Le Chant du Vent ou la Rumeur du Chagrin

Il errait sans fin, motivé par son souvenir. Et même si la légende avait tout pour pointer son malheur du doigt, l'amour n'avait jamais quitté ses chants. Et depuis qu'il avait posé le pied sur les terres du milieu, son coeur peinait sous la malédiction de Mandos. Mais il s'était juré de la retrouver.

Les villages se faisaient vides sur son passage, il voyait les mortels l'éviter. Sans doute voyaient t'ils quelques magie dans sa voix qui porté par le vent était sans doute le seul chant des Premiers Nés qui parviendront à ses oreilles impies.

Il les haïssaient, eux les Hommes. Car un Homme, qui bien de sang noble, n'était qu'un Homme. Cet Homme avait suffit à détruire son existence en lui arrachant ce qu'il avait de plus cher. Depuis, la seule chose que créait sa harpe ressemblait à une larme. Aujourd'hui, il en avait même oublier jusqu'à son nom. Car dans ses chants il n'était plus que Naeg, celui qui cherche l'étoile.

Le Fleuve coulait à sa droite, l'Elfe jetait de temps à autres aux formes de l'écume, et le bruissement du courant coulait entre ses doigt comme une mélodie enragée. Cette vieille rage qui ne cessait de le ronger, cela ne finirait donc jamais?

Encore une fois, le ménestrel de Menegroth s'écroula contre une pierre, sa harpe sur la poîtrine, les cheveux sales et son habit de voyage témoignaient d'une splendeur révolue.

Mais ce que l'Elfe ignorait, c'est qu'il était en réalité sur la route d'une cité bien plus importante que les simples villages qu'il avait traversé ces dernières semaines. Plus il s'approchait, plus son chant avait d'auditeurs. Et la rumeur gagna Albyor, où elle tomba dans le creux de l'oreille du Gardien du Port.

Eodroc, va dans le le quartier des portes, on m'a fait parvenir qu'un cambriolage était survenu chez un forgeron.

Les mots du capitaine Osbern retentissaient encore dans la tête du pauvre garde, comme des échos qui semblaient s'amplifier et se répéter sans cesse à mesure qu'ils heurtaient les parois de son crâne, pour son plus grand tourment. Pourquoi donc lui réservait-on les missions les moins gratifiantes? Pourquoi donc était-il toujours le malvenu, celui qu'on regardait en silence du coin de l'oeil, et avec mépris?

Sur le chemin de la forge, dans le quartier des Portes, le sbire d'Osbern laissait aller ses oreilles aux discussions et aux rumeurs qui s'élevaient indistinctement de la foule des badauds, habitants des lieux, marchants, commerçants eétrangers et des divers malfrats, vagabonds, ou honnêtes voyageurs de passage dans la Cité. Beaucoup parlaient bien sûr de la victoire du Roi et de son armée, dont la nouvelle était parvenue à Blankanimâd il y a quelques jours, et s'était répandue dans toutes les villes de Rhûn comme une traînée de poudre.

"Il s'est allié avec les peuples de l'ouest pour remporter la victoire, disaient certains..."

"Sornettes, répondaient d'autres. Notre allégence doit rester telle qu'elle fut pendant tous ces siècles.

Toutefois, aucun ne semblait être au courant des lettres qui avaient émané du Palais de Rhûn et des nouveaux ordres en vigueur. D'autres encore parlaient de choses tout à fait différentes, mais bien peu les écoutaient:

"Il y a un Elfe qui erre vers le fleuve et qui..."

Etourdi, Eodroc avait heurté un homme robuste et à l'aspect rougeaud qui se tenait tel une statue devant son commerce. C'était le forgeron:

"Ca fait une heure que je vous attends! Vous êtes le garde envoyé par Osbern?"

Après avoir prit connaissance du "cambiolage" qui s'était produit à la forge, Eodroc eut plus que jamais le moral dans les chaussettes. Seuls une épée sans valeurs et quelques haches s'étaient volatilisées, et le maigre garde d'Albyor soupçonnait même d'avoir été payé par Osbern pour jouer la comédie. Mais pourquoi voulait-on tant le tenir à l'écart? Divers hypothèses, toute plus extravagantes les unes que les autres, se bousculaient dans sa tête.

Lorsque qu'un rapport fut fait et que le fonctionnaire quitta l'atelier, il se souvint alors les paroles qu'il avait entendu quelques instants plus tôt au sujet d'un Elfe, et il lui vint aussitôt à l'esprit l'image d'Eleriol, avec son sourire jaune et son air énigmatique.

Il se dirigea vers le fleuve, dans l'espoir de trouver son ancien acolyte, le gardien du port, et d'en savoir un peu plus.

