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 Couleuvres et Pigeons

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Nivraya
Assistante de l'Intendant d'Arnor
Nivraya

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Justar - Couleuvres et Pigeons EmptyMar 4 Nov 2014 - 21:24
Nivraya termine son inspection, et hoche la tête sèchement. Thorondil a fait un effort sur sa tenue vestimentaire, à la hauteur de la rencontre vers laquelle ils s'apprêtent à marcher. Elle sent bien qu'il n'est d'ailleurs pas à l'aise de se promener ainsi vêtu, et qu'il est très loin d'éprouver la même sensation de confort que dans une solide cuirasse de cuir éprouvée par le temps, portée si souvent qu'on l'aurait pensée faite sur-mesure. Toutefois, un tel équipement ne saurait le protéger des coups qu'il va endurer, et son armure du jour est bien plus dans l'apparence que dans l'efficacité. La jeune femme, quant à elle, a opté pour une robe d'une teinte bleue sombre, coupée avec élégance pour correspondre parfaitement à sa silhouette. Guère provocante, portant une simple paire de boucles d'oreilles et un bracelet fin en argent, elle n'en demeure pas moins exquise et tout à fait présentable en société. La simplicité est son mot d'ordre, d'autant qu'elle est certaine que ses traits charmants viennent rehausser le commun de son habit. Elle a remonté, comme souvent, ses cheveux d'un roux flamboyant au-dessus de sa tête, ce qui lui donne un air quelque peu strict qui sied bien à ses nouvelles attributions. Le contraste avec la couleur de sa robe est saisissant, et tout à fait volontaire, si bien qu'en dépit d'une mise épurée, elle n'en demeure pas moins remarquable. La guerre aristocratique se gagne avant tout par l'apparence, et Nivraya y prête une grande attention.

Toutefois, ce n'est pas sa beauté ou sa robe qui viendront chasser l'air sombre qu'elle affiche sur son visage. Les fards discrets qu'elle utilise cachent habilement la fatigue et la lassitude, mais il semble y avoir quelque chose de plus. Quelque chose de plus profond, comme une grande tristesse qu'elle a muré derrière un rempart d'insensibilité, pour ne rien ressentir, quitte à éprouver un immense vide dans sa poitrine, comme si l'air venait soudainement à manquer. Et pourtant, le monstre qu'elle a enfermé parvient encore à se manifester, comme un torrent emportant tout sur son passage, frappant sans relâche les fondations de sa muraille, menaçant de les surplomber en une immense vague bleutée qui déferlerait ensuite sur le reste de sa psyché pour y semer le chaos. L'effort qu'elle fait pour maîtriser sa tension interne est si violent qu'elle ne peut parfaitement assurer sa façade, et que sur son doux visage se peignent une affliction et une peine émouvantes. Cependant, avant même que Thorondil ait décidé s'il était bon ou non de lui faire une quelconque réflexion à ce sujet, elle bondit comme un prédateur acculé, et lui lance :

- C'est l'heure, maître, allons-y. Ne faisons pas attendre notre hôte, je ne voudrais pas paraître déplacée.

Son éternel sceptre sous un bras, son acidité sous l'autre, elle prend les devants et s'éloigne droit vers la Cité Blanche, sans un regard en arrière pour sa tente, ou Freyloord qui a repris son poste de garde le matin venu, après avoir profité d'une bonne nuit de sommeil. Elle se force à chasser Justar de ses pensées, et à rester concentrée sur sa mission, pour le bien de l'Arnor. A chaque pas vers leur destination, elle paraît se renforcer, comme si en s'éloignant d'une source de problèmes personnels et en se rapprochant d'un obstacle, son instinct de survie reprenait le dessus. Les traces de contrariété disparaissent rapidement de son visage, et cèdent la place à une expression soigneusement travaillée, celle de la politesse de circonstance, teintée de gravité. Elle n'est de toute évidence pas là pour rire, et Demeson ne l'a pas invitée pour consolider des liens d'amitié existants, c'est certain. Il espère surtout la convaincre de se lier à lui, et de lui donner des informations de première main concernant la politique du royaume. En reprenant la maîtrise d'elle-même, elle s'assure que son interlocuteur ne trouvera pas trop facilement une prise pour s'en prendre à elle. Le changement est assez spectaculaire en ce qui concerne son attitude, et lorsqu'elle arrive devant l'auberge où ils sont attendus, elle a l'air tout à fait comme à son habitude.

- Tout ira bien, lâche-t-elle à Thorondil à voix basse, alors qu'ils avalent les derniers mètres. Tout ira très bien. Restez calme.

Ce sont des conseils judicieux mais difficile à appliquer dans la circonstance. C'est aussi facile que de demander à un soldat d'être calme le jour de sa première bataille. Dans le fond, on sait que c'est la chose à faire, mais en vérité, ce ne sont que des mots destinés à rassurer. Comme si la guerre se gagnait avec du calme... Nivraya inspire profondément, au moment d'arriver devant le garde personnel de Demeson, qui régule les entrées. De toute évidence, le noble a réservé tout l'établissement pour un grand déjeuner, et il a veillé à ce que personne ne vienne troubler la paix de sa réception. Tout à fait son genre. La jeune femme lève fièrement le menton devant le factionnaire, et s'annonce sans sourciller, présentant par la même occasion Thorondil, qui n'a pas vraiment été invité :

- Je suis persuadée que Sire Demeson sera tout à fait disposé à nous recevoir tous les deux, mon brave. Pouvons-nous entrer ?

L'homme paraît hésiter, mais devant la mise impeccable du fauconnier, il se résigne, et consent à faire entrer les nouveaux venus. En franchissant le seuil, Nivraya est immédiatement absorbée dans l'ambiance des dîners de la noblesse d'Arnor. On rit, on parle, et il règne une ambiance chaleureuse quoique relativement feutrée. Ce n'est pas un banquet où on lève sa chope en hurlant, mais ce n'est pas non plus une de ces réceptions extrêmement policée, où personne n'oserait sourire de peur d'enfreindre le protocole. Les hommes qui sont ici ne sont pas des guerriers, de toute évidence, mais ils ont conservé les traditions de camaraderie et de familiarité que l'on retrouve chez les hommes d'armes amenés à servir ensemble. Nivraya embrasse la pièce du regard, aménagée spécialement pour l'occasion afin de ne présenter qu'une unique table autour de laquelle sont installées une vingtaine de chaises et autant de couverts. Demeson s'est réservé la place d'honneur, naturellement, au centre de toutes les conversations. Les autres places ne sont pas définies, et seront affectées quand tout le monde sera arrivé, ce qui ne saurait plus tarder à en juger par le nombre de convives déjà présents.

- Dame de Gardelame, et Sire de Kervras.

Les têtes se tournent dans leur direction, et Nivraya s'avance d'un pas, à la rencontre de ces sénateurs venus pour le mariage de leur Roi, tout surpris de découvrir deux invités de marque dans un repas déjà fort riche en prestigieux personnages. On retrouve des nobles de tout le pays, dont aucun n'a une influence significative à la capitale, mais qui possèdent tous de vastes terres à travers l'Arnor. Des hommes puissants, qui seraient capables de peser au Sénat s'ils s'unissaient. A l'aise dans ces démonstrations d'affection creuses, la jeune femme se lance dans la mêlée, adressant des saluts à tous ces vautours qui viennent instantanément l'entourer, lui baiser la main, la complimenter mille fois sur sa beauté, sur sa compétence, sur sa merveilleuse intelligence dont aucun n'a jamais douté. Elle n'a aucun mal à sourire, à répondre à la flatterie par la flatterie, et à éviter les pièges tendus. Elle n'en oublie pas pour autant son allié, et tend une main vers lui :

- Mes amis, laissez-moi vous présenter l'héritier de la famille de Kervras. Maître Thorondil ici présent a joué un rôle décisif dans les tragiques événements qui se sont déroulés à Annùminas, comme vous le savez certainement. Il était très enthousiaste à l'idée de rencontrer la haute noblesse d'Arnor, et j'espère que vous excuserez mon audace de l'avoir guidé ici sans votre autorisation...

- Bien entendu que je vous excuse, très chère ! Ah, Nivraya, quel plaisir de vous avoir ici !

Demeson vient de faire son apparition au premier étage de l'auberge, comme pour se donner en spectacle. Il est vêtu d'une superbe tenue rouge brodée d'or, qui met en valeur sa silhouette dynamique. Il fait ses cinquante printemps, assurément, mais il a gardé toute la vigueur de sa jeunesse, notamment une intelligence pétillante que l'on voit au premier coup d'œil. Sa voix chaude et agréable fait s'abattre instantanément un silence religieux sur la pièce, alors qu'il descend d'un pas vif l'escalier, pour venir serrer les mains de ses invités. Il est fascinant de constater à quel point les nobles peuvent virevolter d'une source d'intérêt à l'autre. D'abord focalisés sur Nivraya, puis sur Thorondil, ils se pressent maintenant autour de Demeson, qui les salue en leur adressant une petite phrase personnelle, leur demandant comment va leur famille, s'ils ont eu de bonnes récoltes. Il arrive finalement à Nivraya, à qui il baise la main poliment :

- Très chère, je n'aurais pas cru que vous arriveriez à vous libérer. Votre présence m'enchante ! Et vous nous ramenez le célèbre Thorondil de Kervras. L'homme grâce à qui le royaume a été sauvé du désastre ! Quel honneur !

Il exécute une révérence polie, à laquelle tous se plient sans sourciller, Nivraya comprise. L'ironie de cette première pique ne lui a pas échappée, mais que répondre à cela. Demeson maîtrise à la perfection son art oratoire, et il donne le ton de la conversation. Ce sera donc une guerre, et il faudra lutter férocement pour ne pas céder un pouce de terrain. La jeune femme jette un coup d'œil à Thorondil, en se demandant comment il va répondre à cette première provocation. Elle espère dans un sens qu'il ne l'a pas saisie, pour paraître encore plus candide qu'il ne l'est réellement. Mais en vérité, à voir son expression, elle se demande si ce n'est pas un fol espoir. Finalement, après les politesses d'usage, leur hôte se redresse, et s'avance d'un pas pour serrer fermement la main du fauconnier, en lui posant une main sur l'épaule :

- Je suis heureux de faire votre connaissance, mon ami, et encore davantage de vous avoir à ma table aujourd'hui. Ah, ne soyons pas avares dans notre plaisir : vous vous assiérez en face de moi, à la place d'honneur, ainsi soit-il ! J'ai grande hâte de mieux vous connaître !

Nivraya se permet un sourire discret. Ils ont intrigué Demeson, et ils sont donc dans le jeu. Il ne leur reste plus qu'à ne pas faire de faux-pas fatal. Alors que tout le monde se déplace pour aller prendre place à table, et que l'on fait venir une chaise supplémentaire pour celui qui se retrouve dépossédé par l'arrivée impromptue du fauconnier, la seule femme de l'assistance s'empare du bras de Thorondil et lui glisse furtivement :

- Portez un toast en l'honneur de sa fille.

Mais point de fille à l'horizon. Ils prennent place, et Nivraya s'arrange pour s'asseoir juste à côté de son protégé, afin de le surveiller et de s'assurer qu'elle pourra détourner les questions un peu trop précises de la part de Demeson. Cet homme est un véritable serpent, et du point de vue de la jeune femme, cela en dit long sur la dangerosité du personnage. Elle n'est pas très rassurée, mais s'arrange pour le dissimuler habilement, alors que les conversations démarrent tranquillement entre voisins désireux de parler de la politique, d'échanger des nouvelles, ou de commenter - tout en restant politiquement corrects - le mariage qui vient d'avoir lieu. Demeson, qui sait faire du spectacle, garde le silence, jusqu'à ce que tinte une petite clochette au son argentin. Chacun s'interrompt, et lève les yeux vers l'apparition en haut de l'escalier. Le père se lève même, et tend une main vers sa fille, qui descend prudemment les marches.

- Ah, Lise, tu es splendide. Chers amis, je vous présente ma chère fille, Lise. N'est-elle pas ravissante ?

Chacun y va de son commentaire élogieux et approbateur. Honnêtement, il n'est pas besoin de forcer pour lui trouver du charme. Dans le souvenir de Nivraya, qui date de quelques années maintenant, la petite Lise Demeson était une jeune fille mignonne mais sans plus. Une petite écervelée destinée à devenir comme toutes les femmes nobles d'Arnor : une épouse dévouée à son mari, absorbée par des problèmes de femmes, sans jamais penser de près ou de loin aux affaires du royaume. Force est de constater que les années ont gommé cette vision, et que la jeune femme qui descend est rayonnante. Absolument splendide avec ses longs cheveux d'un noir de jais, son sourire naturel et réellement heureux, et ses fossettes qui lui donnent un air enfantin tout à fait adorable. Même Nivraya en reste bouche bée un instant, davantage consciente de l'ampleur de sa méprise que réellement estomaquée devant la fille. En effet, en plus d'avoir un physique agréable, elle paraît sûre d'elle, vive et à l'aise. Sans rougir, elle vient rejoindre son père devant qui elle s'incline gracieusement, avant de saluer l'ensemble des convives d'une phrase pleine de sincérité et de bonne humeur. Elle finit par s'asseoir à côté de son père, qui lui adresse un franc sourire tout en lui tenant affectueusement la main, avant de revenir à ses invités :

- J'aime à avoir ma précieuse petite Lise à mes côtés, j'espère que vous n'y voyez pas d'inconvénient.

Naturellement, personne ne s'oppose à cette requête. Rappelons qu'à part elle et Nivraya, il n'y a que des hommes qui, s'ils ne cherchent pas à prendre épouse, ont certainement un fils à marier quelque part. Ce repas est une vitrine pour Demeson, qui saura recevoir les propositions de mariage par après, pour les étudier à tête reposée. Il est certain qu'il doit déjà avoir une liste longue comme le bras de prétendants, et qu'il tient sa fille en sûreté pour éviter qu'elle ne commette une folie. Nivraya lui adresse un sourire chaleureux, entre femmes, mais le regard de Lise glisse rapidement vers Thorondil, qu'elle dévisage un moment. Elle ne l'a jamais vu à la table de son père, et de toute évidence elle est prise par une curiosité qui l'amuse.

- Je voudrais porter un toast, intervient un noble mince et sec comme une brindille. A vous, Sire Demeson, et à cette généreuse invitation que nous avons tous acceptée avec plaisir ! Puisse l'été qui nous revient être annonciateur de merveilles pour votre famille !

Chacun lève le verre devant lui, et en prend une gorgée avant de le reposer. Demeson en essuie presque une larme, devant tant de flagornerie. D'ordinaire, on ne multiplie pas ce genre de démonstrations, sauf à vouloir se montrer encore plus visqueux et obséquieux que celui qui a pris la parole juste avant. Pourtant, discrètement, Nivraya envoie un coup de pied à Thorondil en lui rappelant sa première consigne. Elle se demande vraiment si c'est une bonne idée que de rentrer ainsi dans le vif du sujet, mais leur temps est compté, et ils n'ont pas les moyens de faire une cour dans les formes, en comptant les mois. Elle aurait voulu lui donner des conseils, lui expliquer ce qu'il fallait dire en la circonstance, mais l'idée du toast lui est venue sur le moment, et elle n'a pas réfléchi. Maintenant, le fauconnier est seul face à sa première épreuve, et elle a hâte de voir de quelle manière il va s'en sortir... ou ruiner leur plan.

- Oh, cela me va droit au cœur ! Merci !

#Nivraya #Thorondil
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Thorondil
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Justar - Couleuvres et Pigeons EmptyVen 21 Nov 2014 - 20:05
La nuit fut longue pour le fauconnier. Longue et pénible. Et épuisante. Le peu de sommeil qu'il parvint à grappiller fut peuplé de ses vieux cauchemars bien trop familiers, d'incendies et de cris de terreur étouffer par le grondement assourdissant des flammes. Une nuit à se réveiller encore et encore, résultat de l'angoisse qui le tiraillait depuis que Nivraya lui avait confié ses plans. Il avait beau se tourner et se retourner entre ses draps, chaque fois qu'il fermait l'œil, il sentait une main glacée le prendre à la gorge.

Il était conscient qu'il ne pouvait pas se permettre, en novice, d'arriver le lendemain comme à un jour à la caserne. Sur ce champ de bataille, il ne pouvait pas se permettre d'adopter l'improvisation comme ligne de conduite... Pas sans une certaine marge de manœuvre qu'il n'aurait évidement pas. Aucune. Alors il passa une bonne partie de ses insomnies à ruminer le rendez-vous qui approchait, à décortiquer les évènements futurs, à tenter de deviner ou d'imaginer ce qui arriverait ou pourrait arriver. Il en profita pour "réviser", méditant sur des formulations et des phrases toutes faites pour ne pas se faire surprendre par la répartie des autres invités, cherchant à imaginer sa malheureuse proie pour en inventer des compliments sur les yeux, le visage, le rire, la personnalité... Il énuméra dans sa tête tout le champ lexical et les synonymes relatifs à la beauté, à l'intelligence, à la délicatesse... qu'il pouvait connaitre.
Pour s'aider et se rassurer, il imagina le repas avec un esprit de stratégie martiale, en y glissant les informations - bien maigres - qu'il possédait. Petit à petit, l'ensemble devenait cohérent et logique. Et là où, sur un plan de bataille, chaque action de l'ennemi était associée à une riposte appropriée, celui du déjeuner de Demeson s'articulait autour d'un ensemble de répliques soigneusement mises au point à l'avance.
Pourtant, il savait qu'il perdrait sans doute ses moyens, que les idées se brouilleraient dans sa tête et ne seraient plus aussi claires que durant la nuit, qu'il était loin d'être capable d'imaginer ce qui se passerait réellement dans cette auberge.

Il se leva donc aussi épuisé que par une nuit de marche dans la neige des monts d'Angmar. Et pour la première fois depuis très très longtemps, depuis plus de vingt ans, il se réveilla en ne songeant qu'à se rouler en boule et se rendormir quelques heures supplémentaires. Même étant enfant, il n'avait jamais été aussi réticent à sortir de son lit. Mais à l'idée de ce qui l'attendait... Il se retourna sur sa paillasse en grognant comme un vieil ours.

« - Qu'est-ce qui te tracasse tant, mon frère ? » entendit-il derrière lui.

La voix était claire, goguenarde et indubitablement celle d'Elendîn. Thorondil se tourna, ouvrit un oeil et reconnu immédiatement son demi-frère, avant de recouvrir ses yeux en laissant lourdement retomber son bras sur son visage. Il soupira à en fendre l'âme tout en rebasculant sur le dos.

« - Si c'est à cause de la belle dame avec laquelle on t'a vu t'éclipser hier soir...
- La belle dame, cher frère, c'est Dame Nivraya de Gardelame ! grogna Thorondil en lançant une œillade assassine au jeune homme par dessous son bras.
- Nivra... Oh par les... ! Noon ! Désolé Thor', j'ignorais que... J'ai juste entendu des amis dire que tu étais repartit avec une fort jolie dame au bras... Et je me réjouissais de voir enfin mon frère s'intéresser à quelqu'un ! » surjoua délibérément Elendîn d'un air désespéré.

Thorondil se relava sur son séant, l'air blasé des pitreries de son jeune frère.

« - Je ne sais pas ce que tu t'imagines mais tu devrais surtout t'estimer heureux que ce ne soit pas au bras de ta femme que je suis reparti, vu comme tu l'as délaissé toute la soirée. » fini-t-il par faire remarquer avec ricanement rauque.

Elendîn eut le bon ton de paraitre contrit.

« - Tu as raison, mais rassures-toi, elle a bien su s'y prendre seule pour me le faire comprendre, bien avant toi... j'ai dormi sur le tapi, fort peu confortable soit dit en passant. » grimaça-t-il.

Et il ne fallut pas longtemps aux deux frères pour que leur conversation ne se termine en fou-rire. Un rire bref et peu démonstratif mais qui suffit à redonner un peu d'entrain à l'aîné. Pourtant, une fois calmé, le cadet revint rapidement à l'assaut.

« - Alors, qu'est-ce qui ne va pas ? Ne cherche pas à nier, le soleil est déjà levé depuis longtemps ! Et puisque tu n'as même pas l'excuse d'avoir passé la nuit avec une femme...
- Je suis invité à déjeuner, geignit Thorondil comme il ne se permettait de le faire que devant son frère.
- Désolé... Mais en quoi est-ce si... grave ? C'est pas la première fois que quelqu'un t'invite à déjeuner.
- Pas ce genre de déjeuner ! Un déjeuner de nobles ! Ce genre de déjeuner ! »


Elendîn resta un long moment estomaqué, puis perplexe, cherchant un autre moyen d'interpréter les sons qui étaient sortit de la bouche du Maître Fauconnier pour former d'autres mots et une phrase bien plus cohérente. Thorondil, celui qu'il connaissait, n'aurait jamais, au grand ja-mais, accepté une telle invitation, fut-il pieds et poings liés. Ça n'avait pas de sens. Son regard se fit alors soupçonneux.

« - Où est le piège ? »

Thalion soupira. Il ne pouvait rien dire de sa mission, en aucun cas, même à son propre frère. Si les murs avaient des oreilles, les tentes dans le carré de la noblesse en avaient tant que toute notion de privé ou d'intimité devenait quelque chose de très vague.

« - Le piège, mon cher frère, c'est de m'être laissé convaincre que cela puisse être une bonne idée... Et maintenant il est trop tard pour faire marche arrière.
- Un déjeuner... Mon frère participe à un déjeuner ! Par Manwë, si l'on m'avait dit un jour... !  Qu'est-ce qui a bien pu te convaincre ? Il faudrait un argument en pierre... Un type intéressant ? Ou... une jolie demoiselle ?
taquina Elendîn, presque hilare.
- Une argumentation convaincante, répondit le fauconnier d'un ton bâtard entre le grognement et le soupire.
- Hum... Je vois. Rapport à ton nouveau poste j'imagine. Je comprends mieux ta soudaine envie de grasse matinée. Et dire que je commençais à croire que tu étais tombé malade. Un peu d'aide pour affronter ton épreuve et ta tenue ? Je ne voudrais pas me vanter, mais c'est un milieu que je connais plutôt bien. »

Elendîn proposa son concours avec aplomb et un sourire déjà à demi-moqueur, mais parfaitement sincère. Il fallut moins d'une seconde à Thorondil pour accepter l'offre. Après tout, des deux, il n'y avait pas longtemps à demander pour savoir qui s'en sortirait le plus. Et ce qu'il était bien impossible de reprocher à Elendîn c'était bien son manque de bonne volonté car, de la bonne volonté, il en avait pour quatre. Sitôt dit, sitôt fait, le jeune homme s'éclipsa le temps de rapporter une collation et un bac d'eau à son grognon de frère. Et, dès son retour, commença consciencieusement à trier les vêtements de la malle en pile très organisée. Au bout de quelques minutes, il lui proposa trois tenues assorties, très élégantes, travaillées et brodées avec délicatesse. Thalion ne se souvenait pas avoir jamais possédé de pareils vêtements mais c'était bien dans sa malle qu'ils se trouvaient. Sans doute étaient-ils de la série que son père lui avait fait tailler pour fêter sa nomination par le roi, et qu'il s'était empressé de fourrer sans plus de cérémonie au fond de sa malle pour mieux les oublier. C'était bien possible... Trop précieux, trop fragile, trop peu pratique et trop étouffant. Rien ne pouvait remplacer sa vieille chemise élimée, son plastron en cuir et son solide pantalon en lin.
Il regarda chaque ensemble un à un, avec attention, se fiant au langage corporel inconscient d'Elendîn pour arrêter son choix. Un ensemble bleu nuit tout en soie et en lin fin, rehaussé de fils dorés et argentés brodés au col et aux manches, et de boutons délicats en métal travaillés du blason familial. Un habit qu'il aurait en d'autres occasions (voir quasi toutes) qualifié de trop... trop. Une cape courte dans les mêmes tons ornée d'une fibule à tête d'aigle complétait le tout. Le frère cadet tenta bien d'y ajouter quelques accessoires mais Thorondil refusa tout net, ne cédant que sur les larges bracelets en argent travaillé. Il glissa en revanche autour de son cou le médaillon qui d'ordinaire ornait le pommeau de Sûliavas, celui qui renfermait le portrait de sa mère et de sa fille. Le petit ovale de métal cabossé fut dissimulé sous le tissu.
L'ensemble donnait un effet plutôt réussi à vrai dire... si ce col ne lui serrait pas autant la gorge ! Comment allait-il pouvoir avaler quoi que ce soit ?! Cette mode était une véritable plaie ! Et pourquoi tant resserrer les manches autour des poignets ? Mais il devait bien reconnaitre que cela lui allait bien, et le rajeunissait même un peu. Pour finir, il disciplina ses cheveux en une masse propre et lisse, usant de quelques mèches habillement placées pour atténuer l'effet de ses cicatrices. Comme son frère lui avait si bien fait remarqué : "il faut qu'ils te voient droit et assuré, mais tu ne dois inspirer ni pitié, ni brutalité, surtout s'il y a des dames dans l'assemblée". Autant dire un véritable casse-tête.

Ainsi endura-t-il plus d'une demi-heure de conseils en tout genre, dont certains totalement hors de propos puisqu'il n'avait rien précisé sur le genre de déjeuner auquel il assistait. Et son frère, heureusement ou instinctivement, ne posa aucune question. Ou peut-être, lui qui était si renseigné, avait-il déjà une vague idée de sa destination sans en avoir aucune certitude. Qu'importe ! Thorondil ingéra tant bien que mal les informations. Beaucoup lui semblaient tirées par les cheveux, voir superflues... mais la noblesse aimait le superflue. Il se fit à nouveau expliquer l'ordre dans lequel il devait saluer chaque convive, comment se tenir dans telle ou telle situation, avant qui prendre la parole et au contraire qui attendra un mot de lui pour parler... Bref, une bien trop longue et pénible leçon qu'il ne supporta patiemment que part égard pour les efforts d'Elendîn.

« - Sigil et moi allons emmener Merilin faire un tour dans la Cité, visiter le quartier où tu es né, ça lui fera plaisir. Ensuite nous irons rendre visite à Dame Ena de Veillesource, son veuvage ne lui réussi pas mais ses jumelles ont le même âge que ta fille, il faut qu'elle voit des enfants de son âge, c'est important. Quant à Père, il doit voir le Seigneur Oswen avant son départ, une histoire de puits empoisonnés je crois... Enfin bon, si tu veux nous rejoindre en fin de journée, ma chère épouse a commandé de la soie du Rhûn chez le tisserand à la devanture verte, tu sais, avec la drôle de moustache. On en a au moins pour deux heures, tu devrais nous y trouver facilement. »

Le fauconnier hocha la tête, incertain.

« - Prenez aussi une nouvelle robe pour la petite, finit-il par dire en tendant quelques pièces à son frère. Et laisse Sigil choisir, elle a bien meilleur goût que toi.
- Évidement, je ne suis pas une femme ! »


Thorondil leva les yeux au ciel et termina d'arranger sa tenue. A force, il allait finir par se mettre en retard. Jamais Nivraya ne lui pardonnerait une telle bévue ! Il souhaita la bonne journée à son frère, passa embrasser sa fille et prit congés.


Bien évidement, il dû subir l'inspection minutieuse de la Dame, par ailleurs très belle dans sa robe. Thorondil remarqua justement, assez gêné, que les teintes de leurs tenues étaient assorties. Etait-ce son premier faux pas ? Nivraya ne releva pas ce détail, ce ne devait finalement pas être très important car chaque détail fut passé au crible par le regard d'émeraude inquisiteur. Première étape passée avec succès... en quelque sorte. Mais à côté de la mise parfaite de Nivraya qui rehaussait sa beauté naturelle, elle l'éclipsait totalement malgré une carrure deux ou trois fois plus petite. Il n'avait d'ailleurs aucun moyen de rivaliser avec la magnifique jeune femme... Pas qu'il le chercha mais pour sa mission, il se devait de sortir du lot, en bien de préférence. Ô, il était conscient qu'il possédait un certain "charme" qui attirait les gens malgré son caractère exécrable et son physique abimé. Il allait devoir compter là dessus tout au plus.

Nivraya semblait fatiguée. Pas de cette saine fatigue qui vous prend au couché du soleil après une journée de dur labeur. Non plutôt de cette fatigue mentale et morale, d'une nuit trop courte, d'un esprit trop occupé et soucieux. Et elle semblait si... malheureuse. Mais Thorondil aurait juré qu'il s'agissait de quelque chose de plus profond que quelques cauchemars, c'était facile à voir pour qui s'y connaissait un peu. Et en matière de cauchemars, Thorondil se trouvait relativement bien placé. Mais il était aussi conscient que la moindre remarque de sa part à ce propos risquerait de relancer les hostilités entre eux. Et depuis l'épisode "enfant", il ne tenait pas plus que ça à réattaquer sur un sujet personnel. Ce n'était de toute façon ni le lieu, ni le moment. Nivraya ne lui laissa d'ailleurs pas le temps de s'appesantir sur le sujet, le pressant pour arriver à l'heure.

Arrivé à quelques pas du lieu du rendez-vous, il dû avoir un réflexe d'évitement involontaire, peu pressé d'arriver déjà. La jeune femme resserra sa prise sur son bras et tenta de le rassurer. Ce fut à peine si Thalion pu comprendre le sens de ses mots, trop absorbé par des révisions mentales de dernière minute avant de se plonger dans la "bataille". Il revint au présent quand ils se retrouvèrent face au garde qui s'assurait que tous les entrants étaient invités. Bien évidement, le fauconnier ne faisait pas partie de la liste. Mais l'assurance de la dame et un coup d'œil rapide dans sa direction suffirent visiblement à se laisser convaincre. Au point que Thorondil, encore peu habitué à ce genre d'égard, en fut surpris. Ainsi donc furent-ils introduits dans l'auberge privatisée pour l'occasion.

Il y avait là de multiples hommes dont le visage lui était vaguement familier, sans pour autant qu'il puisse en citer le moindre nom. Et il en vient à regretter qu'Elendîn ne soit pas à ses côtés pour lui souffler le pedigree de chacun tout en l'assaisonnant de potins et blagues de son cru. Malgré tout, il régnait dans la pièce une ambiance relativement chaleureuse qu'il ne s'attendait véritablement pas à trouver.  Et il s'en sentit plus rassuré. Il craignait déjà moins de faire un mauvais pas que dans son imagination.

- Dame de Gardelame, et Sire de Kervras.

"Sire de Kervras" ? Vraiment ? Jusqu'alors on ne l'avait jamais affublé de ce titre. Dans sa tête, le Sire de Kervras était Aratan, son père. C'était... étrange, très étrange même, à entendre.

Suivant Nivraya d'un demi-pas, il salua après elle chacun de ceux qui s'étaient retourné vers eux à leur annonce. Elle était très à l'aise, parfaitement assurée, répondait du tac-au-tac et flattait sans sembler y penser. Elle était vraiment dans son élément et malgré tout, Thalion s'en sentit impressionné. Alors que derrière elle, il mourrait d'envie d'écraser entre ses doigts toutes ces mains tendues, se contentait de réponses un peu raide et de sourire polis un peu figé. A peine arrivé et il mourrait déjà d'envie de repartir aussi sec. Rien n'aurait pu le mettre plus mal à l'aise que d'être le centre de cette attention et ce fut pire quand Nivraya le présenta en des termes si flatteurs. Mais il luttait contre sa nature, faisant au mieux bonne figure malgré tout.
C'est alors qu'arriva enfin leur hôte. Et une arrivée théâtrale bien sûr, dans une descente d'escalier quasi royale et un costume flamboyant. Mais sa silhouette, ses yeux, sa voix, son aisance... le fauconnier y voit un redoutable adversaire.  Il n'a rien de l'image du petit bossu au rire machiavélique comme le sont représentés les traites dans les histoires. C'était un homme intelligent, fin et imprévisible qu'il avait devant lui. Et Demeson, dès l'instant où son pied se posa sur le parquet, fut entouré par une armée d'oies brailleuses pressées de le noyer de compliments mielleux. Après une petite seconde de flottement, Thorondil reconstitua son personnage et adressa comme les autres un salut qu'il voulait chaleureux. Il manqua de peu de grimacer aux paroles de Demeson mais aussi en voyant tout ce monde lui adresser une révérence qui le gênait horriblement. Ce qu'il digéra le plus mal fut sans doute le "Thorondil de Kervras", deux noms, deux titres qu'il se refusait d'associer. Il ne saisissait pas très bien mais il savait que c'était le premier test que lui faisait passer l'ambitieux noble. Il jaugeait ses murailles, testait sa répartie, son intelligence et son aisance. Il fallait faire un choix maintenant sur sa réponse. Le fauconnier sourit malgré tout et répondit.

« - L'honneur est pour moi, Messire, d'être accepté à votre table aujourd'hui malgré mon arrivée à l'improviste. Du reste, le salut du royaume est loin d'être de mon seul fait et je n'ai fait que mon devoir envers l'Arnor en y prenant part. »

Mais de l'intérieur, il bouillait déjà. Il avait pris soin de préciser "envers l'Arnor" plutôt qu'"envers le Roi" afin de ne pas passer pour trop loyal envers Aldarion. Il espérait que la Dame de Gardelame serait satisfaite de cette initiative.

- Je suis heureux de faire votre connaissance, mon ami, et encore davantage de vous avoir à ma table aujourd'hui. Ah, ne soyons pas avares dans notre plaisir : vous vous assiérez en face de moi, à la place d'honneur, ainsi soit-il ! J'ai grande hâte de mieux vous connaître !

La place d'honneur, rien que ça. Un coup d'œil au-dessus de l'épaule de leur hôte permet de constater que Nivraya semble satisfaite de la tournure que prennent les choses. C'était déjà ça. Il se demanda un instant qui se serait assis là sans son arrivée surprise.
Sitôt que Demeson s'éloigna de lui, Nivraya prit sa place, lui attrapant le bras pour lui glisser un conseil. Il lui répondit en ouvrant grand les yeux et haussant les épaules. Jusqu'à présent, il n'avait vu aucune autre femme que celle qui se tenait à son bras. Porter un toast en l'honneur d'une absente qu'il n'avait jamais vu lui semblait aussi délicat que déplacé.
Ils prirent enfin place à table. Le fauconnier fut particulièrement heureux de constater que Nivraya avait prit le siège d'à-côté. Ainsi elle pourrait le retenir s'il venait à s'engager sur la voie d'une bourde irréparable. Mais même rassuré par cette sécurité, le fauconnier préférait ne pas prendre trop part aux conversations. Il se contenta de répondre par quelques mouvements de tête à son autre voisin qui de temps à autre se tournait vers lui dans l'espoir qu'il confirme ses dires.

En vérité il commence à s'inquiéter de l'absence de la jeune fille pour laquelle il est venu. Sans elle, le plan de Nivraya ne tiendrait pas. Sous la table il torturait la couture de son pantalon, au niveau du genou, oscillant entre le mécontentement et l'impatience. Qu'on lui dise qu'il avait fait tout ça pour rien et il pourrait fort bien décider de fracasser la table sur le crâne de cet insupportable Demeson pour régler cette histoire une bonne fois pour toute.
Comme pour répondre à son interrogation, une clochette tinta. Le silence total se fit autour de la table. Thorondil ne comprit pas immédiatement pourquoi. Sa mauvaise vision périphérique ne lui permettait pas, de sa place, de voir la jeune demoiselle qui se trouvait alors en haut des escaliers. Ce ne fut que lorsque toutes les têtes se tournèrent qu'il comprit. Tous se lèvent autour de la table pour accueillir la jeune femme.
Thorondil, quant à lui, à peine sur ses pieds qu'il resta foudroyé sur place, figé d'horreur, la bouche légèrement entrouverte, les yeux écarquillés, un frisson de dégoût remontant son échine avec une lenteur effrayante. A mi-chemin entre les étages se tenait une belle jeune fille à la chevelure de jais. Les mêmes cheveux que... Le visage de Morrigan s'était superposé à celui de la jeune femme, occasionnant une réaction viscérale chez le fauconnier. Fort heureusement pour lui et leur petit manège, son expression aurait tout aussi bien pu être celle d'un homme admiratif et frappé par une beauté inattendue. Cela ne dura qu'une fraction de secondes. L'image de Morrigan s'évanouit tandis que celui de Lise reprenait sa place.
Le choc passé, il put enfin observer véritablement la fille de Demeson. Elle ne ressemblait pas à l'image qu'il s'en était fait. En fait elle ne ressemblait pas à ce que lui avait dépeint Nivraya. Elle rayonnait de la même assurance que son père mais semblait tellement plus naturelle et sincère. Ses yeux pétillaient l'intelligence et la joie de vivre.

- J'aime à avoir ma précieuse petite Lise à mes côtés, j'espère que vous n'y voyez pas d'inconvénient.

La demoiselle prit place à côté de son père avec grâce. Qui aurait pu refuser de toute façon... Mais pour Thorondil, Demeson lui donnait l'impression d'exhiber sa fille comme un bibelot précieux que l'on cherche à vendre au meilleur prix. Il se demandait si cette Lise en avait conscience. Peut-être après tout. Peut-être même en était-elle ravie. Pas de doute qu'on se bousculait déjà à sa porte... Sa mission s'en trouvait alors à la fois grandement facilité par la volonté de Demeson et grandement compliqué par le nombre de rivaux qu'il devrait occulter. C'est à cette pensée qu'il sentit le regard de la jeune fille se poser sur lui. Visiblement, il avait déjà attiré son attention, du moins pour l'instant. Peut-être de par sa position à la table ou par sa nouveauté ? C'était à lui de jouer visiblement. Il tourna la tête pour accrocher son regard et lui adressa un sourire sincère.

Soudain, un des convives, à peine plus épais qu'une tige de saule, leva son verre en direction de leur hôte pour porter un toast. Ses paroles dégoulinaient de flagorneries mais cela sembla plaire à Demeson. Un coup de pied dérangea le fauconnier alors qu'il terminait sa gorgée. Avec tout ça, il avait complètement oublié la consigne de la Dame et se retint de justesse de lui adresser un regard désolé. Il inspira pour se donner du courage. Il était étrange qu'il ne puisse jamais en manquer sur le champ de bataille mais en semble vidé pour un malheureux déjeuner, c'était ridicule ! Il s'éclaircie la gorge et leva de nouveau son verre. En direction de la demoiselle cette fois. Et prit la parole d'une voix assurée.

« - Bien que j'approuve tout ce qu'ait pu dire notre ami ici présent... Il lança un minuscule sourire de défi à Tige de Saule à travers la table. Il me semble qu'il serait une hérésie de ne pas également lever notre verre en l'honneur de la magnifique demoiselle qui se trouve à côté de notre hôte. Mademoiselle Lise, vous illuminez cette table de votre présence et c'est un grand plaisir de vous avoir avec nous. »

Après ça, il but une nouvelle gorgée, regrettant qu'il ne s'agisse pas d'un alcool plus fort. Cette phrase, il l'avait préparé dans ses cogitations de la nuit mais il devait avouer qu'elle sonnait bien mieux dans sa tête. Il se sentait ridicule. Véritablement ridicule.
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Nivraya
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Justar - Couleuvres et Pigeons EmptySam 22 Nov 2014 - 1:20
...

Un arbre peut s'effondrer au milieu de la table, un éclair s'abattre sur l'auberge, un incendie se déclarer sous leurs pieds, aucun des convives n'est actuellement en mesure de réagir au pavé immense que Thorondil vient de lancer dans la mare. Il n'existe aucun mot adéquat pour qualifier proprement ce qu'il vient de dire. Nivraya, pourtant habituée à affronter des manœuvres déstabilisantes, ne peut s'empêcher de garder les yeux grands ouverts, ses fins sourcils dessinant un arc stupéfait et abasourdi. Seule sa grande maîtrise d'elle-même l'empêche d'ouvrir grand la bouche, comme un roturier stupide face à une merveille exotique. De toute évidence, tous autour de la table n'ont pas la même retenue, et affichent ridiculement leur surprise, figés dans une expression d'incompréhension totale. Et au milieu de tout cela, le fauconnier, debout le verre levé, incapable de déterminer quelle est la prochaine bonne action à réaliser. Incapable de savoir même s'il y a quelque chose à faire pour rattraper sa bourde. Nivraya jette un regard à Demeson, qui ne cache pas son effarement, alors que son visage prend une moue interloquée qui aurait pu être délicieusement risible dans d'autres circonstances. Les yeux émeraudes de la jeune femme glissent vers Lise, dont les joues prennent instantanément une teinte pivoine tout à fait charmante.

Pourtant, tout a bien commencé jusque là. Nivraya a eu des raisons d'être fière de son plan, en voyant avec quelle assurance son poulain a réussi à échapper au première piège de Demeson. Après tout, il n'est jamais facile de répondre à un premier compliment, et on en apprend beaucoup sur un homme après une seule phrase. Sa manière de s'exprimer, les mots qu'il choisit, son élocution, et puis naturellement la façon dont il se positionne par rapport à son interlocuteur. En l'occurrence, il a été parfait : humble sans être servile, poli sans être flagorneur, et elle a pu noter qu'il n'a pas mentionné le nom d'Aldarion quand il aurait pu. Nivraya ignore encore s'il l'a fait volontairement ou non, mais quoi qu'il en soit, c'était un choix judicieux de la part de Thorondil, qu'elle aurait applaudi des deux mains s'ils avaient été seuls. Au lieu de quoi, elle s'est contentée d'un sourire mental, fière de voir qu'elle ne s'est pas trompée sur son choix. C'est peut-être pour cette raison qu'elle a fait preuve d'audace en demandant au fauconnier de lancer un compliment à la fille de leur hôte. Elle a conscience qu'il est toujours difficile de prononcer des mots agréables quand on ne connaît pas la personne, et encore bien davantage dans ce genre de circonstances. C'est la raison pour laquelle elle lui a demandé de procéder. Elle s'est attendue, sans jamais imaginer qu'il procéderait autrement, à ce qu'il bafouille quelque chose, et que sa maladresse attendrissante gagne le cœur des nobles autour d'eux. Jamais elle n'a envisagé le voir adresser des paroles aussi ajustées, et encore moins s'adresser directement à la jeune femme. Car c'est bien cela qui surprend et qui choque.

Il n'est pas à proprement parler interdit de faire des compliments à une jeune femme, soit-elle de la noblesse, et on conçoit tout à fait qu'un gentilhomme puisse adresser des mots flatteurs à une demoiselle qu'il trouve à son goût. Toutefois, ce genre d'attentions est d'ordinaire réservé à un cercle privé, et surtout lorsque le chef de famille est absent. Lancer cela, tout fort, devant Demeson, c'est envoyer un signal qui n'a absolument rien d'anodin. Cela revient à dire "bonjour monsieur, je courtise votre fille et je tenais à ce que vous le sachiez". A ce que tout le monde le sache, en vérité, car désormais tous les regards sont tournés vers Thorondil, comme en attendant une suite à son discours... suite qui ne viendra jamais, car l'intéressé comprend avec un peu de retard qu'il vient de commettre un impair qu'il n'est pas en mesure de rattraper. Désormais, il appartient à quelqu'un de briser la glace, mais nul n'ose s'y risquer, comme par crainte de pencher du mauvais côté.

Nivraya envisage bien de tenter quelque chose, mais son intervention peut faire davantage de dégâts, et elle sait qu'en dépit de ce mauvais départ, tout n'est pas perdu. Elle est déjà en train de concocter un plan pour rattraper la situation, et pour essayer de regagner l'amitié de Demeson. Après tout, assis à la place d'honneur, Thorondil est un invité de marque, et il est impossible de se fâcher avec quelqu'un de son rang. Qu'il le veuille ou non, leur hôte est obligé d'accepter le fauconnier avec ses qualités et ses défauts. Elle essaie de trouver des arguments qui peuvent inciter les autres nobles à ne pas trop faire cas des paroles qui viennent d'être prononcées, et cherche à trouver comment amener le sujet sur la table sans paraître trop brutale, et en même temps sans laisser la situation traîner en longueur. Pourtant, aussi vite qu'aille son cerveau, une longue seconde s'achève sans qu'elle ait trouvé quoi répondre, et ses yeux vont frénétiquement de Demeson à Thorondil, dans l'attente d'un mouvement.

Les autres nobles autour de la table paraissent adopter la même position circonspecte, ne tenant pas particulièrement à s'interposer entre les deux parties se faisant face. Sans nul doute, chacun penchera du côté de Demeson dès qu'il se sera décidé à prendre la parole, dès que lui-même sera revenu de sa surprise et qu'il aura trouvé quelle réponse donner à cela. Il doit considérer mille options en même temps. S'offusquer sur-le-champ serait normal, car il est fort peu convenable de parler ainsi à une jeune fille en présence de son père, et cela renforcerait sa position auprès des autres nobles qui paraissent boire ses paroles et se ranger derrière lui. Toutefois, il s'agit d'un allié potentiel puissant, et il n'est pas là pour se faire des ennemis, bien au contraire. Il a tout intérêt à ménager Thorondil, et à montrer à Nivraya qu'il est magnanime et ouvert, sans quoi ils pourraient lui faire mauvaise presse et s'opposer à lui par après. Cependant, il ne doit pas laisser croire que chacun peut courtiser sa fille impunément, et il a pour rôle de montrer qu'il est un père protecteur et attentif aux fréquentations de sa précieuse héritière, afin de dissuader les nobles inférieurs de lancer leurs prétendants aux trousses de Lise. En même temps, il apparaît que le fauconnier n'est pas un mauvais parti qui, s'il n'a pas de richesses mirobolantes, possède auprès de la couronne un statut privilégié en tant que famille de confiance. Aldarion est sensible aux paroles de ces hommes qui se sont opposés au Sénat pour faciliter son retour, et qui ont fait preuve d'une loyauté sans faille. Se rapprocher de ces familles, c'est se rapprocher d'une forme de légitimité à laquelle aspirent tous les nobles d'Arnor actuellement.

Et soudain, un rire.

