Depuis combien de temps chevauchaient-ils ainsi, au milieu de nulle part, sans rien voir d'autre à l'horizon que des plaines interminables ? Des mois ? Des années ? Peut-être davantage. Le vent qui soufflait en tourbillons charriait la poussière de la piste jusque dans leurs yeux, mais il apportait un réconfort bienvenu face aux assauts incessants du soleil qui les écrasait de son regard qui ne cillait jamais. Le grand astre du jour se dressait comme un adversaire supplémentaire, et chaque pas de plus était un souffrance par cette chaleur étouffante.
Depuis longtemps, ils n'avaient pas vu de pluie. Pas même une ondée inattendue qui leur aurait permis de remplir leurs outres d'eau bientôt vides. Les chevaux s'épuisaient sur ce sol caillouteux, irrégulier… Fort heureusement pour eux, leur chargement s'amincissait à vue d'œil. Les rations soigneusement empaquetées avaient été consommées, et les deux cavaliers avaient perdu tant de poids que les montures habituées à ces longues marches ne les sentaient presque plus.
Le chemin – si l'on pouvait appeler ainsi le sillon presque effacé qui serpentait à travers une prairie d'herbe rase et jaunie – était une véritable torture. Un calvaire. Un supplice. Avait-il toujours été aussi difficile ? Le jeune guerrier qui menait leur étrange duo avait pourtant déjà entrepris ce long périple. Pas le même trajet, certes, mais la destination était identique. A l'époque, cependant, il ne voyageait pas seul. Et il n'avait pas eu à assumer le fardeau du commandement, ni la charge de veiller sur une âme en peine qui luttait ardemment pour vivre…
Ou plutôt, pour ne pas mourir trop tôt.
Learamn marqua une nouvelle pause, alors que le soleil se faisait véritablement infernal. L'horizon se déformait sous l'effet de la chaleur, comme s'il observait son objectif à travers un lac. Comme d'habitude, il défit une petite tente de fortune qu'il installa pour préserver sa compagne de voyage et lui-même. La pratique lui permit de s'installer en quelques minutes seulement, et de prendre un repos bien mérité. Au milieu de nulle part, seul avec sa conscience et sa culpabilité.
Les deux le rongeaient plus sûrement que sa blessure qui se remettait progressivement – et paradoxalement – grâce à cette marche forcée à travers le continent. La douleur, bien que persistante, était moins vive. C'était peut-être lui, cependant, qui s'habituait à cette souffrance qui ne l'épargnait jamais. Apprendre à vivre avec ses plaies était l'apanage des guerriers, et il ne faisait pas exception. En attendant, il marchait de mieux en mieux, même s'il tardait souvent un solide bâton de marche en guise d'appui, lorsqu'il posait le pied à terre. Il le faisait parfois pour soulager sa monture du poids d'un cavalier, et la ménager jusqu'au terme de leur incroyable épopée jusqu'aux confins du monde.
Mais alors même qu'il se rapprochait inexorablement de sa destination, ses pensées étaient tirées en arrière par cette autre vie à laquelle il s'arrachait chaque jour un peu plus. Learamn, cavalier du Rohan. Learamn, capitaine de la Garde Royale.
Learamn…
Qui était-il vraiment aujourd'hui ? Un simple voyageur rendu fou par le chagrin et le malheur, qui s'était engagé dans une quête aussi folle que vaine ? Un idéaliste qui espérait empêcher son royaume de sombrer dans la guerre, après avoir lui-même mené son peuple au bord du chaos ?
Qui était-il ?
Était-il celui qui avait sciemment abandonné le Rohan pour une femme aux portes de la mort ? Ses pensées conscientes ne pouvaient oublier ce que ses songes ne cessaient de lui rappeler. Des mois auparavant, alors qu'il traversait l'Est Emnet… des colonnes de réfugiés qui remontaient vers le Plateau en quête de sécurité. Des dizaines de familles déplacées, meurtries par un nouveau fléau qui s'était abattu sur le pays des dresseurs de chevaux. Il n'avait jamais pu confirmer la nature de celui-ci. On lui avait tantôt parlé de « démons », ou de « spectres » qui surgissaient lors des nuits sans lune et dévoraient les enfants. Des créatures que certains appelaient les « Charbonneux », ou encore les « Dwimmen »…
Dwimmen…
Le terme à lui seul faisait froid dans le dos.
Learamn ne pouvait pas dire qu'il ne croyait pas en leur existence, car il avait pu les voir de ses propres yeux. A la faveur de la nuit, il avait effectivement aperçu dans le lointain des silhouettes sombres se déplaçant dans les campagnes. Certaines portaient des torches, et remontaient le fleuve comme des esprits en quête de victimes. Il s'était caché. Il avait attendu, et les Dwimmen s'en étaient allés à l'aube, laissant derrière eux le parfum amer de la désolation. Un temps, l'ancien capitaine avait songé à rentrer. Le Rohan avait besoin de lui face à cette menace, le royaume avait besoin de tous les hommes vigoureux capables de lutter contre ces manifestations cauchemardesques qui suscitaient la peur la plus viscérale chez les paysans. Mais il avait renoncé à cette volonté.
Pourquoi ?
Les raisons étaient multiples. En pratique, il n'aurait jamais pu rallier l'armée du Rohan, qui se trouvait sur la rive occidentale de l'Entalluve… Les Dwimmen, qui progressaient d'est en ouest, se trouvaient entre lui et le fleuve, l'empêchant physiquement de retourner auprès des siens. Et même s'il rejoignait Edoras, qu'apporterait-il comme nouvelle que des hordes de paysans terrifiés n'amèneraient pas déjà avec eux ? Il y avait forcément des cavaliers qui, confrontés à la menace, en avertiraient le Vice-Roi. C'était du moins ce dont il avait essayé de se persuader… Et puis que pourrait-il faire en revenant à la capitale ? Au fond de lui-même, n'y avait-il pas un vague espoir qui brûlait toujours comme des braises rougeoyantes qui refusaient de s'éteindre complètement même après que les flammes se fussent dispersées ? L'espoir de retrouver son titre et son honneur grâce à l'arrivée impromptue de ces créatures, celui de revenir comme le héros tant attendu, de renverser le cours de l'histoire par son action. Mais il n'était qu'un homme, blessé de surcroît. Une lame de plus ou de moins ferait-elle vraiment la différence aujourd'hui ?
Avait-elle fait la différence par le passé ?
Il avait prêté son épée à Gallen Mortensen, il avait chevauché jusqu'au Rhûn lointain, jusque dans la belle cité de Pelargir, mais la guerre n'avait pas quitté ce monde pour autant. Lui et ses compagnons avaient abattu l'Ordre de la Couronne de Fer, décapité le monstre qui l'animait et ses sbires les plus farouches. Dans les plaines du Rohan, devant une Aelyn agonisante, il avait bravé une mort certaine dans ce but précis, allant jusqu'à débusquer l'infâme Sellig. Le dernier Canthui. Sa mort avait-elle changé quelque chose ? Avait-elle restauré le bonheur et la paix en Terre du Milieu ? La réponse était évidente. Alors que changerait une lame solitaire face à la haine et à la noirceur du monde ?
Toutes ces considérations et bien d'autres encore se bousculaient dans l'esprit du guerrier, mais il y en avait une qui semblait surpasser toutes les autres.
Iran.
Il n'avait jamais été aussi proche de la jeune femme, et en vérité, avait-il jamais été aussi proche de quelqu'un ? Chaque jour, il s'occupait d'elle à la manière d'un père… d'un frère… d'un mari… Leur relation était à nulle autre pareille. D'aucuns auraient pu y voir une manifestation de son esprit rohirrim et de sa galanterie toute chevaleresque l'obligeant à protéger de toutes ses forces cette malheureuse, femme avant tout, qui dépendait entièrement de lui. Il y avait peut-être de ça.
Cependant, pouvait-il ignorer les sentiments d'espoir qui l'assaillaient quand il la sentait s'agiter fébrilement, comme un père espérant les premiers mots de sa précieuse fille ? Il veillait sur ses moindres besoins, même les plus naturels, et en avait peut-être conçu un respect nouveau pour les guérisseurs. Des hommes inconscients pour des périodes prolongées, il en avait déjà vu plusieurs, et il savait quel traumatisme cela représentait pour les familles et les compagnons d'armes. Avait-il jamais vraiment pensé à ce que cela impliquait pour les guérisseuses qui s'occupaient de les nourrir et de les changer après chaque journée quand leur métabolisme éliminait les déchets ingérés ? Il n'y avait certainement pas pensé au moment de s'embarquer dans son très long voyage, et il avait dû apprendre sur le tas, improviser parfois, et surmonter ses peurs les plus humaines. Celle de la nudité. Celle de la nature profondément animale de l'être humain, créature de sécrétions et de fluides. Celle de la féminité, enfin, altérité ultime pour un guerrier habitué à vivre au milieu d'hommes. Il se souviendrait ainsi longtemps de la première fois qu'il avait eu à affronter les saignements de la jeune femme.
Et de la seconde.
Pouvait-il en outre ignorer le pincement au cœur qu'il ressentait chaque fois qu'il faisait et défaisait le pansement qui couvrait son abdomen, dont il se sentait en partie responsable ? N'était-ce pas lui, frère d'armes devenu grand frère, qui aurait dû la protéger et empêcher tout ceci, voire même recevoir le coup mortel à sa place ? La plaie exigeait de lui une attention constante, car Iran n'aurait sans doute pas dû se déplacer, et il avait craint à plusieurs reprises au début du voyage que la suture ne fût pas assez solide. Chaque fois que le pansement lui paraissait trop usé, il s'efforçait de le changer et d'appliquer les baumes que lui avaient confiés Aelyn à Edoras. Ils avaient fait merveille, mais hélas il était rapidement tombé à court de cataplasmes et autres onguents, si bien qu'il avait dû faire avec ce qu'il avait pu trouver sous la main. De l'eau claire et un pain de savon pour enlever les impuretés, recette qu'il utilisait aussi bien pour lui-même que pour les langes de la jeune femme et ses propres habits quand ceux-ci lui paraissaient trop sales. Il partageait tout avec Iran, à la manière d'un frère dévoué qui s'efforcerait de protéger sa puînée, sans se soucier de ses propres besoins, ni de son propre confort.
Pouvait-il enfin ignorer l'embarras, la curiosité et la pointe d'affection qu'il éprouvait pour cette femme chaque fois qu'il s'occupait de la toiletter ? Délester son visage de la poussière du voyage n'avait bientôt plus suffi, et il avait été contraint de se comporter avec elle comme un amant particulièrement délicat, plein de tendresse et de respect pour ce corps à la fois fort et vulnérable. Les mains calleuses qu'il passait sur cette peau douce afin de garantir à Iran qu'elle demeurât propre avaient longtemps cherché à esquiver cette tâche qui pouvait par bien des aspects paraître plus ardue que de monter à l'assaut d'une armée ennemie. Cependant, la pudibonderie n'était pas une option, et il avait dû se résoudre à partager avec sa compagne des moments qu'il n'aurait sans doute jamais imaginé vivre avec une femme qui ne fût pas sienne. Cette transgression symbolique bien nécessaire avait fait évoluer leur relation de manière inattendue. Cette femme au corps parfait n'avait désormais plus aucun secret pour lui. Il avait pu examiner longuement les fines inscriptions qui serpentaient autour de son bras, peut-être des textes sacrés pour son peuple, à moins qu'ils ne fussent des enchantements pour la protéger de tout mal. Si tel était le cas, cette magie orientale s'était révélée bien inefficace pour lutter contre la lame acérée de Sellig… Et pourtant, qui pouvait dire si ces charmes enveloppés dans sa chair ne l'aidaient pas à rester en vie ?
Allongé sous la tente aux côtés de la guerrière, Learamn attendait en observant le soleil qu'il voyait nettement derrière la toile. Il connaissait peut-être par cœur le corps de cette femme, chacune de ses courbes, chacune de ses cicatrices pour lesquelles il avait eu le temps de s'imaginer mille histoires. Il aurait reconnu entre mille le parfum de ces cheveux de jais qu'il humait quotidiennement depuis une éternité désormais, et il lui paraissait comprendre à un niveau qui dépassait l'entendement la moindre de ses réactions, le moindre de ses gémissements, la plus petite manifestation d'inconfort.
Pour autant, à la manière d'un livre écrit dans une langue étrangère, Iran lui demeurait ostensiblement hors de portée.
Il n'avait pas accès à ce qui faisait toute la beauté de sa personne : cette voix, cet accent, cette manière de bouger, de parler, de sourire ou de froncer les sourcils. Ses yeux pétillants, vifs et intelligents étaient désormais froids et figés, incapables de se fixer sur lui quand il essayait de capter l'attention de la jeune femme. A chaque fois qu'il avait essayé de soulever ces fines paupières, il n'y avait lu que le reflet de son propre désespoir. Iran symbolisait son existence, la nature même de son conflit intérieur. Elle était bel et bien là, tangible, palpable, indéniablement vivante… pourtant, à la manière d'une bougie sur le point de s'éteindre, elle ne brillait plus, et menaçait de s'écrouler au moindre souffle de vent. Lui-même avait cessé de briller quand il avait perdu son armure, son épée, son fidèle destrier… et le vent qui soufflait dans les plaines ne le menaçait-il pas non plus de le jeter à bas de sa monture ?
Il aurait pu trouver une fin indigne sur le sol des terres sauvages, si ce n'était pour sa mission un peu folle, qui consistait à ramener Iran au Rhûn, pour lui permettre de mourir sur ses terres, là où elle était née. Sans cela… Sans cette mince chandelle qui le guidait encore dans les ténèbres de son existence, pour quoi serait-il là ?
Pour quoi… ?
Pour quoi donc… ?
Pour qui… ?
Le soleil finit par décliner. La chaleur par retomber. Learamn se redressa, et se remit en route, inlassablement. Iran contre lui, comme au premier jour. Le soleil acheva de descendre, dans son dos, puis réapparut le lendemain matin légèrement sur sa droite. Et ainsi de suite, sans que rien ne vînt troubler la monotonie du paysage…
Les bandits avaient déserté ces terres désolées après le Rude Hiver, rejoignant les routes commerciales qui passaient plus au nord, près de la Celduin. Les terres sauvages étaient pratiquement désertes, et si pauvres que nul ne songeait à les réclamer pour lui-même. Quel souverain aurait souhaité régner sur ce pays désolé, ravagé par les guerres du passé, et promis à un avenir similaire si quiconque souhaitait s'y implanter ? La solitude offrait à la fois un bouclier bienvenu au cavalier, mais elle compliquait singulièrement sa tâche. S'il avait pu trouver quelques caravanes marchandes au nord de l'Emyn Muil, elles l'avaient rapidement abandonné aux abords de la route qui rejoignait Dale. Le fleuve était un lieu d'échanges, mais la route terrestre semblait plus sûre à l'heure actuelle, et il avait croisé la route de nombreux réfugiés d'Ithilien qui s'étaient installés temporairement dans les parages en attendant que la menace des Dwimmen fût passée.
C'était là que Learamn avait appris que ces spectres étaient venus de l'Est, surgis comme une nuée innombrable à la faveur de la nuit. Des Orientaux, peut-être, car qui d'autre habitait les terres perdues à l'est de l'Anduin sinon les ennemis ancestraux des Peuples Libres ? Les mêmes ennemis chez qui Learamn envisageait de se rendre. Il avait quelques menues complications avec certains réfugiés quand ils avaient aperçu Iran, craignant qu'elle n'appartînt aux envahisseurs, et il lui avait fallu faire preuve de diplomatie et de force pour échapper à la vindicte populaire. Quelques temps auparavant, il n'aurait su que dire devant la foule rassemblée. Aujourd'hui, il pouvait prendre la parole avec assurance et confiance devant des hommes qui avaient le double de son âge, sans trembler.