C'était jour de paye, et les Gardes du Port défilait un à un devant lui. Jeunes, anciens, bretteur et lourdauds dans leurs armures rouillées flanqué des armes de la compagnie du Gardien du Port. Ralya s'ennuyait ferme. Le comptable distribuait la paye aux hommes alors que lui était assis dans son fauteuil, regardant un point aussi lointain qu'invisible situé entre le nombril d'un colosse et la barbe d'un vétéran.

Doucement, des murmures désaprobateurs secouèrent la file d'attente, mais au final tous laissèrent passé Eodroc, le seul homme de La Garde que Ralya pouvait supporté, et encore. Le colosse se penchait pour prendre sa solde quand le Gardien du Port se leva. Tous se raidirent au garde à vous. Et Eodroc se retrouva coincé entre le colosse et le soldat suivant. Ralya avait remanié la notion d'autorité dans cette compagnie, simplement parce que cela flattait son ego.

Néanmoins, un sourire improbable apparu sur la figure mûre de Ralya.

"Comment allez-vous mon cher?"

Le colosse équarquilla les yeux. Et surpris, il se raidit un peu plus.

"Bien monsieur! Merci monsie..."

"Pas toi nigaud... Allez rompez, allez tous. Dehors dehors, Lucien, allez moi distribuez les soldes dehors."

Tous sortirent dans un joyeux tintamare, car, le Gardien du Port absent, sûre que Lucien ne garderait pas son magot bien longtemps. Mais Ralya n'en avait que faire, sa solde à lui, n'était aucunement gérée par Lucien.

"Alors Eodroc? Qu'est ce qui vous amène dans mon antre?"

Le sourire de Ralya remonta légèrement le moral d'Eodroc. Pendant un court instant, il se sentit plus heureux, plus léger peut-être, comme lorsqu'on rencontre un être que l'on n'a pas vu depuis longtemps, un ami, comme qui dirait... Pourtant, les relations des deux compères ne pouvaient être qualifiées d'amitié, même s'ils étaient loin des répliques cinglantes et dédaigneuses qu'ils s'étaient envoyées par la figure au début de leur coopération.

Non, ils n'étaient pas amis. Ils étaient plutôt comme deux camarades de classe, qui, malgré une certaine rivalité, ont en commun d'avoir parcouru les difficultés ensemble, côte à côte. Eux étaient passés par des lieux et des situations bien sombres, mais ils s'en étaient sortis: cela ne s'oublierait pas facilement.

Hélas, ce regain d'énergie fut de courte durée. Le souvenir de ces difficultés apportait plus de regret que de fierté au garde: sans ces stupides aventures, sans ces vagabondages et ces entorses aux ordres, Eodroc ne se serait as retrouvé dans une telle situation. Sbire du Capitaine, alors que, dans une utopie, il avait cru un instant devenir le Capitaine lui-même. Il en va souvent ainsi des gens de bas niveau attirés par un pouvoir qui les dépasse... Pour Ralya toutefois, le sort semblait avoir été un peu moins cruel.

Le maigre bonhomme finit ainsi par répondre d'une voix faible et sifflante à la première question de son ancien acolyte:

"Hélas, pas très bien. Je pense que je vous connais assez pour savoir que vous ne vous rendez pas souvent, sinon jamais, à l'hôtel de la garde, où se trouvent tous les bureaux et l'armurerie des fonctionnaires d'Albyor. Je vous informerai donc en disant que mon ancien capitaine, celui que je laissai sans vie dans un hangar du port après lui avoir planté mon poignard dans la gorge, celui dont vous avez si sagement planqué le corps, avait un lieutenant, un lieutenant qui s'appelait Osbern. Et celui-ci n'était pas sot. Même s'il n'avait aucune preuve du meurtre que j'avais commis - sa voix n'était plus qu'un murmure à présent - il me soupçonnait, et me soupçonne toujours. L'ennui, c'est qu'il est de droit devenu capitaine. Ainsi, avandonnés sont pour moi les espoirs de gloire; pire, tout ce que j'entreprends est maintenant discrédité par cette ordure, qui ne m'accorde, en outre, que les missions de bas étage..."

