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 Dame Kathryn Prospéris

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Kathryn Prospéris
Bourgeoise du Gondor
Kathryn Prospéris

Nombre de messages : 23
Age : 27
Localisation : Gondor

~ GRIMOIRE ~
- -: Humaine
- -: 64
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Dame Kathryn Prospéris EmptyLun 12 Nov 2012 - 18:01
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Nom & Prénom : Kathryn Prospéris
Âge : 64 ans
Sexe : Féminin
Race : Humaine
Particularités : Santé fragile, passionnée par les chevaux.
Alignement : Neutre Mauvais
Rôle : Bourgeoise de Gondor
Equipement :
  • Echarpe de soie aux couleurs de l'arc-en-ciel.
  • Chevalière gravée du sceau Prospéris qui sert pour cacheter les documents qu’elle porte en bagarre à l’auriculaire de sa main gauche.
  • Bague ornée d’un onyx, dotée d’un mécanisme révélant une pointe empoisonnée (une seule dose), qu’elle porte à l’index de la main droite.

Dame Kathryn Prospéris Iris10

Dame Kathryn Prospéris Yyyphy10


- Que savez-vous de Kathryn Prospéris ?

Welinor Tullin se frotta le menton tout en réfléchissant.

- Bien peu, pour dire vrai. Sa réputation n’est plus à faire, on la dit grande commerçante, avisée et féroce en affaire, mais autrement que ces banalités, je ne sais trop quoi dire.
- Son âge, au moins ?
- Je n’en ai aucune idée, mais pour avoir bâti un empire commercial de toutes pièces ou presque, elle doit être assez âgée, non ?
- En d’autres termes, une vieille femme aigrie et intransigeante. Je ne supporte pas ce genre de personnes qui restent campées sur leurs positions sans jamais rien lâcher !
- Espérons qu’elle sera un peu plus conciliante, ou nous aurons à user de plus de fermeté pour la faire plier.
- Une femme seule ne saurait résister au poids sous-jacent de tous nos alliés commerciaux !
- Arrangeons-nous pour ne pas avoir à en arriver là. Il vaut mieux rester en bons termes avec Kathryn Prospéris, à ce qu’il paraît. Ses ennemis s’en sortent rarement bien. On en entend parler, des entreprises qu’elle a coulées en quelques moi quand elles l’avaient provoquées ! Soyons assez intelligents pour ne pas risquer le même…

Trois coups secs frappés à la porte interrompirent ces paroles. Les deux hommes se levèrent, et Tullin invita à entrer la retardataire.
Une jeune femme blonde ouvrit la porte. Les marchands échangèrent un regard interloqué, et alors qu’elle ouvrait la bouche pour parler, Tullin intervint :

- Vous venez annoncer Dame Kathryn ? Elle sera en retard ?

Un imperceptible froncement de sourcils troubla le visage calme et neutre de la femme, et sa bouche se crispa dans une moue agacée.

- Je suis Kathryn Prospéris.

Elle claqua le battant derrière elle avec âpreté. Les deux hommes, bouche bée, la regardèrent avancer jusqu’à eux, d’une démarche fière et rigide. Ils l’observèrent plus attentivement, déconcertés par son apparence. Kathryn Prospéris était une jeune femme à la longue chevelure blond platine qui descendait en cascades d’or blanc sur ses épaules. Elle était de taille moyenne, mince et avait un port altier et digne. Elle était dotée d’un visage harmonieux aux joues fraîches, d’une bouche délicate et de pommettes hautes qui donnaient une certaine majesté à son expression. Ses yeux étaient bleu-vert et perçants et elle analysait par petits coups d’œil les deux hommes debout face à elle. Hormis son regard qui laissait entrevoir son caractère attentif et observateur, elle affichait une physionomie impassible et distante. Elle portait une robe longue vert émeraude, qui mettait en valeur sa taille fine et la droiture de sa silhouette. Un foulard de soie aux couleurs de l’arc-en-ciel reposait comme négligemment sur ses épaules, ondoyant de reflets chatoyants à chacun de ses mouvements. Lorsqu’elle s’arrêta près des deux marchands, elle les regarda un instant, puis, devant leur absence de réaction, prit la parole :

- Je suis enchantée de vous rencontrer. Vous devez être Welinor Tullin ? dit-elle en se tournant vers l’intéressé qui hocha la tête et parut reprendre contenance.
- Oui, et je vous présente mon principal collaborateur, le marchand Ydan Vatal, vous avez peut-être entendu parler de lui ?
- En effet. J’ai cru ouïr que vos affaires au Rohan se portent bien, Maître Vatal.
- Fort bien, ma Dame, fort bien, répondit l’homme en haussant les sourcils, plus surpris qu’il ne le laissait voir. Mais pas encore tout à fait aussi bien que les vôtres, si ce que l’on raconte est vrai.

Kathryn esquissa un sourire glacé.

- On raconte beaucoup de choses de par le monde, vous le savez comme moi.
- Les gens sont ainsi, conclut Tullin. Puis-je vous proposer de passer à nos affaires ?

Ils s’assirent autour d’une table ronde, et chacun sortit des documents.

