Le Maître des clefs

Laurelin, rassuré par l' arrivée du détachement d' Arnor et du solide Sergent Ganord pour aider le Capitaine Forlong à maintenir le calme en Comté avait finalement décidé de reprendre son voyage, non sans passer une dernière fois chez Olo Gamwish, son ami Hobbit pour lui dire au revoir.
Il avait chevauché promptement et suivait à présent le long estuaire de Lhûn et impressionné par les lieux qui n' avaient rien perdus de leurs beautés, il contemplait les havres où il comptait rencontrer le Maîtres des lieux.
A son arrivée, ses narines s' emplirent des fraiches et douces effluves de la mer, douces senteurs qui rassuraient son coeur d' elfe autant qu' elles le troublaient. Beaucoup de ses semblables ( trop à son gout ) avaient cédés à l' appel de la mer et avaient quittés ces terres pour entamer le long voyage jusqu' à Aman, la terre bénie ...
Laurelin descendit de son cheval et fût frappé par le calme des lieux. La dernière fois qu' il était venu aux Havres, les quais du port étaient encombrés de monde mais aujourd' hui, un silence religieux, à peine dérangé par le bruit des vagues s' échouant sur le rivage, s' était emparé des lieux.
Il s' éloigna un peu et tout en respirant à plein poumons, se dirigea vers une petite plage à l' écart. Il s' avança doucement vers les flots et plongea ses mains dans les eaux qu' il laissa ainsi, le temps d' adresser ses voeux aux Valar, puis il les retira et s' aspergea le visage avant de se reculer et se coucher sur le sable chaud, méditant comme il le faisait souvent, bien des années auparavant alors qu' il était un tout jeune elfe.
Après un long moment, il se releva pour emprunter l' étroit chemin qui le mènerait vers celui qu' il désirait voir, toujours sans rencontrer âme qui vive.
Arrivé au bas du grand escalier qui menait aux appartements, il aperçut sur la dernière marche, un grand elfe drapé d' une longue cape rouge lui faisant un léger signe de la main, l' invitant à monter ...
Le Maître des Havres Gris, Le Maître des clefs des trois tours d' Emyn Beraid ...

L'elfe resta immobile, les mains croisées, en regardant monter Laurelin. Ses cheveux, d'un blanc poivré, n'attestaient pas de son âge. Portant, il était vieux, très vieux. Il avait connu Arda en même temps que Cirdan, avait foulé la terre avec lui pour s'installer finalement aux Havres Gris. Il l'avait assisté dans sa tâche pour finalement le remplacer lorsque le Charpentier prit la direction d'Aman sur un bateau qu'il avait lui-même confectionné.

Lorsque le nouveau seigneur d'Elostirion se fut suffisamment rapproché, le Maître le prit par les épaules et plongea ses yeux verts dans ceux bleus de Laurelin. Il resta quelques secondes sans bouger, un sourire esquissé sur les lèvres. Il se détourna finalement et ouvrit d'une main le battant d'une porte de bois qui s'ouvrit sans un grincement :

"C'est un plaisir de vous revoir mon vieil ami. Mais inutile d'être un mage pour voir que vous avez fait un long voyage et surmonté de nombreuses épreuves depuis notre dernière rencontre. Une collation vous attend à l'intérieur."

Le hall de la demeure était typiquement elfique. Les murs décorés de bas reliefs végétaux tout en courbe s'élevaient en une élégante voute cannelée, et le sol était d'un pavement immaculé. Les deux elfes longèrent l'antichambre et parvinrent dans une petite salle à manger. Au centre, une table en if entourée de deux chaises. Posés sur cette table, des fruits, du lembas et une eau cristalline. Le maître fit signe à L'aurelin avant d'en faire autant. Il se servit de l'eau, but une gorgée et commença :

"Oui, cela fait bien longtemps qu'on ne s'était vu. Je ne t'ai pas vu depuis que tes parents sont partis... même avant d'ailleurs. C'étaient de grands amis parmi mes amis, et sache que je te prête la même estime. racont-emoi tes périples depuis notre dernière entrevue. As-tu revu Silvirien, la fille des Elmmirë?"

