il l'espérer, n'était pas du sang. Cela lui donnait un air particulièrement féroce que renforçait encore ses innombrables tatouages. Son bras droit en était couvert, et on aurait dit des incantations mystiques qui se déployaient ensuite en une série de motifs complexes au niveau de son biceps, et remontaient jusqu'à son épaule, disparaissant sous sa tunique. Qui aurait pu dire jusqu'où ses entrelacs complexes s'étendaient ?


La jeune femme n'avait pas posé le pied par terre, et avait pénétré le camp des Rohirrim à cheval, attirant immanquablement l'attention sur elle. Une douzaine d'hommes l'entourait pour l'empêcher de faire quelque folie, et elle faisait aller sa monture en cercle au milieu d'eux, pour dissimuler son impatience. Seule face à autant d'hommes armés, elle n'avait toutefois d'yeux que pour le couple qui venait de quitter sa tente, et qui s'approchait d'elle. Elle raffermit sa prise sur son cheval, plus petit que ceux des hommes du Rohan, afin de leur faire face :

- Vice-Roi ! Attendez-vous donc que la piste disparaisse avant de vous mettre en chasse ? Allons, avant que la nuit tombe et que les rats ne nous échappent ! Vice-Roi !

Son appel était presque un défi, et tous les regards se tournèrent vers Gallen et Aelyn, attendant leur réponse.



++FIN++
La suite ici: Aux grand maux les grands moyens
Sujet: Un rendez vous avec le destin
Ryad Assad

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Rechercher dans: Les Champs du Pelennor   Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Un rendez vous avec le destin    Tag iran sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyMar 14 Avr 2015 - 0:28

Le sourire de Lyra s'élargit perceptiblement au moment où elle comprit quelle était la nature des relations entre le champion du Rohan, Gallen Mortensen, et cette femme qui venait de courir vers lui. Ainsi donc c'était son épouse ! Une épouse qu'il n'avait pas pris soin de prévenir, et qui se faisait un sang d'encre pour son mari, à en juger par la violence de la gifle qu'elle venait de lui adresser. La souveraine du Rhûn regarda son officier en levant les sourcils, interloquée par les coutumes de ce peuple : était-il courant pour les gens de l'Ouest de se donner en spectacle ainsi ? Etait-il commun qu'ils s'abaissassent à se chamailler comme des enfants quand venait l'heure de faire preuve de courage et de bravoure ? Les hommes autour d'elle paraissaient ne pas comprendre davantage, mais leurs yeux exprimaient tout à la fois leur mépris et la confiance qu'ils plaçaient en leur propre représentant, le jeune et téméraire lieutenant que Mortensen était venu provoquer en duel. Si cette femme réagissait ainsi, si elle le frappait avant de se pendre à son cou, c'était qu'elle avait peur. Si elle avait peur, c'était forcément parce qu'elle savait que Rokh allait remporter la victoire. L'équation était simple, pour ne pas dire limpide. Dans les rangs des Orientaux, la confiance était à son maximum, tandis que chez les Rohirrim on pouvait lire quelques signes de malaise. Ces hommes étaient décidément bien peu impressionnants, et les soldats de la Reine de l'Est rentreraient au pays en contant ce qu'ils avaient vu, en expliquant à qui voudrait l'entendre qu'au-delà de l'Anduin se trouvaient des peuples lâches et couards qui craignaient de voir la mort s'approcher. Pendant un instant, Lyra crut sincèrement qu'il allait faire demi-tour, qu'il allait renoncer purement et simplement au combat qu'il avait lui-même déclenché, et qu'il allait se couvrir de honte et d'infamie pour demeurer auprès de celle qu'il aimait. Elle n'aurait pas désapprouvé, et se serait assurée que chacun à Minas Tirith eût connaissance de l'événement. Le Vice-Roi ne lui donna pas l'occasion de répandre rumeurs et ragots à qui voulait l'entendre, car en dépit de tout, il s'avança finalement au centre de l'arène de duel, honorant au moins sa parole. Elle acquiesça sagement de la tête, le fixant droit dans les yeux, alors qu'il lui rendait son regard.

