Nouvelles directives

"Eodroc!"

Des bruits de pas rapides mais précautionneux se firent ouïr dans le couloir, et le corps frêle du garde apparut dans l'encadrure. Tout paraissait aussi sombre que dans les caves d'un château. C'était pourtant le matin.

"Oui, capitaine."



A entendre les paroles d'Eodroc, on aurait pu croire que rien ne s'était passé dans la sombre routine des membres de la garde. Alors qu'en était-il de tous ces évènements? La découverte des cadavres écorchés... l'interrogatoire de Jilhad le marchand... le rendez-vous avec l'Elfe... l'assassinat du capitaine... le procès du petit coq et du buffle. Tout cela était-il survenu dans un rêve?

Non. Bien sûr que non. Voyons, ces faits s'étaient déroulés il y a quelques mois, trois mois pour être exact depuis que les frères jumeau Egan et Ugan avaient emportés le gros marchand étranger vers les profondeurs des cachots dans une cascades de cris abominables.

Et depuis cet instant, tout avait été de travers...

De retour à l'hôtel de la garde le lendemain, on avait regardé Eodroc d'un très mauvais oeil. Le capitaine avait disparu et on soupçonnait le maigrelet d'y être pour quelque chose. La notoriété qu'avait engrengé l'acolyte de Ralya au cours de cette affaire se retourna donc finalement contre lui, et s'en fut fini de ses rêves de promotion. Le bras droit de l'ancien capitaine s'était ensuite auto-décerné le titre de son patron et avait relégué Eodroc dans les plus bas étages de la hiérarchie, ne pouvant pas le chasser totalement de la garde, faute de preuves.



"Oui capitaine Osbern, répéta-t-il."

L'autre le prenait d'un air hautain; il ne l'aimait guère...

"Eodroc, va dans le le quartier des portes, on m'a fait parvenir qu'un cambriolage était survenu chez un forgeron. Exécution!"

Et de s'éxécuter sans grand plaisir. Ce n'était pas une fonction digne d'un garde: s'occuper des affaire des commerçants et des petits brigandages. Dès qu'il fut parti, Osbern tira le tiroir de son bureau et en sortit une lettre; le service des postes venait tout juste de la lui remettre. Et il avait volontairement éloigné Eodroc pour le tenir à l'écart des nouvelles qu'elle contenait.

Le capitaine Osbern observa une nouvelle fois le cachet de cire rouge, qui ne servait d'ailleurs plus de rien depuis quelque minutes. Puis, comme pour confirmer ce qu'il avait lu avant qu'il ne fasse venir Eodroc, il plongea de nouveau le regard dans les lignes écrites à l'encre noire, de la main gracieuse et assurée du Seigneur d'Albyor:

Citation :

Capitaine Osbern,

Une missive est arrivée hier soir du palais de notre Rouyaume, à Blankânimad. Le Roi Alâhan est sorti victorieux de la bataille de l'Ouest. Son alliance avec nos ennemis de jadis a été la décision la plus profitable qu'ait pris notre roi depuis de nombreuses années. Sans cela, nous ne pourrions point espérer le retour de l'armée partie il y a des mois.

Cependant, en conséquence de cette alliance nouvelle avec les peuples d'Occident, le Roi exige que des dispositions soient prises et des changements opérés dans toutes les cités de Rhûn, et nottement dans la nôtre, ici, à Albyor. Vous saurez pourquoi dans la suite de cette lettre...

Vous savez, capitaine, que bien des étrangers nomment notre ville sous le nom de "Cité Noire", ce qui ma foi n'est pas tout à fait dénué de vérité pour qui veut bien ouvrir les yeux. Cela ne m'a jamais bien préoccupé, cependant, le commerce ne s'étant jamais aussi bien porté qu'en ces temps. Cependant, il serait judicieux et avantageux de s'ouvrir aux puissances de l'Ouest, c'est pourquoi nous devons améliorer la réputation de notre cité. Je pense que vous comprendrez très bien, Osbern, que la présence déjà bien ancrée des fidèles de Sharaman serait pour déplaire aux commerçants des royaumes dont nous nous sommes faits les alliés.

Il est donc indispensable de purifier Albyor de ses aspects les plus sombres, non pas par volonté, mais par intérêt. Et la garde me paraît le meilleur service qui puisse s'occuper de cela. Je compte sur vous, capitaine Osbern, pour participer à la montée en puissance et à la gloire d'Albyor.

Votre Seigneur.

P.S. Soyez bien conscient que je saurai me montrer généreux si vous réussissez.

P.P.S. Ne comptez que sur les personnes dont vous avez confiance pour accomplir cette mission. Ceux que vous savez les plus fidèles et les moins imprévisibles.

Eodroc aurait tout de suite compris pourquoi son supérieur cherchait à l'écarter, si seulement il avait pu lire ces mots...

"Lieutenant Brauz! Faites venir les membres de la garde dans mon bureau... immédiatement!"

