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 A travers le Dunland

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Gwaerendur
Bûcheron
Gwaerendur

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A travers le Dunland EmptyJeu 19 Jan 2012 - 22:01
C'était jour de foire, dans le bourg de Breda, en amont des marais de Nin-in-Eilph. Une foule bigarrée s'y pressait dès l'aube. Le pont sur le Bruinen tremblait sous les sabots de rudes bovins laineux, venus de Minhiriath ou de Cardolan, tandis que de légères caraques et des radeaux glissaient sur les flots du Gwathlo et du Glanduin.
Gwaerendur et Norveleg Veledion père et fils s'étaient mêlés à la fête dès les premières lueurs. L'enfant croquait une pomme à belles dents tandis que son père aidait grâcieusement un homme du pays de Dun à dresser son étal. Ce Dunlending portait de longs cheveux tressés et relevés en chignons, et un tartan de belle facture, drapé sur ses épaules à l'aide de fibules en argent. Il riait et faisait des grimaces au garçon, faute de se faire comprendre du père. Gwaerendur avait vite renoncé, d'un mouvement d'épaules, les mains tournées vers le ciel. Sur l'étal, le Dunlending avait disposé des produits de son pays, viandes séchées et fromages, galettes et liqueurs. Comme l'étal était situé à l'extrémité du champ de foire, loin de l'agitation, Gwaerendur s'y sentait plus à l'aise qu'au coeur de la halle marchande, où l'on se bousculait. Il fit certes un effort, son fils juché sur ses épaules, pour faire un plus vaste tour d'horizon, assister à une épreuve de lutte et grignoter quelques alevins frits, mais sitôt le déjeuner avalé, il revint vers l'homme de Dun sans même s'en rendre compte. Le Dunlending avait fait quelques affaires, dans la matinée, mais il buvait plus de vin de pomme qu'il n'en vendait, et son air bonhomme et sa jovialité l'avaient entouré d'une demi-douzaine de noceurs, dont trois compatriotes. Le jus de pomme était âpre, mais Norveleg l'apprécia. Gwaerendur avait bien bu quelques gorgées d'hydromel, mais plus par courtoisie qu'avec enthousiasme. Il s'entretint avec son fils:

- Norveleg, saurais-tu demander à ce marchand d'où il vient ? Et s'il sait où loge le clan O'Fortach ? Et si la route qui mène à Larrach Dunnan est sûre ? Et si mon radeau peut traverser les marais et remonter le Glanduin ou un de ses affluents vers le pays de Dun ?
- Papa, j'ai déjà du mal à te suivre, éclata de rire Norveleg. Et maman était une Ua'Fogartaig, tu le prononces comme un marchand de Bree...

Profitant d'une accalmie, le père et le fils s'entretinrent avec le Dunlending. Personne n'était bien sûr de comprendre ce qui s'était dit, mais on rit de bon coeur. Le trajet en radeau semblait une vraie aventure, parce que les courants étaient forts et le chemin de halage en trop mauvais état pour leurs deux chevaux. Gwaerendur comprit qu'il devrait l'abandonner là, le confier à un homme des rivières ou mieux, le débiter en grumes et en tirer quelques pièces. Jamais Gwaerendur ne sut d'où venait l'homme: c'était des diphtongues et des gutturales chuintées, un défi à tout larynx normalement constitué. Quant au clan Ua'Fogartaig, il suivait ses troupeaux à travers tout le pays de Dun, et tantôt l'homme le situait au Nord, tantôt il l'imaginait au Sud. Gwaerendur en conclut que la géographie dunlending était chose bien hasardeuse, et en retint qu'il en saurait davantage à Larrach Dunnan. Ils prirent congé au crépuscule, alors que la fête battait son plein.

Le lendemain, Norveleg dormait emmitouflé sur les berges, tandis que son père négociait les planches de son défunt radeau avec un nautonnier. Brossés, sellés, bridés, harnachés d'un bât assez lourd, les deux chevaux bronchaient déjà, prêts à prendre la route, quand l'enfant s'éveilla.

