Un Cobra en liberté

Après de longues semaines en mer, Al'Tyr apparut enfin à l'horizon.

Le bateau est encore calme, pensa Belegorn, mais ça ne va pas durer, bien au contraire.

Il avait raison. Alors que la ville se rapprochait, une foule compacte commença à se masser sur le pont. Les hommes venaient pour la plupart du Sud, et leur peau était noire comme l'ébène.

Le voyage avait été passablement ennuyeux. Parmi les voyageurs, pratiquement aucun ne parlait le westron, mais plutôt une langue rapide et gutturale, probablement une variante de l'adunaïque : en clair, le jeune rôdeur n'y comprenait absolument rien. Il avait fini par trouver un sorcier à l'air antique, qui baragouinait quelques mots en sindarin (comment s'était-il retrouvé à connaitre cette langue, il n'avait pas voulu le savoir), et avait tenté d'engager la conversation, mais l'autre, de plus en plus nerveux, s'était signé au bout d'un moment à la manière des adorateurs de Melkor et s'était éloigné, lui jetant des regards suspicieux.

Mais c'était enfin terminé. Au bout d'une heure, le navire pénétra dans la cité, et ils débarquèrent.

Belegorn ressentit l'impression agréable d'être rentré au pays, bien qu'il n'y fut pas vraiment, à proprement parler. Le Gondor était encore plus loin au nord, mais, par rapport aux grandes distances qu'il avait parcouru par la mer depuis son départ du Lointain Harad, ce n'était que peu de choses.

Après une petite heure passée à errer dans le souk, il décida de trouver une auberge pour la nuit.

L'endroit qu'il trouva n'était pas d'un aspect particulièrement miteux. Il aurait pu trouver mieux, certes, mais il aurait aussi pu trouver bien, bien pire, dans les bas-fonds de la ville, là où ne se rendent que les assassins et les comploteurs. Donnant sur une petite courette, sa chambre était peu spacieuse, mais douillette, et il pouvait sentir l'air chaud du désert en se penchant à son balcon. En bref, il avait plutôt fait une bonne affaire.

Le lendemain, alors qu'il se préparait à partir, un homme encapuchonné s'approcha de lui, sans aucun bruit.

" Suivez moi. Je ne vous veux pas de mal. D'ailleurs, je ne suis même pas armé, comme vous pouvez le voir, dit-il à Belegorn en découvrant ses manches. "

C'est dans un petit recoin ombragé qu'il lui révéla la raison de sa venue.

"-Je suis l'un des serviteurs du noble seigneur Harumar. Comme vous le savez sans doute, vous qui passez souvent par le Harad, le Cobra a récemment été capturé.
-Je ne l'ignore pas, en effet.
-Bien, je vous passerai donc les détails. Il est actuellement retenu prisonnier dans une cellule obscure à Dur'Zork. Mon maître...serait heureux de sa libération, pour des raisons qui le concernent, voyez-vous ? Mais l'Emir ne va pas le relâcher si facilement. C'est pourquoi nous avons besoin que...vous, ainsi que d'autres, le fassiez sortir de son cachot, puis que vous le rameniez ici, en sûreté. Vous serez généreusement récompensé.
Si vous êtes intéressé, soyez dans la cour principale du Palais d'Harumar, dans deux heures. Il se trouve dans le nord de la ville. A très bientôt. "

Et l'homme disparut, aussi discrètement qu'il était arrivé.

Belegorn n'hésita pas très longtemps, quoique qu'il se demanda pourquoi on l'avait choisi lui.
Mais ce détail n'importait au final que très peu : son travail de gardien de Mumakil sur les côtes du Lointain Harad ne lui avait rapporté que peu d'argent, et il fallait bien vivre.

C'est pourquoi, deux heures plus tard, il se trouvait dans la magnifique cour intérieure du Palais d'Harumar, l'un des nobles les plus importants de la ville, en compagnie d'une jeune femme manifestement Haradrim, et d'un guerrier imposant qui ne pouvait être autre chose qu'un homme de Dale.

Mes compagnons de route, supposa-t-il. Quel drôle de trio nous formons. Je me demande bien ce qui a pu les amener ici, eux.

Ses pensées furent rapidement interrompues. Quelque part derrière lui, un servant annonça :

" Sa Glorieuse Excellence, le Seigneur Harumar Ben Gimilkhâd ! "

Harumar Ben Gimilkhâd ne tarda pas à pénétrer dans la cour de sa demeure luxueuse. Suivi non loin par deux servantes portant davantage de bijoux que de vêtements ainsi que par quatre guerriers à l'allure des plus féroces.

