Les renforts

La pluie avait diminué en intensité mais continuait malgré tout à frapper tous les protagonistes en cette terrible nuit de feu et de sang. Sirion avançait sans s'arrêter, laissant derrière lui l'ombre du mal qui dominait toujours la forêt lugubre. Des éclairs zébraient de temps à autre le ciel couleur encre et illuminaient les bois. Les pas du Fantôme étaient loin d'être précis et silencieux comme ceux de l'animal qui le symbolisait. Puma Sibyllin... Un surnom que Sirion ne méritait certainement pas en cet instant.

Il lui fallait impérativement retrouver leur campement. Retrouver leurs compagnons restés en retrait notamment le jeune Niels. Sirion semblait avoir un mauvais pressentiment... il parvenait tant bien que mal à reprendre le dessus sur sa douleur. Ses pensées devenaient un peu plus claires et la situation ne lui paraissait plus si terrifiante, avait-il été la victime d'un sortilège lui sapant le moral à l'intérieur de ces murs ? Quoiqu'il en soit, il avait soudainement repris courage et semblait plus motivé que jamais à rejoindre ses camarades et pourquoi pas, repartir à la recherche des derniers Passeurs encore dans la forteresse. Sirion releva alors la tête...

Son sang ne fit qu'un tour, ses poils se dressèrent sur sa peau mate et ses paupières devinrent immobiles. Sirion se crut un instant comme glacé sur place puis un vent de chaleur lui caressa le visage tandis que la pluie s'abattait toujours sur lui. Ses poings se resserrèrent et il ravala sa salive, ses yeux se plissèrent comme pour mieux appréhender ce qu'il voyait. Sa mine devint grave et son moral remonta soudainement. Il avait beau faire nuit, pleuvoir des cordes, Sirion l'avait nettement reconnu.

La silhouette semblait immobile telle une statue. Les éléments ne semblaient avoir aucun impact sur elle. Cette forme tournait le dos au Khandéen et paraissait attendre quelque chose ou quelqu'un. C'était peut-être l'occasion...

Sa main se pose sur le pommeau de son épée, ses appuis sont aussi sûrs que sa blessure le lui permet. Il va se jeter sur son ennemi. Non. Des bruits au loin... patienter... Se cacher dans les broussailles... patienter... écouter et...

*Qui attends-tu ainsi... Saemon Havarian...*

... régler ses comptes avec son prédécesseur.

Saemon passa tranquillement la main dans ses cheveux. Il avait mauvaise mine et il le savait. Cela faisait plusieurs jours qu'il avançait à marche forcée à travers toute la terre du milieu. Il avait l'habitude de voyager incognito, c'était d'ailleurs ce qu'il préférait. Il appréciait de se fondre dans des troupes de comédiens, parmi des chasseurs et toutes sortent de gens. Cependant, il était devenu depuis quelques années l'ennemi publique numéro un.
Ses derniers exploits au Rohan avait terminé de le rendre hautement impopulaire. Il avait du se résoudre à voyager de nuit. Malheureusement, il ne pouvait se permettre de dormir le jour. Il était sans cesse à l’affût prêt à se déplacer si des gens s'approchaient trop.
Heureusement, il disposait encore de quelques relais à travers l'Arnor et il avait pu prendre un peu de repos. Malgré tout, il ressentait une certaine fatigue. L'Ordre lui avait confié une mission importante et il s'en était acquitté. Il voyait arrivé le dénouement de tout ceci avec un certain soulagement. Pourtant, il n'était pas sur que la suite soit plus réjouissante.
Il se tenait sur la route sans aucune crainte. Il était conscient de ses forces et de ses faiblesses. Il savait surtout que les renforts ne seraient pas long à arriver.
Soudain, il lui sembla entendre un bruit derrière lui. Quelque chose avait bougé. Il allait se retourner mais son attention fut distraite par un autre bruit, plus lourd, qui montait vers lui.
Là, en bas, une troupe d'une cinquantaine d'hommes revêtus de la tenue de l'Ordre montaient, menés par deux silhouettes imposantes qu'il aurait reconnu entre mille.