Nivraya cligne des yeux, alors que semble se dissiper l'impression de ralenti qu'elle a vécu. Ses yeux se portent sur Lise, qui vient de mettre une main devant sa bouche pour dissimuler le rire léger qui vient de s'emparer d'elle. Les joues toujours rosies par la gêne, elle ne paraît pas se formaliser de l'audace de Thorondil, et par un simple rire cristallin elle parvient à chasser le nuage de gêne qui vient de s'abattre sur l'ensemble des convives. Nivraya, désireuse d'entretenir le phénomène et de ne pas laisser le feu mourir dans l'âtre, pouffe à son tour avec une telle spontanéité qu'il est impossible à quiconque de dire qu'elle feint. Et puis, gagné par le rire de sa fille et de son invitée de marque, Demeson se laisse aller à un rire, d'abord un peu pincé, et puis de plus en plus franc à mesure que les invités le suivent dans son hilarité. Le seul qui ne rit pas, c'est le fauconnier, debout au milieu de tout le monde, l'air de pas comprendre ce qui lui arrive. La jeune femme aux yeux verts lui donne un discret coup de pied pour qu'il cesse de se tenir au milieu de tout le monde comme un piquet, et qu'il s'assoie enfin afin de passer à autre chose. Il s'exécute, et Nivraya - qui pendant qu'elle manigance n'a pas altéré son visage rieur - relance en plaisantant :

- Voilà bien le compliment d'un homme d'épée, et non d'un homme de table. Quelle femme ne serait pas sensible à un tel compliment ? Mais enfin... quelle audace !

Elle a lancé cette dernière pique à l'attention de l'assistance, qui s'esclaffe de plus belle devant la maladresse incroyable de Thorondil. Toutefois, elle a adjoint sa réplique d'un petit regard en coin à son protégé, qu'elle lui adresse à lui seul. Un regard jaloux. Elle perçoit une lueur d'incompréhension dans ses yeux, et détourne la tête pour ne pas lui donner l'occasion d'en lire davantage dans les siens. Elle feint d'être légèrement offusquée de ce qu'il n'ait pas eu un mot doux pour elle, mais en réalité elle en a profité pour regarder brièvement Lise, l'analyser. La jeune fille, qui n'est enfin plus le centre d'attention, peut se permettre de regarder qui elle veut, et pour l'heure ses yeux sont rivés sur le fauconnier. Elle paraît perplexe. Nivraya lit en elle une grande intelligence, mais peut-être un manque d'expérience. De toute évidence, Thorondil vient de jeter aux orties toutes ses certitudes sur la gent masculine, et elle a l'air confuse, incapable de le mettre dans une catégorie. Il n'est pas un de ces nobles faux et retors, mais il est plus éduqué que les hommes du peuple grossiers et irrespectueux. Clairement, il se trouve à la jonction, et incarne parfaitement l'aventurier galant, quoique manquant d'éducation. Un fantasme pour n'importe quelle femme. Et ce ne sont pas ses cicatrices qui peuvent rebuter la jeune Lise, bien au contraire. Celle-ci doit se sentir flattée d'avoir été remarquée par un homme plus âgé, qui incarne sans doute à ses yeux un idéal masculin de virilité. Encore davantage d'avoir lu de la jalousie dans les yeux de sa seule rivale, qui pourtant devrait attirer bien davantage le guerrier au visage marqué. Ils sont plus proches en âge, elle jouit d'une position sociale tout à fait avantageuse, elle est loin d'être laide... Pourtant, c'est à Lise Demeson qu'il a fait le compliment. Nivraya capte tout cela en une fraction de seconde, et sait que Thorondil, de par son manque total de respect pour les conventions, a réussi à intriguer sa cible... ses cibles.

En effet, c'est le père de famille qui prend la parole ensuite, sortant d'un fou-rire qui lui a tiré les larmes aux yeux :

- Eh bien mon ami, vous ne manquez pas d'être direct. J'avais ouï dire que vous n'étiez pas familier des us et coutumes de la noblesse, on peut dire que vous êtes fidèle à votre réputation !

Un immense sourire s'élargit sur son visage élégant, mais ses yeux plongés dans ceux de l'invité surprise ne sourient pas du tout, eux. Il est en train de l'analyser, de chercher la faille, et d'essayer de trouver s'il y a anguille sous roche. L'examen est à la limite de l'insoutenable, tant il continue :

- Vous me rappelez mes jeunes années, quand j'étais encore plein de fougue et d'allant, et que je portais l'épée pour autre chose que pour l'apparat ! Ah, quelle époque ! Nous allions combattre la vermine dans le Nord, chantions entre frères d'armes, buvions jusqu'au matin. Et il est vrai que lorsque nous croisions une belle fille, nous n'avions pas peur de leur dire qu'elles étaient belles et de piquer une fleur à leur corsage. Et pourtant il n'est pas si loin le temps des batailles... Etiez-vous aussi dans le Grand Nord, là où tant de braves sont tombés ?

Nivraya baisse la tête un instant, comme le veux la coutume, à la mémoire de cette terrible bataille qui s'est déroulée il y a plusieurs années de cela. Elle n'y a pas participé de près ou de loin, mais son cher Justar est encore marqué par ce qu'il a vu là-bas, dans les immenses étendues glacées où se sont affrontés tant d'être voués à mourir. A force de persuasion et de douceur, elle a réussi à le faire parler un peu de ces moments terribles, et ce qu'elle a entendu a suffi à lui faire prendre conscience de l'horreur des combats. Des morts par milliers, du sang partout sur le blanc manteau neigeux, au point de rendre le champ de bataille gluant et odorant. Des combats âpres, face à des ennemis redoutables et particulièrement déterminés. La victoire n'avait été arrachée qu'à grand prix, et de nombreux jeunes d'Arnor avaient laissé la vie sur cette plaine maudite où Justar n'avait plus jamais souhaité poser le pied.

- Aux braves ! Lance Demeson avec une certaine gravité.

La jeune femme le dévisage, pourtant, et comprend qu'il est encore en train d'analyser Thorondil. Il cherche à trouver une faiblesse, une ouverture, la moindre faille à exploiter pour lui permettre de frapper fort le moment venu. Pas besoin de chercher loin pour comprendre que le fauconnier a un passé militaire douloureux : reste à savoir ce que la guerre lui a pris, pour réussir à le faire souffrir. Nivraya est très consciente de la stratégie qu'il est en train d'utiliser, et elle choisit de changer de sujet sitôt que chacun a répondu à son toast. Elle s'éclaircit la voix, et lance :

- Rappelons-nous aussi des vivants, au nombre desquels vous êtes messieurs. Vous donnerez encore beaucoup à l'Arnor, et notre royaume compte sur vous.

- Merci, Dame Nivraya. Bien que je ne me considère pas comme un héros, vos paroles me vont droit au cœur. Il est vrai que l'Arnor est en grande difficulté, et nous comprenons bien la nécessité qu'il y a à financer ce que l'Ordre de la Couronne de Fer a détruit méthodiquement. Mais puisque vous amenez le sujet sur la table, je me pose une question : pourquoi est-ce que l'or n'est pas davantage alloué à la défense des frontières et à la protection des routes ? On dit que celles-ci ne sont pas aussi sûres que par le passé, et je suis d'avis que c'est une préoccupation plus importante que de l'investir dans des dépenses somptuaires. Que croyez-vous, maître Thorondil ? Quel est l'avis d'un homme d'armes sur ces questions ?

Nivraya s'est apprêtée à répondre, c'est plus fort qu'elle. Quand on la lance sur un sujet de débat, elle a toutes les peines du monde à garder sa langue dans sa poche. Elle aurait voulu lui dire qu'il y a des priorités à l'échelle du pays, mais que le commerce ne fait pas tout. Forger des alliances, et s'assurer la descendance d'Aldarion est un objectif tout aussi important que de garantir la sécurité des voies d'échanges qui parcourent l'Arnor. Toutefois, elle serait tombée dans son piège, et il aurait réussi à amener la conversation sur la nécessité de conclure un mariage avec une princesse étrangère d'un petit royaume sans influence. Sans influence politique et militaire, certes, mais qui peut fournir de l'or en quantité, et les négociations lors de l'établissement du contrat ont été très claires sur le sujet. La couronne a fait un profit substantiel, réparti sur plusieurs années, en échange de la promesse d'une alliance incassable avec Dale, et d'autres menus détails. Elle a voulu lui dire tout ça, mais elle a été prise totalement au dépourvu par sa façon d'interroger Thorondil, et de la priver de la maîtrise de la conversation. Nouveau test pour le fauconnier, qu'il va devoir surmonter une nouvelle fois, s'il ne désire pas ruiner leurs chances.

Alors que les autres nobles sont absorbés dans leurs conversations privées, Demeson et Lise dévisagent intensément leur invité de marque, attendant sa réponse avec impatience. Le premier parce qu'il est un prédateur en train de jouer avec une souris, pour voir si elle ne cache pas quelque chose. La seconde, un peu moins retorse, semble sincèrement intéressée par son opinion sur le sujet. On peut penser que, étant éduquée, elle a déjà eu à se questionner sur ces choses - même si ce ne sont pas des affaires de femmes, naturellement. Elle paraît vouloir entendre une réponse fort spirituelle de la part de l'interlocuteur de son père, qui s'est fendu d'un ravissant compliment à son endroit, sans même se rendre compte qu'elle s'est penchée en avant et qu'elle le dévore du regard. Sauvant temporairement Thorondil d'une pression immense, et lui laissant le temps de soigner sa réponse, un serviteur fait soudainement son apparition dans la pièce, suivi par une dizaine d'autres. Ils portent tous des plats alléchants dont l'odeur seule met l'eau à la bouche.

Ici, un chevreuil splendide, dont la viande luisante de sauce est accompagnée de pommes de terre, de carottes et de champignons. On trouve un assortiment de légumes variés aux chaudes couleurs de l'été, un plateau de grives, des pains ronds et moelleux qui semblent tout droits sortis du four, et qui dégagent une bonne odeur. Les viandes se succèdent, veau, agneau braisé, drapés de leurs accompagnements délicats. Tantôt des poireaux et des courgettes, tantôt des navets et des tomates. On dépose également des œufs, des fromages aux formes et aux textures diverses, et des mollusques aux formes étranges comme on n'en trouve aucun dans les régions du Nord, éloignées de la mer. Le tout est accompagné de vins onéreux et doux en bouche, d'hydromels de fine qualité, et des spiritueux au goût fruité. Le tout est particulièrement appétissant, et on se frotte déjà les mains parmi les nobles, qui commencent à se servir copieusement.

Nivraya, distraite par son voisin le moins intéressant, se voit contrainte de lui expliquer que les mollusques sont des moules pêchées dans le Sud, et de lui montrer la manière correcte de les décortiquer et de les manger. Il ne peut s'empêcher de s'étonner de l'étendue de ses connaissances :

- Vous avez déjà mangé de ces choses ? Je n'en ai jamais vu de pareilles en Arnor.

Elle lui répond avec un sourire affable, qui est aux antipodes de ce qu'elle ressent véritablement en cet instant :

- Je n'ai pas toujours vécu en Arnor, maître. J'ai vécu longtemps au Gondor, et je n'ai pas oublié comment manger ces délices... Non, seulement la partie jaune, vous pouvez jeter la coquille.

Elle se retourne un instant vers Thorondil, qui est occupé à répondre à Demeson. Elle a bien envie d'entendre ce qu'ils se disent, mais tout le monde s'est mis à parler un peu plus fort, comme si l'arrivée de la nourriture était un signal secret pour se laisser aller à rire aux éclats et à brailler. Et puis son voisin ne la laisse pas parler d'autre chose, et il continue à l'interroger sur les mets qui lui sont inconnus, avec dans les yeux une lueur que la jeune femme connaît bien : encore un homme qui espère obtenir des faveurs grâce à l'influence qu'elle a au sein de la monarchie, et qui tente de se lier à elle d'une manière relativement peu subtile. Mais, même avec un tel manque de subtilité, elle ne peut s'en défaire, et est contrainte de l'écouter dresser des analyses erronées et complètement inutiles sur la politique mondiale :

- Naturellement, dit-il par exemple, je pense que le Gondor devrait attaquer les pirates qui ont pris le Sud du Harondor. J'étais choqué de voir qu'on avait invité ces bandits à une telle cérémonie, alors même qu'ils viennent de chasser l'Emir de sa capitale. J'avais dans l'idée de faire un tour vers les terres du Sud, car je ne suis jamais venu ici, mais je vais devoir y renoncer. Pourtant, on m'avait dit le plus grand bien de Dur'Zork. Peut-être devrions-nous songer à aider le Gondor, à envoyer des hommes pour mener campagne contre les pirates... Après tout, nous sommes alliés, et nous ne pouvons pas nous permettre de laisser croire que nous sommes faibles. Si nous envoyions simplement un ou des régiments, cela devrait suffire, je pense. Nos hommes sont certainement meilleurs que ces pirates, et...

- Une larme ? Demande-t-elle en tendant la bouteille de spiritueux, soulagée de pouvoir enfin l'interrompre.

- Oh, merci, vous êtes trop aimable. Je disais donc, le Sud...

Et il se remet à parler. Et pendant qu'elle cherche un moyen de se débarrasser poliment de lui, elle sent que Demeson en profite pour accentuer son avantage, utilisant habilement l'absence de la jeune femme pour s'en prendre librement à Thorondil, sans lui laisser la moindre chance. Elle espère qu'il a réussi à temporiser, et qu'il n'a pas fait d'erreur irrécupérable. Un coup d'œil, et elle voit qu'il est en pleine conversation avec son interlocuteur, tandis que Lise, toujours silencieuse, les écoute avec une grande attention. Décidément, cette petite a l'air d'avoir quelque chose dans la cervelle, contrairement à ce qu'a cru Nivraya au premier abord.

- ... Et d'ailleurs, reprendre Umbar sécuriserait les mers du Sud, qui...

Elle revient à son interlocuteur, tirée de ses pensées par le fait qu'il vienne de remplir allègrement son verre, presque à ras bord. Elle fait une moue un peu gênée, mais ne dit rien. Elle a l'impression qu'il cherche à la saouler... dans tous les sens du terme... et elle se demande ce qui est le plus cocasse : qu'elle n'ose pas boire une première gorgée, de peur de ne pas être capable de s'arrêter ensuite, ou bien de savoir que quoi qu'il arrive, elle tiendra mieux l'alcool que tous les hommes autour de cette table. Au fond d'elle-même, elle se morigène : à plus tard les défis et les bravades, pour l'heure elle doit trouver un moyen de revenir aux côtés de Thorondil, et de l'épauler. Et elle doit le faire vite.
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Justar - Couleuvres et Pigeons EmptyMar 9 Déc 2014 - 0:29
[Voilà, désolée d'avoir autant trainée à répondre... J'ai eu du mal à la pondre cette réponse >.<]

Une chape de plomb s'abattit autour de la table. Un silence de mort qui paralysa Thorondil sur place plus surement que s'il s'était trouvé face à une armée de dragons. Il n'osa même pas regarder autour de lui. Il est parfois étrange de constater que dans ces moments particuliers, les plus étranges pensées vous traversent l'esprit en un instant. "Nivraya va me tuer..." fut celle du fauconnier puis très vite ce fut "Je vais la tuer ! ". Plus personne autour de la table n'osait bouger le moindre cil, ni émettre le moindre souffle. Le silence était tel qu'on pouvait entendre les badauds passer et rire à l'extérieur du bâtiment. Quant à Demeson, il ressemblait à une vieille bouilloire oubliée sur le feu par un hobbit distrait, un peu plus prête à exploser à la moindre seconde qui passait... Il venait de faire une bêtise... Pas une petite boulette sans conséquence que sa complice aurait désamorcée en un tour de main. Non. Une immense bourde ! LA bourde à ne surtout pas faire visiblement. Aurait-il traité la demoiselle d'horrible crapaud gluant que le résultat n'aurait guère été bien différent.
Il ne comprenait pas. Il avait suivi les instructions de Nivraya pourtant. Il avait été poli, respectueux... il n'avait même pas bafouillé comme un adolescent. Il avait beau retourner ses mots dans tous les sens dans sa tête, il ne trouvait rien d'insultant ou de déplacé. Alors pourquoi tout semblait partir de travers ? Il aurait dû écouter plus attentivement Elendîn quand le jeune homme lui avait fait la leçon. Misère ! Et ce silence ! L'homme ne savait plus que faire. Son cerveau se vida soudain, il ne fut plus capable de réfléchir, déchiré par le combat intérieur que se livraient sa colère et sa honte.
Alors il se tenait là, attendant bêtement... un miracle, rien de moins. Même l'idée de voir Nivraya "voler à son secours" ne lui sonnait plus si saugrenue que ça. Tout mais que ce cauchemar cesse ! Avec toute cette attention centrée sur lui. Tous ces yeux ronds comme des soucoupes, ses bouches ouvertes comme des poissons hors de l'eau, ces mines effarées, choquées ou stupéfaites.  Il se sentait comme sur un fil extrêmement mince à cette seconde précise où l'on s'apprête à perdre l'équilibre. Puis, avec une lenteur insoutenable, toutes les têtes se tournèrent vers l'hôte du déjeuner. Toute l'attention se porta sur Demeson. De sa seule réaction semblait dépendre celle de toute l'assemblée et par là même le sort de l'invité indélicat. Thorondil jeta plusieurs regards furtifs vers la porte. Avec peu de chance il pourrait mettre le plus de distance possible entre ces vautours et lui avant que tout le monde ne reprenne ses esprits ? Non ? Il essaya de réfléchir, ou même simplement de s'assoir pour ne pas rester planter en spectacle, mais son cerveau refusa obstinément de répondre comme ses muscles de bouger.

Un moment bien trop long passa dans cette atmosphère étouffante de malaise. Quand, brusquement, semblant sortir de nulle part, un rire. Un rire léger et cristallin. Providentiel. Et le mur de glace autour de la table se désagrégea. Le rire de la jeune Lise, bientôt suivit par celui de Nivraya jusqu'à ce que toute la tablée, jusqu'à Demeson, ne soit prise d'un rire franc et puissant. Mais Thorondil n'était pas sûr de préférer cette moquerie générale au silence catastrophé qu'il avait jusqu'alors enduré. Et il ne comprenait vraiment plus rien. Un coup de pied dans le tibia lui fit comprendre qu'il était temps de reprendre sa chaise. Mais l'hilarité continuait de plus belle. Plus le temps passait et moins les choses prennaient de sens. Les paroles de Nivraya l'enfonçait dans sa bourde et ce regard... que signifiait au juste ce regard qu'elle venait de lui lancer ?
Pour faire bonne mesure, il essaya tant bien que mal de faire preuve d'autodérision et de rire avec les autres de lui-même. Mais il ne parvint qu'à s'arracher un douloureux rictus qu'il préféra abandonner. Cette situation lui était totalement étrangère et il ne savait absolument pas comment s'en défaire. Il était rare qu'à l'extérieur les gens aient l'audace de se moquer de lui, plutôt effrayés pour la plupart des représailles qu'un homme comme lui pourrait leur faire subir. Un regard noir suffisait d'ordinaire à faire mourir ce rire dans l'œuf. Or c'était une arme qu'il n'était pas autorisé à utiliser s'il voulait conserver son rôle... Son rôle ! Elle était là la blague ! Que lui avait-il prit d'accepter cette folie furieuse et les plans foireux de la Dame de Gardelame ? Que ne l'avait-il envoyé balader quand il en avait encore l'occasion !

Puis finalement, après un très - trop - long moment, le fou rire général s'apaisa. Et, grâce aux commentaires lancés ci et là, Thalion commença à comprendre son erreur. Pas que cela puisse l'aider à digérer sa honte, mais au moins ne referait-il plus la même bourde. Il nota cette nouvelle règle dans un coin de son esprit, qui s'effacerait sans doute aussi vite une fois le "travail" terminé.
Mais après le silence et le rire, ce fut au regard inquisiteur de Demeson qu'il dû faire face. Les yeux perçants le fixaient bien au delà de ce que la politesse le permettait mais, à cela, le fauconnier fut capable de faire face en restant parfaitement stoïque. Les regards trop appuyés faisaient partit de son quotidien. Et là où tout autre se serait sans doute recroquevillé sur sa chaise, il ne bougea pas d'une paupière. Il se contenta de soutenir le regard qui lui était accordé avec le plus de neutralité possible. Pas de défi, ni d'interrogation, ni d'agacement, ni de curiosité, rien. Juste un retour de regard. Mais contrairement à ce que le dùnadan avant l'habitude, Demeson ne se contentait pas d'observer, il fouillait, remuait, examinait, analysait. Il palpait le moindre interstice dans l'espoir d'y trouver une faiblesse ou une fragilité quelconque. Il avait cette lueur dans ses yeux qui en disait long, celle de l'homme qui semblait percer les âmes à jour. Et Thorondil était déterminer à ne lui laisser aucune faille dans laquelle s'engouffrer, aucune aspérité sur laquelle s'accrocher, car il savait que si cet individu parvenait à trouver la moindre prise sur son esprit, il n'hésiterait pas à s'en servir contre lui. Et c'est son impassibilité face à cet examen qui lui servait pour le moment de muraille.
Du coin de l'œil, il crut comprendre que Lise l'observait, mais sa vision périphérique navrante ne lui permettait pas d'en être véritablement sûr. Tout n'était peut-être pas totalement perdu après tout... s'il arrivait à supporter encore suffisamment longtemps les paroles et les regards de leur cible principale.

Et visiblement, il avait rendu Demeson nostalgique du bon vieux temps de sa jeunesse. Et s'il y avait bien quelque chose pour s'attirer la sympathie d'un homme c'était bien de lui rappeler l'époque de sa pleine force et de son insouciance. C'était une leçon qu'on apprenait vite quand on voyageait d'auberges en tavernes pour parcourir le monde. La projection avec une pouvoir sans limite sur l'esprit humain. Tout ce qui rappelle de bons souvenirs est toujours le bienvenu. Et Thorondil sentait que malgré tout, il venait de marquer un point... un demi-point seulement à vrai dire, mais un pas de plus malgré tout.

Le fauconnier avait pêché par excès de confiance. Il s'était sentit un peu plus à l'aise et rassurer en rentrant dans l'auberge. Et comme le spectacle et l'ambiance y était moins atroce que dans ses spéculations, il avait légèrement relâché sa garde... et ça avait faillit lui coûter sa mission et plus cher encore. Parfois il se demandait comment il pouvait encore bénéficier de cette chance insolente qui lui permettait de se retourner malgré les pires faux pas.

- ... Etiez-vous aussi dans le Grand Nord, là où tant de braves sont tombés ?

Outch ! Un coup bas s'il en était. Thalion savait que la question n'était que pure rhétorique. Son statut de vétéran du Nord n'était un secret pour personne... Et si tout le monde y allait de sa petite spéculation sur ce qui lui était arrivé là-bas, il n'en était pas moins évident que ce n'était pas de bonnes choses. L'homme se retint de porter la main à son visage mutilé.
L'assemblée baissa la tête en mémoire des morts si bien que personne ne put remarquer que Thorondil n'accompagnait pas le mouvement. Les muscles de sa mâchoire et de son cou étaient tendus à craquer. Il ne pouvait simplement pas. Pour avoir vécu ce qu'il avait vécu, subit ce qu'il avait subit, il s'était depuis longtemps estimé en droit et en devoir de ne pas baisser la tête pour honorer les morts. Il préférait leur rendre hommage la tête haute, comme eux étaient morts la tête haute.
Il n'aimait pas le peu de souvenirs qu'il gardait de cette bataille car ils n'étaient qu'un mélange confus de fureur, de peur et de souffrance, un kaléidoscope de blanc, de rouge et d'acier... à l'exception de quelques secondes très vives. Personne ne pourrait oublier le jour où on s'est résigné à mourir. Thorondil ne pouvait oublier l'instant où, aveugle et à moitié éventré, il avait attendu la mort comme la chose la plus imminente et certaine au monde. Ce jour-là il s'était vu mourir, plus rien n'aurait pu le sauver. Et comme beaucoup, il n'avait jamais pu parler de ça. C'était un monstre qui rongeait l'âme, si atroce qu'on ne pouvait que le porter seul sans pouvoir partager ce fardeau avec personne. Même entre vétérans c'était un sujet qu'on évitait, quelques échanges de regard suffisaient à faire passer le plus important. Il n'y avait même pas de moments joyeux à se souvenir qui vaillent la peine de revenir là-dessus. C'était un trou soigneusement découpé au couteau dans la frise chronologique d'une vie.
La main qu'il avait reposé sur son genoux se serra en poing. Seule Nivraya aurait pu remarquer ce détail de sa place. Elle seule aurait pu remarquer les jointures blanchies, les ongles courts qui s'enfonçaient dans la chair, les bordures de la paume rougies sous la pression et le léger tremblement du poignet. Le reste de son être n'avait pas bouger d'un millimètre, aussi figé qu'une des statues de marbre qui ornaient le palais. Son regard soutenait toujours celui de Demeson et si une ombre était passée dans les yeux de mithril, elle n'y avait dansé que peu de temps avant de disparaitre comme la flamme soufflée d'une bougie.

Alors Thorondil se contenta de répondre à l'interrogation de Demeson d'un simple mouvement de tête affirmatif avant de lever son verre de concert avec toute la tablée.

« - Aux braves... »

Si Demeson analysait Thorondil, Thorondil analysait Demeson. Si cet homme avait participé à la bataille du Nord, que c'était-il passé pour lui ? Sa façon d'en parler paraissait presque trop détaché pour le fauconnier. Il avait coutume de respecter les hommes qui s'étaient battu là-bas. Comment ne pas considérer comme des frères ceux qui ont versé comme lui le sang dans la neige, le leur comme celui de l'ennemi. Mais, aussi profond qu'il cherchait en lui, il n'arrivait pas à trouver la moindre once de respect pour cet homme. Peut-être était-ce pour le mieux, pour le bien de sa mission mais... il ne comprenait pas bien. Ô, bien sûr, tous les combattants n'étaient pas des hommes honorables, et ceux qui l'étaient ne l'étaient pas forcément resté par la suite, la preuve en était devant lui... pourtant, cette terrible bataille avait des leçons à apprendre. Comment pouvait-il avoir été assez aveugle pour les ignorer ? Alors non, même avec ce savoir, il ne pouvait pas respecter Demeson. Le noble ne semblait avoir rien sacrifié aux Terres Glacées. Alors que beaucoup avaient laissé une partie d'eux là-bas, Demeson semblait étonnamment normal... entier... en paix avec ces évènements. Et cela rendait Thalion plus suspicieux sans qu'il n'y en ait de raison logique. Il avait du mal à imaginer l'homme en face de lui, avec son sourire charmeur et ses yeux perçants, une épée à la main, luttant pour sa vie.

Le fauconnier fut ravi que Nivraya ait trouvé une excuse pour dévier le sujet. Son malaise n'avait que trop duré et il se promit de lui faire part de sa reconnaissance à l'occasion... un jour... quand il serait parvenu à lui pardonner toute cette affaire... Et il trinqua à cette nouvelle excuse.

Et puis voilà qu'arriva enfin sur la table la politique. Un sujet attendu, bien évidement. Après un début mouvementé, c'était presque un soulagement de revenir à quelque chose de plus banal, bien que hautement ennuyeux du point de vue du fauconnier. Et malheureusement, c'était à lui que Demeson posait ses questions ! A lui !... Il avait bien un avis sur la question mais il n'était pas certain que leur hôte apprécierait son point de vue de vieux loup solitaire. Et un autre impair lui serait certainement fatal au point où il en était. Mieux valait abonder dans son sens.
Demeson et Lise le regardaient avec grand intérêt. Sur le coup de la surprise et encore un peu mortifié de sa honte précédente, il tenta de répondre trop vite et commença à bafouiller. Il n'osait plus vraiment s'exprimer de peur de commettre un nouvel impair. Heureusement pour lui, la providence lui vint en aide. L'arrivée des plats du déjeuner coupa court à toute discussion autour de la table. Une profusion de mets, tous plus appétissants les uns que les autres, prit place sur la table, comblant le moindre espace disponible. Certains d'ailleurs, qu'il n'avait jamais eu l'occasion de goûter... voir dont il ne connaissait même pas le nom. Mais le fauconnier n'y prêta que peu d'attention. Il récapitulait ce qu'il devait faire passer : un avis qui conforterait Demeson sur son potentiel statut d'allié, garder sa couverture de proie facile et surtout, surtout, ne pas dire de bêtises. Surtout...
Quand l'agitation retomba, il se sentait prêt à affronter Demeson. Il prit le temps de se servir une tranche de gibier en semblant intéressé par la question.

« - C'est une question difficile que vous me posez, Messire. Et je ne sais pas si je suis le mieux placé pour discuter finance et budget d'état... Mais comme vous l'avez dit, je suis un homme d'arme, et... je suis porté à croire que la défense du territoire et de ses habitants doit être la priorité d'un royaume... »

Le dùnadan passa la langue sur ses lèvres asséchées et but une gorgée d'hydromel pour se donner un répit. Derrière son verre, il jeta à un coup d'œil à Nivraya qui, trop accaparée par son autre voisin, ne lui serait d'aucun secours. L'homme reposa son verre et reprit.

« - Que deviendrait l'Arnor si nobles ou marchands ne peuvent plus prendre la route, au risque de se faire détrousser, et si les artisans craignent de se faire dévaliser dans leur demeure... ou pire. Et si chacun devait embaucher une armée privée, des mercenaires ou une milice pour se défendre... Vous savez comme moi que certains de ces individus peuvent être aussi peu... scrupuleux que les bandits contre lesquels ils sont censé défendre leurs employeurs. Des frontières mieux gardées et des routes plus sûres seraient évidement un immense atout pour notre commerce, la paix et la prospérité de l'Arnor... Mais je le répète, je suis un homme d'arme et je serais bien incapable de vous dire si... les dépenses actuelles sont justifiées ou non. »

Il jeta un nouveau coup d'œil à Nivraya, jouant celui qui s'assurait qu'elle ne l'écoute pas remettre en cause la gestion financière du pays. Il sentait le regard de requin de Demeson glisser sur lui comme un filet d'acide. Il se racla la gorge et enchaina immédiatement, de peur de se laisser entrainer dans une autre question qu'il ne parviendrait pas à esquiver.

« - Mais je suis sûr qu'un homme tel que vous a également un avis très intéressant sur la question, Sire Demeson. Parfois un point de vue différent sur une situation peut être profitable à tout le monde. Qu'en est-il, d'après vous ? »

Esquive était facile mais ne durerait pas éternellement. Il ne faisait que se donner un sursis avant les autres questions qui ne tarderaient pas à suivre, le test était loin d'être fini. Et cela laissait aussi le temps à Nivraya de se débarrasser de son voisin trop collant pour le seconder en cas de besoin. Sous la table, il copia le mouvement qu'elle lui avait adresser, poussant le pied de la jeune femme du sien avec insistance pour l'appeler à l'aide. Et même si par ce mouvement il admettait qu'il ne pouvait pas se passer d'elle, c'était effectivement vrai. Sans la Dame de Gardelame en pleine possession de ses moyens, il risquait fort de se faire dévorer vif - métaphoriquement parlant.
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Nivraya
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Justar - Couleuvres et Pigeons EmptyMer 10 Déc 2014 - 19:25
Demeson est un fin tacticien, Nivraya doit bien l'admettre. Il a cette faculté prodigieuse de frapper exactement où cela est le plus douloureux, sans toutefois outrepasser les limites de la correction. Constamment sur la ligne rouge, il est en mesure d'obtenir tout ce qu'il désire par ce petit jeu d'équilibriste. En l'occurrence, par une simple question totalement anodine, il vient de contrarier sérieusement Thorondil, qui concentre toute son énergie pour demeurer impassible, pour se maîtriser. Il canalise sa colère dans son poing fermé, serré à s'en faire mal, que la jeune femme peut voir du fait qu'elle a la tête baissée. Discrètement, elle pose ses doigts fins sur ceux, épais et usés par la guerre du fauconnier. Un geste doux et délicat, peut-être inconvenant, mais elle n'en a que faire. Son objectif est de le raisonner, de l'aider à garder les objectifs en vue, et non pas de le laisser se disperser. Elle sait toutefois que son geste sera mal interprété. Tout comme son regard jaloux l'a été par le guerrier, qui lui a en retour dévisagée perplexe. Elle sait qu'il ne peut comprendre l'ampleur de la manipulation dans laquelle ils nagent. Lui croit patauger dans une mare, alors qu'il est en réalité au milieu d'un océan dont elle essaie tant bien que mal de le préserver. En levant les yeux, Nivraya croise le regard de Lise Demeson. Elle a capté ce mouvement imperceptible, et l'a enregistré sans attendre. La Dame de Gardelame retire sa main, une fraction de seconde avant que tout le monde ne lève la tête.

Consciente que la situation est en train de lui échapper progressivement, Nivraya doit sauver les apparences, et ne pas s'enfoncer encore davantage dans le ridicule. Car toute cette situation est absurde. Pour essayer de rattraper les erreurs de Thorondil, elle est obligée de jouer un rôle qui n'est pas le sien. Certes, le résultat à la clé peut en valoir la chandelle, mais pour l'heure elle a l'impression d'avoir perdu la maîtrise de toute les variables de ce déjeuner. Premièrement, Demeson est bien plus redoutable qu'elle aurait pu l'imaginer. Elle connaît naturellement sa réputation, mais elle doit bien admettre qu'il est un adversaire coriace, même pour elle. Sans être narcissique, elle est consciente d'être une habile politicienne. Toutefois, l'art d'avoir raison est moins celui de forcer la main de son adversaire que celui de choisir le lieu et le moment de l'affrontement. En l'occurrence, c'est son opposant du jour qui a l'avantage du terrain. Et elle, naïvement, a cru pouvoir le défier sur son territoire. Elle se laisse capturer par des conversations inintéressantes, doit partager son attention entre trop d'individus à la fois, ce qui l'empêcher d'épauler activement le fauconnier, qu'elle laisse bien malgré lui livré à lui-même. Il se trouve pourtant à moins de trente centimètres, très largement à portée d'oreille, et pourtant elle est incapable d'entendre ce qu'il dit, la faute à ce noble intarissable sur la gastronomie et la politique... deux sujets dans lesquels il a une égale maîtrise, proche du néant.

Deuxièmement, il y a le problème de Lise. Elle constitue un obstacle bien plus dangereux qu'il a semblé auparavant, et désormais qu'elle a cerné le personnage, Nivraya n'est plus aussi certaine de vouloir envoyer Thorondil au combat à sa place. Mais comment peut-elle faire autrement, alors qu'elle a déjà aligné ses pions pour la guerre ? Les retirer maintenant serait fou et vain. Elle doit jouer, et tout miser sur sa seule et unique pièce, cruellement limitée. Mais le pire dans tout ça, c'est qu'elle sait que le fauconnier est totalement imprévisible, ce qui n'est pas pour lui plaire. En la situation, il lui faudrait bien davantage un homme limité mais constant que quelqu'un qui peut à tout moment sortir une phrase parfaitement ajustée, et puis l'instant d'après ruiner totalement ses efforts par une erreur catastrophique digne d'un débutant. Face à la fille Demeson, il apparaît que ces lacunes peuvent être bien plus préjudiciables qu'il n'a semblé. Mais encore une fois, impossible de faire marche arrière.

Pendant que Nivraya cherche à se défaire de la conversation gluante dans laquelle elle est empêtrée, Demeson continue à faire la conversation à son invité d'honneur, qu'il cherche à connaître avec tout le naturel du monde. Parler politique est toujours un excellent moyen de se rendre compte de la personnalité d'un individu, même si sa question est motivée par une réelle curiosité. Après tout, savoir ce que pensent les hommes qui chaque jour défendent le royaume, l'épée à la main, est d'un intérêt certain. Il plisse les yeux, et se penche en avant, écoutant avec une attention soutenue les propos du fauconnier dont l'esprit paraît chercher les mots adéquats à prononcer. Sa réponse est parfaitement mesurée, tout à fait ce qu'a attendu le noble.

Après tout, il apparaît clairement qu'un soldat va avoir envie de protéger les frontières de son royaume, et réclamer davantage de moyens pour en assurer la sécurité intérieure contre les bandits, les maraudeurs et autres pillards. Une autre opinion de sa part aurait été inattendue, pour ne pas dire suspecte. Mais alors qu'il est sur le point de relancer Thorondil sur le sujet, c'est le fauconnier qui l'interpelle avec une certaine audace. Il annonce clairement qu'il veut donner le change, et ne pas montrer qu'il est tout à fait mené dans cette conversation. Cependant, c'est un jeu dangereux auquel il joue, car autant parler devant un homme de la trempe de Demeson est risqué, autant lui donner l'opportunité de s'exprimer est clairement folie. Un individu dont le seul pouvoir repose sur son potentiel de conviction... comment ne pas se méfier d'un tel serpent ? Se redressant, comme pour retrouver une attitude de Sénateur, leur hôte répond avec un sourire affable :

- Je suis tout à fait d'accord avec vous, maître Thorondil... Tout à fait ! Comme vous, je pense que l'on ne fait pas assez pour la sécurité du royaume.

Il vient habilement de retourner la conversation, et met dans la bouche de Thorondil des propos qui n'ont jamais été tenus :

- Je pense que Sa Majesté n'est pas assez consciente des risques qu'encourt notre royaume, vous avez raison. J'ai entendu cent histoires à propos d'attaques de brigands, qui viennent, pillent les récoltes, et vont même jusqu'à tuer. Combien de fois ai-je entendu parler de marchands volés, arrivant à Annùminas sans le sou et sans marchandises ? La politique intérieure devrait être notre priorité, vous êtes dans le vrai... Après tout, ne sommes-nous pas des Arnoriens avant tout ?

Sa question rhétorique reçoit une vague d'assentiment de la part des quelques nobles qui suivent la conversation avec beaucoup d'attention. A l'exception notable de Lise. Certes, elle écoute son père, mais elle se garde bien d'abonder dans son sens sur ce point. Au lieu de quoi, elle jette un regard à Thorondil, qui ne peut rien dire face à la verve de son interlocuteur, et qui est contraint d'avaler des couleuvres, de voir ses propos déformés, soigneusement réorientés, pour leur donner un sens nouveau. Demeson poursuit, parfaitement à l'aise :

- Vous avez peut-être entendu parler de moi concernant mes positions vis-à-vis du mariage de Sa Majesté, maître Thorondil. Je suppose qu'on vous a dit que j'étais un conservateur aigri, un homme de l'ancien temps, un vieux guerrier réactionnaire...

Grâce à une maîtrise exceptionnelle, son regard ne glisse pas un seul instant vers Nivraya, et il se contente de fixer intensément le fauconnier, s'adressant à lui seul, cherchant à le convaincre du bien fondé de sa position. On lit dans ses yeux une pointe de défi, comme pour dire à Thorondil : "je sais ce que vous pensez". Il enchaîne, stupéfiant de sincérité :

- La vérité est toute autre, maître. Le fait est que j'aime mon Roi, et que j'aime ma nouvelle Reine tout autant. Cependant, je crois que l'Arnor dispense ses ressources de manière trop généreuse. Notre pays a durement souffert de la guerre, des maléfices de l'Ordre de la Couronne de Fer, et de cet hiver atroce. Une union avec Dale est un véritable miracle, pour nous comme pour nos frères Dalites.

Mais pourquoi célébrer en grande pompe ce mariage au Gondor, quand tant des nôtres souffrent chaque jour chez nous ? Pourquoi ne pas célébrer ces épousailles à Annùminas, amener à nous les marchands de toute la Terre du Milieu, et faire profiter notre peuple de ces festivités ? Cela aurait été l'occasion de sécuriser nos routes, de garder nos frontières, et nous aurions récupéré en taxes ce que nous aurions dépensé. Je ne peux que déplorer de voir notre royaume privé de ce qui lui revient de droit...


Il interrompt sa tirade brutalement, comme saisi par l'émotion, et ses voisins acquiescent volontairement, certains allant même jusqu'à se fendre d'un commentaire plus ou moins agressif, regrettant de voir l'Arnor être traité comme la dernière roue du carrosse. Son propos fantastique est saisissant de vérité, et il est difficile d'aller à l'encontre d'une telle logique. Il est vrai que dans l'histoire, ce sont les habitants du grand royaume du Nord qui se retrouvent privés de leur roi, privés d'un mariage qui aurait dû être le leur. Car eux aussi ont subi une grande tragédie, et des pertes douloureuses. Au lieu de quoi, on accepte d'inviter des hommes de l'Est, du Sud, ces mêmes individus qui ont fait la guerre aux Peuples Libres, qui ont attaque l'émirat du Harondor. La volonté de promouvoir la paix est compréhensible, mais la vision de Demeson se tient parfaitement, et se défend tout autant.

- Mais pourquoi n'aborderions-nous pas un autre sujet, maître ? J'ai cru comprendre que vous étiez un dresseur de faucons exceptionnel ! Je suis moi-même chasseur à mes heures, et je voulais savoir si vous aviez quelques secrets à me confier pour...

Repartant sur un ton léger, Demeson réussit à atténuer l'impact brutal de ses paroles sur ses invités. Il est certain qu'il a gagné le cœur de beaucoup de ses convives, et à tout le moins qu'il a réussi à faire bouger quelques lignes chez les plus réticents. Même Thorondil ne paraît plus aussi sûr de lui, aussi convaincu de ce qu'il est juste ou non de croire. Fort heureusement, la conversation dérive sur des sujets plus anodins, qui plaisent davantage aux nobles. La chasse, puis le mariage, les invités, et même si l'on évite soigneusement de parler de la guerre au Sud et des indésirables orientaux, on mentionne ses voyages, ses expériences, et chacun y va de ses découvertes. Après être parti sur un rythme soutenu, le dîner voit la pression retomber brusquement, et le maître fauconnier peut souffler un peu. Nivraya à ses côtés lui jette de temps en temps un regard inquiet, mais il ne paraît pas en danger imminent. Elle sait qu'elle a raté la bataille, et elle voit bien dans son attitude qu'il a été ébranlé. Toutefois, il paraît encore tenir sur ses pieds.

Elle même est embarquée dans une discussion fort inintéressante sur son passé. Elle s'arrange pour en dire le moins possible, comme d'habitude, et feint de s'intéresser sincèrement à ce que les autres ont à dire pour détourner la conversation sur des sujets moins gênants. Heureusement que ses interlocuteurs sont profondément stupides et narcissiques, sans quoi elle aurait eu fort à faire pour échapper à tant de regards l'observant sans sourciller. Toutefois, ceux-là sont ici pour obtenir des faveurs. Avoir Demeson et l'épouse de Justar De Gardelame à la même table est une opportunité rêvée pour eux, qui souhaitent s'élever dans les hautes sphères, gagner de l'influence, obtenir des privilèges et des titres. Politiciens, ils font de la politique sans vergogne, feignant de ne pas voir les manœuvres des uns et des autres, jouant à qui sourit le plus, qui ment avec le plus d'effronterie. Ainsi, Nivraya se voit inondée de compliments tous plus gentils les uns que les autres, alors qu'elle est persuadée qu'au fond ils la détestent cordialement. Elle leur répond donc de la même manière, cachant son mépris derrière des phrases délicieuses, et des attentions particulières.

Les heures défilent, aussi lentement que sur un champ de bataille réel, où les épées s'entrechoquent, où les cadavres tombent, remplacés par de nouveaux guerriers féroces. Ici point d'épées, mais des mots tout aussi acérés. Ici point de cadavres, mais des chausse-trappes rhétoriques que l'on évite en permanence, que l'on transperce d'un mensonge lumineux, d'une réponse clairement sibylline, pour mieux se retourner vers la suivante. C'est un jeu d'esquives, une danse permanente pour ne pas poser le pied dans les nids de poule qui paraissent se creuser d'eux-mêmes. Physiquement, les gestes demeurent contrôlés, mais mentalement c'est une véritable gymnastique, qui donne mal à la tête à qui n'est pas habitué à ce genre de joutes, ou à qui a trop peu dormi pour endurer impassiblement toutes les estocades. Thorondil dans la première catégorie, et Nivraya dans la seconde, commencent clairement à fatiguer, et leurs réflexes s'émoussent. Comme deux héros perdus au milieu d'une masse grouillante d'ennemis, sentant leurs forces les abandonner, ils se rapprochent l'un de l'autre, se jettent des regards de plus en plus fréquents, comme pour se dire adieu avant de sombrer dans les ténèbres éternelles. Soudainement, alors que tout semble perdu pour eux deux, alors qu'ils sont sur le point de mourir submergés sous un déluge de traits d'une létale précision, Demeson se fend d'un rire peu discret, et lance :

- Ah, maître Thorondil, je crois que toutes les bouteilles sont vides ! Venez donc m'aider à en chercher de nouvelles ! J'ai pour conviction qu'on connaît un homme au vin qu'il choisit ! Allons allons, ne soyez pas timide, venez donc !

Demeson se lève, assuré sur ses deux jambes en dépit de la quantité d'alcool qu'il a avalée. Qu'ils ont tous avalés, en vérité. A coups de toasts, de verres resservis, ils ont déjà dans le sang une quantité d'alcool suffisante pour les rendre joyeux, et il est évident que beaucoup sont déjà allés au-delà de la limite qui leur permet de garder le contrôle de leur langue. Ils parlent, parlent, et révèlent des choses qui ne devraient pas forcément l'être. Des choses gênantes, naturellement, car ils n'ont pas encore atteint le point où ils font des confidences indiscrètes. L'hôte des lieux examine attentive Thorondil, pour voir dans quelle mesure il est atteint par l'ivresse, avant de lui demander de le suivre jusque dans la cave. C'est une belle cave, bien ordonnée, avec un certain nombre de belles bouteilles. Il y a des millésimes hors de prix, mais Demeson ne semble pas être rebuté par le coût de son repas, et il examine d'un œil appréciateur un vin du Sud tout à fait raffiné. Pendant que le fauconnier observe les rangées, bien gêné par l'obscurité, le politicien lui demande avec une soudaineté peu commune :

- Il y a quelque chose entre vous et Nivraya ?

Sa question posée, il se délecte de la réaction de Thorondil, avant de revenir à la charge :

- J'ai bien vu la façon dont elle vous regardait, mon ami. Les gestes qu'elle a à votre intention... Je la connais depuis un moment maintenant, j'ai eu l'occasion de la voir en public plusieurs fois, à des dîners, des bals. Elle ne s'est jamais comportée comme ça. Avec personne. Pas même avec son mari, c'est vous dire. Elle vous dévore du regard, elle a vraiment l'air... très amoureuse de vous. Vous n'avez jamais rien remarqué ?