Leur échange fut long et d'une intensité sans pareille. Il l'observait, plein de surprise, s'étonnant comme la plupart de ses compagnons de se trouver face à une femme qui gouvernait seule. Elle leva le fièrement le menton, soutenant son examen sans sourciller, paraissant même se délecter de ce qu'il l'observât ainsi. Elle était du genre à apprécier être le centre de l'attention, et elle savait qu'elle ne laissait pas le guerrier indifférente. A son sujet, il devait avoir mille questions, et elle en avait tout autant à son service. Elle le suivit alors qu'il mettait pied à terre souplement, et le détailla alors qu'il s'emparait du bouclier qu'il utiliserait pour ce combat. Son écuyer se retira en tenant son fier destrier par la bride, tandis que Gallen demeurait seul au milieu de l'aire de duel dont il prenait possession tranquillement, sans se presser, sans se soucier des regards qui étaient fixés sur lui. Il semblait déjà dans son monde, incapable de se préoccuper d'autre chose que de son duel à venir. Son épouse le dévorait des yeux, morte d'anxiété. Lyra réussit à capter le regard de cette dernière, et elle lui adressa un clin d'œil ainsi qu'un sourire entendu. Entre femmes, il n'y avait pas de pitié. Pendant ce temps, les secondes s’égrenaient au dehors de la bulle de concentration que le Rohirrim avait érigée autour de lui. Les nuages défilaient dans le ciel à une lenteur affligeante, et les spectateurs du combat à venir avaient tout le loisir d'admirer leur forme et leur course, tandis qu'ils s'interrogeaient peu à peu sur l'adversaire du Vice-Roi. Sincèrement impatiente, Lyra se tourna vers son officier :

- Pensez-vous qu'il lui faudra encore longtemps ? Il est déjà en retard…

L'intéressé leva le nez, et regarda à l'horizon, vers la Cité Blanche. Son regard ne capta d'abord rien, avant de repérer un léger nuage de poussière et quelques silhouettes qui allaient bon train, droit dans leur direction. Il fallait avoir de bons yeux pour les voir, et beaucoup des spectateurs n'avaient pas encore repéré cette présence. Il se contenta de répondre :

- Il est ici, Votre Majesté. Et très déterminé apparemment.

Peu à peu, on prit conscience que des Rhûnedain étaient en train d'approcher. Venant depuis Minas Tirith, un groupe de cavaliers chevauchait à bride abattue, leurs montures poussées au maximum. Leur galop était puissant, à en faire trembler le sol, et ils se rapprochaient vite. Très vite. Les hommes étaient étincelants, et leurs armures rutilantes lançaient des reflets dorés qui ressemblaient à des éclairs flamboyants. Ils étaient encore loin, bien que l'écho de leur cavalcade les fît paraître proches, mais il semblait bien qu'un cavalier se tenait en avant des autres, peut-être trente ou quarante mètres devant ses compagnons qui donnaient de la voix pour faire aller leurs chevaux plus vite. Les Rhûnedain qui entouraient Lyra se redressèrent, surpris de voir tant des leurs escorter Rokh, alors qu'ils avaient reçu pour consigne de rester en nombre pour garder le camp. Mais leurs sourires, dissimulés par le turban qui cachait leur visage, montrait toute la joie qu'ils avaient à voir une telle démonstration de force. Ils se délectaient de voir les Rohirrim – descendus de selle pour observer le combat – s'inquiéter de ce qui ressemblait fort à une charge de cavalerie lourde. Un groupe de Cataphractes lancé à pleine vitesse était toujours un spectacle exceptionnel, et bien que les chevaux ne fussent protégés de fer en l'occurrence, ils n'en demeuraient pas moins impressionnants. Cette fois, la terre s'était mise à trembler perceptiblement, et quiconque aurait regardé au sol aurait vu les pierres les plus fines tressauter sur place, comme soudainement animées d'une vie propre. Mais tout le monde avait les yeux rivés sur le cavalier de tête, qui ne ralentissait toujours pas.