Bientôt une bonne dizaines d'hommes firent irruption dans la pièce. Elle n'avait pas connu pareil rassemblement depuis bien longtemps, et l'air aurait bientôt fini par manquer si la porte n'était pas restée ouverte. Mais la situation l'exigeait.

Devant, en face du capitaine, se tenait son second, son homme de main, le lieutenant Brauz, droit comme un I. Osbern inspecta les rangs, se souvenant du second post-scriptum de la lettre du seigneur. Enfin, après des minutes interminables dans un silence pesant, l'officier prit la parole:

"Gardes, une dure tâche nous attend. Une tâche qui vient de m'être ordonnée par le seigneur de cette cité, tenant lui-même des ordres venus de Bankânimad, et par conséquent du Roi Alâhan lui-même, bien qu'il soit en campagne."

Plusieurs subalternes échangèrent des regards du coin de l'oeil, inquiets. Le capitaine mit fin aux questions qui trottaient dans leur tête:

"Par ordre du Roi, nous devons purifier Albyor de ses côtés les plus sombres afin de garantir l'entente et le commerce avec les pays de l'Ouest, nos nouveaux alliés!"

Quelques murmures fusèrent dans les rangs...

"Les pays de l'Ouest, des alliés?"

"Purifier Albyor, mais de quoi?"

"Des fidèles, idiot..."

"C'est comme s'attaquer à une montagne..."

"SILENCE !!!"

Et le silence fut.

"Nous exécuterons ces ordres à la lettre, dussions-nous périr à la tâche!"

Il tenait le parchemin dans sa main levé, l'exhibant.

"Le reste de la garde, ceux qui sont actuellement en fonction dans la ville, seront également avertis dans la journée. Ensuite il nous faudra démanteler les organisations qui nuisent à la renommée d'Albyor à l'étranger. Je pense nottement, et en premier lieu, au temple Shamaran et au fidèle à... Melkor."

Sans qu'il l'eut voulu, sa voix avait baissé progressivement lors de cette dernière phrase. La crainte qu'inspirait Sharaman dans la population dissuadait même un capitaine de la garde de trop laisser aller sa langue...

C'était un homme grand et maigre, au visage légèrement creusé. Des cheveux bruns, une barbe brune finement rasée, des yeux noisettes. Assez séduisant, finalement, le gaillard, avec ses vêtements pourpres brodés d'or et son front dégagé. Tandis qu'il marchait dans un des couloirs sombres du palais, les rares femmes qu'il croisait (la plupart étaient des servantes, les autres les fiancés de quelques fortuné bourgeois) ne manquaient pas de remarquer son élégance, mais détournaient aussitôt les yeux lorsque leur regard croisaient le sien. Et immanquablement, elles rougissaient. Quant à notre damoiseau, aucune gêne ne l'empêchait de contempler les courbes harmonieuses de certaines domestiques, qui, mal à l'aise, dissimulaient leur visage derrière un voile de cheveux lustrés.

L'inconnu s'arrêta finalement derrière un haut et large comptoir derrière lequel disparaissait un tout petit homme dont la main courait frénétiquement sur un papier. Il levait de temps à autres les yeux de ses papiers, que lui seul devait être capable de déchiffrer, et se haussant sur sa chaise, observait le corridor. Puis il écrivait à nouveau. Le visiteur s'éclaircit la gorge et déclara d'une voix claire, presque cristalline :

Veuillez annoncer au Capitaine de la Garde Osbern la venue de l'envoyé de son homologue de Vieille Tombe, le très honorable Rustac. Je me nomme quant à moi Boško.

Le début des actions avait été prévu pour cet après-midi, et tous les gardes avait à présent disparu du bureau du capitaine Osbern. Il allait pouvoir prendre une heure ou deux de repos avant de s'atteler à la tâche...

"Capitaine!"

Non, il avait fait une grave erreur en osant penser à la notion de repos. Pas à Albyor. Pas à la Garde. Pas à ce poste.

"Mmmmh?" fit-il d'un air exaspéré au petit homme qui remplissait la fonction de secrétaire et répondait au nom de Xirus. Des rides étaient largement visibles sur le visage bronzé de ce dernier, et son crane était dégarni.

"Désolé capitaine, mais un dénommé Boško demande à vous voir, déclara Xirus de sa voix nerveuse et stridente. Il vient de la part de Rustac, capitaine de la Garde de Vieille-Tombe, mais ne m'a pas révélé l'objet de sa visite."

Pourtant, Osbern pensait connaître le sujet général de cette venue, à moins qu'il ne se trompât du tout au tout. Par précaution, il cacha néanmoins la lettre qu'il venait de recevoir sous d'autres parchemins sans grande importances. Il faut dire que le bureau de nouveau capitaine était moins net que celui de l'ancien: "fouilli" aurait été le mot. Et cela n'allait sûrement pas s'arranger avec le temps et les nouvelles affaires.

