Une corde pour un compagnon.

Dans la grotte du maître Ghorim, le feu n'était pas encore mort quand je suis rentré. Je sentais encore l'odeur du maître un peu partout, sa présence même. Mais il est bien mort ce matin, pendu comme un chien. Seul souvenir de lui, un bout de la corde qui l'a tué que je serrais fort dans ma main droite.

Les humains sont des monstres, ils tuent, c'est sale, ça sent mauvais, ils sont méchants les humains...

Du haut de la montagne j'observais les terres du Gondor et Minas Tirith la fabuleuse s'élançait dans le ciel luttant avec les nuages fins. Maître Ghorim aimait regarder ce beau spectacle. Maintenant je suis tout seul. J'ai peur, je tremble, je sue. J'aimerais pleurer, mais je n'y suis jamais arrivé depuis ma naissance. Que cela doit être bon de pleurer... Je ne veux plus rester seul. Ou aller ? Pourrais je trouver une famille qui me considérerait comme un être normal ? Mais je suis trop peureux pour suivre les aventuriers que je vois passer parfois sur les pentes des montagnes blanches. Personne ne voudrait d'un immonde petit monstre que je suis. Le vent sifflait dans les rochers, la douce mélodie résonnait dans la grotte du maïtre. Bientôt les pillards vont venir à la nuit tombée, pour prendre ces affaires pour les revendre ensuite. J'ai trop peur, et je suis trop lâche pour lutter contre eux...

" Joli vent chante encore pour moi s'il te plaît et masque les cris des loups et des hommes ... "

Malgré le vent, l'après midi était agréable. L'air était frais et pur, et le soleil brillait dans un ciel dépourvu de nuages. Les pentes des montagnes étaient à présent vertes et recouvertes de fleurs et d'herbe, seuls les pics les plus hauts refusaient encore et toujours d'abandonner leurs habits blancs.

Un cavalier solitaire s'avançait sur un chemin utilisé par les bergers et soldats du Gondor qui s'aventuraient souvent dans ces régions. L'homme avait des longs cheveux blancs, mais les traits de son visage et sa posture droite semblaient indiquer son âge tout au plus moyen. Il portait une vieille veste en cuir usée, par dessus d'une chemise noire. Des bottes sombres lui arrivaient aux genoux. Dans son dos était attachée une épée bâtarde de belle facture.

***

Forlong, car c'était en effet le capitaine du Nord en exil, avait choisi cet après-midi pour une excursion dans les Montagnes Blanches. Il voulait essayer son nouvel équipement, acheté récemment dans l'Antre des Ombres, mais aussi réfléchir...il avait besoin de passer du temps seul.

Lorsqu'il trouva l'endroit adéquat, il descendit de son cheval, et détacha une sacoche de la selle. Il en sortit cinq couteaux à lancer orientaux: des kunai, et deux gants cloutés.

Il choisit un arbre comme cible, et commença à s'entrainer au lancer aux couteaux. Les premiers résultats furent catastrophiques; seulement un des couteaux se planta dans le tronc, deux autres volèrent dans l'herbe, et les restants touchèrent l'arbre avec le manche.

-De cette façon je pourrai tout au plus assommer un adversaire, ou le déconcentrer...murmura t'il avec une grimace ironique.

Mais le dunadan ne se décourageait pas. Il continua ses exercices pendant une bonne vingtaine de minutes.
L'homme aux cheveux blancs prit en suite les gants cloutés, et les renfila.
Il resserra et desserra ses doigts quelques fois, puis prit en main son épée antique, Lunerill. Les gantelets étaient suffisamment légers pour ne pas le ralentir, et assez fins pour ne pas handicaper son maniement de l'épée. Satisfait du résultat, il fit plusieurs enchainements avec son épée, comme si il affrontait des ennemis imaginaires. Cela faisait longtemps qu'il ne s'était plus exercé de cette façon, et son dernier combat avait prouvé que son manque d'entrainement pouvait entrainer des conséquences tragiques. Sa blessure sur le dos et sa machoire gonflée lui faisaient encore mal de temps à autre.