Le maître but une gorgée d'eau, sans détacher des yeux son invité.

//j'ai édité ton post : j'ai remplacé cape noire par cape rouge comme je trouvais pas d'avatars adéquats. Désolé...//

Les yeux de l' elfe restèrent rivés quelques instants sur le pavement immaculé qui lui renvoyait son image à peine altérée, avant que les dalles ne se trouble doucement pour laisser place au visage de son père Anilië, assis à cette même place, sa mère se trouvait sur un siège à côté et Laurelin, plus jeune, se tenait debout, juste derrière, bien des années auparavant ...

- C' est pour nous un honneur mais également un grand plaisir d' oeuver, sous votre tutelle, pour le bien de notre peuple et celui des peuples libres, avait dit Anilië ... Mais notre décision est prise, ma très chère Venestë et moi même prendrons la mer sur le prochain vaisseau pour quitter ces terres biens aimées ...

Il s' était alors levé et avait pris Laurelin par les épaules.

- Notre fils doit à présent seul trouver sa voie, celle du mérite et du courage ! Nous l' espérons ardemment, avait-il déclaré.

Soudain, l' image se brouilla et le souvenir s' effaça, le pavement ne renvoyant plus que les yeux de Laurelin qui les releva lentement vers le Maitre.

- Cela fût une grande chance pour notre famille que de vous compter pendant un si grand nombre d' années parmi ses amis et un immense privilège pour moi que cet honneur perdure après le départ de mes parents.

Laurelin se leva alors pour s' incliner puis se saisit de son verre, le but d' un trait avant d' entamer le récit de ses dernières mésaventures. Il s' était levé et remis assis plusieurs fois au cours du compte rendu, faisant les cents pas autour de la pièce, ne cachant rien de ses moments de peurs et de doutes au cours des batailles et surtout sa tristesse de voir les elfes tomber au combat ainsi que ses craintes pour l' avenir de la terre du milieu suite aux derniers évènements, mais aussi de ses moments de joie :

- Et par un heureux hasard, je l' ai trouvée en forêt noire !! Figurez vous cher Maitre qu' elle est Elnaith d' une grande Maison de Gar Thulion ! Respectée et appréciée de tous mais aussi crainte de ses ennemis car c' est une guerrière redoutable ! Cela ne m' étonne nullement car je savais qu' elle trouverait sa voie, c' est une juste récompense pour la famille Elemmirë ...
Elle est probablement la plus belle Elnaith qu' il m' ait été donné de voir mais ... Je puis vous assurer qu' elle tiens de son père : Il ne fait pas bon se trouver sur son chemin lorsqu' elle est en colère !!

Et, s' asseyant pour la enieme fois, il ne pût s' empêcher de rire ...

Le maître accepta le compliment de Laurelin d'un hochement de tête, puis écouta son récit sans le couper. Seules ses yeux, qui suivaient les allers-venues de l'elfe, et son bras droit, qui portait de temps à autre le verre à ses lèvres, bougeaient. Lorsque le seigneur d'Elostirion eut fini son récit en parlant de Silvirien, le Maître partagea son rire d'un sourire nostalgique. Sans doute n'avait-il pas entendu ce son depuis longtemps. Il déclara d'une voix douce :

"Comme je m'en doutais, voc pas t'on conduit à de nombreux endroits d'Arda, et les épreuves qui se sont posées devant vous, vous les avez toutes surmontées. Mais elles ne sont pas finies..."

Il s'arrêta, puis reprit sur le ton de la conversation :

"J'avais appris qu'on nouveau seigneur avait été nommé, mais j'ignorais jusqu'alors que c'était vous. toutes mes félicitations, vous méritez amplement cette marque de confiance. Car c'est cela, en fait : une marque de confiance, rien d'autre, dont il faut savoir se montrer digne. Toutefois cela ne devrait pas vous poser de problèmes."