Un sourire amusé s'affiche sur le visage de Demeson, qui paraît relativement ravi d'avoir percé à jour le secret de Nivraya, et d'avoir réussi à mettre mal à l'aise Thorondil. Est-ce l'alcool ou bien la sincérité de son hôte qui pousse le fauconnier à ne pas chasser immédiatement cette pensée de son esprit ? Toujours est-il que le politicien reprend, sur un ton toujours très doux :

- J'espère que vous n'avez pas fait ce compliment à ma petite Lise simplement pour rendre Nivraya jalouse, maître... Ma fille... je l'aime plus que tout au monde. C'est ma seule raison de vivre. C'est une bonne personne, sensible et attentionnée. Je la connais bien, et je suis persuadé qu'elle n'est pas restée insensible à vos paroles. Comprenez, de la part d'un homme tel que vous, c'est très flatteur.

Il a un sourire de père. Un sourire de pure fierté envers sa progéniture, teinté de nostalgie. Un sourire qui dit : "déjà, ma chère petite est en âge d'attirer le regard des vétérans ?". Un sourire de regret aussi, de devoir la laisser filer entre les mains d'un autre que lui, de devoir laisser son trésor le plus précieux s'envoler et vivre sa vie. Demeson, dans cette atmosphère intimiste, a laissé tomber le masque de l'hôte assuré et incroyablement à l'aise, pour révéler une facette plus sensible, plus humaine. Il reprend, bien aidé en cela par l'alcool qui l'aide à surmonter le chagrin que l'on entend pointer dans sa voix :

- Je ne veux pas paraître impoli, maître. Je suis juste un père un peu protecteur. Comprenez... Je n'ai rien à part elle. J'ai perdu mes parents il y a longtemps. Et lors de la Grande Bataille du Nord, j'ai vu tomber un cousin, et mon frère aîné. Ma femme est décédée il y a quelques années, emportée par une fièvre. Lise en a été bouleversée, et elle a grandi très vite après ça. Je voudrais simplement qu'elle ait un bon mariage, une belle vie. C'est pour cela que je la laisse choisir, et que je ne lui impose aucun parti. Si elle s'intéresse à vous, je ne m'y opposerai pas, maître. Toutefois, vous êtes beaucoup plus âgé, et je voudrais avoir l'assurance que ce n'est pas simplement un jeu pour vous. On m'a dit que vous étiez un homme d'honneur... pouvez-vous me promettre sur l'honneur que vous ne jouerez pas avec le cœur de ma fille ?

Son regard ne cille pas, et dévisage Thorondil du regard, en quête de son acceptation formelle. Un engagement solennel, une promesse sur l'honneur. Peut-être l'épreuve la plus insurmontable jusqu'à présent. En effet, Demeson n'a plus l'air aussi retors et sournois qu'auparavant. Il est simplement un père, dans tout ce que ce mot représente. Il pourrait être habillé en boucher, en boulanger, en artisan, ou bien en Roi, il conserverait le même regard paternel, prêt à tout pour le bonheur de sa fille unique, mais à la fois incapable de la laisser s'éloigner de lui sans avoir de solides garanties qu'il ne lui arrivera rien. Sa main tendue, pleine de confiance, ne voit encore en Thorondil qu'un vaillant guerrier, homme de parole, dénué d'intentions malveillantes.

Au moment où les deux hommes remontent, Nivraya est absorbée dans une conversation politique avec ses voisins. Pour une fois, elle semble vraiment y prendre une certaine forme de plaisir, alors qu'ils sont à l'écouter leur détailler les actions du Roi pour maintenir la paix dans le royaume. Elle leur explique ce qui est attendu d'eux, leur contribution en termes financiers essentiellement, avant de leur expliquer quel bénéfice il pourront tirer d'une participation active à la nouvelle politique royale. Elle n'est pas dupe, et sait très bien qu'ils vont tirer la couverture de leur côté, mais elle est obligée de prétendre que ces rétributions sont des cadeaux du Roi, et non pas des formes de corruption qui ne devraient même pas exister. En tant que nobles d'Arnor, ils devraient marcher comme un seul homme derrière leur monarque, lui obéir en toutes choses, et comprendre que le destin de leur royaume dépasse très largement celui de leur misérable existence. Elle lève la tête en entendant le bruit de leurs pas, et dévisage longuement Thorondil, avec une pointe d'inquiétude. Le savoir si longtemps avec Demeson ne l'a pas rassurée, mais c'est surtout le regard qu'il lui lance en retour qui la rend perplexe. Peut-être parce qu'elle n'arrive pas à déchiffrer ses émotions, pour une fois. Il a l'air confus, et elle l'est tout autant en plongeant dans ses yeux.

Demeson retrouve sa place, et avant de s'asseoir pose délicatement une main sur l'épaule de Lise, qui le regarde avec un sourire radieux et lumineux. Ses yeux pétillent de ravissement, et elle se tourne vers le fauconnier, qui n'est pas encore assis. Profitant de ce qu'il est encore un peu hésitant quant à la marche à suivre, elle se lève et d'une voix assurée lui lance :

- Je suis lasse, maître, et j'aimerais m'allonger. Cependant, oserais-je vous demander de marcher avec moi ? Je pense que père se sentirait davantage en sécurité si je rentrais à vos côtés.