Arrivé à une cinquantaine de mètres, alors que les détails de sa fine silhouette engoncée dans une armure de guerre apparaissaient plus clairement, ce dernier dégaina son épée, et se dressa bien haut sur sa selle. Il fut alors clair pour tout le monde qu'il n'allait pas s'arrêter à temps, et les Rohirrim s'éloignèrent prestement de sa route de peur d'être renversés, lançant des cris d'alerte. Certains durent plonger au sol, mais le cavalier ne semblait pas se soucier d'eux. Il fonçait droit sur le Vice-Roi, et son épée s'abattit en sifflant dans l'air. Gallen Mortensen dévia de justesse le coup qui sinon aurait été fatal, mais il fut projeté sur le côté par la puissance du cheval lancé à toute vitesse. Ce dernier s'arrêta quelques mètres plus loin, éreinté et en sueur, mais son cavalier n'était déjà plus sur son dos. Ayant mis pied à terre avec une agilité rare, ce dernier se retourna et se jeta en courant vers le Vice-Roi, frappant encore et encore, forçant ce dernier à parer. Les lames s'entrechoquaient en jetant des étincelles, attestant de la violence de ce duel qui n'était certainement pas une passe d'armes amicale. Toutefois, il y avait quelque chose de curieux… Ces coups manquaient de puissance, même s'ils étaient paradoxalement plus précis. Ils forçaient le Rohirrim à s'employer pour ne pas être pris en défaut, mais ils ne le mettaient pas en grande difficulté pour autant. Ce n'était pas le duel d'endurance et de force auquel Gallen s'était préparé. Rokh aurait-il revu sa stratégie ?

Il n'eut pas le temps d'obtenir une réponse à sa question que déjà le reste de la cavalerie rhûnienne prenait place dans l'aire de duel, séparant les deux lutteurs, sous les cris et les harangues des deux camps qui ne comprenaient plus rien. Ce fut soudainement la cohue la plus indescriptible, alors que les Rohirrim se regroupaient et dégainaient leurs armes, protégeant les personnalités les plus importantes. Gallen fut très rapidement entouré par ses combattants les plus fidèles qui, arme au poing, le mirent au centre d'un cercle défensif, faisant face au bloc des Orientaux. Ces derniers n'étaient pas en reste, et dès que les choses avaient commencé à dégénérer, les soldats s'étaient rassemblés autour de Lyra en une masse compacte, boucliers dressés, prêts à tout faire pour évacuer prestement leur souveraine de la zone troublée. Les autres, les cavaliers qui suivaient celui que tout le monde avait identifié comme étant l'agresseur du Vice-Roi, s'étaient regroupés autour de lui, et étaient descendus de selle pour l'entourer et retenir son bras. De toute évidence, il paraissait déchaîné, comme fou, et il hurlait des choses en rhûnien que les Rohirrim ne pouvaient pas comprendre. Quatre hommes vinrent s'emparer de ses bras, tandis que deux autres le raisonnaient en barrant le passage de leur corps, pour l'empêcher de se jeter vers Mortensen.

La tension était à son comble, mais par miracle il n'y avait encore eu aucun blessé ! Lyra, quant à elle, était dans une colère noire, car elle ne comprenait absolument rien à ce qu'il se produisait sous ses yeux. Le spectacle que donnaient ses troupes était inadmissible, et elle se sentait humiliée par cette perte de sang-froid intolérable. Elle s'occuperait de punir les responsables en temps et en heure, quand elle aurait achevé d'évaluer la situation. Par pour l'heure, les choses qu'elle entendait, criées par-dessus le vacarme des armes et des montures, n'avait aucun sens pour elle. Elle ne voulait pas croire à ce qu'elle entendait répété encore et encore en rhûnien. Comment était-ce possible? Elle poussa fermement ses officiers qui lui barraient la route, et sans se soucier de leurs tentatives pour la retenir, s'avança au milieu de l'aire de duel d'un pas royal. Sa voix, que personne encore n'avait entendu parmi les hommes de l'Ouest, claqua comme un fouet, et ramena le calme comme par enchantement. Elle dressa la main droite, et ses hommes qui s'acharnaient à ériger un rempart de leurs corps entre les deux duellistes tombèrent instantanément à genoux, pleins de honte. En temps normal, elle aurait savouré ce pouvoir contenu au creux de sa paume, mais elle n'était plus d'humeur à s'amuser facilement. Cinglante, elle prit la parole :