Il avait le mérite d'être sincère... Les traits tiréset le visage du garde, pâle et sombre à la fois, laissait en effet penser que les derniers mois avaient été difficiles et éprouvants. Eodroc reprit la parole, parlant un peu plus fort que précédemment:

"Ce qui m'amène ici? Une mission de bas étage, comme je les appellent. Un vol chez un forgeron, peuh! Que n'en ai-je cure! Ils veulent m'écarter des affaires importantes, m'écarter des responsabilités, mais ces temps-ci davantage qu'à l'habitude. Quelque chose se trame dans mon dos, le vent tourne, mais je ne puis voir de quelle façon... Et puisque j'ai ouï dire qu'un Elfe se promène dans les environs, je viens voir, d'une, si ce n'est pas qu'une rumeur, et de deux, s'il ne s'agirait pas de notre cher Eleriol. Imagine que cette affaire qu'on veut me cacher le concerne! Et pour de telles questions, vous m'avez semblé tout indiqué. Mais allons, je ne suis pas à deux minutes près maintenant... alors... que s'est-il donc passé pour vous depuis le mauvais vieux temps?"

Ralya s'était assis dans son fauteuil derrière et d'un geste invita Eodroc à prendre place pendant qu'il parlait. Ralya l'écouta avec attention, même s'il n'en avait pas le privilège le Gardien du Port savait l'importance d'une information. Et il est vrai que ces temps-ci, après leur curieuse aventure, Ralya a retrouvé la routine morbide et gloque qui planait sur le Port.

Quelques minutes plus tard, alors qu'il bourrait une pipe d'or et d'argent, recemment confisqué à un marchand du Sud, Ralya releva les yeux vers Eodroc.

"M'est d'avis que nous ne recroiserons pas Eleriol de si tôt... Cet oreilles-pointues porte une triste musique avec lui. Du moins c'est que tous nous pensons."

Il fit sortir les deux Gardes qui ne le lachaient plus d'une semelle.

"Il y a une semaine environ, cette rumeur vint à moi par le fleuve. J'envoya une patrouille d'une dizaine d'homme inspecter les rives. Il ne trouvèrent rien. Mais certains auraient aperçut une silhouette encampuchonée marchant lentement au rythme d'une complainte. Et s'il ne comprenaient pas les paroles, il reconnurent le parler des frères d'Eleriol."

Disant cela, Ralya ouvrit un tiroir et en sortit un paquet de feuille gribouillées.

"Voilà les rapports..."

Ralya capta un instant le regard étonné d'Eodroc.

"Oui, je me suis dit que le système de la garde n'était peut être pas si mal. Il faut bien vivre avec son temps." dit-il sur un presque boudeur.

Eodroc fut quelque peu déçu par la réaction de son vis-à-vis: ce dernier ne semblait guère disposé à donner de plus amples informations sur son sort au cours des derniers mois, après la fin de l'affaire des meurtres. Ralya semblait vouloir parler davantage de cet Elfe étrange et de sa venue à Albyor par le fleuve que de lui-même.

Toutefois, le frêle garde n'eut, tout compte fait, pas besoin de plus amples explications pour comprendre que les conditions d'existence du gardien du port étaient bien meilleurs que les propres siennes: commander une patrouille de dix hommes, voilà ce qu'Eodroc ne pouvait faire que dans ses rêves les plus profonds. Et les rapports, il en était plutôt l'expéditeur, et non le destinataire. Le destinataire, c'était Osbern.

Cependant, le pauvre sbire du Capitaine devait feindre de s'intéresser un minimum à cette histoire d'oreille-pointue avant d'espérer parler de choses plus intéressantes... et plus utiles.

"Un Elfe sous un manteau à capuchon qui marche près des rives du fleuve en chantant des complaintes. Vraiment? Et depuis une semaine, mon cher Ralya, vous n'en savez pas plus? Pas d'échanges de paroles avec ledit Elfe, pas de questions à lui poser? Le gardien du port serait-il si peu enclin à rencontrer de nouvelles oreilles-pointues qu'il mettrait de côté son devoir de protection des voies fluviales? Enfin... je vous comprends, moi non plus n'ait guère envie de retomber dans une satané aventure comme la dernière, même si cette fois je ne pourrais retomber plus bas."

Eleriol avait totalement supprimé tout soupçon de curiosité qu'Eodroc possédait jusqu'alors pour cette race peu recommandable. Il avait fait agir les acolytes comme des marionnettes, les contrôlant à sa guise et leur faisant connaître les pires ennuis. Le maigrelet ne prit pas même le temps de lire les rapports que lui tendait Ralya, il n'en avait cure, il en avait marre des Elfes!

"Je suis las de ces êtres étranges qui transportent le mal partout où ils vont. Si voulez vous frotter à lui, frottez-vous-y, mais soyez prudent. Quand je vous disait il y a instant que vous n'aviez rien fait pour en savoir plus sur cet individu, c'était seulement pour railler un peu, mais si vous voulez un véritable avis, je vous déconseille de tomber une deuxième fois dans un piège. Il y a mieux à faire que d'aller titiller un étranger... par exemple, savoir ce qui se passe en ce moment que le capitaine Osbern et les autorités tiennent pour secret."