Ses yeux se font implorants. Devant toute la salle, elle vient de découvrir son jeu, et d'admettre qu'elle est quelque part intéressée par ce nouveau prétendant. Il n'y a rien de sérieux ou de définitif à cela, naturellement, mais le message est fort, surtout de la part d'une aussi jeune femme, devant tant d'hommes. Elle a fait preuve d'un grand courage pour s'adresser à lui ainsi, et elle attend patiemment qu'il prenne une décision. Nivraya, moins patiente, ne lui laisse aucun choix, et lui fait les gros yeux pour qu'il accepte sans tarder. C'est une chance inespérée, une occasion en or de se rapprocher de Lise Demeson, de la séduire pour ensuite lui extorquer toutes les informations possibles concernant son père. Il faut naturellement procéder avec tact, mais leur temps est compté, et ils doivent se dépêcher de faire en sorte de trouver quelque chose de compromettant pour faire tomber le noble d'Arnor. De toute évidence, il comprend, car il accepte l'invitation et s'empresse de récupérer ses effets avant de raccompagner galamment la jeune femme. Nivraya le suit du regard jusqu'à ce qu'il quitte l'établissement. En revenant à Demeson, la lueur qu'elle capte dans ses yeux ne lui dit rien qui vaille. Ce n'est pas une lueur de défi, mais bien une lueur triomphante. A croire qu'il a déjà gagné.


~~~~


Lise, accrochée au bras de Thorondil, se blottit contre lui pour se protéger du froid. Ils n'y ont pas prêté attention, mais leur repas s'est éternisé entre les histoires, les différents plats, les vins et les rires. Ils n'ont pas vu les heures passer, et il fait désormais presque nuit dans la Cité Blanche, où règne une atmosphère particulière. Il y a des senteurs de toutes parts, du pain chaud, de la viande braisée, mais aussi des épices et des parfums. On entend des rires ici ou là, le claquement des bottes des gardes qui patrouillent inlassablement dans les rues, mais également les appels des vendeurs essayant d'attirer quelques clients. Lise s'émerveille devant ce qu'elle ne connaît pas, et ne peut pas s'empêcher de s'approcher des vendeurs pour caresser du regard les objets qui lui plaisent. Curieusement, il ne s'agit pas exclusivement de bijoux et de soieries comme on pourrait le croire. Elle s'attarde un instant devant des livres anciens, et parcourt quelques pages en laissant ses doigts fins glisser sur le grain du parchemin. Elle s'arrête longuement devant un vendeur d'animaux, en regardant des oiseaux colorés, venus des lointaines contrées du Sud. Elle donne quelque nourriture exotique à un petit singe qui la regarde tendrement. Et toujours, elle garde le sourire, particulièrement quand elle se retourne vers Thorondil. Sans cesse, elle lui demande de lui expliquer ce qu'elle ne connaît pas, l'écoutant avec attention quand il connaît la réponse, lui pardonnant quand il l'ignore.

Puis, alors qu'ils s'éloignent des marchands pour arriver vers les portes encombrées de la ville, elle profite de ce qu'ils sont enfermés dans la foule pour souffler :

- Ce que vous avez dit tout à l'heure à mon sujet, maître Thorondil... C'était vraiment charmant, j'ai été très touchée. Excusez-moi d'avoir ri, mais j'étais si émue que je n'ai pas su trouver de remerciements à la hauteur d'un pareil compliment. D'ordinaire, on ne me regarde pas à table, et on s'abstient de me parler quand mon père y prend garde. Je voulais vous remercier, pour votre sincérité. Merci.

Sa voix est splendide, cristalline, et incroyablement pure. Il est possible de l'écouter parler toute la journée, de se laisser bercer par la douce musique de ses intonations chantantes. Elle garde le silence un moment, un petit sourire accroché à ses lèvres, alors qu'elle regarde les gens autour d'elle. On dirait une princesse enfermée dans une tour d'ivoire découvrant le monde pour la première fois. Il est possible qu'elle n'ait pas le temps de visiter les lieux, et qu'elle demeure dans un cercle protégé, à Annùminas. Auquel cas, cette plongée dans le monde est une véritable nouveauté et une merveille pour elle. Elle ne peut s'empêcher de se retourner devant des tenues venues d'ailleurs, de tendre l'oreille en entendant des gens parler une autre langue. Elle finit par demander, non sans une certaine crainte :

- Dame De Gardelame est une très belle femme, ne trouvez-vous pas ? Et elle a si bien réussi ! Je crois que je l'envie. Pensez-vous que je pourrais être comme elle un jour ?

Sa question en dit davantage qu'elle ne veut bien l'admettre, et ses yeux demeurent braqués sur Thorondil, alors qu'elle attend sa réponse, pleine d'espoir.
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Thorondil
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Justar - Couleuvres et Pigeons EmptyMer 31 Déc 2014 - 17:15
[Voilà ENFIN ma réponse, j'espère ne pas avoir laissé trop de fautes, c'est un peu compliqué à mettre en page et corriger sur la tablette. Encore désolée d'avoir trainé, ma résolution du 1er janvier sera de ne plus te faire attendre mes rèp' si longtemps  Very Happy ]

La mâchoire de Thorondil manqua de peu de se décrocher en entendant Demeson retourner ses propos contre lui, lui prêtant des paroles qu’il se serait bien gardé de prononcer, extrapolant à l’extrême ses dires. Plus que la colère c’était la surprise qui paralysa le fauconnier. Quelque part dans son cerveau, une petite voix soufflait des appels au secours comme une litanie sans fin. Quelle chance avait-il de se sortir indemne de cet interminable cauchemar ? Il commençait réellement à regretter d’avoir alloué la parole à ce serpent. Mais comment aurait-il pu se douter de l’horrible méprise qu’il était en train de faire alors !
Il luttait pour ne pas laisser un atroce rictus déformer ses traits, il se contenta de pincer les lèvres en attendant que l’orage passe. Les limites de sa patience s’en trouvaient usées de minutes en minutes. Pour être honnête, le fauconnier ne savait plus bien s’il parviendrait à tenir encore longtemps avant de renverser la table et sortir d’un pas de taureau enragé. Une insupportable pression étirait chaque centimètre cube de son être, brûlant, bousculant tout sur son passage, parodiant dans son esprit ce qu’il aimerait tant mettre en pratique dans la réalité. Et seule la parole implicite qu’il avait donnée à Nivraya et le devoir l’empêchaient de mettre ses pensées à exécution.
Le plus douloureux fut de ne rien pouvoir répliquer, l’obligeant à se battre contre sa propre nature et ses propres convictions comme jamais encore il n’en avait eu besoin. Il gardait les mâchoires serrées, hermétiquement close pour prévenir toute rébellion. Tant bien même, Thalion doutait que Demeson ne lui laisse seulement l’occasion de s’exprimer, lancé dans son monologue passionné.
Thorondil sentait sur lui le regard de Lise. Malgré la tempête de colère qui ravageait son esprit, il se demandait ce qu’elle pouvait bien penser à cet instant. Quel genre d’esprit pouvait bien se cacher derrière ce beau visage et ces yeux pétillants d’intelligence ?  L’innocence de la jeunesse ou la sournoiserie de son père ? Impossible à dire… elle paraissait tellement plus sincère… Sur ces entre-faits, le dùnadan se fit violence pour se concentrer de nouveau sur les paroles de leur insupportable hôte.

Cependant, il demeura très dérouté par l’analyse que Demeson faisait du mariage royal, parce qu'il fallait l’avouer, il n’avait pas tout à fait tord… L’organisation en avait été sérieusement compliquée autant du point de vue logistique que militaire, sans compter, comme l’avait si bien démontré Demeson, les pertes économiques réelles pour l’Arnor. Alors le fauconnier décida de garder cette analyse dans son esprit pour y réfléchir à tête reposée. Comparer avec le portrait que lui en avait dressé Nivraya ne serait pas un mal. Les paroles du noble enflammèrent l’assemblée, chacun y allant de son argumentation ou de son commentaire dans la plus parfaite anarchie, plus désireux de faire valoir leurs propres avis plutôt que d’être réellement entendu. Aucun débat, juste un brouhaha impossible qui tapait derrière les nerfs optiques du pauvre fauconnier.  

Finalement, après son discours enflammé, Demeson décida de couper court au sujet. Pour ne pas laisser à quiconque l’occasion de répliquer ou simplement pour faire oublier l’excès de ses paroles, il ne saurait dire. Mais ravi de passer sur un terrain plus stable sur lequel il était le maître, Thorondil ne se fit pas prier pour prodiguer ses conseils et débattre de l’affaitage des oiseaux de proie pour la chasse. Il trouva d’ailleurs un public étonnamment attentif et réceptif à ses propos, parmi ses voisins de table à porter de voix. La fauconnerie était aussi un loisir de noble après tout. Son analyse du dressage "à l’elfique" et ses adaptations par les dunedain semblait passionner son auditoire malgré quelques moues septiques, d’aussi surprenant qu’il le pensait.

Ce fut malheureusement un répit bien trop court avant de repasser naturellement, d’un sujet à un autre, sur des discussions au mieux ennuyantes, au pire déplaisantes. Et plus le repas s’étirait en longueur avec ses innombrables plats et ses services à n’en plus finir, plus le Fauconnier du Roi fatiguait. Dans son crâne, il sentait poindre les prémices d’une nouvelle migraine sous les jacasseries incessantes de ses voisins. Il échangeait parfois quelques paroles banales avec Nivraya, mais c’était surtout des regards, pratiquement des appels au secours, qu’il lui jetait de plus en plus souvent. Il voulait qu’elle le sorte de là. La comédie avait assez durée, il était épuisé, n’en pouvait plus et, encore moins rassurant, il avait l’impression qu’il en était de même pour sa complice.
Toutes ces futilités sur le mariage, la taille et la valeur des cadeaux d’untel ou d’untel, le commerce dont il n’avait cure… Le rire de son voisin de gauche ressemblait à s’y méprendre au couinement d’un chaton passé sous les roues d’un chariot et son voisin en diagonal avait un accent pédant qui lui donnait envie de lui arracher la langue avec la pointe de sa fourchette en argent… Un supplice. Le moindre détail devenait source d’irritation.
Thorondil commençait à compter les minutes qui s’égrainaient si lentement, et le repas semblait durer des heures et des heures encore. Se voir demander son opinion sur des sujets totalement dépourvus d’intérêt ou de pertinence... Même cette profusion de nourriture commençait à l’indisposer, lui qui restait un habitué, malgré son nouveau statut, aux repas simples et légers. Se voir toujours resservir par quelques empressés… Et l’alcool, à profusion, ne tarderait pas à lui monter à la tête. Heureusement pour lui, c'était un vieil ami et il parvenait à garder l’esprit, à défaut de vif, relativement clair.

Ce fut ce moment que choisit Demeson pour l’inviter à choisir personnellement les prochaines bouteilles de vin qui allaient être servies à la table… Lui ? Choisir du vin ? Il était si peu connaisseur qu’il aurait bien peine à reconnaître un vin d’Arnor à un vin d’Ithilien ! Si c’était là la façon qu’avait l’homme d’en juger un autre, il risquait d’être déçu ! Mais Demeson insista si lourdement qu’il n’eut d’autre choix que d’accepter s’il ne voulait paraître totalement impoli. Un nouvel échange de regard avec Nivraya lui indiqua clairement son inquiétude de le savoir seul et à la merci de son adversaire. Mais il n’avait pas le choix…
Le fauconnier se leva un peu vite et sentit sa tête lui tourner. Une grande inspiration chassa les brumes de l’alcool et il suivit finalement leur hôte dans les profondeurs de la cave.

La pièce était sombre, simplement illuminée de la lumière faible et tremblotante de quelques bougies qui se reflétait et dansait sur le verre des innombrables bouteilles de toutes formes et de toutes provenances qui s’entassaient là, soigneusement rangées, classées et alignées. Les étiquettes étaient calligraphiées avec soin et les breuvages les plus précieux avaient été mis à part, en évidence mais protégés des chocs par un empilage astucieux. Malgré cela, l'éclairage incertain rendait l’inspection du fauconnier très difficile pour ses pauvres yeux abimés. C’est à peine s’il pouvait lire la provenance des bouteilles sur les petits écriteaux qui ornaient les casiers. Certaines, cependant, étaient si cher que Thorondil doutait de pouvoir un jour y tremper les lèvres… et à son humble avis, cela aurait été gâcher que de lui donner à goûter de si grands crus à lui qui n’en avait aucun goût particulier. Un vin n’était guère plus qu’un vin à son palais peu expérimenté.
Il tentait de déchiffrer une étiquette, les yeux plissés de concentration quand Demeson l’interrogea brusquement sur sa relation avec Nivraya. Pris de court et fatigué, la surprise passée, son premier réflexe fut de rire… très brièvement avant de comprendre que son hôte était mortellement sérieux et qu’il ne s’agissait visiblement pas d’une mauvaise plaisanterie. Sur le coup, il tenta de faire passer son rire avorté pour une quinte de toux peu convaincante qui n’avait sans doute pas fait illusion face à Demeson. Nivraya et lui ? Etait-ce vraiment ce que les gens pensaient ? Nivraya, amoureuse de lui ? C’était la chose la plus ridicule et la plus effrayante qu’il lui avait été donnée d’entendre en ce jour ! Certes, il y avait de quoi être flatté d’attirer l’attention d’une femme aussi belle et puissante… Mais sérieusement ?!... Pourtant l’argumentation de Demeson et son expression de pure sincérité, voir de fierté d’avoir découvert un vilain petit secret sur la Dame de Gardelame, firent douter le fauconnier. C’était impossible… n’est-ce pas ? Et puis il avait déjà joué avec le feu avec une femme fiancée, et pour ce que ça lui avait rapporté, il n’allait pas chasser parmi les femmes mariées ! Mais il devait bien s’avouer qu’il n’était pas particulièrement doué lorsqu’il était affaire de sentiments, et percer à jour ceux des personnes qui l’entouraient était un exercice dans lequel il excellait peu… Mais il ne serait quand même pas passé à côté de quelque chose d’aussi énorme quand même ?! Un bref moment, il repensa à la farce qu’elle lui avait joué la veille, au baiser qu’ils avaient faillit échanger, à la main qui apaisait la sienne pendant le déjeuner… Non ! Non, non, non ! Tout cela était ridicule ! Aucun sens !

« - Messire Demeson, je puis vous assurer qu’il n’y a absolument rien entre la Dame de Gardelame et moi qui puisse s’apparenter à ce que vous décrivez ! Je ne nourris aucune intention de ce genre envers elle. Les Valar m’en préservent, tant bien même ne serait-elle pas mariée ! »

Son ton était catégorique, partagé entre une forte conviction, l’horreur que la simple idée lui inspirait et malgré tout un certain amusement face à cette absurdité. Le tout à peine simulé tant son affirmation sortait du fond du cœur.

« - Vous ne pouvez sérieusement envisager que… »

Finalement il ne rajouta rien, préférant chasser le sujet du revers de la main. Il avait déjà bien tant à penser pour ne pas se torturer l’esprit avec les hypothèses bancales d’un noble un peu ivre et quelque peu sournois.

Cela ne l’empêcha pas d’écouter le long discours sur la famille et les devoirs de père que Demeson lui servait et qui était un sujet qu’il ne connaissait que trop. Il pouvait comprendre, il était père lui aussi. Et les réticences qu’il avait exposées la veille à Nivraya revenaient au galop au fur et à mesure que l’homme plaidait pour sa fille. Que pouvait-il dire face à ça ? Cette plaidoirie pourrait aussi bien être celle du fauconnier d’ici plusieurs années… Il était facile de s’identifier à cette inquiétude légitime. Il semblait tellement sincère et confiant. Et après tout Thorondil n’avait que la parole de Nivraya pour étayer son jugement. Et Demeson ne lui semblait plus si diabolique désormais. L’alcool était trop présent dans les veines du fauconnier pour qu’il puisse s’attarder sur ce qu’il y avait au-delà des apparences, et il commençait à douter du bien fondé de toute cette histoire. La Couronne de Fer. Ce simple mot dans son esprit suffisait encore à ne pas permettre à sa volonté de vaciller définitivement, mais il doutait… réellement… sa gorge était serrée et le malaise courrait sous sa peau.
Et quand Demeson voulu lui faire jurer sur l’honneur de ne pas blesser sa fille, une poigne de fer se referma sur la poitrine du fauconnier avec la puissance d’un troll de guerre. Il était piégé et malgré la situation, son instinct lui hurlait de reculer. L’honneur, le bien le plus précieux d’un guerrier, d’un homme à vrai dire, qui ne se mettait en gage qu’avec la certitude absolue de pouvoir tenir sa parole. Un homme sans parole ne vaut rien, un homme qui retire sa promesse ou œuvre contre ses vœux n’est digne d’aucune confiance ni d’aucune reconnaissance. Comment pourrait-il encore regarder son reflet s’il faisait une parole  dont il savait dès le début qu’il était voué à trahir de son propre chef et de ses propres forces. Thorondil passa la langue sur ses lèvres asséchées. Il avait peu de temps pour trouver un moyen de s’extraire de cette désagréable situation et il espérait que sa lenteur à répondre soit mise sur le compte du vin et de l’hydromel – ce qui n’était d’ailleurs pas totalement faux.

« - Mon compliment envers votre fille était sincère, soyez-en assuré… Je vous jure… sur mon honneur… qu'il n'est pas dans mon intention de jouer avec le cœur de votre fille ! »

Pour conclure le pacte, il serra la main de Demeson. Déjà il le regrettait. Il n’avait dit que la vérité, il n’était pas dans ses intentions de briser le cœur de la jeune demoiselle, même si c’était visiblement la seule issue de ce carnage… Et il ne jouait pas, vraiment pas… Mais cette demi-vérité ne suffisait pas à apaiser sa culpabilité et sa mauvaise conscience. Et la confiance que Demeson semblait avoir en sa parole lui retournait l’estomac, lui donnant l’impression de poignarder l’homme dans le dos. Il avait beau ne pas l'aimer, et là-dessus son jugement était définitif, il ne pouvait que le comprendre à cet instant précis. Et ce n’était pas tant trahir la confiance de cet homme qui le mettait mal à l’aise que trahir sa parole et blesser une innocente par le même biais.

Demeson sembla très satisfait de leur accord et, choisissant finalement seul quelques bouteilles, partit retrouver ses convives. Derrière lui suivait Thorondil, une drôle d’expression sur le visage. Son crâne était envahi d’une tornade de pensées en désordre qui se battaient et désorganisait tout. Le doute et la certitude étaient au coude à coude. Son instinct de père et sa confiance en Nivraya forcée par le destin  se faisaient face dans le plus parfait chaos. Et l’homme ne savait plus que penser, ni à quoi se raccrocher. La jeune femme lui jeta un étrange regard dans lequel il pouvait aisément lire l’inquiétude mais il ne lui renvoya en retour qu’une œillade orageuse, amère, incertaine et pleine de rancœur qu’elle sembla avoir du mal à interpréter… Qu’importe ! Il aurait deux mots à lui dire quand ils seraient enfin seuls. Un peu plus que deux mots même !
Il allait reprendre mollement sa place à table mais à peine eut-il tiré sa chaise que la jeune Lise interrompit son geste de sa voix claire.

- Je suis lasse, maître, et j'aimerais m'allonger. Cependant, oserais-je vous demander de marcher avec moi ? Je pense que père se sentirait davantage en sécurité si je rentrais à vos côtés.

Thorondil papillonna des paupières, comprenant légèrement à retardement qu’elle s’adressait à lui. Surpris, il tenta de reprendre contenance, se redressa et, après avoir intercepté au passage le regard insistant de sa complice, acquiesça et fit le tour de la table pour présenter son bras à la jeune fille. Juste avant de tourner le dos, il jeta un coup d’œil de confirmation à Demeson. Il avait déjà vexé leur hôte une première fois, inutile de réitérer… et il n’était pas plus sûr de lui malgré la conversation dans la cave, bien au contraire. Le noble ne sembla rien trouver à redire et, après avoir récupérer ses effets et ceux de la jeune femme à qui il offrit galamment son manteau, ils sortirent. Thalion sentit dans son dos darder les regards perçants que des dizaines d'invités lui adressèrent jusqu'à ce qu'ils aient passé la porte.


La nuit était tombée autour d’eux. L’effroyable longueur du repas n’avait donc pas été qu’illusion. Le fauconnier serra brièvement les dents en songeant qu’il avait loupé l’occasion de passer l’après-midi auprès de sa fille. La frustration et la colère balayèrent son cœur avant de refluer, chassées pour un temps par son devoir.
A dire vrai, Thalion ne savait trop que faire à présent. Cela faisait très longtemps qu’il n’avait pas eut ce genre d’interaction avec une femme et sa situation compliquait encore plus les choses. Heureusement pour lui, la jeune Lise était une demoiselle pleine d’entrain et de joie de vivre, et la suivre dans ses explorations s’avéra finalement fort plaisant. Elle était même parvenu à lui faire oublier ses maux de tête. Mais cette admiration enfantine qu’elle avait pour tout ce qui l’entourait lui compliquait la tâche. Tantôt il arrivait à voir en elle une jeune femme en âge de fonder une famille, belle et de bonne compagnie, le rêve de beaucoup d’hommes sans doute. Tantôt il voyait l’enfant, trop jeune, trop innocente, trop semblable finalement à sa propre fille.
Il s’efforça malgré tout d’être attentionné, s’amusait de ses excès d’enthousiasme et se plaisait à répondre comme il le pouvait à ses innombrables questions, partageant un peu de sa vision du monde et des choses pour satisfaire son insatiable curiosité. Et plus il passait de temps près d’elle, plus la culpabilité lui tordait le ventre. Que resterait-il de cette joie de vivre après le si mauvais coup qu’ils étaient en train de lui jouer avec la Dame de Gardelame.

Chemin faisant, ils finirent par arriver aux portes de la ville. La foule s’y entassait comme si tout le monde avait eu la même idée qu’eux au même moment. Un sentiment bien connu d’oppression assaillit Thorondil au milieu de tous ces visages inconnus empressés de retrouver leurs tentes ou leurs roulottes. Ce fut ce moment que choisi la jeune fille pour s’adresser à lui sur un sujet qu’elle avait sans doute dû réserver à cette étape de leur circuit.

- Ce que vous avez dit tout à l'heure à mon sujet, maître Thorondil... C'était vraiment charmant, j'ai été très touchée. Excusez-moi d'avoir ri, mais j'étais si émue que je n'ai pas su trouver de remerciements à la hauteur d'un pareil compliment. D'ordinaire, on ne me regarde pas à table, et on s'abstient de me parler quand mon père y prend garde. Je voulais vous remercier, pour votre sincérité. Merci.

Le fauconnier lutta furieusement contre le rouge qui lui montait aux joues. Cette reconnaissance inattendue le prit totalement au dépourvu. Il dû s’y reprendre à deux fois avant de réussir à répondre, la première tentative s’étant soldé par une expression de truite sortie de l’eau. Il s’éclaircit la gorge pour étouffer un rire nerveux. Il passa une main dans sa nuque pour tenter de camoufler cette étrange timidité qui le prenait soudain.

« - Hum… Au contraire, il n’y a rien à excuser. Votre charmant rire m’a sauvé d’une situation bien désagréable... et de la colère, justifiée je crois, de votre père. Mes manières ont visiblement fait une impression mitigées, je suis heureux que vous n’ayez pas pris ombrage de ma… brusquerie ?... spontanéité ? »

Il passa un temps, puis Lise reprit :

- Dame De Gardelame est une très belle femme, ne trouvez-vous pas ? Et elle a si bien réussi ! Je crois que je l'envie. Pensez-vous que je pourrais être comme elle un jour ?

Cette fois ce fut une toux frénétique que Thalion dû étouffer. Mais qu’est-ce qu’ils avaient tous avec Nivraya ?!! Il ne pouvait pas faire un pas sans que l’ombre de cette femme ne le poursuive ?! Après un long soupire de réflexion, il reprit la parole, choisissant ses mots avec soin pour ne pas trop en dire de sa pensée, exercice de plus en plus pesant.

« - Je ne lui ferais pas affront en prétendre le contraire, Nivraya de Gardelame est d’une grande beauté… mais sachez que vous n’avez rien à lui envier, bien au contraire. »

Le sourire qu’il arbora était sincère mais il aurait pu adresser le même à sa propre fille.

« - Vous m’avez l’air d’être une demoiselle intelligente et vive d’esprit, et si tel est votre souhait je ne doutes pas un seul instant de votre réussite. Quant à être comme elle… N’y voyez aucun affront si j’ose dire que je préfèrerai que vous y parveniez en restant vous-même. »

Sur ses mots il lui offrit un rapide baisemain avant de se laisser emporter par le flot de la foule qui se déversait de la porte, libéré de l’entonnoir formé par la rue et les maisons à l’intérieur de la Cité Blanche. Sitôt passé, tout le monde s’éparpilla dans les champs de Pelenor pour y rejoindre ses proches ou ses biens.
Les mots et les gestes du fauconnier étaient étrangement spontanés et venaient naturellement comme inspirés par la demoiselle. Il se demandait si c’était dû au fait qu’il arrivait à allier ses deux visions de la fille Demeson en prenant ce qu’il y avait de meilleure en chacune : la jeune fille et la femme. Peut-être était-ce que qui avait abaissé le mur de méfiance qu’il avait habillement dressé entre lui et les femmes ? Ou alors était-ce simplement dû à son charme naturel et si rafraichissant. Impossible de le dire, même pour lui… surtout pour lui.

Ils se dirigèrent finalement vers les quartiers des nobles, Lise toujours à son bras. Il serait sans doute bien trop téméraire de s’inviter dans la tente des Demeson à cette heure de la journée et seul avec la jeune fille. Il ne tenait pas à devoir l’épouser sur le champ pour conduite déshonorante, il n’avait pas besoin de problèmes supplémentaires. Mais déjà il mémorisait le chemin et l’emplacement des différents gardes au fur et à mesure qu’ils prenaient la direction de leur logement provisoire.
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Justar - Couleuvres et Pigeons EmptyLun 19 Jan 2015 - 23:28
Sorry pour le gros retard !

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La gêne incroyable que l'on peut lire dans l'attitude de Thorondil tire un rire cristallin à Lise, qu'elle laisse échapper sans restriction. Elle rit comme un enfant dispensée des tourments des adultes, comme une jeune femme fraîche et libérée des carcans familiaux et des obligations de la société noble dans laquelle elle a été élevée. Au milieu de cette foule, elle se sent protégée, anonyme, en droit de se laisser aller à des démonstrations d'humeur qui d'ordinaire lui valent les reproches de ses précepteurs, ou un regard quelque peu contrarié de la part de son cher père. Certes, il ne se met jamais vraiment en colère contre elle, mais il lui arrive d'éprouver un peu de chagrin, que sa fille pleine d'empathie ne sait faire durer très longtemps. Elle s'empresse alors de changer d'attitude pour correspondre aux désirs de son unique parent, consciente qu'il est désormais de son devoir d'assumer l'honneur de la famille.

La voir ainsi naturelle est donc un véritable bonheur, et il apparaît que cet état de fait déteint progressivement sur Thorondil, qui en profite pour lancer quelques compliments supplémentaires à la jolie jeune femme qui se trouve devant lui. Peut-être n'y fait-il guère attention, mais Lise Demeson n'en perd pas une miette, et elle l'écoute avec une grande attention. Son « charmant rire » ? Ses fards discrets et délicats ne suffisent pas à dissimuler le rose qui vient colorer ses joues, et elle détourne le regard sans avoir à simuler de gêne, cette fois. Etre ainsi complimentée par un homme tel que Thorondil, qui passe pour être plus habile sur le champ de bataille qu'avec les êtres humains, est un honneur dont elle n'aurait pu rêver. Elle le rassure du geste, craignant qu'il s'arrête et qu'il retrouve la réserve qui sied normalement aux hommes d'Arnor parlant à une jeune femme qu'ils ne courtisent pas officiellement :

- Sire, vous n'avez rien à vous reprocher. Ni brusquerie, ni spontanéité !

Ce disant, elle s'est approchée de lui, et a posé la main sur son bras. Elle n'y a pas réfléchi véritablement, emportée par ses propres émotions, mais le geste est parfaitement clair. Jamais elle n'aurait touché ainsi un homme qui lui serait indifférent, c'est certain. Elle se reprend bien rapidement, craignant de se montrer trop entreprenante et trop libre, ce qui est considéré comme une tare pour une femme d'Arnor :

- Excusez-moi… Je veux dire… Vous êtes un homme charmant et galant, Sire. Contrairement à d'autres, qui portent un masque et qui ne complimentent qu'avec la tête, vous parlez avec le cœur, et cela vous honore. Cela m'honore également…

Elle lève les yeux vers lui, car il lui rend quelques dizaines de centimètres. Comment ne pas succomber devant ce visage splendide et si plein de candeur ? Elle lui lance un sourire ravissant, qu'elle espère rassurant et encourageant. A dire vrai, elle n'a pas envie qu'il arrête de lui parler franchement. Et même si elle n'ose pas se l'avouer vraiment, elle n'a pas envie qu'il arrête de la complimenter. Elle n'a guère l'habitude d'être engagée dans une conversation aussi agréable, et si on lui adresse parfois des mots gentils, il s'agit surtout de politesses d'usage sans saveur et sans personnalité. Des mots répétés, appris méthodiquement par de petits nobliaux désireux de faire bonne impression, de faire un sans-faute au concours des perroquets les plus savants organisé par son père. Ils défilent comme des coqs, bombent le torse, font mille courbettes, et prononcent mille mots doux qu'elle oublie aussitôt. Elle n'éprouve qu'un ennui distingué pour ceux-là, consciente qu'elle recherche bien plus un homme sage et honnête, sincère et bon, qui saura voir en elle bien davantage que la fille de Demeson et sa dot conséquente, mais bien Lise, avec ses qualités et ses défauts.

Curieusement, elle a l'impression que Thorondil est de ces hommes. En dépit de la différence d'âge qui les sépare, elle perçoit un intérêt qui n'est pas seulement financier, ni même physique. Il ne la lorgne pas comme certains de ces vieux pervers qui regardent les jeunes et jolies filles comme des morceaux de viande sur lesquels ils peuvent mettre le grappin. Il n'est pas non plus de ces hommes qui la courtisent mais chez lesquels elle voit, au fond de leurs yeux, une peur sans nom. Ils sont effrayés par elle, par son nom, par la puissance de son père et par les risques qu'ils encourent s'ils lui déplaisent. Alors, elle doit faire attention à ne pas se montrer trop cassante ou trop distante, sous peine de bouleverser des familles entières, et d'attirer encore mille pardons, mille baisemains et mille cadeaux d'excuse. Avec le vétéran, cependant, elle n'a pas besoin de surveiller chacun de ses faits et gestes, elle ne craint pas qu'il la mette mal à l'aise par des actes déplacés. C'est un véritable gentilhomme, un noble cœur comme on n'en trouve plus que rarement de par le monde. C'est peut-être pour cela qu'elle éprouve un attachement particulier vis-à-vis de ce vieux guerrier. En effet, elle voit plus que son physique meurtri par les lames et les griffes de ses ennemis. Elle ne s'arrête pas à ses cicatrices, ni même à ses yeux particuliers qu'elle devine blessés et que certains pourraient trouver repoussants. Elle ne s'arrête pas même à son nom et au prestige qui y est désormais attaché, depuis ses actions héroïques. Elle voit davantage la pureté de cette âme solitaire, sombre et rude en surface, mais claire et douce au fond. C'est vers cela qu'elle tend, désireuse d'apporter du réconfort à un homme qu'elle sent mal à l'aise dans cet environnement terriblement étranger, qu'elle sent blessé par la vie et quelque part, comme elle, perdu. Et c'est avec une certaine satisfaction qu'elle constate que Thorondil paraît se libérer peu à peu à ses côtés. Ses compliments se font de plus en plus personnels, et elle les accepte avec un sourire délicieux. Elle a l'impression d'apprivoiser un animal sauvage et timide, qui peu à peu lui offre des marques d'affection qui l'encouragent à continuer. Elle répond d'une voix calme :

- Sire, je ne sais que dire… Je suis troublée… Les remerciements les plus fleuris ne sauraient exprimer mon émotion en cet instant.

En retour de son baisemain, elle lui offre une élégante révérence, pleine de grâce et de charme. Il n'y a pas un seul de ses gestes qui ne soit emprunt de beauté, pour ne pas dire de perfection. Elle allie une éducation impeccable avec un naturel rare, ce qui donne un résultat des plus adorables. Le moindre de ses sourires est une bénédiction, ses regards émerveillés sont autant de rayons de soleil dans le cœur d'un homme. Poursuivant leur route, ils quittent la majestueuse Cité Blanche, laissant derrière eux l'agitation de la foule, ses rires et ses chants, pour retrouver un peu plus de calme. Les tentes qui se dressent autour de Minas Tirith sont l'occasion de croiser des gens du peuple comme Lise n'en a jamais vus.

Partout, elle peut voir des artistes, des jongleurs, des cracheurs de feu, des acrobates qui s'entraînent ou donnent des représentations en échange de quelques pièces. Elle ne peut s'empêcher de tendre le cou, et de les regarder quelques secondes, donnant même quelques applaudissements parfois. Thorondil et elle flânent en chemin, laissant leurs pas les guider machinalement vers les tentes les plus grandes, qui sont attribuées aux nobles. La délégation d'Arnor se trouve non loin, et ils pénètrent au sein d'un cercle de gardes qui les dévisagent longuement, sans pour autant rien leur dire. Ils connaissent très certainement de vue les deux individus, et ils ne sont pas désireux de créer un incident auprès de personnages aussi éminents.

Lise, pensive, lève le nez au ciel, et observe un instant les nuages. Il ne fait pas encore nuit, et elle n'a guère envie de se séparer de Thorondil avec qui, en définitive, elle n'a pas eu le temps de vraiment discuter. Elle sent au fond d'elle-même que leurs obligations respectives les rappelleront bientôt à d'autres devoirs, et qu'ils doivent profiter de chaque seconde, de chaque instant de paix pour apprendre à mieux se connaître. Aussi, alors qu'elle perçoit qu'il est hésitant quant à la marche à suivre, prend-elle courageusement les devants et lui propose-t-elle de l'accompagner à l'intérieur :

- Nous pourrions prendre un thé, Sire. Je… Mon père vous a laissé me raccompagner, je suis certaine qu'il ne trouvera rien à redire à ce que je vous remercie en vous offrant une boisson chaude. Et puis, je ne crois pas qu'il rentrera avant longtemps, il m'a dit avoir des choses importantes à régler.

Elle parle de tout ceci sans réserve, faisant immodérément confiance à Thorondil. Elle le voit comme un preux chevalier, un homme d'honneur à qui elle peut tout dire, car il est du côté du Bien, tout comme son père. Sa candeur n'est certainement pas simulée – car il est impossible de jouer si parfaitement l'innocence et la douceur, sans qu'à aucun moment un quelconque signe vienne trahir qu'il ne s'agit pas d'une expression naturelle -, et on ne peut pas affirmer le moins du monde qu'elle sait quelque chose des manigances de Demeson. Pourtant, Nivraya a suggéré que toutes les filles de bonne famille connaissent les secrets de leur père quand elles sont proches de lui. Est-il possible que la femme aux yeux verts se soit trompée ? Quand le héros d'Annùminas a finalement pris une décision, non sans avoir pesé le pour et le contre, elle le fait entrer dans la tente majestueuse de la famille, qui est décorée avec un goût rare. Au centre de la pièce, se trouve un lit à baldaquins que doit occuper Demeson en personne. Il est situé tout au centre, de sorte à ne pas se trouver exposé à un éventuel assassin qui n'aurait qu'à découper un pan de toile pour commettre un meurtre politique. Un lit plus modeste est situé à quelques mètres de là, en retrait par rapport à l'entrée. C'est là que doit dormir Lise. Il est coupé à la vue des visiteurs par un voile blanc translucide mais pas transparent, qui offre un peu d'intimité à la jeune fille. Un grand miroir est disposé sur la gauche, près d'une malle à vêtements contenant des tuniques masculines. Elles sont classées par couleur, pliées avec le plus grand soin, et elles doivent faire l'objet d'un traitement spécial par les serviteurs du chef de famille. Les biens de Lise, quant à eux, se trouvent près de son lit, face à un miroir un peu plus petit, qui doit lui servir à se faire coiffer et à se faire maquiller le matin. Sur la droite en entrant, on trouve une table assez large, autour de laquelle Demeson reçoit très probablement certains de ses invités particuliers. Il y a la place pour déployer des cartes et des plans, et quelques entailles dans le grain du bois indiquent qu'on a sans doute déjà utilisé le meuble à cet effet.

- Ce n'est pas vraiment une table de salon, cela vous dérange-t-il ?

Elle invite du geste Thorondil à prendre place sur la lourde chaise de bois, bien éloignée des fauteuils confortables des châteaux d'Arnor. Paradoxalement, ils conviennent peut-être mieux au passé de soldat du militaire, davantage habitué aux conditions de vie difficiles. Lise se met en quête d'un serviteur, à qui elle demande d'une voix tranquille de leur préparer une bouilloire de thé, et de faire apporter deux tasses. L'homme au regard insistant jette un coup d'œil à l'intérieur, et fait la moue en apercevant Thorondil. De toute évidence, il ne l'apprécie déjà pas. Parce qu'il le connaît, ou parce qu'il lui est insupportable de voir la jeune femme en présence d'un vétéran ? Impossible de le dire avec certitude. Il s'éclipse toutefois, obéissant, et Lise revient s'asseoir face au guerrier avec un sourire léger. Dans la relative intimité que leur offre ces pans de toile richement décorés, elle semble légèrement moins à l'aise que dans la rue, en public, quand bien même elle est paradoxalement plus en droit de parler librement au guerrier. Un silence gênant s'installe quelques secondes, avant qu'elle finisse par le rompre en abordant un sujet totalement anodin :

- Avez-vous eu l'occasion de parler à la Reine, Sire ? Je n'ai été en sa présence que quelques minutes à peine, mais j'ai l'impression qu'elle sera une bonne souveraine pour l'Arnor. Elle me semble juste et valeureuse. Qu'en dites-vous ?

Une telle opinion de la part d'une femme est quelque peu surprenante. Non pas que les femmes n'aient pas d'opinion en général, naturellement, mais il est particulièrement rare de les voir s'exprimer sur des sujets politiques, là où elles peuvent tout aussi bien parler des tendances vestimentaires et de l'apparât. Or, au lieu de se contenter de décrire avec force détails la robe de sa nouvelle souveraine, Lise s'est employée à produire une analyse aussi audacieuse que pertinente. De toute évidence, elle n'a pas l'habitude d'évoquer pareilles questions en présence d'un étranger, et elle semble quelque peu gênée. Elle attend de voir sa réaction, de lire dans ses yeux de la surprise ou de la crainte – car il est notoire que les hommes craignent les femmes qui pensent -, à moins que ce soit tout simplement du dégoût. Elle serre les pans de sa robe, sous la table, et attend patiemment qu'il réponse favorablement au signe qu'elle lui envoie, ou qu'il quitte la tente pour ne plus jamais la revoir. Au fond d'elle-même, elle sait que s'il reste, s'il accepte d'engager la conversation avec elle, c'est qu'il est peut-être bien qu'il est fait pour elle, et que ce sentiment est réciproque… Car après tout, quelle autre raison aurait-il de s'intéresser à une jeune fille comme elle ?
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Thorondil
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Justar - Couleuvres et Pigeons EmptyVen 6 Mar 2015 - 1:11
[Bon le deuxième essai devrait être le bon, mon Internet a pas planté de la journée. J'espère que le texte ne sera pas trop décousu depuis le temps que j'y travaille par bribes au gré de ma connection. Vraiment désolée pour tout ce retard, j'espère que je n'aurais plus à t'obliger à patienter aussi longtemps =S ]

Il était trop vieux pour ces conneries ! Certes il n'avait pas même atteint les 40 ans et, pour un dùnadan, il était encore loin de la vieillesse... mais les petits jeux de Nivraya l'avaient fait vieillir de 10 ans en une seule journée.
Malgré ça, ce qui l'inquiétait le plus était finalement qu'il se voyait apprécier de plus en plus la compagnie de la fille de Demeson, malgré ses rancœurs envers les femmes, malgré ses préjugés et malgré les recommandations de la Dame de Gardelame. Voir l'admiration , la candeur et une joie simple et parfaite dans ce regard innocent pourrait faire fondre un cœur de pierre. Quant à recevoir des compliments sur sa personne qui n'avaient aucun rapport avec ses qualités martiales, cette confiance qu'elle lui accordait et les cours des évènement... comment rester indifférent ? Et après l'horrible voltige émotionnelle qu'il avait dû endurer durant le repas de Demeson, tout cela était comme un baume apaisant sur une peau brûlée.

Les gens qui l'appréciaient réellement étaient rares. La plupart étaient des membres de sa famille. Il était respecté pour ses capacités et sa loyauté, craint parfois pour ses colère et ses accès d'humeur, admirés depuis les évènement d'Annùminas aussi... Mais ils étaient nombreux à ne pas l'aimer en temps que personne, sans doute à raison, à cause de son caractère lunatique et ses emportements.  Ses cicatrices lui attiraient plus souvent des regards curieux, dégoûtés ou plein d'une pitié de circonstance.... Alors cette demoiselle qui se plaisait à lui rendre compliment pour compliment, c'était quelque chose de nouveau. Une petite voix au fond de son crâne lui chuchotait qu'il était bon de découvrir qu'il pouvait encore plaire malgré ses blessures, malgré lui, et même malgré ce masque de plus en plus lourd qu'il devait porter. Cela éveillait une étrange satisfaction venu des tréfonds de sa poitrine, comme un petit feu réconfortant dans une plaine balayée par des vents glacés.

Thorondil regrettait sincèrement de ne pas l'avoir rencontrée dans d'autres circonstances, où il n'aurait pas eu à lui faire cette cour qui ne lui ressemblait tellement pas, prisonnier d'un jeu, d'une illusion qui n'était pas lui. Elle serait peut-être malgré tout parvenue à briser la coquille qui le protégeait de toute approche et le réconcilier avec son genre. Il n'aurait pas eu à se débattre avec lui-même et aurait sans doute pu apprécier toute la valeur de cette compagnie... Malheureusement ce n'était pas le cas. Lise était l'agneau sur l'autel de Nivraya, et lui était destiné à être le couteau qui lui trancherait la gorge. Tout cela pour réparer les erreurs de son père... Et l'injustice de toute cette mascarade le frappa de nouveau. Quel gâchis !

Ils traversèrent avec lenteur les groupes de troubadours, de jongleurs, de dresseurs et d'illusionnistes qui faisaient leurs numéros au milieux des tentes contre quelques piécettes. Les deux nobles ménageaient parfois des arrêts pour écouter une chanson de geste vieille de deux âges ou admirer les tours de forces de quelques acrobates talentueux. Thalion dénoua même les cordons de sa bourse pour récompenser ceux qui avaient reçu des applaudissement de la part de sa jeune compagne, si bien que certains n'hésitaient pas à rivaliser d'imagination pour plaire à la demoiselle le temps de son passage. Et, s'il avait été vraiment honnête avec lui-même, Thorondil aurait compris que cette dépense était moins une machination pour son personnage que pour le simple plaisir qu'il avait de voir Lise sourire et rayonner.
Mais quand il passèrent le cercle des gardes, le dùnadan ne put se retenir de foudroyer du regard ceux qui le fixaient avec un peu trop d'insistance. Il n'aimait pas être dévisager de la sorte et le faisait bien savoir, déversant au passage sur ces pauvres hommes la frustration et l'énervement qui le rongeait depuis le début de la journée. C'était puéril de sa part mais il n'était plus à quelques considérations près.

Et finalement il ne savait plus qui, du soulagement ou de la déception avait la plus grande part quand ils arrivèrent en vu de leur destination. Pourtant il n'avait qu'une envie, retourner parmi les siens, se délester de ses vêtements bien trop chics qui lui irritait la gorge, embrasser sa fille et dormir assez longtemps pour oublier tout de cette grotesque comédie, jusqu'au lendemain où il avait bien l'intention d'aller exposer le fond de sa pensée à Nivraya sur son opinion concernant ses plans "géniaux" ! d'un autre côté, il regrettait de ne pas avoir eu plus de temps pour profiter de la compagnie rafraichissante de la fille Demeson. Cette dernière réflexion silencieuse l'étonna lui-même et il espérait que la claque mentale qu'il venait de s'infliger lui remettrait les idées en place.

- Nous pourrions prendre un thé, Sire. Je… Mon père vous a laissé me raccompagner, je suis certaine qu'il ne trouvera rien à redire à ce que je vous remercie en vous offrant une boisson chaude. Et puis, je ne crois pas qu'il rentrera avant longtemps, il m'a dit avoir des choses importantes à régler.

La proposition le prit totalement au dépourvu. Elle le sortit brusquement de ses ruminations et il lui fallut un moment avant de mettre un sens sur les mots et encore plus à comprendre ce qu'ils impliquaient.

« - Heu... Je... »

Il marmonna encore quelques mots inintelligibles, passant une main à l'arrière de sa nuque, le regard baissé, les sourcils froncés, dans l'indécision la plus totale. Il n'arrivait pas à se décider sur sa chance. C'était soit un coup du destin inespéré pour le salut de sa mission soit la pire des mauvaises idées qu'il allait être contraint d'assumer. Il mit un tel temps à se décider que la jeune fille sembla sur le point de revenir sur son invitation, sans doute de peur d'avoir outrepassé les limites. Finalement il acquiesça, et advienne que pourra.

« - Heu... Oui... J'imagine... Si vous êtes certaine que votre père n'y verrait rien à redire... » il se racla la gorge et reprit d'une voix plus sûre « j'accepterais avec plaisir votre invitation, Mademoiselle. » finit-il par dire en inclinant légèrement la tête.

Et alors qu'il passait les pans de la tente à la suite de la jeune fille, il se demandait si elle pouvait deviner à quel points les "choses importantes à régler" de son père allait ruiner sa vie et tous ces espoirs d'avenir. Elle semblait si innocente, pauvre enfant...
Un coup d'œil panoramique dans la grande pièce lui permit d'avoir une idée précise des lieux. Contrairement à celles d'Aratan et des siens qui se contentait du pratique et de l'indispensable pour voyager - pratiquement trop spartiates pour des nobles -, la tente des Demeson était ostentatoirement décorée avec richesse. Cependant, cela était fait avec beaucoup de goût, même du point de vue d'un homme qui y attachait si peu d'importance comme Thorondil. De quoi impressionner les visiteurs à n'en pas douter.
N'osant pas s'aventurer plus avant dans un espace aussi privé, le fauconnier resta debout près de la table, effleurant de ses doigts le bois entaillé. Puis finalement, à l'invitation de la jeune fille, prit un siège. Sa question le fit rire. Un vrai rire qui roula dans sa poitrine comme ce grondement de tonnerre si particulier qu'on entend avant que l'orage n'éclate. Le rire ne dura pas mais il était sincère. Cela sonnait tellement décalé de s'inquiéter qu'un  vieux guerrier endurci puisse s'offenser de ne pas être installé à une table de salon digne de ce nom, lui qui avait passé les deux tiers de sa vie entre les bivouacs inconfortables et les auberges plus ou moins miteuses.

« - Veuillez m'excuser. N'y voyez aucune moquerie, c'est... juste... rare que quelqu'un se soucie de ce que je pense du mobilier. »

Mais sa bonne humeur mourut avec le regard insistant et inquisiteur du serviteur que Lise fit appeler pour les servir. Les deux hommes se jaugèrent. Clairement, l'homme ne l'appréciait guère et, comme à son habitude, Thalion était bien décidé à lui rendre la pareil. Le coin de sa lèvre tressaillit dans un rictus de fauve menaçant l'espace de l'instant que dura l'échange.
Mais dès le moment où Lise s'installa en face de lui, simplement seuls tous les deux en tête à tête, le maître fauconnier ne trouva plus rien à dire au point qu'un silence mal à l'aise commença à planer autour d'eux.
Ce fut finalement la jeune fille qui, encore une fois, rompit le silence.

- Avez-vous eu l'occasion de parler à la Reine, Sire ? Je n'ai été en sa présence que quelques minutes à peine, mais j'ai l'impression qu'elle sera une bonne souveraine pour l'Arnor. Elle me semble juste et valeureuse. Qu'en dites-vous ?

Soulagé de ne pas rester dans cette gêne pesante, Thorondil se détendit un peu. le côté politique de la question l'aurait habituellement fait tiqué, mais il ne sentait pas d'arrière-pensée dans la question. Et, bien qu'il n'était le mieux placer pour juger du caractère d'une personne ou de tout ce qui s'approchait de près ou de loin aux compétence sociales, il s'attela à répondre aussi honnêtement que possible. Pour autant qu'il en avait vu - c'est-à-dire bien peu - sa nouvelle reine avait toutes les qualités qu'on aurait pu espérer et, une fois n'était pas coutume, lui avait fait bonne impression. Peut-être ce sentiment était-il dû à l'attitude de la jeune mariée face à la famille de Kervras. Sans doute.
Et c'est la curiosité qui se lisait dans ses yeux gris. Il était rare que les filles de la noblesse se permettent ce genre de discussions sérieuses face à un inconnu. L'Arnor n'aimait pas vraiment les femmes trop intelligentes, Nivraya en était le parfait exemple. Et, plus évident, malgré ses avis pertinents et réfléchis, Sigil, la propre belle-sœur du fauconnier, avait mit des mois avant d'oser faire valoir son opinion face à Aratan tant son propre père l'avait éduquée et bridée dans sa condition inférieur de femme... au point d'en vexer le seigneur de Kervras, qui avait fini par croire qu'il terrorisait sa belle-fille... Et pourtant, Lise semblait aborder le sujet avec une certaine appréhension. Thorondil en vint même à se demander si ce n'était pas une sorte de test, pas comme ceux, fourbe, de Demeson père, non, plutôt une sorte d'interrogation sur les limites de la misogynie du fauconnier. Thalion ne craignait pas les femmes intelligentes, il les trouvait simplement trop rares, perles parmi le commun banal des discussions sans intérêt. Mais il savait aussi que ce n'est pas l'intelligence qu'il faut craindre, mais les motivations au service duquel on la mettait. Raison pour laquelle il craignait bien plus Nivraya que cette jeune demoiselle candide qui lui faisait face.

« - Et bien...non, je n'en ai pas eu la possibilité. Je ne l'ai aperçu pour la première fois au mariage et mes devoirs ne m'ont pas permis de me trouver en sa présence en d'autres occasions. Comme vous pouvez vous en douter, mon travail de Maître Fauconnier me cantonne aux extérieurs, ce qui n'est pas le cas du couple royal... Avec cette chaleur, qui les blâmerait de préférer rester au frais dans le palais... Mais, pour le peu que j'en sais : notre Reine est fille de roi, elle a été élevée pour un jour épouser un homme puissant. Elle est intelligente, bien éduquée et semble avoir bon cœur. Je ne peux qu'espérer qu'elle sera une bonne souveraine, généreuse, sage et équitable dont notre pays a grand besoin... Et notre Roi aussi, j'imagine. »

... Si le Roi et elle pouvaient former un couple harmonieux. Thorondil était bien placé pour savoir qu'on approchait pas facilement un homme brisé, alors en épouser un... Il lui souhaitait bien du courage, d'une certaine façon, pour coexister avec un homme qui avait autant perdu et souffert qu'Aldarion. Enfin, ce n'était pas ses affaires, il laissait les affaires privés aux concernés et la politique à qui de droit, très peu pour lui.

Il furent interrompu par le serviteur venu leur porter le thé, laissant de nouveau retomber le silence.
La lumière commençait à baisser, et dans la tente, Thorondil commençait à peiner à distinguer les détails. Il ne pourrait rien tirer de cet endroit. Pas de précieux documents compromettants comme l'avait espérer la dame de Gardelame et tant bien même, il aurait bien du mal à les lire maintenant. Tandis que ses pensées s'attardaient sur cet échec, sa main descendit à sa ceinture, se portant naturellement à son flanc et caressant le blason brodé qui s'y trouvait, là où aurait dû reposer son épée. Le poids réconfortant de l'acier à son côté lui manquait horriblement, comme si on l'avait dépossédé d'un bras ou d'un poumon. Ne trouvant aucun apaisement dans cette présence, il remonta le bras jusqu'à ce que ses doigts se referme sur le médaillon qui trônait sur sa poitrine, dissimulé sous sa tunique.

Le fauconnier parcouru de nouveau la pièce du regard, cherchant un moyen de relancer la conversation et ne pas rentrer complètement bredouille auprès de Nivraya. Il ne pourrait pas supporter qu'elle lui fasse la morale sur les dangers que courait le roi ou pire, qu'elle lui reproche de s'être laisser attendrir. Et s'il voulait lui reprocher tout ce qu'il avait sur le cœur, il n'avait pas l'intention de se faire coiffer au poteau à ce jeu-là. Et à quoi bon trainer et faire durer plus que de raison cette comédie alors qu'au fond, il savait dès le début qu'aussi charmante que soit cette Lise, toute cette histoire finirait mal. Autant s'épargner un supplément de remords et faire le travail au plus vite.
Il passa sa langue sur ses lèvres asséchées, sembla réfléchir, se pencha légèrement en avant et reprit :

« - Pardonnez-moi si vous trouvez mon propos déplacé mais... je m'étonnes. Votre père ne vous a-t-il pas affecté de garde rapprochée ?... Je veux dire, dans ce genre de rassemblement, tout le monde court après les nobles influents ou riches comme votre père ou le mien. Des hommes parfois louches qui n'hésitent pas à se présenter devant les tentes pour obtenir une entrevue, pour ce que j'ai pu en constater... Du genre que je n'aimerai pas voir approcher de ma famille. » il affichait une mine légèrement inquiète, les sourcils interrogateurs « Rassurez-moi, aucun de ces sinistres individus ne vous aura importuné à votre porte, j'espère ? »