++ Qu'est-ce que ceci ? ++ Lança-t-elle en rhûnien. ++ J'ai entendu des choses troublantes. Que l'on m'explique ! ++

Le cavalier qui avait chargé Gallen Mortensen se releva et répondit d'une voix où perçaient une tristesse et une colère infinies. Il s'agissait d'une voix de femme, à n'en pas douter, et cette fois il n'y avait plus le moindre doute possible. Il ne s'agissait pas de Rokh, quoi qu'ils eussent pu croire, et la chape de mystère s'épaississait d'autant plus que cette information était révélée à chacun. Des murmures s'élevèrent dans les deux camps, surtout chez les Rohirrim qui ne comprenaient pas l'exposé que faisait cette femme habillée comme un guerrier, qui s'était jetée férocement sur le Vice-Roi. Lyra l'écouta avec attention, dans un silence assourdissant uniquement rompu par cette voix qui monologuait. On percevait distinctement des larmes dans ce ton fébrile quoique fier, et ce en dépit de la barrière de la langue. Une fois qu'elle eût terminé, la Reine de l'Est s'avança vers elle, et posa une main sur son épaule. Elle lui murmura quelques mots, et la cavalière tomba à genoux, face contre terre, dans une position de soumission évidente. Lyra ne lui accorda qu'un bref coup d'œil, avant de se tourner vers Gallen. Elle lui adressa un regard indéchiffrable, et s'avança vers lui.

Les Rohirrim continuaient de protéger leur chef, mais face à une femme, reine de surcroît, ils étaient partagés, ne sachant pas trop s'ils devaient la voir comme une menace à part entière, ou s'ils devaient respecter son statut royal et la laisser approcher. Ce fut finalement le Vice-Roi qui leur ordonna de ne rien faire, conscient que des explications devaient être données à tout ceci. Il devait savoir pourquoi son duel n'avait pas lieu, pourquoi Rokh n'était pas présent, pourquoi il y avait tant d'animosité dans les regards des Rhûnedain qui le dévisageaient à présent avec dégoût. Lyra se fraya un chemin jusqu'à lui et Aelyn, qui se tenait aux côtés de son compagnon, accrochée à lui. Elle jeta un regard glacial mais dénué de méchanceté sur le couple, et déclara d'une voix très agréable à l'oreille, dans un commun où perçaient des accents exotiques :

- Vice-Roi Gallen Mortensen… Madame… Veuillez m'accompagner, s'il-vous-plaît, il nous faut tirer cette affaire au clair. Je peux empêcher mes hommes de commettre une folie si je leur apporte la justice qu'ils demandent. Pour cela, vous devez répondre des accusations qui portent sur vous.

Elle perçut un brin de surprise dans les yeux du Vice-Roi. Elle nota cette information dans un coin de sa tête, et comprit qu'il allait formuler une question. Elle ne lui laissa pas le temps de l'exprimer à haute voix qu'elle déclarait :

- Rokh est mort, Vice-Roi.

La nouvelle tomba lourdement, et personne ne trouva quoi répondre. Des regards furent échangés, on se mit à murmurer, mais quoi dire face à une telle révélation, face à un tel scandale ? Incrédulité, stupeur, colère même. Les réactions étaient aussi diverses que contenues, les visages se contentant d'afficher une moue crispée, les mains se contentant de caresser fébrilement le manche d'une épée. Lyra marqua une pause, longue, observant la réaction de Mortensen. A quoi pensait-il en cet instant ? Elle n'en avait aucune idée, mais il était certain que la nouvelle l'affectait. Dans quelle mesure, elle n'aurait su le dire :

- On vous désigne comme son meurtrier, et beaucoup réclament votre tête. Maintenant suivez-moi je vous prie… A moins que vous ne préfériez déclencher une guerre.