A nouveau une pause, puis :

"Je suis heureux pour Silvirien, elle aussi mérite ce poste. Mais décidément, on ne vous sépare pas si facilement..."

Il partit dans un rire posé mais franc, puis, après s'être éclairci la voix, continua :

"Alors, Seigneur, maintenant qu'Elostirion est vôtre, que comptez-vous faire?"

Les petits rides qui sillonnaient le visage du Maitre des lieux s' étaient soudainement estompées lorsque son rire raisonna dans la pièce, l' éclat de ses yeux vert s' était soudain renforcé, luisant comme deux joyaux dont la lumière vous transperce de part en part.
Laurelin se leva à nouveau et se dirigea vers la fenêtre regardant au loin l' écume de la mer, s' attardant l' espace d' une minute à écouter le chant rassurant des mouettes blanches, qui volaient, libres, au gré du vent.
Il lui sembla soudain voir apparaitre sur une grande vague qui déroulait ses eaux vers le rivage, le visage du Capitaine Lamenór ...

- Le père de Silivrien à sauvé le mien et si Anilië, mon père, profite de la lumière de la terre bénie aujourd' hui, c' est aux Elemmirë que nous le devons ... Il est étrange que mes pas se soit dirigés en forêt noire à point nommé pour combattre aux côté de Silivrien ... Je ne saurait dire pour quel raison les destins de nos deux familles sont ainsi liés ... Mon coeur me dit qu' il ne sagit peut être pas du simple fait du hasard ...

La vague où le visage du père de l' elnaith de la maison de l' arbre était apparu finit par s' échouer sur la plage disparaissant subitement en une gerbe d' éclaboussure. Laurelin détourna son regard et revint s' asseoir à nouveau en face du Maitre des Havres. Il but une gorgée d' eau avant de continuer :

- Les collines d' Emyn Beraid sont de tout temps restées un endroit sûr pour les elfes. Même durant la guerre de l' anneau, Elostirion et ses deux soeurs jumelles ont été épargnées ... Plaisent aux Valar qu' il en soit ainsi pour de longues années encore !

Laurelin marqua une pause avant de reprendre :

- Je vous remercie sincèrement de la confiance que vous m' accordez, l' estime que vous me portez ne saurait souffrir du moindre relâchement de ma part et rien ne me serais plus pénible que de vous décevoir ... Bien que la tâche soit lourde, je tenterais de m' en montrer digne.

Il s' inclina devant le Maitre et enchaina :

- Aujourd' hui, alors que les ailes du mal cherchent à se déployer à nouveau sur la terre du milieu et avec votre permission, j' aimerais que les portes des trois tours blanches s' ouvrent grandes et que ce lieu devienne un refuge pour tous ceux des peuples libres qui combattent les forces ténèbreuses.
Qu' ils y trouvent acceuil et protection, qu' ils s' y ressources le temps nécessaire à la guérison des blessures et souillures infligées à leurs corps et à leurs esprits car tel me semble être leur destin.

L' elfe posa ses mains blanches sur la petite table d' if avant de se lancer dans une description plus précise :

- La première tour, la plus proche de la mer sera dédiée à l' apaisement, la convalescence, la cicatrisation. Que les bienfaits de la mer apportent guérison à ceux qui en ont besoin, que la douce complainte du flux des vagues calme leurs peurs et leurs doutes, que le pouvoir d' Ulmo leur redonne force et sérénité ...

Laurelin se releva une nouvelle fois, il était quelque peu nerveux. L' assentiment de son ami lui importait beaucoup et tout en parlant, il cherchait les yeux du Maitre tentant d' y trouver un signe d' encouragement mais le Maitre attendais la suite alors il reprit :

- La seconde, qui renferme la grande bibliothèque, servira pour l' étude, la méditation et la réflexion. Que les livres, les chants, la peinture et la poèsie apportent culture, savoir et réponses à ceux qui cherchent ...