- Bien,
commença Kathryn. Je vous propose de passez directement à nos affaires.
- Parfaitement. Nous sommes donc ici, car vous nous avez signifié votre désir de revoir la répartition des parts de marché en vigueur avec l’entreprise de tisseranderie Drasath.
- En effet, acquiesça la femme d’un gracieux signe de tête. Drasath vend actuellement trente pour cent de sa production à votre commerce, vingt pour cent aux entreprises Thorsus Caden, et cinquante pour cent aux Etoffes Prospéris.
- Excusez-moi, ma Dame, intervint Vatal en se penchant en avant, mais les documents en notre possession indiquent que vous n’avez un droit d’achat que sur trente pour cent, et que vingt pour cent sont vendus librement par Drasath à d’autres commerces.
- Vos documents ne doivent pas être à jour, j’en ai bien peur, fit Kathryn d’un air faussement indulgent. J’ai racheté ces vingt pour cent il y a de cela trois semaines.
- Vous n’en aviez pas le droit ! s’écria le marchand Tullin avec virulence. C’est une violation du contrat que vous avez signé ! Que nous avons tous signé, d’ailleurs !
- J’ai bien évidemment attendu le lendemain de l’échéance dudit contrat pour me présenter chez Maître Drasath pour discuter avec lui de ce rachat, répondit Kathryn avec un sourire policé. Il n’y a vu aucun inconvénient, et nous sommes rapidement parvenus à un arrangement contentant chaque partie.
- C’est une très bonne affaire pour vous, Dame Prospéris, les tissus Drasath sont d’excellente qualité, réagit encore le marchand avec amertume.
- Il est vrai. Et c’est pourquoi je souhaite aujourd’hui négocier avec vous le rachat de la moitié de vos parts, laissa-t-elle tomber en secouant négligemment sa longue chevelure argentée.
- La moitié ?! Vous rendez-vous compte de ce que vous demandez ? Explosa Tullin, plus rougeaud et furibond que jamais. C’est absolument hors de question !
- Je suis pleinement consciente de vos réticences mais comme moi vous savez qu’il n’y a nulle place pour la mansuétude, en affaires.
- Si vous souhaitez accroître votre part, pourquoi ne pas vous tourner vers le marchand Caden, qui détient les vingt pour cent restants ? Tenta de tempérer Vatal en se trémoussant d’un air gêné dans son fauteuil.
- J’ai déjà prévu de le visiter, mais je ne peux pas demander plus de la moitié des parts d’un si vieil ami de ma famille, vous comprenez.
- Et bien vous devrez vous en contenter, j’en ai bien peur, ma Dame, car il est exclu que l’on cède nos parts, se buta le marchand coléreux.
- Je vois, souffla Kathryn d’une voix glaçante, en plissant ses yeux azurés devenus cruels. En ce cas, je vais devoir me montrer bien moins plaisante.

Elle croisa ses mains aux doigts fins, et frappa une fois ses deux bagues l’une contre l’autre. Les deux hommes, surpris, baissèrent les yeux vers les bijoux. Elle portait une chevalière en or, gravée du sceau Prospéris à l’auriculaire droit, et une bague en argent, ornée d’un onyx, à l’index gauche. Curieusement, malgré sa richesse, c’étaient là les seuls bijoux qu’elle arborait. Elle toussota avec hauteur.

- J’ai eu récemment connaissance d’une fabrique de soieries située à, disons… une dizaine de miles à l’ouest de Minas Tirith. Depuis plusieurs mois, la plupart des chargements en sortant sont attaqués par des brigands, commença-t-elle comme racontant une anecdote sans importance.
- C’est malheureux, dit Tullin en regardant Kathryn dans les yeux d’un air de défi. Mais je ne vois pas en quoi cela devrait nous concerner. Nous ne nous intéressons pas aux producteurs aussi proches de la capitale, leurs prix sont bien trop exorbitants.
- Cela ne vous concerne en rien, évidemment, glissa la femme en tournant lentement son regard vers Vatal, qui, fuyant cet examen, commençait à s’agiter et à transpirer.

Elle frappait maintenant ses chevalières à un rythme régulier, calme, chaque choc marquant une seconde.

Tac, tac, tac.

- Il semblerait que depuis que ces incidents ont commencé, votre commerce ait connu une augmentation de profit d’autant. Il serait regrettable que quelqu’un se mette à souligner ce hasard, cela pourrait nuire à votre réputation, ainsi qu’à vos affaires, termina-t-elle en fixant toujours le marchand embarrassé.

Tac, tac, tac.

Son compagnon réagit d’un ton se voulant tranchant, mais néanmoins teinté d’hésitation :

- Comme vous le dites si bien, c’est un hasard, ma chère. Personne de sensé ne pourrait sciemment croire à ces ridicules médisances.
- Vous avez mille fois raison, mon ami, répondit Kathryn avec un petit rire sec qui laissait clairement entendre qu’ils n’avaient rien d’amis. Pourtant, un autre de mes amis avec qui je corresponds souvent m’a conté avoir acheté un lot de magnifiques soieries à un prix défiant toute concurrence, le mois dernier. En connaisseur, il m’a assuré qu’une telle qualité ne pouvait provenir que des environs de Minas Tirith. De la fabrique qui se fait attaquer, justement. C’est étrange, car plus aucune marchandise n’en sort depuis peu à cause de ces embêtements. Quand je lui ai demandé où il se les est procurées, il m’a répondu que c’est un intermédiaire qui les lui avait fournies. Mais dans le métier, on sait obtenir des informations, aussi, il a obtenu un nom de cet auxiliaire.

Elle s’arrêta, regardant successivement les deux hommes maintenant figés d’horreur. Ses bagues martelaient maintenant une allure pressante, furieuse, frénétique.

Tac, tac, tac.

Enfin, au paroxysme de cette mélodie féroce, elle susurra :

- Le vôtre, messieurs.

Tullin déglutit, Vatal s’essuya le front, puis le premier déclara d’une voix lente et hachée :

- Nous vous cédons un quart.
- Si je voulais un quart, j’aurais demandé un quart. Je veux la moitié.
- Nous souhaiterions en discuter entre nous.
- Mais très certainement, sourit Kathryn d’une voix mielleuse. Et tandis que les hommes se levaient, elle ajouta :
- Pourriez-vous m’envoyer quelque rafraîchissement, je vous prie ? Je meurs de soif.
Lorsque Wellinor Tullin et Ydan Vatal revinrent dans la salle, ils trouvèrent la jeune femme sirotant un verre de vin.
- C’est d’accord, cracha Tullin.

Kathryn Prospéris leur adressa un sourire polaire, et ils comprirent alors que depuis le début elle ne leur avait pas laissé la moindre chance.

- Enfin.


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Spoiler:

...

Kathryn avait trois ans.

Elle courait et riait avec des enfants de la ville où elle et ses parents participaient à un grand marché. Elle ne se souvenait plus du nom du lieu, comme elle ne se souvenait plus de l’endroit que son père lui avait montré sur la carte en vieux parchemin. Elle savait juste que ça ne ressemblait pas à son village natal, plus petit et plus calme. Ce dernier était situé à quelques miles au sud d’Osgiliath, sur les rives de l’Anduin, ça elle le connaissait par cœur, même si chaque fois qu’ils s’y rendaient, ils n’y restaient que quelques semaines. Si dans son village, les maisons étaient petites, biscornues et les briques artisanales des murs fissurées, autour d’elle, il y avait beaucoup de gens, les rues étaient droites et pavées, et elle ne voyait aucun champ. Ayant déjà fait plusieurs longs voyages, visité des cités imposantes aux beaux bâtiments de pierre, elle connaissait cette ambiance d’effervescence contenue, celle des marchés des grandes villes.