Il espérait surtout que son approche était assez subtil, l'air concerné sans être inquisiteur. En faisant passer son interrogation pour l'inquiétude légitime d'un gentleman, il comptait sur l'intuition féminine de la brave Lise pour en apprendre un peu plus sur les visiteurs que Demeson ne préférait pas rencontrer en ville. Les femmes avait cet instinct de reconnaitre les comploteurs sans vraiment le savoir, souvent sous la forme d'une mauvaise impression... quoi que lui-même, à son plus grand dégoût, pouvait être qualifié de comploteur vu son rôle actuel. il préférait ne pas trop y penser. Pour adoucir son interrogation et ne pas paraitre trop pressant, il préféra se rétracter tout en laissant à la demoiselle la possibilité de répondre malgré tout, sous forme de confidence pour apaiser ses craintes. Et cela horrifia encore plus Thorondil de constater qu'au bout d'une journée de bain politique, il commençait à prendre les réflexes écœurants de ces gens qui le répugnaient.

« - Veuillez m'excuser, je n'aurais pas dû vous parler de ça. Je n'avais pas l'intention de vous effrayer ou de paraitre indiscret... Je suis sûr que votre père ne vous laisserait pas sans protection, il tient énormément à vous. »
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Nivraya
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Justar - Couleuvres et Pigeons EmptyMar 10 Mar 2015 - 23:51
Suspendue aux lèvres de Thorondil, Lise en sursaute presque lorsque le thé leur est porté par le serviteur, dont elle ne capte aucunement le regard peu amène qu'il jette en passant au vétéran. Elle le remercie d'un élégant geste de la tête, et d'un sourire plein de sincérité, qui laisse le temps au fauconnier de se recomposer une mine affable. Jusqu'à présent, elle n'a pas remarqué la légère tension entre les deux hommes, tant elle paraît absorbée par la présence de son invité. Elle le dévisage avec une certaine curiosité, se demandant intérieurement d'où viennent toutes ces cicatrices, quelle est l'histoire de chacune d'entre elles. Combien de veuves et d'orphelins a-t-il sauvés en acceptant de recevoir ces coups ? Combien de cités d'Arnor et d'ailleurs ont pu rester en paix grâce à son extraordinaire sacrifice ? Elle a entendu dire, d'après les histoires que l'on murmure dans les cercles féminins, qu'il est l'un de ceux qui a permis au Roi Aldarion de retrouver son trône. Maintenant qu'elle l'a en face d'elle, elle l'imagine dressé fièrement sur un destrier aux armes royales, traversant les rues en chassant devant lui les sombres sbires de l'Ordre de la Couronne de Fer. Sa bravoure et son audace apportant la liberté au peuple, et la crainte chez l'ennemi. Elle manque de lâcher un soupir d'admiration, et se retient juste assez pour ne pas se rendre ridicule.

Allons bon, la voilà qui est en train de tomber amoureuse d'un homme qu'elle vient juste de rencontrer. Elle a déjà eu des prétendants, plus jeunes, plus beaux, plus riches, mais jamais aucun n'a réussi à faire naître en elle de telles émotions. En voyant ce vétéran abîmé par la vie, elle sent un besoin instinctif de le protéger, de le laisser se reposer sur son épaule et d'endosser avec lui le poids des fardeaux qu'il s'acharne à porter seul. Dans sa poitrine, elle sent son cœur être serré dans un étau terrible, de doute et de peur. Et s'il ne l'aime pas ? Et s'il la trouve trop jeune ? Et s'il se rit simplement de sa bêtise ? Ces questions tournent inlassablement dans son esprit, et la tiraillent. Mais pourtant, il est bel et bien là, en face d'elle… Elle n'a qu'à tendre le bras pour toucher le sien, étier ses doigts pour poser la main sur la sienne, se pencher en avant pour coller son front contre le sien. Elle sent pulser son aura impressionnante, qui paraît faire vibrer l'air autour d'eux. Elle perçoit le calme impérial qui émane de lui, la sérénité absolue du guerrier qui a déjà vu mille tourments. L'admiration sans bornes qu'elle lui voue se lit facilement dans son regard candide, en dépit de tous ses efforts pour la dissimuler. Après avoir laissé le serviteur s'éloigner, elle répond d'une voix un peu gênée :

- Je l'espère aussi… Je pense que la jeunesse de notre Reine peut être un atout pour l'aider à apaiser notre Roi.

Elle échange un très bref regard avec Thorondil, consciente de ce qu'elle vient de dire. Elle ignore s'il comprendra précisément où elle veut en venir, et ne laisse pas le temps à ses yeux d'exprimer une réponse. Au lieu de quoi, elle préfère détourner la tête un instant, comme si elle avait entendu un bruit amusant au dehors. Elle reprend :

- Quoi qu'il en soit, je suis persuadée qu'elle fera une souveraine tout à fait digne, et je veux croire qu'elle apportera la joie au peuple d'Arnor. Ne dit-on pas des gens de Dale qu'ils sont cultivés et amusants ?

Lise perçoit le malaise qui s'empare de Thorondil, simple reflet de celui qu'elle éprouve en cet instant. Il lui paraît qu'ils sont tous deux à la recherche d'un sujet de conversation, mais que leurs cœurs souhaitent dire tout autre chose. Elle préfère ne même pas fantasmer sur ce que le fauconnier peut bien ressentir en cet instant, consciente qu'elle se fait peut-être des illusions. Après tout, elle est rêveuse et idéaliste, et son père l'a souvent mise en garde contre la confiance qu'elle accorde trop facilement aux gens. Mais comment peut-elle ne pas se reposer sur Thorondil de Kervras, le héros d'Annùminas, vétéran de nombreuses batailles que le Roi lui-même a reconnu comme un fidèle ? Si Sa Majesté Aldarion a foi en lui, qui est-elle pour mettre en doute le jugement éclairé de son souverain ?

C'est lui qui finalement relance la conversation, en amenant sur la table le sujet de sa sécurité. Elle sourit timidement, flattée par l'intérêt qu'il porte à sa personne. Ce sont naturellement des considérations tout à fait militaires, et sans doute une déformation professionnelles, mais il amène le sujet avec tant de délicatesse que ce qui pourrait être pris pour de la rudesse apparaît en réalité comme de la galanterie. Il est vrai, comme l'a souligné Thorondil, qu'elle n'a pas été escortée par un garde, ce qui ne signifie pas qu'elle voyage en général seule lorsqu'elle se déplace dans la cité. Elle rejette élégamment une mèche derrière son oreille, et referme ses doigts fins autour de la tasse brûlante, trop chaude encore pour être portée à ses lèvres :

- Mon père ne me laisserait jamais aller seule, naturellement. Votre présence aujourd'hui ne lui a sans doute pas donné l'occasion de faire appeler des gardes pour me raccompagner, comme il le fait d'ordinaire. Il aurait très largement les moyens de s'offrir les services d'une compagnie de gardes du corps, fût-ce même pour la durée du mariage, mais je crois qu'il se méfie des mercenaires qui vendent leurs services.

Elle se penche vers lui avec un sourire amusé :

- Et je pense aussi qu'il a peur des hommes qui s'approchent de moi. On dit des mercenaires qu'ils sont rustres et peu délicats, contrairement à des hommes comme vous…

De plus en plus entreprenante dans ses compliments, elle se rend compte qu'elle est sur une pente tout à fait glissante. Ses mots de plus en plus ciblés sont de moins en moins maîtrisés, et elle sent que si la conversation s'éternise trop sur le sujet, elle risque de commettre un impair malvenu, qui gâcherait absolument tout. Inspirant profondément, et faisant comme si de rien n'était, elle poursuit sur sa lancée avec autant d'aisance que si elle marchait sur un fil tendu au-dessus du vide :

- Et puis vous savez, mon père est un homme influent qui gère d'importantes affaires. Je ne crois pas qu'il aimerait que des inconnus pénètrent ici sous prétexte de me surveiller, et se trouvent en mesure de percer des secrets d’État. Moi-même, il y a des objets ici qu'il m'est interdit d'approcher.

Candide à souhait. Candide au point de jeter un très bref regard derrière Thorondil, légèrement sur sa gauche, pas très loin de là où se trouvent les effets personnels de Demeson père. Il ne peut décemment se retourner pour confirmer son intuition première, mais s'il était en mesure de jeter un furtif coup d'œil, il repérerait cachée derrière la malle de vêtements un petit coffret en bois renforcé d'acier, fermé par une serrure de très grande qualité. Pas le genre d'objet dans lequel on cacherait de menus biens, des bijoux ou d'autres choses dans le même esprit. Plutôt une protection inviolable pour enfermer des documents compromettants, des informations capitales que nul ne doit pouvoir voir sinon leur légitime propriétaire. Même à la hache il aurait été difficile de venir à bout de ce solide assemblage, qui paraît avoir été fait de mains non humaines. Un bien extrêmement précieux, mais à l'apparence banale, pour tromper d'éventuels voleurs qui auraient eu l'audace de venir tenter un cambriolage ici.

Lise, sans mesurer la portée de ses révélations, continue la conversation. Elle aborde des sujets qui lui tiennent à cœur, exprime ses regrets de ne pas pouvoir jouir d'une vie plus libre, de ne pas pouvoir voyager plus souvent et profiter de l'argent de son père pour découvrir le monde. Elle est bien consciente de la chance qu'elle a d'être une femme de la haute noblesse, de pouvoir visiter Minas Tirith là où des milliers d'autres doivent rester au pays pour nourrir leur famille. Toutefois, elle rêve à bien davantage, elle se voit en train de parcourir les terres d'un domaine qu'elle n'a pas encore, mais qu'elle a passé sa jeune vie à apprendre à gérer. Les précepteurs qui lui ont appris le calcul, la comptabilité et lui ont donné le sens de l'économie et de la mesure l'ont préparée à prendre la suite de son père, mais il lui manque désormais cette expérience de la vie qu'ont les jeunes hommes d'Arnor à son âge. Toutefois, elle n'est pas un homme, et elle le sait. Sa condition de femme l'empêche d'accéder à son rêve, tout en lui donnant certains privilèges qu'elle ne renierait pour rien au monde. La galanterie, l'exemption de la guerre, l'honneur qui lui est fait chaque fois qu'elle rentre dans une pièce. Elle apprécie cela peut-être davantage encore que la liberté qu'elle n'a pas encore, et qu'elle sait obtenir un jour quoi qu'il arrive.

Sans réserve, parlant plus ouvertement que jamais, elle se confie à Thorondil, recevant en retour ses paroles avec un bonheur non feint. Durant plus d'une heure, ils parlent ainsi à bâtons rompus, jusqu'à ce que leurs boissons refroidissent entre leurs mains. Finalement, la jeune femme étouffe un bâillement, et s'excuse platement de son geste :

- Sire, je vous prie d'accepter mes excuses. Ce n'est pas contre vous, et je serais ravie de pouvoir entendre d'autres histoires de vétérans. Cependant, avec cette chaleur, je me sens épuisée. Mon père ne devrait pas tarder à rentrer, et même s'il vous apprécie beaucoup et vous fait confiance, je crois qu'il serait surpris de vous voir encore ici à cette heure tardive…

En effet, il commence à se faire tard, et le soleil est déjà en train de se coucher sur la Cité Blanche. Le ciel se pare de teintes plus foncées, alors que les nuages paraissent prendre une consistance solide, comme de lourdes tâches de peintures accrochées au firmament. Lise étouffe un nouveau bâillement, et part d'un éclat de rire léger qui lui fait monter les larmes aux yeux. Son naturel rehausse très largement sa beauté, à n'en pas douter, et désormais que la glace est brisée avec Thorondil, elle paraît encore plus à l'aise, encore plus vivante. Une femme pareille ferait sans nul doute une jeune épouse merveilleuse, à même de guérir de tous maux n'importe quel cœur… Gracieusement, la jeune femme se lève, imitant en cela le geste du vétéran qui se trouve en face de lui. Elle lui lance un grand sourire plein de sincérité, et s'approche de lui avec un brin d'angoisse, comme si le moment de lui dire au revoir était le plus difficile de son existence toute entière. Répondant à une inspiration soudaine, elle passe les mains derrière son cou gracile, et détache la magnifique chaîne d'argent qui l'entourait. Retombe dans sa main un pendentif en or, refermant ses griffes sur une pierre précieuse d'un bleu tout à fait charmant. Le saphir, taillé par des mains expertes, est tout à fait somptueux, et sans nul doute hors de prix. Devant le regard surpris de Thorondil, elle prend les devants et tend ses bras élégants pour lui passer la chaînette autour du cou. Elle referme le mécanisme, et laisse ses douces mains effleurer la poitrine sculptée du guerrier, sentant nettement le battement de son cœur sous son pourpoint. Un cœur empli de noblesse et de bonté, comme elle n'en a encore jamais rencontré. Les rouges rougissant, et les yeux pétillants, elle lui souffle :

- Sire, veuillez accepter ce présent. Je le tiens de ma mère, et j'ai toujours considéré qu'il m'apporterait du courage dans les moments difficiles… Je souhaite de tout cœur que votre épée doive rester au fourreau, mais si un jour vous deviez l'employer pour protéger l'Arnor, puissiez-vous trouver le courage de le faire en pensant à moi…

« En pensant à ce bijou » est ce qu'elle a voulu dire, mais au dernier moment sa langue a fourché, et elle a transformé sa phrase pleine d'émotion en une déclaration enflammée, qui lui fait ouvrir grand les yeux. Elle se mord la lèvre avec un charme à faire fondre même un cœur de pierre, et détourne le regard subitement. Toutefois, ses mains qui s'éloignent progressivement son cueillies par celles, chaudes et puissantes, du vétéran. Elle referme ses doigts sur les siens, appréciant ce contact à la fois anodin et si fort. Elle ne peut cependant pas donner libre court à ses sentiments naissants. Que dirait son père ? Que penserait Thorondil ? Que pense-t-il déjà de sa conduite ? Elle cache son visage derrière ses cheveux de jais qui dégagent une odeur particulièrement agréable, et souffle sans violence aucune :

- Partez, sire, je vous en prie. Mais promettez-moi de revenir…


~ ~ ~ ~


Une silhouette solitaire se tient non loin de la tente des Demeson, occupée à récupérer du bois de chauffe pour la nuit. Quiconque prêterait attention à ses déplacements aurait remarqué sa lenteur excessive, son application à recommencer inlassablement la sélection des bonnes bûches, son empressement à échanger quelques mots avec le premier venu pour temporiser, et surtout sa propension à jeter de fréquents coups d'œil vers là où se trouvent Thorondil et Lise Demeson. Rejetant le voile qui lui cache les cheveux pour se gratter le sommet du crâne, la jeune femme en filature ne peut s'empêcher de se poser des questions. Est-ce qu'il est en train de pousser le vice jusqu'à profiter de la situation ? Elle ne le connaît pas beaucoup, certes non, mais elle a l'impression que ce n'est pas le genre à se laisser dépasser par son pantalon. La fille Demeson est une belle jeune femme, naturellement, mais il y a fort à parier qu'il doit penser à sa mission avant toute chose. Cependant, ça fait déjà un moment qu'il se trouve là, et qu'elle attend une bonne occasion de venir lui parler. S'il ne se présente pas bientôt, elle va devoir rentrer sans avoir obtenu d'informations, ce qui ne saurait plaire à Nivraya.

Et puis finalement, il se décide à sortir, non sans saluer quelqu'un à l'intérieur de cette toile de tente. Elle ne peut s'empêcher de vérifier qu'il n'est pas épié ou suivi par quelqu'un d'autre qu'elle. Cependant, avec l'obscurité qui tombe, elle doute de pouvoir repérer un enfant en train de jouer à cache-cache… Alors un mercenaire entraîné ? Aucune chance. Elle va devoir y aller franchement, et ne pas prendre trop de gants. Thorondil s'éloigne de quelques pas, de toute évidence perdu dans ses pensées. On dirait que la journée a été plus dure que prévu. La jeune femme dépose son tas de bois, et s'essuie les mains sur sa tunique informe de servante. Ce faisant, elle sent distinctement les poignards cachés dessous, et sourit pour elle-même. Ils l'aident à se sentir en confiance.

Les Arnoriens étant rassemblés dans un même secteur, elle sait qu'elle n'a pas beaucoup de temps pour lui parler, aussi décide-t-elle d'aller très simplement le voir. Elle s'approche de lui silencieusement, et le prend soudainement par le bras pour l'entraîner à l'abri des regards, là où elle a pu déterminer que personne ne les verrait. Deux chariots de transport, vides de leurs propriétaires, leur servent de couverture. Les chevaux qui paissent tranquillement leur ficheront une paix royale. C'est tout du moins son plan, car Thorondil ne se laisse pas faire. S'il plonge à couvert avec elle, il se défend quelque peu, et la plaque vivement contre le bois du chariot, qui s'enfonce douloureusement dans son dos. Elle étouffe un gémissement, et sort de nulle part un poignard qu'elle glisse sur la gorge du vétéran. Il n'a pas la chance de porter une arme, et elle gagne ainsi les quelques secondes qu'il lui faut pour s'expliquer :

- Je travaille pour une belle rousse aux yeux verts, pas besoin d'être aussi violent…

Il hésite, et la dévisage longuement. Se souvient-il d'elle ? Pas certain. Elle a pourtant pris une flèche dans la jambe pour lui, au moment de l'épisode du beffroi. Un épisode compliqué et chaotique, qui ne lui a sans doute pas laissé le temps de graver son visage dans sa mémoire. Avec ses yeux, en plus… Plus récemment, il a pu l'apercevoir en train de servir Nivraya, mais aurait-il pu imaginer que l'anodine servante Haradrim était en fait une guerrière accomplie… sans doute plus dangereuse que ce gros balourd de Freyloord, certes impressionnant mais incapable de violence ? Probablement que non. Il relâche sa prise légèrement, et elle rengaine son arme sous les replis de sa tunique, redevenant instantanément une femme parfaitement anodine :

- J'ai besoin de savoir si vous avez appris quelque chose, immédiatement. Notre cible n'est pas encore rentrée, et il est possible que nous puissions agir avant son retour, ce qui nous donnerait de bien meilleures chances. Alors, qu'avez-vous découvert ?

Elle écoute patiemment son rapport, se frottant l'œil de temps à autre, comme pour combattre un manque de sommeil. Rien de handicapant toutefois, car elle paraît particulièrement alerte, pour ne pas dire légèrement hyperactive. Elle note chaque détail, notamment la configuration de la pièce, et se montre particulièrement intéressée quand il évoque le coffre, lui demandant davantage de détails :

- Avez-vous vu la serrure ? Y en a-t-il une deuxième cachée ? Je suppose que c'est un modèle de serrures à gorges, mais est-ce que c'est un modèle récent ? Vous pensez que le coffre a quel âge environ ? Est-ce qu'il y avait des traces dessus, des griffures qui ne seraient pas dues au voyage, des traces d'usure ?

Elle lance ses questions en batterie, mais au fond d'elle-même, elle doute sincèrement qu'il ait pu obtenir toutes les informations qu'il lui faudrait – ce serait trop beau ! Avec ses yeux, elle doute même qu'il puisse lui donner la couleur dudit coffre, ce qui ne les aiderait pas particulièrement en l'occurrence, mais qui montre à quel point sa vue est désastreuse. Elle met un point d'honneur à mémoriser tout cela, avant de lui adresser une tape amicale sur l'épaule. Peut-être un peu déplacée, étant donné qu'ils ne se connaissent pas véritablement. Il ignore même sans doute jusqu'à son nom. Avant de partir, elle ajoute :

- Passez voir notre amie commune avant de rentrer chez vous, je suis persuadée qu'elle voudra discuter de cette journée avec vous. Et essayez d'avoir l'air naturel, vous avez l'air tout bizarre.

Elle se fend d'un immense sourire, et s'éclipse dans les ténèbres qui commencent à les environner. Partout autour d'eux, les gens commencent à revenir de leur escapade à la Cité Blanche. Les marchands ravis d'avoir fait de bonnes affaires, les visiteurs heureux d'avoir dépensé leurs argents en souvenirs, les nobles sereins après avoir conclu de bonnes alliances. Bien entendu, la nuit n'est pas encore avancée, et beaucoup traînent encore en ville, écumant les auberges en quête d'alcool ou de femmes faciles. D'autres vont les trouver ici, chez les prostituées du coin qui vendent leur corps pour quelques pièces. Au milieu d'eux, erre un vétéran d'Arnor dont la tête est sans doute pleine de questions…


~ ~ ~ ~


- Maître Thorondil, quel plaisir !

C'est avec un grand sourire que le fauconnier du Roi est accueilli dans la tente de Nivraya. Le pan de toile est écarté avec facilité par Freyloord, le colosse du Nord, qui assure la protection du couple qui se trouve à l'intérieur, et celui qui vient de prendre la parole n'est autre que Justar Alen de Gardelame, l'époux de la redoutable femme aux cheveux roux. Il s'avance et tend spontanément la main gauche pour serrer celle du vétéran. Il est facile de comprendre dès lors pourquoi ce pan de cape recouvre en permanence son bras droit, ou plutôt ce qui devrait être son bras droit. Cet homme qui a un jour été promis à une brillante carrière militaire s'est retrouvé diminué, écarté du pouvoir auquel il aurait pu très naturellement prétendre, marié à une femme avec assez d'ambition pour deux. Curieusement, on lit dans son ton et dans son attitude tout l'inverse de ce que l'on peut lire chez son épouse. Là où elle est retorse et manipulatrice, incroyablement perfide, on sent chez lui une sincérité désarmante, et un sens de l'honneur prononcé. Tout cela est d'autant plus surprenant que sa femme se tient à quelques pas derrière lui, et qu'elle arbore un sourire de circonstance, un masque tout aussi faux que celui qu'elle a servi aux nobles d'Arnor un peu plus tôt dans la journée :

- Maître, lance-t-elle en faisant une gracieuse révérence, votre visite nous honore. Voudriez-vous parler des affaires qui nous occupent ?

Justar lance un regard à sa femme, puis retourne à Thorondil. Il a un sourire amusé sur les lèvres, et d'une voix rieuse il lance :

- Oh, vous devez parler de secrets d’État, je suppose. Cela tombe bien, je me sentais justement en forme pour aller voir les animations de ce soir. J'ai entendu dire qu'un grand numéro de cracheurs de feu était organisé. Prenez vos aises Maître Thorondil, vous êtes ici chez vous.

Il fait assez doux dehors, si bien qu'il n'emporte avec lui qu'une petite pelisse légère qui recouvre ses épaules. En dépit de son bras manquant, il fait preuve d'une adresse particulière pour s'habiller, au point qu'on pourrait presque oublier sa terrible blessure. Avant de partir, il s'approche de Nivraya, place sa main unique sur la hanche de cette dernière, avant de se pencher pour déposer un tendre baiser sur ses lèvres. Elle dissimule sa surprise derrière l'élan de tendresse qui l'envahit, et c'est à regret qu'elle le sent s'éloigner d'elle. Ses doigts puis ses yeux tentent fébrilement de le retenir, avant qu'elle ne renonce à le garder auprès d'elle ce soir. Elle inspire profondément, pour dissimuler le léger trouble qui s'empare d'elle. Après ce qu'il s'est passé avec le vétéran, leur petit numéro de charme qui les a menés tous les deux au bord du précipice, elle se sent gênée de lui présenter son mari dans de telles circonstances. Justar s'éclipse avec un sourire, les laissant seuls avec leurs interrogations plein la tête. La jeune femme réajustant le masque de froideur distinguée qu'elle arbore habituellement, invite le jeune noble à s'asseoir, tout en lui demandant d'une voix parfaitement maîtrisée :

- Merci d'être venu. Votre disparition avec Lise Demeson m'a un peu intriguée, je dois bien l'avouer. Tout s'est-il bien passé ? Je veux dire… Vous avez dû croiser Alyss, et si elle n'est pas avec vous, c'est que vous avez dû découvrir quelque chose d'intéressant. Mais comment ont avancé les choses après votre départ ? Dites-moi tout.

Son ton de confidente bienveillante est extrêmement convaincant, pour ne pas dire irrésistible, mais Thorondil va-t-il tomber dans le piège et oublier la triste journée qu'il vient de vivre ? A voir le pli au coin de ses lèvres, rien n'est moins sûr...
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Thorondil
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Justar - Couleuvres et Pigeons EmptyMer 1 Avr 2015 - 0:27
Contrairement à ce que beaucoup étaient enclin à croire, Thorondil était loin d'être stupide. Certes, il n'était pas ce qu'on pourrait à proprement parler appeler un érudit mais on ne pouvait pas parcourir le monde toute une vie durant sans en ressortir quelques savoirs. Et malgré ses lacunes en matière de sentiments, il aurait fallut qu'il soit bien plus aveugle que ça pour ne pas comprendre ce qui se passait derrière les yeux pétillants et pleins d'admirations que lui jetait la jeune demoiselle assise en face de lui. Il aurait fallut qu'il fut sourd pour ne pas saisir les sous-entendus à peine voilés des paroles, bien que l'idée d'être comparé au roi lui-même lui laissait un sentiment mitigé. Il était parfaitement conscient de l'effet qu'il avait sur Lise même s'il se trouvait bien incapable d'expliquer comment cela pouvait être seulement possible. Personne au monde ne pouvait être plus différents que cette jeune fille rêveuse, pleine d'espoir et totalement inconsciente de la dureté du monde, et lui, guerrier endurci, désillusionné et brisé au-delà de toute chance de guérison.

Il préféra ne rien répondre à cet encouragement, se disant que c'était mieux pour tout le monde. Heureusement, la demoiselle ne semblait pas vraiment attendre de réponse et enchaina immédiatement.

Mais pourtant, cette atmosphère aidait le maître fauconnier à se sentir plus à l'aise. Et il ne pouvait certainement pas mettre ce bien-être sur le compte de l'alcool à présent. Cela venait en réalité d'une seule chose : Lise ne semblait rien avoir à lui reprocher, ne le jugeait qu'en bien, à travers un étrange filtre très sélectif, ne gardant que le meilleur. Toute son existence, on l'avait jugé et repris. Il devait se battre mieux, se tenir mieux, se défendre mieux, contrer plus vite, attaquer plus fort, aller plus loin, plus rapidement, plus silencieusement, être plus riche, moins brusque, agir plus noblement, garder sa langue ou parler plus... On l'avait pris en pitié pour ses yeux malades, pour sa peau couturée et brûlée. On l'avait moqué et méprisé pour sa stupide propension à voir en ses bêtes de vieilles amies tout en dédaignant ses pairs. On avait pointé ses erreurs, le feu, sa mère, Morrigan et le bébé, son voyage vers le sud, les interminables batailles... Et elle, innocente Lise, ne voyait rien de tout ça. Elle ne voyait que l'homme, le héro, le cœur, le courage, la beauté et tout ce qu'il y avait de bon et qu'il avait lui-même oublié.

Quand finalement elle répondit à sa dernière interrogation, il hocha la tête, satisfait de la réponse. Cela ne faisait que le conforter dans sa conviction envers Demeson. Cet homme, aussi mauvais que Nivraya l'avait décrit, était un père aimant et attentif au bonheur de sa fille. Il se fendit même d'un sourire flatté au compliment de la jeune Demeson. Même s'il savait pertinemment qu'au fond, à peine six mois auparavant il n'était guère plus qu'un vagabond, mercenaire à ses heures perdues. Sa seule différence avec ces individus était son profond désintérêt pour l'argent, raison pour laquelle, malgré la grande ressemblance de leurs modes de vie, il n'avait jamais apprécié les mercenaires. La loyauté et l'honneur, qui étaient pour lui des piliers, n'étaient rien de plus que de menus détails pour ces hommes qui savaient s'en passer quand le vent tournait. Alors il n'était pas vraiment certains que Lise aurait été capable de faire la différence si elle l'avait vu à cette époque.

- Et puis vous savez, mon père est un homme influent qui gère d'importantes affaires. Je ne crois pas qu'il aimerait que des inconnus pénètrent ici sous prétexte de me surveiller, et se trouvent en mesure de percer des secrets d’État. Moi-même, il y a des objets ici qu'il m'est interdit d'approcher.

Thorondil étouffa un frissonnement et lutta pour ne pas faire volte-face en direction de cet endroit que le regard de la demoiselle avait trahi. Sa mission lui revint comme une décharge électrique. Il classa l'information dans un coin de sa tête et se reconcentra sur la jeune fille. Elle l'abreuvait alors de sujets plus légers, se laissant aller à des révélations plus personnelles, ses rêves, ses espoirs d'avenir... La voix mélodieuse fascinait le fauconnier qui buvait chaque mot, calme et attentif. Cela lui convenait parfaitement de la laisser parler et se contenta de quelques mots ou sourires pour faire part de sa participation au récit.
Thorondil, lui, ne dit rien de sa vie ni de ses rêves. Mais il accepte de lui offrir un présent, une part de ce rêve auquel elle ne pourra jamais prétendre, il lui raconte quelques uns de ses voyages. Il s'attarde peu sur ce qui l'avait mené en ces lieux mais ne se montre avare d'aucun détails dans ses descriptions. Contrairement à Lise dont la voix ressemblait au cheminement d'un petit ruisseau de montagne, légère et claire, celle du fauconnier, grave et profonde, roulait comme les vagues s'écrasant sur la falaise. Ce contraste donnait à leur conversation une harmonie étonnante qui fondait les mots les uns dans les autres et les laissait glisser dans l'air. Il lui raconta les merveilles d'Imladris avant l'attaque, les sculptures d'une beauté inhumaine, les arabesques et les motifs parfaits, l'harmonie en tout et l'histoire millénaire qui suintait de chaque dalle, l'atmosphère immortelle comme un parfum à la fois subtil et raffiné. Il lui raconta les plaines infinies du Rohan, les étendues immenses d'un vert d'émeraude qui dansaient avec le vent, les terres belles et sauvages, et le peuple aussi rustique que sage qui en foulait le sol. Il lui raconta la mer à l'ouest depuis les côtes du Harondor, aux couleurs changeantes qui brillaient comme des pierres précieuses au soleil couchant, les immenses bateaux marchands qui la fendait et les oiseaux qui tournaient au dessus des barques de pêches.

Et le temps passa ainsi longtemps sans qu'il ne put en garder la notion. Ce ne fut que lorsque la jeune demoiselle esquissa un bâillement que la course du temps sembla reprendre sa course habituelle. La lumière avait grandement baissée sous la toile de tente et, dans leurs tasses, le thé à peine touché, était désormais totalement froid. Ces détails firent prendre conscience à Thalion qu'il était largement l'heure de prendre congés. Les picotement de sa gorge lui rappelèrent que cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas tenu une si longue conversation.

- Sire, je vous prie d'accepter mes excuses. Ce n'est pas contre vous, et je serais ravie de pouvoir entendre d'autres histoires de vétérans. Cependant, avec cette chaleur, je me sens épuisée. Mon père ne devrait pas tarder à rentrer, et même s'il vous apprécie beaucoup et vous fait confiance, je crois qu'il serait surpris de vous voir encore ici à cette heure tardive…

L'homme inclina la tête dans un geste de compréhension. Il ne tenait pas non plus à se retrouver dans une telle situation pour le moins périeuse. D'un autre côté, cet au revoir le peinait plus qu'il n'était prêt à l'admettre et il ne savait que dire pour prendre congés. Nerveusement, il se leva, fit le tour de sa chaise dans le but de la remettre à sa place et retourna face à la demoiselle. Ce petit tour lui permit de jeter un coup d'œil à ce qui s'avéra être un coffre fort de belle facture qui renfermait les secrets du seigneur Demeson, là où le regard inconscient d'innocence s'était posé quelques instants plus tôt.

Il n'eut cependant pas le loisir d'y songer plus longtemps car désormais Lise se tenait juste en face de lui, bien plus près que ne l'aurait permise l'étiquette. Elle semblait soudain nerveuse, indécise, sur le point de faire quelque chose d'important sans parvenir à se décider. Thorondil s'inquiéta avant d'afficher une visage totalement surpris et prit au dépourvu en voyant Lise extraire de son cou un superbe bijou de saphir, serti d'or et chainé d'argent. Et le souffle du fauconnier se coupa dans sa gorge en sentant les bras fins se glisser autour de sa propre nuque. Les yeux figés de surprise fixant la jeune fille, il n'entendait que le rythme régulier des pulsations de son cœur qui gagnaient en puissance. Il sait qu'elle a pu voir le tremblement de sa pomme d'Adam, il sent son souffle contre sa peau alors qu'elle monte sur la pointe de ses pieds pour accrocher le fermoir, il sent la caresse de ses mains contre son torse à travers la soie de ses vêtements.

- Sire, veuillez accepter ce présent. Je le tiens de ma mère, et j'ai toujours considéré qu'il m'apporterait du courage dans les moments difficiles… Je souhaite de tout cœur que votre épée doive rester au fourreau, mais si un jour vous deviez l'employer pour protéger l'Arnor, puissiez-vous trouver le courage de le faire en pensant à moi…

Sans quitter la jeune fille des yeux, la main du fauconnier remonta lentement jusqu'à effleurer du bout des doigts le bijou qui reposait désormais contre sa propre poitrine. Son cerveau était complètement blanc. Il ouvrit prudemment la bouche, cherchant une réponse appropriée sans parvenir à laisser sortir le moindre son, et finit par la refermer, incapable de parler. Et puis un électrochoc, il sentit les mains de la jeune demoiselle s'éloigner. Son cœur fit un bond dans sa poitrine. Tout en lui se rebellait contre cette perte. Instinctivement, trop vite pour qu'il n'ait le temps de retenir son geste, il referma ses mains sur celles qui partaient. Il craignait presque d'abimer la peau si délicate de ses doigts rendus rêches et calleux par la vie d'errance et le maniement des armes, mais Lise, au contraire, raffermit la prise.
Elle est si belle, délicate, fragile et précieuse. Comment pouvait-elle lui porter le moindre intérêt ? Les émotions le heurtent par vagues : l'envie de la protéger, celle de s'éloigner, de la rapprocher, et même de l'embrasser... Il pouvait sentir son sang bouillonner dans ses veines. Il avait envie de se perdre dans cette illusion confortable et douce que lui offrait Lise avec toute l'innocence et la candeur du monde. Sans y penser, il laissa une main effleurer les cheveux de jais, presque sans les toucher vraiment. Ces boucles noires qui lui avaient au premier coup d'œil tant rappeler Morrigan, la mère de sa fille. Pourtant à présent il ne la voyait plus du tout en cette adorable jeune femme. Elles n'avaient rien en commun si ce n'était ces boucles d'obsidienne soyeuses.
Une nouvelle fois, la jeune Lise le pressa de partir, en échange d'une promesse. Encore une. Alors le fauconnier lui adressa un sourire, posa ses lèvres sur les délicates phalanges de sa main gauche et quitta la tente.



Comparé à la chaleur accablante de la journée, le crépuscule offrait enfin la fraicheur que tout le monde recherchait. Sitôt le lourd pan de toile refermé derrière lui, Thorondil prit une grande bouffée d'air frais. Et avec lui arriva la réalité, violente et implacable qui le heurta comme un coup d'épée entre les côtes. Subitement déstabilisé et perdu, le dùnadan resta plusieurs interminables secondes figé à quelques pas de la tente qu'il venait de quitter, battant des paupières comme un homme qui viendrait d'être expulsé d'un rêve. Le charme était rompu. La mission et sa finalité revinrent le torturer plus vicieusement encore. Mais à quoi jouait-il ? Avait-il complètement perdu l'esprit ? Même s'il ne pouvait s'empêcher de se sentir flatté par l'intérêt de Lise - qui ne le serait pas ? - ce n'était pas bien. Cela ne devait pas être ! C'était malhonnête et cruel de se jouer des sentiments du jeune fille, surtout d'une jeune fille si innocente et confiante, persuadée que le mal n'existe que sous la forme du masque hideux des créatures du Mordor, d'hommes rustres aux visages déformés par la mauvaise vie, les maladies vénériennes et l'abus d'alcool, ou encore par les paroles blessantes, pleines de haines et de fureurs. Une jeune fille qui ne soupçonnait pas encore que la trahison pouvait se cacher derrière des visages avenants, des compliments flatteurs et une prévenance d'apparence désintéressée. Parce que, quelque part, il serait pour elle ce que Morrigan avait été pour lui, l'objet de son malheur, haï pour avoir brisé sa confiance, ses espoirs et ses rêves et jusqu'à sa candeur. Etre haï pour lui avoir fait perdre foi en la bonté, la gentillesse et l'amour. Etre haï pour avoir perdu la capacité de faire confiance, de reconnaitre l'honnêteté et la vérité. Etre haï pour avoir rendu le plus doux sentiment au monde symbole de douleur et de trahison. Voilà ce qu'il lui offrirait ? Il ne le savait que trop bien mais aurait préféré l'oublier.

Quand il avait plongé ses yeux dans ce regard incroyable de franchise et pétillant de vie, il avait brûlé d'envie de croire en cette illusion, croire qu'il n'était pas là en mission et que seule les aléas du hasard les avaient mené à se rencontrer. Pendant quelques secondes il s'était même prêté à croire qu'il pourrait peut-être mettre genoux à terre devant elle et en faire sa femme. Quelle folie !
A présent, pour chasser toute trace de ces émotions si malvenues, il entreprit de marcher d'un pas vif et, sur ce rythme soutenu, fit la liste mentale de toutes les raisons pour lesquelles tout cela n'était qu'une erreur monumentale, un dérapage malheureux.
S'il ne mourrait pas par le fil d'une épée, pour d'aussi jeune qu'elle soit, Lise n'était que du commun des mortels et il lui survivrait longtemps. S'il n'avait pas le sang aussi pur que le Roi Elessar, sa lignée de dunedain était si peu pourvue de simples humains qu'il savait que sa vie se prolongerait bien après que cette épouse est déclinée et rendue son dernier souffle. Une perspective peu réjouissante, qu'il plaça bien en haut de sa liste des "bonnes raisons de ne pas se laisser avoir". Son père même, qui parfois faisait preuve de sagesse, disait que seul l'amour le plus solide valait de prendre un tel risque. Et tant bien même, qu'aurait-il à lui offrir ? Ce n'était plus qu'une question d'années avant qu'il ne devienne véritablement infirme. Il était trop brisée pour elle, et il la détruirait tandis qu'elle tenterait de l'apaiser. On ne peut assécher un océan, on ne peut espérer faire couler un fleuve au milieu d'un désert aride, on ne peut que mourir d'épuisement en essayant. S'il devait un jour prendre femme, il faudrait qu'elle soit forte, très forte même, pour supporter, accepter et comprendre qu'il ne pouvait pas être changé ou "réparer", qu'il demeurerait à jamais marqué par son passé et que son fardeau ne pouvait être partager. L'imposer à cette innocente jeune fille la ferait dépérir, la transformerait en femme malheureuse que la désillusion rendrait amer et aigrie. C'était un destin qu'il ne souhaiterait à personne, piégée dans un mariage désastreux où le conte de fée se transforme en cauchemar de chaque jour.
Lise n'avait pas les épaules pour ça, elle était trop jeune, trop innocente, un cœur en or mais trop délicat, si aisé à briser... Et pour d'aussi brute et rude qu'on le disait, Thorondil n'était pas homme à briser les belles choses pour le simple plaisir éphémère de les posséder.

Tout à ses pensées, alors qu'il ne restait plus qu'un ou deux quartiers de tentes à dépasser pour rejoindre les quartiers familiaux, Thalion avait commencé à ralentir le pas. Plus ses pensées se faisaient sombres, plus ses épaules s'affaissaient. Il faisait distraitement rouler le bijou de Lise entre ses doigts, incapable de prendre une décision à ce sujet et tourmenté par ses doutes. Emprisonné dans ses ruminations mentales, il n'entendit ni ne vit rien arriver lorsqu'une main le saisit brutalement pour  le tirer vers le couvert de deux grosses charrettes vides. Heureusement pour lui ses réflexes savaient depuis très longtemps se passer de son cerveau pour agir. En deux mouvements, le temps qu'il reprenne ses esprit, il avait plaqué son mystérieux agresseur contre l'un des véhicules, pressant de tout son poids sur lui. Mais sitôt après, il sentit la morsure de l'acier contre la peau sensible de sa gorge. Visiblement son adversaire savait à qui il avait affaire. Pour le bien des deux parties cependant, son assaillant - qui se révéla alors être une femme - s'identifia aussitôt. En plissant les yeux à la lumière du couchant, Thorondil distingua un visage familier qui confirmait les dires de la jeune femme... du moins le pensait-il. Il ne pouvait guère se fier à la physionomie pour se rappeler des gens, et encore moins pouvoir clairement les identifier avec une lumière aussi incertaine que celle qui les entourait alors. Alors il avait apprit à faire autrement, reconnaissait les postures, les expressions, le timbre des voix, le rythme de la marche et son balancement. Difficile donc, alors qu'il la tenait encore contre le chariot d'avoir plus d'information. Son instinct le rassura pourtant de la véracité de ces propos. Son instinct disait "compagnon d'arme" et même s'il n'arrivait pas à replacer le contexte, il savait qu'il ne se trompait pas.

Maintenant qu'elle s'était identifiée comme alliée... ou du moins comme ce qui se rapprochait le plus de cette définition, il s'éloigna d'un pas en grognant et la laissa aller. Non, vraiment, cette histoire l'avait vraiment perturbé. A présent elle avait tout l'air d'une servante parfaitement innocente. Et visiblement, elle n'avait pas de temps à perdre, le pressant de questions auxquelles il répondait d'une voix basse et lasse, non sans ménager plusieurs silences et prêter l'oreille alentour, l'histoire de s'assurer de ne pas être espionné. Il décrivit le mieux qu'il pu l'agencement des lieux, l'emplacement et l'organisation de chaque espace, les zones libres de la pièce, l'endroit où se tenait l'étrange coffre...

« - Ce n'est pas du travail d'Homme, à moins qu'il ne soit bien plus ancien que je ne l'ai cru aux premiers abords. Peut-être nain ou elfique. Impossible de savoir avec... »

Il grogna de frustration en lançant un mouvement agacé vers ses yeux.

« - Mais aucun artisan humain de ma connaissance n'est capable d'un tel travail, ça j'en suis sûr. Et vu la prudence de notre homme, je ne serais pas surpris qu'il y ait placé des pièges ou de quelconques mécanismes du même genre. Pour la serrure non, je ne l'ai pas vu. »

Et de nouveau la frustration, un ton sec et amer de l'homme qui connait ses faiblesses et les haït d'autant plus... Et puis comme s'il était censé s'y connaitre en serrure ! Avait-il l'air d'un perceur de coffre ou d'un voleur de haut vol ? Mais il fallait dire que son interlocutrice semblait tout aussi frustrée que lui du manque d'informations qu'il avait réussi à récupérer.
Finalement, elle prit congés d'une tape sur l'épaule. Thalion se tendit.

- Passez voir notre amie commune avant de rentrer chez vous, je suis persuadée qu'elle voudra discuter de cette journée avec vous. Et essayez d'avoir l'air naturel, vous avez l'air tout bizarre.

L'homme prit une très grande inspiration. Agacé, fatigué, en colère... Il n'arriva pas à décider laquelle de ses émotions faire passer en priorité. Et il ne manquait plus que ça. Elle ne lui laissait même pas le répit de la nuit pour digérer toutes ces informations et remettre de l'ordre dans ses idées. D'un autre côté, la part la plus furieuse de Thorondil se faisait une joie malsaine de pouvoir déverser sa hargne sur la responsable de ce... cette... de tout ça !

Juste avant que la haradrim ne lui fausse compagnie, il l'attrapa par le bras et articula d'une voix très basse et très menaçante :

« - Lise Demeson se trouve dans la tente. Elle n'est pas complice de tout ça, elle n'est au courant de rien alors soyez certaine qu'aucun mal ne lui sera fait ou je vous en tiendrais comme personnellement responsable... et croyez-moi, ce ne sont pas que des paroles en l'air. »



- Maître Thorondil, quel plaisir !

Le fauconnier venait juste d'esquisser un geste de salut vers Freyloord quand on s'adressa à lui de la sorte. Le dùnadan plissa les yeux, surpris. Il ne s'attendait pas à ça. Il aurait dû s'en douter s'il n'avait pas été autant préoccupé tout le long du chemin qui l'avait mené jusque devant la porte de la famille de Gardelame. Il ne se reprit que lorsque Justar tendit vers lui sa main gauche. Sans y penser, Thorondil fit de même. Il avait connu un vétéran qui avait perdu son bras dans le Nord, un ami de son cousin Beorgan nommé Fengil ou Fengel, quelque chose comme ça, si bien qu'il n'eut même pas un moment d'hésitation quand le Seigneur de Gardelame tendit le mauvais bras. Après une vigoureuse poignée de main, Thalion se permit de dévisager quelques instant l'époux de Nivraya. Il ne l'avait croisé que rarement et avait plus rarement encore eut l'occasion de lui adresser la parole. En parlant d'opposés, ces deux-là l'étaient assurément. Le visage de son vis-à-vis était aussi franc et amical que celui de la dame rousse pouvait être froid et calculateur. Avec cet homme, il pourrait apprendre à s'entendre peut-être. Et même si le maître fauconnier du roi affichait son habituel visage fermé, son attitude et l'inclination particulière de sa tête affichaient clairement l'élan de sympathie que lui inspirait Justar.

Cependant son attitude changea distinctement quand il entendit la voix de Nivraya. Pour un peu, il en aurait presque oublié sa présence et la raison de sa venue. Il avait clairement l'air tendu mais il prit sur lui de se tourner vers la jeune femme et la saluer comme il se devait, en inclinant légèrement le buste, une main derrière le dos et l'autre pliée devant lui.

« - Madame. C'est précisément la raison de ma venue. »

Pourquoi Nivraya affichait-elle son "masque de cour" alors qu'il n'y avait ici que son époux, son homme de confiance et Thorondil ? s'interrogea-t-il avant de finalement rejeter la question d'un revers de pensée. Cela ne le regardait absolument pas et il n'avait absolument aucune raison d'ajouter plus d'interrogations à la liste déjà trop longue qui lui occupait l'esprit.

- Oh, vous devez parler de secrets d’État, je suppose. Cela tombe bien, je me sentais justement en forme pour aller voir les animations de ce soir. J'ai entendu dire qu'un grand numéro de cracheurs de feu était organisé. Prenez vos aises Maître Thorondil, vous êtes ici chez vous.

... Alors là... Thorondil n'était pas au bout de ses surprises. Il nageait d'étrangetés et bizarreries. Il observa sans un mot le manège du couple. Un douloureux pincement lui tordit les tripes en voyant Justar embrasser son épouse. Un élan de jalousie primitif et stupide des plus malvenus qu'il s'empressa d'étouffer au milieu de cette absurde situation. La scène qui s'était joué entre Nivraya et lui le jour précédent avait visiblement laissé une trace qu'il n'était certainement pas prêt à accepter. Et le simple tressaillement de mâchoire qu'il eut en réaction passa heureusement totalement inaperçu. Non, vraiment, il était temps que cette journée se termine, il commençait à être totalement désorienté. Il suivit des yeux le départ de Justar et fixa l'ouverture encore quelques secondes après son départ. Contrairement à beaucoup de maris sur le point de laisser leurs femmes seules en présence d'un autre homme, il ne lui avait même pas lancé le moindre regard d'avertissement ou quoique ce soit qui puisse s'y apparenter.

- Merci d'être venu. Votre disparition avec Lise Demeson m'a un peu intriguée, je dois bien l'avouer. Tout s'est-il bien passé ? Je veux dire… Vous avez dû croiser Alyss, et si elle n'est pas avec vous, c'est que vous avez dû découvrir quelque chose d'intéressant. Mais comment ont avancé les choses après votre départ ? Dites-moi tout.

Thalion refusa le siège qui lui était offert, restant debout, une posture bien trop rigide pour être neutre. Contrairement au but de la dame, le son de sa voix ne fit que remonter la rancœur de l'héritier de Kervras. Il avait accumulé trop de griefs dans la journée pour se laisser bercer par ce chant des sirènes. Les mains puissantes se fermèrent en poings, le coin de sa bouche était agité d'un tic et l'air sembla tourbillonner autour de l'homme tant sa colère transparaissait. Dans son dos, il sentit Freyloord se tendre. Il ne s'en soucia pas, le géant était suffisamment intelligent pour savoir que Thorondil ne lèverait pas la main sur son employeuse.

« - Vous vous inquiétez peut-être ? C'est trop d'honneur que vous me faites Madame. »

Pour ne pas alerter le voisinage, sa voix n'était pas plus haute qu'un murmure, mais malgré ça, il semblait hurler. Son ton transpirait un sarcasme qui ne lui ressemblait pas et chaque mot sortait avec assez de rage pour faire trembler un ennemi.
Il se rapprocha assez de Nivraya pour avoir à baisser la tête pour la regarder, se souciant peu de l'inconfort que son geste pouvait lui susciter.

« - Me prenez-vous pour une de vos stupides marionnettes ? Tout ça... ce n'est qu'une immense farce ! »

Pendant quelques secondes il sembla à court de mots, étranglé avec sa propre colère. Il dû prendre une longue et profonde inspiration pour pouvoir reprendre, toujours très bas mais tout aussi menaçant.

« - Vous voulez tout savoir ? A votre guise ! Cette jeune fille est persuadée que son père est un héro ! Cet homme serait prêt à tout sacrifier pour savoir sa fille heureuse, comme n'importe quel père qui ait un minimum de cervelle dans le crâne ! Oui Demeson cache des choses et non sa fille n'a rien à voir là-dedans. Ce n'est qu'une jeune idéaliste qui a été maintenue dans sa tour de cristal, qui rêve d'aventure et du preux chevalier sur son cheval blanc. Elle ne voit que la bonté de monde sans en voir aucune laideur. Elle est aussi naïve que ma propre fille. »

A cette évocation la colère de Thorondil retomba comme un soufflet. Il a encore tant de chose à dire, tant de colère à décharger, mais il se sent soudain fatigué. Non, épuisé. Il prit de nouveau une très longue inspiration et la relâcha lentement. Mais là encore, il continuait à maintenir fermement le contact visuelle avec la jeune femme.
Quand il reprit, ce fut d'une voix lasse.

« - Vous m'avez envoyé là-bas en sachant parfaitement que je ne serais pas à la hauteur. Pourquoi ? » Il ne la laissa pas répondre et reprit immédiatement. « Elle... »

Il arracha de son cou le pendentif que Lise lui avait offert, comme s'il lui brûlait la peau, manquant dans sa brutalité de casser le fermoir, et il le tint juste devant le nez de Nivraya, laissant la pierre pendre sous son poing serré si fort sur la chaîne qu'il en sentait les maillons percer sa peau.

« - Félicitez-vous Madame, votre plan a marché à la perfection. Pas le moindre accro, vous avec visé juste comme à votre habitude. » Et devant l'air interrogatif qu'il reçu en réponse, il précisa « Le pendentif de sa défunte mère. Son porte-bonheur. L'un des objets auxquelles elle attribue le plus de valeur en ce monde. Vous avez devant vous la preuve que vous avez choisi le bon pigeon et le bon appât. Mais dites-moi, pourquoi n'arrive-je pas à savoir lequel je suis ? »

Le regard de mithril se fit encore plus inquisiteur dans la pénombre. Au bout de son bras, il sentait le poids de ce mensonge et de sa honte qui infectait son honneur comme une peste immonde. Incapable de le supporter plus, il le posa sur la table et, finalement, prit une chaise. Ses épaules basses en disait long. Il passa une main sur son visage, puis dans ses cheveux et à son cou, avant de terminer.

« - J'ai dû faire une promesse. A Demeson. Sur mon honneur... »

Nivraya n'allait certainement pas aimer ce qu'il allait lui dire mais il n'en avait cure. Cependant il savait aussi qu'elle était la seule à pouvoir trouver une solution à ce mauvais pas dans lequel elle l'avait poussé volontairement.

« - J'ai dû lui promettre que je ne ferais rien pour blesser sa fille. J'ai mis en jeu mon honneur de guerrier et l'honneur de ma famille pour vous permettre de jouer votre partie comme vous l'entendiez. J'ai juré sur l'avenir de ma famille, de ma fille, pour préserver votre plan bancal alors je ne saurais que trop vous conseiller de prendre ça en compte quand vous ferez tomber Demeson. J'ai accepter de vous suivre vous et cette idée stupide pour protéger mon roi, ma reine et mon pays mais si cela devait retomber sur ma fille... » il laissa planer un silence lourd de signification. « Je ne le permettrais pas. Si vous pensez que Lise Demeson est une victime collatérale acceptable... ma fille ne l'est pas. Je préfèrerais tuer Demeson de mes mains plutôt que de laisser toutes ces manigances de cour mettre en périls les miens. »
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Nivraya
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Justar - Couleuvres et Pigeons EmptyVen 3 Avr 2015 - 16:56
Silencieuse comme un courant d'air, la jeune femme se déplace entre les tentes en faisant de son mieux pour ne pas être repérée par les gardes qui patrouillent, l'œil aux aguets. Fort heureusement, elle a passé sa vie entière à se faufiler dans les endroits les plus inaccessibles, à s'introduire dans les coffre-forts les mieux gardés, et à en sortir avec maestria. Elle est certaine de pouvoir y arriver, cette fois encore. Immobile, tendue comme la corde d'un arc, elle observe le déplacement d'un groupe d'hommes qui discutent tranquillement, sans avoir conscience de sa présence. Ils sont le dernier obstacle entre elle et la tente qu'elle a choisie pour cible : celle des Demeson. Les deux individus s'arrêtent un instant pour discuter, et elle se baisse un peu plus, de peur qu'ils n'aient repéré sa silhouette. Il n'en est fort heureusement rien, et elle comprend qu'ils sont simplement en train de vérifier qu'ils n'ont rien oublié dans l'auberge où ils ont passé la soirée. Recroquevillée, elle attend sagement qu'ils aient terminé de procéder à l'inspection minutieuse de leurs poches, tout en laissant ses pensées s'égarer. Un clin d'œil plus tard, elle replonge dans la conversation qu'elle a eue avec Thorondil, quelques instants plus tôt.