En toute hâte, il vînt à la rencontre de ses trois invités. Les bras levés au ciel, il salua généreusement.

"Mes bons amis, je vous souhaite la bienvenue dans mon humble palais..."

Puis son ton se fit rapidement plus ferme.

"Mais allons droit au but... Si vous êtes ici, c'est que la mission dont on vous a parlé vous semblait intéressante. Soit. Le Cobra est un homme d'une très grande valeur pour moi... La seule chose que vous avez à savoir c'est que si vous l'amenez jusqu'à moi, vivant et en bonne forme, je saurai vous récompenser grassement. Ceux qui reviendront fort de leur succès pourront constater de ma grande générosité... Pour ceux qui ne reviendraient pas, c'est que soit vous aurez été tué, soit vous aurez abandonné votre mission et dans ce dernier cas, mieux vaut que nos routes ne se croisent plus jamais, par Melkor. Je ne serai pas non plus responsable de vos éventuels préjudices moraux ou physiques. Êtes-vous toujours en accord avec ceci ?"


La femme que Belegorn avait reconnu comme étant une haradrim s'avança d'un pas et inclinant légèrement la tête en avant, les yeux plein de détermination :

"Il sera fait selon votre souhait, Seigneur..."

Harumar acquiesça puis se tourna vers le guerrier en armure.


Les mains jointes face à lui, l'homme resta de marbre et les plus attentifs seulement purent discerner le faible hochement de tête qu'il effectua. De toute évidence, il n'était pas très loquace.

"Bien ! Déjà deux âmes courageuses !"

Puis les regards se tournèrent vers Belegorn, le dernier à devoir donner sa réponse.

"Eh bien, il semblerait que la mission que vous nous proposez soit tout à fait honnête. J'accepte, bien évidemment."

Le plan était simple : leur petit groupe devait se rendre à Dur'Zork, s'infiltrer dans les prisons de l’Émirat, libérer le Cobra puis le ramener, sain et sauf jusqu'à Al'Tyr, où ils recevraient leur récompense...si tout se passait bien. Quand à savoir ce qu'un noble de cette importance avait à voir avec ce criminel...certes, ça ne regardait pas vraiment Belegorn, mais il ne pouvait pas s'empêcher de s'interroger, après être sorti du Palais.

Pourquoi ? Le Cobra avait semé le chaos dans la région, en son temps, ce qui s'était révélé très nocif pour le commerce (après tout, qui voudrait se rendre dans une région où l'on peut être capturé à tout moment ?). Un négociant tel que ce Ben Gimilkhâd n'avait aucune raison de le sauver de sa captivité. Mais alors, pourquoi le faire sortir ? Après tout, le criminel serait bientôt exécuté. S'agissait-il d'une vengeance plus personnelle ?

Mais le moment n'était pas venu de commencer à réfléchir sur le pourquoi du comment. Après tout, il aurait tout le loisir de parler avec le Cobra, une fois qu'ils l'auraient libéré. Ce qui n'était pas gagné.

Selon les informations d'Harumar, les prisons de Dur'Zork étaient l'équivalent suderon du Gouffre de Helm : une forteresse absolument imprenable. Créées par un seigneur Haradrim quelque peu paranoïaque, au milieu du Troisième Age, elles constituaient un réseau de murailles et de couloirs très lourdement gardées. Toutefois, le Gouffre de Helm présentait une faille, et il était certain que les prisons de Dur'Zork en possédaient aussi. Enfin, il espérait.

Le lendemain, jour du départ, le temps était sec et chaud, comme souvent dans le Harad. Ici, le Rude Hiver n'était qu'une simple idée, un concept dont on entendait parler, sans y croire réellement.

A dos de chameau, il rejoignit ses compagnons à la porte sud. Le Grand Taciturne était déjà là, aussi impénétrable qu'au Palais. Le jeune rôdeur était en train de se demander si l'homme le fixait derrière son heaume, lorsqu'il remarqua la suderonne arriver sur sa droite, menant son propre chameau sans un bruit. Elle était d'une discrétion impressionnante...

Enfin, leur voyage allait pouvoir commencer. Belegorn fit une discrète prière à Eärendil, espérant qu'il leur faciliterait la tâche...