"Fait le entrer!"

Et tandis que l'étranger approchait, guidé par le fidèle secrétaire, le capitaine l'accueillit de sa voix de stentor:

"Bienvenue à vous! J'imagine que celui que vous servez a des choses importantes à me faire savoir, pour vous faire venir du Sud au-delà du fleuve."

Boško entra dans la pièce sans un regard pour le secrétaire. Il ôta ses gants, de magnifiques pièces en soie, et un sourire franc éclairant son visage, répondit :

Capitaine Osbern, c'est un honneur de vous rencontrer. J'ai fait longue route depuis Vieille-Tombe, et je ne suis pas peu content d'arriver. Bien que, je dois l'avouer, j'ai du mal à m'habituer à la continuelle obscurité qui règne à Albyor.

Il regagna son sérieux, et la mine plus grave, s'installa dans un fauteuil en face de son hôte. Croisant négligemment les jambe, il parcourut la pièce du regard.

J'ai entendu parler des actions plus que douteuses de votre prédécesseur. Quel dommage qu'il ait sombré dans la folie... Jusqu'alors, beaucoup de bien nous arrivait de lui à Vieille-Tombe. Un homme sérieux qui exécutait sans vergogne son devoir, voilà comment on le décrivait. Le destin peut être parfois bien cruel...

Un profond et long soupir s'échappa de ses lèvres. Qu'il était déplacé, cet homme, avec ses bonnes manières, ses beaux vêtements, son parler bourgeois. Une personnalité qui brillait de toute part dans une ville nommée Noire. Etait-il vraiment la bonne personne à envoyer à Albyor? Que pouvait-il bien savoir de la vie dans cette cité? Néanmoins, les apparences étaient peut-être trompeuses...

Vous avez du recevoir, comme mon supérieur, un courrier nous annonçant que désormais, il fallait faire bonne figure pour nos nouveaux amis d'Occident. J'étais parti sur les bord de la mer de Rhûn pour régler un différent avec un commerçant qui avit quitté Vieille-Tombe sans payer certaines taxes et qui avait fui pour ne pas avoir à payer quoique ce soit. Ce n'est en soit pas si grave, sauf que dans son escapade, il a tué un lieutenant de la garde. Il a été rattrapé sur la côte, et on m'a envoyé pour décider de son sort. Il ne reverra pas d'ici peu la lumière du jour, je peux vous le dire!

Une moue gênée vint pâlir ses traits, alors qu'il comprenait trop tard que cette expression banale ne devait peut-être pas être fort appréciée à Albyor. Il déglutit et retrouva son assurance, puis continua :

Mais cela ne vous concerne guère. Toujours est-il que lorsque je m'apprêter à rentrer, j'ai reçu un pigeon m'apportant les nouvelles directives. Rustac me demandait de rejoindre Albyor, pour savoir quelles mesures vous comptiez prendre, et si une collaboration pouvait être envisagée pour optimiser les résultats. Mais ce n'est évidemment pas tout.

Boško regarda les murs, comme pour vérifier que personne ne pouvait les entendre, vérifia que la porte derrière lui était bien close, et se pencha vers Osbern.

Vous n'êtes pas sans savoir qu'un culte gagnait depuis quelques temps en importance : quelques fanatiques idolâtrent un dieu, ou quoi que ce soit, qu'ils appellent... Melkor. Heureusement, à Vieille-Tombe, ce culte est minoritaire, mais ça ne nous empêche pas de nous en préoccuper. Bien que le seigneur Rustac n'en dise mot, j'ai bien conscience qu'un de ses désirs les plus chers serait de l'éradiquer une bonne fois pour toute de sa ville. A Vieille-Tombe, ce culte se pratique en secret, et jamais nous n'avons pu trouver les lieu de rendez-vous de ces fanatiques.

L'envoyé s'arrêta, conscient de s'aventurer sur un terrain glissant et dangereux. Légèrement hésitant, il poursuivit, à la recherche de tout signe d'irritation ou de couleur de son interlocuteur.

Aussi, Rustac m'a dépêché à vos côtés pour tenter d'en apprendre davantage sur ce Melkor et ses adorateur, car la triste renommée du temple de Sharaman a parcouru toutes les terres de Rhûn. Non pas que vous soyez parti de cette lugubre religion, mais la proximité des pratiques a du vous en apprendre beaucoup à ce propos...

Boško se triturait les doigts, inquiet. Ce gars là avait beau faire preuve d'un charme et d'une assurance incontestable face à la gente féminine, il semblait avoir encore beaucoup à apprendre quant aux discussions politiques.