Les maigres informations qu'il lui a données, bien qu'elles ne lui permettent pas d'aborder la situation avec une sérénité absolue, sont toutefois mieux que rien. Un coffre non humain, des pièges pour protéger son contenu… Elle a déjà envisagé cette éventualité, mais elle est heureuse de savoir que le défi sera à la hauteur de ses capacités. Palpant une de ses poches, elle repère le set de crochetage qu'elle conserve toujours sur elle, son ami le plus fidèle qui l'a toujours sorti de toutes les situations. Elle se garde bien de l'ouvrir pour vérifier encore une fois que tous ses précieux objets sont en place, consciente qu'elle a déjà procédé à la vérification moins de dix minutes avant, « pour être sûre ». Gagnée par l'excitation d'un vol particulièrement difficile, elle devient presque maniaque, et se met à effectuer des gestes rituels qui la rassurent, et surtout qui lui permettent de canaliser la dose normale de stress qui accompagne chaque action délictueuse. Toutefois, plus elle se trouve proche de son but, moins elle doit céder à ces pulsions qui sont susceptibles de lui faire perdre du temps, ou le fil de sa concentration. Il s'agit pour elle du dernier contrôle de routine, avant de foncer.

Sa main glisse naturellement vers plusieurs endroits stratégiques : ses hanches, ses chevilles, ses reins, etc. Elle y trouve à chaque fois la présence rassurante du manche d'un poignard ou d'un couteau de lancer, armes plus défensives qu'offensives, mais surtout suffisamment légères pour être emportées lors d'une infiltration sans risquer d'être repérée. Elle est consciente qu'elle n'aura pas à en faire usage, car d'après ses premières observations, Demeson n'est pas encore rentré. La nuit est tombée, certes, mais la cité Blanche est encore loin de fermer ses portes. C'est la fenêtre idéale pour agir, en profitant de la seule présence de Lise Demeson à l'intérieur. Les souvenirs de la voleuse la ramènent brutalement à la dernière réplique de Thorondil, avant qu'il ne la laisse partir à son opération secrète. De toute évidence, il sera prêt à lui faire payer très cher la moindre blessure infligée à Lise. Le regard qu'elle lui a lancé à ce moment-là était plein d'incompréhension, avant qu'un petit sourire ne vienne éclairer son visage. Un sourire entendu, et quelque peu moqueur, qui s'était entendu dans sa voix quand elle avait répondu :

- Tout ira bien, je ne la toucherai pas. Vous aurez tout le loisir de le constater quand vous la reverrez.

Espiègle, elle lui avait adressé un clin d'œil avant de filer. En se souvenant de ça, elle se dit qu'elle a peut-être parlé un peu vite. En effet, la tente lui apparaît moins grande qu'elle l'a imaginé, et si elle se fie à son intuition, il lui faudra probablement éviter un serviteur ou un garde pour réussir à commettre son larcin. Rien de vraiment gênant, mais si elle désire accomplir sa mission comme Nivraya le lui a demandé, il vaut sans doute mieux ne pas trop se faire remarquer, et éviter de déclencher une bagarre ou d'avoir à trancher la gorge d'un innocent. Non pas que cela lui déplairait, ou la mettrait mal à l'aise, mais faire disparaître un corps en plein milieu de cette forêt de tentes revient à vouloir essayer de faire passer un morceau de gigot d'agneau au milieu du Mordor. Périlleux, suicidaire, quoique assez drôle.

Les deux bavards finissent par s'en aller, et alors qu'elle entend leurs pas et leurs voix qui s'éloignent, elle se dépêche d'ôter l'infâme tunique de servante qui lui sert de couverture. La longue robe crème, trop ample pour bouger convenablement, laisse place à une tunique de cuir souple, entièrement noire, avec suffisamment de poches pour y cacher n'importe quoi. Les poignards, cette fois, sont parfaitement visibles, et Thorondil comprendrait d'où elle a tiré sa lame si rapidement s'il la voyait dans cette tenue. Ombre parmi les ombres, elle se glisse hors de sa cachette et s'élance, en regardant de droite et de gauche, vers la tente des Demeson. Rapide, elle contourne l'entrée principale, et fait de son mieux pour que son ombre ne soit pas projetée à l'intérieur par une éventuelle torche. Quand elle a finalement estimé être arrivé au bon endroit, en fonction de ce que lui a décrit Thorondil, elle s'agenouille, dégaine habilement un poignard, et entreprend de découper un mince pan de toile qui lui permet de regarder à l'intérieur.

Aucun mouvement, et la pièce est plongée dans l'obscurité. Elle avise des formes immobiles, probablement le mobilier de Demeson. Cinq secondes plus tard, le temps de s'être faite à la faible luminosité, elle agrandit la faille et se glisse comme un chat dans l'ouverture ainsi pratiquée. Les mains au sol, elle se déplace souplement de deux mètres sur sa droite, où elle repère un petit coffret. La serrure est bien en évidence, grosse et lourde, mais Alyss devine immédiatement qu'il s'agit d'un leurre. Elle a percé suffisamment de coffres dans sa vie pour comprendre le truc. Introduire ses crochets à l'intérieur lui donnerait la sensation de se rapprocher du but, et elle se donnerait entièrement à son œuvre, sans remarquer que la seule chose qu'elle libérerait serait un poison volatil mortel, ou paralysant. Ou peut-être plus simplement un dard caché qui viendrait lui transpercer l'œil. Les serruriers sont des gens très inventifs. Elle examine le coffre, sans le toucher, sous toutes les coutures. Finalement, elle repère une partie lisse anormale, très difficilement décelable. Il s'agit de bois, apparemment, mais en passant sa main dessus, elle ressent la pulsation du métal. Son sixième sens de voleuse l'avertit de ce genre de choses, et elle est convaincue d'avoir trouvé la serrure cachée. La clé doit être vraiment petite pour ouvrir ce coffre, ce qui correspond tout à fait. A gros coffre, ou gros trésor, on imagine toujours une clé de grosse taille. Tous les voleurs débutants se font avoir. Un regard en arrière lui permet d'aviser un lit, probablement vide, où doit dormir Demeson. Un peu en retrait, suffisamment caché pour qu'elle ne puisse pas le voir entièrement, un second lit avec probablement Lise Demeson.

Deux secondes d'attente, pour essayer de capter le moindre mouvement, mais il n'y a rien, sinon une respiration très ténue qu'elle entend à grand peine. Elle s'autorise à commencer son travail. En une seconde, ses outils se retrouvent entre ses doigts agiles, et filent prestement explorer les viscères du mécanisme sophistiqué qui protège le coffre. A la manière d'un chirurgien cherchant à repérer une blessure dans un patient ouvert du thorax à l'abdomen, elle plonge mentalement dans les rouages complexes de la serrure, cherchant les goupilles qui se dressent comme un obstace entre elle et son contenu. Un bruit derrière elle, soudainement, l'alerte. Elle s'immobilise et se retourne, scrutant les ténèbres avec circonspection. Une lumière vacillante s'approche peu à peu, et elle se retranche dans un coin, silencieuse, arrêtant de respirer. Une seconde passe, et elle se rend compte qu'il s'agit d'un garde à l'extérieur de la tente, qui déambule avec une torche. Elle retient son soupir de soulagement – qui peut trahir aussi sûrement qu'une chanson soudainement fredonée – et se remet à pied d'œuvre. Le mécanisme récalcitrant, elle doit changer de crochet, et en choisir un plus long et plus mobile. C'est vraiment du travail de professionnel, et si elle était libre de ses mouvements, elle aurait probablement laissé ce trésor de côté pour se concentrer sur les autres richesses de la pièce. Malheureusement, c'est là qu'elle doit frapper, et elle n'a pas le choix. Essuyant la transpiration sur son front, elle continue son exploration, et finit par enclencher une première goupille. Une petite victoire, puisqu'elle en a compté quatre au total. Avec une patience infinie, chaque seconde étant aussi longue qu'une heure, elle continue son œuvre. Les minuscules cliquettements des mécanismes résonnent à ses oreilles, et lui donnent l'impression que tout le monde va entendre son vacarme, et venir la cueillir en flagrant délit. Toutefois, elle s'efforce de ne pas paniquer, de rester concentrée, et surtout de continuer au même rythme, sans se hâter inutilement.

Arrivée à la dernière goupille, toutefois, elle capte un bruit anormal derrière elle. Comme celui d'un individu qui bouge lentement après être resté immobile. Elle perçoit distinctement le frottement des vêtements, et son cœur cesse de battre pendant une poignée de secondes. Elle se retourne, sans lâcher ses crochets, consciente que là où elle se trouve, elle est dans une bien délicate posture. Un trait d'arbalète la laisserait étendue sur place, morte, sans qu'elle ait le temps de réagir. Elle cherche des yeux qui se trouve là, mais aucun mouvement anormal n'attire son attention. Rien, dans les ténèbres étouffantes de la pièce, ne lui donne objectivement une raison de paniquer. Les meubles sont parfaitement à leur place, il n'y a pas le moindre signe que quelqu'un se soit déplacé ou ait tenté de se rapprocher d'elle subrepticement. Cinq longues secondes passent, avant qu'elle n'attribue une explication à ce qu'elle a entendu. C'est certainement Lise Demeson qui a bougé dans son sommeil, et qui lui a donné cette petite frayeur. Oui, c'est sûrement ça.

Elle replonge dans son mécanisme, et finit par trouver la bonne hauteur pour la dernière goupille. S'écartant largement – pour éviter un second piège caché –, elle déverrouille le système de sécurité qui lui aura donné du fil à retordre, et laisse s'ouvrir le clapet. Par chance, il ne se trouve aucun traquenard à l'intérieur. Elle jette un œil au contenu du coffre, et aperçoit un ensemble de documents, qui doivent être confidentiels pour être conservés avec un tel soin. Elle s'empare du tout, et les glisse dans sa veste de cuir, avant de refermer le coffre. Ainsi chargée, elle se dépêche de se glisser dans l'interstice qu'elle a creusé dans le tissu de la tente, et se retrouve enfin à l'air libre, filant prestement rejoindre son employeuse, porteuse de très bonnes nouvelles.

Dans la pièce sombre, Lise est toujours endormie. Sa respiration parfaitement régulière et ses petits poings fermés indiquent qu'elle n'a pas eu vent le moins du monde de ce qu'il s'est déroulé à quelques mètres d'elle seulement. Ce n'est pas le cas de la silhouette qui vient de sortir de l'ombre. Caché derrière un pan de toile additionnel, une sorte de double-fond, il a tout observé de loin, avec une attention soutenue. Le manège du voleur, son talent certain pour la discrétion, son mode opératoire. Il a tout noté dans un coin de sa tête, et a grande hâte de raconter ce qu'il a vu à son patron, qui ne devrait pas tarder à rentrer…


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Nivraya dévisage  Thorondil avec une mine glaciale, n'appréciant pas trop le ton qu'il emploie avec elle. Son sarcasme à peine dissimulé, et la colère sourde qu'elle lit en lui sont sur le point d'éclater, mais elle ne comprend pas pourquoi. Après tout, elle lui a annoncé qu'ils allaient marcher sur des œufs, et qu'ils risquaient de devoir se salir les mains. Quelle part du contrat a-t-il oubliée en route ? Pendant un bref instant, elle croit sincèrement que sa harge va le pousser à la gifler. Lorsqu'il s'avance, menaçant, droit dans sa direction, elle perd de vue le Thorondil qu'elle connaît. Disparu l'homme mal à l'aise en société, incroyablement maladroit, gêné dans des vêtements trop chics pour lui, essayant de ne pas faire de bêtise en parlant. Elle retrouve l'homme de guerre, le militaire endurci capable de se laisser aller à des élans d'une violence inouïe. Elle recule même d'un pas, s'attendant à ce qu'il la saisisse à la gorge pour passer ses nerfs sur elle. Le regard de Nivraya glisse un bref instant vers Freyloord, qui observe la situation sans mot-dire, comme à son habitude. Elle attend un instant, et finalement discerne la vérité derrière le masque de colère du Dunadan. Il a beau la détester, il est trop honorable pour céder à ses pulsions. Elle avale sa salive, et profitant de ce qu'il cherche ses mots pour lui expliquer son désarroi, elle souffle :

- Freyloord, veuillez nous laisser. Tout ira bien.

Le géant a un micro-mouvement de la tête, très légèrement dubitatif, mais il s'exécute sans contester, plaçant aveuglément sa confiance dans la jeune femme. Si Nivraya a fait cela, c'est certainement parce qu'elle est convaincue que le cœur de Thorondil est bien plus pur que ce que son apparence rustre donne à penser, mais surtout car elle veut lui envoyer un message. Elle veut lui faire comprendre qu'ils sont alliés, et qu'ils n'ont pas de raison de se montrer menaçants l'un envers l'autre. Pourtant, le fait qu'il se trouve si près d'elle en cet instant présent démontre qu'il n'est pas tout à fait de cet avis, et qu'il a un certain nombre de reproches à lui adresser. Elle est prête à les entendre, naturellement, et il ne se prive pas pour tout lui balancer au visage, même si pour cela il doit se pencher vers elle, comme si elle n'était qu'une enfant.

Ah, Lise Demeson. Cette petite idiote a réussi à lui faire tourner la tête ! Nivraya ferme les yeux une seconde, se demandant si elle aurait pu éviter cela. Bien sûr que non. Elle n'a jamais pensé que la jeune femme pourrait être une telle menace pour son plan, ni que Thorondil, le froid et distant guerrier qui avait sauvé l'Arnor, pourrait s'attendrir devant une jeune fille en fleur. Il faut croire que cette petite inconnue dans son plan est à l'origine de tous ses maux. Alors qu'elle réfléchit à comment apaiser la colère du militaire, il lui peint en retour un portrait exalté de Lise, qu'il décrit comme une fille rêveuse, idéaliste même. Idéaliste. Comme si on pouvait encore se permettre d'être idéaliste par les temps actuels. Nivraya ne cache pas sa perplexité devant la situation, mais les réponses que lui donne le fauconnier sont très déstabilisantes.

Le collier qu'il brandit devant elle, comme un talisman censé l'effrayer, se balance devant ses yeux un bref instant. Non sans sarcasme, il lui en explique la signification, et Nivraya comprend que derrière ce présent, il y a bien autre chose qui trouble Thorondil. De toute évidence, il se sent manipulé – ce qui est assurément le cas –, et surtout forcé de faire du mal à une innocente, ce qui va totalement à l'encontre de ses principes. C'est bien là que le problème réside. Elle a engagé pour cette mission délicate un homme plein de principes, sans penser un seul instant que ceux-ci pourraient soulever en lui des dilemmes insolubles. Doit-il briser les rêves et les espoirs d'une jeune fille qui n'a rien fait, pour sauver la vie de ses souverains ? Pragmatique, Nivraya a déjà la réponse à cette interrogation. Reste à Thorondili à trouver la sienne. Au faîte de son discours enflammé, il se calme soudainement sur une interrogation qui n'est pas si rhétorique que ça. Pigeon ou appât ? Elle-même ne sait pas exactement comme le définir, et pendant qu'elle choisit soigneusement ses mots, elle emploie sur lui son charme irrésistible.

- Maître Thorondil, je vous en prie, asseyez-vous…

Elle pose une main sur son bras, comme pour le rassurer, et lui indique du geste un fauteuil confortable vers lequel elle l'incite à se déplacer. Il s'installe, lourdement, mais elle ne rompt pas le charme pour autant. Sa voix suave et douce continue à résonner à ses oreilles, tandis que sa main glisse lentement vers son épaule, s'y arrêtant un instant comme pour lui montrer sa solidarité :

- Vous n'êtes ni un pigeon, ni un appât… Je dois admettre que j'avais envisagé ce cas de figure, celui où vous commenceriez à éprouver quelques doutes…

C'est un odieux mensonge, mais il n'est pas obligé de le savoir. L'essentiel est qu'il continue à croire qu'elle maîtrise la situation, qu'elle l'a toujours eue son contrôle, et qu'il n'est pas abandonné, livré à lui-même. Cependant qu'elle parle, elle leur sert tous les deux un grand verre d'alcool nain. Elle le lui glisse dans la main, convaincue qu'il est trop sonné pour se rendre compte qu'elle a pris la même dose que lui. Une dose d'homme, d'un alcool d'homme. Toutefois, elle a bien besoin d'un petit remontant, elle aussi.

- Je pensais que nous aurions assez de preuves pour inculper Demeson très rapidement, et que vous n'auriez pas le temps de vous attacher à sa fille. Je ne pensais pas que ses sentiments se développeraient si vite. J'aurais dû deviner qu'une jeune fille à qui un brave chevalier témoignerait de l'intérêt se sentirait instantanément flattée. Me pardonnerez-vous mon erreur ?

Pendant un instant, elle a parlé en regardant dans le vide, mais sur cette dernière interrogation, elle plonge son regard hypnotique dans celui de Thorondil. Son jeu d'actrice est parfaitement maîtrisé, et elle sait que, quoi qu'il pense d'elle au fond, il est obligé d'avaler des couleuvres et d'accepter de collaborer avec elle. En feignant une très légère fragilité, elle désamorce sa colère, et rééquilibre un peu les choses, pour pouvoir aborder la suite de leur plan. En vérité, elle est très satisfaite de savoir que Lise Demeson s'est enamourée si rapidement, et qu'il a déjà obtenu des informations intéressantes. L'absence d'Alyss signifie qu'elle doit être en train de procéder à la récupération des informations, et c'est la raison pour laquelle elle a fait venir Thorondil : pour pouvoir lui annoncer de manière triomphale qu'ils vont faire tomber un ennemi de la couronne, et ce sans avoir eu besoin de tirer l'épée une seule fois. Sa satisfaction intérieure est à son comble, mais elle la cache pour l'instant, consciente que ce serait se trahir. Au lieu de quoi, elle s'adresse au fauconnier sur le ton de la confidence :

- Votre promesse est honorable, maître Thorondil, et je suis certain que vous n'accepterez pas de la trahir. Toutefois, vous avez aussi prêté serment au Roi et à la Reine d'Arnor. Si tout se passe comme je l'ai prévu, alors dès ce soir, nous aurons assez de preuves pour faire arrêter Demeson, et tout rentrera dans l'ordre. Si un problème venait à survenir, cependant, j'aimerais que vous sachiez où est votre place. Demeson est un traître et un ennemi de la couronne. Les engagements que vous prenez auprès de lui ne sont d'aucune valeur face au danger qui nous guette.

Elle marque une pause, le temps de lui laisser comprendre où elle veut en venir. Elle n'entend pas le pousser à choisir ouvertement entre Lise et son Roi, mais il doit être conscient que de telles éventualités peuvent un jour se présenter, et qu'il n'est pas permis d'hésiter quand les vies d'Aldarion ou de Dinaelin sont en jeu. Pas une seule seconde. Elle reprend finalement, sur un ton redevenu plus froid, et plus condescendant :

- Quant à votre fille, maître, ne m'accusez pas de la mettre en danger volontairement. Votre seule existence est un danger pour elle, et vous savez au fond de vous-même que c'est davantage votre notoriété que nos manigances qui peuvent lui nuire. Croyez-vous que vous soyez le seul dans ce cas ? En entrant au service de notre Roi, en faisant tout pour garantir sa sécurité et la prospérité du royaume, nous impliquons ceux qui nous entourent. Ne croyez-vous pas que celui qui voudrait m'abattre n'aurait qu'à faire assassiner mon cher époux ? Pensez-vous que je n'y pense pas à chaque fois que je dois m'attaquer à un puissant seigneur ? Avez-vous réfléchi aux conséquences que cela pourrait avoir ?

Elle pose toutes ces questions sans agressivité, simplement en dévoilant des faits que Thorondil ignore probablement. Car oui, en tant que femme, son statut est intrinsèquement lié à celui de son époux. Beaucoup apprécient de l'appeler « Madame Justar Alen de Gardelame », pour bien lui rappeler qu'elle ne doit sa position à la cour qu'à l'autorisation de son mari qui lui permet d'exercer des fonctions à la capitale. S'il décidait de la rappeler à lui, elle serait légalement obligée d'abandonner ses fonctions. Et s'il venait à disparaître ? La fortune familiale, les terres et les titres reviendraient à son plus proche parent à lui. N'ayant pas d'héritier, ce serait peut-être un de ses cousins, qui s'empresserait d'écarter du pouvoir la jeune ambitieuse, en lui confiant un lopin de terre et quelques serviteurs pour ses vieux jours. Ils sont tous fragiles, tous vulnérables, et surtout ils sont tous dans le même bateau. Ils doivent se soutenir, et non pas se saborder. Ou plutôt, il doit la soutenir, et elle doit faire un effort pour ne pas le saborder tout de suite.


- - - -


Cela fait trois bons quarts d'heure que Thorondil l'a rejointe sous sa tente, quand soudainement Freyloord écarte le pan de toile, en laissant passer une jeune servante qui lui adresse un regard affectueux au passage. La jeune femme au visage rieur s'approche de Nivraya et de son invité, posant très familièrement une main sur l'épaule de ce dernier en guise de salut. Il est toujours curieux de voir les personnalités très diverses qui se côtoient dans l'entourage de la carriériste assistante de l'Intendant d'Arnor. Elle-même, glaciale et retorse, est l'exact opposée de son mari chaleureux et honnête. Alyss, la petite voleuse, est d'une familiarité rafraîchissante, tandis que Freyloord est un modèle de servilité réservée. La jeune Haradrim tire une chaise face à la petite table basse qui se trouve entre les deux nobles, et leur lance avec une certaine excitation :

- Mission accomplie ! J'ai réussi à crocheter ce satané coffre. Je dois dire que ce n'était pas une mince affaire. C'était un modèle vraiment élaboré, avec une serrure factice, et je crois qu'il y avait quelques autres leurres que j'ai…

- … Est-ce que tu as été suivie ? Est-ce que quelqu'un t'a vue ? S'inquiète Nivraya, coupant court au récit qui aurait pu durer des heures.

- Non, j'ai bien vérifié, répond la voleuse sans se formaliser le moins du monde. Voilà ce que j'ai trouvé !

Elle sort de plusieurs de ses poches des documents, des carnets, des lettres qu'elle dépose en vrac sur la table. Sans attendre, la dame de Gardelame s'empare de l'un d'entre eux, et commence à le feuilleter. Si Thorondil s'est un jour posé la question de savoir pourquoi elle se trouvait à cette place, il en a désormais la réponse. A cause de sa capacité de travail prodigieuse. Plus à l'aise avec les textes et les livres qu'avec les gens, elle s'absorbe dans une lecture extrêmement rapide et soigneuse des documents, cherchant des informations compromettantes. Alyss fait de même, avec plus de nonchalance. Thorondil, à son tour, est obligé de participer au dépouillement des lettres. Nivraya, qui au départ se laisse gagner par un enthousiasme tranquille, consciente qu'elle a déjà gagné la partie, commence à s'inquiéter légèrement en voyant le tas de lettres diminuer sans qu'aucun indice probant ne leur apparaisse. Le livre de comptes de Demeson ne montre aucune irrégularité sur les derniers mois, et elle relit deux fois chaque ligne pour essayer de bien déceler des malversations cachées, en vain. Elle s'attaque ensuite à la correspondance secrète, sans rien trouver de palpiant. Des négociations avec des nobles pour des contrats commerciaux contre d'anciens partenaires, des retournement d'alliances, des broutilles locales sans le moindre intérêt. Sa nervosité transparaît légèrement, par les claquements de doigts furieux qu'elle multiplie quand elle ne trouve pas l'information qu'elle cherche.

Thorondil et Alyss, en face, font chou blanc eux-aussi, même s'ils en apprennent davantage sur les activités de Demeson. Il ne semble y avoir aucune irrégularité majeure, aucune preuve formelle attestant de son lien avec d'anciens membres de l'OCF. Au combre de l'irritation, Nivraya se lève soudainement, et se met à faire les cent pas, une expression fermée sur le visage. Son plan vient de subir un revers inattendu, et surtout parfaitement inexplicable. Pourtant, ses informations étaient formelles, et il n'y avait pas la moindre ambiguïté. Demeson est impliqué dans des tractations séditieuses avec l'Ordre de la Couronne de Fer, et il doit être arrêté pour cela. Son immense richesse fait de lui le candidat idéal, en plus. Elle sent peu à peu la situation lui échapper, sans être en mesure de comprendre où elle a été induite en erreur. Son silence de plomb est rompu par Alyss, qui demande d'une voix étrangement calme :

- Qu'est-ce qu'on fait, Niv ?

L'emploi de son diminutif, d'ordinaire proscrit en présence d'étrangers – comme Thorondil – aurait dû la faire réagir, mais elle ne relève même pas, et se contente de se retourner vers le fauconnier, non sans avoir remis son masque de dignité aristocratique. La contrariété qui s'est peinte sur son visage quelques instants semble avoir disparu soudainement, et elle incline légèrement la tête devant lui :

- Vous devez être fatigué après une telle journée. Merci beaucoup pour l'aide que vous nous avez apportée. Nous allons réfléchir à une solution, ne vous inquiétez pas.

Elle se sert un autre verre d'alcool nain, et le descend d'un trait, sans paraître être même un tant soit peu étourdie. Alors que Thorondil se lève pour prendre congé – ou plutôt, pour filer après avoir été chassé très poliment – elle le rappelle :

- Nous nous verrons demain. Je viendrai vous trouver chez vous aux alentours de midi, et nous discuterons des suites à donner à toute cette histoire. Faites-moi confiance, tout est sous contrôle.

Cette fois, son mensonge paraît ne pas passer. Elle ne laisse toutefois rien transparaître sur son visage de marbre, et laisse le fauconnier s'éclipser, plein d'interrogations sans doute. C'est sans doute la première fois qu'il la voit aussi perturbée, et elle s'en veut de lui laisser le loisir d'établir autant de théories sur elle. Elle s'est trop exposée ce soir, et lui a donné à voir un aperçu de la réalité qui se cache derrière son masque glacial. Si elle n'avait pas à gérer le cas Demeson, elle se serait probablement attelée à réparer tout cela. Mais il ne s'agit que d'une préoccupation secondaire, par rapport à sa situation présente. Alors que Thorondil franchit le seuil de la tente, la dernière chose qu'il entend est Nivraya ordonner à Alyss d'une voix déterminée :

- Rassemble les messages sur lesquels on trouve le sceau de Demeson, j'ai un plan.


- - - -


Au réveil, Nivraya se sent un peu barbouillée. Elle a passé la nuit à travailler d'arrache-pied, à l'aide de Freyloord et de ses innombrables talents. Décidément, cet homme est une véritable perle, et elle découvre régulièrement à quel point il est capable de la surprendre. Derrière ses deux mètres et ses cent kilos, il est capable d'une finesse rare. Grâce à lui, la situation a été parfaitement retournée, et elle se sent prête à attaquer la journée du lendemain. Justar est déjà parti pour négocier avec un comte qui habite à quelques lieues du domaine de Gardelame, et qui voudrait acheter certaines de leurs graines pour replanter après l'hiver, si bien qu'elle se retrouve seule. Alyss, qui a passé la nuit sans dormir, est probablement occupée à entretenir sa couverture de servante en allant discuter avec les autres femmes qui accompagnent les nobles, et qui sont souvent de vraies sources d'information. Quant à Freyloord, il monte la garde devant l'entrée, pour changer. Elle se toilette, s'habille impeccablement pour aller rencontrer Thorondil, et finit par sortir pour prendre la direction de sa tente, qui se trouve à moins de cinq minutes de marche. Toutefois, au lieu de se retrouver face à une superbe vision de la Cité Blanche baignée par la lumière du soleil, elle pose les yeux sur un carrosse qui paraît l'attendre elle. Un homme se tient debout devant, les bras croisés. En la voyant, il s'avance vers elle, et esquisse un salut courtois :

- Dame de Gardelame, je suis porteur d'un message de Sire Demeson. Il me fait vous dire qu'il vous convie à une réunion de la plus haute importance. Il a ajouté qu'il s'agissait d'affaires d’État.

Nivraya fronce les sourcils. Demeson ? Elle ne comprend pas. Il n'est pas certain qu'il ait vérifié dans son coffre, et qu'il ait constaté la disparition. Après tout, le larcin a eu lieu la veille au soir, et s'il est rentré tard, il a pu ne pas s'en apercevoir. Même si c'était le cas, pourquoi la contacter elle plutôt que le chef de la garde ? Ou l'Intendant à la rigueur ? Il est impossible qu'il ait des soupçons sur elle. A moins qu'il veuille obtenir des informations sur Thorondil, mais il est certain que Thorondil s'est éclipsé bien avant que le vol soit commis, si bien qu'il ne peut non plus être tenu pour responsable. Toutes ces pensées défilent dans sa tête, et elle répond avec un naturel désarmant :

- Vous direz à Sire Demeson que je suis tout à fait confuse, mais j'ai un autre rendez-vous aujourd'hui. Je peux le recevoir ce soir, ou demain s'il lui agrée.

- Je crains, Dame de Gardelame, qu'il se soit montré très explicite. Votre présence est absolument nécessaire. Il s'agit d'affaires de la plus haute importance qui requièrent votre présence.

Traquenard. Elle le flaire à cent lieues, et elle est certaine que c'est voulu. Pour savoir si elle est sur la défensive, ou si elle a quelque chose à se reprocher. Dans sa tête, des hypothèses défilent. Qu'est-ce que Demeson peut bien faire, sinon l'informer courtoisement qu'il a été volé, ce à quoi elle répondra avec une surprise feinte, et des mots d'une banalité affligeante : « oh, pauvre ami ! Avez-vous prévenu la garde ? » ou encore « Diantre, nous ne sommes donc en sécurité nulle part ? Je vais ordonner à mes hommes de prêter attention aux individus suspects ». Sans preuve, il ne peut absolument rien lui faire, et il n'a aucun moyen de pression qui puisse la forcer à parler. Elle se tourne un instant vers Freyloord, qui d'ordinaire l'accompagne partout :

- Restez ici, mon brave. Je suis certaine que cette entrevue ne durera pas plus d'une heure. Si mon rendez-vous devait se présenter, dites-lui d'attendre mon retour, et peut-être de se servir un verre d'absinthe.

Sur ces mots, elle se laisse galamment aider pour rentrer dans l'habitacle, baigné dans une obscurité étouffante. Elle remarque instantanément qu'elle n'est pas seule, et qu'on homme s'y trouve. Maîtrisant son tremblement, alors qu'elle sent le mouvement régulier du véhicule qui se met en branle, elle lance :

- Bonjour à vous. Vous êtes aussi invité par Sire Demeson ?

- Pas vraiment, répond une voix grave et caverneuse. Je suis un de ses employés. Il m'a chargé de m'assurer que vous arriveriez à destination.

Elle sent un frisson lui parcourir l'échine, mais elle fait de son mieux pour se calmer. Elle ne risque absolument rien, il essaie simplement de lui faire peur. Pour l'heure, sa stratégie est efficace, mais elle n'a qu'à se rappeler qu'il n'a rien contre elle pour se rassurer largement. Un simple coup de bluff, audacieux et désespéré.

- Pourrions-nous ouvrir ces rideaux ? Il fait sombre, et j'aime voir le paysage.

Elle tend la main, mais l'homme en face d'elle s'empare de son poignet avec une vitesse prodigieuse, et lui répond tout aussi vite, d'une voix aussi douce que sa prise est ferme :

- Je préfère la pénombre, si vous n'y voyez pas d'inconvient. Je trouve que le soleil est trop agressif. Et puis le chemin n'est pas très intéressant : seule la destination compte, n'est-ce pas ?

Il relâche sa prise, et elle se dégage en se massant le poignet. Son regard exprime tout à la fois une colère outragée, et une inquiétude qu'elle essaie de dissimuler. Demeson engage de tels rustres ! Toutefois, plusieurs indices viennent contrebalancer cette vision. Il ne sent pas l'alcool, et du peu qu'elle a vu, il a l'air assez soigné. Il parle assez bien, sans accent. Il est trop impeccable pour n'être qu'un simple mercenaire de bas étage. Sa clochette d'inquiétude se met à tinter encore une fois, mais elle la fait taire en inspirant profondément. Il n'a rien contre elle, de toute façon. Rien du tout.

- Et quelle est cette destination ? Minas Tirith, je suppose.

- Vous n'avez pas demandé au cocher ? Vous auriez peut-être dû.

Sitôt après, elle sent les cahots irréguliers d'un sol peu entretenu. De toute évidence, ils s'éloignent de la capitale du Gondor, et s'enfoncent dans les plaines du Pelennor. Nivraya ferme les yeux, et essaie de rester détendue. La situation lui paraît de plus en plus inquiétante, mais elle a donné des consignes claires à Freyloord, sous couvert d'une conversation parfaitement banale. Si elle n'est pas revenue dans une heure, il faudra qu'il commence à s'inquiéter. Elle espère simplement que lui et Thorondil parviendront à la retrouver, car bien qu'elle se répète en boucle que Demeson n'a rien contre elle, qu'il n'a aucune preuve, chaque seconde passée en la compagnie de cet étrange personnage, qui ressemble plus à un assassin qu'à un courtisan, lui donne l'impression que sa vie est en grand danger. Elle referme soigneusement ses mains autour du sceptre qu'elle emporte partout : la seule arme qu'elle ait pour défendre sa vie en cas de besoin...
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Thorondil
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Justar - Couleuvres et Pigeons EmptyDim 19 Avr 2015 - 0:38
Une fois sa colère retombée, Thorondil lança à Nivraya un regard désabusé. Lui pardonner ? Elle lui demandait réellement de lui pardonner ? Il se serait sans doute fendu d'un mauvais rire s'il ne se sentait pas si fatigué et déboussolé. C'était ce qu'elle voulait depuis le début, que la jeune Lise tombe sous son charme et la manipuler à son gré. Et maintenant voilà qu'elle tentait de faire passer cette conséquence comme une malheureuse erreur de calcul ? Qui voulait-elle tromper ? A ça, le fauconnier ne prit aucunement la peine de répondre. Il ne mentirait pas, il n'était certainement pas prêt à la pardonner, ni pour ça, ni pour le reste, mais inutile de lui en faire part, cela n'arrangerait en rien les choses.
Cependant il devait bien admettre que la jeune femme avait fait preuve d'un extraordinaire sang-froid face à sa colère. Et pour ça, il la respectait. Il connaissait plus d'un homme qui se seraient ratatinés sur eux-mêmes avant de s'enfuir ventre à terre en couinant comme des chiens errants s'ils s'étaient retrouvés face à lui un peu plus tôt... mais il préfèrerait mourir étouffé par sa propre langue plutôt que de l'avouer.

Plus Nivraya parlait, plus Thorondil prenait conscience qu'elle ne maitrisait plus rien, son contrôle lui glissait entre les doigts comme une simple poignée de sable. Il avait fait plus de batailles et de guerres qu'à son tour et ne savait que trop bien à quoi ressemblait un capitaine qui perdait pied. Le même fantôme flottait au fond des yeux intelligents de la Dame de Gardelame et il n'y avait rien de plus effrayant que cette ombre dansant dans le regard de la personne qui bougeait les pions. Il lui devenait évident que la dame lui racontait des fables dans le seul but de maintenir l'illusion mais que faire d'autre ? Il avait désespérément besoin de se raccrocher à quelque chose alors qu'il s'enfonçait toujours plus avant dans ce bourbier et mieux valait alors une branche vermoulue que pas d'appui du tout. Alors il se força, douloureusement, à avaler chaque couleuvre que Nivraya lui donnait à becquer, aussi amer qu'en soit le goût et dangereuse la digestion... Il vida pratiquement d'une seule traite son verre d'alcool pour tenter de faire passer tous ces mots qui lui restaient physiquement en travers de la gorge et la sensation écœurante qu'ils laissaient sur sa langue.

Après quoi, d'une voix douce comme de la soie, elle lui parle de sa promesse, qu'il n'aurait pas à trahir si le plan se déroulait sans accro sinon... Sinon elle n'avait que faire de son honneur, ou de l'honneur de qui que ce soit à vrai dire. Elle ne comprenait pas, se rappela-t-il. Comment pourrait-elle comprendre. Vaguement, amèrement, il se demanda ce qu'elle pensait de son honneur propre et celui de son mari ? Aurait-elle aussi peu de scrupules à ce sujet ? Non, une arriviste comme elle ne se laisserait surement pas compromettre par une chose aussi... facultatif et subjectif que l'honneur. Le fauconnier haussa les épaules. Que pouvait-il répondre à ça ? Que n'eut-il jamais croisé le chemin de cette femme !

- Quant à votre fille, maître, ne m'accusez pas de la mettre en danger volontairement. Votre seule existence est un danger pour elle, et vous savez au fond de vous-même que c'est davantage votre notoriété que nos manigances qui peuvent lui nuire. Croyez-vous que vous soyez le seul dans ce cas ? En entrant au service de notre Roi, en faisant tout pour garantir sa sécurité et la prospérité du royaume, nous impliquons ceux qui nous entourent. Ne croyez-vous pas que celui qui voudrait m'abattre n'aurait qu'à faire assassiner mon cher époux ? Pensez-vous que je n'y pense pas à chaque fois que je dois m'attaquer à un puissant seigneur ? Avez-vous réfléchi aux conséquences que cela pourrait avoir ?

Les mains du fauconnier, sur la table, se crispèrent en poings, ses jointures virèrent rapidement au blanc. Il foudroya Nivraya du regard et souffla d'un air dédaigneux, ne cherchant pas à cacher le bref éclat de dégoût qui avait parcouru son visage. Abattre son époux pour la faire tomber elle ? Vraiment ? Alors qu'elle portait devant cet homme le même masque mielleux que devant tous les autres nobles ? Thorondil n'en croyait pas un mot. Quant à sa fille, que celui qui oserait ne serait-ce qu'effleurer sa précieuse Merilin trouve rapidement un dieu à prier car il ne trouvera plus de pitié en ce monde. La seule pensée de son enfant en danger semblait avoir replonger l'homme dans un nouvel enfer de fureur.

« - Oh je vous en prie, ne jouez pas à ça avec moi ! Me croyez-vous si idiot ? J'ai aidé à remettre le roi légitime sur le trône, la belle affaire ! Ces hommes ne craignent pas les petits héros, c'est bien pour cela que vous m'avez choisi, non ? Pour ces gens je ne suis qu'un homme avec un peu de cran et beaucoup de muscles à qui le roi a confié sa volière en remerciement de ce service. Quel fauconnier les menacerait ? Pourquoi croyez-vous donc que j'ai renoncé au droit de siéger au Senat comme mon rang me l'y autorise ? Je ne me suis jamais mêlé des intrigues. Toutes ces mesquineries me rendent malade ! Et tant que c'était le cas, qui aurait voulu s'en prendre à Merilin ? Mais maintenant... raaah ! »

Un des poings fermés frappa violement la table avant que l'homme ne se lève pour faire les cent pas, semblable à un lion en cage, une bête dangereuse piégée dans un espace trop étroit. Tantôt il passait une main dans ses cheveux, depuis longtemps détaché et pratiquement emmêlés, tantôt il se prenait la tête entre ses deux mains, serrant à s'en faire craquer les os du crâne pour évacuer la frustration. Il avait déjà défait les deux premiers boutons de son pourpoint qui lui enserrait le cou et passait frénétiquement les doigts sur son propre médaillon pour se calmer. Puis soudain, sans raison, il arrêta de creuser des sillons dans le sol de la tente des de Gardelame et fixa Nivraya. Son regard était encore plus étrange que d'habitude, balançant entre l'amertume et une sorte d'humour acide.

« - Pour cette fois, soyez rassurée pour votre époux, si l'on veut vous abattre par ce biais c'est moi que l'on visera. Votre manège lors du déjeuner n'est pas passé inaperçu, quoique mal interprété. Demeson était - est peut-être encore - persuadé que vous et moi sommes... amants. » Il avait mit dans ce dernier mot un venin particulier qui montrait clairement que l'idée lui était exceptionnellement déplaisante. « Il était particulièrement fier de sa "découverte" je dois dire. Lise Demeson m'a également posé la question. Etonnant n'est-ce pas ? Je vous conseillerais d'étouffer cette malheureuse rumeur avant que votre mari n'en ait vent. Il m'a l'air d'un homme très bien et je regretterais vraiment de l'avoir pour ennemi sur un simple malentendu. »

Il émit un rire bref, comme un aboiement, qui sonnait aussi faux que les mensonges de sa compagne. Oui, c'était petit et bas. Très bas même suivant ses propres critères. Pour une fois, il voulait être celui qui blesse plutôt que celui qui subit. La colère plus que l'homme parlait, bien qu'il ait cessé de s'agiter.

Pendant un moment il y eut un lourd silence puis, alors que Nivraya semblait sur le point de répliquer, Freyloord fit son apparition et ouvrit le passage à la jeune servante qui l'avait accosté plus tôt dans la soirée. Alyss semblait très fière d'elle et commença à joyeusement conter les détails de son exploit tout en posant familièrement sur l'épaule du fauconnier. Il n'arrivait pas à s'y faire. Nivraya l'interrompit presque instantanément et Thorondil reprit sa chaise avec une lenteur résignée.

De nombreux documents se retrouvèrent alors étalés sur la table. De toutes formes et de tout types, d'une quantité impressionnante. Et le dùnadan les regardait comme la clé de sa délivrance. Dans cette pile de papiers se trouvait la preuve qui mettrait fin à toute cette mascarade et lui éviterait de se compromettre. Cependant, ce fut avec bien moins d'enthousiasme qui se prêta à la difficile lecture de tout ce fatras. Très vite, il sent l'arrière de ses globes oculaires le brûler, une douleur bien trop familière. La lecture à la bougie était ce qu'il y avait de pire pour sa vue malheureuse. Mais il se concentra, il ne devait rien loupé.
D'abord il y eut les correspondances, des lettres dont le fil était ardu à suivre sans les réponses de Demeson que possédait évidement son correspondant. Certaines très personnelles, évoquant des problèmes de familles ou de transports de marchandises, des incitations au renvoi d'ascenseur ou à quelques services à charge de revanche. Certaines professionnelles, des traités et des contrats, des histoires de taxe ou de droit de douane, du charabia commercial sans grand intérêt. Dans l'une des missives, Thorondil tiqua en tombant sur le nom du domaine de son père ce qui attira l'attention des deux femmes autour de la table. Il leur fit non de la tête et reprit sa lecture, se jurant de parler à Aratan des intentions de Demeson envers l'exploitation des carrières de Kervras. L'homme laissa de côté les livres de comptes dont les irrégularités, s'il devait y en avoir, lui passerait totalement inaperçu. Quelques factures, plusieurs reconnaissances de dettes contracté ci et là par quelques bourgeois d'Arnor, un serment sur l'honneur ainsi qu'un contrat d'une guilde de garde du corps...
Tout cela était sans intérêt et sans rapport avec le problème qui les préoccupait et la tablée commençait à perdre patience. Nivraya, particulièrement, se montrait presque frénétique, vérifiant et revérifiant les parchemins déjà étudiés tout en multipliant les tics. Dans un sursaut, elle se leva et commença à faire les cent pas, suivant inconsciemment el trajet que le fauconnier avait tracé avant l'arrivé d'Alyss. Thalion ferma les yeux et se pinça l'arrêt du nez en soupirant lourdement. Si seulement il était autorisé à passer Demeson par le fil de l'épée, voilà qui règlerait un problème au moins... car il en sentait se profiler à l'horizon comme les orages de printemps. Et il se sent blasé. Plus de colère, de rage ou de frustration, juste un immense vide. Tous ces efforts, ces dégoûts, ces humiliations pour... rien, le néant, de l'air, absolument et définitivement aucune preuve ou même simple piste. Et quand Nivraya se retourna vers lui, il se massait les temps, les coudes appuyés sur la table, les yeux fixant le vide en face de lui.

Thorondil la regarda se vider un autre verre d'alcool nain en une longue gorgée alors qu'elle le pousse à prendre congés. Il haussa un sourcil. Il ne connaissait aucune femme capable d'une telle performance, à moins de... Ah parce qu'en plus, elle était alcoolique ! Les Valar avaient un sens de l'humour de plus en plus douteux.

- Nous nous verrons demain. Je viendrai vous trouver chez vous aux alentours de midi, et nous discuterons des suites à donner à toute cette histoire. Faites-moi confiance, tout est sous contrôle.

Le fauconnier lui adressa un haussement de sourcils septique. Contrairement à ce que soutenait Nivraya, tout n'avait définitivement pas sous contrôle et si Thorondil avait pu avoir quelques doutes avant, il n'en avait guère plus désormais... Il ramassa le cadeau de Lise qui trônait encore au milieu des papiers et quitta la tente sans se retourner.


Après avoir quitté la tente, Thorondil se dirigea d'un pas décidé, presque en courant, jusqu'au carré de tentes où logeait sa famille. Et chaque pas faisait monter un peu plus en lui cette sensation indéfinissable de malaise, signe que tout ses instincts et ses sens détectaient un danger qu'il était incapable d'identifier. Arrivé à destination, il avait les nerfs à vif et la sensation qu'un courant électrique lui parcourait la peau. Et la conversation qu'il avait eut avec Nivraya se repassait en boucle.
Il ôta ses riches vêtements, enfila sa tenue de nuit, se passa un peu d'eau sur son visage fatigué et s'allongea sur son propre lit. Au coin de la tente, celui de sa fille était vide. Seul y siégeait une pile de petits animaux en bois sculpté : un tigre du Rhûn, un aigle, un loup gris et un cheval. L'homme observa les draps soigneusement fait pendant près d'une heure, incapable de trouver le sommeil. Il tournait et se retournait. Il pianota nerveusement des doigts sur le bord de sa hanche et prit une décision. D'un bond, Thalion se releva et se précipita jusque dans la tente de son frère, le repéra profondément endormi sur son lit et agrippa celui-ci par le bras, se souciant peu de le réveiller en sursaut.

« - Debout ! Elendîn, debout ! »

Sous le coup du réveil brutal, le jeune homme avait saisit sa dague caché sous l'oreiller.

« - Quoi ?! Mais qu'est-ce que... Thor' ?! Mais tu es devenu fou ?! On est au milieu de la nuit !
- Tais-toi et écoute-moi très attentivement Elendîn ! »


Inquiété par la brusquerie de son frère, Elendîn fronça les sourcils et, après avoir fait signe à son épouse de se rendormir, tira Thorondil jusqu'à sa propre tente.

« - Je peux savoir ce qu'il te prend de me sortir de mon lit en pleine nuit comme si j'étais un criminel ? Ta journée s'est si mal passée que tu as besoin de molester ton propre frère ? » ricana le plus jeune bien qu'une sorte d'inquiétude couvait derrière le ton qui se voulait léger.

Thalion ne répondit rien, il n'était pas d'humeur à ça, mais son frère savait que quelque chose clochait.

« - Merilin est dans la tente d'A... de Père ?
- Bien sûr ! Il l'a récupéré comme tous les soirs où tu n'es pas là, comme tu l'as demandé,
soupira le cadet en levant les yeux au ciel, ne comprenant pas bien où tout cela allait bien pouvoir le mener.
- Ecoute... Je ne sais pas bien dans quoi je me suis fourré cette fois mais c'est pas bon. » Il ignora les yeux écarquillés de son demi-frère et reprit « J'ai un très mauvais pressentiment sur ce coup-là, petit frère. Je me frotte à des forces qui ne sont pas de mon ressors et qui me dépassent. Je serais plus rassuré si demain à l'aube tu emmenais Merilin chez Malwen.
- Malwen ? Ta cousine rohirrim ? Celle qui est mariée à un noble gondorien... C'est quoi son nom déjà... E...Ereth ?
- Emeith ! C'est un brave homme, je suis sûr qu'ils accueilleront Merilin avec joie. Ils ont une résidence dans les quartiers nobles. Tu devrais la trouver facilement, il y a son blason sur l'encadrement de la porte d'entrée, deux flèches en croix avec une espèce de losange au dessus. Ils ont les moyens de la garder en sécurité bien mieux qu'ici, des gardes personnels, des serviteurs fidèles et des murs épais.
- Mais enfin...
- Non, je ne peux pas t'expliquer. Fait ce que je te dis, c'est tout !
- Bien bien... Ne t'inquiètes pas, ce sera fait. Demain Sigil lui préparera quelques affaires et j'irais avec Père la mettre en lieu sûr. Je ne sais pas dans quoi tu t'es engagé mon frère, et libre à toi de ne rien m'en dire, mais je t'en pris soit prudent. Je sais que tu as passé beaucoup de temps à ne compter que sur toi-même mais nous sommes là aussi et tu comptes pour nous tous. »


Et Elendîn s'en retourna se coucher, inquiet. Thorondil ne tarda pas à faire de même, mais le sommeil fut long à venir et, comme la nuit précédente, peuplé de flammes et de cris de femme paniquée.


Au matin, alors que le soleil colorait à peine l'horizon, l'homme s'extirpa de ses draps et enfila sa tenue de travail : plastron en cuir et brassard de fauconnier. Malgré la mission que la Dame de Gardelame lui avait assigné, il ne pouvait se dérober à ses devoirs officiels et devait aller à la rencontre de ses hommes qui veillait du ciel sur la Cité Blanche. Thalion se ménagea un peu de temps avec sa fille, lui expliqua rapidement qu'elle allait rencontrer sa cousine, une dame très gentille qui lui raconterait plein d'histoire sur le Rohan et lui ferait préparer des pâtisseries au miel comme elle les aimait. La petite fille, au regard encore ensommeillé et qui serait une poupée de bois entre ses bras acquiesça sagement avant de l'embrasser et de suivre son oncle et son grand-père vers la cité. Il les accompagna un bout de chemin avant de bifurquer sitôt les portes passées.

La matinée passa très rapidement, d'obligations en rapports, mais ses hommes avaient fait de l'excellent travail et il était plutôt fier d'eux malgré ses paroles un peu bourrus. Il eut également vent d'étranges rumeurs concernant un duel entre un rohirrim et un oriental sans parvenir à obtenir plus d'informations.
Et quand il revint aux Champs de Pelennor, Elei encore à son épaule, le soleil était pratiquement à son zénith. Le ciel était clair et sans nuage au dessus de lui. Il faisait moins chaud que les deux jours précédent mais on sentait encore le poids de la canicule dans l'air et cela manquait d'une brise fraiche. D'un signe de tête, il fit signe au rapace de prendre son envol. Cela faisait longtemps qu'elle ne s'était pas dégourdit les ailes. Il observa le faucon s'élever jusqu'à n'être qu'un minuscule point tournoyant dans les ciel puis fit route vers sa tente, en espérant trouver Nivraya au rendez-vous comme prévu. Depuis qu'il savait sa fille bien à l'abri, il était nettement plus serein et la perspective de rencontrer de nouveau la dame ne lui était plus aussi pénible que la veille.

Mais arrivé chez lui, nulle trace de Nivraya. Elle était en retard. Cela agaça le fauconnier, il savait que sans les connaissances et l'esprit de la jeune femme, il ne pourrait pas se sortir de cette situation intenable. Et si, la veille, elle avait perdu sa stratégie sans avoir prévu de plan B, Thalion espérait sincèrement que la nuit lui avait porté conseil et qu'elle se présenterait devant lui avec la solution à tous leurs problèmes une fois pour toute. Et c'est avec cet espoir en tête qu'il entreprit de l'attendre, en profitant pour entretenir son épée dont le poids et la présence lui manquait tant depuis le début des festivités.
Quand il eut fini, toujours pas de Nivraya et sa patience s'effilochait à vue d'œil. Midi était passé depuis près d'une demi-heure sans aucune nouvelle, pas même un messager pour reporter leur rendez-vous ou signaler le moindre changement de plan. Soupirant, il ceintura son épée et prit le chemin qui menait jusqu'aux quartiers de la dame. Il avait bien mieux à faire que d'attendre son bon vouloir comme un de ces ridicules chiens de salon qui faisaient fureur en Arnor ces derniers temps. Et même s'il avait eu le temps de digérer les péripéties des derniers jours, il avait encore suffisamment de griefs comme elle pour lui laisser le bénéfice du doute.

Son pas vers la tente de Justar et Nivraya fut allongé et rapide, si bien qu'il ne lui fallut guère plus de trois minutes pour arriver à destination. Mais lorsqu'il se présenta devant le pan d'entrée, il ne trouva que Freyloord passablement agité - enfin en toute relativité de son caractère - et cela l'alerta immédiatement. Il pria alors rapidement l'homme de confiance de sa complice de lui raconter en détails les évènements survenus plus tôt, ce qu'il fit rapidement et sans paroles superflues. Beaucoup de choses passèrent dans la tête du fauconnier, aucune très bonne à vrai dire. Et il restait encore un bon quart d'heure à attendre avant de vraiment devoir s'inquiéter d'après les consignes de la Dame... mais Thorondil n'était pas homme à attendre et perdre un temps précieux. Qui sait ce qui pouvait se passer pendant une heure aux mains de l'ennemi ? Enfin... le dùnadan passa une main sur son flanc droit. En fait, il avait une idée très précise de ce qu'il pouvait arriver, et malgré tout l'inimité entre l'épouse de Justar et lui-même, il ne pouvait lui souhaiter de pareils tourments. Son poing finit par se refermer sur la garde de son épée. Il s'adressa au géant :

« - Essaye de trouver Alyss, je vais voir chez Demeson. Sa fille ou un de ses serviteurs saura peut-être où le trouver. »

Et même s'il n'y croyait pas un mot, ils devaient commencer par le commencement au risque de s'attirer de gros ennuis ou créer de terribles malentendus.

Le fauconnier traversa une nouvelle fois le champs de tentes et se fit introduire chez Demeson. Il entra dans la tente et balaya du regard la pièce. Il n'y avait personne d'autre que Demeson père. Donc il était là et pas avec Nivraya. Voilà qui confirmait que cette soi-disant réunion n'était qu'un piège... Il se demanda vaguement où était la fille mais devant le regard curieux de l'homme, inclina le buste et parla. il allait devoir la jouer fine... ou du moins aussi fine qu'il le pouvait.

« - Veuillez pardonner ce dérangement, Seigneur Demeson. J'étais passé ce matin m'excuser auprès de Dame Nivraya de ne pas l'avoir raccompagnée hier soir, et je n'ai pu voir que son homme de confiance qui s'inquiétait de ne pas la voir rentrer après une réunion qu'elle devait tenir avec vous. »

- Maître Thorondil, bienvenue en ma demeure. Hélas, je crains que l'on vous ait mal renseigné, je n'ai, ni ne devais, rencontrer Nivraya aujourd'hui.

Le dùnadan se mordit le coin des lèvres et réfléchit intensément.

« - Et pourtant, Messire, d'après Freyloord, l'homme qui ait passé la chercher a précisé qu'il était là en votre nom. » insista-t-il prudemment.