***

Lorsque Forlong arrêta ses exercices pour reprendre le souffle, il crut entendre un bruit, et s'immobilisa. Il scruta les entourages d'un regard attentif, et remarqua ce qui pouvait être l'entrée d'une grotte. Etait ce une silhouette humaine qui venait de disparaître dans le noir?

Curieux mais méfiant, il dit d'une voix forte:

-Vous pouvez sortir, quiconque vous êtes...je ne vais pas vous faire mal!

Le dunadan baissa son épée, en signe d'intentions pacifistes, mais était prêt à la relever au moindre signe de danger.

Des bruits. L'odeur d'un cheval en effort parvient à mes narines ultra sensibles. Celui ci a sûrement parcouru une très longue distance. Mais dans ces terres, pas de chevaux sans cavaliers. Dans un frisson je préférais rester bien caché dans la grotte. Horrifié, j'apercevais que le feu crépitait assez fort pour que l'individu étranger me remarque. Dans ma précipitation pour éteindre le feu, je trébuchais sur le gros caillou qui servait à tailler les armes de Maître Ghorim.

Mais quel idiot mais quel abruti je suis ! sifflais je en colère contre moi même.

En me rendant compte de ma bêtise je mettais mes mains contre ma bouche pour qu'elle ne fasse plus de bruit. Après de longues minutes, le stress est si fort que j'hésitais entre rester terré dans mon trou, ou de m'enfuir en hurlant comme une bête sauvage. Je prenais mon courage à demain, et décidait de sortir la tête de la grotte très lentement...

Ca y est j'en étais sûr, s'en était fini de moi. Un humain aux longs cheveux blancs armé jusqu'aux dents, une énorme épée, des couteaux aiguisés... Je pensais avoir affaire à un brigand tout au plus, mais en l'observant mieux son épée, ce devait être bien + que ça. Je le voyais entrain d'écorcher le grand arbre ou maître ghorim aimait faire la sieste sous ses branches. J'étais dans une colère effroyable, mais pas assez pour courir vers le grand homme.

Tout seul dans ma grotte je pestais contre le cavalier

maudit rôdeur, sale humain puant, maltraiteur, assassin... Sale PORC !

Trop fort. Je parlais beaucoup trop fort ! mais quel idiot ! De plus, l'homme semblait s'être arrêté dans son exercice du mal, et se retourna vers l'entrée de la grotte, la main prête à dégainé son épée.

il dit d'une voix forte:

-Vous pouvez sortir, quiconque vous êtes...je ne vais pas vous faire mal!


J'hésitais. Que faire ? c'était foutu pour ma peau, il allait me tuer c'était certain... Dans un élan de peur et de folie je me précipitais vers lui, les mains devant les yeux en criant :

LAISSEZ MOI TRANQUILLE ! LAISSEZ KORREVUD ! LAISSEZ L'ARBRE DU VIEUX MAITRE MAIS NE ME TUEZ PAS !


Je me figeais comme un piquet tremblant devant lui, tout en gardant les mains devant les yeux. Mes dents claquaient, j'attendais sans comprendre qu'il porte le coup fatal. Mais celui ci n'en fit rien...

Hecbert était le responsable du cimetière de Minas Tirith. Non pas celui de Rath Dìnen, la Rue du Silence, réservé aux Rois et aux Surintendants de Gondor, mais le cimetière secondaire, plus modeste, moins somptueux, qui accueille généralement les dépouilles des trépassés parmi la population. Ce cimetière-ci se trouvait en-dehors de la Cité et, à la différence de l'autre, les corps étaient placés dans des bières et enfouis dans la terre, et non embaumés dans de la pierre ou du marbre.

Cet homme d'une quarantaine d'années ne quittait presque jamais les alentours de Minas Tirith, se contentant d'aller, au maximum, à trois milles de la Grande Porte, dans l'endroit peu usité où se trouvait son lieu de travail. Mais aujourd'hui faisait exception à la règle: il était venu dans cette petite forêt sur les pentes des Ered Nimrais, en compagnie du chef bûcheron de Minas Tirith, afin de régler quelques détails...