Aldarion avait le pas assuré de ces hommes qui avancent vers un triomphe quasiment certain. Il savourait déjà, un sourire au lèvre, l'expression qu'auraient tous ceux qui ne s'attendaient pas à le voir là. D'un geste nonchalant il réajusta sa ceinture et abaissa encore davantage le capuchon de son long manteau noir.
Il tourna la tête et jeta un sourire complice à son compagnon. Il n'aurait pu agir seul avec autant d'efficacité. En étant deux, ils avaient pu chacun prélever des soldats à leurs terres sans manquer le moins du monde de discrétion.
Personne ne savait qu'il avait quitté l'Arnor, et cela valait mieux. Ils avaient opérer la jonction quelques jours auparavant et avaient alors chevauché plus ouvertement.
La dernière jonction allait maintenant être opérée. Le dernier membre de leur trio recomposé ne disposait pas d'hommes, mais il disposait des infos nécessaire à leur opération coup de poing.
Soudain, au détour d'un sentier, il l’aperçut. Il avait une mine affreuse et paraissait las. Aldarion parcourut les derniers mètres les séparant encore un sourire aux lèvres.

" Tu m'as affreusement manqué Saemon..."

L'autre lui rendit son sourire avant de répondre.

" Ainsi nous voici à l'aube de cette fameuse bataille..."

Aldarion s'arréta net à quelques mètre de lui.

" Une victoire qui ne fait presqu'aucun doute. Vous avez trente des meilleurs lames de ma garde à vos côtés Maître Havarian."
"Etes-vous sûr de leur loyauté à votre... personne."

Aldarion eut un sourire sans joie.

"Ils connaissent les intérêts de leur Roi et les défendront aux périls de leur vie."

Radamanthe répondit au sourire de son compagnon par un rictus qui avait quelque chose d'inquiétant sur les traits tirés de son visage. Le voyage de l'Emir d'Harondor avait été plus éprouvant que celui du Roi d'Arnor. Pas spécialement plus long, mais il avait du traverser de part en part les deux contrées où son visage était le plus connu, à savoir son propre émirat et le royaume de Gondor. Sans parler du fait qu'il avait du faire une partie du voyage seul, à la merci de tous les incidents possibles. Il avait en effet préféré éviter au moindre soldat harondorim, dont il ne pouvait être sûr d'une loyanté sans faille. Il avait donc attendu Emyn Arnen pour se faire escorter par vingt-cinq de ses meilleurs rangers de l'Ithilien, capables de toute la discrétion nécessaire afin de se rendre à Dol Guldur sans éveiller l'attention de quiconque en Gondor. D'une loyauté sans faille et peu enclins aux dilemmes moraux, ils avaient été préparés pour leur rôle avec soin.

L'Emir salua à son tour Saemon Havarian qu'il n'avait plus vu depuis bien longtemps, depuis un certain enlèvement à Edoras précisément. Ce jour là, un malheureux incident lui avait coûté un oeil, mais c'était le prix à payer. Il était inconcevable de révéler aux soldats de Saemon, des simples Lefnuis, quelle était son allégeance. Cela n'avait guère d'importance à présent, si certains commençaient à trouver cette prétendue maladie dont il était supposé souffrir étrange à Dur'Zork, personne n'avait la moindre idée de se qu'il tramait réellement.

"Je suis moi-même on ne peut plus confiant dans notre victoire mes chers amis. L'avantage du nombre seul me paraît suffisament..."

A nouveau, l'expression du visage de Saemon sembla émettre quelques réserves. L'ancien Bourreau reprit :

"Oui, bien sûr, ces Passeurs sont bien la preuve que l'ont peut vaincre en forte infériorité numérique... Mais ce sera différent... Jamais ils ne s'attendront à nous voir..."

#Sirion #Aldarion #Radamanthe #Saemon

Sirion s'était dissimulé plusieurs mètres derrière Saemon Havarian dans les broussailles. La nuit, la végétation et la pluie lui permettaient de couvrir les éventuels bruits qu'il pouvait émettre. Toutefois, Saemon faillit bien se retourner dans sa direction, le Khandéen retînt son souffle mais il n'y en avait plus besoin : un autre bruit venait d'attirer l'attention d'Havarian.

Une petite colonne d'hommes approchait ; leur uniforme, Sirion l'aurait reconnu entre mille : des vêtements noir blanc, ce ne pouvait être que des membres de l'Ordre. Deux individus semblaient à leur tête. Si ces renforts étaient là pour s'en prendre aux Passeurs, Sirion ne donnait pas cher de la peau de ses compagnons encore dans les ruines de la forteresse. Puis les deux arrivants s'approchèrent de Saemon, l'un s'avança un peu plus et lui parla quelques instants. Cette voix...