Que de chemin parcouru…
Il avait donc repris son voyage sain et sauf, mais conscient qu'il n'aurait d'amis ni en Rhûn ni au Rhovanion, là où la présence d'une femme de l'Est pouvait être interprétée comme un funeste présage. Et depuis lors, personne. Pas la moindre trace, pas la moindre silhouette à l'horizon. Les Hommes semblaient avoir déserté les environs, abandonnant la région aux bêtes en tout genre. Certaines, bien trop rares hélas, étaient assez dociles pour se laisser abattre sans lui poser trop de souci. D'autres, en revanche, se révélaient être bien plus dangereuses et il avait pris l'habitude de ne dormir que d'un œil depuis quelques temps. Les deux chevaux qu'il menait avec lui représentaient des cibles particulièrement juteuses pour d'éventuels prédateurs, et il n'avait pas les moyens de poursuivre avec une seule monture valide, sauf à accepter de se séparer de ses provisions, de sa tente, et du matériel léger mais éminemment important dont il avait besoin au quotidien. Marmites, gamelles, ustensiles divers et variés, cordes… Autant d'objets dont il ne pouvait véritablement se passer sans compromettre très sérieusement la fin de son périple.
Chaque jour ressemblait à s'y méprendre au précédent, et garder la notion du temps dans de telles conditions était véritablement un exploit. Les marches étaient de moins en moins longues, le repos de moins en moins réparateur, et il se surprenait de plus en plus à s'allonger pour attendre, trop épuisé pour reprendre la route, trop éveillé pour trouver la force de dormir. Ce jour-là, ses jambes le lançaient particulièrement après qu'il eût marché pendant de longues heures dans la matinée. Comme à son habitude, il dressa la tente pour contrer les rayons du soleil, et s'installa avec Iran dans un silence bien trop familier. Ses pensées s'envolèrent vers des contrées éloignées, mais seuls les Valar auraient pu savoir lesquelles exactement. Songeait-il au Rohan et à la menace qui planait sur lui ? Pensait-il à sa famille, et aux dangers qu'elle devrait probablement affronter ? Évoquait-il au contraire des souvenirs heureux pour se donner du courage ? Pour retrouver une forme d'espoir alors que tout semblait perdu ?
Il fallait dire que l'avenir semblait sombre. Ses rations étaient épuisées depuis la veille, et il n'avait croisé aucun gibier dans les parages, bien qu'il conservât son arc à portée de la main. Cela expliquait aussi pourquoi il voyageait à pied, car tirer avec Iran en selle était tout bonnement impossible. L'exigence de rester en permanence à l'affût tout en n'ayant rien à se mettre sous la dent était particulièrement difficile pour l'organisme. La fatigue le terrassait, et son estomac l'informait de la manière la plus douloureuse possible de la faim qui le tenaillait. Allongé, il lui paraissait impossible de trouver le sommeil, et de refaire ses forces. Seule la perspective d'un bon repas pourrait le guérir et lui redonner l'énergie nécessaire pour continuer sa mission… Ses pensées étaient embrouillées, confuses, pour ne pas dire chaotiques, et il se redressa pour essayer de remettre de l'ordre dans son esprit troublé.
Ce fut alors qu'il vit.
En tournant la tête, il n'avait pas pu manquer de voir ces deux billes scintillantes qui le fixaient. Il y eut pendant un instant un long et profond silence, et pas le moindre mouvement sinon celui de la toile agitée par le vent au dehors. Puis une voix éraillée, douloureuse, presque désincarnée :
- C… Capitaine… ?
Stupeur.
Que dire ?
Que faire ?
Comment réagir ?
La guerrière était éveillée, consciente bien qu'elle parût ailleurs comme dans une réalité distante. Elle essayait de revenir à elle de toutes ses forces, mais il était évident qu'elle ne faisait que retarder l'inéluctable. Son état était trop grave, sa blessure trop profonde. Les miracles d'Aelyn et des guérisseurs du Riddermark ne faisaient que repousser sa mort, en accentuant de manière inutile ses souffrances. Ce sursaut annonçait peut-être que sa fin était proche. Retrouvant pourtant une énergie certaine, Iran tendit la main posa sa main sur le bras de Learamn. Elle était si légère qu'on aurait dit un courant d'air. Son regard se fit plus précis, et sa voix plus assurée :
- Ils arrivent, capitaine.
Devant l'absence de réaction de Learamn, qui était comme paralysé, elle se mit soudainement à crier :
- Réveillez-vous !!
Ce qu'il fit.
Learamn émergea en sursaut d'un sommeil dans lequel il ne se souvenait pas d'avoir plongé. Iran, toujours à ses côtés, n'avait pas bougé. Ses paupières étaient toujours closes, et sa respiration parfaitement régulière. Mais ce qui ne l'était pas, c'était le bruit qu'il percevait à l'extérieur. Ce n'était pas celui des chevaux, ou celui du vent. C'était autre chose. Un bruit diffus, comme des tambours qui auraient joué dans le lointain.
Un lointain beaucoup trop proche…
Ayant oublié la faim et la fatigue, Learamn sortit de sa tente, cherchant l'origine de ce bruit. Il ne mit pas longtemps à la trouver. Une colonne marchait dans sa direction, depuis l'ouest vers le Rhûn. Il distinguait nettement des cavaliers, et une longue file de silhouettes alignées qui allaient à pied. Peut-être une trentaine ou une quarantaine. Ils avaient l'air de souffrir sous le soleil, mais eux refusaient de s'arrêter et s'efforçaient de tenir l'allure. Il était trop tard pour se cacher, car les cavaliers se faisaient déjà de grands signes de la main, pointant du doigt la tente solitaire et absolument immanquable sous laquelle se cachait le corps inerte de Iran.
A dire vrai, Learamn n'avait pratiquement aucune option.
Il pouvait tenter de fuir, mais dans ces conditions il n'irait pas loin. Son cheval était las, et avec deux cavaliers il n'était pas possible de distancer les douze montures qui entouraient les fantassins. En outre, Iran avait survécu si longtemps grâce à la prudence et aux bons soins de son protecteur. Elle ne supporterait sans doute pas une cavalcade effrénée.
Restait la possibilité de se battre, mais que pouvait-il faire avec si peu de flèches et une seule épée ?
Alors qu'il considérait ses options, les détails que la compagnie qui approchait lui apparurent plus nettement. Ceux qu'il avait brièvement pris pour des soldats n'en étaient pas, en réalité. Ils allaient par deux, enchaînés comme des bêtes de somme, le dos courbé sous l'effort. Ce n'étaient de toute évidence pas des soldats, mais des prisonniers…
"Il n'y a pas pire tyrannie que celle qui se cache sous l'étendard de la Justice"
Spoiler:
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Learamn Agent de Rhûn - Banni du Rohan
Nombre de messages : 1079 Age : 25 Localisation : Temple Sharaman, Albyor Rôle : Esclave au Temple Sharaman, Agent de la Reine Lyra, Ex-Capitaine du Rohan
Peu s’aventuraient dans ces terres désolées du Rhovanion. Les routes commerciales les plus proches étaient situés à des dizaines de lieux d’ici et s’en éloigner revenait à pénetrer dans un royaume sauvage où bêtes et autres bandits dictaient une loi qui n’existaient guère. Nul souverain sur ce continent n’avait clamé de souveraineté sur ce coin désolé où nul ne résidait et où les matières premières de valeur étaient quasiment inexistante. Qui aurait bien voulu de cette immense plaine aride bien trop vaste à défendre et inutile à exploiter? Cette région avait toutefois été traversé à plusieurs reprises par le passé lors de grandes manoeuvres militaires durant lesquelles des armées gigantesques ralliait l’autre bout du continent. Pour ésperer survivre à un tel trajet il fallait compter sur un groupe suffisament nombreux pour dissuader de potentiels assaillants ainsi que sur d’importants convois remplis de vivres et d’équipement du quotidien. Les deux individus qui avançaient péniblement n’avaient rien de tout cela.
Pour tout bagage ils n’avaient que quelques paquetages portés par le cheval le plus sombre. L’autre monture, plus robuste, soutenait quant à elle une silhouette harnachée à la selle. Une jeune femme harnachée à la selle et allongée sur la crinière du cheval, inconsciente. Elle avait le teint mat, quoique grandement pâle à cause de sa peine, et la chevelure sombre. Un érudit ou autre spécialiste des peuples de la Terre du Milieu aurait immédiatement reconnu ses origines rhûniennes et guerrière à travers ses vêtements si particuliers ou les tatouages qui couraient le long de ses bras. Nulle sérénité ou apaisement ne se lisait sur son visage endormi dont les traits tirés trahissaient une lutte constante et interne pour sa survie face au Mal qui la rongeait.
Il y avait aussi un homme, pied à terre et bien conscient. Il tenait les rênes de la monture sur lequel se trouvait son amie insconsciente. L’épuisement était lisible sur son expression aussi bien que sur sa démarche. Amaigri par de longues semaines, ou plutôt mois, de voyage en terrain inhospitalier; il progressait lentement, mètres par mètres, sans réellement parvenir à se repérer en ces terres qui n’en semblaient plus finir. Il était vêtu très simplement d’une chemise en lin et d’un veston en cuir pour le protéger des vents qui balayaient les lieux. Une barbe mal taillée mangeait son visage éprouvé mais dont on décelait néanmoins la jeunesse. Lui ne venait pas du Rhûn, sa peau plus claire et ses cheveux bruns le rapprochaient plus d’un occidental faisant cap vers l’Est. Là encore un expert aurait reconnu là un homme du Rohan: bien qu’il lui manquât la chevelure dorée de son peuple, l’épée ceinte à sa ceinture et la qualité de son destrier ne laissait que peu de place au doute.
En résumé, pour nos deux voyageurs exténués et perdus dans l’immensité du vide, le tableau n’était pas glorieux.
Dire qu’il y avait de cela encore quelques semaines, lui était l’un des officier les plus prestigieux du Rohan: Le Capitaine Learamn de la Garde Royale. Il n’était désormais que Learamn. Il avait perdu son titre, son prestige et même son droit de servir son pays. Déchu et banni de l’armée par celui qui avait été son guide pendant de longues années, Learamn avait néanmoins décidé de partir pour une autre mission, une dernière mission. La mort probable- bien qu’il refusa de l’admettre- d’Iran pouvait être le début d’une crise diplomatique entre le Rhûn qui l’avait envoyé en qualité de représentant officiel à Edoras et le Rohan qui devait assurer sa protection. Ce fiasco, couplé à l’assassinat de Rhôk, un autre envoyé de la reine Lyra, pouvait être les prémices d’un conflit armée. Mais cette mission n’avait pas été ordonnée à Learamn, en vérité ce n’était pas tant la perspective d’une guerre qui l’avait animé. Cette mission lui avait été dicté par son coeur. Dans un élan de noblesse, ou de folie allez savoir, le jeune homme avait pris la décision de ramener Iran en ses terres natales pour y être soignée ou pour y finir ses jours si jamais tel devait être son destin. Il était inhabituel et surprenant de voir ainsi Rohir tout risquer pour une Orientale mais la relation de confiance que les deux guerriers avaient noués à Edoras était particulière. Dans le feu de l’action, la combattante du Rhûn ne l’avait pas laissé tomber et avait guerroyé à ses côtés au mépris de sa propre vie. Grièvement blessée ce soir là par Sellig, elle était depuis plongée dans le coma entre la vie et la mort. Malgré les efforts d’Aelyn et des guérisseurs d’Edoras, son état ne s’était pas vraiment amélioré. Ses plaies avaient certes été pansées et refermées mais le Mal qui la rongeait n’avait pu être exorcisé.
En choisissant de traverser le Rhovanion, comme il l’avait déjà fait plusieurs années auparavant auprès du Comte Erco Skaline, Learamn n’avait certainement pas choisi le trajet le plus commode ou recommandable. Longer l’Anduin vers le Nord et traverser la Forêt Noire, lui aurait permis de faire une halte à Dale ou Esgaroth pour se réapprovisionner avant de suite la route marchande jusqu’au comptoir commercial du Rhûn, plus ouvert sur le monde occidental que le reste du royaume. Les routes y étaient plus fréquentés et ils n’auraient pas couru le risque d’être à court de vivres comm c’était le cas ici. Cependant l’urgence que l’état d’Iran réclamait ne lui avait pas vraiment laissé le choix, s’il voulait rallier le royaume de Lyra à temps il lui fallait emprunter le chemin le plus court. Chaque jour, chaque heure qui s’écoulait la rapprochait inexorablement de la fin.
Iran. Durant toutes ces semaines, Learamn s’était occuppée d’elle comme il ne l’avait jamais fait pour quelqu’un. Comme il n’avait jamais imaginé devoir faire en réalité. Il se chargeait de ses besoins, tous ses besoins y compris les plus naturels et repoussants. Il la sustentait, la lavait, la nourrissait, la nettoyait du mieux qu’il le pouvait. Affronter une nudité féminine qui n’avait pas grand chose de sensuel avait été une réelle épreuve dans un premier temps. Une épreuve face à laquelle il avait d’abord hésité, mais conscient qu’il était bien le seul en mesure de se charger d’elle, il l’avait surmontée. Les cycles menstruels de la jeune femme avaient également mis le jeune homme dans une situation délicate. La première fois qu’il les avait remarqué, il n’avait pas su comment s’y prendre. Inquiété d’abord par la vision du liquide ocre, il avait en vain cherché de quelle blessure ce sang s’échappait avant de finalement comprendre. Ce genre de tâches ne faisaient pas exactement partie de celles que l’on vous apprenait à réaliser sur les bancs de l’école militaire.
Parfois alors qu’il s’occupait de la guerrière orientale, il avait l’impression que bien qu’inconciente, elle ressentait toute l’attention que le rohir lui portait et le soin avec laquelle il la traitait. Alors il interprétait chacun de ses gestes ou de ses gémissement comme une forme de remerciement. Sûrement était-ce là le fruit de son imagination en quête de reconnaissance pour ses efforts et surtout de compagnie, mais il espérait sincèrement que la conscience d’Iran fut à ses côtés. La faim le rongeait, la soif l’assaillait, la chaleur l’accablait et la fatigue l’accablait; mais tous ces maux étaient bien doux comparé à la solitude qui l’habitait. Cela faisait des jours - ou des semaines peut-être il ne savait plus- qu’il n’avait croisé la route d’autres voyageurs et parfois Learamn se surprenait à se parler à lui-même durant les longues heures de marche. Il imaginait les divers scénarios qui pouvaient l’attendre au Rhûn - la majorité d’entre eux étant bien fantaisistes- et les jouait mentalement dans son esprit: mais souvent il prononçait les répliques des personnages de vive voix avant de se reprendre en se demandant si la folie ne le gagnait pas.
Ce jour-là, exténué par une nouvelle session de marche pourtant plus courte qu’à l’accoutumée, Learamn décida de faire une halte. Il détacha Iran de la selle de Heolstor et la plaça délicatement à l’intérieur de la tente préalablement déployée. Il libéra également Keyvan de son fardeau, puis s’allongea à côté d’Iran. Mais alors qu’il tentait de trouver la sommeil, la faim se rappela à ses bons souvenirs. Pour économiser le peu de vivres qu’il lui restait, Learamn se restrictait au minimum sans compter qu’il fallait aussi sustenter Iran et les deux montures ( l’eau représentait d’ailleurs le grand problème pour eux). Parfois il lui arrivait de croiser du gibier, qu’il n’hésitait pas à chasser dans l’espoir d’un repas enfin copieux mais ces rencontres étaient rares et les traits de Learamn, improvisé archer, rataient bien souvent leur cibles. Incapable de s’endormir, le jeune homme s’autorisa à grignoter un peu de viande séchée. Aussitôt qu’il eut fini sa maigre pitance, il réalisa que cela n’avait que renforcé la sensation de faim. Mais il ne pouvait s’autoriser à en manger plus, d’autant plus que la chasse était peu fructueuse ces derniers temps. Il s’allongea donc à nouveau, s’efforçant à trouver un sommeil agité.
Alors une voix familière se fit entendre “Capitaine?”
Il avait déjà reconnu la son de sa voix mais la référence douloureuse à son ancien grade au sein de l’armée ne pouvait que provenir d’une personne. “-Iran”souffla-t-il en se redressant abruptement.
La guerrière était bien éveillée et le regardait intensément. Surpris mais à la fois réjoui par ce réveil soudain, Learamn s’approcha. Elle posa alors une main sur son avant-bras. “-Ils arrivent…”
Le rohir fronça des sourcils, de quoi parlait-elle donc? Sûrement était-ce dû à son état de choc, ce genre de divagations n’étaient pas rares pour les personnes qui sortait d’un coma prolongé. Devant l’absence de réaction, elle se mit à serrer son emprise sur le bras du jeune homme. “Réveillez-vous!”
