Histoires au coin du feu

Nous ne sommes pas à Fornost, évidemment... Plus rien ne se passe dans la Cité en ruine, splendeur ancienne mais oubliée. Non, nous sommes dans l'auberge la plus proche de la cité en ruine, perdue entre cette dernière et la capitale en paix, Annuminas. L'auberge en elle-même est vraiment miteuse, pas étonnant vu sa situation. Le tenancier l'a acheté pour une bouchée de pain et malgré cela, il n'arrive pas à gagner d'argent pour l'entretenir correctement. D'autant plus que ce n'est pas sa clientèle qui risque de recommander cette auberge. La plupart du temps, ce sont des gens louches qui viennent là, rôdeurs d'un temps passé, aventuriers solitaires, brigands, nains ivrognes, espions et miséreux, filles de joie pour accueillir les riches marchands et leurs brutes, fausses filles de joie pour égorger les riches marchands et devenir de riches marchandes. Et le conteur. Oui, le vieux conteur à la barbe blanche dépenaillée qui s'en vient à chaque début de semaine pour repartir le lendemain après avoir égaillé la soirée de ses histoires. Enfin, égailler, c'est beaucoup dire, car ces récits du passé, on ne peut pas vraiment dire qu'ils sont fort réjouissants, ruine et massacre. Mais au moins, se répète souvent le patron lorsqu'un de ces passages déprimants arrive, pendant ce temps-là, personne ne pense à s'en mettre sur la gueule ni à beugler comme des porcs.

Ce jour-là avait été particulièrement sinistre. Oui, il avait plu toute la journée, le sol était sale de la boue rapportée par les bottes et le froid était mordant comme en plein hiver. Encore maintenant alors que le soir était tombé, on entendait le vent hurler dans les interstices que le patron n'a pas réussi à combler, et qui laisse l'air frais, très frais, rentrer. Pire encore, les minces fenêtres de verre étaient harassées par les grelons qui frappent, comme si une armée de sales gamins lançait des cailloux dehors. Encore que personne n'aurait laissé quelque être vivant dehors par ce temps, et même les sales gamins étaient là, non loin du feu, réchauffant leur corps que leurs guenilles n'essayaient plus de réconforter. Mais évidemment, personne ne venait trop près du feu, car c'était là la place du conteur, et avec en plus une couverture sur les genoux, il était bien le seul à ne pas trembler.
Encore que, les autres occupants ne tremblaient pas de froid mais frissonnaient peut-être à cause des paroles du conteur. Et ce n'était rien comparé au cri court et aigu qui suivit son annonce, dans un murmure particulièrement théâtral alors que les flammes donnaient une expression sinistre à son visage : "Mais cela n'est pas une histoire du passé...c'est arrivé il y a trois jours...".
Mais il continua, comme si de rien n'était. Il avait encore un dernier récit à déclamer et il commença. Et j'ignore si une bourrasque particulièrement froide était entrée par une fente de la fenêtre ou s'il avait peur, mais les bras, les épaules de l'homme commencèrent à s'agiter anormalement.
Et quand il eut terminé, il y eut un murmure d'indignation, certains se jurèrent qu'il fallait prévenir des gens en au lieu, d'autres susurraient des paroles réconfortantes mais beaucoup repartirent vers leur lit aussitôt, et ne dormirent pas avant longtemps.

Et, croyez-moi ou non, mes amis, aussi bouleversante que fut cette histoire, personne parmi eux n'en dit jamais un mot à quiconque.

Aujourd'hui, si vous cherchez une auberge la plus proche de la cité en ruine de Fornost, perdue entre cette dernière et la capitale en paix, Annuminas, passez votre chemin. Vous perdez votre temps.