- Tu peux dire au revoir à la rivière, nous partons pour les landes de bruyère, dit doucement son père.

Gwaerendur ne se retourna pas, lui. Il laissait derrière lui ses fantômes, et faisait tête au front. Ils chevauchèrent ainsi à tout petit trot, rejoignant un convoi de quelques charrettes au pont du Glanduin. Il y avait là un péage, dont il s'acquitta. La route de Larrach Dunnan, pavée dans les temps anciens, n'était qu'une sente grossière envahie de ronces, de chardons et d'ornières. Le soir tombé, Gwaerendur salua leurs compagnons de route, trois familles de Dun, mais refusa poliment de partager leur repas. Il avait assez de provisions pour une grosse semaine de trajet, et la route était fréquentée. Ils firent bivouac à l'abri du vent, près d'une tourbière plantée d'achillées.

Aux aurores, les trois charrettes des hommes de Dun reprirent la route. Gwaerendur hésita, mais renonça à réveiller son petit garçon. Ils avaient tout juste franchi le Glanduin, le temps était clément, l'Arbre Blanc et les Sept Etoiles d'Arnor flottaient non loin, sur le poste à péage. Le bûcheron était bien incapable de se projeter dans l'avenir, depuis la tragédie. Il avait simplement le souci de protéger son enfant et de lui offrir de nouveaux horizons. Il prit soudain conscience, devant les landes sauvages qui s'étendaient à perte de vue, sous un ciel gris perliné, qu'en quittant ses terres pour l'inconnu, il mettait son fils en danger, mais il se ravisa.

- Le danger, c'est d'où je viens, grommela-t-il.
- Tu m'as réveillé !
- Lève-toi, le soleil est déjà haut, et la pluie menace.

L'enfant s'étira, s'habilla à la hâte, pendant que le père préparait le bât et lui proposait un peu de nourriture.

- Et puis je ne veux pas te présenter à la famille de ta mère avec tes hardes couleur de bran, ajouta Gwaerendur. Prends le savon dans la sacoche. Il y a un petit ruisseau à cinquante pas senestre. L'eau est froide mais tu crieras moins si je te frotte le dos.
- Tu en as autant besoin que moi...
- Prends tes ciseaux aussi.

Norveleg n'aimait pas les bains. Le savon sentait le suif, le saindoux et le hêtre calciné. L'eau était glacée et les paumes caleuses des mains paternelles lui arrachaient la peau. Mais, nus, ils s'ébrouèrent en riant, loin de tout, tandis que la bruine esquissait quelques arantèles jolies sur le bleu du ciel. Gwaerendur, dans son deuil, avait négligé sa barbe. Norveleg lui tondit le crâne, les joues et le menton, en jouant avec ses ciseaux.

- C'est ton premier bain depuis un mois, tu sentais aussi fort que le fromage de l'homme de Dun, disait le fils à son père.
- Viens ici que je te botte les fesses, répliquait en riant son père. (C'était le premier rire vraiment franc depuis bien longtemps) J'ai passé un mois les pieds dans l'eau à guider le radeau...
- Tu ne t'es pas bien frotté le nez, dit le garçon en l'éclaboussant.

Ils lavèrent ensuite leurs habits, enfilèrent de vieilles chausses élimées et se drapèrent de couvertures.

- Il faudra du temps pour que ça sèche. Dommage qu'on ait laissé tant de linges à la grand-mère...
- Là-bas, papa ! répliqua Norveleg, en pointant son doigt à l'horizon. N'est-ce pas du linge qu'on aurait oublié ou mis à sécher ?

Et le petit garçon détalait, dans les chardons et les bruyères, vers une petite éminence où Gwaerendur perçut lui aussi une tache rouge et bleue. Norveleg héla son père, et comme le bûcheron prenait son temps, le garçon hurla plus fort et plus longtemps. Sur le sol un peu marécageux, dissimulé par un buisson d'ajoncs, un homme était recroquevillé, blessé à mort, le sang ruisselant de sa poitrine. Gwaerendur le retourna prudemment.

- Grimhild, Torkils, Edoras... murmurait l'agonisant.