Il y avait du sarcasme dans son ton, mais Lyra ne souriait pas le moins du monde. Son visage était fermé, et elle était d'une gravité extrême. Elle s'éloigna du couple, pour expliquer la suite des événements à ses hommes, qui paraissaient comme sous le choc, incapables de réagir. Pour beaucoup, la culpabilité du Vice-Roi tombait sous le sens, et leurs regards témoignaient de leur envie de se faire justice eux-mêmes. On lui fit tout de même amener un cheval, sur lequel elle monta, imitée par sa garde personnelle, une demi-douzaine de guerriers surentraînés. Elle se tourna vers le gros de la troupe et leur lança :

++ Je ferai décapiter ceux qui tireront l'épée contre les hommes du Rohan sans en avoir reçu l'ordre de ma part. Ne leur parlez pas, ne les regardez pas, et laissez votre Reine seule juge des décisions à prendre. Yah! ++

Elle talonna sa monture, et prit la direction de Minas Tirith, suivie par ses hommes qui formaient un cortège impressionnant de rigueur militaire autour de leur souveraine. Elle se laissa rejoindre par le Vice-Roi et sa compagne, qui avaient retrouvé leurs montures respectives, et qui vinrent se placer auprès de Lyra, au milieu des soldats du Rhûn. Ils devaient être mal à l'aise ainsi escortés, mais ils ne pouvaient décemment pas demander à être protégés par un contingent du Rohan. Cela n'aurait fait qu'aggraver la situation, en exacerbant des tensions déjà vives entre les deux peuples. La seule présence du Vice-Roi obligeait les Rhûnedain à un effort de volonté prodigieux pour ne pas céder à leurs pulsions, alors il valait mieux qu'il fût seul et coopératif. Avant toute chose, Gallen devait prouver son innocence, s'il voulait éviter qu'on conflit armé n'éclatât. Il n'était pas en position de fixer des conditions et de demander un traitement de faveur. Au contraire, toutes les marques de bonne volonté joueraient en sa faveur. Ils chevauchèrent ainsi, sans un mot, à une allure modérée, jusqu'à la tente personnelle de Lyra qui se dressait fièrement au milieu du camp oriental. Rapidement, peut-être afin de ne pas être vus de trop de soldats, ils furent introduits sans chaleur par des gardes qui les regardaient d'un air agressif.

A l'intérieur, ce ne fut pas l'ambiance feutrée et la pénombre agréable qui les frappa, pas plus que les décorations sublimes, les meubles luxueux ou le trône doré serti de pierres précieuses. Ils ne s'attardèrent pas un instant sur les hommes qui veillaient dans tous les coins de la pièce, l'œil vif et la lance en main, pas plus qu'ils ne virent les esclaves qui s'affairaient à nettoyer et à remettre de l'ordre dans l'espace royal. Dans cet univers aux tons rouges et noirs, ce qui capta immédiatement leur attention fut le linceul immaculé qui recouvrait un corps étendu sur le sol. Lyra, Gallen et Aelyn s'approchèrent en silence, chacun gardant pour lui ses pensées. La Reine avait la tête de pleine de questions, incapable de savoir à laquelle elle devait accorder le plus d'importance. Devait-elle chercher le coupable, ou bien mettre à profit l'incident pour mettre la pression sur le Gondor, et exiger une juste réparation ? Etait-il préférable de ménager le Rohan, au risque de s'attirer les foudres de certains de ses hommes, ou bien valait-il mieux conforter sa position auprès de ses soldats, et risquer une guerre avec les dresseurs de chevaux ? Ses calculs politiciens prenaient bien peu en compte la perte de Rokh, qui après tout n'était qu'un pion parmi les milliers qu'elle avait à sa disposition. Il semblait en être tout autrement pour le Vice-Roi et sa compagne, qui paraissaient tous les deux souffrir de ce décès.