"Nom de... "

Puma Sibyllin en resta médusé. Il venait de reconnaître le premier homme et le second fut aisé à démasquer avec son oeil unique. Son propre roi et l'Emir d'Harondor ici ? Sirion n'en croyait pas ses yeux et crut un moment à un nouveau sortilège. Le Passeur entendit quelques bribes de mots ci-et-là, tout venait confirmer ses pires craintes. Cependant, Sirion pouvait encore agir, il le devait. Si ces hommes étaient là pour éliminer la menace des Passeurs d'Etoiles, alors Puma devrait agir vite.

Quitte à devoir tuer... son propre roi.

Aldarion inspira profondément. Le temps passait et ils risquaient fort d'en manquer. Saemon et Radamanthe échangèrent encore quelques paroles sarcastiques, un sourire au lèvre. Pourtant, cela ne faisait pas beaucoup rire Aldarion. Dans cette histoire, il était sans doute celui qui jouait le plus gros.

" Saemon "

L'homme du nord s'arrèta au milieu de la phrase qu'il était occupé à prononcer. Son regard s'assombrit. Aldarion était son Roi et il avait toujours obéit à ses ordres.

" Je pense qu'il faudrait nous hâter..."


Radamanthe retrouva à son tour tout son sérieux. Saemon acquiesçât et se tourna vers la noire forteresse.

" La voie devrait être relativement dégagée d'ici au lieu du combat. Cela nous évitera de gaspiller des forces inutiles."

Aldarion eut un léger sourire. Il sentait que tout allait bien se passer, et doucement l'adrénaline montait. Les dés étaient jetés.

" Des hommes sont cachés au différentes sorties de la forteresse. Ils disposent de montures fraiches. Le message est clair, nous sommes tous les trois prioritaires en cas de problème. Il n'y aura aucune discussion à avoir. D'autre part, je vous conseille de dissimuler au maximum vos visages, si cela tourne mal, ne pas être reconnus nous permettra de mieux réagir."

Saemon approuvait, il était lui même adepte de la discrétion et de la dissimulation. Sans même attendre la réponse de Radamanthe, Aldarion se remit en route. Il était Roi malgré tout.

L'Emir n'avait pas pu s'empêcher de continuer à élaborer sur le sujet avec Saemon. L'opinion de ce dernier à propos des Passeurs d'Etoiles l'intéressait assez bien, car il était tout de même celui qui avait eu l'occasion de les côtoyer au plus près. Et le moins qu'on puisse dire est que Radamanthe était lui-même relativement dubitatif quant à leur capacité de mettre à mal l'Ordre. Mais le ton sec du Roi d'Arnor le fit sortir de ses rêveries. Aldarion n'avait pas tort, il était stupide d'attendre plus longtemps, ils avaient déjà suffisamment perdu de temps.

"Certainement... il est temps de faire notre devoir..."

Derrière eux, on sentit un moment de tension lorsque les soldats qui les accompagnaient comprirent qu'ils allaient maintenant entrer dans Dol Guldur. Ils le savaient déjà bien sûr, mais l'atmosphère sinistre de l'endroit ne laissait personne indifférent, aussi entraîné qu'on soit. Le Prince d'Ithilien - qui ne ressemblait guère ni à un prince ni à un émir dans cet attirail - n'avait pas cette hésitation. Il avait suffisamment côtoyé l'Ombre pour ne pas se laisser impressionner.

"Sans problème, j'ai été obligé d'oeuvrer incognito bien souvent ces derniers temps. Et je préfères aussi que personne ne me sache dans les environs..."

Radamanthe avait pourtant tendance à considérer cette discussion comme purement théorique, le plan ne devait pas mal tourner, il en était persuadé. Alors, sans hésitation, l'Emir d'Harondor emboîta le pas du Roi d'Arnor et la troupe de soldats suivit. Ils entraient dans Dol Guldur pour enfin jouer leur rôle.

Après plusieurs minutes à discuter à trois, Aldarion puis Radamanthe se mirent de nouveau en mouvement. Les deux souverains furent aussitôt suivis de leur petite troupe, force de frappe qui suffirait amplement à éliminer une poignée d'hommes courageux. Leurs hommes étaient l'élite de leurs armées respectives, les fameux rôdeurs de l'Ithilien du Prince à l'oeil unique et des soldats vétérans d'Arnor.
La petite compagnie s'élançait donc vers Dol Guldur et très certainement le lieu de la réunion. Ainsi armés et avec l'effet de surprise de leur côté, les Passeurs n'auraient aucune chance, pris entre le marteau et l'enclume. Saemon Havarian leur avait sans doute indiqué l'endroit exact où se tiendrait le conseil de l'Ordre.