En sursaut, Learamn s’éveilla. La respiration haletante, il mit quelques secondes à reprendre ses esprits. L’Orientale était toujours allongée à ses côtés, inconsciente. Ce n’était qu’un rêve. La joie de pouvoir à nouveau parler à la jeune femme avait bien pu durer mais Learamn avait pu y goûter assez pour pouvoir ressentir l’amertume de sa perte. Alors un bruit vague se fit entendre au loin. Learamn espéra alors qu’une quelconque bête sauvage qui pût calmer sa faim en soit l’origine. Il sortit prestemment de la tente, arc à la main, et balaya du regards les alentours.
D’animaux il ne vit point mais il y avait bien quelque chose. Il plissa les yeux pour mieux distinguer le groupe situé plus au Sud. Il s’agissait bien d’êtres humains, certains juchés sur des montures, d’autres pied à terre. Méfiant, Learamn se demanda s’il était possible que l’Iran du rêve l’avait avertie d’un danger bien réel. Ils semblaient nombreux et à mesure qu’ils approchaient, il put comprendre de quoi il en retournait: les hommes à cheval semblaient lourdement armés quand ceux à pied progressaient avec des liens aux mains. Des marchands d’esclaves. L’ex-officier poussa un juron que n’aurait pas renié un Eopren en état d’ébriété et analysa rapidement la situation.
Au vu de leur changement de trajectoire, les malfrats les avaient de toute évidence repéré et se dirigeaient désormais tout droit vers leur direction. Fuir était une option mais il lui fallait renoncer à tout leurs équipement et vivres et surtout au vu de l’état de fatigue de leurs chevaux, nulle réussite n’était garantie. Se battre était une autre option qui le conduirait à une morte certaine, il ne pouvait faire face à plusieurs adversaire. Restait la ruse. Mais que pouvait-il bien leur raconter pour essayer de s’en tirer. Il n’était pas familier avec ce genre de gens; il avait croisé la route de bien de hors-la-loi durant sa carrière mais au Rohan ils s’agissaient de brigands ou de voleurs, parfois de meutriers. Mais des escalavagistes, voilà bien une espèce qu’il espérait ne jamais croiser; les Peuples Libres avaient depuis longtemps banni de tels pratiques même si certaines rumeurs parlaient d’un réseau clandestin au Gondor mais il était su que l’esclavage était toujours monnaie courante au Sud et à l’Est lointain. Le convoi semblait venir de sud, peut-être du Harad, et se dirigeait de toute évidence eux aussi vers le Rhûn pour y vendre les pauvres individus capturés. Vers quelle autre royaume dans la région comptaient-il faire commerce de leurs oeuvres? Peut-être ces hommes étaient familiers avec la hiérarchie politique du Rhûn ou moins la connaissait suffisamment pour ne pas vouloir se la mettre au dos. Ou alors peut-être étaient-ils eux-même Rhûnien, ils ne pouvaient le dire. Mais chance était qu’ Iran, il avait cru le comprendre, était une membre d’un prestigieux corps d’élite du royaume.
Sans perdre une seconde, Learamn se précipita dans la tente et se mit à fouiller vigoureusement les affaires de Iran en la recherche d’une quelconque preuve de son rang et de son prestige. Il finit par tomber sur un document écrit dans sa langue natale qu’il ne put déchiffrer, peut-être cela suffirait-il à faire illusion. Il ressortit et put constater que les esclavagiste n’étaient plus très loin à présent; alors qu’ils arrivaient à sa hauteur le jeune homme s’efforça de ne pas trop regarder les personnes enchaînées qui lui faisaient face. La vision de ces personnes réduit à l’état de sous-hommes que l’on explotait à sa guise était particulièrement dérangeant et le mettait mal à l’aise. Il avait vu bien des horreurs durant sa carrière militaire mais le concept d’esclavage avait pour lui quelque chose de bien plus effrayant que la mort au combat qui était au fond bien plus enviable.
Le jeune homme concentra plutôt son regard sur des ravisseurs à l’air peu commode. Il avait son arme en évidence mais la laissa dans son fourreau, leur indiquant qu’il se battrait s’il le devait sans toutefois les provoquer ouvertement. Prenant son courage à deux mains, Learamn décida de prendre les devant en les hélant alors qu’il se trouvait encore à plusieurs mètres de lui. “Au nom de la Reine! Vers où vous rendez vous avec cette marchandise?”
Un coup de bluff de Learamn, un de plus. Mais il avait le sentiment que cela pourrait bien être son dernier.
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Un long silence suivit l'intervention pour le moins audacieuse de Learamn, comme si sa provocation avait fait mouche et que les hommes qui lui faisaient face – qui pour l'heure n'avaient montré aucun signe d'agressivité – comprenaient qu'il valait ne pas s'en prendre à lui sans poser quelques questions. Ou peut-être n'avaient-ils tout simplement pas saisi le moindre mot de ce qu'il venait de dire, auquel cas il fallait sans doute s'inquiéter de leur apparente absence de réaction. Ils se regardèrent sans parler, poursuivant leur approche très lentement, se déployant en un grand arc de cercle qui faisait bien comprendre à l'ancien officier qu'il n'avait aucune chance d'échapper à ses poursuivants. Ceux-ci se tournèrent progressivement vers celui qui menait la colonne, un homme dont on devinait la jeunesse malgré l'épaisse barbe de voyage qui lui mangeait la moitié du visage.
Il avait l'air assez modeste de taille, et il ne portait pas l'épée au côté : seulement un gourdin passé à la hanche, et un arc en bandoulière. La présence de l'arc s'expliquait facilement, notamment du fait des besoins de la chasse, mais le gourdin… C'était une arme inefficace en duel, mais elle avait l'avantage de ne pas tuer si elle était maniée avec suffisamment de dextérité. L'objet correspondait parfaitement aux impératifs de la profession. Le meneur avait les cheveux enturbannés selon une mode que l'on retrouvait généralement au Harad, mais la chaleur que l'on ressentait dans les vastes plaines du Rhovanion ne rendait pas son accoutrement ridicule, loin de là. Plus généralement, sa mise était étrange, et lui aussi semblait revenir de loin. Tenant fermement les rênes de son cheval afin de le maintenir tranquille, il cria quelque chose à Learamn en retour, sur un ton qui laissait entendre qu'il avait parfaitement conscience d'être en position de force.
Ce fut du moins tout ce que put interpréter l'ancien capitaine, car les mots prononcés lui parurent aussi étrangers que s'ils l'avaient été en Noir Parler. Peut-être un peu moins, cependant, car il ne pouvait que reconnaître certaines intonations et certains sons que son oreille avait déjà eu le plaisir et le déplaisir d'entendre auparavant. Des sons rudes et agressifs dans la bouche de ses ennemis, alors qu'il se frayait un chemin ensanglanté à travers les catacombes de la cité orientale de Vieille-Tombe. Des sons voluptueux et délicats alors qu'ils s'échappaient des lèvres de la guerrière inconsciente, souvent malgré elle quand l'émotion la submergeait et que son esprit ne trouvait plus le chemin de la langue commune pour s'exprimer et se faire comprendre.
Cet homme venait très certainement du Rhûn.
Le silence de Learamn suscita quelques regards interloqués, et quelques murmures étonnés. Les cavaliers s'étaient tendus, à l'exception notable de celui qui venait de prendre la parole, qui paraissait particulièrement détendu. Il gratta sa barbe en ravalant un bâillement, et reprit d'une voix moqueuse :
- Je disais qu'il était surprenant de constater que la grande asperge avait réussi à s'attacher les services d'un homme du Rohan… C'est d'autant plus surprenant de constater que vous ne comprenez pas un mot de rhûnien.
Il partit d'un petit rire sec en se redressant sur son cheval dont il flatta l'encolure presque par réflexe. Cet homme mystérieux était décidément plein de surprises, à commencer par sa maîtrise de la langue commune. Son vocabulaire était riche, assez pour passer pour un érudit parmi les Peuples Libres, même si son phrasé laissait deviner qu'il était davantage un homme du peuple qu'un grand savant. Sans son accent distinct, il aurait été prodigieusement difficile de l'identifier comme un Rhûnadan au simple son de sa voix. Fait étonnant, il paraissait être le seul de sa compagnie à savoir s'exprimer en westron, à moins que les autres ne fussent particulièrement doués pour feindre de ne pas comprendre ce qui se disait. Le jeune cavalier poursuivit, en agitant la main pour appuyer son propos :
- C'est votre accent qui vous trahit. Votre accoutrement, aussi. Les gens de Dale ne portent pas ce genre de tuniques, non. Et que dire de votre cheval ? Il n'y a qu'un Rohirrim pour s'occuper de sa monture mieux que de lui-même. Ou un Khandéen. Mais je ne connais qu'une seule femme de votre peuple qui habite ces terres, et vous ne venez pas du Khand, n'est-ce pas ?
La question était parfaitement rhétorique, mais son sourire éloquent en disait long sur ce qu'il pensait de Learamn. Il avait l'air de très bien connaître le monde à l'extérieur de son propre royaume, un avantage dont il semblait parfaitement conscient et qu'il ne répugnait pas à utiliser. Sa voix suave était celle d'un négociant habile, mais son œil vif était celui d'un bagarreur prêt à se défendre si on essayait de le doubler.
- Je vais vous répondre mon ami, puisque vous travaillez pour la catin de Blankânimad… Je ne voudrais pas importuner un de ses représentants, surtout quand on sait ce qu'elle inflige à ceux qui essaient de pénétrer sans autorisation dans son royaume…
Son sourire provocateur était tout sauf supportable, mais il était en position de force, et il le savait.
- Nous nous rendons en la bonne ville de Vieille-Tombe, comme vous l'appelez dans votre langue. Je suppose que vous aussi, à moins que vous ne soyez en route vers les terres de l'Ouest ? Mais à en juger par la taille de votre barbe et la poussière de vos vêtements, je dirais que vous êtes probablement plus proche de la fin de votre voyage que du début, ai-je tort ?
Il était observateur, c'était certain. Une qualité qui faisait d'ailleurs de lui un excellent négociateur, et un esclavagiste redoutable. Du premier coup d'œil, il était en mesure d'estimer la valeur d'une marchandise, et de déterminer si elle valait la peine d'être intégrée au cheptel. Mais ce n'était pas la seule corde qu'il avait à son arc, et il y avait plus d'une raison pour laquelle c'était lui qui commandait la petite troupe, composée d'hommes pour la plupart plus âgés que lui.
Sans prévenir, il mit pied à terre et s'approcha de l'ancien capitaine, les mains légèrement écartées comme pour prouver qu'il n'arrivait pas avec des intentions hostiles. Si cela était vrai, ce n'était pas le cas des autres, qui pouvaient dégainer leur arc et tirer en un rien de temps.
- Ayant été honnête avec vous, mon ami, je suppose que vous ne verrez pas d'inconvénient à me prouver en retour que vous êtes bien au service de la maudite sorcière. Je présume que vous devez porter sur vous son insigne, ou un document officiel vous donnant autorité pour contrôler un marchand de Vieille-Tombe alors que nous ne répondons d'ordinaire qu'à l'autorité des miliciens ou des réguliers.
Il était difficile de savoir s'il bluffait ou s'il disait la vérité, mais dans tous les cas il était évident qu'il essayait de coincer son interlocuteur, de le forcer à lui révéler la vraie nature de ses intentions. La question était de savoir dans quel but. Utilisant sa main comme éventail, il ajouta :
- Il fait une de ces chaleurs ici, vous ne voyez pas d'inconvénient à ce que nous discutions à l'abri de votre tente ? La fraîcheur permet en général des conversations plus fructueuses et moins tendues.
Alors que Learamn pesait le pour et le contre de cette décision, l'homme se retourna vers ses compagnons et leur lâcha quelque chose dans sa langue natale. Quelques consignes brèves, sur un ton assuré et ferme. Il y eut quelques hochements de tête entendus, avant que l'attention ne se focalisât de nouveau sur l'ancien capitaine.
- Ce n'est rien rassurez-vous, seulement quelques consignes pour le troupeau. Allons mon ami, ne soyez pas si nerveux, vous n'avez rien à craindre. Et vous en profiterez pour me présenter votre compagnon de route, qui se cache là-dessous j'imagine.
Comme pour appuyer sa théorie, il fit un geste du menton en direction des chevaux de Learamn :
- A moins que vous soyez un grand seigneur ou un marchand, je ne vois pas de raison à ce que vous traversiez les terres vides avec deux chevaux. Or puisque vous n'êtes pas vêtu comme un prince, et que votre canasson ne transporte aucun chargement volumineux… c'est que vous devez être deux.
Sa logique était sans faille, et son sourire s'élargit perceptiblement. Il n'y avait qu'à connaître la valeur de deux esclaves rohirrim sur les marchés de Vieille-Tombe par les temps actuels pour comprendre pourquoi.
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Décidément Learamn jouait de malchance. Non seulement avait-il eu le malheur de croiser la route d'esclavagistes peu amicaux mais en plus celui qui était sans doute leur chef était plus intelligent que ce que l'ancien capitaine avait imaginé. Il ne s’était pas le moins du monde montré intimidé ou impressionné par la téméraire manoeuvre de son interlocuteur. Au contraire, il avait même sans mal identifié ses origines rohirrim de par son accent, ses vêtements et l’allure de sa monture. L’homme s’exprimait dans un westron parfait au vocabulaire riche, plus riche que celui de Learamn n’avait jamais été. Un marchand d’esclave s’exprimant mieux que le Capitaine de la Garde Royale du Rohan; la fierté du jeune homme en prit un coup.
La tentative d’intimidation du jeune cavalier n’avait pas réellement rencontrée un succès total. Tout d’abord, le “marchand” - lui même Rhûnien- l’avait immédiatement identifié comme étranger en faisant preuve d’un sens aigu de l’observation. Ses hommes s’étaient déployés de manière à couper toutes les issues possibles et bien que armés de manière rudimentaire, ils prendraient très aisément le dessus en cas d’affrontement. Et le ton que l’esclavagiste s’efforçait de garder faussement amical pouvait à tout moment se transformer en un ordre meurtrier à destination de ses compagnons. De plus, leur appréciation de la Reine Lyra semblait pour le moins limité au vu des adjectifs graduellement insultants utilisés pour la qualifier. Par conséquent se présenter comme agent de la souveraine, n’avait peut-être pas été l’idée du siècle. Le jeune homme ne connaissait que très peu de choses sur la politique Rhûnienne mais il avait entendu que Lyra était une monarque à la fois respectée et crainte qui tenait son lointain Royaume d’une main de fer. Jamais l’idée que son autorité soit contestée par des membres de son peuple ne lui avait traversé l’esprit. Pourtant en y réfléchissant un peu, rien ne pouvait paraître plus logique : aucun dirigeant ne faisait l’unanimité et les tensions politiques n’étaient pas l’apanage du Rohan.
Malgré tout, la situation n’était pas totalement compromise et il y avait encore la possibilité qu’il puisse se sortir de ce mauvais pas. A condition bien sûr de ne plus commettre de faux pas. L’homme détestait la Reine Lyra mais il la craignait assez pour répondre aux directives de l’armée et ne pas défier trop ouvertement son autorité; du moins dans les actes car dans les mots n’importe quel soldat de la Couronne aurait violemment réagi aux qualificatifs injurieux prononcés par le malfrat. Mais Learamn n’en fit rien, pour le moment rester en vie lui semblait infiniment plus important que de défendre la dignité d’une Reine qu’il ne portait pas réellement dans son coeur. Il avait également indiqué qu’il se rendait lui aussi vers Vieille-Tombe avec ses hommes et sa sinistre marchandise. Rien de bien réjouissant à première vue mais en réalité la présence de ces esclavagistes pouvait bien représenter leur seule chance d’en finir avec les journées d’errance et la faim.
L’homme mit pied à terre et s’approcha du guerrier rohir, son sourire agaçant toujours fièrement affiché. La familiarité avec laquelle il s’exprimait à lui, déplaisait fortement au jeune homme pour qui les mots “mon ami” était aussi sacrés que réservés à une poignée de personnes pour lesquels il aurait donné sa vie. En plus d’être très confiant et sûr de lui, l’esclavagiste était décidément un formidable observateur. La présence d’un second cheval l’avait renseigné sur la présence d’un potentiel allié à Learamn. Sa demande de pouvoir entrer à l’intérieur de la tente afin de pouvoir discuter à l’abri de la chaleur était sans aucun doute liée à son envie de voir ce que son interlocuteur pouvait bien y cacher.