Kathryn jouait toujours avec les autres enfants, sous le regard attentif de sa mère, et pendant que son père négociait avec un acheteur potentiel des tissus de toutes les couleurs. Elle savait que son père réussirait la vente. Son père réussissait toujours à vendre sa marchandise, avant que la caravane de marchands ne reparte. Kathryn s’arrêta un instant pour tousser, puis, alors que sa mère inquiète s’avançait vers elle, elle lui fit un signe de main, puis, riant aux éclats, s’en retourna à ses jeux.

...

Spoiler:

...

Kathryn avait sept ans.

Comme chaque mois, elle se rendait avec sa mère chez un apothicaire, pour passer commande de la décoction de plantes amères qui apaisait sa toux. Le froid était mordant ce matin-là. Elle resserra sa cape de laine verte autour de sa gorge avec humeur, et étouffa une quinte. Sa mère lui recouvrit les épaules d’un pan de son propre manteau, et ralentit le pas pour s’adapter à celui de la fillette. Lorsqu’elles poussèrent la porte de la petite échoppe, les dents de Kathryn claquaient pitoyablement. Sa mère s’agenouilla près d’elle et la frictionna dans l’épaisse pelisse pour la revigorer quelque peu.

Quand l’enfant eut repris des couleurs, elles s’avancèrent vers le vieil herboriste, qui, accoudé à l’antique comptoir de bois, les observait avec un air intrigué. Dès lors que la mère de Kathryn lui indiqua ce dont elles avaient besoin, il se tourna vers la petite fille qu’il dévisagea attentivement, avant de lui demander son âge. Lorsque Kathryn répondit d’une voix faible, l’homme s’étonna qu’une décoction aussi forte soit donnée à une enfant si jeune. Orella lui expliqua que seul un remède de ce type pouvait soulager les maux de l’enfant. Le commerçant, cependant, rechignait à lui donner ce qu’elle demandait, et quand Orella lui assurait qu’elle avait essayé de nombreux autres médicaments qui s’étaient tous révélés inefficaces, il lui répondait avec embarras que ce n’était pas raisonnable. Pendant que les adultes débattaient, Kathryn gardait tête baissée. Sa gorge lui brûlait terriblement, et elle se sentait affreusement honteuse d’être la cause de tous ces ennuis.

Sa mère continuait à insister, l’homme à décliner, et la petite fille se mit à pleurer silencieusement, d’être si petite, si faible, si malade. L’apothicaire remarqua les épaules tremblantes de l’enfant et, suivant son regard, la mère s’agenouilla précipitamment auprès de sa fille pour lui demander ce qui lui arrivait. Mais Kathryn continuait de serrer les lèvres, de peur d’éclater en bruyants sanglots, et de faire par là-même encore plus honte à sa mère. Gêné, l’herboriste se précipita dans ses étagères et en sortit les deux bouteilles d’infusion de sapin et de thym qu’Orella lui avait demandé. De retour dans la voiture à chevaux, dans la file de caravanes, Kathryn se laissa installer au milieu de couvertures et de coussins, près du brasero qui réchauffait agréablement l’habitacle. Le regard perdu dans les flammes, elle remarqua à peine la tasse brûlante et fumante qu’on lui mit entre les mains. En la portant à ses lèvres, elle reconnut au goût l’âpre décoction de plantes médicinales que sa mère avait dilué dans du lait chaud. Fermant fort les yeux comme pour en oublier l’amertume, elle vida la tasse d’un seul trait, puis, le liquide brûlant sa gorge déjà râpeuse, elle se mit à tousser douloureusement jusqu’à en perdre son souffle. Sa mère la prit dans ses bras, et, impuissante, se mit à la bercer tout contre elle. Kathryn voulait la regarder, s’excuser de lui causer tant de soucis, mais dès qu’elle ouvrait la bouche, et inspirait pour parler, la caresse de l’air dans sa gorge la faisait souffrir comme une plaie écorchée. Alors elle détourna le regard, et fixant les braises crachotantes, souhaita de tout son cœur pouvoir oublier sa douleur, oublier ses larmes, oublier sa faiblesse.

...

Spoiler:

...

Kathryn avait vingt-quatre ans.

Elle froissa lentement la feuille de parchemin avant de se laisser tomber sur le fauteuil éventré de la petite chambre d’auberge qu’elle occupait. Les lettres impeccables dessinées à l’encre couteuse sur du papier fin, dansaient et se mélangeaient sur sa rétine, lui donnant le vertige. Une main sur la poitrine, elle cherchait à reprendre son souffle, et à comprendre. Les dernières semaines avaient été éprouvantes et difficiles pour elle, et alors qu’elle espérait pouvoir tourner la page sur ces moments de doute avant de continuer à vivre, tout ce qu’elle possédait lui était arraché. Le visage enfoui dans sa main, elle laissa la boule de papier s’échapper de ses doigts dénués de toute vie, et ses pensées s’échapper dans ses souvenirs, aux arêtes plus vives et tranchantes que jamais…
La route était inégale et les cahots nombreux, aussi, Kathryn était descendue et marchait le long de la file de caravanes. Elle savait que sa santé ne lui permettait pas de marcher longtemps, mais elle ne pouvait s’empêcher de sortir, même une demi-heure, lassée du charriot, pour observer le paysage et voir les enfants des autres marchands, avec qui elle s’était liée d’amitié. Ils n’étaient plus nombreux maintenant, car en fin de voyage, ils avaient déjà desservis la destination d’une grande partie de la caravane originelle. Seuls trois charriots subsistaient, un marchand de vins et un de bijoux, mais le joaillier devait les quitter à la prochaine ville, qui n’était plus qu’à quelques miles.
Kathryn marchait donc en discutant avec son fils, la fille du marchand de fin les ayant laissés quelques minutes plus tôt pour aller proposer des bouteilles aux autres commerçants, lorsqu’elle entendit un cri bref, suivi du fracas de dizaines de sabots sur le sol. Des bandits dévalaient la colline en surplomb, droit sur leur convoi. Après un instant de latence, des armes furent sorties du côté des marchands, mais ils étaient très largement en sous nombre face aux assaillants. Les cavaliers de têtes de ces derniers attinrent l’avant de la caravane, et le fracas de lames retentit comme l’orage. Effrayés, les chevaux attelés ruèrent, et sous les coups de sabots, une roue du charriot près duquel se tenait Kathryn, tout à l’arrière, se brisa, et la voiture se retrouva à l’oblique. Le fils du bijoutier attrapa Kathryn par le bras, et l’envoya sans ménagement se cacher dessous, entre le plancher de bois incliné et des sacs de toile grossière. Haletante, elle se recroquevilla dans sa cachette, et, sans prendre la peine d’essuyer ses larmes, plaqua ses mains sur ses oreilles pour ne pas entendre les bruits de combat, les cris, les râles.

