Bisbilles à la Haute [suite]

" - Bien... Bien !!! Je vais vous escorter... Monseigneur..."

"Monseigneur". Cela sonnait drôlement bien aux délicates oreilles du noble. Il aimait cette marque de respect. Cela avait plus de constance que "Monsieur" et plus d'influence que "Messire". Cette dénomination apportait avec elle ce sentiment de jouissance, de puissance, d'éloquence, d'excellence chez son interlocuteur. Oui, il aimait beaucoup cela. Il se demandait s'il existait une autre catégorie sociale qui pouvait user de pouvoirs aussi jouissifs que ceux qu'il "possédait" en cet instant. Probablement pas ; et c'était tant mieux pour lui. Il ne pourrait supporter l'idée se prosterner et ramper les quatre pattes tel un chien prêt à attendre la moindre injonction de son maître. Il sourit bêtement, imaginant une tête de chiot à langue pendue se substituer à celle du soldat Drake.

La traversée se ponctua alors par des "Tournez à gauche." "Tournez à droite." "Faites demi-tour." "Reculez." "Marchez à tâtons." "Présentez armes." "Essuyez-moi le nez.", durant une vingtaine de minutes. Vingt minutes qui semblèrent les plus longues de la vie de Drake, tant les ordres de Denam paraissaient informels et complètement ridicules. Il lui avait semblé avoir fait trois fois le tour de la ville et serait presque à même de décrire de mémoire chaque pierres qui formaient chaque maisons à chaque coins de rues. Le vieux soldat commençait à se fatiguer de toutes ces absurdités, mais le jeune noble n'en avait cure et l'imposant homme d'armes reconnaissait bien être à la merci de ce gringalet sorti de nul part.

Denam s'amusait comme un petit fou. Il avait réussi à entraîner le soldat Drake à travers des ruelles difformes et étroites, empruntés des "raccourcis" aux dires du jeune minas tirien, mais qui n'avaient fait que les ramener à leur point de départ, pour le plus grand enthousiasme de Denam. Il se plaisait à donner des ordres aussi impromptus les uns que les autres au pauvre soldat. Il essaya alors d'imaginer le plaisir que pouvait éprouver un général commandant des milliers d'âmes. Il devait drôlement bien se divertir. Il n'accorda même pas une pensée compatissante à l'égard du pauvre garde car il pensait que, sous cet imposant heaume, Drake se fourvoyait d'un sourire réjouit.

Ils arrivèrent alors aux abords du palais royal, palais que la nuit embrassait déjà de son sombre regard, sous l'oeil vigilant des autres gardes de la tour qui s'empressaient de brûler quelques lanternes, alors que les hauts fonctionnaires déambulaient aux cotés de nobles sans importances et de conseillers qui constituaient une part intégrante de la Cour, suivis de près par quelques lanciers royaux, qui avaient pour ordre de patrouiller dans les hauteurs de la Cité Blanche. D'ici, Denam pouvait apercevoir à ses pieds la caserne, donnant une vue directe sur le corps de soldats qui semblaient avoir prouvés leur aphatie durant la journée, à présent forcés d'exécuter quelques exercices physiques incommode. Denam se régalait toujours de ce spectacle à chaque fois qu'il s'hasardait ici ; quel plaisir pour les yeux de voir ces athlètes s'époumoner pour satisfaire la soif insatiable de leur sergent, cet officier qui réussissait toujours à le remettre habilement sur le droit chemin, en vérité ! Denam inspira profondément.

Il aimait particulièrement cette partie de la journée ; la nouvelle mode était telle que l'on n'allumait plus les lanternes avec un feu rugueux mais plutôt avec de douces lucioles qui apportaient avec elles cet air féérique, semblable aux cités elfiques et naines que contaient les voyageurs de passage qui s'y étaient égarés.

Ils marchèrent vers l'Arbre Blanc sans que Denam n'eut à dicter quoi que ce soit, au grand soulagement de Drake. Ils restèrent là, quelques instants durant à observer les derniers rayons du soleil qui chatouillaient la facade du palais, profitant de ces derniers moments avant que la nuit ne fonde sur eux et les réduisent au silence. Silence que rompit peu après Drake en se raclant la gorge :

" - Et bien voila, nous y sommes. Vous voyez... Le chemin était sûr."

Denam sourit d'un air tout à fait juvénile, révélant quelques fossettes de son visage à cheval entre la puberté et la maturité.

" - Vous êtes bien gentil, soldat Drake, mais moi, moi je n'habite pas ici.

Il va falloir descendre sur le coté droit du Palais, là résident ma parenté."

Il sourit à nouveau, d'un air encore plus moqueur.

Le jeune homme s'en était remit à sa contemplation du palais, éclairé à présent par d'innombrables feux-follets, composés de diverses couleurs s'alliant avec perfection à la façade. Le majestueux Arbre Blanc baignait également dans cette lumière, à la frontière de la féérie. La tour d'Ecthelion était également illuminée de ces milles feux, mille feux qui s'étendaient cependant qu'aux premiers étages ; le reste, se noyait évidemment dans l'obscure clarté de la nuit. Cependant, le temps se rafraichissait de plus en plus, à mesure que les deux compères avaient progressé dans les dédales de la rue, le Zéphyr, lui, continuait son inlassable chant, composé de soupirs plus profonds les uns que les autres, qui se périclitaient avec violence sur les passants. Denam se prenait évidemment tout dans la gueule puisqu'il était au sommet de Minas Tirith, quoi de plus normal.

Il désirait à présent ardemment rentrer chez lui ; tout ces jeux ne l'amusait plus. Il détourna le regard de ce spectacle pour ce concentrer sur Drake, qui, n'avait pas cédé un mot depuis leur lente ascension dans les hauteurs de la capitale gondorienne. Il eut beau tourner plusieurs fois sur lui-même, il ne pu voir l'imposant soldat qui était pourtant campé à ses pieds à l'instant même ! Plissant les yeux, il se reconcentra et ne pu seulement qu'à ce moment-là, distinguer une lointaine silhouette haussant les épaules, se détachant des ombres, se frayer un chemin dans le cortège de fonctionnaires qui fuyaient les assauts répétés des vents.

Il songea d'abord à le rejoindre, il commença même à former quelques pas en sa direction. Mais son instinct lui recommanda de mettre ses principes de noble quelques instants à l'écart, car il ne saurait raisonner Drake après ce qu'il venait de lui faire et qu'il commençait sérieusement à se les geler.

Lentement, il se traîna jusqu'au logis famillial, affrontant vents et passants. Il aperçu au loin la portail de sa demeure s'ouvrir, un des serviteurs à ses trousses, armé d'une lanterne et d'une couverture. Il sourit en coin, car bientôt il serait accueilli avec un repas brûlant, des bras aimants et un feu rassurant.