Ils se trouvaient tout de même à plusieurs centaines de mètres de la caverne de Korevudd, et ils parlaient assez bas, si bien que ni l'albinos ni l'ancien capitaine ne les avaient entendu.

"Tes gars, disait Hecbert, refourguent toujours du noisetier, ou je ne sais quelle autre merde, au fabriquant que je paie pour la confection des cercueils. Or tu sais très bien ce qui arrive avec ce genre de bois: l'humidité les attaque, la terre les pourrit... Bref ils tombent en lambeaux au bout de quelques semaines. J'ai bien vu, la milice en a exhumé un voilà quelques jours, pour une affaire de meurtre ou je ne sais quoi. L'était pas enterré depuis bien longtemps le pauvre, mais l'état du bois était bien pire que celui de la chair. Ce qu'il me faut, c'est du cèdre, du chêne, du pin. Bon, pour le pin j'avoue qu'ici c'est un peu compromis, mais regarde donc tous ces cèdres! C'est dans cette forêt que tes bûcherons devront aller pour mon bois, pas dans. . ."

L'homme se tut tout à coup. Ils venaient d'entendre très clairement des paroles hurlées à plein gosier, un peu plus loin:

"LAISSEZ MOI TRANQUILLE ! LAISSEZ KORREVUD ! LAISSEZ L'ARBRE DU VIEUX MAITRE MAIS NE ME TUEZ PAS !"

Quelqu'un était en train de se faire agresser, apparemment. Les deux compères se précipitèrent dans la direction des cris, le bûcheron ayant détaché de sa ceinture une petite hachette qu'il conservait toujours sur lui pour entailler le bois et se rendre compte de sa solidité. Ils arrivèrent en vue d'une grotte quelque instants plus tard, et furent témoin d'une scène peu commune: un homme à l'allure étrange demandait grâce à une espèce de rôdeur aux cheveux blancs, armé de pied en cape. Pourtant, le guerrier ne semblait pas avoir de mauvaises intentions.

"Que se passe-t-il ici ?" demanda Hecbert, intérieurement un peu tremblant.

J'attendais le coup d'épée sur ma tête. Mais toujours rien. j'écartais un doigt pour voir si le rôdeur était toujours là. Il me fixait d'une drôle de façon, à la fois surpris et sûrement horrifié pour ma vilaine tête ! Les humains sont cruels, ils détestent les mauvaises gens différents d'eux, c'est la mort qui m'attendais, mais pas avant de longues souffrances sûrement. Je pensais que
mon cas était déjà d'une grande gravité, mais les choses allaient empirées.

Deux ! Deux autres hommes arrivaient en toute hâte ! Trois hommes c'est beaucoup trop pour mon coeur. Je faillis tourné de l'oeil en remarquant la hache que portait l'un deux. J'étais cerné, nul endroit ou se cacher, aucun moyen de fuir. Cependant l'homme barbu et son ami ne semblaient pas être des brigands. Après quelques secondes d'hésitations je me précipitais vers mon possible sauveur. Tombant à terre Je m'accroche à ses jambes en sanglotant :

" Mon seigneur ayez pitié de moi ! ayez pitié de ma faiblesse je ne suis qu'un pauvre Korrevud qui n'a plus rien ! Sauvez moi de cet immonde brigand ! il s'en prends au vieil arbre de maïtre Ghorim il n'a pas le droit ! Il veut me tuer sauvez moi ! "

Le vent ne chantait plus pour moi, c'était comme si les ténèbres avaient envahis la montagne.

" Quelle triste fin pour Korrevud, je n'étais pas grand chose, je ne suis plus rien à présent... "

Le visage de Forlong était demeuré calme, et il ne recula pas lorsque le jeune homme s'élança dans sa direction; cependant ses muscles étaient tendus et il était prêt à agir à chaque moment.