Elle attendit, attendit, attendit, jusqu’à ce que ses larmes se calment, jusqu’à ce que tout lui paraisse paisible. Enfin, elle redressa un peu la tête, la joue pleine de terre, et tendit l’oreille. Les hurlements lui parurent un lointain et terrible souvenir, mais le silence n’était pas total. Une voix se faisait entendre. Un brin essoufflée, mais surtout nonchalante, comme désabusée :

« Si j’avais su, je n’aurais pas dépêché autant d’hommes.
- C’est vrai, mais bon, la solde était bonne, et puis, on peut piller ce qu’on veut ! Vous devriez venir voir les bijoux qu’il y a là-bas, y’en a pour…
- Soyons sûrs d’avoir fini le boulot avant tout. Un homme, une femme et leur fille, le compte est bon ?
- Pour sûr. Tous les trois autour de leur charriot, pas de doute possible.
- Très bien alors. Des bijoux, tu disais ? »

Kathryn n’en entendit pas plus, comme elle n’entendit pas les pas des hommes se rapprocher de son abri improvisé. Ses tympans bourdonnaient sourdement, l’empêchant d’ouïr quoi qui ne fut les battements ralentis et hésitants de son cœur. Son esprit, en revanche, fonctionnait à toute vitesse. Un homme, une femme, leur fille. Cela excluait le bijoutier et sa femme qui n’avaient qu’un fils. Le marchand de vin, lui, avait une fille, mais était veuf depuis des années. Cela signifiait-il que sa famille et elle étaient visées ? C’était la seule solution cohérente, mais qui leur voudrait du mal, et surtout pourquoi ? Tant de questions qui se bousculaient, et ce gouffre qui s’ouvrait ; ses parents, morts. Comme le reste de la caravane, ses amis et leurs familles, tous d’innocentes victimes collatérales.

C’eu fut trop.

Repoussant les sacs qui l’étouffaient, elle sortit, tirant un poignard de sous ses jupes, qui elle le savait, ne la rendrait que plus ridicule faces à ces bandits, face à ces assassins… Il lui fallut plusieurs secondes, alourdies de silence, pour voir à travers le voile de ses larmes l’atroce vérité. Deux paires d’yeux furieux se tournèrent vers elles. Deux renards s’enfuirent, abandonnant le cadavre d’un cheval qu’ils étaient occupés à déchiqueter de leurs petits crocs pointus. Les deux derniers êtres vivants quittaient là la scène de carnage. Kathryn regarda autour d’elle, ce paysage désolé de traverses de bois brisées, de toile à sac déchirée, de corps lacérés, et de sang versé, que même la terre sèche de la route ne pouvait entièrement boire. Comme un fantôme, hagarde, la jeune fille marcha au travers les objets et les vies brisés, laissant son regard errer sur les visages de ces gens qu’elle avait côtoyé. Le fils du bijoutier, qui était toujours tellement gentil avec elle, qui lui avait sauvé la vie en la mettant à l’abri, s’était fait défoncer le crâne par une masse, juste devant la cachette de Kathryn, sans doute en essayant de la protéger. Les autres marchands, eux, étaient morts regroupés au centre de la piste, comme des animaux acculés. La fille du marchand de vin, qu’elle avait connu si souriante, ne montrait plus qu’un rictus de douleur. Elle gisait dans une mare de sang et de vin, dans les débris des bouteilles qu’elle transportait lors de l’attaque, près du charriot des parents de Kathryn. C’était elle, qu’ils avaient cru leur fille, qu’ils avaient pris pour Kathryn. Une plaie béait de son bas-ventre à son plexus, et laissait encore couler quelques rares filets de sang dans sa tunique de lin. S’ils avaient tué une autre jeune fille en lieu et place de Kathryn, ils avaient quand même porté une blessure à cette dernière, qui la faisait souffrir plus encore qu’un coup d’épée. Quelques pas de plus l’amenèrent aux cadavres de ses parents. Un simple coup d’œil lui apporta la certitude que ses vagues espoirs étaient vains. Les mercenaires avaient consciencieusement fait ce pourquoi ils avaient été si grassement payés, et Kathryn ne s’attarda pas plus auprès de ces carcasses vides qui avaient autrefois été ses parents. Nulles larmes, nuls cris de souffrance ne pouvaient les faire revenir à la vie, aussi, il ne servait à rien de rester là.

Elle jeta un dernier regard sur le visage de sa mère, tentant d’occulter l’immonde entaille qui barrait sa gorge, puis celui de son père, à moitié couvert de sang à cause d’une blessure à l’arcade sourcilière, puis se détourna. Elle regarda de part et d’autre de la piste, espérant trouver un des chevaux qui s’étaient enfuis pendant l’assaut, mais soit les bêtes étaient loin déjà, soit les bandits les avaient récupérées. Quoiqu’il en soit, il ne lui restait plus qu’à marcher jusqu’à la prochaine ville. Elle n’était qu’à quelques miles, mais si c’était un rapide trajet pour une caravane, c’en était un très long pour une jeune fille seule, faible et malade, alors que la nuit tomberait dans une poignée d’heures. Poussée par son désir de mettre le plus de distance possible entre elle et le carnage, elle tourna le dos à cette scène d’horreur, et se mit en marche.