Le Rohir haussa les épaules, il n’était pas en situation de force et ils auraient eu tôt fait de trouver Iran. Il était préférable que Learamn leur indique la présence de la Rhûnienne en signe de bonne foi. “Vous êtes bien bon analyste pour un marchand d’esclave. En d’autres circonstances, j’aurais pu aussi dire bien téméraire de parler ainsi de votre Reine mais finalement vu le rapport de force en présence, vous prenez bien peu de risques. Cependant permettez moi de douter fortement que vous teniez le même discours une fois arrivé au Rhûn.”
Learamn recula de quelques mètres et ouvrit le pan de sa tente et l’invita d’un geste à le suivre à l’intérieur. “En effet je suis bien Rohir d’origine mais vous le savez sûrement mieux que quiconque, les allégeances vont et reviennent. Et vous avez encore une fois vu juste en vous demandant si j’étais accompagné. Par contre je doute fort que vous souffriez réellement de la chaleur mais vous êtes plutôt curieux de voir ce qui se cache dans ma tente.”
Learamn pénétra dans sa demeure de fortune, l’autre sur ses talons. Sans un mot, il s’accroupit auprès d’Iran et lui passa tendrement la main sur son front toujours aussi brûlant de fièvre. Il prononça une très courte prière silencieuse destinée à il ne savait qui ou quoi, c’était plutôt un voeu pour que tout se passe bien et qu’il ne se rende pas responsable d’une précipitation de la mort de la guerrière ou pire, de sa mise en esclavage.
Le jeune homme se redressa et répondit à la question que son vis-à-vis n’eut pas le temps d prononcer. “ Vous avez sous vos yeux une combattante d’un des corps le plus prestigieux de l’armée du Rhûn. Il y a des mois de cela, elle a été envoyée en mission sur ordre royal, une mission qui a mal tournée.”
Learamn lui tendit le document en caractères inconnus portant le sceau de Lyra qu’il avait trouvé dans les effets d’Iran avant de prendre la parole.
“Ne nous cachons plus la vérité à présent, vous auriez très bien pu nous tuer ou nous capturer pour rejoindre vos esclaves dès les premières secondes. Après tout personne ne viendra enquêter par ici. Pourtant vous me ménagez de manière bien surprenante, comme si vous espérez tirer quelque chose de moi. Alors voici ce que j’ai à vous offrir.”
Il tapota le sceau royal qui trônait sur la lettre que Learamn lui présentait. “Vous pourriez nous vendre comme esclave une fois arrivé à Vieille-Tombe et empocher une belle somme. Mais imaginez une seconde que vous ayez contribué au rapatriement de l’un des atouts les plus précieux de la Garde de Lyra, imaginez la gloire que vous pourrez en tirer ainsi que la tolérance dont vous pourrez bénéficier lorsque l’armée viendra mettre le nez dans vos affaires.”
Learamn replia soigneusement le document qu’il glissa dans la poche et laissa quelques secondes à l’esclavagiste pour réfléchir. “Vous semblez être un homme avisé. Alors voici ce que je vous propose: faisons route ensemble jusqu'à Vieille-Tombe et je me chargerai de vous éviter toute complications à la frontière ou dans le royaume. Vous retirerez également le mérite du secours que vous avez porté aux représentants de la Reine avec tout ce que cela implique. Tout cela en échange d’un peu d’eau et de nourriture, je ne demande rien de plus. ”
Il avait joué son va-tout en posant toutes ses cartes sur la table, un refus signifierait certainement l’arrêt brusque de son périple. Le jeune homme tendit sa main droite d’un geste qui se voulait assuré et confiant alors qu’en réalité il avait grand peine à cacher sa tension. “Alors, marché conclu?”
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Incapable de se départir de son air satisfait, l'esclavagiste n'en demeurait pas moins vigilant. On ne pouvait jamais savoir avec les sauvages rohirrim, qui tantôt acceptaient de commercer et de négocier, et parfois retournaient à leurs instincts primaires. La violence était leur langue maternelle, et ils ne répugnaient pas à en user avec les étrangers, allant à l'encontre de toutes les lois établies. Conscient que le cavalier isolé pouvait rapidement se retourner contre lui, le Rhûnadan s'efforçait de garder un ton apaisant… le même qu'on utilisait avec les chevaux et bêtes rétives, facilement effrayées. Pour autant, il ne lui était pas possible de lancer ses habituels traits d'esprit, qui lui avaient valu tant d'ennuis par le passé :
- Téméraire, le mot est fort bien choisi mon ami. Mais qui peut dire si je cours un risque ? Après tout, vous êtes bien le seul à comprendre cette dure langue de l'Ouest que nous parlons, et ce serait votre parole contre la mienne s'il vous venait l'idée de rapporter ce que nous disons ici. Alors vous voyez, mon ami, je ne crains pas grand-chose.
Sa moue suffisante était irritante, mais il marquait un point. L'ancien officier devrait s'habituer à ne pas être pris au sérieux, à voir sa parole être mise en doute systématiquement. Sa valeur et sa droiture morale ne pouvaient plus être prises pour argent comptant, et il se retrouvait de manière ironique dans la même position que Iran, et Rokh avant elle. De valeureux combattants qui, plongés dans un univers à la fois étranger et hostile, se retrouvaient si bas dans l'échelle sociale que les mots d'un esclavagiste pouvaient suffire à les condamner à mort.
Il faudrait à Learamn des nerfs d'acier pour survivre ici.
Sans attendre, les deux hommes pénétrèrent dans la tente, et le marchand d'esclaves ne put retenir un juron dans sa langue maternelle. Il s'était attendu à trouver un compagnon de voyage terré là, arme à la main, prêt à le surprendre. C'était peut-être la raison pour laquelle il avait rapproché sa main de son gourdin. On n'était jamais trop prudent. Mais le spectacle qui s'offrit à lui l'amena à reconsidérer sa position et la façon dont il percevait cet étranger. Il observa du coin de l'œil le jeune homme se pencher vers sa malheureuse compagne, guettant le moindre de ses gestes. Rien n'échappait à ses yeux de faucon. Ni la douceur avec laquelle il la traitait, ni le ton solennel et empreint de tristesse qu'il utilisa lorsqu'il laissa quelques mots de sa langue natale s'écouler de ses lèvres gercées.
On aurait dit qu'il lui souhaitait adieu.
Le marchand demeura silencieux face aux explications de l'Occidental, mais il lut très attentivement le document que ce dernier lui tendit. Il ne s'agissait pas à proprement parler d'un ordre de mission – car peu importe ce que cette guerrière inconsciente était partie faire à l'Ouest, cela ne pouvait être consigné négligemment sur un morceau de papier – mais bien d'un laisser-passer pour pénétrer librement au Rhûn et rejoindre Blankânimad dans les plus brefs délais. Si ce document n'avait pas été au nom de la jeune femme, il aurait pu valoir une belle somme.
Il rendit la lettre au cavalier, et s'approcha de la guerrière étendue, posant un genou à terre pour étudier son cas sans toutefois oser la toucher. Il préférait éviter de s'attirer le courroux du Rohirrim qui pour l'heure était plutôt bien disposé, et surtout il n'en avait pas besoin pour obtenir les informations qu'il cherchait. Tout bon marchand se devait de bien connaître sa marchandise, et de la même manière qu'on ne vendait pas du bois de mauvaise qualité à un menuisier, il n'était pas facile de vendre un esclave en mauvaise santé à un esclavagiste. Reconnaître les signes avant-coureurs d'une maladie ou d'une quelconque faiblesse garantissait de réaliser le maximum de profits, car qui voudrait acheter un serviteur incapable d'accomplir ce qu'on lui demanderait ? Parfois, pour réaliser de telles déductions, il fallait procéder à un examen approfondi que les esclaves n'appréciaient pas beaucoup, mais aujourd'hui cela n'était pas nécessaire. L'état de la jeune femme se passait de commentaires.
- Elle agonise, fit l'esclavagiste sur un ton sombre.
Un simple constat, qui sonnait comme une sentence. L'ancien officier n'avait pas nécessairement besoin de l'entendre, et il changea de sujet, préférant se projeter vers un avenir bien incertain plutôt que de s'attarder sur le présent. L'esclavagiste flairait l'opportunité, et il se détourna de la compassion qu'il ressentait encore parfois pour se laisser guider par son instinct de négociant. Il fallait dire que l'offre du guerrier était tout à fait intéressante, et il avait effectivement à y gagner dans l'histoire. Un peu de pain et d'eau contre la perspective d'obtenir de la part de Lyra une forte récompense. La Reine était inflexible, mais on disait d'elle qu'elle savait récompenser ceux qui la servaient bien. En obtenant ses faveurs, il était peut-être possible de glaner quelques privilèges commerciaux… L'idée était bonne, assurément.
- Mon ami, vous savez parler pour sûr ! Pour un homme du lointain Rohan, vous négociez comme un Dalite ! Cependant, j'ai bien peur que votre proposition ne tienne pas…
Il poussa sur ses jambes pour se redresser et, se tournant face à Learamn, il désigna Iran du doigt :
- Votre amie n'en a plus pour longtemps. Elle ne tiendra même pas jusqu'à Vieille-Tombe, qui se trouve encore à une semaine d'ici. Alors que dire d'un voyage jusqu'à Blankânimad ?
Son jugement était sans appel. Cependant, il n'y avait pas d'hostilité dans son ton. Au contraire, on décelait une forme d'empathie. Il comprenait le sentiment de Learamn : celui d'avoir chevauché si loin de chez soi, pour échouer si près du but. Il avait repoussé l'inéluctable, il avait fait de son mieux, mais parfois la bonne volonté ne suffisait pas. Il fallait se rendre à l'évidence.
- Vous devez accepter de la laisser partir, j'en ai bien peur.
Il y eut un long silence entre tous les deux. Les mots ne pouvaient pas tout exprimer, et il valait parfois mieux ne rien dire. L'esclavagiste finit par reprendre :
- Vous avez été honnête avec moi, mon ami. C'est une qualité rare de nos jours, surtout dans ces terres abandonnées. Laissez-moi être honnête avec vous en retour. Je n'ai jamais songé à vous capturer, et je n'utiliserai pas cette menace pour vous faire chanter. Non seulement vous êtes trop mal en point pour être rentable, mais en plus je transporte une pièce particulièrement rare et précieuse que j'espère vraiment pouvoir amener à la capitale. A elle seule, elle surpasse largement ce que vous et votre compagne pourriez me rapporter…
Il essayait de ne pas trop en divulguer, mais il était évident qu'il était très excité à l'idée d'arriver à destination. Lui et ses hommes avaient vraisemblablement fait un très long voyage dans ce but précis, et il lui tardait de pouvoir convertir tous ces efforts en une somme rondelette. S'il n'avait pas vendu des êtres vivants, son enthousiasme aurait presque pu être communicatif.
- J'ai une proposition à vous faire… Accompagnez-moi jusqu'à Blankânimad, et introduisez-moi auprès de Mémé Pisse-Froid. Avec votre papier là, et tous les trucs que vous avez à raconter, je suis sûr qu'elle vous accordera une audience, et moi j'en profiterai pour lui parler de ma cargaison. En échange, vous aurez de quoi boire et manger, et quand nous serons au Rhûn, je vous éviterai tous les ennuis que vous pourriez croiser. Vous n'aurez qu'à vous faire passer pour mon serviteur si on nous interroge.
Il eut un sourire sincèrement amusé, comme si la perspective de voir Learamn jouer le rôle de l'esclave précisément pour échapper à ce sort peu enviable était désopilante. Sans doute était-ce lié à l'humour bien particulier de la profession.
- Ma proposition est sincère, mon ami. Sans moi, vous risquez de mourir de soif avant d'apercevoir les fameux rivages de la Mer de Rhûn. Sans vous, je risque de voir mon commerce faire faillite, et je ne peux vraiment pas me le permettre. Nous avons tout à gagner à nous associer. Qu'en dites-vous ?
Il retira son gant, et présenta sa main ouverte au cavalier du Rohan, afin de sceller cet accord bien étonnant, dicté par la nécessité davantage que par la morale ou l'honneur. Mais que valaient les idéaux face à la faim, à la soif ou au tranchant d'une lame ? Dans les terres du Rhûn, serait-il encore sage de rejeter les rares mains tendues ? Surtout quand celle-ci aurait tout aussi bien pu lui proposer les chaînes au lieu de la liberté. Pour survivre, il fallait parfois accepter de faire le deuil de sa noblesse d'âme, de sa rectitude morale. Mais à quel point était-il possible de faire des compromis sans se compromettre ?
Il le découvrirait bientôt.
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Learamn Agent de Rhûn - Banni du Rohan
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Le marchand d’esclave parcourut rapidement le document qui semblait bien être une missive royale donnant une force certaine à l’argumentaire du jeune homme. “ Iran Armadin Arâ'ansha… Eh bien, vous fréquentez du beau monde.”
Learamn se rendit alors compte, que malgré tout ce temps passé à ses côtés, il n’avait jamais su quel était le nom complet de la guerrière. Pour lui, elle n’avait jamais été plus qu’”Iran du Rhûn”, une étrangère valeureuse à laquelle il s’était fortement attaché mais dont le passé et l’identité demeuraient drapés de mystère et d’inconnu. En dévoilant son nom complet, l’homme venait d’enlever, sans le savoir, une part du secret qui entourait la Rhûnienne. Néanmoins, elle n’en devenait que plus proche du Rohir; elle n’était plus une entité exotique mystérieuse à la magie puissante mais une femme, avec un nom complet qui renvoyait très certainement à sa famille, à son clan, à ses origines. Tout comme lui. Une jeune femme qui s’était éloigné des siens pour ne devenir qu’une étrangère, au Rohan on ne l’avait vu que comme “l’Orientale”, crachant ainsi sur son héritage et ses racines. Même Learamn, qui avait noué de forts liens avec la jeune femme, n’avait jamais songé à lui demander quel était son nom complet, se contentant de l’ajout “ du Rhûn”. Inconsciemment, il avait lui aussi réduit la guerrière à son statut d’étrangère. Il comprenait à présent son erreur. Pour la première fois il ne la vit plus seulement comme son alliée ou amie mais bien comme son égale. Un être humain ayant ses besoins, ses désirs, son histoire familiale comme tous les autres. Ironiquement, c’était bien grâce à ce malfrat que ce changement d’attitude put se produire.
Après plusieurs secondes de réflexion, interminables pour Learamn; le marchand d’esclaves répondit à la proposition du jeune homme. Et celle-ci n’était apparemment pas tombée dans l’oreille d’un sourd. En axant son offre sur la perspective du gain et du prestige, l’ancien capitaine avait visé juste. Aussi érudit qu’il pouvait l’être, cet homme restait un marchand aux méthodes véreuses et pour en avoir croisé de nombreux, il savait que ce genre de personne ne parlait qu’un seul langage: celui de l’argent. Toutefois le négociant était en position de force et il en avait de toute évidence conscience, il formula donc une contre-proposition à Learamn. Il parlait toujours avec ce ton très familier qui déplaisait fortement au cavalier. Il était peut-être prêt à faire affaire avec cet individu mais il ne comptait certainement pas inclure de tels personnes dans son cercle “d’amis”. La manière dont il désigna aussi la Reine Lyra- car Learamn ne voyait pas de qui d’autre il pouvait bien parler- confirma bien une aversion certaine pour la souveraine, mais son envie d’obtenir une audience trahissait également le fait qu’elle avait un certain pouvoir d’influence, y compris sur ceux qui la détestaient. “Tout d’abord il n’est pas de votre ressort de choisir le destin d’Iran. Je n’irai nulle part sans elle et veillerai sur elle jusqu’au bout. Même si jamais elle…”
Il marqua une pause, comme si les mots étaient trop douloureux à prononcer d’une traite. “Même si jamais elle ne devrait pas survivre, je l’amènerai jusqu’en ses terres pour qu’elle puisse reposer auprès de ses ancêtres. Quoiqu’il en soit, elle représente notre porte d’entrée pour Blankânimad, je doute que le document nous suffise surtout qu’il est à son nom.”
L’idée de devoir faire route avec cet homme et sa colonie d’esclave le répugnait. Mais face à la chaleur, la faim, l’épuisement et la soif, quel autre choix avait-il? Même si les esclavagistes partaient sans rien leur faire, ils ne survivraient pas bien longtemps, perdus ainsi au milieu Terres Sauvages. La survie de l’ancien officier prestigieux du Rohan qui avait passé sa vie à défendre de nobles causes à force de courage et d’honneur était dans les mains d’individus de la pire espèce. Le destin était parfois cynique.