Malgré son calme apparent, le dunadan était surpris par le comportement de Korevudd. Etait il ivre? Fou? Il racontait quelque chose sur l'arbre...il semblait se désigner à la troisième personne du singulier. L'homme aux cheveux blancs s'apprêtait à essayer de calmer la situation, lorsqu'une voix se fît entendre derrière eux. Forlong se retourna avec une rapidité surprenante, et se mit en position de combat. Ses jambes étaient légèrement écartées et pliées, il tenait son épée à deux mains, au niveau de sa taille. Ses réflexes, acquis au cours des longues années de combat, avaient prit contrôle de son corps. Sa respiration était calme, ses battements de coeur réguliers, ses muscles tendus. Il regardait autour de lui, analysant tout avec un esprit calme et froid.

Deux hommes...l'un est armé d'une hachette, l'autre peut tout au plus dissimuler un poignard. Et le troisième, l'hystérique. Il pouvait les tuer dans l'espace d'une minute. Son épée bâtarde, Lunerill, lui donnait un avantage
énorme sur ses adversaires potentiels. Mais...ils étaient probablement innocents. Pendant toutes ces années, il n'avait jamais tué un homme innocent...c'était la dernière chose qui le séparait de la folie...mais que faire? Son apparence n'inspirait pas confiance c'était vrai, et si ces hommes les amenaient devant la milice...son apparence caractéristique serait vite assimilée au combat contre les assassins dans les rues de la Cité Blanche...il irait en prison, ou pire. Car son nouveau métier d'agent de l'Arbre Blanc était connu seulement par deux hommes...

Toutes ces pensées traversèrent son esprit dans l'espace de quelques secondes. Voyant que l'attention des deux hommes était tournée vers le garçon histérique, qui avait attrapé la jambe d'un d'eux, Forlong baissa son épée, et sortit une gourde en cuir, remplie de vin.

Il dit, d'une voix calme:

-Messieurs...c'est un malentendu. Je suis un simple voyageur, et je n'avais aucune intention de faire du mal à ce jeune homme...mais j'avoue que mon apparence peut s'avérer terrifiante.

Un sourire ironique apparut sur ses lèvres, et il leva la gourde.

-C'est du bon vin de la vallée de Ringlo. Parfait pour un peu calmer l'atmosphère...

Il but une gorgée, pour prouver que la boisson n'était pas empoisonnée, et la tendit en un geste amical dans la direction des trois hommes.

Une foule d'interrogations se propagèrent sous le crâne luisant d'Hecbert... Qui était l'homme au physique et au comportement troublant agenouillé à ses pieds? Son odeur corporelle laissait présager des choses bien plus dégoûtante qu'un simple manque d'hygiène, mais ne renseignait en aucun cas le responsable des maisons des morts. Pourquoi une impression de déjà-vu s'emparait de lui lorsqu'il posait les yeux sur ce vagabond aux cheveux blancs? Enfin, comment ces deux hommes s'étaient retrouvés ici face à face, l'un croyant à sa mort prochaine et l'autre ne comprenant pas tout ce cinéma?

Car Hecbert avait deviné - ou plutôt était-ce un pressentiment inexplicable - que cet homme rustre n'était, en dépit de son apparence peu avenante, pas mauvais. Derrière un masque repoussant se cache parfois la beauté, dit-on, ou, comme l'avait jadis rappelé Elessar après son couronnement, tout ce qui est or ne brille pas. Pourtant, n'aurait été la preuve que le vin n'était pas empoisonné, qu'il ne l'aurait point goûté... Mais puisque le rôdeur en but quelques gorgées devant eux, les deux comparses de Minas Tirith en burent également, Hecbert par politesse, le bûcheron par goût...

Ce fut le barbu qui répondit à Forlong:

"Il est vrai, sans vouloir être offensant, que votre apparence ne joue sans doute pas en votre faveur. Mais est bon qui fait bien, et si vous aviez voulu la mort de ce jeune homme, je crois qu'il serait déjà parti pour l'au-delà. J'en conclus donc que nous ne risquons rien nous non plus."

Regardant Korevudd avec pitié plutôt qu'avec répugnance, Hecbert tenta hasardeusement de le rassurer pour le faire revenir au calme:

"Vous ne risquez plus rien, à mon avis, mon garçon. Et nous dirons à cet homme de ne plus toucher à l'arbre auquel vous tenez, si cela peut vous rassurer. Vous pouvez lâcher ma jambe, d'ailleurs je vous aurais été d'un piètre secours en cas de danger."