Elle allait au début avec courage, respirant le plus régulièrement, déterminée à tenir la distance et parvenir à son but, mais, plus les minutes s’égrenaient, plus ses jambes se faisaient lourdes, et son souffle court. La poussière qu’arrachait le vent à la route s’envolait en volutes cuivrées dans la lumière ambrée du soir sauvage, avant de s’engouffrer dans sa gorge, qu’elle tailladait impitoyablement de coups de griffes. De plus en plus faible et essoufflée, Kathryn commençait à tituber, chaque pas se faisait plus difficile que le précédent. La nuit était tombée sans qu’elle s’en rende seulement compte, concentrée de tout son être pour ne pas chanceler. À la lueur des étoiles, la petite ville lui apparût enfin, une grande porte de bois fermée, fixée par des gonds de fer rouillé aux murs de pierre, qui auraient pu être rassurants si elle ne s’était pas trouvée du mauvais côté. Éperdue de soulagement, elle tomba à genoux, des larmes d’épuisement roulant sur ses joues. Elle resta quelques minutes dans cette position, la tête à demi baissée, les yeux plissés pour ne plus voir que les lumières de la ville qui lui promettaient sécurité et repos, puis tenta de se lever. Ses jambes se dérobèrent sous son poids, et elle tomba lourdement, face contre terre. Elle tenta de nouveau de se redresser, mais ses jambes tétanisaient et étaient douloureusement gourds. Pleurant cette fois de rage contre sa faiblesse, Kathryn se replia sur elle, même, pensant aux corps sans vie de ses parents, aux visages déformés par la mort de ses amis, et, dans un ahanement furieux, se remit debout d’un seul mouvement. Ses muscles hurlèrent, ses poumons s’emballèrent, mais elle ignora les premiers, étouffa la réaction des seconds, et, serrant les dents sur une crise de toux, elle fit un pas pénible, puis un suivant, puis, dans un rythme régulier bien que laborieux, recommença à avancer, le regard fixé sur la porte qui se rapprochait imperceptiblement à chaque instant.

Elle ne faisait pas attention au tremblement de ses membres, elle ne tenait pas compte du sable qui, soulevé par ses pas, s’élevait comme un halo autour d’elle et irritait sa peau, elle n’avait cure des filets de sang qu’elle crachait à chaque respiration, elle ne voyait que cette porte de bois, et ne voulait pas baisser les yeux, de peur que sa détermination miraculeuse ne faillît et qu’elle retombe au sol, pour mourir là, dans la poussière. Un pas puis l’autre, une inspiration puis une expiration, elle arriva finalement devant la porte. Epuisée, elle s’effondra sur le battant de bois, et prit un moment pour respirer. Son souffle était rauque et difficile, et des bulles de sang se formaient aux commissures de ses lèvres. Elle entendait la voix des gardes qui se tenaient au-dessus de la porte, qui plaisantaient et riaient pendant qu’elle se mourrait à leurs pieds. Elle ouvrit la bouche pour crier, pour les appeler à l’aide, mais seulement un gémissement suraigu et à peine audible sortit de sa gorge meurtrie. Désespérée, elle se mit à frapper faiblement du poing contre le panneau, priant pour qu’on l’entende avant qu’elle ne perde connaissance. Puisant dans ses dernières forces, elle frappa plus fort la porte, chaque fois plus hargneuse. Elle ne pouvait pas avoir subi tout cela, elle ne pouvait pas avoir parcouru tout ce chemin pour mourir comme un chien sur le côté du chemin, au bas d’une porte. Elle s’échina, mais finalement, elle ne put même plus lever son poing contusionné, et il retomba mollement sur sa cuisse. Sa tête roula sur sa poitrine, et elle abandonna, la douleur causée par sa respiration irrégulière et superficielle prenant le dessus et emplissant ses pensées.

Une dizaine de minutes plus tard, les deux gardes présents furent relevés. Tandis qu’ils prenaient le chemin de la taverne la plus proche, les nouveaux venus se postèrent au bord du mur. La fraîcheur de la nuit contrastant désagréablement avec la touffeur qui régnait en journée, l’un d’eux s’accouda au muret de pierre, se frottant les mains pour essayer d’y ramener un peu de chaleur. Promenant distraitement son regard par-delà le champ de sa torche, il aperçut une forme sombre en contrebas. En observant plus attentivement, il se rendit compte que c’étaient les jambes de quelqu’un adossé à la porte. Il appela son compagnon, et d’un commun accord, ils descendirent voir s’il s’agissait d’un ivrogne, ou de quelque chose de ce genre. Lorsqu’ils arrivèrent près du corps, ils eurent la surprise de découvrir une jeune fille inconsciente. Elle était pâle comme la mort, et le sang qui maculait son menton et l’avant de sa tunique avait rendu poisseuses ses mèches brunes. Le plus jeune des deux, qui le premier l’avait aperçue, s’accroupit auprès d’elle et la secoue doucement par l’épaule en l’appelant. La voyant sans réaction, il consulta son compère du regard, puis la prit dans ses bras pour l’amener au médecin le plus proche.
Lorsque Kathryn se réveilla, un plafond en mansarde aux poutres duquel étaient suspendues toutes sortes de plantes se tenait au-dessus d’elle. Elle tenta de se redresser, mais retomba immédiatement sur l’oreiller de plume avec un grognement de douleur. La tête lui tournait, sa vision était floue, elle avait mal partout, mais surtout, une terrible sensation de brûlure dans ses poumons la faisait souffrir à en pleurer. Sur sa gauche, une voix étouffée l’appela. Un homme dans la force de l’âge, vêtu d’une bure de grosse toile, était assis à une table de bois brut et l’observait avec un sourire contrit. Il était médecin, et s’était occupé d’elle durant son inconscience. Il lui expliqua comment on l’avait trouvée, et que ses poumons, déjà malades, avaient été sérieusement touchés durant cette épreuve. Cependant, il avait trouvé une infusion puissante qui avait réussit à calmer la grande partie de ce problème, mais seulement temporairement. Kathryn écouta l’homme sans rien dire, puis, après l’avoir remercié, accepta d’accueillir un membre de la garde, venu écouter le récit de l’attaque. Lorsqu’elle lui eut tout raconté, et qu’il eut pris note, elle lui demanda s’ils allaient retrouver les bandits qui avaient fait cela. Il lui répondit avec gêne que cette attaque était inexplicable, car aucun groupe de brigands n’attaquait si près des villes habituellement. C’était sans doute bel et bien un contrat, et il n’y avait que très peu de chances pour qu’ils retrouvent leur trace dans les environs.