Il est vrai qu'Osbern n'avait pas l'habitude de s'entretenir avec pareil personnage. L'étrange obscurité d'Albyor déteignait, depuis toujours, sur l'esprit de ses habitants, les rendant pratiquement tous aussi sombres qu'elle. Elle semblait avoir eut davantage d'effets sur certains que sur d'autres, d'ailleurs. Mais lui, ce Boško, venait d'une ville que cette ombre noire n'avait jamais touché, que le soleil illuminait à longueur de journée. Et cela se ressentait... physiquement peut-être, mentalement surtout. Et le capitaine Osbern n'aimait pas ça: le nouveau venu lui faisait le même effet qu'un grand sceau d'eau versé sur un homme endormi dans un rêve...

Pourtant, il devrait s'y habituer s'il voulait garder sa place, s'il voulait appliquer ces nouvelles directives et ouvrir le commerce aux gens d'occident. Collaborer avec son homologue de Vieille Tombe devrait, après tout, se révéler bénéfique. Osbern avait-il cru qu'il pourrait, sans aide extérieure, réveiller la population fidèle aux cultes et les tirer de ce long et lent cauchemar qu'insufflaient les moins de Sharaman?

Le chef de la Garde se râcla la gorge avant de parler d'une voix qu'il voulait la plus acceuillante et chaleureuse possible - mais qui paraissait sans doute dure et froide, à l'image de toute cette cité, pour l'envoyé de Rustac:

"Vous avez du mal à vous habituer à l'obscurité qui règne à Albyor, dites-vous? Eh bien, si vous me permettez de vous accorder un conseil, je vous encouragerai à ne pas tenir les mêmes propos devant certains des habitants de cette ville. Et je pense que ceux qui se réjouissent de la noirceur sous toutes ses formes ne réprésentent pas une si petite minorité, comme c'est le cas chez vous. Le problème avec Albyor - ou plutôt le problème qui est conséquence de ces récents ordres venus de Blankânimad - est que tous ceux qui y vivent sont touchés par cette morosité et cette noirceur. A divers dégrés, bien sûr, et ce en fonction du nombre d'années passé ici, du métier que l'on fait chaque jour, et aussi, bien entendu... des convictions innées..."

Il souleva toute la paperasse qui encombrait son bureau, plaçant tour à tour les parchemins sans importance sur les côtés, puis se saisit de la lettre qu'il venait de cacher avant l'arrivée de Boško. Ce dernier put alors voir que la partie supérieure du bureau était faite d'une planche de bois, sculptée sur les bords et lisse au centre, et qui était noir comme l'ébène. Quelle couleur aurait semblé plus appropriée à pareille contrée, d'ailleurs? Puis il continua, tout en tenant la missive:

"Aussi vous comprendrez tout à fait que des esprits naturellement dérangés et fanatiques ne pouvaient trouver à Albyor qu'une aggravation de maux. C'est pour cette raison, entre autres, que le nombre de fidèles est de beaucoup plus important ici qu'à Vieille Tombe, et que la tâche qui nous attends est si ardue. Il ne va pas sans dire que mes hommes sont sans nul doute plus aptes à traquer ce mal que ceux de votre capitaine."

Le silence de son auditeur le mit à 'évidence, et il ajouta avec un sourire légèrement narquois:

"Bien sûr, c'est pour ça que vous êtes là."

Son expression devint tout à coup grave et sévère, et, fixant l'étranger dans les yeux, il posa la question qui lui tenait, finalement, le plus à coeur:

"Donnez-moi une bonne raison de vous aider, vous, votre maître et toute votre ville? Car j'ai assez à faire ici et mes hommes ne se comptent pas par centaines."

Tandis qu'Osbern parlait, la mine déconfite de Boško avait peu à peu regagné des couleurs. De tout évidence, la réaction du Chef de la Garde avait été moins démesurée que ses attente, et alors que l'Albyorite rangeait méticuleusement ses papiers, l'émissaire avait regagné toute sa confiance, allant même jusqu'à sourire.

Pourquoi m'aider? Allons ne soyez pas si idiot, vous ne l'êtes pas. Vous savez aussi bien que moi que refuser de collaborer serait une décision vraiment stupide.

Son sourire, un sourire narquois et digne des plus dignes hommes de cour, s'élargit. Il examina distraitement l'accoudoir de son siège quelques secondes, ménageant l'effet de sa déclaration, puis poursuivit d'un ton neutre.

Pour commencer, je doute que le roi Alâhan voit d'un bon œil qu'un des fonctionnaires de l'administration d'une des villes de Rhûn refuse de prêter main forte à une autre cité, et empêche ainsi la bonne exécution de ses propres ordres.

Boško gardait son calme.

D'autre part, vous pourriez plus considérer comme un marché. Soyez évidemment certain que si vous m'aidez, mon supérieur et même son supérieur sauront se montrer reconnaissant à l'égard d'Albyor, spécialement au votre. Voulez-vous une autre raison d'accepter? Quand vous serez arrivé à éradiquer ce culte de vos murs, il n'en sera pas de même pour le reste de Rhûn. Et il restera quelques fanatiques pour reconstruire des cendres ce que vous avez détruit. Croyez-moi, la seule solution serait de mener une action de grande ampleur, dans toutes les villes de notre grand royaume.