En quittant le Rohan il s’était engagé à amener Iran en son pays, quel qu’en soit le prix.
Learamn regarda quelque secondes la main tendue de son interlocuteur, parut hésiter pendant une fraction de seconde, puis la serra fermement. “Marché conclu. Nous ferons route ensemble jusqu’à Blankânimad où je vous introduirai dans le palais.”
C’était un autre coup de bluff de la part du jeune homme, si Iran avait sûrement ses entrées, le rohir n’avait absolument aucune idée comment il pouvait s’y incruster lui-même, alors y faire entrer tout un groupe de marchands d’esclave relevait de l’impossible. Mais l’heure n’était pas encore à ce genre de considérations, il verrait bien le moment venu. “Vous avez un nom ou un titre par lequel je peux vous appeler?”
Le jeune homme ne tenait pas vraiment à faire la discussion avec son compagnon de voyage ni même à connaître son identité. Mais mieux valait-il feindre l’amitié pour le moment et éviter de se le mettre à dos. Ils allaient faire un bout de chemin ensemble.
Il empaqueta ses affaires dont il chargea Keyvan et installa délicatement Iran sur le dos de Heolstor. Il jeta un coup d’oeil en direction de la colonie d’esclaves aux mains enchaînées et l’amertume le gagna instantanément. Des semaines durant il allait donc côtoyer ce qu’il y avait peut-être de plus cruel au monde: des esclavagistes; il partagerait leur repas et peut-être même devrait-il combattre à leurs côtés.
Il caressa la joue d’Iran pour balayer ces pensées amères et se recentrer sur son objectif.
La ramener en ses terres.
Quelqu’en soit le prix.
The Young Cop
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Le jeune cavalier du Rohan était peut-être épuisé, assoiffé et affamé, mais il n'avait absolument rien perdu de sa détermination. Dans son regard brillait toujours une lueur inquiétante, celle d'un homme résolu à aller jusqu'au bout de sa mission, en dépit des conséquences. L'esclavagiste ne put s'empêcher de noter ce détail dans un coin de son esprit, sans savoir s'il s'agissait d'une qualité ou d'un défaut. Un peu des deux, sans doute, car l'obstination pouvait rapidement devenir déraisonnable, surtout face à l'implacable force de la réalité. Le monde allait dans une direction, et la force de la volonté ne pouvait rien faire d'autre qu'infléchir légèrement l'ordre des choses. Ce qui avait été décidé par les Puissances adviendrait, peu importe ce que les Hommes souhaitaient.
- Je comprends, mon ami… Nous ferons de notre mieux pour la garder en vie, dans ce cas. Mais n'ayez pas trop d'espoir.
Le négociant n'aimait pas se faire le porte-parole de Melkor, mais il lui semblait bien que la jeune femme était condamnée, et il savait au fond de lui que la mort l'accompagnait déjà depuis longtemps. Ce cavalier solitaire retardait l'inéluctable pour un rêve fou, mais le Rhûn n'était pas une terre où les rêveries devenaient réalité. C'était peut-être pour cette raison que les Hommes de l'Ouest, toujours pétris d'idéaux, se sentaient mal à l'aise à l'Est. L'esclavagiste, qui avait beaucoup voyagé de par le monde, se demandait encore comment des individus qui lui paraissaient si semblables à l'extérieur pouvaient être aussi différents à l'intérieur. Deux bras, deux jambes, et une touffe de cheveux sur le crâne, mais des visions du monde radicalement opposées, des conceptions de la vie, de l'honneur et de la justice qui s'arrêtaient le long de frontières aussi invisibles qu'intangibles.
Et puis il y avait lui, passeur de mondes qui oscillait entre tous ces univers. Ni tout à fait d'ici, ni tout à fait d'ailleurs.
Empoignant fermement la main du jeune homme, qu'il jugea solide et droit à la seule façon qu'il avait de conclure cet accord solennel, le marchand de vies humaines répondit simplement :
- Khalmeh, c'est ainsi que l'on me nomme. Point de titres, point de famille. Simplement Khalmeh.
Il accompagna sa réponse d'un sourire énigmatique, qui cette fois n'avait rien de provocateur. On aurait même plutôt dit un rictus destiné à cacher une profonde blessure intérieure. Mais l'homme était habile à cacher ses émotions, et il n'en dévoila pas davantage à son interlocuteur, se contentant de lui demander en retour :
- Et vous, compagnon, comment dois-je vous appeler désormais ?
Les présentations étaient toujours un moment étrange, comme si les deux hommes se promettaient silencieusement une assistance mutuelle dans ce monde dangereux, alors que tout semblait les séparer. L'un avait des principes, l'autre avait des obligations, et les deux semblaient totalement incompatibles. Pour autant, le destin les avait réunis, et les forçait à marcher ensemble vers un but commun, à la fois incertain et porteur d'espoir. La paix pour le Rohirrim, le profit pour le Rhûnadan. Ce curieux assemblage se mit bientôt en route, profitant de la fraîcheur du début de soirée pour avaler les miles qu'ils avaient perdus au cours de ces négociations.
Sur sa selle, Khalmeh ne pouvait s'empêcher d'observer son nouveau compagnon, qui veillait sur cette guerrière comme s'il s'agissait de la personne la plus précieuse du monde.
Au fond de lui-même, il se sentit attristé.
~ ~ ~ ~
Voyager avec des compagnons présentait de nombreux avantages, et Learamn s'en rendit compte rapidement. Les jours passant, il reprit des forces et retrouva des couleurs, alors qu'il pouvait désormais se reposer plus librement, et profiter de repas de fortunes certes, mais qui avaient l'avantage d'être nourrissants. La nuit, on lui épargnait les tours de garde, si bien qu'il pouvait se concentrer exclusivement sur lui et sur Iran. Pas nécessairement dans cet ordre d'ailleurs. Cependant, dire qu'il faisait partie de la petite compagnie aurait été exagéré. Il ne parlait pas la langue du Rhûn, et les autres cavaliers le regardaient avec un mélange de méfiance et d'indifférence, préférant l'éviter dans la mesure du possible. Ils communiquaient par gestes, la plupart du temps, mais les Orientaux essayaient de limiter leurs contacts avec lui.
Il y avait bien les esclaves, que le Rohirrim comprenait pour la plupart puisque beaucoup parlaient le Westron. Cependant, il lui était tacitement interdit de trop sympathiser avec eux, au risque de s'attirer un grognement sévère de la part des gardes. Pour autant, en tant que membre de la compagnie des esclavagistes, il était naturellement amené à les fréquenter, qu'il s'agisse de leur donner leur ration, un peu d'eau quand ils en réclamaient, ou bien pour veilleur à leur santé. Ils ne lui lançaient pas des œillades bienveillantes, car même si Learamn était un Rohirrim et qu'il avait un statut assez spécial dans la compagnie, le monde se divisait entre libres et non-libres. Il n'appartenait pas à la même catégorie qu'eux, et pour cette raison ils semblaient s'en méfier.
En retour, il gardait un œil sur eux, et en apprenait davantage sur la marchandise qu'il contribuait à protéger. Au fil des jours, il put noter qu'ils se divisaient principalement en deux groupes. Le premier était constitué de Suderons et de Khandéens, essentiellement des Hommes qui avaient de toute évidence un passé guerrier. Certains arboraient des tatouages complexes, et Learamn apprit bientôt que ces motifs représentaient leurs précédents maîtres. Un titre de propriété, en quelque sorte, pour les esclaves les plus rétifs. D'autres n'en avaient pas, ce qui signifiait qu'ils venaient juste d'être réduits en esclavage, ou qu'ils étaient si dociles qu'il n'avait jamais été nécessaire de les marquer. Le second groupe était composé principalement de gens plus familiers à l'ancien officier. Il y avait là des gens du Harondor et du Gondor, et même deux qui venaient de Dale. C'étaient principalement des femmes, dont certaines se distinguaient par leur beauté. Assurément celles-ci n'iraient pas travailler dans les mines, mais viendraient nourrir d'autres appétits.
Leur regard était résigné, et la fatigue les gagnait, mais elles étaient mieux traitées que leurs comparses masculins qui semblaient veiller sur elles et les protéger. Il y avait chez les esclaves une forme de solidarité étonnante, à laquelle personne ne semblait déroger. Question de survie. Les esclavagistes, quant à eux, s'efforçaient de les traiter aussi bien que possible, de nettoyer leurs éventuelles plaies, de vérifier leurs blessures, et de les nourrir convenablement. On était loin de l'image dramatique d'esclaves faméliques au bord de la mort. Ces hommes et ces femmes étaient mieux traités que beaucoup des prisonniers que Learamn avait pu voir au cours de sa carrière… probablement car les prisonniers n'avaient aucune valeur marchande.
Au départ, Learamn aurait pu croire que les femmes constituaient le butin principal de Khalmeh et de sa troupe. En effet, certaines auraient fait tourner quelques têtes à Edoras, et apprêtées de belles robes et de beaux bijoux elles auraient pu sans peine séduire de puissants seigneurs – c'était d'ailleurs probablement l'avenir qui leur était promis. Cependant, il y avait parmi la marchandise une autre denrée précieuse que les Rhûnedain transportaient. Celle-là, Learamn n'était pas autorisé à s'en approcher. Cette pièce spéciale était enfermée dans une cage, elle-même montée sur un petit chariot. Personne ne semblait avoir vu ce qui se cachait à l'intérieur, car la cage était recouverte d'un épais tissu, mais il s'en dégageait une odeur désagréable, et par moments ils entendaient des grognements inquiétants.
S'il s'agissait d'un Homme, alors il devait probablement tenir davantage de l'animal que de l'humain, et être doté d'une force prodigieuse pour qu'on jugeât utile de détenir ainsi.
L'ancien officier apprit toutes ces choses et bien d'autres encore durant ces quelques jours avec la compagnie. Le monde des esclavagistes avait ses logiques propres, mais même quand ils accomplissaient un des métiers les plus détestables du monde, les Hommes restaient les mêmes. Le soir venu, alors que certains montaient la garde en s'efforçant de protéger leur marchandise d'éventuels brigands, les autres se réunissaient au coin du feu, et se racontaient des histoires. Le rhûnien était une langue étrange, très différente des langues de l'Ouest, mais quand il n'était pas utilisé pour la guerre il pouvait avoir des accents délicats et doux. Khalmeh, qui prenait bien soin de s'asseoir près du Rohirrim lors de ces veillées, s'efforçait de lui faire la traduction du mieux qu'il pouvait :
- Ce soir, Lakhsha nous raconte l'histoire de sa jeunesse, chuchota-t-il ainsi alors que tous prenaient place.
Lakhsha était le vétéran de la compagnie, mais il semblait encore énergique et avait le bras fort. C'était un homme qui inspirait le respect, et en l'occurrence tous ceux qui s'étaient rassemblés semblaient trépigner d'impatience à l'idée de recevoir son récit.
- Il a vécu à l'âge des guerres de Sharaman, c'est pour ça, souffla Khalmeh en guise d'explication.
De toute évidence la référence était connue par tous au Rhûn, et il ne jugea pas utile de donner une quelconque précision, laissant le récit parler à sa place. Sa capacité à traduire le discours en temps réel était stupéfiante, et attestait du fait qu'il avait déjà dû s'y employer par le passé.
- Quand Lakhsha est né, notre royaume était encore gouverné par les sinistres envahisseurs du Gondor. Pendant vingt décades, notre terre a été soumise, exploitée et pillée par nos ennemis ancestraux, devenus nos maîtres et nos seigneurs. A cette époque également, nous étions désunis, et chacun se faisait le fléau de son voisin. C'est notre faiblesse de cœur qui nous a condamné à la servitude, car jusqu'à présent nous n'étions qu'un ensemble de tribus sauvages.
Même si la traduction était approximative, elle mettait du sens sur le ton particulièrement solennel employé par le narrateur. Lakhsha ne se contentait pas de raconter quelques anecdotes du passé, non. Il donnait une véritable leçon à ses contemporains, laquelle était fondée sur des événements qui n'étaient guère enseignés à l'Ouest. Qui savait par exemple qu'au cours du Quatrième Âge, le Rhûn avait été soumis au Gondor, contraint de prêter allégeance à son ennemi mortel, et de renoncer à toute ambition d'autonomie ? Cette période particulièrement sombre de l'histoire orientale était ancrée dans la mémoire collective, et nourrissait la haine que certains éprouvaient vis-à-vis de l'Ouest en général. Khalmeh était lui-même captivé par le récit qu'il semblait pourtant connaître, et il traduisait machinalement, employant involontairement la première personne comme s'il évoquait sa propre histoire :
- Tout a changé, continua-t-il, quand Sharaman, le grand roi, a décidé que le destin de l'Est était de renaître, comme le soleil émerge à l'Est après la nuit. Je me souviens que dans ma jeunesse, mon père a prêté allégeance au grand roi, contre le tyran étranger. Et bientôt, ce fut la guerre. Sur les frontières occidentales du pays, il y eut de nombreux combats, et de nombreux morts également. J'ai vu de mes yeux le chaos, et les pillards du Gondor s'en prendre aux vieillards, aux femmes, aux enfants. Tuant, volant, brûlant, détruisant tout sur leur passage pour les dissuader de soutenir le grand roi. Ma propre mère fut violée, puis pendue par les Hommes de l'Ouest. Mais cela ne fit que renforcer notre volonté. Les uns se battaient pour la liberté, et les autres pour imposer leur joug à notre peuple. Ce fut finalement le camp de la liberté qui triompha, quand les armées de Sharaman repoussèrent l'envahisseur, après plusieurs batailles décisives. Mon père, qui s'était joint au conflit, trouva la mort au cours de la dernière grande bataille. Il y eut durant cette époque des hauts-faits, et de grands héros dont les noms sont aujourd'hui oubliés. De nobles tribus s'effondrèrent, certaines disparaissant totalement avec l'espoir que leur sacrifice nous offrirait des jours meilleurs. Sharaman avait purgé nos cœurs de notre faiblesse, de notre peur, et il avait fait de nous un peuple uni. Notre seul avenir est commun, notre seul espoir est ensemble. Ce fut le legs du grand roi, qui donna pour nous sa vie sur le champ de bataille, face aux hommes du Gondor.
A la mention de la mort de Sharaman, les hommes baissèrent tous la tête, marmonnant quelques paroles de protection à la mémoire de leur libérateur. Leur défunt roi tenait dans leur cœur la même place que Théoden pouvait tenir dans celui des Rohirrim. Un souverain brave, qui avait péri sur le champ de bataille au nom d'un idéal que beaucoup considéraient comme inatteignable. Libérer la Terre du Milieu de l'emprise de Sauron avait été une victoire éclatante des Peuples Libres, qui avait nécessité que le Rohan perdît un de ses plus illustres souverains. Son tumulus fleuri, à la sortie d'Edoras, rappelait à tous les jeunes Rohirrim que jadis, de grands hommes s'étaient battus pour leur avenir. Ce récit ne faisait que rappeler que chaque peuple avait ses héros.
- Aujourd'hui, l'époque des guerres de Sharaman est terminée, poursuivit Khalmeh, mais les leçons ne doivent pas être oubliées. Seule l'unité nous préservera de ceux qui nous menacent et cherchent à nous diviser. Cela s'est déjà produit, cela se reproduira. Et quand les tambours de la guerre résonneront, les fils prendront la place des pères, et répondront à l'appel.
Lakhsha posa alors une question que Khalmeh ne jugea pas utile de traduire, trop occupé qu'il était à y répondre dans sa propre langue maternelle. C'était un appel à l'unité, auquel les hommes autour du feu répondirent virilement par un cri de ralliement. Un cri martial. Un cri de guerriers. Même s'ils n'étaient que des marchands d'esclaves, même s'ils n'étaient personne aux yeux de leur propre royaume, ils se considéraient comme y appartenant, et étaient prêts à le défendre. Ces hommes n'étaient pas des soldats, mais leur compagnie en avait l'apparence : la discipline y régnait avec la même force qu'au sein d'un régiment, et pour la plupart ils savaient se battre mieux que le paysan moyen. On disait du Rhûn que son peuple était tout entier formé à la guerre, et ceux-ci ne faisaient rien pour contredire ce stéréotype. Ils partirent soudainement d'un grand rire joyeux, et entrechoquèrent leurs chopes qui ne contenaient qu'une infusion aux plantes destinée à leur donner du courage, avant de se mettre à parler entre eux. Khalmeh, qui semblait d'excellente humeur, frappa sa chope contre celle de Learamn en lui glissant :
- Merci compagnon, d'avoir écouté l'histoire de notre peuple. Rares sont les vôtres à la connaître, je le crains.