Laurelin sortit alors Estelië de son fourreau et la posa devant le Maitre :

- Elostirion, quant à elle, sera armée et servira à protéger les lieux d' éventuelles attaques car les temps se troubles et il serait peu sage de négliger notre défense. Cette force, aussi modeste soit elle, reste bien entendu à votre entière disposition aux cas où vos Havres bien aimés seraient eux même assaillis et mon épée est vôtre !


L' elfe conclu en s' inclinant une nouvelle fois :

- Vous qui êtes le Maitre des clefs des tours, mon supérieur, je vous sollicite aujourd' hui afin de vous demander de me confier la clef de mithril d' Elostirion ainsi que les clefs d' or et d' argent de ses deux soeurs pour en devenir le gardien comme le fût mon père avant moi ... Mais aussi, vous qui êtes mon ami, ami dont la sagesse et la vision porte plus loin que la mienne car bien que je sois ancien sur ces terres, vos pas les ont foulés bien avant que mon regard ne s' ouvrent aux beautés du monde, que vous dit votre coeur ?

Le Maître resta interdit pendant quelques minutes. Les rides qui avaient quitté son visage tantôt étaient revenus, plus marqués que jamais. Il contempla la lame posée devant lui, la soumettant a un examen des plus précis, puis se leva et se dirigea vers une porte qu'il eut tôt fait d'ouvrir. Il la franchit et arriva sur un terrasse de marbre donnant directement sur la mer et la plage qui s'étendait en contre-bas. Silencieux, il s'appuya sur la balustrade de bois verni et se tourna vers l'océan, parsemé de crêtes blanches.

Enfin, il se retourna et commença d'une vois atone :

"Avant de vous donner mon avis, je vais vous exposer quelques faits qui vous feront prendre plus grande conscience de la tâche que vous voulez entreprendre, et vous vous rendrez compte qu'elle n'est pas de plus aisées."

Il leva les yeux sur la bâtisse en face de lui, la fixant de la même manière dont il avait examiné l'épée, puis poursuivit :

"Les Havres Gris sont depuis la nuit des temps, avant même que le soleil et la Lune ne naissent, le refuge des elfes. La plupart du temps ce n'est qu'une étape avant le Grand Voyage, mais là n'est pas l'important. jusqu'alors, ils pouvaient y trouver refuge, à l'abri des affres du temps, loin de tout les autres peuples. Imaginez un instant qu'on leur apprenne que désormais, leurs Trois Tours seront un abri, un ermitage pour tous les peuples libres, comment réagiraient-ils? Certes, ceux qui s'y opposeront par refus de partage seront à blâmer. Mais tentons de les comprendre. Arda appartient aux humains, les anciennes demeures elfiques se vident. Priver les elfes d'un de leurs derniers refuges n'est-il pas d'une certaine injustice? Cela serait une raison de plus pour eux de quitter les Terres du Milieu. Voilà donc un des problèmes que vous devrez affronter."

Il se tut, inspira, puis reprit :

"Malheureusement ce n'est pas le seul. Les demandeurs d'asile ne seront pas tous des personne cherchant le calme. D'autres, soyez-en sûr, profiteront de cette ouverture pour tenter d'infiltrer le Mal aux Havres, de quelque manière que ce soit : en espionnant, en volant ou encore en montant les autres contre les elfes. Cela s'est déjà vu par le passé..."

Il changea de position, se tournant cette fois vers le continent et la ligne déchiquetée des Montagnes Bleues.

"Il faudra que vous preniez bien conscience des conséquences de votre œuvre lorsque vous la débuterez et quand vous l'achèverez. Toutefois, je n'ai pas évoqué mon avis personnel, ce que vous m'avez au départ demandé."

Il planta ses yeux émeraudes dans ceux de Laurelin.

"Mais pour qu'il n'influence pas sur votre choix, répondez d'abord à cette question : êtes-vous vraiment prêt à affronter et à assumer toutes les conséquences de votre décision, si jamais je l'accepte ?"