Au bout de plusieurs jours de convalescence, Kathryn exprima à son hôte sa volonté de se rendre à Minas Tirith, pour s’occuper des formalités concernant leur disparition. Elle avait déjà obtenu l’accord de marchands pour la prendre dans leur caravane, en échange d’un travail auprès du palefrenier du convoi. Tout d’abord réticent au vu de sa santé fragile, le médecin dut céder, la jeune fille paraissant déjà déterminée. Il lui donna trois bouteilles du mélange qu’il avait utilisé pour la soigner, ainsi que la recette, et, l’ayant aidé à faire son sac, l’accompagna au point de départ du voyage, et lui souhaita bonne route. Pendant un mois, l’espoir d’arriver à Minas Tirith lui permit de résister au travail éprouvant qui la laissait vidée de toute force le soir venu. Des crises de toux de plus en plus violentes l’handicapaient, mais une seule gorgée du remède lui offrait quelques heures de résistance en plus. Lorsqu’enfin ils parvinrent en vue de la Cité Blanche, son calvaire semblait terminer. Elle récupérerait la gestion de l’entreprise de ses parents, puis pourrait s’organiser au mieux pour pallier à ses accès de faiblesse. Quittant la caravane avec un petit salaire surement gagné, elle s’engouffra à l’intérieur des hauts murs de la Cité.
Elle demanda son chemin à un tavernier, qui lui indiqua à quelques ruelles de là un bâtiment qui ne payait pas de mine. Elle y pénétra, et fut surprise de découvrir un intérieur impeccable et de bon goût. Kathryn ne se sentit pas à sa place, avec ses habits simples et usés, couverts de la poussière du voyage. Se faisant la plus discrète possible, elle s’avança vers le comptoir en bois précieux, si poli qu’on pouvait se mirer dedans. L’homme qui s’y tenait n’avait pas manqué de la regarder de la tête aux pieds à son entrée, en pinçant les lèvres avec désapprobation. Il l’interrogea sur les raisons de sa venue, et écouta ses explications d’un air impatient. La jeune fille, dont les joues creusées étaient d’ordinaire d’une pâleur maladive, se sentit rougir, et tenta de parler le plus concisément possible. Lorsqu’elle eut fini de parler, il tourna vivement le dos, et passa une porte derrière son bureau. Il y resta quelques cinq minutes, puis en ressortit, un parchemin roulé à la main. Il tendit celle-ci à Kathryn, puis, d’un gracieux geste de la main assorti à un sourire faussement poli, il lui indiqua la porte.

De retour dans la rue, Kathryn se dirigea vers une auberge, à deux rues de là. L’enseigne montrait un cheval donc l’un des membres antérieurs portait un bandage. Elle demanda une chambre qu’elle paya d’avance, et un repas pour le soir, et monta diligemment à l’étage. Laissant tomber ses sacs au sol, et elle-même sur le petit lit, elle osa enfin regarder le rouleau de papier. Ce dernier était de très bonne qualité, et elle avait peur de le déchirer de ses doigts tremblants. Elle prit une grande inspiration, interrompue par une quinte de toux, puis se décida à dérouler le parchemin. Il était parcouru d’une écriture fine et soignée, et au bas de la page, le sceau orné de l’arbre du Gondor attestait de son authenticité. Elle le lut trois fois, puis se leva. Elle fit le tour de la chambrette, puis le relut. Sans s’en rendre compte, elle tomba à genoux. Tout ce à quoi elle se raccrochait, tout ce qui lui avait permis de tenir bon ces dernières semaines lui était à présent enlevé, et ce de la pire des façons. Ses parents, ses propres parents l’avaient dépossédée de ce qui lui revenait de droit, pour le donner à son cousin. Bien qu’abasourdie par cette nouvelle, elle ne pouvait que voir la raison de cette décision. Elle était malade, faible et fragile, inapte sans doute à s’occuper convenablement de l’entreprise. Et puis elle était une fille, un désavantage considérable en affaires. Tous ces paramètres pris en compte, leur volonté était fondée et parfaitement compréhensible, mais malgré ce que la logique lui disait, Kathryn se sentait bouillir de l’intérieur à l’idée de ce qu’elle ressentait comme une trahison. La rente qui lui serait versée était suffisante pour vivre, mais elle ne supportait pas l’idée d’être assistée, encore moins par celui au profit duquel elle s’était vue déposséder de son bien.

...

Spoiler:

...

Kathryn avait vingt-sept ans.

Elle poussa un cri de rage. Une protestation s’éleva dans la pièce voisine. Les murs de sa minuscule chambre étaient très fins et elle avait sans doute dû réveiller le client d’à-côté, ce qui lui vaudrait les remontrances du tenancier, son employeur, mais elle n’en avait cure. Elle écumait, elle sentait qu’elle allait exploser, et tout ça, c’était de sa faute ! De leurs faute, à eux tous ! D’un revers de la main, elle envoya le petit vase qu’elle avait acheté pour égayer la pièce se fracasser bruyamment sur le sol. Elle tomba à genoux, et, grondant comme un animal sauvage, se mit à marteler de ses deux poings le matelas de paille inconfortable et urticant sur lequel elle dormait depuis trois ans. Plusieurs minutes plus tard, essoufflée, pliée en deux par une violente quinte de toux, elle dut s’arrêter. Des gouttes de sang coulèrent sur le plancher, mais elle ne le remarqua même pas. Tout ce qui existait, à ce moment-là, c’était son envie croissante et dévorante de meurtre. Emert Girsel… Ce moins-que-rien, non content d’avoir volé ce qui lui appartenait, avait en plus trouvé le moyen de le détruire, et le la ruiner, elle, avant de prendre la fuite comme un couard ! Depuis qu’elle avait accepté le testament de ses parents, elle avait réussi à trouver un équilibre dans sa vie, un petit emploi de serveuse dans cette auberge miteuse, des habitudes et des repères, mais il avait suffi de l’incompétence de ce… de ce misérable voleur pour tout bouleverser. Si ses parents lui avaient fait confiance, s’ils lui avaient confié l’entreprise, elle aurait réussi, elle aurait fait mieux que n’importe qui. Depuis trois années, elle avait senti cette amertume au fin fond de son être, qui la rongeait de l’intérieur sans qu’elle ne puisse rien changer à cette situation, cette amertume qui se réveillait dès lors qu’elle recevait sa rente mensuelle, accompagnée d’une lettre hypocrite ornée du sceau Prospéris. Son sceau. Mais maintenant, la colère la submergeait, et elle mourait d’envie de retrouver cet infâme petit traître et de lui faire payer très cher cet affront.