Il but de bon cœur, et s'allongea en levant la tête vers les étoiles. On les voyait particulièrement bien, car le ciel était très clair, sans le moindre nuage. Learamn comme Khalmeh étaient partis loin de chez eux, mais cette toile d'encre mouchetée d'opale était bien la même que celle de leur enfance. Ils savaient pouvoir trouver du réconfort dans cette vision familière, apaisante, ne fût-ce que pour quelques minutes ou quelques heures. L'esclavagiste, une main passée derrière la tête, lança tranquillement :
- Et vous, quelle est votre histoire ? Vous m'avez parlé de votre compagne, Iran, mais vous concernant vous avez été bien mystérieux jusqu'à présent. Parfois j'ai l'impression que vous êtes un grand seigneur, un prince ou je ne sais quoi. A d'autres moments, vous me semblez n'être qu'un voyageur égaré et sans but. Éclairez-moi, avant que mon cerveau ne se blesse par trop de réflexion.
Il eut un petit rire sec :
- Je sais que ma demande peut vous paraître déplacée, compagnon, mais vous auriez tort de me prêter le pouvoir de vous nuire. Je n'en ai ni l'envie, ni les moyens, et après tout peu importe que vous soyez le fils caché de Balthazar ou du roi Mephisto. Tant que vous honorez votre part du marché, vous êtes mon compagnon, et c'est quelque chose de sacré pour moi.
"Il n'y a pas pire tyrannie que celle qui se cache sous l'étendard de la Justice"
Spoiler:
Bourse : 3.500£ - Salaire : 3.000£
Learamn Agent de Rhûn - Banni du Rohan
Nombre de messages : 1079 Age : 25 Localisation : Temple Sharaman, Albyor Rôle : Esclave au Temple Sharaman, Agent de la Reine Lyra, Ex-Capitaine du Rohan
Voici ce qu'avait fait Learamn en serrant la main tendue de Khalmeh. Les gens du Rohan savaient bien peu de la vie des peuples Orientaux ou Méridionaux: mais l’on évoquait sans cesse l’esclavagisme pour souligner leur cruauté et barbarie. Et à priori les rumeurs n’étaient pas infondées, le jeune homme n’avait pas encore mis le pied en Rhûn qu’il était confronté à ce phénomène.
Toutefois, à mesure que les jours s’écoulaient, il put voir les esclaves de plus près et être témoin du traitement qui leur était réservé. Les chaînes qui entravaient leurs mouvements ne laissait aucune place au doute quant à leur statut de marchandise humaine. Pourtant tous les autres éléments constitutifs de la vision de l’esclavage chez les Peuples Libres étaient curieusement absents: nul coups de fouet ou violences physiques. Les esclaves étaient ménagés, nourris et soignés avec une attention bien étonnante. De toute évidence, leur sort n’était nullement enviable mais de manière paradoxale, sous la houlette des esclavagistes ils étaient en sécurité.
Le rohir évitait autant que possible tout contact direct avec les membres du groupe. La barrière de la langue représentant un réel obstacle qui accommodait bien l’ancien officier. Il avait bien essayé de s’approcher des esclaves pour échanger avec eux et tenter d’en savoir plus mais même s’il n’avait reçu aucun commentaire direct, il avait vite compris que cela était mal vu par le groupe. De toute manière, les esclaves se méfiaient aussi de lui et étaient peu enclin à lui adresser la parole. Une inimitié sûrement justifiée de leur part envers cet étranger qui venait de rallier le groupe de ravisseurs. Learamn put néanmoins glaner quelques informations ça et là, apprenant que la plupart des captifs venaient du Sud et de l’Est Lointain mais certains étaient originaires de lieux dont les noms lui étaient bien plus familiers comme Dale ou le Gondor.
Au milieu de cette horde d’étrangers avec lesquels il ne communiquait qu’à travers des gestes lorsqu’il en avait besoin, Khalmeh représentait sa seule porte d’entrée sur cet univers dont il ignorait tout. Le jeune chef du groupe chevauchait parfois à ses côtés et Learamn se surprit plusieurs fois à lui faire la conversation. Le Rhûnadan n’avait pas abandonné le ton amical qui avait été le sien lors de leur première rencontre. Si cela était un moyen de manipuler son nouveau compagnon, alors Khalmeh était un comédien hors pair tant il semblait sincère. De plus, rien de ce qui s’était produit jusque là ne remettait en cause la parole de l’esclavagiste. Celui-ci avait dûment respecté ses promesses et engagements, offrant nourriture et protection au Rohir et à Iran. L’état de cette dernière n’allait d’ailleurs pas en s’arrangeant mais les soins prodigués par leurs nouveaux compagnons de voyage avait permis de ralentir la montée de la fièvre et de calmer certaines des crises dont elle avait été victimes ses derniers jours. Toutefois, tous leurs efforts pour la tirer de son inconscience furent vain. La jeune femme était maintenant plongée dans le coma depuis plusieurs mois, un temps anormalement long. D’ordinaire soit l’on se réveillait au bout d’un certain temps, soit l’on finissait par mourir. C’était comme si une quelconque sorte de magie noire la maintenait dans cette léthargie sans qu’elle puisse en sortir. Le jeune homme avait été toujours été un grand sceptique pour tout ce qui touchait au surnaturel mais dans le cas présent, il était à court d’explications rationnelles.
A la fin d’une autre longue journée de voyage au milieu de ces terres désolées, Khalmeh cria des ordres dans sa langue natale et le groupe s’arrêta instantanément. Les hommes mirent pied à terre, commencèrent à installer le campement et préparer le feu. Ankylosé par de longues heures de chevauchée, Learamn descendit de selle avec une grimace. Il ne souffrait plus de la faim et de la soif depuis qu’il voyageait en groupe mais ses muscles étaient toujours mis à rude épreuve: sans compter sa blessure au pied, qui bien que cicatrisé, se rappelait de plus en plus souvent à ses bons souvenirs. Il détacha Iran des liens qui la maintenait en selle et la prit délicatement dans ses bras. Il interrogea du regard l’un des hommes qui, en guise de réponse, pointa du doigt l’une des tentes qu’ils avaient déjà montés. Le jeune homme y déposa son amie sur un matelas de fortune. Il rabattit le pan de la tente et sortit de son sac un tissu propre qu’il trempa dans l’eau. Le jeune homme épongea le front brûlant de la guerrière avant de s’appliquer à lui laver le visage avec le peu d’eau et savon dont il disposait.
Il passa ainsi de longues minutes à prendre soin de celle avec qui il avait lié son destin. C’était son rituel quotidien, chaque soir le cavalier s’occupait d’elle pour faire en sorte de préserver sa dignité d’être humain. Ce n’était pas toujours évident et certaines tâches en auraient repoussé plus d’un mais le jeune homme savait plus que quiconque les attentions parfois peu attrayantes dont un blessé avait besoin.
Une fois sa tâche achevée, Learamn sortit de la tente. Une bourrasque de vent vint le frapper en plein visage, la nuit serait fraîche. Il se dirigea vers le feu autour duquel étaient déjà installés plusieurs de ses compagnons de voyage. On s’était déjà réparti les tours de gardes pour la nuit, certains étaient assignés à la surveillance de toute menace extérieurs, d’autres à celles des esclaves. Le rohir était quant à lui exempté de cette tâche, sûrement par manque de confiance, et cela lui convenait très bien. En passa nt devant l’un des chariots du convoi, il se risqua à jeter un coup d’oeil pour voir ce qui il y avait à l’intérieur. Depuis le premier jour il avait repéré la présence de cette mystérieuse cage drapée d’un tissu, constamment protégé par des hommes qui lui lançaient des regards mauvais à chaque fois que le jeune homme s’en approchait d’un peu trop près. De toute évidence, ils y enfermaient quelqu’un de grand valeur pour eux, ou alors quelque chose d’extrêmement dangereux. L’odeur forte qui s’en dégageait n’inspirait rien de bon. Et ce n’était sûrement pas dans la pénombre du crépuscule que Learamn pouvait distinguer ce qui s’y cachait. Il alla donc s’installer auprès du feu, à côté de Khalmeh.
On se passa de la nourriture et de l’infusion aux plantes pour réchauffer les coeurs et les esprits. Puis un homme, le plus âgé, commença à parler d’une voix rauque et profonde, et instantanément tous les autres se turent de manière respectueuse. Le doyen de la bande commença un récit; Learamn n’en comprit pas un mot mais le conteur et la langue qu’il employait avait quelque chose d’assez envoûtant. Il avait toujours associé le rhûnien à une langue rude, mais les seuls mots qu’il avait pu en entendre avait été prononcés sur un champ de bataille. A présent, cette langue qui n’avait rien en commun avec celles des peuples occidentaux, recelait un exotisme envoûtant et qui semblait chargé d’une histoire riche et tourmentée. Si bien que même si Khalmeh n’avait pas été présent pour lui souffler la traduction, il serait resté captivé par l’histoire de cette homme. Khalmeh lui expliqua que le respect montré par les hommes était dû au fait que le vétéran avait fait “ les guerres de Sharaman”. L’ex officier n’avait pas la moindre idée de quand elles avaient eu lieu ni même qui était ce Sharaman ( s’il s’agissait bien d’une personne), mais préféra ne pas interroger son compagnon de route sur le sujet.
Avec une dextérité impressionnante, le Rhûnadan traduisait le récit de son compatriote en Commun. Un récit qui portait sur une période sombre de l’histoire de leur royaume; une période de domination étrangère: celle du Gondor. Une occupation décrite comme violente et tyrannique. Le Grand Royaume des Peuples Libres étant ici associés aux adjectifs utilisés pour décrire les Orientaux au Rohan.
Lakhsha, le vétéran à la voix caverneuse, évoqua alors avec admiration “le grand roi Sharaman”. Une figure héroïque s’étant élevé face à l’envahisseur en unissant dans son sillages les nombreuses tribus du Rhûn. Sous son commandement les Orientaux engagèrent une guerre face à l’occupant Gondorien jusqu’à une victoire finale marquée par de nombreuses et douloureuses pertes.
Ce récit fondateur était sûrement connu de tous, pourtant pas un n’avait semblé se désintéresser du vétéran qui parlait. Comme si il y avait quelque chose de sacré. Le sacrifice du Roi Sharaman pour sa patrie emplissait leur coeur de tristesse et d’espoir. Learamn ne connaissait rien de cette histoire avant cette nuit là, jamais il n’avait entendu parler d’un grand roi du Rhûn, ni même de l’occupation de cette région par les forces gondoriennes. Qui avait donc été le souverain assez ambitieux pour soumettre une contrée aussi lointaine de la Cité Blanche? Mais le jeune homme ne douta pas une seule seconde de la véracité du récit, bien entendu la figure de Sharaman avait sûrement été idéalisé après sa mort afin de l’ériger comme figure fondatrice d’un royaume unifié, mais l’idée d’un Gondor impérialiste dictant sa loi sur un peuple qu’il jugeait inférieur n’avait rien d’irréaliste. Ils avaient maintes fois démontré leur désir de conquête lointaine dans la région du Harondor
Dans un élan collectif, tous les Orientaux répondirent au ralliement de leur aîné. L’histoire rapportée par Lakhsha avait une dimension martiale indéniable et la scène qui suivit ressemblait fort à celles qui pouvaient se jouer la veille d’une bataille sanglante où les combattants se donnaient du courage en se rappelant pourquoi et pour qui ils s’apprêtaient à mourir.
Khalmeh frappa sa chope contre celle de Learamn et le remercia d’avoir respectueusement écouté le récit fondateur du Rhûn. “ En effet, cette histoire est bien inconnue dans mon pays. Et je ne pense pas que les Gondoriens la connaisse non plus malgré leur rôle.”
Au fond peut-être que les habitants de Minas Tirith avaient leur propre version de ces évènements. Pour la première fois, le jeune rohir avait eu l’occasion d’adopter une autre perspective qui inversaient les rôles, et de manière convaincante.
Lorsque son traducteur improvisé lui demanda quel était son histoire à lui, Learamn lui lança un regard surpris. Khalmeh s’empressa alors de le rassurer en lui affirmant qu’il comptait nullement utiliser ses informations contre lui. Mais que valait-donc la parole d’un esclavagiste? Learamn avait toujours pensé que ces hommes étaient de la pire espèce qui soit, et pourtant, étrangement, ce soir il le croyait. Il n’aurait su dire pourquoi.
Tout ce qu’il voulait c’était haïr cette personne, mais il n’y parvenait pas.
Learamn émit un rire amer. “Oh! Ne vous inquiétez pas je n’ai ni la noblesse d’un prince, ni la richesse d’un grand seigneur.”
Ses mains arrachaient nerveusement des brins d’herbe sèche. Durant ces longs mois silencieux de voyage, il avait ressassé à maintes reprises les souvenirs douloureux qui l’habitaient mais n’avait pu en parler à personne, jusque là. Regardant au loin, vers un horizon inconnu parsemé d’étoiles, il s’ouvrit à son compagnon de voyage. “Vous n’avez devant que le troisième enfant d’une modeste famille paysanne. J’ai grandi dans les champs, loin des dorures des palais ou du faste de la noblesse. Puis j’ai fini par troquer la fourche contre l’épée; dans mon royaume, l’armée est l’un des seuls moyens de se faire un nom si l’on vient du peuple. J’ai loyalement servi, combattu pour mes suzerains maintes et maintes fois et finalement gravi les échelons. Cette noblesse qui me paraissait si loin, je la touchais presque du doigt. Mais voilà, lorsque l’on ne possède ni le nom ni le sang, chaque erreur, ou même action déplaisant à ces seigneurs, peut vous valoir cher. Alors tous ces familles de puissants vous fustigent et vous enlèvent tout ce vous avez si durement gagnés. Pour seuls défenseurs vous avez votre famille, mais que vaut donc une famille de paysans aux yeux du pouvoir?”
Learamn marqua une pause et s’éclaircit la voix. “Voici mon histoire. Celle d’un homme ordinaire qui rêvait de plus grand, et qui a gagné assez pour commencer à croire en ce rêve. J’ai toujours fait ce que je pensais être juste, et cela a fini par me coûter tout ce que j’avais acquis. Et aujourd’hui je suis en exil.”
Le jeune rohir porta alors à nouveau son regard sur Khalmeh. Les mots lui sortirent alors naturellement de la bouche, sans qu’il ne puisse vraiment y réfléchir. “Et vous mon ami, quelle est votre histoire? Qu’a donc poussé un homme aussi éduqué que vous à traverser le continent en quête d’esclaves?”
Pour la première fois depuis leur rencontre, Learamn exprima son envie d’en savoir plus sur celui qui l’accompagnait et ce sans la moindre once méfiance dans son ton.
Un pacte avec le diable; mais un diable qui avait un visage bien similaire au sien.
The Young Cop
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Khalmeh avait toujours été observateur, et il n'avait pas manqué de remarquer que l'histoire de Lakhsha avait touché leur jeune compagnon du Rohan. Il fallait dire que c'était un récit de noblesse et de courage qui transcendait les peuples et les races. N'importe quelle âme honorable pouvait se reconnaître derrière ces hauts-faits, et de toute évidence Learamn était de ces hommes qui voyaient d'abord la noblesse de cœur avant de regarder les étendards. Même entouré de ses ennemis historiques, il parvenait à faire preuve d'une tolérance que bien des siens n'auraient pas imaginé possible, et cela l'esclavagiste l'appréciait à sa juste valeur, comprenant que les différences entre leurs deux cultures étaient parfois irréconciliables. Cependant, lui cherchait à les rapprocher en ce jour, à comprendre ceux qu'ils appelaient les Occidentaux, et à établir un pont fragile entre deux mondes afin d'apercevoir l'autre côté. Soucieux de maintenir l'harmonie au sein de sa compagnie, Khalmeh était heureux de voir que le cavalier du Rohan s'intégrait bien, et ne démontrait pas une franche hostilité vis-à-vis de ceux qui l'entouraient. Il aurait été dommage de devoir le ramener à la raison par des moyens indélicats.