Un vent chargé d' effluves salées s' était engouffré par la porte que le Maître venait d' ouvrir quelques minutes auparavant. L' air dans la pièce s' était renouvelé en quelques instant, Laurelin soupira profondément avant de dire :

- Le monde change vite, cher Maître, aussi vite que ce courant d' air qui vient d' entrer. Un nouvel air qui entre et chasse l' ancien pour prendre sa place ... Les évènements tendent à s' accélérer encore car la guerre est à nos portes, les jours sous la soleil passent malheureusement beaucoup plus vite que sous la lumière des arbres au temps jadis à Valinor ...
Notre ère est révolue, cet âge n' est pas le nôtre mais nous nous attardons encore ... Pourquoi ? Pour la plus grande part d' entre nous, par amour pour ces terres et par compassion pour ceux qui tentent désespérément d' être débarrassés des scories du mal dispensés par Morgoth !

L' elfe marqua une pause, l' on voyait les jointures des articulations de ses doigts blanchirent encore un peu plus alors qu' il serrait le rebord de la table d' if :

- Quelqu' un a dit un jour :
'' La seule chose que l' on puisse décider est quoi faire du temps qui nous est imparti ''
Alors Maître, je vous le demande, qu' allons nous faire aujourd' hui qu' il nous en reste si peu ?
Attendre et subir les évènements, nous refermant sur nous même pour devenir des fantômes errant sans but, avare de notre savoir, atteignant finalement les rivages de la mer pour les quitter sans avoir rien tenter que de préserver des territoires que nous perdrons de toute façon ? Ou ... Serons-nous le peuple de la main tendue, rendant à Arda ce qu' elle nous à offert durant les si longues années où nous avons profité de sa beauté et de ses richesses en aidant les peuples qui se battent chaque jour pour la rendre plus sûr ?

- Quel souvenir le noble peuple des elfes laissera-t-il ?

Laurelin venait de se relever et recommençait à faire les cent pas dans la pièce, il s' arrêta soudain se rendant compte de son impolitesse et sourit à son supérieur :

- Mais, cher Maître, veuillez m' excuser, vous me posez une question et je vous répond en vous questionnant mille fois moi même, cela n' est pas correct ...

- Je vous répondrais ceci : Les conséquences, nous les subirons de toute façon car le pouvoir des trois n' est plus et la protection qu'ils nous apportaient n' est qu' un lointain souvenir. En cas d' attaque sur nos ports, nous ne serions pas assez nombreux pour nous défendre, recroquevillé sur nous même, seul, alors le souffle des peuples que nous auront dédaignés nous balayerons, nous chasserons et nous remplacerons tel le courant d' air que vous avez créé en ouvrant cette porte tout à l' heure ...

L' elfe s' arrêta un instant de parler pour se diriger vers la porte qu' il referma doucement avant de reprendre :

- J' aimerais vous rassurez toutefois, car dans mon esprit, seul Emyn Beraid et ses tours, sur la rive sud du golfe de Lhûn, pourraient s' ouvrir. Il faudra également une bonne raison pour s' y présenter.

Il s' approcha et plaçant sa main sur l' épaule du Maître des Havres il termina :

- Il n' est point d' orgueil dans cette requête mon ami, seul l' amour des elfes et de tout ceux qui combattent les forces du mal guide celui qui vous la présente ... Un mot de vous et j' oublie ce dessein ...

Un sourire naquit sur les lèvres du vieil elfe.Dans un souffle, il chuchota :

"Bonne réponse."

Pendant plusieurs secondes, il n'ajouta rien d'autre, immobile. Enfin, il dit :

"Je constate avec la plus grande satisfaction que vous croyez vraiment en votre projet. Vous ne vous ffondrerez pas à la première critique que vous recevrez. Car soyez-en sûr, il en sera, et pas des plus amicales. retenez tout de même que dans cette affaire, il ne sera pas question de faire plier un parti, nous ne pouvons nous permettre des tensions intestines. Restez donc à l'écoute de ce qu'on pourra vous dire et prenez en note pour régler le conflit."

Il quitta le balcon et pénétra dans la pièce en refermant la porte derrière lui.