C'était bien vrai: le petit canif dans la poche de sa veste aurait fait rire l'ancien capitaine aux éclats, et la hachette du bûcheron n'aurait guère fait mieux...

"Je me nomme Hecbert, déclara-t-il pour combler le silence gênant qui s'était installé, et je m'occupe, dans la Cité Blanche, du cimetière populaire. Voici Brenan, le chef bûcheron avec qui je collabore parfois. . ."

"Et le chef bûcheron va se retirer, vociféra l'intéressé d'un ton bourru, car j'ai du pain sur la planche, ou plutôt du bois sur le tréteau. Viens Hec', on s'en va."

"Eh bien vas-y-donc, vieille branche! Je reste un moment. Midi chez toi, on boira un autre coup !"

Et le forestier quitta les lieux sans autre forme d'adieu. Si Hecbert restait, c'était surtout pour en savoir un peu plus sur ces deux personnages atypiques; en vérité, il adorait connaître tout sur tout, et ne supportait pas de rester dans une forme d'ignorance, même sur des sujets ou des personnes ne le concernant que de très... très loin.

"Et vous autres, qui. . . êtes-vous exactement ?"

Les trois hommes semblaient sympathiser.

"Vous ne risquez plus rien, à mon avis, mon garçon. Et nous dirons à cet homme de ne plus toucher à l'arbre auquel vous tenez, si cela peut vous rassurer. Vous pouvez lâcher ma jambe, d'ailleurs je vous aurais été d'un piètre secours en cas de danger."

Les paroles du nommé " Hecbert " semblaient justes et honnêtes mais peut on vraiment faire confiance à un inconnu qui en plus viendrait de la cité de Minas Tirith ? Il dit s'occuper d'un cimetière, un homme de cette responsabilité doit il avoir une arme sur lui ? je ne pouvais me défendre en cas d'attaque surprise. Au bout d'un moment sans trop comprendre pourquoi, l'un deux retourna à ses occupations. Ils n'étaient plus que deux, à déguster un breuvage rouge très étrange... serait ce du sang ?? Un rituel des hommes des villes ? Tout cela commençait sérieusement à m'inquiéter. Plongé dans mes pensées, je sursautais aux dernières paroles du grand chauve :

" Et vous autres, qui. . . êtes-vous exactement ? "

Cette question qui pouvait paraitre toute bête, semait le trouble dans mon esprit... et je tardais pas à me retourner la question

qui suis je exactement ? devais dire à des inconnus que j'ai été abandonné à l'âge de trois ans, et que je devais survivre en pleine nature toute ma vie, à chasser des animaux, tuer d'horribles créatures sauvages ou orcs pour survivre, que suite à une injustice mon maitre a été pendu et que je me retrouve seul à présent ?...

Alors que j'étais complètement dans ma bulle, ce n'était qu'au bout de quelques secondes que j'ai remarqué que j'avais prononcé toute ces pensées à voix haute. Les deux hommes me regardaient avec de grands yeux surpris et captivés. Que pensaient ils ?

j'avais raconté ma vie à une vitesse affolante, sans marquer de pause, je devais passer pour un fou. et tout cela sans m'en rendre compte.

Il faut que j'essaye de fuir. vite.

Le contenu de la réponse de Korevudd était aussi étonnant que la manière dont il l'avait formulée. C'était comme s'il venait de se parler à lui-même, révélant par mégarde des choses qu'il n'aurait pas voulu exprimer de son plein gré. Et Hecbert comprenait très bien pourquoi le pâle jeune homme paraissait terrifié par ce qu'il venait de dire... Une existence aussi étrange et insolite que son physique, à tous points de vue. Le responsable du cimetière ne put retenir une moue de dégoût à la mention des Orques: dans sa misère, ce drôle de bonhomme avait-il été contraint de consommer la chair immonde de ces créatures?