Alors, cédant à sa curiosité naturelle, le Rhûnadan avait demandé à Learamn des informations sur son passé, sur son histoire, s'attendant presque à le voir refuser. Mais celui-ci avait accepté, et lui avait livré un récit à la fois inspirant et déchirant. Un conte qui exaltait l'abnégation, la droiture, mais qui s'achevait misérablement, comme un doux rêve brisé par l'arrivée impromptue du matin et de la dure réalité. Khalmeh entendait la tristesse, l'amertume dans la voix de son interlocuteur, et il ne put s'empêcher d'observer :
- Vous n'êtes pas un homme banal, compagnon. Vous avez l'étoffe d'un guerrier, cela se ressent. Mais votre cœur n'est pas celui d'un soldat, de toute évidence.
Il sourit, et tapota son crâne en guise d'explication :
- Vous pensez, vous êtes curieux. Vous acceptez de chevaucher au milieu d'hommes qui ne sont de votre peuple, et vous acceptez de me parler. Ce ne sont pas des choses qu'un soldat est censé faire, n'est-ce pas ? Fraterniser avec l'ennemi.
Il baissa la tête négligemment, comme si certaines choses remontaient de son passé à mesure qu'il s'exprimait. Cependant, il y avait du vrai dans ses paroles. Pour être un bon soldat, il fallait être capable d'obéir aveuglément, et parfois cela impliquait de ne pas trop réfléchir, de ne pas se poser de questions. Y avait-il un avenir militaire pour ceux qui prêtaient attention à leur morale, à leurs sentiments et à leurs propres convictions ? Khalmeh n'en était pas convaincu, et c'est la raison pour laquelle il s'était toujours senti plus à l'aise auprès des miliciens que de l'armée régulière. Au moins les premiers étaient des hommes libres qui se battaient par nécessité, et non des professionnels de la guerre qui vivaient en permanence dans un univers conformiste.
Tout à ses réflexions, il ne s'attendait pas à la question de Learamn, qui le prit légèrement au dépourvu :
- Mon histoire vous intéresse ? Je suppose que je peux bien vous la raconter, après tout, puisque vous avez trouvé les mots pour me conter la vôtre.
Il s'installa plus confortablement, ses mains refermées précautionneusement autour de la chope qu'il tenait toujours, afin de réchauffer ses doigts face à la fraîcheur de cette nuit venteuse.
- Je n'ai pas toujours vécu ainsi, vous savez… Dans une autre vie, j'étais un homme respecté, un savant, un érudit. J'ai eu la chance de parcourir le monde d'aussi loin que je me souvienne… Des immenses plaines du Khand jusqu'au vieux royaume de l'Arnor, en passant par le désert mortel du Harad, et les vertes collines du Rohan, votre terre. Des années inoubliables. Avez-vous déjà vu le soleil s'élever paisiblement dans le ciel, derrière les cimes des Montagnes de Brume ? Avez-vous vu la nuit étoilée qui veille sur le Désert Sans Fin ? Il y a en ce monde des merveilles qui surpassent celles que les rois peuvent posséder.
Il haussa les épaules, comme si ces souvenirs appartenaient à un passé depuis longtemps révolu, et qu'il préférait rejeter la nostalgie pour se concentrer sur le présent. Cependant, alors qu'il revenait à son récit, il se fit tout à coup plus mélancolique et plus sombre.
- Parmi toutes ces merveilles, il y en a une qui jamais ne trouvera d'égale… Elle s'appelait Nelliniel, et elle était la plus belle créature à avoir jamais foulé cette terre. J'ai eu le malheur de m'éprendre de cette femme, qui n'était ni de mon peuple, ni de ma race. Elle était elfique, moi humain, et de telles relations sont condamnées là d'où je viens. Alors j'ai dû faire un choix. Suivre Nelliniel, ou faire peser le poids de ma folie sur tous mes proches… Que croyez-vous qu'un cœur impulsif ait choisi ?
Dans son ton, on pouvait déceler de la culpabilité. Une profonde peine que rien ne pouvait apaiser, et qui semblait le ronger de l'intérieur. Son sourire n'était que façade, tant la plaie béante dans son âme était difficile à refermer. Et désormais qu'il la dévoilait à Learamn, ce dernier pouvait constater à quel point elle le faisait souffrir. Khalmeh inspira profondément, et retrouva une contenance :
- Comme vous le devinez, j'ai tout perdu, compagnon. Le roi Alâhan n'était pas de ceux que l'on défie impunément. Quant à Nelliniel… cela n'a pas fonctionné. Alors, sitôt revenu à la raison, je suis rentré au Rhûn, et j'ai imploré la pitié du roi. J'ai été autorisé à vivre, mais banni de toutes mes fonctions, dépossédé de mon statut, et contraint à vivre comme un marginal.
Cette période incroyablement difficile avait été un cauchemar pour lui. Érudit habitué à utiliser son esprit pour s'en sortir, il avait découvert que le monde ne fonctionnait qu'avec des actions, souvent peu reluisantes. Pour se nourrir, il fallait être capable de travailler la terre de ses mains, de gravir les arbres fruitiers et de creuser la terre meuble pour y trouver quelques tubercules. Il fallait s'abriter des intempéries, se prémunir du froid, de la chaleur, des maladies et des mille dangers qui arpentaient le monde. C'était à cette occasion qu'il avait compris qu'il n'était pas possible de s'en sortir seul, et il mesurait aujourd'hui plus que jamais à quel point un groupe était précieux. Avec une forme de douceur, il embrassa du regard les hommes qui les entouraient, et qui allaient progressivement se coucher, ou monter la garde autour du camp :
- Ces hommes que vous voyez… ce sont les seuls de tout le royaume qui ont accepté de me donner une chance quand tous m'ont tourné le dos. De me protéger quand les brigands sont venus me dépouiller. De me nourrir quand j'ai failli mourir de faim. Ce ne sont que des vauriens pour vous, je le conçois, mais ils sont tout ce que j'ai aujourd'hui. Et cette expédition audacieuse leur permettra peut-être, si nous ramenons cette prise à Blankânimad, de s'arracher à la misère de leur existence. C'est ainsi que j'espère payer ma dette envers eux.
Un long silence s'installa entre les deux hommes, seulement rompu par le crépitement des flammes. Khalmeh regardait dans le lointain, perdu dans ses pensées. Il n'était pas en mesure de parler de ces choses très souvent, préférant garder pour lui ses secrets, ses hontes et ses traumatismes. La présence de l'étranger lui avait donné une opportunité unique de s'ouvrir, et il se sentait à la fois plus fort et plus fragile. Verbaliser sa situation l'avait aidé à se rendre compte qu'il était presque au terme de son périple, mais il se rendait compte également que ces longs mois de traque ne l'avaient pas apaisé, et qu'il était toujours déchiré intérieurement par ses sentiments.
Au fond de son cœur, il ignorait s'il guérirait jamais.
Ils en étaient là de leur conversation lorsqu'un homme fit soudainement irruption dans leur champ de vision, le visage soucieux. C'était un des gardes affectés cette nuit-là, et rapidement Khalmeh se demanda si certains des esclaves s'étaient échappés, ce qui aurait pu expliquer un tel empressement, mais qui ne permettait pas de comprendre pourquoi il n'avait pas sonné l'alerte générale. La sentinelle se mit à parler à toute vitesse, essayant vraisemblablement de résumer la situation à son chef tout en le persuadant de le suivre. Il y avait de toute évidence une urgence. Le chef des esclavagistes répondit quelque chose simplement, et invita Parsa à retourner à son poste. Puis il se retourna vers Learamn, le visage grave :
- Compagnon, c'est au sujet de votre amie… Parsa me dit qu'il a entendu des gémissements inhabituels venant de sa tente. Il pense qu'elle est réveillée, et que vous devriez aller la voir immédiatement. Il craint qu'elle ne vive ses derniers instants.
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Learamn Agent de Rhûn - Banni du Rohan
Nombre de messages : 1079 Age : 25 Localisation : Temple Sharaman, Albyor Rôle : Esclave au Temple Sharaman, Agent de la Reine Lyra, Ex-Capitaine du Rohan
Le partage d’un repas était un moment symbolique capable d’unir les hommes au delà de leurs différences. Rompre le pain ensemble était un geste de fraternisation, comme un pacte silencieux entre hommes qui partageaient les mêmes besoins. La nourriture, aussi frugale fut-elle, avait toujours était un important moyen de communication; particulièrement dans le cas de personnes ne partageant pas la même langue. Ces dîners répétés autour du feu de camp avaient en quelque sorte scellé le contrat que le jeune rohir avait passé avec les esclavagistes: il partageait à présent leurs repas et avait donc bien intégré le groupe.
Khalmeh avait visiblement été touché par le récit de Learamn et la réflexion qu’il lui fit sur la nature du guerrier troubla quelque peu le jeune homme. Avec intelligence, le Rhûnadan releva que ce qu’il faisait en s’asseyant et mangeant avec lui n’était pas le genre de comportement qu’un soldat pouvait se permettre. L’ennemi ne devait jamais être humanisé, il devait rester un monstre anthropomorphe sans visage. “Un soldat, c’est tout ce que j’ai été pendant de longues années. Je fus même un bon soldat: loyal, dévoué et brave. Je me suis toujours évertué à suivre les ordres et ai parfois fait des choses cruelles au nom du devoir; mais je ne regrette rien, ça a fait de moi celui qui je suis.”
Il marqua une pause, ému. L’évocation de ses années de service dans les rangs de l’Ehoerë était visiblement douloureuse pour lui, qui en avait été banni. “J’ai passé ma vie à combattre toutes sortes d’ennemis. Tantôt des gens de mon propre peuple, tantôt des silhouettes dont je ne connaissais rien. J’ai parfois tué pour défendre mon pays, parfois pour une mission dont je ne savais rien à l’autre bout du monde. Finalement qu’est ce que l’ennemi si ce n’est la personne que votre supérieur a désigné comme tel? Il y a peu, je me suis demandé s’il était possible que la hiérarchie se trompe quant à l’identité de l’ennemi. Ces doutes m’ont coûté ma place.”
Il plongea alors son regard dans celui de son interlocuteur: “Aujourd’hui je ne suis plus un soldat, je n’ai plus d’ennemi désigné. Libre à moi de fraterniser avec qui bon me semble.”
Le récit de sa vie que lui fit Khalmeh par la suite leva le voile sur beaucoup d’interrogations qu’avaient Learamn à son sujet. L’homme était donc un érudit déchu ce qui expliquait son verbe distingué et sa culture. Son histoire était pour le moins surprenante. A moins que “atypique” ne soit plus approprié. Il avait traversé le monde et visité des régions dont Learamn ignorait jusqu’à l’existence même. Le Rhûnadan avait jadis été un homme reconnu et respecté pour son érudition mais l’amour impossible qu’il portait pour une femme d’un autre peuple l’avait poussé à la trahison. L’homme avait fini par tout perdre, et n’avait eu d’autre choix que de supplier son souverain de le laisser vivre. Le roi le laissa une vivre une vie de paria, liée à celles d’autres hommes rejetés de la société et dont l’unique moyen de subsistance était la traite humaine.
Le destin de cet homme était tragique mais la communauté qu’il dirigeait à présent semblait lui donner l’espoir de jours meilleurs. En quelque sorte, son récit était un miroir de celui de Learamn, bien que différents sur de nombreux aspects, les deux hommes avait connu la gloire. Puis ils avaient chuté en trahissant les puissants qui leur avaient tout donné à cause d’une femme hors de portée. Khalmeh avait perdu Nelliniel; Learamn assistait impuissant à la lente agonie d’Iran. L’ancien capitaine reviendrait il à Edoras en implorant la pitié du Vice-Roi Mortensen comme son compagnon l’avait fait? Au final, ceux d’en haut parvenaient toujours à avoir le dernier mot; les autres, comme Learamn et Khalmeh, n’étaient que des pièces d’importance variables sur leur échiquier. “ Vous me semblez être un homme d’une grande valeur. Et votre érudition ferait pâlir plus d’un de nos nobles qui vous considèrent comme “une bande de sauvages”. Mais permettez moi de vous demander une chose: Pourquoi ça ?”
Il désigna du regard le groupe d’esclaves, installés plus loin dans la pénombre. “ Je vois bien que vous ne les maltraitez aucunement comme je m’y attendais. Mais n’y avait-il pas d’autres moyens de vous racheter que d’ôter la liberté d’autres?”
Il n’eut jamais sa réponse. Les deux hommes furent interrompus par l’un des gardes qui s’adressa à son chef d’un air affolé. Khalmeh expliqua alors le problème à un Learamn perdu: Iran vivait sûrement ses derniers instants. “Q..Quoi?”
Un sentiment d’angoisse profonde le paralysa un moment. L’éventualité qu’il avait refusé d’accepter arriverait-elle finalement ce soir? Le Rohir se ressaisit finalement et courut en direction de la tente où il avait déposé la Rhûnienne quelques heures plus tôt. Le spectacle qu’il y découvrit le pétrifia à nouveau. La belle était bien là, allongée sur sa couche, les yeux totalement révulsés. Son corps était agité de spasmes violents, ses doigts crispés dans le vide, et de sa bouche entrouverte s’échappaient cris et gémissements. Tout indiquait que la guerrière livrait là son dernier combat.
Learamn se précipita à son chevet et prit fermement sa main convulsée. Il toucha son frotn en sueur, il était brûlant. “Iran! Iran! Je suis là!” cria-t-il. “Je t’en supplie reste avec moi, je t’en supplie.”
Pris par l’émotion, il éclata en sanglots alors que ses implorations se mêlaient aux cris de son amie. Les tremblements s'intensifiaient seconde après seconde. Il ne savait de quel poison était imprégné la lame de Sellig mais le mal qui habitait la jeune femme semblait supérieur aux blessure physiques qu’il lui avait infligé. “Iran Armadi Arâ’ansha, reste avec moi…”
Learamn plongea alors son autre main dans la poche de sa veste et tâtonna à l'intérieur jusqu'à qu'il ne sente le verre froid du minuscule flacon que Dame Aelyn lui avait confié avant son départ. Il avait prié nuit et jour pour n'avoir à jamais s'en servir. Les prières avaient apparemment été bien vaines.
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A la lumière vacillante d'une torche solitaire, les hommes s'étaient rassemblés. Compagnie hétéroclite, bandits pour certains, maraudeurs sans honneur pour d'autres. Ils n'avaient ni noblesse, ni fortune, et pourtant ils formaient le cortège le plus digne qu'il était possible d'imaginer. Les mains jointes, en silence, ils observaient.
Khalmeh fut le premier à entrer dans la tente à la suite de Learamn.
Les cris et les suppliques s'élevaient dans la nuit comme une litanie funèbre, transperçant aussi bien le fin voile de tissu sous lequel s'abritait cet étrange trio que le cœur des esclavagistes. De toutes les choses qu'ils avaient pu entendre au cours de leur vie, bien peu étaient aussi saisissantes et effrayantes que l'agonie d'une jeune femme frappée par un mal pernicieux. Ils ne la connaissaient pas, ils n'avaient jamais entendu sa voix, son rire… pourtant ils frémissaient d'angoisse en percevant ces gémissements de douleur, et les appels de leur nouveau compagnon qui essayait de la maintenir en vie. Ce cavalier du Rohan qui, pour des raisons qu'ils ne comprenaient pas très bien, défiait la raison et les allégeances afin de la sauver. Ils ne pouvaient pas imaginer quelles épreuves traversées ensemble avaient pu forger un lien aussi indéfectible entre ces deux âmes. Ils ne pouvaient pas se représenter la déchirure profonde et absolue que représentait ce moment à l'échelle de la vie de l'ancien soldat. Iran était devenue, par la force des circonstances, sa raison de vivre. Sa raison de continuer. Sans elle, que ferait-il ? Où irait-il ?
Khalmeh fut le premier à quitter la tente.
Les gémissements s'étaient amplifiés, devenant tout simplement insoutenables. Les hommes avaient été gagnés par un malaise de plus en plus palpable. Et puis soudainement, plus rien.
Le silence.
L'absence.
Il avait fallu quelques secondes pour que le vent encore abasourdi recommençât à siffler la mélodie de l'univers. Un bruit indéfinissable, qui était venu leur chatouiller les oreilles, oraison à peine discernable à travers l'épaisseur de la nuit. Un souffle frais leur glissa sur la nuque, comme un baiser d'adieu déposé sur leur peau ensommeillée, comme des doigts désireux de s'attarder encore quelques secondes, mais qui s'éloignaient inéluctablement. Ils ne purent s'empêcher de regarder autour d'eux, cherchant instinctivement cette présence évanescente qui les saluait une dernière fois.