"Ma réponse, comme vous pouvez vous en douter, est donc oui. Etablissez ce lieu de refuge selon vos désirs et faîtes en un des lieux les plus sûrs des Terres du Milieu. Mais rappelez-vous de toutes mes mises en garde, et sachez qu'il me sera possible de révoquer votre œuvre lorsque je le jurerai nécessaire, même si je prie pour que ce jour n'arrive pas."

Il plongea la main dans un poche de ses vêtements et en sortit trois clefs, l'une en mithril, l'autre en or et la dernière en argent. Toutes trois étaient étonnamment petites et était de dimensions identiques.

"Voici les Trois Clefs. Je vous les confie, avec pour seule consigne qu'elles ne quittent pas les frontières des Havres Gris. Avez-vous d'autres questions? Si ce n'est pas le cas, nous nous séparerons, nous avons tout deux à faire."

Le poids de la tâche dont venait d' hériter Laurelin sembla le courber légèrement. Il se saisit délicatement des clefs que lui tendait le Maître des Havres Gris avant de s' incliner en signe de remerciement :

- Vous ne distilleriez pas ces mise en garde si votre coeur n' était préoccupé. Soyez sûr que je ne les oublierais pas. A partir de cet instant, elles m' accompagnerons et me guiderons sur le chemin que vous venez d' accepter de tracer pour moi.

L' elfe se dirigea vers la table et repris son épée qu' il replaça dans son fourreau, puis il remit sa cape de voyage avant de se retourner une dernière fois vers le Maître :

- Il y a mille questions que je désirerais vous poser mais je laisse cela pour des temps moins troublés que ceux qui s' annoncent. Seul un bras de mer sépare Elostirion des Havres Gris, vous ne manquerez pas de recevoir des nouvelles de la rive sud du Golfe de Lhûn !
Que les Valar veillent sur vous mon ami ...

"Et sur vous aussi", ajouta le Maître.

Sa main plongea dans sa poche pour saisir quelques chose d'invisible à Laurelin, comme soucieux, puis il la retira, vide.

"Croyez-moi, nous allons très bientôt nous revoir. Peut-être trop tôt pour vous d'ailleurs..."

Sans expliquer cette phrase énigmatique, il poursuivit.

"Puisse votre tâche être menée à bien."

Il s'inclina respectueusement, puis disparut dans une pièce adjacente. Seul, il s'assit devant un bureau où était éparpillés cartes, lettres et autres documents hétéroclites. Il dégagea un espace libre et y posa un autre parchemin qu'il avait sorti de sa poche. Il le survola simplement, puis leva les yeux vers le plafond. Les peuples libres se levaient à nouveau, un conseil allait avoir lieu. Pour la première fois depuis la Guerre de l'Anneau où il avait accompagné Cìrdan à Imladris, il allait devoir quitter ses Havres. Et pas seul...

Le faucon était entré par une fenêtre ouverte du premier étage et gracieux, laissa tomber un rouleau de parchemin sur le bureau du Maître avant de repartir aussi vite par où il était venu ...