L'homme abandonna son air bon enfant pour une tenue plus sérieuse et convenue.

Cela dit, vous avez peut-être mal compris ma demande. Je ne me permettrai pas de vous demander des hommes pour ma cité. Voyez plutôt cela comme une collaboration. Donnant-donnant. Je reste à Albyor le temps que vous chassiez les moines de Sharaman en vous offrant mon aide si possible. J'en profite pour réunir tous les renseignements sur Melkor nécessaires pour combattre les fidèles à Vieille-Tombe. Lorsque je serai de retour dans ma cité, conscient que ma contribution n'aura pas été à la hauteur de ce que j'aurai récupéré en échange, je veillerai personnellement à ce que des mesures soient prises à Vieille-Tombe pour aider Albyor à se remettre pleinement de toutes ces années sombres. Et à ce que vous soyez dignement remercié.

Boško posa ses coudes sur la table et ayant entrelacés ses doigts, posa son menton sur ses mains ainsi jointes.

L'air sérieux qu'avait arboré Osbern avant sa dernière prise de parole ne le quitta pas pendant tout le temps où il écouta son visiteur. A aucun moment il ne coupa la parole à ce dernier, même s'il aurait souhaité réagir à certaines phrases dans l'immédiat. Mais le capitaine de la Garde détestait qu'on l'interrompe pendant son élocution, et ce fut pourquoi il ne montra pas cette discourtoisie à son interlocuteur.

Sans montrer aucun signe d'impatience, il prit connaissance de ce que Boško avait à lui communiquer, se contentant de passer d'un geste machinal et répétitif sa main calleuse dans ses cheveux, comme s'il eut voulu obtenir la même coiffure que l'envoyé de Rustac. Lorsque la tirade de ce dernier prit fin, l'Albyorite attendit poliment quelques secondes, hochant silencieusement la tête en réfléchissant, puis parla à son tour:

"Noble émissaire du capitaine Rustac, je vais vous parler de ce que recherchent et apprécient les supérieurs, quels qu'ils soient. Je suis, je le crains, mieux placé que vous pour le savoir. Je charge deux de mes subalternes d'une mission chacun, le matin. Ils reviennent tous les deux au coucher du soleil, et je constate que le premier à rempli sa mission à la lettre tandis que le deuxième a échoué. Ce n'est pas ma faute si c'est un bon à rien, mais je ne blâme pas le premier garde de ne pas avoir aidé le second: je ne lui en ai pas donné l'ordre. Par contre, l'ordre que je lui avait transmis, il l'a accompli. Vous comprenez?"

Sans attendre de réponse, il enchaîna:

"Puisque je ne suis pas idiot - et je vous remercie de l'avoir souligné ce détail important de mon caractère - je suis persuadé que notre Roi verrait d'un bon œil la garde d'Albyor, et me verrait par conséquent également d'un bon œil, si la ville dans laquelle je travaille devenait conforme à ses attentes. Et Alahân serait mécontent des fonctionnaires de la ville voisine qui, eux, n'auraient pas su mener à bien leur mission. Je vous rassure, le terme de "bon à rien" ne s'appliquait qu'aux personnages de ma petite parabole, non à la garde de Vieille-Tombe."

Pourtant, le fier Osbern n'en pensait pas moins. Mais il ne voulait pas déclencher d'incident diplomatique dans cette affaire, même s'il souhaitait dialoguer avec le plus de franchise possible. Sans être troublé par le regard de Boško, dont la tête était appuyée sur ses mains, à quelques dizaines de centimètres de son propre visage, il poursuivit calmement, mais sans détour:

"Néanmoins, je crois que je vais accepter votre proposition..."

Il marqua une petite pause durant laquelle le silence qui s'installa permit d'entendre le sifflement du vent aigre qui s'était mis à souffler à l'extérieur, puis s'approcha davantage de l'oreille droite de son vis-à-vis et baissa nettement la voix, lui murmurant sans gêne:

"Si j'accepte, c'est bien pour servir... d'exemple. Vous savez, j'aime capter l'attention, notamment quand il s'agit de l'attention de hauts placés. J'imagine qu'une fois mon aide donnée, votre capitaine saura faire part aux autorités supérieures du coup de main précieux de ma part sans lequel il n'aurait pu réussir. Car pour en revenir à la parabole, j'aurais bien entendu accordé encore plus de reconnaissance au premier garde s'il avait accompli lui-même les deux missions ou avait eu un rôle déterminant dans leur réalisation. Mais bien sûr, officiellement, nous dirons que j'ai accepté par dévouement et volonté d'éradiquer l'ensemble de ces sombres cultes, et pas seulement ceux de ma Cité. Ça passe toujours mieux, n'est-ce pas?"

Il sourit légèrement et malicieusement à Boško tout en reprenant une position plus confortable sur son fauteuil.

Au moins, il avait le mérite d'être franc avec son interlocuteur.