La scène sembla durer des heures, et de fait, l'agonie s'éternisait. Les yeux vitreux, le corps relâché, la main crispée sur une mèche de cheveux blonds, l'homme de Rohan répétait dans un râle les mêmes mots, dès qu'il parvenait à ouvrir la commissure des lèvres. Il semblait supplier, et prit la main de Gwaerendur convulsivement et la serra dans ses menottes glacées, sur les cheveux blonds.

- Grimhild, Torkils, Edoras... finit-il par expirer.

Et Norveleg se mit à pleurer. A Edoras, un petit garçon - ou une petite fille ? - qu'il imaginait de son âge, et une maman prénommée Grimhild venaient de perdre un père et un mari, et l'ignoraient. Gwaerendur ne prit pas la peine de consoler son garçon, il le laissa sangloter jusque tard dans la soirée. Il dit enfin:

- Je vais lui creuser une fosse ici, pour qu'il ne soit pas la proie des bêtes sauvages. Je n'irai pas trouver les gens du péage ou ceux de la route, qui passent si près d'ici. L'homme a été assassiné. Percé de deux flèches et poignardé dans le dos. C'est un miracle qu'il ne soit pas mort sur le coup, il est peut-être là depuis quarante-huit heures, à attendre pour laisser son message.
- Quel message, père ?
- Il faut prévenir une femme blonde et un enfant, à Edoras. C'est la capitale du Rohan. Je te laisserai à Larrach Dunnan chez tes oncles, le temps de rendre ce qui m'a été donné, fit Gwaerendur, grave, crispant sa main sur une mèche de cheveux.
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A travers le Dunland EmptySam 21 Jan 2012 - 13:36
Une fois la tombe creusée et le Rohir enterré, Gwaerendur et Norveleg regagnèrent prudemment la route, en coupant un peu par la lande. Si d'aventure on retrouvait le corps (la sépulture n'était qu'à deux cent mètres de la grand'route qui mène de Tharbad à Larrach Dunnan), personne ne penserait à l'étrange couple qui chevauchait un amble paisible ce frais matin-là.
Le voyage vers Larrach Dunnan dura une semaine. Les quatre premiers jours, Gwaerendur et Norveleg croisèrent quelques troupeaux, passèrent devant quelques bories isolées, saluèrent quelques cavaliers dunlendings, et un courrier arnorien. A chaque rencontre, le père gardait prudemment sa lourde hache de bûcheron pendue à ses braies, et poussait le cheval de son fils sur ses flancs.

- S'il arrive quoi que ce soit, si un homme brandit une arme ou nous menace, tu pars immédiatement au galop à travers la lande, et tu cherches un adulte pour te protéger.

Ces précautions s'avérèrent inutiles et leur principal souci fut le linge qui était trempé et tardait à sécher, tandis que les nuits étaient fraîches. Gwaerendur hésitait chaque soir à allumer un petit feu, de peur d'attirer quelques bandes de mauvais garçons ou d'effrayer son fils. Il se contentait d'entretenir un petit feu de brandes, juste assez pour faire bouillir un peu d'eau et réchauffer leurs mains. Le troisième jour, tandis qu'ils passaient auprès d'un broch imposant, ils croisèrent des pâtres dunlendings qui les hélèrent dans un westron assez clair.

- Salut, étrangers !
- Salut, gens de Dun ! répondit Gwaerendur. C'est bien la route pour Larrach Dunnan ?
- Oui, à trois jours de là... C'est une longue trotte pour le petit !
- C'est un dur...

Alors, Gwaerendur regarda son fils, et vit la sueur qui perlait sur son front, ses lèvres trop pâles, son teint parcheminé de fièvres. Il freina sa monture et mit pied à terre, prit son fils dans les bras, et demanda aux pâtres s'ils pouvaient se restaurer à l'abri. Ils furent accueillis dans une cahute très basse mais plus confortable que leurs bivouacs et y passèrent la journée et la nuit. Leurs hôtes étaient bavards et Gwaerendur dut forcer sa nature.
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