Mais une chose l'intéressait plus que toute autre: ce prétendu maître tué par pendaison suite à une injustice... Hecbert avait entendu il y avait quelques jours, d'une oreille distraite, une histoire similaire. Un vieil homme condamné à la peine capitale pour avoir dérobé il ne savait plus quoi; l'histoire avait fait bien des remous dans la cité, mais le pragmatique responsable ne s'y était pas plus intéressé que cela, préférant ne pas prendre parti, rester neutre.

"Je sens en vous une grande peur, toutefois je pense que c'est une bonne chose d'avoir révélé la vérité. Hélas, je suis désolé pour votre compagnon, mais, si je n'y connais assez bien dans les contentieux touchant au domaine nécrologique, je ne suis pas expert dans la justice en général. Aussi ne puis-je pas juger d'une affaire dont je ne connais pas même tous les détails. Cependant, il est vrai que les personnages d'importance ont beaucoup d'influence en ville."

En son for intérieur, il savait également que les différences entre les individus étaient mal tolérées par certaines personnes... et si ce "maître" ressemblait en quelque façon à cet albinos, son apparence n'avait sûrement pas joué en sa faveur. Mais cela, il préféra ne pas le dire à haute voix, enchaînant plutôt sur une autre question - le rôdeur armé, lui, s'était pour l'instant contenté d'écouter sans mot dire.

"Mais que comptez-vous faire maintenant que vous vous retrouvez seul ? Allez-vous rester à jamais dans cette grotte, isolé du monde ?"

Il lui aurait bien demandé aussi son nom, mais il sentait qu'il ne fallait pas trop demander à la fois à cet esprit fragile.

Forlong fut heureux de découvrir que la tension commençait à disparaître peu à peu, et que les deux hommes n'allaient pas essayer quoi que ce soit...d'ailleurs un d'eux partit aussitôt, et le dunadan aux cheveux blancs commença à se demander si cela n'allait pas être la fin de cet incident étrange.
Mais non...il tendit ses muscles malgré lui en entendant la question de Hecbert; que répondre? devait il dévoiler son identité du Spectre du Bas de la Cité, du justicier anonyme, du Loup Blanc? Ou devait il mentir? Il ne comptait surtout pas dévoiler son passé en tant que capitaine de l'Arnor ni ses contacts actuels avec Gilgamesh, chef des services secrets de l'Arbre Blanc. Il ne lui restait qu'à inventer une histoire de vagabond ou mercenaire, qu'il fut d'ailleurs il y a longtemps.

Cependant le dénommé Korevudd le sauva en quelque sorte...Son monologue étrange prit toute l'attention du responsable du cimetière.
Il soupira, attristé autant qu'étonné par l'histoire du garçon. Lorsqu'il prit la parole, sa voix était douce et calme:

-Je m'excuse pour la façon dont j'ai traité l'arbre...je ne savais pas qu'il s'agissait d'un monument en la mémoire de votre compagnon décédé...Vous avez ma compassion, même si elle ne vaut rien pour vous. La tristesse et le désespoir sont les seuls compagnons de l'homme qui ne le quittent jamais...je le sais mieux que quiconque. Votre ami a peut être été jugé injustement; mais je suis sûr qu'il retrouvera le bonheur sur les plaines vertes du Valinor.

Forlong pensait à ses propres pertes et déceptions, aux cinq années de douleur et désespoir étouffés...Le maitre de Korevudd n'était peut être pas tout à fait innocent, mais il ne méritait probablement pas la mort non plus...oh, le dunadan savait à quel point le peuple de la Cité Blanche pouvait être injuste. Lui, qui avait passé cinq ans à combattre les criminels du Bas de la Cité, était redouté par le peuple, pourchassé par la milice, et considéré en tant que spectre et tueur...

La question de Hecbert adressée au garçon l'arracha de ses pensées. Il y ajouta:

-La solitude est le pire ennemi de l'homme...elle sait comment attaquer par derrière, comment détruire un homme lorsqu'il s'y attend le moins, lorsqu'il est faible...

"Mais que comptez-vous faire maintenant que vous vous retrouvez seul ? Allez-vous rester à jamais dans cette grotte, isolé du monde ?"