Boško se rabbatit contre le dossier du fauteuil et se frotta pensivement sa petite barbichette pendant quelques secondes, le regard levé vers le plafond, qu'il pouvait à peine deviner dans l'obscurité.

Nous pourrions voir ce problème sous un autre angle. Imaginez un instant que vous chargiez deux personnes d'effectuer une tâche qui vous tienne à coeur, à deux personnes. Elles partent le matin et reviennent le soir, l'une d'elles à réussi, l'autre a échoué. Naturellement, vous félicitez la première et demandez à la seconde des comptes. Elle vous répond que malgré son désir de bien faire, elle n'avait pas les moyens de réussir, mais que ne pouvant se résoudre à abandonner, ait demandé un soutien à l'autre personne, qui elle avait toutes les clefs nécessaire à l'accomplissement de sa tâche. Comment réagiriez-vous si vous appreniez que cette deuxième personne a consciemment refusé d'aider la seconde alors qu'elle en avait la possibilité? Cette question donne matière à réfléchir, sans aucun doute.

Le messager croisa négligemment les jambes, inspecta consciencieusement ses ongles et chassa d'un revers de main un poussière sans doute imaginaire sur son épaule.

Passons. Vous convenez de toute façon vous même que vous avez tout a gagné dans cette affaire. Sans doute plus que moi d'ailleurs. Maintenant que nous sommes du même bord êtes-vous d'accord pour cesser les préliminaires? Comment comptez-vous agir pour enrayer le culte?

Osbern n'avait guère apprécié la façon dont son vis-à-vis lui avait donné la réplique. Il faut dire qu'il était à court d'idées pour jouer davantage à ce petit jeu là. Il avait à faire à un brillant orateur, sans doute le meilleur que Rustac ait eu sous sa botte. Mais, comme l'avait fort bien dit Boško: passons.

L'émissaire de Vieille Tombe demandait à en savoir plus sur la manière dont la garde d'Albyor allait opérer, et ce n'était pas pour déplaire au capitaine. Tôt ce matin, avant d'avoir reçu la lettre de Blankânimad, Obern aurait un peu paniqué pour donner à son interlocuteur une réponse sûre et précise; mais en cet instant, quelques trois heures plus tard, il avait mûrement réfléchi à la question.

Il répondit brusquement, presque précipitamment:

"Le cœur de ce culte réside dans le temple Sharamân, au-delà de la partie la plus haute de la Cité, sur les contreforts des montagnes. L'obscurité sempiternelle qui semble parfois s'être matérialisée sous forme physique dans le ciel d'Albyor nous empêche d'apercevoir les versants des reliefs, mais je suis persuadé que même sans cela, le temple serait trop retiré pour pouvoir le contempler de l'extérieur du bâtiment dans lequel nous nous trouvons. Ces moines vivent à l'abri des regards de la garde et des autorités, qu'ils évitent soigneusement. Pourtant, leur impact et leur emprise sur la population sont grands."

Il toussota, comme si ces derniers mots l'avaient mis mal à l'aise, mais reprit aussitôt:

"Voilà donc comment nous allons procéder. Il s'agira d'infiltrer ce réseau pour mieux connaître tous leurs secrets, le nombre des moines de ce temple, de leurs adeptes, et la fréquence de leurs cultes. Cela ne devrait pas être bien difficile, j'imagine que leur soif d'autorité les rendra aveugles à notre ruse. Arrêter les moines ne sera guère difficile; épurer la population de tous les fidèles à Melkor le sera davantage. Ils peuvent être n'importe où, se cacher derrière des apparences fort trompeuses, Boško. Mon frère pourrait très bien adhérer à ce culte sans que je m'en aperçoive. C'est pour cela qu'infiltrer quelqu'un nous sera fort utile, afin de connaître les réelles identités de ces fidèles."

Le regard d'Osbern avait bien changé. En regardant bien, on aurait pu y deviner un sourire victorieux. Et tout cela pour quoi? Simplement pour avoir échafaudé un plan? Que serait donc sa réaction s'il parvenait à mener à bien les directives qu'ils tenaient?

"Mais, bien sûr, si ces moines peuvent être aveugles d'une certaine manière, ils ne le seront pas non plus totalement. Cette personne que nous allons infiltrer dans leur culte... ne devra bien entendu pas faire partie de la garde. Ils doivent bien trop connaître nos visages pour nous risquer à cela. Ils doivent bien trop connaître les Albyorites en général! Il faudrait employer quelqu'un... qu'ils n'aient jamais pu voir auparavant."

Boško avait écouté le Capitaine de la Garde avec une attention toute particulière. Ainsi, il ne ressemblait plus au médiocre homme de condition coureur de jupon qui avait fait si sensation en pénétrant dans les corridors du palais, mais plutôt à un magistrat avisé. C'était d'ailleurs plus ce dont avait besoin l'Albyorite : les charmes de l'émissaire ne lui seraient certainement que de peu de secours face aux fanatiques.