Il ne s'agissait pas de se mettre Demeson à dos. S'il n'y était véritablement pour rien dans cette affaire - bien que le fauconnier en doutait de plus en plus fortement - , Nivraya ne lui pardonnerait jamais d'avoir fait échouer la mission et risqué de terribles conséquences qui mettrait en danger la famille royale.
Demeson, au contraire parfaitement à l'aise, jouait magnifiquement bien la surprise.

- Voilà qui est fâcheux car je vous assure que je n'ai envoyé personne... J'espère qu'il n'ait rien arrivé de fâcheux à Nivraya. Je vous en pris, surtout tenez-moi au courant dès que vous l'aurez retrouvée. Sachant que mon nom a été utilisé pour l'attirer, je ne parviendrais pas à trouver le repos tant que je ne saurais pas comment se porte Nivraya.

Thorondil savait qu'il n'en tirerait plus rien. Demeson était bien trop malin, et ne laissera aucun indice derrière lui qui permettrait de remonter jusqu'à sa personne. Il allait devoir découvrir la vérité par lui-même.

« - Je n'y manquerais pas. Je vous souhaite une bonne journée. »

De nouveau, il inclina la tête et sortit. Au moins il savait à quoi s'en tenir maintenant.

Freyloord l'attendait à quelques pâtés de tentes plus loin et il se contenta de lui adresser un non de la tête avant de lui indiquer de le suivre.

« - Impossible d'en tirer quoi que ce soit, il nie tout en bloc. Je l'aurais bien secouer mais... cela ne m'apporterait que des problèmes supplémentaires. Cet homme a peut-être le pouvoir de nous briser d'un claquement de doigt. Alyss ? »

Le géant fit non de la tête. La jeune haradrim devait être occupée ailleurs et ils n'avaient pas le temps de l'attendre, il y avait trop en jeu. Les deux hommes se dirigèrent à grands pas vers la Cité.

« - Bon, réfléchissons. Demeson ne se serait pas mouillé à utiliser sa propre voiture, trop risqué, quelqu'un aurait pu la reconnaitre... Forcément, il l'a louée... sous un faux nom... Je dois parler à un ou deux gars qui connaissent bien Minas Tirith, ils me diront à qui m'adresser. Pendant ce temps toi... hum... il faut absolument que tu trouves dans quelle direction ils sont partis. Interroge des témoins ou piste-les, qu'importe, mais il faut savoir où ils sont allés. Dès que tu as du nouveau, rejoins-moi à la porte de la Garnison des Gardes de la Fontaine. »

Il lui fallut faire jouer ses contacts pour parler à Argis en plein service. Argis était un garde de la fontaine avec qui il avait organisé ses rondes pour le mariage. Cet homme-là était un malin, vif d'esprit, un vétéran qui avait déjà prit une dague dans le flanc pour sauver la vie du Haut-Roi et pour ne rien gâcher il connaissait la ville par cœur, des plus beaux quartiers jusqu'aux recoins les plus sombres... et surtout, il lui devait un service. Et au bout de dix minutes de conversation à bâtons rompus, Thorondil connaissait tout ce qu'il voulait savoir. Il laissa Argis avec un salut et la promesse de partager une pinte à l'occasion. Maintenant il savait où chercher.

Freyloord, comme prévu, l'attendait à la sortie, un simple "Vers l'est" murmuré au bout des lèvres.

« - Bien... Nous allons rendre une petite visite à un certain Hegril. Il loue des carrosses dans la ville basse, discrétion assurée et comme il trempe dans le marché noir, ses clients les plus fortunés ont largement de quoi le faire chanter pour son silence. Il ne dénoncera jamais Demeson, mais en appuyant sur la bonne corde, il chantera pour nous. »

Le duo prit donc la direction d'une ruelle à peine assez large pour faire passer une voiture mais qui débouchait sur une large cour remplie de véhicules de toutes sortes, de la simple charrette à bœuf aux carrosses luxueux. Au fond de cette cour, se tenait un petit édifice en pierre, plus semblable à une cabane qu'à une maison, entouré de grandes fenêtres et une petite cloche en cuivre à l'entrée. Dans la pièce unique du bâtiment, qui s'avérait être un bureau, se tenait un petit homme maigrichon aux yeux profondément enfoncés dans les orbites et à la démarche sautillante. Il lui faisait penser à un rat... ou une fouine... Thorondil ne prit pas la peine de sonner et entra sans invitation, le géant du nord sur ses talons. De quoi impressionner Hegril qu'ils dominaient de plus de trois têtes.

« - Hegril, je présumes ? »
- Heu..., hésita à répondre le petit homme. Messieurs ? Que puis-je pour vous ? C'est pour une location ?
« - Un renseignement plutôt... sur une voiture qui a été louée chez vous. »

Hegril se tendit immédiatement.

- Je crains dans ce cas de ne vous être d'aucune utilité. Les renseignements sur ma clientèle sont strictement confidentiels et...

Thalion tapa du poing sur le bureau, menaçant.

« - Je ne vous demande pas votre avis, je veux ces renseignements ! »
- Ecoutez, même si je le voulais, je ne pourrais rien vous dire. Mes clients ne portent que des numéros pour préserver leur anonymat, je ne pourrais rien vous dire d'utile, je vous jure,
couina l'homme.
« - Alors je veux voir ton registre. »
- Mon... mon registre ?
bégaya le loueur. Mais puisque je vous dis qu'il n'y a rien d'intéressant dedans.

Sans plus de cérémonie et totalement à bout de sa faible patience, le fauconnier attrapa l'individu par le col et le souleva de terre. il sentit les muscles de son dos protester avant de se plier à sa volonté. Six mois de sédentarité avait dû le ramollir un peu, lever cette allumette à bout de bras n'aurait pas dû lui demander autant d'efforts. Il prit note d'augmenter ses entrainements quotidiens. Il se tourna alors vers Freyloord et lui tendit son fardeau.

« - Tu me tiens ça, s'il te plait ? »

Hegril se recroquevilla en croisant le regard de l'impressionnant compagnon de Thalion et encore plus quand la grande main de celui-ci se referma sur son col, le maintenant à plus de cinquante centimètres du sol sans sembler fournir d'effort particulier. Le fauconnier dévisagea leur proie avec un regard furieux.

« - Bon, reprenons... Quelqu'un a loué un carrosse ici, je le sais et je vaux savoir qui... mais plus important, je veux savoir pour où ? » Un nouveau couinement apeuré lui répondit, il soupira. « Pour faire court, je veux ce registre. Alors soit tu me dis où le trouver, ou je peux simplement demander à mon ami ici présent de pendre ta misérable carcasse à la devanture, c'est clair ? »

Même si Freyloord était le pacifisme incarné, il fallait avouer qu'il savait jouer à merveille le rôle de la brute épaisse et sanguinaire. Le pauvre homme entre eux avait pris la couleur d'un drap neuf. Thalion compta deux secondes dans sa tête avant qu'Hegril ne tende son doigt rachitique en direction d'une étagère où reposé un gros volume relié de cuir. Le fauconnier ne lui prêta alors plus aucun intérêt et se précipita sur le registre qu'il ouvrit aux dernières pages.
L'homme n'avait pas mentit, tout y était soigneusement anonymisé. Au lieu des noms se tenaient une série de chiffres, aucune adresse non plus n'était renseignée. Tout était payé d'avance pour ne pas avoir à renseigner les informations permettant de retrouver les mauvais payeurs. Mais ce n'était pas ce que Thalion cherchait. Il compulsa les tarifs, et parcouru les dernières locations depuis la veille. En regroupant le type de véhicule et le prix payé, il pouvait retrouvé le temps du parcours prévu et la dangerosité de la route empruntée. Et heureusement pour eux, il n'y avait que deux commandes qui pouvaient correspondre à ce qu'ils cherchaient, dont un véhicule parti bien trop tard pour être celui qui avait emmené Nivraya. Il referma le volume d'un coup sec et se dirigea vers la sortie.

« - C'est bon, tu peux le lâcher, on a tout ce qu'il nous faut. »

Et Freyloord reposa presque délicatement la tête de fouine au sol.

« - Merci de ta coopération Hegril ! »

Les deux compères entendirent à peine l'homme murmurer.

- Mais je ne suis pas Hegril, je ne suis que son assistant.

... Qu'importe...
Thorondil fit alors son rapport alors qu'il retournait à pas redoublés vers les Champs de Pelennor.

« - Loué pour deux heures et demi, sans chauffeur, routes secondaires... Et vers l'est donc. En comptant que le retour est compris, je dirais aux alentours d'Osgiliath. Mais... Non, on verra... Je selle mon cheval et j'y vais. Pister un véhicule de cette taille n'a rien de bien compliquer quand on a une direction générale. Je connais bien cette région et j'aurais Elei. »

S'ils avaient prévu de séquestrer Nivraya, il ne devait pas avoir laissé beaucoup d'effectifs pour garder une femme seule, surtout une simple noble qui n'était de toute évidence pas rompu au maniement des armes. Et seul il irait plus vite.

« - Si au couché du soleil je ne suis pas revenu, préviens l'Intendant et explique-lui tout, tant pis pour le reste.» Il s'interrompit, sembla chercher ses mots et reprit prudemment « Freyloord, j'ai vraiment besoin que tu ais retrouvé Alyss avant la fin de la journée... Je... Si c'est vraiment un coup de Demeson, ce n'est pas une demande de rançon, c'est une vengeance... et je ne sais pas si elle est encore en vie. »

L'idée même de courir après le cadavre de la jeune femme souleva un vent de panique chez le fauconnier. Autant ça lui faisait du mal de l'admettre, autant il avait besoin de Nivraya. Et au delà de ça, une part de lui appréciait suffisement la dame pour ne pas simplement la laisser tomber dans une si mauvaise posture.
Le géant nordique sembla réprouver son idée d'y aller en solitaire et les deux hommes eurent un échange silencieux à la fin duquel Freyloord finit par se ranger à son opinion. Ce n'était peut-être pas prudent mais il fallait que quelqu'un reste en arrière, au cas où ni lui ni Nivraya ne reviendraient pas.


Un quart d'heure plus tard, le fauconnier était à cheval, l'épée au flanc, sa dague à la cheville et Elei rappelée à son épaule, galopant vers l'est en espérant ne pas arriver trop tard, quoi qu'implique ce "trop tard".
La piste fut relativement facile à suivre les vingt premières minutes du trajet, comme il l'avait dit, un carrosse de cette taille se suivait aussi facilement que la piste d'un sanglier en plein champs de patates douces. Malheureusement par la suite, la piste rejoignit une route plus passante qui obligea Thorondil à mettre pied à terre de nombreuses fois, perdant un temps précieux à retrouver et reperdre la piste. La terre asséchée par les hautes températures n'aidait d'ailleurs pas à imprimer une piste nette. Puis quand il pu enfin retrouver une trace nette, la voiture avait bifurquée vers une route pavée qui menait au pont de l'Anduin et la Cité d'Osgiliath. La traque s'arrêtait là et Thalion lança sa jument au galop jusqu'à l'autre rive. Dans son dos, la majestueuse Cité Blanche avait la taille d'un jouet.

Le pire de cette recherche fut sans doute la traversée d'Osgiliath. Impossible de deviner la direction qu'avait pris les ravisseurs au milieu de ses bâtiments innombrables qui portaient encore les stigmates des affrontements du Troisième Âge et ses routes pavées, et encore moins de personnes pour le renseigner sur le passage d'une voiture. Même Elei, envoyée en éclaireuse, revint sans la moindre information.
La chance fut pourtant avec lui quand enfin, alors qu'il perdait espoir, il croisa un soldat de la Garnison du Fleuve qui se laissa convaincre sur son rang auprès du roi d'Arnor et de l'importance vitale de sa mission, et le renseigna précisément sur la direction qu'avait prit le véhicule en quittant la ville.

Une fois sortit de la ville, il retrouva facilement les traces qu'il poursuivait et remonta la piste. Mais il avait perdu plus d'une heure entre la grande route et ses hésitations dans Osgiliath. Un temps précieux qui jouait en la défaveur de la dame. De nouveau, il renvoya Elei dans le ciel à la recherche d'activités alentour tout en suivant les marques caractéristiques de passage récent. Et cette fois, la noble bête fut fidèle à sa réputation et revint rapidement, le guidant vers un petit chemin devant lequel s'arrêtait les traces du véhicule et des chevaux qui le tiraient. Après ça, il dû suivre des traces de pas légères et le faucon qui le menaient toujours plus loin jusqu'à une sorte de grande cabane sans doute destinée à accueillir pour la nuit voyageurs et chasseurs pour la nuit.
L'homme descendit prudemment de cheval et s'approcha lentement, la lame au clair. Elei, qui volait au dessus de la bâtisse émit un cri perçant. Un bruit de casse raisonna à l'intérieur suivit d'une série de sons qui l'alarmèrent d'autant plus. Sans réfléchir, Thorondil se précipita. La porte résista, verrouillée de l'intérieur. Il grogna de rage avant d'enfoncer, à coup de hanche et d'épaule, le battant. Il fallut trois coups puissants pour faire sauter le loquet et son épaule émit un craquement inquiétant, mais il ne s'en souciait guère. Ce qui venait de se dévoiler devant lui le laissa pétrifié sur le pas de la porte.


Dernière édition par Thorondil le Dim 19 Avr 2015 - 1:34, édité 10 fois
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Nivraya
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Justar - Couleuvres et Pigeons EmptyLun 20 Avr 2015 - 22:40
Elle ouvre les yeux en grand en voyant la colère de Thorondil se manifester ainsi. Elle n'aurait pas cru qu'il se serait laissé à ce point envahir par ses émotions. Peut-être, en fin de compte, a-t-elle sous-estimé l'attachement qu'il pourrait porter à la jeune Lise. Ou plus exactement, l'attachement qu'il pourrait porter à sa vie antérieure. Elle le voit se lever comme une furie, et se mettre à faire les cent pas, arpentant la pièce en paraissant ne pas trouver de moyen approprié de se calmer. A son tour, Nivraya se lève et s'approche de lui, les mains ouvertes en signe de paix. Elle se comporte tout à fait comme une dresseuse de fauves face à un animal sauvage. Toute son attitude est tournée vers l'apaisement, et même sa voix est douce comme du miel lorsqu'elle lui souffle :

- Allons, maître Thorondil, tout va bien… Il n'arrivera rien à votre fille, je vous en fait le serment.

Aussi persuasive qu'un serpent, aussi manipulatrice qu'une politicienne, elle lui passe une main chaleureuse sur l'épaule pour essayer de le tranquilliser. Hélas, son plan ne réussit que partiellement, et il continue à arpenter la pièce sans paraître vraiment la voir. Elle s'écarte de son chemin, consciente que parfois l'esprit le plus retors et le plus intelligent ne peut rien contre la colère et l'angoisse d'un père. Rapidement, cependant, il finit par s'arrêter, et se tourne vers elle avec un drôle d'air. Elle le regarde sans comprendre :

- Amants ?

Ses sourcils se froncent un instant, avant qu'un sourire narquois ne vienne étirer ses lèvres. Elle ne peut s'empêcher de trouver la situation cocasse, pour ne pas dire ironique. Eux deux ? Amants ? Certes, leur comportement a pu le laisser penser, mais au fond ils sont tellement différents ! Lui, cette brute épaisse, ce guerrier vétéran qui utilise l'épée plutôt que sa tête. Elle, la dame raffinée et éduquée, est tout l'inverse, préférant le cerveau aux muscles, l'efficacité de la raison à l'aveuglement de la violence. Ils n'ont pour ainsi dire rien en commun. Il faudrait vraiment une situation exceptionnelle pour qu'elle se jette à son cou. Elle se penche vers Thorondil avec un air espiègle :

- Ne craignez pas pour ma réputation, maître. On m'a déjà fait tout ce qu'il est possible d'imaginer, et je ne peux penser à un sort plus triste et plus indigne que celui qu'on m'a déjà infligé. Alors pensez-vous… être accusée de vous avoir pour amant, je pourrais rêver pire. Vous êtes ce que l'on peut appeler un héros, vous n'êtes pas mal dans votre genre, et vous jouissez d'un certain crédit auprès de la gente féminine. Je risque même de faire des jalouses.

Elle claque des doigts joyeusement :

- C'est plutôt vous, mon cher, qui devriez craindre pour votre réputation. Compromis avec un serpent ? Vous risquez de voir venir des hommes qui vous mettront en garde contre moi, et je suis persuadée que votre famille n'appréciera pas de savoir que vous et moi nous fréquentons. Vous avez cependant raison sur un point : il vaut mieux ne pas se faire un ennemi de mon mari…

Pendant un instant, elle s'adoucit alors qu'elle parle de lui. Il est difficile de douter de son amour pour Justar, mais il paraît tellement étrange par rapport à son comportement habituel. Elle qui semble ne pas penser à autre chose qu'à sa carrière, à autre chose qu'elle-même, semble si différente quand elle parle de lui. Elle reprend :

- C'est quelqu'un de doux, et de calme. Toujours souriant. Mais quand il est pris d'une juste colère, il transpire une telle force… Telle que rien ne peut lui résister. Faites-moi confiance, Thorondil, ce ne sont pas quelques rumeurs qui vont embraser son cœur. Il en faudrait bien plus pour cela. Je sais simplement que je ne crains rien auprès de lui, tout comme je ne crains rien auprès de vous. Que pourrait-il bien m'arriver avec deux braves vétérans qui veillent sur moi ?


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Nivraya est une grande adepte du silence, qu'elle ne trouve que trop rarement au cours de ses journées souvent bien remplies. Toutefois, en cet instant précis, elle aurait tout donné pour pouvoir communiquer avec quelqu'un, pour pouvoir discuter, même avec l'homme qui se tient en face d'elle, toujours aussi mystérieux. Ils ne se sont plus adressés la parole depuis de longues minutes maintenant, et elle est perdue dans ses pensées, essayant de conserver des apparences de calme. Elle y parvient avec une certaine maîtrise, c'est certain, mais intérieurement son cerveau est en ébullition. Les questions se multiplient, se bousculent, se chahutent, au point qu'elle est incapable d'en dégager une qui pourrait l'occuper pleinement. Elle est prodigieusement inefficace, et elle a conscience qu'elle va devoir se ressaisir si elle veut tenir tête à Demeson, lorsqu'il apparaîtra en face d'elle. Fermant les yeux pour se relaxer et mieux se concentrer, elle laisse son puissant intellect se déployer comme une tâche d'encre sur une feuille de papier, gangrener peu à peu les ramifications de l'inconnu pour transformer le mystère et familier, le bizarre en connu, l'illusion en évidence. Elle ne feint pas le sommeil cependant, restant droite sur son siège qui tressaute au rythme des aléas de la route, qu'elle enregistre mentalement sans vraiment y penser. Finalement, le véhicule s'arrête, et au dehors on entend les chevaux renâcler après avoir fourni un bel effort. Des bruits de pas sur un sol de terre sèche, un crachat, et finalement la porte de l'habitacle qui s'ouvre. La jeune femme plisse les yeux, le temps de s'habituer à la lumière, et s'empare délicatement de la main qui lui est tendue. Le cocher, galamment, l'aide à descendre tandis que de sa main libre elle retient sa robe superbe pour l'empêcher d'être salie par le sol.

Sans un mot, elle regarde autour d'elle, pour n'y découvrir avec une certaine angoisse qu'une forêt d'arbres qui se dresse comme un mur l'encerclant totalement. Où que se porte son regard, les troncs larges et imposants se penchent vers elle comme des gardes armés de branches, lui barrant la route de leurs corps massifs. La futaie referme ses griffes végétales autour d'elle, et même le ciel paraît difficilement accessible, si lointain, presque entièrement dissimulé par les feuilles qui commencent à apparaître après l'hiver… La seule chose non naturelle de cette prison verte est la cabane qui trône au milieu de ce nulle part. Biscornue, mal isolée, branlante, elle ressemble à un abri pour chasseur davantage qu'à une résidence d'été pour un noble manipulateur. Que fait donc Demeson dans un endroit pareil ? Derrière elle, Nivraya sent son compagnon de voyage descendre et lui poser une main dans le dos pour l'enjoindre à avancer. Elle frémit à ce contact, et se tourne vers lui, opposant une résistance de pure forme :

- Sire Demeson ne vient pas nous accueillir ? J'aurais pensé qu'il serait là.

L'homme, dont le visage qu'elle découvre pour la première fois est d'une banalité affligeante, lui répond avec un flegme incroyable :

- J'ai bien peur que Sire Demeson ne soit pas présent au rendez-vous. Si vous voulez bien vous donner la peine d'entrer.

Cette fois, Nivraya sent son cœur manquer un battement. C'en est trop. Le piège se referme autour d'elle bien trop rapidement, mais surtout l'absence de Demeson est un véritable coup dur pour son moral. Elle inspire profondément, et essaie de se calmer : il n'a rien contre elle, et surtout il ne peut rien contre elle. Toute action irréfléchie de sa part serait immédiatement punie de mort. Son statut auprès de l'Intendant d'Arnor lui fournit une protection, et les hommes qu'il a engagés seront retrouvés, finiront par parler, et vendront la mèche. Les mercenaires ne sont pas des hommes fiables. Elle se raccroche à cette pensée, et se convainc qu'il ne souhaite que lui faire peur. C'est la raison pour laquelle, essayant de dissimuler son trouble derrière un masque de maîtrise aristocratique, elle se tourne vers le cocher qui prépare les chevaux :

- A notre retour, pourrez-vous me déposer directement chez Sire Thorondil de Kervras ? Je suis terriblement en retard à notre rendez-vous…

Le cocher, un peu interloqué, se tourne vers l'homme toujours derrière Nivraya. Ce dernier lui fait un signe de tête qu'elle ne capte pas, mais qui de toute évidence est particulièrement éloquent. Un sourire plus tard, l'homme s'en retourne à ses chevaux qu'il prépare pour un départ immédiat. La jeune femme sent le contrôle de la situation lui échapper peu à peu, et elle se laisse guider de mauvaise grâce à l'intérieur de la cabane de chasse. Derrière elle, elle capte le bruit d'un véhicule qui se met en branle, et qui s'éloigne peu à peu dans la forêt, toujours plus profondément. Aucune chance que quelqu'un voit la voiture revenir par là où elle s'est enfoncée dans les bois… L'homme banal, à l'allure d'un simple servant, lui ouvre poliment la porte vacillante, et l'invite en s'inclinant du buste à pénétrer dans les lieux. La jeune femme, quelque peu irritée par ce manège ironique, s'exécute dignement et fait quelques pas à l'intérieur, laissant ses yeux verts s'accoutumer à la pénombre. Très honnêtement, Nivraya ne s'attend guère à ce qu'elle découvre lorsque l'obscurité laisse place à une pénombre acceptable. L'endroit s'enfonce sous terre, pour s'ouvrir sur une vaste salle, bien plus grande que ce que la cabane laisse à penser. Oh, pas de quoi tenir une réunion stratégique d'état major, mais assez pour que quelques individus puissent s'y reposer après une dure journée de chasse. Toutefois, on n'y voit pas un lit, pas un seul objet rappelant vaguement que des gens y ont résidé pour des raisons tout à fait honnêtes. La seule chose qu'elle aperçoit est une chaise solitaire, trônant au milieu de la pièce, tandis que les autres meubles ont été repoussés sur les côtés, recouverts d'un drap qui a un jour été blanc.

- J'aimerais rentrer, lâche-t-elle d'une voix où commence à percer une certaine inquiétude.

- Pas encore, madame. Nous devons discuter d'abord.

Tout en parlant, il s'affaire à ouvrir des volets situés en hauteur. La lumière blafarde qui jaillit à l'intérieur offre un peu de visibilité, certes, mais elle permet surtout à la jeune femme de remarquer que les fenêtres ont été renforcées de barreaux en métal. Elle le regarde faire, incapable de prendre une décision. Au fond d'elle-même, elle sent bien que quelque chose cloche – qui ne s'en douterait pas ? Toutefois, sa raison continue de lui marteler qu'il ne s'agit que d'une pathétique tentative d'intimidation, qu'il ne va rien lui faire. Paniquer maintenant donnerait un avantage décisif à Demeson, avantage qu'elle n'est pas prête à lui céder, ni aujourd'hui, ni jamais. C'est la raison pour laquelle elle ne fuit pas. Ou alors, peut-être est-ce parce qu'elle est trop tétanisée pour oser bouger. Ses mains sont refermées sur son sceptre, qu'elle conserve fébrilement contre sa poitrine, comme s'il pouvait la protéger à lui seul.

- Ecoutez, je désirais parler à Demeson, et puisqu'il n'est pas là, je voudrais rentrer. J'ai beaucoup d'autres affaires à régler.

Plus ferme, déjà, elle use de son autorité aristocratique pour essayer de s'imposer. L'homme s'arrête dans son manège, et décide de camper devant la porte. Il la dévisage avec une expression parfaitement neutre, sans répondre, laissant sa tentative d'intimidation échouer misérablement. Ils se toisent du regard pendant un instant, avant qu'elle ne décide de marcher droit sur lui, le sommant de s'écarter pour la laisser passer. Il se fend d'un léger sourire sans joie, avant de répondre :

- Je ne peux pas m'écarter, hélas.

Nivraya se retrouve coincée. Cet homme, qui n'a pas bougé, qui n'a pas levé la main, qui ne s'est pas montré menaçant le moins du monde, lui barre la route avec autant d'efficacité que s'il était armé. Elle se tient à moins de trente centimètres de lui, et la tension qui circule entre eux est palpable, mais elle est incapable de le faire plier. Pour la première fois depuis longtemps, elle est tombée sur quelqu'un qui lui résiste, et sur lequel elle n'a aucune prise. Son cerveau peine à comprendre. Pourtant, elle est l'assistance de l'Intendant d'Arnor. Il devrait bouger. Les choses ne peuvent en être autrement. Elle comprend avec beaucoup de retard qu'il se fiche de son statut, qu'il se fiche de sa richesse, de son titre, de sa noblesse et de sa condition de femme. Il est là pour tout autre chose. Elle essaie de le pousser, mais il réagit avec une promptitude impressionnante. Il s'empare de sa main, et lui tord douloureusement le poignet, lui tirant une grimace de douleur. Il ne maintient sa prise qu'un bref instant, mais c'est suffisant pour que le message soit clair. Elle n'a absolument aucune chance contre lui. Nivraya, libérée, se met à respirer plus vite. Sa réaction est à la fois courageuse et stupide. Elle tente de lui adresser un coup de poing par surprise, visant droit vers son visage. Honnêtement, il est surpris. Pas de sommation, pas d'avertissement, c'est curieux de la part d'une femme noble et bien élevée. Il esquive cependant, et bloque le bras tendu de la jeune femme, et lui retourne le coude tant et si bien qu'elle se retrouve par terre, totalement à sa merci.

- Lâchez-moi, vous me faites mal ! Lance-t-elle d'une voix aiguë, alors que des larmes de douleur commencent à embuer son regard.

- Vous frappez bien pour une femme… Je parierais que vous n'avez pas toujours été cette catin en robe de soie, maniérée et pédante. Hm ?

Il accentue la pression, au point où elle sent ses articulations jouer. Si elle bouge ne serait-ce que d'un millimètre, il lui déboîte le coude. Elle serre les dents pour ne pas hurler, et surtout pour ne pas répondre. Inutile de perdre de l'énergie à essayer de le raisonner. Satisfait de son silence – curieusement – il décide de la lâcher. Elle s'empresse de s'écarter de lui en rampant, sans plus se soucier de sa robe désormais tâchée de poussière. Il la regarde faire, amusé :

- J'en ai connu des salopes dans votre genre. Je sais très bien comment vous fonctionnez…

- Restez poli, je vous prie, lance-t-elle en guise de bravade.

Il rit :

- Et pourquoi donc ? Qu'est-ce que ça va changer ? Vous n'êtes plus Nivraya, dame de Gardelame. Vous n'êtes qu'une traînée, ici. Regardez-vous… Regardez-vous… Guère plus qu'une salope. Alors restez tranquille, ça nous épargnera des complications à tous les deux.

La jeune femme, outrée par les paroles de celui qu'elle peut désormais appeler sans se tromper son « ravisseur », se relève dignement, et entreprend d'essuyer la poussière sur sa robe. Au fond d'elle-même, elle ne sait quoi penser. La crainte s'est emparée de son cœur, mais une forme de fierté incompressible, irréductible, l'empêche de la montrer tout à fait. Pourtant, tout lui commande de fuir, de se mettre à hurler, d'appeler à l'aide, de supplier, de se mettre à frapper, à griffer, à mordre. Tout plutôt que d'attendre stoïquement le sort terrible auquel elle est promise. Sa raison la retient toutefois. Sa raison aiguisée, son arme principale dans ce monde de violence et de haine, ne l'abandonne pas encore totalement. Elle sait que la fuite n'est pas une option viable. Un bref regard par la porte lui permet d'apercevoir les arbres qui les environnent. Avec ses robes, courir en pleine forêt est inenvisageable… du moins pas assez rapidement pour semer un homme en pleine possession de ses moyens. Et quand bien même elle arriverait à lui échapper temporairement, où aller ? Comment retrouver le chemin qu'ils ont emprunté, alors qu'il a pris soin de lui bander les yeux. Certes, elle peut déceler des traces qui peuvent la guider, mais à moins de vouloir coller à la route la plus évidente pour se retrouver capturée en moins de quelques minutes, elle n'a aucune chance. Appeler à l'aide ? Qui viendra ? Elle est totalement seule, abandonnée, privée de tout soutien. Elle regrette soudainement l'absence de Freyloord et Alyss, ses précieux amis sur qui elle a toujours pu compter. Quelle folie que de ne pas laisser cet imposant géant l'accompagner ! Quelle sottise de croire que Demeson allait réellement lui parler ! Oh comme elle s'en veut ! Elle ravale la frustration et les larmes de désespoir qui menacent d'envahir son beau visage, pour essayer de réfléchir. C'est bien sa seule chance de se sortir du traquenard dans lequel elle est tombée par excès de confiance.

- Assieds-toi, allez.

Il a cessé de la vouvoyer, elle le note presque instinctivement, sans vraiment remarquer qu'il referme la porte soigneusement et qu'il la bloque à l'aide d'un cadenas. Sonnée, comme si tout ceci n'était pas réel, elle est incapable de réagir vraiment, et elle prend place sur la chaise avec une docilité incroyable. La docilité d'un animal que l'on conduit à l'abattoir, et qui ne se rebelle pas car il sait qu'il n'a ni griffes acérées pour trancher la chair, ni crocs aiguisés à plonger dans une gorge dénudée. Elle n'est qu'un petit herbivore, un petit rongeur vif et agile. Rusée, elle l'est, mais cela cache bien maladroitement à quel point elle est démunie face à un véritable prédateur. Elle croise les mains sur ses cuisses, pour contenir ses tremblements, et elle lève le menton bravement, préférant défier son sort plutôt que de s'abandonner à des réactions futiles :

- Qu'est-ce que ceci ?

Il lui jette un bref coup d'œil, sans répondre. Elle n'a de toute façon pas besoin de ses explications, car il tire un grand tonneau rempli d'eau qui racle le sol durement. Elle le regarde faire, préférant ne pas imaginer quel usage il compte en faire. Il finit par s'immobiliser, et bien impudiquement décide de défaire sa ceinture. Nivraya ne détourne pas les yeux, alors qu'il se met à uriner dans le tonneau, supposant certainement qu'elle va être épouvantée par son manque de délicatesse. Refusant de lui accorder le privilège de la voir gênée, elle s'obstine à l'observer avec un masque de condescendance désabusée. Là encore, elle se contente de feindre, car au fond d'elle-même elle est répugnée par son geste. Lui qu'elle a pris pour un gentilhomme est en fait un goujat sans nom, prêt à tout pour l'effrayer. Il achève enfin de se soulager, et revient vers la jeune femme qui demeure inflexible. Sans un mot, il lui saisit violemment la nuque pour la forcer à se relever. Elle glapit de surprise, mais emportée par la force de son ravisseur, elle est contrainte de le suivre. Il l'amène sans ménagement jusqu'au tonneau, et lui penche la tête au-dessus de son contenu. Par réflexe, elle s'appuie sur les bords, afin de se retenir de toutes ses forces. Il sourit :

- Alors, vous allez me répondre : qui était ce voleur que vous avez envoyé dans la tente de Demeson ?

Sa main toujours vissée sur sa nuque, elle ne peut se tourner pour le voir, mais elle répond d'une voix plaintive :

- C'est Demeson qui vous envoie ? Il croit que je l'ai volé ? Mais pourquoi aurais-je fait une chose pareille ?

De toute évidence, c'est la mauvaise réponse, car il appuie soudainement, amenant son visage à quelques centimètres seulement de la surface. Elle s'agrippe, pousse de toutes ses forces sur le rebord pour essayer de s'en éloigner. Toutefois, elle n'a pas la force de lui résister. Il n'est pas particulièrement épais ou grand, mais elle a l'impression de n'être qu'une enfant maintenant qu'il la tient en son pouvoir :

- Pitié, ne faites pas ça ! Je vous ai dit la vérité, je n'ai rien à voir avec cette histoire ! Je vous le jure.

Ses yeux écarquillés sont absorbés par le liquide infâme qui se tient devant elle. Une seconde passe, avant que la pression ne se relâche légèrement. De toute évidence, il la croit. Elle lâche un soupir de soulagement, qui a l'avantage de la détendre quelque peu, et l'inconvénient de vider ses poumons d'un air dont elle aurait eu bien besoin. La seconde d'après, elle reçoit simultanément un coup de poing vicieux dans les côtes, et une pression redoutable qui la force à plonger la tête dans cette urine répugnante. Elle se débat furieusement, mais que peut une femme petite et menue contre un adversaire entraîné, déterminé, et surtout parfaitement maître de la situation. Elle essaie d'abord de résister, avant d'épuiser ses forces au point d'être au bord de la noyade. Elle boit la tasse, et cesse soudain de s'agiter, comme vaincue. L'instant qui suit, elle retrouve l'air libre, et se met à tousser furieusement, douloureusement, incapable de faire autre chose que d'essayer d'enlever cette souillure de son corps fin et délicat. Elle a le visage si trempé que ses larmes passent inaperçu. Des larmes de honte, tant l'humiliation est violente. Avant d'avoir compris, une claque, puis une seconde lui arrivent en plein visage, à la fois pour la brusquer et pour la ramener à elle. Elle lève ses petites mains gantées pour se défendre, mais ses oreilles ne peuvent qu'entendre les paroles horribles qu'il lui adresse :

- Tu as aimé ça ? Tu veux recommencer ?

Elle fait non de la tête, totalement déboussolée, les yeux peinant à s'ouvrir. Elle s'est sentie mourir au moment où ses poumons brûlants ont cherché de l'air au milieu du tonneau. Elle s'est sentie mourir, et cette situation l'a laissée éreintée comme jamais. L'homme lui adresse une nouvelle gifle, et lui saisit les cheveux violemment, dénouant ses belles boucles rousses qui d'habitude sont ramassées derrière sa tête, et qui se mettent soudainement à cascader autour de son visage. Elle a l'air au bord de l'évanouissement, mais il reprend avec un calme malsain :

- Tu sais ce que je vais te faire ? Tu veux savoir ce que je vais te faire ? Hm ? Je vais te violer… Je vais te prendre, encore et encore, jusqu'à être sûr de t'avoir fait un gosse. Je vais t'engrosser, et puis je vais te tailler en pièces. Je te renverrai à ton mari, tu ressembleras à un morceau de viande saignante. Puis je vais te laisser un mois comme ça. Un mois, pour que tu te remettes de tes blessures, pour que tu coures au bout du monde, en espérant ne plus jamais me revoir. Et quand trente jours auront passé, je reviendrai. Où que tu sois, je te retrouverai. Même si tu es en plein milieu de la forteresse la mieux protégée du monde, même si tu es sur une île perdue au large. Et quand je t'aurai retrouvée, tu sais ce que je vais te faire ? Je vais t'enfoncer un morceau de bois si profondément entre les cuisses que je vais massacrer ton gosse dans tes entrailles. Et toi, tu vas saigner, encore et encore, jusqu'à en crever. Et si tu survis, fais-moi confiance que tu n'auras plus jamais d'enfants. Tu sais que je dis la vérité, hm ? Tu le sais !

Nivraya est en larmes maintenant, et rien ne les dissimule. Elle sanglote comme une enfant, terrorisée, tellement sous le choc qu'elle est même incapable de supplier, incapable de prononcer le moindre mot. Son visage d'ordinaire si froid et si inexpressif est un masque d'effroi et de souffrance pure. Tétanisée, elle est comme sous l'emprise d'un poison qui la priverait de tout mouvement, la laissant impuissante. Elle ne s'est jamais sentie aussi peu maîtresse de son propre destin. S'il le veut, cet homme peut la tuer dans la seconde, sans qu'elle puisse rien y faire. Privée de ses compagnons qui ont pour habitude de la protéger de tout mal, elle n'est qu'une minuscule brindille soumise aux caprices de la tornade qui s'est abattue sur son univers. Alors elle pleure, dernière réaction d'une jeune femme ayant définitivement perdu tout espoir, et croyant chaque mot prononcé par son bourreau.

- Arrête de chialer, salope !

Brusquement, il lui enfonce la tête sous l'eau une nouvelle fois, lui envoyant encore quelques coups de poing dans le flanc, mesquin jusqu'au bout. A chaque fois, il la pousse à la limite de sa résistance, juste assez loin pour lui faire sentir que cette fois elle va y rester, avant de la ramener à la vie brusquement, pour mieux la gifler. Ses joues sont rougies, mais son teint est livide. Elle est à peine consciente d'autre chose que de la pure souffrance qui l'envahit, mais chaque fois elle replonge dans un monde de terreur aqueuse quand il lui enfonce la tête de nouveau, prenant un plaisir sadique et malsain à la torturer. Et toujours, il continue à la menacer verbalement :

- Tu sais ce que je vais faire ? Je vais aller rendre une visite à ton mari… Avec un bras, ça ne sera pas trop dur de le calmer. Je vais peut-être lui couper l'autre, avant de l'égorger. Je balancerai sa tête au bout d'une pique, et je la planterai au milieu des tentes, là où tout le monde pourra la voir. Je ferai en sorte qu'on t'accuse, même. Après tout, pourquoi une femme irait à la capitale, loin de son mari, si ce n'est parce qu'elle ne l'aime pas ? Tout le monde voudra croire à cette histoire !

- C'est faux ! Hurle-t-elle avec la force du désespoir. C'est faux !

Il lui tire violemment les cheveux, pour la forcer à le regarder dans les yeux. Elle ne le défie plus du tout maintenant, et on ne lit plus que sa crainte indicible au fond de son regard émeraude. Pitié, que cela cesse ! C'est tout ce qu'elle demande à son tortionnaire, mais également à tous les Valar qui peuvent se pencher sur elle. Sa raison, qui ne s'est pas éteinte pour autant, sait tout de même qu'elle n'a aucune chance d'être entendue par les dieux de Valinor. Pas parce qu'elle ne croit pas en leur existence – qui pourrait en douter ? – mais plutôt parce qu'elle sait qu'elle n'a pas fait assez de bonnes actions dans sa vie pour mériter leur sollicitude. Elle est tout l'inverse de ce qu'ils prônent, et elle est convaincue qu'ils ne se déplaceront pas pour la protéger. Alors, seule face à son destin, elle se contente de pleurer en priant pour que son bourreau ne mette pas ses menaces à exécution. Il la rejette par terre, et elle tombe lourdement sur le dos, en gémissant de douleur :

- Tu parles, c'est bien ! Ca prouve que tu vas te débattre encore un peu. Allez, déshabille-toi…

Ces derniers mots tirent un frisson d'horreur à Nivraya, qui se met soudainement à trembler. Elle fait « non » de la tête, incapable de s'exécuter. Non, pas ça. Tout mais pas ça ! Ses pensées glissent soudainement à Justar, qu'elle aurait voulu être le père de ses enfants. Elle songe à lui en ce moment, qui ignore tout de sa situation, qui ignore tout de l'enfer qu'elle vit et qu'elle va vivre. Par les Valar, comment va-t-il accepter la nouvelle ? Comment va-t-il encore pouvoir la regarder après qu'elle a été ainsi agressée ? Peut-être va-t-il la répudier. Peut-être va-t-il l'éloigner du pouvoir pour ne pas compromettre la réputation de sa famille. Peut-être va-t-il la renvoyer à la vie qu'elle avait avant de le rencontrer. Une vie d'errance, une vie de souffrance et de peur. Une vie d'animal, guère plus qu'un rat se nourrissant sur les cadavres et vivant dans la fange. Pour rien au monde elle ne veut revenir à cet état :

- Pitié, non… Je vous en supplie…

- DÉSHABILLE-TOI ! Hurle-t-il à s'en briser la voix, tous les muscles de son corps tendus à l'extrême.

Elle fond en larmes devant sa rage, totalement anéantie psychologiquement. La réalité de ce qu'il va lui faire s'impose progressivement à elle, et elle se rend compte que personne ne viendra la sauver. Pas même Freyloord qu'elle a prévu de son départ, pas même Thorondil qui doit pester contre son retard, et être parti vaquer à d'autres occupations. Sa poitrine se serre de douleur. Elle donnerait tout pour qu'une présence amie soit là en cet instant, pour que quelqu'un puisse venir la sortir de ce mauvais pas. Incapable de résister à la volonté de son tortionnaire, qui a déjà pris l'ascendant sur elle depuis bien longtemps, elle entreprend de délacer sa robe sans même essayer de gagner du temps. Elle se contente d'obéir à l'homme qui la tient sous sa coupe, consciente que la moindre tentative de résistance risque de se retourner contre elle. Mais, fébrile, ses doigts peinent à se glisser sous les lacets fermement serrés, et elle tremble tant et si bien qu'elle s'emmêle dans des gestes qui sont pourtant familiers. Pendant ce temps, l'homme la toise en tournant autour d'elle, comme un prédateur dominant sa proie. Elle n'ose même pas le regarder.

Elle sort douloureusement une épaule de sa protection de tissu, puis l'autre, avant de laisse glisser la robe le long de ses courbes élégantes. Nivraya a toujours été une belle femme, et elle a toujours su s'en servir pour amadouer les cœurs et convaincre les gens de sa bêtise. Les hommes ont tendance à ne jamais prendre les belles femmes au sérieux, et elle a toujours joué sur cette faille dans leur raisonnement pour mieux les tromper. Malheureusement, aujourd'hui, cette qualité va la desservir, et elle voit dans le regard avide de son bourreau qu'il se délecte de la situation. Ses larmes redoublent, alors qu'elle referme les bras autour de sous-vêtements qui n'en dissimulent guère assez à son goût. Le tortionnaire la regarde, ayant de toute évidence retrouvé son calme :

- Enlève tout. Dépêche-toi.

Elle se met à trembler de manière incontrôlable, tiraillée. Peut-elle vraiment se laisser faire sans combattre ? Peut-elle vraiment se laisser violer sans même essayer quelque chose ? Un sursaut d'orgueil la saisit, et elle jette soudainement en direction de la porte, incapable d'en subir davantage. Le bourreau la regarde faire en souriant. Elle se jette sur l'huis, tire et pousse de toutes ses forces sans parvenir à faire sauter le cadenas. Elle hurle de toutes ses forces, tambourine en appelant à l'aide, mais rien. Pas la moindre réaction. Personne ne viendra. Personne. L'homme l'attrape par le bras, et bloque ses tentatives pour le griffer. Il lui donne un coup de poing dans l'abdomen qui la plie en deux, et la laisse à court de souffle, sans forces. Sa poigne de fer se referme sur les cheveux de la jeune femme, et la renvoie au milieu de la pièce. Les choses sont claires, nul besoin d'échanger davantage de mots. Soumise, vaincue, elle s'exécute. Elle glisse hors des derniers remparts à sa pudeur, cachant maladroitement sa féminité derrière son bras refermé autour de sa poitrine.

- Bien… Maintenant, mets-toi à quatre pattes.

Nivraya, humiliée comme jamais, réduite en cendres, en poussière, obéit. Elle dissimule son visage inondé de larmes derrière ses cheveux relâchés, mais ses épaules fines et nues, agitées involontairement, trahissent ses sanglots. Elle entend distinctement le claquement de la boucle de sa ceinture qu'il défait, et ferme les yeux, attendant le moment fatidique et inéluctable, tendue comme la corde d'un arc. Avec la soudaineté d'un éclair déchirant le ciel, une langue de feu vient lui lécher voracement la chair au niveau du creux des reins, lui laissant une longue trace brûlante. Elle se retirent en claquant de délectation, avant de revenir mordre sa peau nue et sans défense. Second coup de ceinture, et première plainte échappée de cette mâchoire serrée, crispée douloureusement. Tout son corps est tendu à l'extrême, luttant contre une souffrance indicible et ignominieuse. Les muscles de son cou saillent, alors que les coups pleuvent sans discontinuer. Ses bras cèdent, et elle s'effondre sur le ventre, recroquevillée comme une pathétique créature blessée et meurtrie. Le bourreau suspend finalement son bras, laissant la jeune femme exsangue, le dos lacéré par le cuir de sa ceinture. Elle peine à respirer, et ses blessures saignent légèrement, bien que la plupart d'entre elles soient peu profondes. Fort heureusement, elle n'a pas été fouettée, sans quoi elle serait peut-être déjà morte.

L'homme repasse sa ceinture, avant de s'approcher de la jeune femme étendue sur le côté, incapable de s'allonger sur le dos désormais. Ses yeux sont presque vides, et elle paraît déjà avoir quitté ce monde. Lorsqu'il la tire par le bras pour la forcer à se relever, c'est un poids mort qu'il soulève, et il la lâche bien vite, conscient qu'elle ne simule pas, qu'elle ne feint pas une faiblesse passagère. Nivraya n'est plus que l'ombre d'elle-même, plus que l'ombre d'un être humain. Brisée. Elle est brisée. Elle sent à peine les doigts qui courent le long de son flanc, s'égarent sur sa taille fine, remontent le long de ses hanches galbées. Elle ne frémit pas quand une main caresse délicatement sa cuisse. Son esprit est déjà ailleurs, résigné, attendant l'inévitable. Il le lui a annoncé, il le lui a promis, et elle ne doute pas un seul instant de ce qui va suivre…


~ ~ ~ ~


BOUM !

Nivraya entrouvre les yeux, mais l'univers autour d'elle est absolument noir, sombre comme le plus profond des cachots où elle est restée enfermée des années durant. Le temps s'est emparé d'elle et de sa vie, l'a réduite à l'état d'une pauvre âme tourmentée. Ce coup n'est sans doute qu'une illusion de son esprit, un nouveau tour joué par son cerveau qui l'a abandonnée. A quoi a bien pu lui servir son intelligence ? Qu'est-ce que sa roublardise et sa grande ruse ont pu faire contre la violence brutale et sauvage ? Que peut, en définitive, l'esprit sur la matière ? Que peut l'esprit contre la douleur ? Elle se laisse emporter par un sommeil sans rêves, seul refuge où son tortionnaire n'a pas encore réussi à l'atteindre. Pas encore… La jeune femme n'entend pas les deux coups suivants, lancés par l'épaule solide de Thorondil qui finit par défoncer le loquet, pas plus qu'elle ne l'entend entrer dans la pièce arme au poing. Il ne voit personne, car le bourreau a déjà filé. Prudent, il ne s'est pas amusé trop longtemps avec sa pauvre victime, et il a prestement quitté les lieux après avoir obtenu ce qu'il était venu chercher. Le fauconnier du Roi a tout loisir de poser son regard sur un spectacle affligeant. La femme qu'il est venue chercher se tient là, attachée, ligotée à une chaise, les yeux bandés par un morceau de tissu fermement serré qui l'empêche de voir. Elle paraît absolument normale, et à l'exception de ses vêtements qui paraissent un peu tâchés de poussière, on ne dirait pas que quelqu'un l'a violentée. Pourtant, en y regardant de plus près, son visage n'est pas comme d'habitude. Il est d'une pâleur presque morbide, et si elle semble dormir, elle a l'air loin d'être détendue. On pourrait même dire que son inconscience est tout sauf naturelle. Il est même difficile de savoir si elle est vivante, tant son état rappelle celui d'un cadavre. Mais morte, elle ne l'est point. En sentant qu'on s'affaire autour d'elle, elle revient soudainement à la vie, et se met à crier :

- Je vous en supplie ! Je vous en prie, laissez moi !

Elle se débat sur sa chaise, au moment où un poignard tranche les liens qui retiennent ses mains, et ne cesse de s'agiter que lorsque Thorondil lui retire le bandeau qui l'a jusqu'alors privée de la vue. Ses yeux sont rougis, effrayés, ses traits tirés. Avec ses cheveux détachés, elle a l'air curieusement… humaine… Bizarrement, c'est dans cette situation qu'elle paraît pour la première fois avoir tombé les masques, ne plus contrôler la situation. En reconnaissant le visage du fauconnier, son expression se décompose et elle se jette à son cou avant qu'il ait le temps de rien dire. Des larmes chaudes commencent à couler le long de ses joues, sur l'épaule puissante du guerrier.

- Maître Thorondil, oh par les Valar !

Elle ne peut en ajouter davantage. Toute cette situation est tellement… tellement horrible qu'il n'y a pas de mots pour la décrire. Avec une force de caractère surprenante, Nivraya rassemble ses forces en une fraction de seconde. Elle ne doit pas craquer. Pas devant le fauconnier. Quoi qu'il arrive, elle ne doit pas, il ne doit pas savoir. Serrant les dents, ravalant sa souffrance autant que ses souvenirs, elle s'écarte de lui. Elle chasse ses larmes de ses yeux, et expire profondément, une fois, deux fois. Juste assez pour se calmer, juste assez pour pouvoir affronter de nouveau le regard gris acier de son sauveur. Il ne doit pas se douter. Il ne doit pas savoir. Elle finit par lâcher :

- Je n'ai rien… Je n'ai rien… Sortez-moi d'ici, je vous en prie.

Elle ne croit pas qu'il soit convaincu, mais ils n'ont guère le temps de traîner en route. La disparition de son bourreau est déjà assez mystérieuse comme ça pour la jeune femme dont les souvenirs sont un peu flous. Et puis voir les murs, le plafond, le sol de cet endroit sordide lui donne envie de vomir. La terreur qui lui noue les entrailles, les souvenirs atroces des sévices qu'elle a subis… Tout cela lui donne envie de s'en aller. Elle est pourtant trop faible pour se lever seule, et Thorondil s'empresse de l'aider en lui soutenant le dos :

- Aïe, non, je vous en prie, attendez…

A court de souffle, elle se tord pour l'empêcher de poursuivre. Toutefois, même à travers l'obscurité de la pièce, et en dépit de sa robe qui en cache une grande partie, les marques de ceinture sur son dos sont clairement visibles… Qui peut dire quels autres tourments elle a souffert avant que l'épaule du fauconnier défonce la porte…
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Thorondil
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Justar - Couleuvres et Pigeons EmptyVen 8 Mai 2015 - 0:30
Très rapidement, le guerrier comprit que quelque chose clochait alors que le battant claquait sèchement contre le mur en rebondissant. Il y avait quelque chose de froid dans l'air qui n'avait rien à voir avec la température extérieur et pourtant l'atmosphère était presque étouffante de chaleur, irrespirable. Parmi les odeurs nauséabondes qui régnaient dans la pièce, une, particulièrement acre, lui emplit le nez. Une odeur qu'il ne connaissait que trop bien. La cabane puait la terreur, la peur viscérale comme il n'en avait plus sentie depuis son séjour forcé dans les geôles d'Umbar, de sinistre mémoire...
Mais plus horrifiant encore fut la vision qui s'offrit à lui sitôt ses yeux habitués à la demi-obscurité des lieux. La pièce semblait presque vide... presque. Au centre trônait une unique chaise sur laquelle, totalement ligotée et les yeux bandés, était effondrée une jeune femme. Il ne pouvait voir que le bas de son visage, le reste était dissimulé par un bandeau solidement serré qui lui couvrait les yeux. La sublime chevelure rousse le renseigna immédiatement sur son identité : Nivraya ! Et elle était pâle, si pâle que le cœur du fauconnier manqua un battement. Et s'il était arrivé trop tard ? Malgré les craintes qu'il avait exposé à Freyloord avant de partir, il n'avait jamais réellement envisagé de ne trouver qu'un cadavre. Mais son teint cireux et son immobilité l'effrayèrent désormais. Ainsi, elle avait plus de la poupée de cire cassée que de la femme sévère qu'il connaissait.

L'homme se précipita vers elle avant de stopper net à quelques enjambées. Il ne fallait pas que son angoisse lui fasse oublier toute prudence ou il pourrait sonner son arrêt de mort. Après un dernier regard rapide vers la dame, il resserra sa prise sur Sûliavas et parcourut rapidement la bâtisse, s'assurant que les responsables n'étaient pas dissimulés dans quelques recoins parmi les ombres. Evidement, il n'y avait plus personne. Ces immondes crapules avaient fuient les lieux ! Alors lentement, résolument, Thorondil s'approcha de la chaise et du corps trop pâle qui s'y trouvait. Il s'agenouilla en face, à sa hauteur et hésita. Il n'avait pas envie de savoir si... Il se rappelait les mots qu'elle lui avait dit la veille "Je sais simplement que je ne crains rien auprès de lui, tout comme je ne crains rien auprès de vous. Que pourrait-il bien m'arriver avec deux braves vétérans qui veillent sur moi ?" . Cette fois Justar avait failli... et lui aussi. Malgré toute leur inimité et leurs désaccords, Nivraya lui avait fait confiance pour sa sécurité. Une confiance qu'il n'avait pas su honorer.

Finalement il avança la main en direction de la gorge blanche, priant pour y trouver un pouls. Mais à peine ses doigts eurent-ils effleuré la peau d'albâtre que Nivraya sembla se réveiller : paniquée, suppliante, terrorisée. Elle hurla et se débattit. Thorondil fit un bond en arrière sous la surprise. Il essaya de lui parler, de la rassurer, mais rien n'y fit. Elle semblait sourde à ses mots, tirant sur ses liens à s'en arracher la peau.
Le dùnadan saisit sa dague et trancha les cordes aussi vite qu'il le pouvait sans risque d'entailler la jeune femme affolée. Mais ce ne fut que lorsqu'il lui arracha le bandeau qui l'aveuglait que Nivraya se calma et le reconnu... Et se jeta à sa cou, à sa plus grande stupeur. Elle tremblait et pleurait, le visage enfouit au creux de sa nuque. Instinctivement, quoiqu'un peu perdu, il referma ses bras autour d'elle, sans la toucher, formant juste un cercle protecteur autour d'elle sans même l'effleurer. Il ne savait pas comment réagir face à cette situation surréaliste. L'ensemble même des évènements de la journée n'avaient pas le moindre sens !

Quand elle se redressa enfin, elle avait reposé comme elle le pouvait les fragments d'un masque sur son visage et le rassura, elle allait bien. Mais c'était déjà trop tard, Thorondil avait eut le temps de voir, en enlevant le bandeau, l'ombre noire dans les yeux de la jeune femme, une plaie béante dans son âme, reconnaissable entre toutes. Ce qui s'était passé ici... on avait cherché à la briser. Un autre détail qui le ramenait dans ses souvenirs sombres des cachots de la Cité Pirate.