Leurs yeux étaient aveugles, pourtant.
Seul leur cœur, alourdi par le chagrin, leur indiquait la marche à suivre.
Un chant s'échappa de la gorge de Lakhsha. Sa texture évoquait celle des vagues venant mourir sur les rochers, par une chaude journée d'été. Sa voix s'élevait en volutes complexes, puis retombait dans les profondeurs pour mieux revenir en un rouleau coiffé d'écume. La litanie, comme l'océan infini, allait et venait toujours au même rythme, si bien que d'autres voix moins adroites mais non moins sincères vinrent se joindre au chœur. Une, puis deux, puis bientôt toutes. Et ils chantèrent cette nuit-là, sans discontinuer, jusqu'à ce que la torche eût terminé de brûler, et que les minces fumées qui s'élançaient à l'assaut du ciel eussent disparu dans les étoiles.
Learamn finit par sortir à son tour.
Cet homme n'était plus le même que celui qu'il avait été par le passé. Nul ne pouvait affirmer avec certitude ce qu'il avait perdu ou gagné sous cette tente. Nul ne pouvait dire ce qu'il avait abandonné volontairement, et ce qu'il avait acquis inconsciemment. Lui-même le découvrirait alors que se poursuivrait son chemin. Il ne comprendrait le poids de cette journée que bien des années plus tard, en regardant en arrière, et en mesurant l'ampleur de ses accomplissements depuis ce jour fatidique.
Pour Khalmeh, cependant, l'avenir de Learamn relevait de l'évidence, et cela lui tira un sourire.
Sous la voûte étoilée, les hommes se rassemblèrent autour du cavalier solitaire, et tour à tour vinrent lui poser une main sur l'épaule, lui adresser quelques mots. L'ancien capitaine n'en comprenait pas un seul, naturellement, mais certaines paroles avaient un sens universel.
Un bien maigre réconfort.
~ ~ ~ ~
- C'est un poème, mon ami.
Khalmeh était catégorique. Learamn ne lui avait pas posé la question directement, mais l'érudit qu'il était s'était attelé à la traduction, en comprenant qu'il s'agissait d'un texte au sens profond, gravé dans la chair du bras d'Iran. Il avait passé le reste de la nuit à en étudier le sens, absorbé par cette tâche comme s'il cherchait à se rendre utile. Ils avaient décidé de veiller Iran, réfléchissant dans le même temps à la marche à suivre. Pour l'esclavagiste, cette activité intellectuelle était aussi stimulante que réconfortante, et elle lui permettait d'occuper son esprit plutôt que de le laisser se perdre dans des méandres inconnus. En outre, il considérait que ces mots de protection, qui n'avaient pas pu stopper la lame impie de celui qui avait assassiné cette brave combattante, méritaient d'être sauvegardés, transmis et perpétués. La peau glacée disparaîtrait quant à elle, emportant ainsi les marques de la souffrance et de la guerre pour ne laisser qu'un souvenir. La connaissance, elle, demeurait.
A la lueur d'une bougie, il avait réfléchi intensément, puis avait posé son travail de côté pour accompagner Learamn dans son deuil jusqu'au petit matin. Avec les premiers rayons du soleil viendrait le temps de l'action et des décisions, mais pour l'heure il était temps de se recueillir et de prier pour le salut de l'âme de la guerrière. Son visage d'albâtre reposait immobile, et aucun souffle ne venait soulever sa poitrine. Elle avait l'air apaisée, sereine. Pouvait-on lui en vouloir de s'en être allée après avoir affronté tant de douleurs et de peines ?
N'était-elle pas, après tout, la plus chanceuse d'eux tous ?
Khalmeh avait son opinion sur la question, mais il se garda bien de rien dire. Il savait que les gens de l'Ouest avaient une manière différente d'appréhender le départ d'un proche, et il préférait ne pas présumer de l'état émotionnel de son compagnon. Au lieu de quoi, il voulut le tourner vers des pensées plus réconfortantes. Le fameux poème. Quand le soleil commença à apparaître à l'horizon, et qu'ils quittèrent la tente pour trouver de quoi boire et manger, l'esclavagiste lui fit part de ses découvertes.
- Les vers sont composés dans un vieux dialecte des alentours de la Mer du Rhûn. J'ai essayé de vous en retranscrire le sens. Le rendu n'est pas aussi élégant dans votre langue, mais c'est déjà ça. J'ai le sentiment que le poème a été composé strophe par strophe, à plusieurs années d'intervalle. Probablement selon des cérémonies propres à son clan. Voici ce qu'il dit :
« Va, enfant des plaines, jeune fille au visage doux Les vents de l'Est t'accompagnent aujourd'hui Ce sont les chants de tes ancêtres Qui te regardent depuis leur noble siège Tes pères te mènent, tes mères te soutiennent
Va, enfant des plaines, jeune fille au visage doux Dévore la vie qui s'offre à toi Comme le fruit de la terre et l'eau des rivières Et toujours honore ton sang, tes dieux, ta parole Ils sont tes biens les plus précieux en ce monde
Va, enfant des plaines, jeune fille au visage doux Arpente le chemin qui est le tien, où qu'il te conduise Par l'épée de justice, défends ton prochain Par la main de miséricorde, offre lui ton aide Toujours le cœur ouvert, mais la bouche fermée
Va, enfant des plaines, jeune fille au visage doux Ta lignée est ton armure, de mailles entrelacées N'en sois jamais le point faible, ici ou ailleurs Car tous périssent, même les rois Mais demeurent éternellement leurs hauts faits
Va, enfant des plaines, jeune fille au visage doux Et ne crains pas la venue du crépuscule Emprunte les pas de Saturne, ta fidèle gardienne Elle te guidera jusqu'au terme du long voyage Là où tout commença
Va, enfant des plaines, jeune fille au visage doux »
Il marqua une pause solennelle, avant de conclure :
- Je suppose que la dernière strophe devait être à composer, peut-être lors d'une occasion spécifique. Le poème devra s'arrêter là. J'ai pris la liberté de le retranscrire pour vous.
Le Rhûnadan avait rédigé la traduction sur un morceau de parchemin, qui portait désormais son écriture soignée. Ce n'était pas grand-chose, mais l'attention était là. Khalmeh le glissa dans la main de Learamn, et s'affaira à trouver un quignon de pain dur qu'ils pourraient avaler pour reprendre quelques forces. Rester en vie malgré la douleur était leur principale mission pour l'heure. Ils s'installèrent en silence, faisant face à l'est et au soleil levant. Assis l'un à côté de l'autre, silhouettes solitaires au milieu de leurs compagnons endormis, ils avaient les épaules basses et la mine épuisée. Ils demeurèrent sans rien dire un moment, profitant simplement des rayons qui chauffaient agréablement la peau de leur visage. Un plaisir simple dont ils prenaient conscience avec encore plus d'acuité ce matin. Khalmeh finit par lâcher sur un ton neutre :
- Ne regrettez rien, mon ami. Vous avez fait ce qu'il fallait. Elle goûte désormais à la liberté ultime, grâce à vous.
Une pause, puis il revint à des considérations plus pragmatiques :
- Vous êtes le seul à pouvoir décider de la suite la concernant, ce qui vous laisse encore deux bonnes heures. Puis nous partirons vers Vieille-Tombe, qui se trouve environ à deux jours d'ici. Son voyage s'achève, le nôtre se poursuit.
C'était un simple constat, mais il était une métaphore très juste de la vie et de la mort. Courir en direction du soleil levant, en tournant le dos aussi longtemps que possible à la nuit qui ne cessait pourtant de gagner du terrain.
Courir à en perdre haleine.
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Les tremblements s’intensifiaient, les gémissements se multipliaient. Jusque dans la phase finale de ce combat désespéré qu’elle menait depuis des semaines, la brave guerrière ne lâchait rien et se défendait face à la Mort de toutes ses maigres forces. Elle était de ces gens dont la vie n’avait été que affrontements; il y avait quelque chose d’à la fois évident et juste à ce que sa Mort soit un autre de ses duels. Mais malgré ses efforts titanesques, elle perdait du terrain sur son ennemi qui grignotait peu à peu l’âme d’Iran au prix d’immenses souffrances. L’issue fatidique ne faisait plus aucun doute, seule la durée de l’agonie demeurait inconnue.
Devant ce spectacle, Learamn était impuissant. Elle ne l’entendait ni ne le voyait et tous les soins qu’il avait pu lui administrer n’avait pas endiguer le Mal qui la rongeait. Le jeune rohir n’avait qu’un seul moyen d’intervenir dans ce combat: y mettre fin. Il serrait toujours fermement la fiole de poison que Dame Aelyn lui avait confiée avant son départ; il avait toujours refusé l’éventualité de devoir un jour s’en servir. Mais dans le cas présent la minuscule amphore de poison représentait peut-être le seul remède capable de libérer la jeune femme. Dans un premier temps, le cavalier s’en voulut d’avoir simplement songé à pareille éventualité, se résoudre à en finir de cette manière lui semblait être un aveu de faiblesse, l’abandon de la lutte. Il lâcha donc le flacon qui retomba dans sa poche et saisit à deux mains celles de plus en plus crispées de son amie, comme s’il cherchait à transmettre d’une manière ou d’un autre son énergie vitale. Mais l’inutilité de la manoeuvre devenait de plus en plus évidente à mesure que les secondes défilaient. Les souffrances de l’Orientale se multipliaient et la vue de son corps magnifique déformé par la douleur devenait insoutenable. Le choix à faire n’avait jamais été aussi clair. D’une main tremblante, Learamn ressortit le flacon avant d’en faire sauter le bouchon en cire. Une odeur à la fois intense et apaisante gagna alors l’intérieur de la tente, l’odeur de la Mort. Le temps d’une fraction de seconde, les complaintes d’Iran cessèrent. Ses yeux auparavant perdus dans le vide, se mirent à fixer intensément le rohir. Elle n’eut ni la force de prononcer le moindre mot ou d’esquisser le moindre geste mais il put clairement lire dans son regard plein de courage ce qu’elle voulait lui dire. Il acquiesca d’un mouvement de tête et se pencha au-dessus de la Rhûnienne pour y déposer délicatement une goutte du liquide pourpre sur ses lèvres gracieuses. L’effet fut instantané. Les convulsions cessèrent et les cris s’évanouirent. Ils se regardèrent l’un l’autre en un temps suspendu pour l’éternité; elle lui sourit pour le rassurer puis la vie quitta lentement ses yeux sombres. Learamn, en pleurs, lui ferma les paupière et demeura un long moment dans cette position, étreignant le corps de l’Orientale.
Il l’avait tué.
Tous les membres du groupe l’attendaient respectueusement en silence à l’extérieur de la tente. Lorsque le jeune homme en ressortit, ils s’approchèrent de lui un à un pour lui glisser quelques mots de réconforts dans leur langue. Learamn n’en comprit pas un mot mais il n’en était pas moins touché par la noblesse de coeur de ces hommes qu’il avait un temps considéré comme de simples malfrats de bas étage. Les esclavagistes se mirent alors à chanter une oraison funèbre dont la mélodie languissante emplit le coeur du jeune homme d’une tristesse infinie.
Learamn passa le reste de cette interminable nuit au côté de Khalmeh à veiller le corps d’Iran. Le Rhûnadan était plongé dans un travail de retransciription des tatouages qui parcouraient le corps de la défunte, tandis que le Rohir contemplait simplement son visage apaisé. Il l’avait si peu connu, quelques semaines tout au plus, mais leurs destins s’étaient inexplicablement liés d’une manière si intense que le cavalier avait le sentiment d’avoir perdu le plus cher de ses proches. Jamais il ne s’était ouvert à quelqu’un comme il l’avait fait avec elle, rarement avait-il ressenti cette relation si forte de confiance absolue et de respect mutuel autrement qu’à ses côtés. Il avait volontairement lié sa vie à celle d’Iran; qu’était-il donc supposé faire à présent?
En quittant Edoras, il s’était donné une dernière mission: accompagner Iran jusqu’en Rhûn pour qu’elle puisse contempler une dernière fois sa terre natale qu’elle chérissait tant. Il avait échoué. L’injustice du destin d’Iran saisissait intensément le jeune homme: elle était partie loin de ses terres, seule, pour venger son ami. Elle s’était retrouvé dans un royaume hostile aux gens de son peuple, où elle avait subi moults injustices de la part de ses hôtes avant de trouver la mort dans un combat qui n’était pas le sien. Morte seule, loin des siens, loin de chez elle; à cause d’erreurs faites par d’autres. Durant les longues heures de veillée, Learamn ne prononça pas le moindre mot. Les larmes qui coulaient sur ses joues en disaient bien assez.
Au petit matin, alors que les deux hommes s’étaient éloignées de la tente pour profiter de la fraîcheur de la brise et soulager leur gorge assechée, Khalmeh lui tendit un bout de parchemin sur lequel il avait traduit en commun le poème gravé dans la chair de la jeune femme. Le Rohir le remercia d’un signe de tête et parcourut le texte qui avait été rédigé au fur et à mesure des années et des épisodes importants de la vie de la guerrière. Le ton du poème était empreint d’une noblesse guerrière qui exaltait les valeurs des ancêtres, de justice et de sacrifice tout en retraçant de manière allégorique le parcours d’Iran; jeune fille quittant son clan sous le regard bienveillant de ses aïeux pour mettre son épée au service de son peuple. Le derniers vers, introduction d’une strophe inachevée, revêtait à présent une nouvelle dimension tragique. L’enfant des plaines, jeune fille au visage doux, s’en était allée à jamais.
La nuit avait été gouvernée par la tristesse. L’arrivée du jour appelait le réveil de la colère. Un sentiment de révolte qui gagnait insidieusement le coeur du jeune homme. En colère contre lui-même qui n’avait pas su la protéger et qui l’avait amené dans un combat qui n’était pas le sien. En colère contre l’Ordre de la Couronne de Fer qui jusque dans sa fin avait décidé de tourmenter le cavalier en lui retirant tout ce à quoi il tenait en l’espace d’une nuit. En colère contre un Rohan incapable de se charger seul du cancer qui le rongeait avant qu’il n’atteigne des innocents. En colère contre Mortensen et tous les autres qui, par leur traitement injuste et leur orgueil, avait précipité la guerrière dans sa tombe. Il aurait voulu crier sa colère, déclamer sa frustration, libérer sa rage. Mais l’heure était encore au deuil et à la retenue; il se contenta donc de réduire violemment en miette le quignon de pain qu’il serrait dans son poing.
Khalmeh tenta de le rassurer en insistant sur le caractère juste de sa décision avant de l’interroger sur la marche à suivre. Le Rohir regardait vers l’horizon et lui répondit d’une voix pleine de rancoeur et d”amertume: “En quittant Edoras je m’étais promis de la ramener dans son royaume pour qu’elle puisse finir ses jours parmi les siens. J’ai échoué mais je ne peux me résoudre à la laisser ici, au milieu de nulle part. Elle mérite d’être enterrée au côté de ses ancêtres. Si nous sommes réellement à deux jours de Vieille-Tombe, il faudrait qu’on embaume son corps pour le conserver. Un de vos hommes a-t-il des compétences dans ce domaine?”
Il marqua une pause. Il aurait simplement voulu rester là, à pleurer indéfiniment la mort de son amie. Parler de l’après était infiniment douloureux pour un homme deuil, car cela impliquait envisager de vivre sans son être cher. Mais telle était faite la vie; continuer à avancer était la seule option pour ceux qui avaient la chance, ou le malheur, d’échapper à la Mort. “Je respecterai ma part du marché, ne vous inquiétez pas là-dessus. Nous ne serions certainement pas arrivé aussi loin sans vous.”
Learamn posa une main sur l’épaule de l’esclavagiste: “Merci pour tout mon ami.”
Le Rohir se leva alors et se dirigea d’un pas lourd vers les deux montures dont il avait la charge. Il caressa la croupe de Heolstor avant de se diriger vers Keyvran et quelque chose dans le regard de ce dernier semblait indiquer qu’il avait compris d’une manière ou d’une autre le tragique destin de sa maîtresse. Learamn murmura alors en lui touchant le museau: “Elle sera vengée.”
Aux yeux de Learamn, les responsables à blâmer étaient nombreux.
The Young Cop
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