" La solitude est le pire ennemi de l'homme...elle sait comment attaquer par derrière, comment détruire un homme lorsqu'il s'y attend le moins, lorsqu'il est faible... "


Les paroles des humains résonnaient dans ma tête. Qu'avaient ils tous donc de s'apitoyer sur mon sort de la sorte ? J'étais habitué à des comportements plus sauvages à force de rester dans ces terres hostiles. Hecbert avait ajoutée l'hypothèse de sortir de cette grotte et d'aller voir le monde. Cette idée me faisait vraiment froid dans le dos, depuis que je vivais avec le vieux maître j'avais pris l'habitude de ne jamais quitter cette terre sacrée. Sortir d'ici ? jamais. Il est bien plus en sureté ici, j'en suis certain. Un lourd secret qui me ronge l'estomac pourtant me pousse à m'en aller d'ici, trop de démons et d'esprits furieux vivaient dans cette montagne et dans ma tête. C'était tellement insupportable que je ne pouvais retenir mes mots :

" Je ne peux pas !! je ne veux pas.. Korrevud est tout seul et il restera toujours tout seul, j'ai peur j'ai très peur... les hommes me veulent du mal, si korrevud sort de la grotte il va mourir, les hommes vont le tuer.. j'ai fais de grosses bêtises oui oui de grosses bêtises... Le maître m'apportait toujours à manger, du pain, parfois même des fruits... Un jour pour m'emmener voir la ville il m'a caché dans un vieux sac en toile et il m'a porté pendant le trajet. J'y ai vu des choses magnifiques, des fruits énormes et de la bonne viande fraiche et juteuse.. korrevud aime la viande et les fruits korrevud ne sait pas se retenir quand il voit de belles choses à manger... "

Je commençais à pleurer, la suite du récit m'était presque insoutenable à raconter...

" Korrevud a été méchant, korrevud a volé les beaux fruits... Je pensais que personne ne se rendrait compte de quelques fruits en moins... Nous sommes rentrés à la grotte, et le lendemain matin, les hommes sont allés le chercher pour le pendre !... Korrevud est resté caché, korrevud est un lâche et un voleur.. Il a été accusé à ma place, parce que les gens le trouvait bizarre mais le maitre ghorim était gentil... "

Au fur et à mesure de mon récit je m'approchais du bord de la falaise comme envouté par le vide... c'était insupportable.

Selon Hecbert, le jeune homme - dont il ne connaissait d'ailleurs pas encore le nom - avait un réel problème. La société Gondorienne, et les autres personnes en général, semblaient l'inquiéter, voire l'effrayer carrément. Certes, avoir été abandonné à l'âge de trois ans, recueilli par un vieil ermite, et passé sa vie dans un lieu aussi peu foulé, n'avait sans doute pas aidé à son intégration. Et la justice des Hommes n'avait rien arrangé non plus... Hecbert le comprenait bien.

"Mais, dit-il, les hommes ne vous veulent pas du mal, il n'y a aucun danger à les approcher. Ils ne sont pas tous comme vous les imaginez, et, si on trouve effectivement des gens bien sinistres, d'autres sont plus abordables, plus gentils. Regardez, nous sommes deux et pourrions vous tuer, comme vous dites. Et ce sans aucun problème, m'est avis. Mais pourquoi le ferions-nous? Que nous avez-vous fait de mal ? Rien."

Tandis qu'il essayait de consoler le jeune Korevudd, une idée avait germé dans l'esprit du responsable des tombes: et s'il réussissait à faire venir cet apeuré à Minas Tirith, afin qu'il travaille pour lui en échange d'un salaire très modeste. D'une part, cet étrange individu ne devait pas avoir une idée très précise concernant l'argent et sa valeur; d'autre part, ses besoins pour survivre ne semblaient pas très coûteux. Enfin, il n'est pas nécessaire d'être beau ni attrayant, ni propre, pour travailler au fond d'un cimetière...