Lyra se pencha et releva le linceul, fronçant les sourcils devant le spectacle macabre. S'il demeurait des questions quant à la colère de la combattante du Rhûn qui avait agressé Gallen, elles venaient de s'évanouir dans la seconde. La fin qu'avait trouvée Rokh était indigne d'un combattant de son talent... Le visage du guerrier avait été atrocement mutilé, probablement à coup de pied et de pierres, au point qu'il était méconnaissable, guère plus qu'un tas de chair sanguinolentes. Il aurait fallu être prodigieusement doué pour distinguer des traits humains, ses yeux ou son nez. On s'était acharné sur lui de manière inhumaine… La Reine, qui ne paraissait pas plus incommodée que ça par la vision pourtant répugnante, tira un peu plus le linceul, pour découvrir le corps du guerrier. Il ne portait qu'une cuirasse légère, percée encore et encore par des coups de poignard qui attestaient de la violence de son trépas. Deux trous un peu différents indiquaient qu'on lui avait également tiré des carreaux d'arbalète, qui s'étaient fichés profondément dans son torse et son abdomen. Il avait dû souffrir le martyr. Lyra expliqua alors :

- Il est arrivé dans le camp traîné deux mètres derrière son cheval. On l'a reconnu grâce à ses mains…

Elle s'empara de son poignet, et leva sa main couverte de coupures probablement dues au fait qu'il avait été traîné par un cheval lancé au galop. On y voyait distinctement des traces fines et régulières, gravées parallèlement dans sa chair. Une de ces traces renvoyait à celle que Gallen avait au creux de sa paume, lorsque Rokh et lui avaient prêté serment de s'affronter dans la cour d'Aldburg. Nul doute possible, il s'agissait bien de la Némésis du Vice-Roi. Lyra rabattit le linceul sur le vaillant guerrier, et se redressa, fixant tour à tour les deux Rohirrim. Ils paraissaient à court de mots.

- Il avait un message sur lui. C'était écrit : « voici le sort des traîtres ». Pourquoi écrire cela ?

La question était à double sens, et on pouvait la comprendre soit comme une interrogation de pure forme lancée à personne en particulier, soit une véritable question adressée spécifiquement au Vice-Roi. Lyra ne se donna pas la peine de préciser, préférant jouer sur l'ambiguïté. Elle se rapprocha de son trône, et prit place avec majesté, croisant ses longues jambes élégantes. Elle venait d'ouvrir un procès non officiel, dont les conséquences seraient terribles si le Rohirrim ne prouvait pas son innocence. Les preuves étaient minces, mais la violence de ce meurtre n'en exigeait pas davantage. Gallen avait provoqué Rokh en duel, et le lendemain matin celui-ci était retrouvé mort, atrocement mutilé, comme s'il y avait des motifs très personnels à cette mise à mort. La courtoisie régnait encore, mais ils ne devaient pas en douter : ils étaient aux portes de la guerre. Lyra demanda :

- Je suppose que vous avez un alibi, Vice-Roi. Quelqu'un qui peut confirmer que vous n'étiez pas aux abords de notre camp hier soir. Racontez-moi à quoi vous avez passé votre soirée, et surtout où vous l'avez passée... Vice-Reine, je suppose que vous pouvez confirmer la présence de votre époux à vos côtés. N'est-ce pas ?

Le regard de serpent de Lyra était braqué sur Aelyn, cherchant à percer son armure, observant le moindre détail pour le tourner à son avantage. Ses yeux s'attardèrent un instant sur le cou de la jeune femme, et les marques violacées qui apparaissaient clairement. Elle reprit :

- Ces marques sur votre cou sont récentes, on dirait. Elles n'ont pas été faites plus tard qu'hier, je gage. C'est quelque chose qui aurait rendu n'importe quel mari fou de colère. Une colère capable de pousser au meurtre. Est-ce Rokh qui vous a fait cela ? Avez-vous demandé au Vice-Roi de vous venger ? Avez-vous demandé au Vice-Roi de mettre à mort Rokh ?

Les questions de Lyra faisaient office de démonstration, et elle n'était qu'à un pas d'aboutir à une conclusion qui incriminerait totalement et définitivement Gallen. Elle s'arrêta un instant, savourant la situation, mais refusant d'être celle qui allait pousser à la guerre. Elle préférait de loin obtenir une confession de leur part, afin d'être certaine de se prémunir contre toute plainte par la suite. Elle était curieuse de savoir ce qu'ils allaient dire pour se dépêtrer de ce mauvais pas, impatiente d'établir leur culpabilité et de retourner ce meurtre odieux et horrible en une arme politique dont elle n'allait pas hésiter à faire usage.

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