Saemon. Mais où était-il ? Tandis que les hommes de son roi et de l'émir avaient commencé à marcher, l'ancien disciple de Veddle s'était volatilisé. Mais il fallait à tout prix que Sirion suive à la trace le groupe de renforts, il devait prévenir ses amis au plus vite et ce, malgré l'état de sa jambe. Un boiteux qui devait arriver avant tout un groupe de soldats entraînés et frais. Le Khandéen emprunta un chemin parallèle à celui des deux seigneurs. Sa jambe le lançait de temps à autre mais il tînt bon.

Soudain, Sirion se sentit happé en arrière par une force inconnue. Un bras l'entoura bientôt à la gorge, appuyant fortement sur sa pomme d’Adam. Une fine lame se mit à caresser les cotes du Fantôme. Qui était-ce ? Ironiquement, Sirion n'eut même pas à se poser la question. En vérité, il le savait très bien.

"Notre quatrième rencontre si je ne m'abuse, Saemon ?"

À peine avait-il terminé sa phrase qu'il envoya un puissant coup de coude dans le thorax de son agresseur. L'étreinte se relâcha et Sirion glissa de l'emprise de son ennemi, se blessant légèrement sur l'épée courte de l'homme. Aussitôt libéré, Ibn-Lahad fit volte-face et envoya un direct du droit au visage émacié de l'arnoréen. Celui-ci recula et para la seconde attaque de Sirion qui faillit bien s'écraser au sol alors que sa jambe meurtrie tremblait sous son poids. Son vis-à-vis répliqua et coupa le souffle au khandéen d'un violent coup de pied. Sirion tituba et reçut un nouveau coup sur la nuque, fatal. Sa vilaine blessure lui rappela avec force qu'il n'était plus en état de combattre et le guerrier s'effondra au sol.

Malgré sa vue trouble, il put reconnaître les traits de son meilleur ennemi, le toisant de toute sa hauteur. Bien qu'apparemment usé, il émanait d'Havarian un certain charisme que ne pouvait nier Sirion. C'était donc sur cette pensée qu'il allait mourir ? Par la main de son prédécesseur ?

*Tu ne vaux rien Sirion, se dit-il. Tu n'es qu'une ombre, l'ombre de Saemon.*

Puis le Fantôme sombra dans une semi-inconscience alors qu'il se sentait attrapé.

Saemon toussa sans discrétion. Ce salopard avait frappé fort, cela l'avait surpris. Ce qui ne l'avait pas surpris par contre c'était sa victoire finale. L'arnorien avait toujours su évaluer parfaitement la force de ses adversaires. Et Sirion avait de tout temps été légèrement inférieur à lui. Sa lame était posé sur la gorge de son adversaire. Pour sa part, il avait préféré le surnommer son "jouet", une sorte de cadeau de la part d'Aldarion. Il avait envie de rire en voyant le corps quasi inerte de son adversaire piteusement allongé au sol, la jambe amochée et la peur dans les yeux.
En y regardant de plus près, il réalisa qu'il ne s'agissait pas vraiment de peur. Il lisait une sorte de sentiment de culpabilité qui confinait à la honte.

"C'est ça votre faiblesse... Vous êtes comme prisonnier d'un carcan de culpabilité qui vous empêche de vraiment exprimer vos compétences.. Mais bon, vous n'avez pas été choisi au hasard... assez bon que pour faire illusion, trop faible que pour réellement nous inquiéter."

Rien que d'imaginer que ces paroles puissent être les dernières que le fantôme entendraient le réjouissait. Cependant, il devait éviter de finir comme tout ces grands méchants qui par le passé avaient fini par se voir défait pour cause de langue trop pendue. La situation était à son avantage et il aurait été malvenu d'attendre qu'elle s'inverse pour agir.

"Bref, j'aurai aimé pouvoir vous narguer davantage, vous expliquer comment nous avons toujours eu un coup d'avance sur vous, comment nous allons parvenir à nos fins... voir votre visage changer... Enfin recevoir la rançons de ces mois d'intrigues.. Mais pour le coup, je n'ai pas le temps."

L'arnorien enfonça légèrement sa lame dans la peau de son vis à vis, faisant couler quelques gouttes de sang.

"Voici le moment de mettre un terme à notre rivalité."


Saemon trainait le corps inanimé de Sirion à travers les couloirs de Dol Guldur. Il pesait son poids. Bien que l'arnorien l'ai volontiers laissé sur place, il se devait de respecter les consignes de son Roi. Il fallait éviter de multiplier les cadavres dans les couloirs.

#Saemon #Aldarion #Radamanthe #Sirion