Cependant, ce n’était pas un problème de premier plan pour l’instant. Elle devait trouver un moyen de rembourser ses dettes, et ses petites économies ne suffiraient pas à cela. Mais une idée lui vient, qui n’était pas sans relever son honneur blessé. Elle était meilleure négociante que cet Emert, et sans doute que n’importe qui, elle le savait. Il lui suffirait d’un peu d’astuce, d’éloquence, et d’argument frappants. Et elle possédait les trois à foison. Sa décision fut rapidement prise, car c’était la seule qui lui permettrait de récupérer l’argent rapidement et de prouver aux autres et à elle-même qu’elle en était capable. Deux jours plus tard, son sac de voyage était près, et elle attendait le départ de la caravane qui l’emmènerait vers sa destination. Vers le renouveau d’un espoir, ou une nouvelle déception. Après moins d’un mois de voyage, elle se retrouva devant le portail d’une maison qu’elle reconnaissait pour y être déjà venue lorsqu’elle était plus jeune. Elle sonna à la cloche pendue près de la grille, et n’eut que quelques instants à attendre avant qu’un valet vienne la voir. Il la regarda avec suspicion, et même lorsqu’elle lui déclina son identité, il refusa de la laisser entrer. Derrière lui, un homme apparut à la porte d’entrée.

« Qui est-ce ?
- Elle dit être Mademoiselle Kathryn Prospéris, Monsieur. »

L’homme, intrigué, descendit du perron, et s’approcha. Il regarda Kathryn bien en face, puis un grand sourire fendit son visage avenant.

« Mais bien sûr que c’est Kathryn Prospéris ! Tout le portrait de sa mère ! Ouvre-lui donc, Pascel. »

Kathryn fut ainsi introduite dans la demeure du marchand Tudil Masion, un vieil ami de son père. Elle suivit Pascel jusqu’à un petit salon coquet, avec des tentures aux murs et d’épais tapis au sol, où on l’installa dans un profond fauteuil, qui lui parût confortable jusqu’à l’indécence. Masion s’assit en face d’elle, et contempla avec satisfaction son valet déposer à portée de la main de Kathryn une assiette de biscuits encore chauds, et un verre de vin. L’hôte l’enjoignit à se servir, puis, lorsqu’elle en eut grignoté un, il lui demanda la raison de sa venue. Elle posa les mains sur ses genoux, pris une grande inspiration, puis se lança. Elle lui exposa sa situation, ses problèmes, puis, en le regardant dans les yeux :

« J’ai besoin de marchandise pour 30 000 £.
- Bien sûr, je suis tout à fait disposé à aider la fille d’un de mes plus vieux amis. Seulement, avez-vous de quoi payer ?
- À vrai dire, je n’ai sur moi que 11 000 £.
- Dans ce cas, j’ai bien peur de ne pouvoir vous venir en aide, ma chère. Je peux volontiers vous donner un coup de pouce, mais à ce prix-là, même moi, même pour vous, vraiment, je ne peux pas. »

Kathryn poussa un soupir. Son ton faussement désolé l’horripilait, car elle savait que derrière ce masque, il désirait tout, sauf que l’entreprise Prospéris se relève, ayant toujours été son principal concurrent. Elle regarda un instant par la fenêtre, les arbres qui se balançaient dans le vent, puis se retourna vers son interlocuteur.

« Je n’ai pas vu votre femme. Va-t-elle bien ?
- Oui, oui, elle est à l’étage.
- Je vois. Donna, c’est cela ? »

Tudil Masion blêmit.

« Non ? Je dois m’être trompée de personne. Janica, alors ? continua Kathryn d’un air innocent.
- Vous… vous n’êtes pas sérieuse, croassa le marchand en déglutissant difficilement.
- Oh, j’ai encore fait erreur ? Dans ce cas, ne serait-ce pas Lucil ? insista-t-elle d’une voix mielleuse.

L’homme transpirait maintenant à grosses gouttes, son regard fuyant passant du plafond à la porte, à la fenêtre, tout en évitant soigneusement la jeune fille qui lui faisait face.

« Vous n’avez aucune preuve de ce que vous insinuez par trop maladroitement, murmura-t-il en tentant tant bien que mal de reprendre contenance.
- Absolument aucune, mais je suis sûre que votre épouse en trouvera de nombreuses, avec les moyens qu’elle a à sa disposition. Après tout, elle vient d’une famille très riche. Son père est votre plus important investisseur, si je ne m’abuse ? fit Kathryn avec un sourire satisfait, avant de porter son verre de vin à ses lèvres.
- 30 000, c’est bien ce que vous disiez ? céda Masion avec difficulté.
- En effet. Merci beaucoup pour votre générosité, mon ami. »

L’affaire fut rapidement conclue, le marchand Masion voulant voir la jeune fille partie le plus tôt possible. La marchandise fut livrée dans le charriot que Kathryn venait d’acquérir, le négociant ayant eut la bonté de lui faire entièrement cadeau de ses étoffes. La caravane entama alors le chemin de retour vers Minas Tirith, serpentant de ville en ville, de marché en marché, où Kathryn vendit sans difficulté aucune sa marchandise, grâce à son éloquence, et à la qualité de son chargement. Lorsqu’elle fut de retour à la Cité Blanche, elle avait écoulé son stock, et se retrouvait avec d’une part les 28 000 £ qu’elle devait, et de l’autre, un capital de 18 000 £.