Gwaeron, 12 Elenya / A4

Cher ami, cher Maître,

Ma joie est grande de vous annoncer que le projet qui nous occupe suis son cours. Les portes d' Emyn Beraid sont maintenant ouvertes. Les trois tours sont d' une beauté qui dépasse de loin ce que de simples mots pourraient décrire. Le long escalier blanc en forme d' arbre de la grande tour semble ne jamais avoir de fin et, dans la salle la plus haute d' Elosirion, par cette nuit claire et sans nuage, j' ai l' impression que c' est bel et bien du ciel, parmis les étoiles qu' à présent je vous écris.
Les érudits de la tour de la clef d' or ainsi que les maîtres guérisseurs de la clef d' argent m' ont fait bon accueil. Je me suis longuement entretenu avec eux pour leur exposer le dessein qui anime mes pensées sous votre tutelle.
Beaucoup, surtout parmis les plus jeunes, ont été franchement enthousiastes et semblent décidés à m' aider à mener à bien l' ouverture des tours aux autres peuples de la terre du milieu. Cependant, je dois vous avouer que d' autres demeurent réticents à cette nouvelle perspective.
Je vous vois sourire car vous m' en aviez mis en garde et comme toujours, votre coeur avait vu juste. Certains érudits notamment ne semblent pas prêt à accepter un tel changement et comment ne pas les comprendre eux qui vivent isolés des autres peuples depuis tant d' années n' ayant pour élèves que les plus brillants de nos frères et soeurs elfes.
Mon coeur me dit qu' ils entendrons finalement raison car, alors que je tourne à présent mon regard vers la mer, un voile sombre obscurcit mon coeur. Qui sait si mes yeux n' y verrons pas un jour un navire s' approcher de nos ports, empli d' armes de guerre et d' intention belliqueuses ...
Nous sommes si peu nombreux, comment faire autrement que de nous ouvrir un peu aux autres peuples et ainsi en faire des alliés solides ? Mais nous avons déjà parlé de cela ...
Un incident est arrivé aujourd' hui qui m' oblige à doubler la garde aux portes des tours ainsi qu' aux alentours du territoire.
D' après mes renseignements, quelques pauvres fous ( nous pensons à des humains sans en avoir entière certitude ), pensent pouvoir pénétrer dans nos tours bien aimées pour y commettre quelques larcins. Peut être pensent-ils que nous dormons ? Peut être pensent-ils que l' ouverture des tours ne se fait sans aucune précautions. Ces voleurs ont eu au finale beaucoup de chance de faire demi-tour à temps. Ils étaient dans le visée de cinq archers postés tout près du grand escalier blanc de la clef d' argent. Un pas de plus et ils trépassaient ...
Soit, nous n' ignorons pas, vous et moi, que l' ouverture sera semé d' embuches. Cette intrusion ne vaut que pour un avertissement qui n' aura comme conséquences que d' accélérer la mise en place d' une défense digne de ce nom à Elostirion et partout autour du golfe de Lhûn.

Votre dévoué ami,

Laurelin

Le Maître lut attentivement la missive qui était tombée devant lui, arrêtant momentanément son travail. Sa lecture achevée, il plia soigneusement le rouleau de parchemin et le rangea dans un des tiroirs du bureau. Il écarta la paperasse devant lui, posa un papier devant lui, s'empara d'un plume et écrivit les mots suivants :

Laurelin,

Votre joie est mienne maintenant que je sais que votre projet avance selon vos bons désirs. C'est l'oeuvre d'une vie, elle ne sera donc jamais finie et j'ose espérer que vous n'abandonnerez pas quelque soient les dangers qui menacent les Tours. Soyez-sûr que je viendrai pour voir de mes propres yeux la beauté que vous ne pouvez me décrire.
Malheureusement, ce ne sera pas bientôt. Comme vous le savez peut-être, un conseil va avoir lieu à Imladris regroupant toutes les Peuples Libres. J'y suis convié, et j'aimerais que vous m'accompagniez. Si vous acceptez de quitter si rapidement l'Emyn Beraid, je vous attendrez dans trois jours au même endroit que nos retrouvailles.
En ce qui concerne les problèmes que vous avez déjà à résoudre, je ne souris nullement, et j'espère que vous arrivrez à trouver un accord avec ceux qui regrettent déjà le temps avant votre venue. Dans vos discussions avec eux, je vous conseille de prendre en compte la subjectivité qui détermine qui a raison ou tort.
J'espère que vous serez épargné le plus longtemps possible des convoitises d'autres peuples.

Amicalement vôtre,
Vonrowë.

Il relut sa lettre, la roula puis la cella. Avec minutie, il l'accrocha à la patte d'un pigeon qui eut tôt fait de s'envoler.

Une nouvelle fois, le faucon passa gracieusement par la fenêtre du Maître des Havres afin de laisser tomber sur son bureau un rouleau de parchemin avant de reprendre son vol gracieux vers la rive sud du golfe de Lhûn.


Gwaeron, 15 Aldúya A4