Et lorsqu'Osbern eut achevé ses explications, l'ombre d'un froncement de sourcil passa sur le visage de Boško. Il ne fut pas long à répondre :

D'après les faibles éléments dont je dispose sur ce culte, l'infiltration me semble en effet la seule méthode qui puisse porter ses fruits malgré les risques pris. Toutefois, même si je suis certainement moins bien placé que vous pour juger, il m'apparait une faille dans votre plan d'attaque.

Il poursuivit rapidement, sans laisser le temps à son interlocuteur de protester.

Il me parait risqué et peut-être peu concluant de baser l'infiltration sur quelqu'un d'inconnu aux prêtres de Melkor. Si toutefois c'était possible. je ne serais pas étonné d'apprendre qu'il n'y a pas une âme en Rhûn inconnue à ces fous. Bref. Ce que je veux dire, c'est que qu'il est selon moi peu probable que les Melkorites accordent leur confiance à un étranger et lui confient les secrets de leur organisation. Il serait du moins ardu pour l'espion d'y accéder. Alors que si nous trouvions une personne qu'ils connaissent et qui s'accorde à notre cause, il serait plus aisé pour lui de s'infiltrer profondément. Bien sûr, le profil devrait correspondre : connaitriez-vous quelqu'un qui puisse se prêter au jeu? Un croyant que nous pourrions retourner, ou même faire chanter, par exemple? Ou quelqu'un ayant des liens particuliers avec ce culte?

Tandis que Boško parlait et critiquait son plan, le capitaine ne put s'empêcher de se mordiller nerveusement la lèvre inférieure. Il laissa toutefois terminer son hôte, la courtoisie lui empêchant de lui couper la parole, et ne se montra pas arrogant ni contrarié lorsqu'il eut enfin l'occasion ouvrir la bouche: au contraire, il répondit de la manière la plus calme du monde, en contradiction avec ce qu'il ressentait, afin de paraître ouvert aux remontrances comme aux conseils, sans pour autant les accepter à bras ouverts:

"Ils ont sans doute de bons informateurs, et comme vous le dites, il est peut-être bien peu de Rhûniens qui leur soient totalement inconnus. Mais pas tous, notez! Et non, je n'ai pas de rapports assez privilégiés pour connaître personnellement l'un des fidèles de Sharamân. J'ai des soupçons, bien sûr, comment rester aveugle à ces activités? Mais essayer d'enrôler un Melkorite serait fort risqué, bien plus risqué que vous ne vouez l'admettre, et bien plus risqué que de tenter d'infiltrer un inconnu. Avec quels arguments attireraient-ont un fidèle de notre côté? Avec de l'or? Des promesses de pouvoir, ou bien avec une leçon de morale? Les moines de Sharamân se sont déjà chargé de leur dire où était le bien et où était le mal. Dès leur entrée dans cet ordre, les fidèles ont dû subir ce que j'appelerais... un lavage de cerveau. Ils tueraient leurs propres enfants si on le leur demandait. Non, émissaire Boško, il n'y a aucun espoir de guérison pour eux."

Puis, comme soudain frappé en pleine face par ce qu'il venait de dire, il ragarda le plafond, puis jeta un vague regard circulaire dans la pièce, ne souhaitant pas rencontrer les yeux du visiteur. Aucun espoir de guérison pour tous les Melkorites? Cela signifiait-il que la mission était vouée à l'échec? Ou bien qu'il faudrait éliminer toute une partie de la population? Répugnant de laisser sa dernière phrase en suspens, Osbern enchaîna, embarrassé:

"Non... Mrrr... en vérité, je crois pouvoir trouver une personne qui leur soit... véritablement inconnue. Et ici, à Albyor même. Avez-vous entendu parler.... noble représentant de Rustac, du Temple du Vieil Homme?"

Il n'attendait aucune réponse tout de suite, se contentant de continuer son discours, plus sûrement et fermement, cette fois.

"C'est un édifice religieux qui se trouve dans le haut de la Cité. Ce n'est pas une secte, mais plutôt un lieu de paix, de recueillement, de lumière. Bien sûr, les moines qui y vivent ne manquent point de haïr l'emprise des Melkorites sur la population. Et, puisqu'ils vivent reclus dans leurs murs, les adeptes de l'Ombre ne les connaissent pas. Aucun n'aurait voulu entrer dans un lieu aussi... comment dirais-je... aussi saint, aussi lumineux. Ils peuvent être d'une aide précieuse."

Boško acquiesça en silence, sans faire apparaitre qu'il avait noté le trouble de l'Albyorite, même si l'embarras d'Osbern ne lui avait certainement pas échappé. De même, il ne parut nullement vexé lorsque le Capitaine lui opposa son contre argument, acceptant sans doute cette démonstration qui était sans aucun doute vraie. Il balaya sa proposition d'un geste de main.