"Dites-moi mon cher. . . Pourquoi craignez-vous tant ceux que vous avez volé ? S'il ne s'agit que de quelques fruits, j'ai connu plus grave. Et en plus, d'après vos dire, personne ne vous a vu. Voler pour se nourrir est pardonnable. Et se cacher pour se protéger est naturel, vous n'êtes pas plus lâche qu'un autre. J'ai envie de vous venir en aide, et j'aimerais bien que vous veniez avec moi, dans la cité blanche, où je peux vous proposer un métier tranquille et à l'abri des regards, sans personne pour vous embêter. Mais je ne vous forcerai pas. N'oubliez pas, toutefois, que je sais à présent qui a commis l'acte pour lequel un innocent a été pendu. . . et que je connais aussi l'endroit de cette grotte."

Jetant un bref regard en direction de l'homme aux cheveux longs pour voir si leur discussion l'intéressait en aucune façon, Hecbert porta de nouveau ses yeux vers l'albinos.

"Et par pitié, éloignez-vous de ce précipice !"

Forlong éprouvait des sentiments mixtes envers ce garçon...son attitude l'irritait; les sanglots continus, les explosions d'hystérie imprévisibles, sa façon de parler étrange...Mais d'un autre côté il ressentait de la pitié envers le jeune homme et souhaitait l'aider.

Le monologue de Korevudd le plongea dans une réflexion profonde...quelle cruauté du sort, ce garçon était donc en partie responsable de la mort du seul être qu'il respectait et aimait..mais pouvait on lui en vouloir, de suivre les réflexes animaux qui étaient caractéristiques à chaque être humain avant que la société ne lui apprenne à distinguer le bien du mal, le juste de l'injuste? Et n'était ce pas ironique que cette même société lui avait montré ce qu'il y avait de pire dans la nature humaine, et s'était débarrassé de l'homme qui guidait le garçon vers l'humanité et la bonté? Le monde était tellement injuste...

Ce dont avait besoin Korevudd en ce moment était la compagnie d'un homme patient et calme qui pourrait lui apprendre à vivre parmi d'autres...car rester dans cette cave ne pouvait avoir que deux résultats. Une folie complète et un retour à l'état animal, ou la mort des mains du petit peuple cruel...

Tout en pensant à cette triste vérité, Forlong s'approchait doucement du précipice, sur une trajectoire qui coupait le chemin du jeune garçon. Il ne manquait plus qu'un suicide de Korevudd pour mettre fin à cette tragédie pathétique. Attraper l'albinos ne poserait aucun problème au dunadan, il était plus fort et probablement plus habile que lui.

Hecbert prit la parole à nouveau, et Forlong l'écouta avec curiosité. Cet homme lui plaisait assez; il semblait relativement honnête et voulait apparemment aider le garçon. Cependant il entendit une fausse note dans les paroles du responsable du cimetière...quelle était son vrai but? Exploiter le jeune homme? Du moment qu'il l'aide à s'intégrer, Forlong n'avait rien contre le fait que Korevudd doive travailler. Mais ce qui ne lui plaisait guère était la forme de chantage voilé qu'avait employé Hecbert.

Lorsque ce dernier jeta un regard à l'homme aux cheveux blancs, Forlong regarda froidement dans ses yeux; un regard d'avertissement calme, mais ferme.

Il hésitait même à prendre le jeune homme sous sa propre tutelle, comme il l'avait fait autrefois avec son fidèle écuyer Bannor...mais non. Il devait rester solitaire, son nouvel emploi lui demander d'accomplir des missions discrètes et dangereuses. Korevudd l'empêcherait de les réussir par son attitude étrange, et savait probablement pas tenir un secret.

Ainsi il devait faire confiance à Hecbert...il dit enfin:

-Si vous restez dans cette grotte, vous ne survivrez pas l'hiver...et encore, si des bandits ne viendront pas vous dérober et vous tuer avant. C'est ici, dans les montagnes, que vivent les loups vêtus de peaux humaines. Dans la Cité vous pourrez trouver la bonté et le bienêtre, si vous restez avec les hommes adéquats...

Cette dernière phrase était à moitié un mensonge; la Cité n'était pas un endroit si accueillant et bon que ca, mais que choix avait il? Affronter les difficultés d'adaptation à la civilisation, ou mourir comme un animal dans cette grotte perdue...