Lorsque le créancier vint percevoir la somme due, elle lui tendit une bourse de cuir pleine avec son plus beau sourire, et s’autorisa même à lui souhaiter une agréable journée. Enfoncée dans le fauteuil défoncé, dans sa petite chambre de bonne à l’Auberge du Cheval Boiteux, elle savourait sa victoire. Elle éclata de rire, plus heureuse qu’elle ne l’avait été depuis des années.

La roue tournait enfin… Elle qui avait toujours été timide, discrète, effacée, voilà qu’elle arrivait sur le devant de la scène, qu’elle prenait le contrôle de sa vie, de son entreprise, et avec quel brio ! Plus jamais elle ne se laisserait intimider, plus jamais elle ne se laisserait écraser ni rabaisser. Consciencieuse, intelligente et intransigeante, elle s’en ferait une armure. Pensaient-ils qu’une femme ne pouvait diriger une entreprise ? Pensaient-ils que parce qu’elle était malade elle ne pouvait reprendre les rênes du commerce familial ? Elle allait leur montrer, à tous, à quel point elle était meilleure qu’eux. Elle allait devenir plus riche et plus puissante que n’importe qui, et ils auraient tous à s’incliner devant sa suprématie.

Elle était Kathryn Prospéris, et elle apprendrait à tout le monde à respecter et craindre ce nom.

...

Kathryn avait trente-trois ans.

Il pleuvait beaucoup ce jour-là, et les nuages obscurcissaient tant le ciel qu’on eut dit qu’il faisait nuit. Les gens couraient pour rejoindre leur maison, ou tout du moins un abri, afin de trouver un bon feu pour se sécher et se réchauffer. Kathryn, elle, marchait, tête haute sous sa capuche en épais velours bleu nuit, évitant soigneusement les anfractuosités du sol, dans lesquelles s’étaient formée de véritables mares. Si elle détestait la pluie, être mouillée et frigorifiée, elle détestait encore plus courir, qui la fatiguait, l’essoufflait, et surtout, il n’y avait rien de plus ridicule pour une dame digne de ce nom. Elle avait juste hâte d’atteindre sa chambre dans cette auberge miteuse, qui, bien que la plus chère et propre de cette petite ville, faisait office de misérable cabanon comparée à son manoir aux abords de Minas Tirith. Enfin, une bouteille de vin épicé l’attendait là-bas, et si elle le demandait dès son retour, peut-être que le tenancier réussirait à la lui faire réchauffer. Resserrant son épaisse cape doublée de fourrure, Kathryn pressa le pas, impatiente d’échapper à la boue glacée qui, elle le sentait, s’infiltrait déjà dans ses escarpins en daim. Alors qu’elle passait le long d’une ruelle sombre, une forme recroquevillée contre un mur attira son attention. Elle s’arrêta, puis, intriguée, s’approcha. C’était une petite fille. Elle reniflait pitoyablement et tremblait de froid, comme un petit chiot abandonné. Elle ne devait pas avoir cinq ans. Kathryn s’arrêta prêt d’elle, et, comme l’enfant ne réagissait pas, elle la poussa du bout de sa bottine. La petite leva enfin les yeux.

« Que fais-tu là ? » demanda Kathryn d’un ton autoritaire.

L’enfant ne répondit pas, se contentant de la regarder d’un air misérable depuis les pavés crasseux. Elle semblait véritablement minuscule.

« Où sont tes parents ? insista-t-elle, agacée.
- Sont morts, M’dame, finit par dire la petite fille entre ses dents qui claquaient.
- Appelle-moi Dame Kathryn ! la reprit cette dernière. Et puis lève-toi, quand je te parle ! »

L’enfant obtempéra, puis Kathryn lui enjoignit de se tenir droite, ce qu’elle fit tant bien que mal. Kathryn soupira, puis se détourna et partit. Arrivée au bout de la ruelle, elle lança par-dessus son épaule :

« Eh bien, qu’attends-tu pour me suivre, Horkos !
- J’m’appelle pas Horkos, Dame Kathryn. J’m’appelle …
- Tu m’appartiens, désormais, et tu t’appelleras comme je le déciderais. Viens, maintenant. Il faut vraiment que tu te fasses laver. »

...


Kathryn descendit de la voiture, écartant d’un geste agacé la main que lui tendait le cocher. Les deux petites filles de quatre ans qui venaient derrière elle se bousculaient pour sortir la première de l’habitacle. Profondément agacée, elle se retourna et leur lança d’un ton tranchant :

« Hysminai ! Nikea ! Faites silence de suite, sinon je pourrais bien changer d’avis ! »

Les deux enfants stoppèrent sur le champ, et vinrent se mettre côte à côte derrière Kathryn, l’air penaud. Elles se disputaient depuis la sortie de l’orphelinat, et au moment de monter dans la voiture, elles se tiraient les cheveux pour savoir laquelle s’assiérait auprès de Kathryn. Devant leur regard piteux, celle-ci esquissa un imperceptible sourire attendri. Elle sortit une petite broche en or de sa poche, puis, en se détournant, le jeta à terre.

« Pour la plus belle. »






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An 282 du Quatrième Âge





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Dame Kathryn Prospéris EmptyLun 12 Nov 2012 - 23:17
Voilà une fiche que j'attends depuis un bon moment, mais ça en valait la peine ^^

Excellent travail au niveau du style, orthographe, longueur, personnage, et aussi de la mise en page très agréable à l'oeil!

Je valide donc ta fiche sans soucis, et je t'invite à commencer le RP.

Ai-je bien compris que Kathryn utilise une fille qu'elle a adoptée (enlevée?) comme doublure lors des négociations, afin de cacher son propre âge et sa faiblesse physique?



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Membre des Orange Brothers aka The Good Cop
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Kathryn Prospéris
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Dame Kathryn Prospéris EmptyMar 13 Nov 2012 - 0:02
Merci beaucoup pour la validation et les commentaires, et navrée d'avoir pris aussi longtemps mais je tenais à bien tout fignoler avant de la poster ><

J'avais peur que le nœud de mon personnage soit un peu embrouillé à percevoir, alors je suis contente de voir que c'est parfaitement compris ^^

En effet, Kathryn a enlevé cette fille et s'en sert bien comme doublure. L'enlèvement, je développerais ça plus en détail au fur et à mesure, est un des arguments dont elle se sert pour faire pression sur ses concurrents, en plus de servir à l'occasion ses ambitions quasi-impérialistes.
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