Soit, vous êtes comme je l'ai dit mieux placé que moi pour répondre à ce genre de questions. Et de toute manière c'est moi qui ait à apprendre de vous, non l'inverse.

Il s'interrompit et resta quelques secondes immobile, les yeux plongés dans ceux de son interlocuteur. Il semblait néanmoins ne pas le fixer et paraissait plutôt méditer les révélations d'Osbern. Il avait posé son coude contre un accoudoir et placé son menton sur sa paume ouverte. Le regard toujours ailleurs, il avait cet air un peu détaché qui devait tant plaire aux femmes.

Le Temple du Vieil Homme... Non, cela ne m'évoque rien. Il n'y que je sache rien de semblable à Vieille-Tombe. Un lieu de paix dites-vous? Lumineux? A moins que les Melkorites trouvent une certaine paix dans leur culte, ces deux idéologies ont tout l'air d'être fondamentalement opposées. Assez pour que les disciples de ce Vieille Homme entrent dans un conflit qui n'est pas le leur, vous pensez?

Il fut heureux que Boško n'ait pas réfuté les arguments d'Osbern, n'ait pas défendu sa propre théorie coûte que coûte, car alors les deux hommes se seraient enlisés dans des débats sans fin. Et puis, comme le disait l'intéressé, c'était au capitaine de trancher, et non l'inverse. Le représentant de Vieille Tombe n'était là, après tout, que pour observer, même s'il n'était pas exclus qu'il donne son avis et peut-être, qu'il agisse.

La dernière remarque laissait Osbern pensif... Il n'avait pas une grande connaissance de ce culte saint et de ce "Vieil Homme", si tant est que cela désignât une personne et non le temple lui-même. A vrai dire, il ne s'y était jamais vraiment intéressé, ces gens ne causant aucun trouble susceptible de perturber l'ordre dans la cité - bien au contraire.

"Oui, dit-il enfin. Oui, je pense que l'idéologie des disciples du temple du Vieil Homme peut les conduire à nous aider. Les deux cultes sont situés aux extrémités de la chaîne de la morale, si je puis m'exprimer ainsi; il suffit de leur donner les bonnes raisons de nous aider, et nous aurons une chance. Ce qui les gênera peut-être, c'est qu'il faille se faire passer pour un Melkorite si la mission veut être menée à bien... Mais on trouve de partout des individus qui sortent du lot, qui sont un peu moins radicaux et un peu plus enclins à la coopération. J'en suis persuadé."

Osbern pesait le pour et le contre, préservant le silence pendant quelques instants afin de permettre une éventuelle remarque de l'envoyé de Rustac. Puisque celle-ci ne vint pas tout de suite, il conclut:

"De toute façon, nous ne prenons aucun risque en agissant ainsi. Le pire qui puisse nous arriver est de recevoir une réponse négative de la part de ces religieux. Nous n'aurons rien perdu, à part quelques heures, et nous pourrons revenir ici, dans mon bureau, pas plus avancés qu'un instant plus tôt, pour réfléchir à une seconde option."

Il n'y avait pas grand-chose à répondre à cela, à moins que ce Boško soit un véritable maître dans l'art de la parole et de la dissuasion.

"La seule chose à laquelle il faille faire attention, c'est de ne pas se faire remarquer en chemin. J'irai prendre une cape noire à capuchon à la caserne de la garde: c'est le bâtiment qui est jouxté à mon bureau. Enfin, je dis une, mais cela peut très bien être deux. C'est vous qui voyez."

Et de se redresser de toute sa hauteur. Visiblement, il ne souhaitait pas attendre davantage pour passer à l'action. A quoi bon d'ailleurs?

Boško acquiesça tout en se recalant contre le dossier de son fauteuil.

Oui, je viens avec vous. J'apprendrai peut-être des choses que j'ignore. Et si ma présence peut vous aider à convaincre ces hommes de nous aider, je me dois de venir. En effet, même si encore une fois je ne sais rien de ce culte du Vieil Homme hormis ce que vous m'avez dit, je pense qu'il sera difficile de gagner leur confiance. Voilà longtemps que ces deux cultes cohabitent sans se livrer à une guerre ouverte, préférant un statut quo. Je ne suis donc pas sûr que quelques mots suffisent à changer cette situation. Et je me répèterai en disant que je me trompe peut-être, voir probablement. D'ailleurs, je ne suis même pas certain de ce que j'avance en ce qui concerne la neutralité des prêtres du Vieil Homme.

Sans attendre de réponse, il se leva et attendit que le capitaine de la Garde en fasse autant. Il défroissa ses vêtements, lissa chaque pli du tissu pourpre tout en inspectant l'extrémité de sa manche droite où un fil suspect venait ternir l'image de perfection qu'il semblait affectionner. Son comportement était vraiment déroutant : tout en faisant preuve capacités oratoires incontestables, il avait cette allure précieuse agaçante, ce parfum de bourgeoisie, d'argent, d'arrogance qui flottait autour de lui.