Il fallait la faire sortir d'ici ! Et vite ! Il serait toujours temps de parler après. Depuis combien de temps était-elle enfermée là, seule, à attendre que quelqu'un vienne à son secours ?... Pire, combien de temps était-elle restée ici avec pour seule compagnie les personnes qui lui avaient fait ça ?

La jeune femme essaya de se lever, sans succès. Elle était bien trop faible. Aussitôt, le fauconnier l'entoura de son bras pour la relever. Mais au lieu de s'y appuyer, elle siffla de douleur et protesta. Son dos se cabra pour échapper à son contact. Il s'écarta vivement, ne gardant comme contact qu'une main au poignet râpé par les cordes dans la sienne. Que s'était-il passé à l'instant ? Il fronça les sourcils et réitéra. Ils ne pouvaient pas s'attarder, les jérémiades allaient devoir attendre ! Si elle ne pouvait se lever, il allait la porter. Un bras au niveau de ses genoux et l'autre au niveau de ses épaules. Et de nouveau la fuite et la douleur... De nouveau il s'écarta, cherchant à comprendre cette réaction dont il ne décelait pas la cause.
Son regard se porta alors sur l'endroit où il avait tenté de la saisir. Un frisson glacé lui remonta l'échine. Là, partout où la robe ne couvrait pas la peau, s'étalaient d'épaisses marques d'un rouge vif. Des coups ! Un bâton... ou plutôt quelque chose de plus souple... un bout de cuir, plus épais qu'un fouet et moins mordant... Une ceinture peut-être... Sans y réfléchir, il passa sa main sur le col de la robe et le fit légèrement descendre pour constater les dégâts, mais encore une fois, sitôt que sa peau entra en contact avec celle de Nivraya, celle-ci s'écarta brusquement. Le regard qu'elle lui lança alors lui fit lever les mains en l'air en signe d'apaisement et d'excuses.

« - Veuillez m'excuser... Je n'aurais pas dû, je suis désolé. »

Maintenant il ne restait plus aucun doute dans l'esprit du fauconnier, on l'avait torturée. Quelqu'un l'avait torturée... Pas seulement juste secouée ou apeurée, mais physiquement torturée. On l'avait frappée ! Il se mordit les lèvres pour ne pas réclamer sur le champs le nom du monstre qui avait osé s'en prendre à une femme sans défense et sans arme. Le nom de Demeson aussi résonna dans son esprit. Le noble n'avait peut-être pas personnellement levé la main sur elle, il ne voulait pas se salir les mains, mais il avait commandité. Il allait payer pour ça ! Le regard de Thorondil se durcit. Les responsables allaient payer le prix fort et il s'assurerait personnellement qu'ils le fassent le plus douloureusement possible.

« - Je vais vous sortir de là. » finit-il par murmurer à Nivraya d'une voix étonnement douce, comme s'il craignait de l'effrayer encore.

Le fauconnier n'avait pas beaucoup de solution pour la transporter vu son état. Il passa devant elle, lui tourna le dos et s'agenouilla. Elle le regarda sans sembler comprendre. Il lui répondit d'un signe de tête de monter sur son dos. Evidement, comme il s'y était attendu, la jeune femme refusa tout net et, malgré ses jambes incertaines, tenta de nouveau de marcher par elle-même... et échoua lamentablement.

« - Montez ! » gronda le fauconnier « Montez à moins que vous ne préfériez rester ici ? »

Le regard de Nivraya vacilla légèrement. La perspective de rester une seconde de plus dans cette pièce sembla être bien plus insupportable que de monter sur le dos du fauconnier comme une enfant. Et quand elle finit enfin par refermer ses bras autour de son cou, Thorondil passa ses mains sous les genoux de la jeune femme et la souleva facilement du sol d'une poussée de ses jambes.
Au moins ne souffrait-elle pas dans cette position. Lui par contre... La puissance qu'il avait dû déployer pour faire céder la solide porte et son verrou avait fait de sérieux dégâts à son épaule gauche, qui supportait maintenant la moitié du poids de la jeune femme. L'articulation protestait, lui envoyant de douloureuses décharges qu'il ressentait du bout des doigts jusqu'au sommet du crâne. Mais il avait plus important à penser. Alors il serra les dents jusqu'à la sortie du bâtiment.
Les deux nobles respirèrent alors une grande bouffée d'air de l'extérieur une fois éloignés de plusieurs pas de la porte. Et Thorondil fut ravi de débarrasser son corps de l'air étrangement vicié qui avait empli ses poumons jusqu'alors. Il fit une pose, repositionna la jeune femme contre lui, et reprit son chemin jusqu'à arriver près de l'épais fourré derrière lequel il avait dissimulé sa monture.

Arrivé enfin près de Lith, il assit Nivraya sur un gros rocher affleurant, juste contre la jument. Il leur faudrait une bonne heure de route - trois-quart d'heure s'il maintenait un galop régulier le plus longtemps et le plus souvent possible malgré la double charge - mais le fauconnier était incapable de dire comment la Dame de Gardelame supporterait la chevauchée de retour dans son état. Et pire, il n'arrivait pas à savoir à quel point elle avait été blessée. En temps normal il l'aurait sans doute un peu bousculée pour obtenir ces informations mais, en la regardant, il ne s'en sentait pas le cœur. Il voyait bien qu'elle tentait de faire bonne figure, de garder sa dignité, mais elle n'était pas très convaincante si l'on prenait la peine d'y regarder de plus près.
Autour d'eux la lumière avait baissé sous les feuillages et les arbres semblaient abriter des ombres menaçantes qu'un esprit inquiet pouvait aisément interpréter de la pire des manières. Mais, d'aussi pressé qu'il était de quitter ces bois, le fauconnier avait encore quelques petites choses à régler avant ça.
Il s'éclaircit la gorge pour attirer l'attention vacillante de Nivraya et se pencha à sa hauteur pour la regarder dans les yeux.

« - Je vais vous laisser ici quelques instants, d'accord ? Je reste à portée de voix, je vous le promets. Si vous apercevez ou entendez quoi que ce soit de suspect, criez et je serais là dans l'instant. Et Elei sera là pour veiller sur vous en cas de danger, vous ne risquez rien, faites-moi confiance. »

La jeune femme posa les yeux sur le rapace, qui labourait désormais consciencieusement de ses serres la vieille selle miteuse sur le dos de la jument, et lui jetait des regards jaunes perçants. Sans doute pensait-elle qu'être protégée par un oiseau n'avait rien de bien rassurant ?
Tout en parlant, Thalion s'était tourné vers les fontes de sa selle, aussi miteuses que le reste, fouillant dans son barda de voyage jusqu'à en extraire un bout de charbon de bois un peu effrité, un bout de parchemin un peu sec et sa cape au teint indéfinissable. Il tendit le tout à la dame et la recouvrit du vêtement. Elle tremblait. C'était imperceptible à l'œil nu mais l'air qui vibrait autour d'elle en disait long. Elle était en état de choc.

« - Je vous conseille d'écrire un mot pour Freyloord. Faites court mais prévenez-le de votre état. Je ne suis pas sûr, vu vos... blessures, que nous seront rentrés à temps. Je l'ai prié de prévenir l'Intendant s'il n'avait pas de nouvelles avant la nuit. Elei ira lui porter. Elle ne vaut pas un pigeon voyageur mais elle ne se perdra pas en route et sera à Minas Tirith bien avant nous. » il prit un temps de pose et reprit « Je serais de retour d'ici quelques minutes tout au plus et... »

Il n'eut pas le temps de terminer sa phrase qu'un craquement sourd résonna de derrière la cabane. Les deux se tendirent. Rapidement, Nivraya tenta de reprendre contenance tandis que l'homme reprit en main son épée et fronça les sourcils.

« - Faites attention à vous et surtout ne bougez pas. » termina-t-il rapidement avant de tourner les talons en direction du son.

Comme promis, il resta à portée de voix et marcha d'un pas rapide. Il ne tenait pas à la laisser plus longtemps que nécessaire seule. Il ne savait pas précisément ce qu'il cherchait et le son pouvait venir de n'importe où. Autour de lui, tout était de nouveau calme.
Il contourna la maisonnette et guetta les traces qui sortaient de l'arrière tout en tendant l'oreille. Les bougres avaient été prudents et seul un peu d'herbe sèche écrasée témoignait d'un passage et de la fuite du ou des agresseurs.  Le fauconnier, d'aussi bon pisteur qu'il était, ne pouvait tirer aucune information de ces maigres indices de passage.
Un autre bruit attira pourtant son attention, un bruit régulier et familier : de l'eau. Comme il aurait pu s'en douter, un ruisseau courrait non loin de la cabane pour alimenter les visiteurs. Thorondil jeta un coup d'œil par dessus son épaule, s'assura qu'aucun bruit suspect ne venait en direction de Nivraya et s'enfonça un peu plus profondément dans le bois jusqu'au bord de l'eau.

C'était en effet une petite source qui coulait là, presque asséchée par la canicule, et qui se jetait dans une petite cuvette de pierre naturelle avant de déborder et se faufiler en mince filet entre les racines à travers le sous-bois.
Thalion observa le sol humide tout autour. Il fini par débusquer rapidement une trace imparfaite et floue qui se dessinait sur un parterre de mousse gorgée d'eau. Malgré ça, l'homme entreprit de la mémoriser avec soin dans les moindres détails. Dans le doute, elle pouvait bien appartenir à l'un des agresseurs. Et si elle appartenait vraiment au traitre sans honneur qu'il pourchassait, il ne le laisserait plus jamais filer... Mais après cette unique trace, plus aucune piste. Le dùnadan fut tenté de pousser plus avant sa traque. Il l'aurait sans doute fait si Nivraya ne l'attendait pas, blessée et meurtrie, et il ne voulait pas la laisser toute seule un instant de plus.
Il se contenta donc de récupérer un vieux baquet en bois qui trainait là, sans doute oublié par les précédents locataires du refuge. Il le rinça sommairement et le remplit d'eau fraiche avant de retourner auprès de la dame.

La jeune femme avait fini d'écrire et il prit soin de marcher lourdement pour annoncer son retour sans l'effrayer. Il déposa le seau plein devant elle.

« - Prenez le temps de boire et de vous passer un peu d'eau sur le visage et... » il montra d'un geste vague son propre dos. « Croyez-moi, ça aidera un peu en attendant de recevoir des soins. »

Il hésita à lui demander de voir par lui-même, mais vu la réaction qu'elle avait eu à sa première tentative, il ne préféra pas insister. Après tout, il pouvait comprendre, c'était une réaction assez naturelle après ce qu'on lui avait fait subir. Il ne posa pas non plus de questions sur ce qui s'était passé. Cela pouvait attendre aussi.
En échange de l'eau, il récupéra le parchemin craquelé sur lequel Nivraya avait rédigé son mot et entreprit de le plier savamment. Une fois ceci fait, il tourna le dos à la jeune femme pour récupérer son rapace et, dans le même temps, lui donner un peu d'intimité. Il appela l'animal d'un cri perçant, bref et incroyablement aigu pour quelqu'un avec un tel timbre de voix. Aussitôt Elei quitta son perchoir sur la selle pour monter vers le ciel d'un puissant coup d'ailes et repiquer aussi vite sur le bras de son maître. Puis de son bras, passa nonchalamment sur son épaule où le fauconnier pu attacher le mot à sa patte alors qu'elle s'exécutait de mauvaise grâce. Après une petite bataille de volonté et un étrange dialogue de gestes et de sons, Thorondil envoya Elei direction Minas Tirith en espérant que le message arriverait à Freyloord à temps et que Nivraya n'avait pas dissimulé son état.

Tout cela laissa le temps à la jeune femme pour se débarbouiller et se désaltérer. L'homme se demanda si, finalement, elle avait tenté de nettoyer ses blessures ou si elle avait décidé de simplement les ignorer, mais elle avait reprit quelques couleurs malgré tout et avait arrangé ses cheveux. C'était plutôt encourageant à vrai dire et il doutait de pouvoir se débarrasser aussi facilement de sa première vision alors qu'elle était attachée et silencieuse. Mais elle était épuisée, vidée de toute énergie et faible encore. Cela inquiéta beaucoup le fauconnier. La route allait être longue. Il aurait voulu la faire chevaucher en croupe, derrière lui, surtout vu l'état de son dos, mais à la voir maintenant, ce n'était simplement pas envisageable. Même en admettant qu'elle ait la force de se tenir à lui pendant une heure, si elle s'endormait ou s'évanouissait, elle ferait une chute très dangereuse, voir mortelle. Ne restait alors plus qu'une solution, il allait devoir la maintenir devant lui. Et il était tout aussi exclu de la faire monter en amazone. Et la seule solution restante allait être très douloureuse !

« - Laissez-moi vous aider à nettoyer votre dos ? » proposa-t-il simplement.

Le refus qu'il essuya fut si sec et froid que pour peu, il en aurait reculé de plusieurs pas. Au lieu de ça, il se contenta de hausser les épaules. Mieux valait ne pas trop insister de toute façon. Tant qu'ils se trouveraient en territoire hostile, il se doutait bien que rien ne pourrait apaiser la pauvre Nivraya, même s'il devait avouer qu'elle se débrouillait bien pour donner le change.
Thorondil la scanna de nouveau du regard à la recherche d'autres blessures qui lui auraient échappée jusque là. Sur ses bras, il n'y avait que quelques marques de ligatures de ce qu'il pouvait voir et ses chevilles ne devaient guère être mieux. Ses jambes, en revanche, ne semblaient pas la faire souffrir quand il l'avait porté dehors, au moins un petit réconfort pour la chevauchée à venir.

« - Il faut y aller avant qu'il ne commence à faire sombre. » finit-il par dire.

Sans attendre, mais avec précaution, il aida la jeune noble, presque la porta, pour la mettre en selle. Immédiatement, elle tenta de se déporter vers l'arrière pour lui laisser de la place. Il lui interdit immédiatement le mouvement d'un bras tout en sautant derrière elle. Ce simple frottement de son torse contre le dos meurtri la fit étouffer un gémissement de douleur dans sa main et Thorondil se sentit mal. Mais il n'avait pas d'autre choix, il ne pouvait quand même pas la jeter en travers de la selle comme dans les razzias barbares ?! Il murmura un "désolé" avant de passer un bras autour de sa taille et de la plaquer le plus fermement possible contre lui. Il savait que ce geste lui ferait atrocement mal mais il maintient sa prise jusqu'à ce qu'elle cesse de se débattre et lui demander de la lâcher, oscillant entre l'ordre sec et la supplique, et même après. S'il laissait une quelconque distance entre eux, l'allure du cheval aurait tôt fait de répéter ce mouvement à chaque pas. Au moins là, s'ils restaient ainsi serrés l'un contre l'autre tout le trajet, il lui épargnerait le plus possible de cette douloureuse friction sur son dos à vif. Et c'est ce qu'il tenta tant bien que mal de lui expliquer alors qu'il talonnait sa monture pour la lancer au galop.

Heureusement pour Nivraya, Lith était une jument aux allures régulières et au dos confortable. Cependant, plus d'un fois, le fauconnier la sentit s'affaisser dans ses bras, craignant qu'elle ne fut tomber dans les pommes. D'autres fois, elle étaient tendu comme un arc, un bras devant la bouche. Il cru dans un premier temps qu'elle cherchait à camoufler ses cris de douleur mais au bout de la quatrième fois, il comprit qu'elle se mordait, enfonçant ses dents profondément dans sa chair aussi forte qu'était sa douleur. Plusieurs fois, il ne pu s'empêcher de répéter à quel point il était désolé, de lui promettre qu'il ne restait plus tant de chemin à faire, que ce serait bientôt fini. Il n'avait jamais été quelqu'un de très empathique mais il souffrait véritablement avec elle à chaque pas tant chaque crispation de douleur se répercutait dans son propre corps.
Plusieurs fois, il se trouva sur le point de faire une halte pour lui permettre de se reposer, ou même proposer de monter le camps pour la nuit mais il craignait qu'elle ne lui ait dissimuler de plus graves blessures ou qu'Elei n'ait pu avertir Freyloord. Non, il devait retourner à la Cité au plus vite. Si bien qu'ils ne s'arrêtèrent qu'une seule fois, à mi-chemin. Thalion ne pouvait plus supporter de la voir se blesser encore plus dans sa douleur et ôta son brassard pour lui donner à mordre au lieu de sa chair. Bien sûr elle tenta de nier et de refuser mais il lui lança ce regard qui signifiant "ne me prenez pas pour un imbécile" et de toute façon, elle était bien trop fatiguée pour s'engager dans un duel verbal avec lui.

Enfin... enfin ils arrièrent en vue des immenses étendues de tentes qui recouvraient les Champs de Pelennor. Enfin ils étaient arrivés et cette longue torture allait cessé. De nouveau, Thorondil eut pitié de Nivraya. Il ne pouvait pas lui faire traverser le camps comme ça. Pas après tout le mal qu'elle se donnait pour préserver les apparences...
Il fit tranquillement stopper la jument à quelques centaines de mètres des premières tentes, descendit et l'aida à se poster en croupe, en amazone, comme il sied à une dame de son rang en Arnor, et reprit sa place devant. Au moins comme ça pouvait-elle être dissimulée de la vue des curieux par la carrure du fauconnier. Et c'est ainsi qu'ils parcoururent le reste du trajet qui menait à la tente des Gardelame, dans l'indifférence générale.

Aussitôt arrivé, Freyloord était à côté de Lith pour aider son employeuse à descendre. Thalion crut voir du mouvement à l'intérieur. Sans doute Alyss, mais il ne s'attarda pas. Son regard se durcit brusquement alors qu'il attachait la jument balafrée à un poteau.

« - J'ai encore une chose à régler. » grogna-t-il en tapant du plat de la main sur la dague juste au dessus de sa botte.

Le fauconnier marcha d'un pas vif jusqu'à la tente de Demeson, bousculant au passage un écuyer qui ne faisait que passer dans le sens inverse sans même s'excuser. Maintenant qu'il n'avait plus à se soucier de Nivraya dans l'immédiat, il se rappelait de la racine du mal qui les avait touché et sa colère était sans limite.
Arrivé devant l'habitation qu'il cherchait, il n'y avait personne, ni garde ni membre de la famille. Le silence régnait. Bien. Thorondil tira sa vieille dague de son fourreau et l'enfonça d'un geste rageur dans le bois du poteau d'entrée. La lame se ficha profondément entre les veines sombres et y resta droite. Finalement, avec plus de délicatesse, il enleva de son cou le pendentif de saphir de la jeune Lise, le fit tourner quelques instants entre ses doigts. Cette pauvre gamine n'avait vraiment pas de chance... Il serra les dents avant de glisser la chaîne d'argent autour de la dague et de tourner les talons.

Nivraya allait avoir besoin de lui et Demeson... maintenant Demeson était prévenu ! Ils avaient agit à la façon de Nivraya et à voir le résultat, il était temps de changer de tactique. Maintenant ils jouaient selon ses règles à lui ! Plus de faux-semblants ou de danses ridicules sur la pointe des pieds, c'était une guerre ouverte, épées au clair et marche de bataille. Demeson avait fait sa première erreur et la prochaine lui coûtera la vie !

Thorondil revint une dizaine de minutes plus tard dans la tente de Justar et Nivraya. Devant, Elei était perchée sur un piquet, nettoyant ses plumes avec la plus profonde indifférence. Le fauconnier la récompensa d'un petit bout de viande séchée avant de se faire introduire à l'intérieur par Freyloord.
Une fois à l'abri des lourds pans de tissus, il prit une chaise, la posta dans un coin proche de l'entrée et posa son épée sur ses genoux. Son regard fixait Nivraya sans un mot. Il voulait savoir ce qu'il s'était passé dans cette cabane et il n'avait pas l'intention de bouger tant qu'il n'aurait pas le fin mot de l'histoire !
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Nivraya
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Justar - Couleuvres et Pigeons EmptyVen 15 Mai 2015 - 5:38
Même pour une femme de la trempe de Nivraya, maintenir l'illusion que tout va bien est absolument impossible, et elle lit bien dans les yeux de son sauveur qu'il n'est pas dupe de son état. Elle-même, terrorisée par le traitement abject qu'elle a subi, préfère considérer que rien ne s'est passé, éluder la question, et aller de l'avant. C'est sans aucun doute la seule façon pour elle de surmonter l'épouvantable traumatisme qu'elle a subi. Vivre, continuer à bouger, pour mieux oublier que pendant une petite éternité, elle a été morte. Tuée par ce bourreau infâme qui lui a arraché une partie de son âme. Tuée. Tuée encore, jusqu'à ce que la perspective même de mourir pour de bon devienne séduisante. L'inconscience qui s'est emparée d'elle, en fin de compte, ne s'est érigée que trop tard comme un bouclier face aux atrocités qui lui étaient infligées sans qu'elle puisse rien y faire. Beaucoup trop tard. Car au fond d'elle-même, elle se souvient de tout. D'absolument tout. Aucun détail n'a échappé à son cerveau analytique redoutable, d'ordinaire une arme puissante, aujourd'hui l'instrument de son propre tourment. Elle inspire profondément, et serre les dents de toutes ses forces pour ne pas se laisser aller à un nouveau sanglot. Pas devant Thorondil. Pas devant lui. Pas lui. Elle fait tout pour sauver les apparences, et s'applique à se tenir bien droite, les mains croisées sur ses cuisses pour contenir leur tremblement nerveux. En dépit de la souffrance qu'implique sa position, elle demeure ainsi sans chercher à se reposer sur le dossier de la chaise. Pourtant, chaque regard que le fauconnier lui lance est comme un coup de bélier dans le mur qu'elle s'évertue à reconstruire autour de son âme mutilée. Elle ne peut s'empêcher de détourner les yeux, craignant qu'il ne puisse voir la honte au fond de ses prunelles d'un vert obsédant. Elle passe une main sous ses yeux, pour chasser le vestige salé des larmes qui ont coulé le long de ses joues parsemées de petites tâches de rousseur, qui ressortent violemment sur son teint marmoréen.

Un gémissement de douleur s'échappe de ses lèvres, bien involontairement, quand Thorondil lui passe une main dans le dos pour l'aider à se relever. Elle ferme les yeux en sentant de petites perles saumâtres s'agglutiner sous ses iris vacillants, et s'écarte par réflexe de la main tendue du guerrier, qui paraît lui ne pas comprendre. Il s'approche à nouveau, mais elle se dérobe pour la seconde fois, incapable de lui expliquer pourquoi, mais incapable également de le laisser la toucher. La douleur est si cuisante, si vive qu'elle ressent à chaque instant le frottement du tissu de sa robe sur son dos nu. Elle a l'impression que quelqu'un s'amuse à raviver en permanence le feu qui la dévore de l'intérieur. Sans arrêt. La main du fauconnier, aussi douce qu'il l'imagine, est un véritable fléau auquel elle se doit d'échapper sous peine de hurler de toutes ses forces, à s'en briser la voix. Humiliée, incapable de dénouer la boule d'angoisse dans sa gorge, elle demeure silencieuse, laissant Thorondil dans une profonde perplexité, qu'il entreprend de chasser lui-même. Elle ne perçoit pas son regard alors qu'il se pose sur ses blessures qui apparaissent aux encolures de sa robe d'été, mais sent clairement sa main horrifiée écarter les pans de tissu pour contempler de ses yeux dévastés l'ampleur du massacre. En sentant ce contact, elle se retire et lui lance une œillade si assassine et si violente qu'il s'interrompt dans son geste et lève les mains en signe d'excuse. Elle l'étrille silencieusement, mais le tremblement imperceptible de sa lèvre inférieure, montre bien qu'elle est davantage sur le point de s'écrouler comme un château de cartes balayé par une tornade que de retrouver son caractère en acier. Qui que soit la jeune femme qui se trouve en face du vétéran, il ne s'agit en aucun cas de Nivraya de Gardelame. C'est une femme perdue, désespérée, qui fait tout pour coller à l'image qu'elle a de la noble d'Arnor, qui s'efforce d'être aussi forte et détachée que cette dernière a pu l'être, sans y parvenir complètement. Ce spectacle est à fendre le cœur.

Les excuses de Thorondil demeurent sans réponse, tout autant que sa promesse de la sortir de l'enfer dans lequel elle se trouve encore. La jeune femme paraît soudainement à bout de forces, ses épaules s'affaissent, et bien qu'elle ait retrouvé sa liberté de mouvement, elle ressemble à une statue dont l'entièreté de la pose évoquerait une tristesse et une douleur infinies. Même ses cheveux roux, qui d'ordinaire sont si flamboyants, en miroir de son caractère, paraissent ternis et flétris. Si le fauconnier gravait cette image de la jeune femme, ou la représentait sur une toile, il serait sans aucun susceptible de tirer des larmes à n'importe quel public. Toutefois, il a bien d'autres choses à penser, et il s'applique à la faire quitter la pièce en la chargeant sur son dos. Outrée par une telle proposition, qu'elle refuse d'abord tout net, Nivraya finit par céder en tremblant devant la rage de Thorondil. Cette infime impatience qu'il a exprimée dans un subtil changement de ton, elle l'a perçue comme une réplique particulièrement cinglante. Elle se mord l'intérieur des joues pour ne pas craquer encore une fois, et hoche la tête rapidement, comme pour l'assurer qu'elle ne lui désobéira pas, comme pour le rassurer sur le fait qu'elle va coopérer pleinement, qu'elle va lui donner entière satisfaction. Tout pour que la douleur s'arrête. Tout pour que les coups cessent de pleuvoir. Tout pour que les cris cessent de résonner à ses oreilles. Tout plutôt que de retrouver cet enfer. Elle s'accroche donc de toutes ses maigres forces au fauconnier, qui la soulève du sol sans la moindre difficulté. Le changement de position brutal désarçonne tout à fait la jeune femme, qui pose la tête sur le dos puissant du guerrier et sombre dans l'inconscience presque instantanément, sans que l'homme s'en rende compte un seul instant.

Elle revient à elle en sentant sa position vaciller, et elle se raccroche brutalement à son seul allié en la circonstance, qui lui relâche les jambes lentement, pour lui montrer qu'elle touche le sol. En sentant ses pieds entrer en contact avec une surface stable, les jambes de Nivraya sont prises de tremblements qui manquent de la faire tomber. Seule la promptitude de Thorondil lui permet de la retenir, et de la faire asseoir sur un rocher. Elle ne lui adresse pas le moindre remerciement, car cela serait revenu à admettre sa faiblesse passagère, ce qui est tout à fait hors de question pour elle en ce moment. Elle ignore superbement le fauconnier, plus parce qu'elle est incapable de se concentrer sur deux choses à la fois que parce qu'elle a véritablement envie de lui montrer à quel point elle est détachée de la situation. En effet, elle est occupée à penser à un élément très important. Elle a glissé son sceptre dans un pan de sa robe conçu à cet effet. Il n'est certes pas pratique de le transporter de la sorte, mais au moins elle a l'avantage de pouvoir toujours l'emporter sur elle, et de ne pas le perdre. Elle le sent collé contre sa cuisse, parfaitement invisible, et cela lui procure du réconfort en quelque sorte. L'objet en lui-même est hautement symbolique, et elle n'aurait pas supporté de le perdre. Pas aujourd'hui. Pas alors que tant est en jeu. Le retour de Thorondil la tire soudainement de ses rêveries, et son regard quelque peu apaisée l'instant d'après retrouve brutalement toute l'anxiété de la vie réelle. L'homme lui confie ses plans, qui consistent à aller explorer les environs, pendant qu'il la laisse aux bons soins de son volatile. Nivraya tourne la tête en direction de l'animal, qui la transperce de son regard prodigieusement intelligent. Elle aurait de loin préféré un chien, ou un Freyloord, mais la simple perspective de ne pas se trouver totalement seule est déjà un réconfort en soi. Elle se fend d'un « D'accord » lâché d'une voix si fluette et si fragile qu'il ne semble pas s'agir d'elle. Elle a conscience du ridicule de son timbre, et probable que Thorondil l'a capté aussi, mais il a la courtoisie de ne pas l'accabler, et elle s'enferme dans son propre mutisme pour conserver le peu de dignité qu'il lui reste.

Nouvelle frayeur, quand elle voit le fauconnier revenir devant ses yeux. Depuis combien de temps est-il parti ? S'est-elle assoupie ? Elle peine presque à le reconnaître alors qu'il se tient debout devant elle, et son première réflexe est de lever les bras pour se protéger d'une nouvelle salve de coups. Elle interrompt son geste à mi-chemin, sans que cela ait pour autant empêché son protecteur d'en comprendre tout le sens. Il se penche vers elle, et lui dépose une couverture sur les épaules. Ce n'est qu'à cet instant qu'elle se rend compte que son corps est agité de tremblements nerveux. Elle a la curieuse impression que le monde fonctionne à deux vitesses, et qu'elle est absolument incapable de synchroniser son cerveau sur l'une d'entre elles. Elle est perpétuellement prise entre les deux, réagissant trop vite ou pas assez, toujours en décalage. Ses pensées sont focalisées sur des choses sans importance, avec pour ambition de retrouver un peu de stabilité. Cependant que Thorondil lui parle et lui explique son plan, elle fixe un petit caillou par terre, et se répète inlassablement dans sa tête :

« C'est un caillou. C'est un caillou. C'est un caillou ».

C'est comme si son cerveau, en pleine dérive, avait besoin de se raccrocher à n'importe quoi pour ne pas sombrer totalement. Elle s'appuie sur des petits riens, sur des choses quotidiennes et banales qui lui rappellent à quoi ressemble le monde. Le monde du dehors. Le monde à l'extérieur de cette cabane qu'elle n'ose pas regarder. Le monde où les gens sont libres. Le monde où les gens sourient et sont heureux. Ces notions ont disparu de son esprit, et elle n'est plus qu'une boule de nerfs tourmentée, sensible à la moindre caresse du vent sur sa peau, à la chaleur du soleil sur ses épaules martyrisées. Elle n'est que peur et douleur. Peur et douleur. Peur et douleur…

Avec une lenteur inhumaine, elle s'empare du morceau de charbon qui n'a certainement pas le confort des plumes qu'elle utilise d'ordinaire pour consigner des rapports de sa belle écriture élégante et régulière, et du parchemin épais et rugueux qui est bien loin d'égaler la qualité de ceux dont elle dispose à la cour d'Arnor. La cour d'Arnor. Le simple fait d'y penser lui semble tout à fait incongru. Elle, ici, au milieu de cette forêt étrangère… Son pays d'adoption lui semble tout à coup si loin qu'elle a l'impression qu'elle ne pourra jamais le rejoindre. Après tout, pourquoi ne pas s'allonger à même le sol, et simplement attendre que la mort vienne la prendre ? En quoi serait-ce plus douloureux que de continuer à tenir sur ses deux jambes… ce qu'elle n'arrive pas à faire vraiment, en réalité ? Elle inspire profondément, et raffermit sa prise sur ce set d'écriture de très basse qualité. Non. Elle doit rester concentrée, et ne pas se laisser aller. Elle a encore du travail. Cette perspective la rassure quelque peu, et surtout donne un sens à son existence. Si tout lui commande de se laisser mourir, de céder à la douleur lancinante qu'elle sent dans tout son être, jusqu'à son âme, elle sait qu'elle doit encore faire tomber Demeson. Elle sait qu'elle a encore le devoir de l'arrêter, de ne pas le laisser continuer ses sombres manigances. Ce n'est même pas par vengeance personnelle qu'elle agit, mais simplement par désir de faire régner la justice qu'elle sert depuis tant d'années maintenant. Alors que les pas de Thorondil l'éloignent de la jeune femme, celle-ci note consciencieusement :

Citation :
Contacter I. Eloigner J.
Ordre confirmé AI.
Tout va bien.
A.

Sitôt qu'elle a fini d'écrire, un bruit de pas annonça l'arrivée de Thorondil. Par les Valar, combien de temps a-t-il pris pour son inspection ? Elle n'en a aucune idée. Dans sa tête, seulement quelques secondes se sont écoulées, mais elle sait au fond d'elle-même qu'il ne peut en être ainsi. A-t-elle véritablement passé les dernières minutes les yeux dans le vague, l'esprit complètement ailleurs, au point d'être totalement déconnectée de son environnement immédiat ? Elle cligne des yeux, et regarde autour d'elle. Tout semble parfaitement à sa place, rien ne semble avoir bougé. Dans la tête de Nivraya, d'ordinaire si méthodique et si organisée, tout n'est que chaos et confusion. Comme si on avait pris la boîte dans laquelle elle range soigneusement ses pensées pour la secouer furieusement, avant de la lui remettre entre les mains. Elle n'y trouve plus désormais qu'un bazar indescriptible, à tel point qu'elle ne sait même pas par où commencer pour remettre de l'ordre. Le séisme qui a ravagé son univers intérieur n'a laissé qu'un immense champ de ruines au milieu duquel elle erre comme une âme en peine. Contempler les dégâts est pour l'heure tout ce qu'elle peut faire sans se mettre instantanément à pleurer.

Thorondil dépose devant elle un seau d'eau, en lui enjoignant de s'humidifier le dos pour faire passer un peu la douleur. Elle ne lui adresse pas même un regard, sentant sa pitié se transformer en une lame acérée qui glisse insidieusement entre ses côtes, jusqu'à atteindre son cœur. Elle sent la morsure glacée de l'acier qui glisse dans sa chair, et frémit de douleur en sentant des images revenir hanter son esprit. Comme en flashes, elle revoit le visage de son agresseur, elle entend de nouveau sa voix. Elle a l'impression qu'il est là, qu'il est présent, qu'il est partout. Elle le sent au plus profond de son esprit, là où il a planté les germes de la peur primaire et animale. Une peur qu'elle n'a plus ressentie depuis des années, au point d'oublier son existence. Une peur qu'elle n'a en tout cas jamais ressenti avec une telle intensité. Il l'a ramenée à la condition d'une bête traquée, et sa disparition ne fait qu'accroître son sentiment de panique. Il pourrait être là, derrière cet arbre, à la surveiller. Il pourrait attendre le moment où elle sera seule, le moment inévitable où elle se retrouvera vulnérable, sans protection. Son nom et son prestige ne sont plus une arme, ils sont un signal brillant sur lequel ce bourreau est capable de se focaliser. Il peut la suivre à la trace comme un limier, la pister jusque dans l'endroit le plus reculé de l'Arnor. A moins de changer de vie, d'abandonner tout ce qu'elle a mis des années à construire, elle n'a d'autre choix que de vivre avec cette menace constante au-dessus de la tête. La perspective, chaque jour, d'être de nouveau plongée dans ce cauchemar.

Le masque de Nivraya se fissure de nouveau, mais fort heureusement pour elle, le fauconnier lui a tourné le dos pour lui donner un peu d'intimité. Elle n'a aucune idée de ce qu'il est en train de faire, cela dit, trop occupée à se concentrer sur sa respiration, pour reprendre le contrôle de sa façade, de ce personnage qu'elle affiche en société pour se protéger. Elle penche la tête au-dessus du seau, et observe son reflet un instant, pour y voir quelqu'un au bord de la mort. La Nivraya qu'elle voit est sur le point de succomber à ses tourments, et elle est loin d'être prête à repartir au combat, comme elle l'a pourtant toujours fait. Pour cela, il lui faut retrouver une armure digne de ce nom : et son armure, c'est son apparence. La jeune femme puise de l'eau entre ses deux mains, et s'en imprègne le visage. Ses fards, ceux qui n'ont pas coulé avec ses larmes, achèvent de disparaître. Le contact glacé rend soudainement quelques couleurs à sa peau hâlée, et surtout chasse les quelques larmes qui n'ont pas encore tout à fait quitté ses cils fins. Elle entreprend ensuite de remettre de l'ordre dans sa coiffure défaite, tout un symbole. Ses doigts d'abord tremblants et maladroits se souviennent peu à peu de ces gestes tant de fois répétés. Elle arrange un chignon simple mais impeccable, en y mettant beaucoup d'application, comme si chaque geste était d'une importance capitale. Elle retrouve un semblant de sérénité, en s'accrochant à des choses familières, et trouve l'énergie de boire quelques gorgées d'eau glacée qui lui coule dans la gorge en la brûlant douloureusement. Son corps n'est pas encore prêt. Quant à son dos… elle préfère ne pas s'en occuper pour l'instant. Ignorer la situation est le meilleur moyen qu'elle a trouvé pour maintenir le fragile équilibre mental sur lequel repose son calme apparent. Elle est silencieuse, mais pour la première fois, Thorondil peut la voir totalement absente, et non absorbée dans une quelconque machination. Elle est simplement assise là, physiquement, alors que son esprit est ancré dans un passé qu'elle s'efforce pourtant d'oublier. A chaque fois qu'elle s'arrête de bouger, les souvenirs de ces dernières heures remontent à la surface, et menacent de la submerger. Désireux de l'aider d'une quelconque manière, le fauconnier s'approche et lui demande d'une voix posée s'il peut l'aider à s'occuper de son dos. Elle se tourne vers lui si brusquement que pendant un instant, on se demande si sa tête va rester accrochée à son cou. Ses yeux sont agrandis à l'extrême, au point que ses iris verts ne sont plus que que deux billes au milieu d'un océan nacré. D'une voix sifflante, elle contre, acide :

- Ne me touchez pas ! Jamais !

Ce n'est toutefois pas de la colère que l'on sent dans son ton. Seulement la réaction épidermique d'une femme brisée, qui frappe indistinctement amis et ennemis, de crainte d'être de nouveau blessée. Elle reconnaît en Thorondil un allié, un sauveur, mais on dirait qu'au fond, elle ne lui fait pas confiance. Elle accepte sa protection de mauvaise grâce, par défaut, parce qu'elle est incapable de trouver mieux. Il est certainement injuste de considérer qu'elle fait preuve d'ingratitude, mais il est simplement vrai qu'elle n'est pas encore en mesure de penser ainsi. Elle est terrifiée, et tant qu'elle n'aura pas regagné un endroit qu'elle considère comme sûr, elle se sentira en danger même au milieu des siens. Le guerrier finit par lui intimer l'ordre de partir, et cette fois elle ne proteste pas. Le jour commence à décliner peu à peu, même s'il reste encore du temps avant la nuit tombée, mais ils ont une longue route à faire pour rejoindre les Champs du Pelennor. Galant, il l'aide à se tenir debout, veillant à son équilibre avec autant de précaution que si elle était en cristal. Il l'aide bien vaillamment à se hisser en selle, ce qui n'est pas une mince affaire compte tenu de son état. Elle s'en sort tout de même assez bien, jusqu'à ce que le vétéran exige d'elle qu'elle s'installe devant lui. Ses premières plaintes sont étouffées lorsqu'il referme son bras autour d'elle, juste sous sa poitrine. Immédiatement, Nivraya se sent oppressée, séquestrée de nouveau, et devant ses yeux la réalité vacille. Le monde tel qu'il apparaît devant elle s'évanouit, pour laisser la place au visage odieux de son tortionnaire qui la dévisage, un air malsain sur le visage. Elle se débat de toutes ses forces, incapable de contenir ses cris qui sont autant de panique que de douleur. Et elle supplie, encore, et encore, qu'il la lâche, qu'il la laisse partir. Elle essaie de le frapper, mais d'une main ferme il s'empare de son poignet droit, et l'empêche de se débattre de trop. Elle suffoque. Elle se meurt. Elle finit par être emportée dans une quinte de toux si violente qu'elle en crache du sang. Sa respiration, sifflante. Son pouls, irrégulier. Mais Thorondil ne lâche pas prise. Il essaie de la calmer, il lui dit qu'il est désolé. Elle finit par se retrouver à bout de forces, et sa tête retombe contre la poitrine musclée du guerrier. Il sent son bras se soulever à un rythme effréné, et il perçoit plus que jamais les spasmes qui la saisissent à intervalle régulier. Combien d'hommes ont un jour rêvé de la tenir dans leurs bras ainsi ? Combien d'hommes ont rêvé de la voir dans un état de faiblesse absolu pour lui faire ravaler son sourire suffisant ? Combien d'hommes ont voulu tout cela à la fois ? Le vétéran, toutefois, ne semble pas goûter cette plaisanterie du destin, et c'est en lui exprimant tous ses regrets qu'il lance sa monture au galop à travers la forêt.

Le cauchemar reprend. La douleur qui irradie depuis son dos se répercute dans tout son organisme en vagues successives, rythmées par l'allure de la jument qui la transporte. La base de sa nuque est le siège de cette tempête de souffrance pure, qui se déverse ensuite comme une cascade dans tous ses membres. Elle a le cœur saisi comme entre des griffes puissantes, son cerveau est pétrifié, incapable de réagir. Ses yeux versent des larmes en continu, alors que le supplice continue. Elle est éreintée, épuisée, mais il lui arrive encore de supplier Thorondil. Elle lui demande de s'arrêter, elle lui demande de faire halte. Parfois, son esprit dérive, et elle lui dit qu'elle lui dira tout, elle lui promet de tout révéler s'il accepte de faire cesser son calvaire. Il est devenu son bourreau, et elle est incapable de faire la différence entre lui et l'homme qui s'est emparé d'elle. La douleur est son seul point de comparaison. Elle est totalement désorientée, tous ses sens sont submergés de messages contradictoires, de messages d'alerte qui annihilent toute capacité de réflexion. Elle s'en mord le bras, pour ne pas hurler à s'en déchirer les cordes vocales. Et puis finalement, terrassée, elle finit par s'évanouir alors que les larmes continuent à couler le long de ses joues. Elle souhaite mourir. Elle souhaite ne plus jamais se réveiller. Mais la douleur la ramène toujours. Toujours. Avant même d'ouvrir les yeux, elle sent de nouveau la souffrance. Tout son univers n'est que souffrance. Le bleu du ciel, le vert des feuilles, tout n'est que souffrance. Les choses ne sont que des formes grossières qu'elle aperçoit péniblement derrière le prisme de la douleur continue, et les mots du fauconnier n'ont aucun sens pour elle. Elle ne les comprend pas, elle sait juste qu'ils sont la preuve qu'il est toujours là, et que son calvaire se poursuit. Le temps n'a plus de prise sur elle, et son tourment semble infini, à tel point qu'elle est sur le point de sombrer dans la folie. Pourtant, comme mû par une force prodigieuse et mystérieuse, son corps refuse de se laisser aller. Elle ressent un sursaut intolérable, de ce dernier bastion qui n'a pas encore totalement cédé dans son esprit. Ce bastion a curieusement la voix du fauconnier contre le torse duquel elle se repose. S'il arrête de parler, son esprit risque de partir à la dérive, et chaque fois qu'elle se sent glisser, il est là pour la rattraper. Leur proximité lui donne un sixième sens, le rend capable de percevoir ce que ses yeux ne peuvent lui montrer. Il la sent sombrer dans l'abîme, et il continue à raviver la flamme qui brûle en elle, inlassablement.

L'ultime changement de position qu'il lui offre apparaît comme un répit bienvenu pour elle, et il entreprend de traverser le camp à un rythme moins soutenu, ce qui lui donne l'occasion de souffler, et de récupérer. Elle, au bord de l'évanouissement, ne se rend compte de rien. Elle n'a pas conscience des festivités qui battent leur plein autour d'elle, pas plus qu'elle ne se rend compte de l'indifférence générale dans laquelle Thorondil et elle traversent la marée humaine. Les bruits de la foule lui parviennent comme de loin, et elle n'est même pas consciente ce qu'il vient de la nuit qui est tombée progressivement sur le Gondor. Dans son esprit, tout est flou. Ils finissent par s'arrêter, devant un géant à l'aspect imposant, devant lequel elle consent à ouvrir ses yeux rougis. Freyloord. Nivraya esquisse un sourire, mais s'écroule presque aussitôt de fatigue dans les bras de son homme-lige, fidèle parmi les fidèles, qui la réceptionne souplement. Il est d'une telle douceur avec le corps si fin et si fragile de la jeune femme qu'on ne peut que s'attendrir devant une telle scène. Tout du moins, si la situation n'était pas aussi dramatique. Le colosse, tout en délicatesse, aide son employeuse à rentrer dans la tente, sous le regard terrifié d'Alyss qui vient de se lever. Elle est aussi expressive que le géant est neutre, et elle rassemble dans sa seule personne l'inquiétude des deux plus proches collaborateurs de la Dame de Gardelame. Agitant les bras pour calmer son anxiété, elle s'empresse de faire de la place pour pouvoir installer cette dernière confortablement, tout en la rassurant :

- Ca va aller, Niv', ça va aller. On va aller chercher un guérisseur, t'inquiète pas.

- Non… L'interrompt-elle. Non. L'Intendant… Le message…

Ses propos peuvent paraître obscurs pour quiconque n'a pas pris connaissance du message qu'elle a envoyé un peu plus tôt par l'entremise du fauconnier, mais Freyloord et Alyss ont bien reçu ses directives. Cette dernière répond, en prenant la main de la jeune noble dans la sienne :

- Nous l'avons prévenu, mais nous ne savions pas à quelle heure tu rentrerais… Il a dit qu'il passerait te voir dans la soirée, après une réunion de travail. Il était inquiet que tu ne lui aies pas donné de nouvelles.

- Il va venir ? Demande-t-elle, comme si la jeune Haradrim n'avait rien dit.

Cette dernière hoche la tête positivement, en essayant de prendre une mine rassurée. Au fond, elle est très inquiète de voir que son amie n'a pas l'air elle-même. Mille questions se pressent dans sa tête, mais elle les garde derrière ses lèvres étirées en un sourire de circonstance. Le plus important, pour le moment, c'est de s'assurer que Nivraya va bien. Celle-ci, enfin en sûreté, se laisse aller à un sommeil bien mérité qu'elle trouve en quelques secondes seulement. Rattrapée par la fatigue, elle n'a pas même pris plus d'une seconde pour sombrer dans un monde onirique qui saura lui faire oublier un temps ses souffrances physiques. Pendant ce temps, ses compagnons s'empressent de se concerter pour discuter de la suite des événements. Alyss n'est pas au courant de tout, Freyloord en sait un peu plus, mais guère assez pour pouvoir la renseigner convenablement. Le seul qui puisse leur donner des compléments dignes de ce nom, c'est Thorondil, qui est pour l'heure parti régler un « quelque chose » qui doit de toute évidence être d'une importance capitale. Veillant sur leur employeuse et amie, Alyss et Freyloord décident d'attendre patiemment en respectant à la lettre les consignes de la jeune femme : pas de guérisseurs, tant qu'ils n'ont pas vu l'Intendant d'Arnor. Il n'y a plus qu'à espérer qu'il va arriver rapidement. Ils prennent leur poste respectif, lui devant l'entrée pour surveiller les allées et venues, et elle dans un coin de la pièce, pour protéger physiquement la belle. Invisible à quiconque rentrerait, elle est suffisamment bien placée pour réagir avec promptitude, et neutraliser un éventuel assaillant. Fermant les yeux pour économiser ses précieuses forces, elle cale sa respiration sur celle de Nivraya, et attend patiemment un signe à l'extérieur…


~ ~ ~ ~


Dix bonnes minutes passent, dans un calme absolu. Au loin, les gens semblent s'amuser, et profiter des animations proposées. Aux alentours des tentes de l'Arnor, tout est plutôt tranquille, car les gens préfèrent s'amuser en ville, ou près des groupes de saltimbanques venus faire des tours et présenter des spectacles. Personne n'a vraiment envie de voir venir la plèbe traîner près des quartiers nobles, si bien qu'à cette heure-ci, il est difficile de trouver un endroit plus apaisant que sa propre tente. Peu de mouvement dans les environs, sinon quelques gardes qui discutent tranquillement, des hommes comme Freyloord, mercenaires pour la plupart, qui surveillent la tente de leurs employeurs contre d'éventuels voleurs. Une seule silhouette tranche avec le commun, en se déplaçant rapidement et avec un air particulièrement déterminé. Le colosse qui monte la garde devant la tente des Gardelame ne tarde pas à l'identifier : c'est finalement Thorondil de Kervras qui revient. Il prend soin de son faucon quelques instants, avant de pénétrer dans la tente qu'il connaît désormais assez bien. Alyss ouvre les yeux, et l'observe attentivement. Il a l'air incroyablement tendu, et son entrée peu discrète a réveillé la malheureuse Dame de Gardelame, qui paraît complètement perdue. Pendant un bref instant, une lueur de panique assombrit son regard d'habitude très vif, avant de disparaître derrière un masque craquelé, fissuré qu'elle enfile faute de mieux. La petite voleuse connaît suffisamment bien l'assistante de l'Intendant d'Arnor pour savoir que cette fois, c'est du sérieux. Depuis le temps qu'elles se connaissent, c'est bien la première fois qu'elle voit son amie aussi bas, absolument incapable de reprendre le contrôle. Pourtant, elle en a traversé de dures, mais cette épreuve semble être pire que toutes les précédentes, pour avoir réussi à l'atteindre de la sorte. C'est précisément pour cette raison qu'elle ronge son frein : elle sait que poser trop de questions serait contre-productif, et qu'il vaut mieux attendre qu'elle soit disposée à parler, ce qui peut prendre plusieurs jours parfois. Mais le vétéran ne paraît pas être capable de faire preuve de la même présence d'esprit, et lui paraît exiger des réponses sur-le-champ. Réponses que la jeune femme n'est – naturellement – pas prête à lui donner. Elle n'a pas envie de parler, et elle choisit de se murer dans un silence obstiné qui risque de ne rien amener de bon, ni pour elle, ni entre eux. Un silence gênant s'installe, qu'Alyss se sent obligée de rompre en toussant volontairement, signalant par là même sa présence au guerrier, qui n'avait pas jusque là remarqué sa discrète surveillance. Elle lui lance un petit geste de la main, mais comprend vite que lui non plus ne plaisante pas. Elle meurt d'envie de savoir ce qu'il s'est passé, mais Nivraya ne semble pas disposée à parler, malgré toute la pression silencieuse que lui impose le fauconnier. Aucun mot n'a encore été échangé dans la pièce, que dehors quelque chose se produit. La voix de Freyloord, grave et profonde, leur parvient étouffée par les lourds pans de la tente :

- Vous ne pouvez pas rentrer, désolé.

Son ton est catégorique, mais pas particulièrement cassant, si bien que son interlocuteur se sent en droit de répondre, ce qu'il fait avec une pointe d'étonnement dans la voix :

- Et pourquoi ne pourrais-je pas entrer ? C'est quand même là que je dors, Freyloord.

Tous dans la pièce ouvrent grand les yeux au même moment. Justar. Justar est ici. La résistance de pure forme du géant ne tient pas bien longtemps face aux arguments rationnels du noble au bras manquant, qui après tout a raison sur un point fondamental : il est chez lui, et personne ne saurait décemment l'empêcher de venir retrouver ses « appartements » à cette heure-ci. Toutefois, à l'intérieur, c'est la stupéfaction la plus totale. Les consignes de Nivraya étaient pourtant claires : éloigner J. Le visage de cette dernière se tord brusquement comme pour contenir ses émotions menaçant de déborder, alors qu'Alyss et Thorondil se lèvent pour accueillir l'époux de la jeune femme, qui hausse les sourcils en les voyant tous deux débarquer face à lui, l'air bien embêté. Il leur lance :

- Eh bien, qu'est-ce que vous complotiez pour que Freyloord essaie de m'empêcher de rentrer ici ? Vous… (il s'arrête un instant, en remarquant la silhouette allongée sur le lit)… Niv' ? Nivraya ? Tout va bien ?

Alyss, qui a la langue bien pendue, mais qui ne sait guère mentir à cet homme particulièrement clairvoyant, essaie de s'interposer pour lui faire comprendre qu'il n'a pas à s'inquiéter, qu'il ferait mieux de sortir. Toutefois, il lit derrière son empressement à le chasser toute l'inquiétude qu'elle ne peut dissimuler, et il l'écarte de son bras valide sans paraître même remarquer sa présence. Thorondil essaie bien de lui dire quelque chose, mais le regard qu'il reçoit en réponse le pousse à s'écarter de la trajectoire du noble au bras unique. Celui-ci ne prend pas la peine d'adresser des remerciements avant de se jeter littéralement au chevet de sa femme. Elle détourne le regard, incapable de plonger dans ces yeux qui ne l'aiment pas de l'amour qu'elle voudrait recevoir, mais son menton légèrement crispé traduit son envie irrépressible de céder aux larmes. D'une voix brisée par l'émotion, elle souffle :

- Je vous en prie, sortez…

- Niv', je… Commence Alyss.

- SORTEZ ! Tempête alors Nivraya, dans un accès de colère aussi violent qu'inattendu.

Thorondil et la petite voleuse, surpris, sont contraints d'obtempérer. Ils comprennent sans difficulté que les barrières que la jeune femme a érigées autour d'elle sont en train de s'effondrer devant son mari, et elle ne peut tolérer qu'ils se trouvent là au moment où les digues qui retiennent sa tristesse vont se briser. Ils se suivent tous deux au dehors, et rejoignent un Freyloord qui n'en mène pas large lui non plus. Sitôt à l'air libre, sitôt le pan de tente refermé, ils entendent de longs et plaintifs sanglots éclater à l'intérieur. Alyss, dont les yeux sont brillants de larmes, s'apprête à revenir à l'intérieur, mais le géant du Nord la retient puissamment, sans lui laisser la moindre chance. Il paraît sensible au tourment de son employeuse, mais beaucoup plus raisonnable que la Haradrim, dont le sang bouillonnant la pousse souvent à agir à l'instinct. L'homme-lige les écarte pudiquement de quelques mètres, jusqu'à ce que les sanglots se fassent presque inaudibles. Toutefois, dans leur esprit, ils savent tous que derrière ce voile ridiculement fin, une femme qu'ils ont cru en acier trempé est en train de s'écrouler littéralement sur elle-même. La voleuse, qui trépigne d'impatience, finit par demander au fauconnier :

- Racontez-moi ce que vous avez vu ! Qu'est-ce qu'on lui a fait ! Je ne l'ai jamais vue comme ça ! Et surtout, dites-moi qui lui a fait ça !

Sa voix monte dans les aigus, tant elle est inquiète, et elle est presque suppliante, accrochée au bras du guerrier qu'elle n'est prête à laisser partir pour rien au monde. Toutefois, c'est encore Freyloord qui s'interpose. Il pose son immense main sur l'épaule de la jeune femme du Sud, et lui dit d'une voix douce :

- Plus tard. Elle a besoin que nous soyons concentrés. Plus tard.

Alyss se jette dans ses bras sans prévenir, et il lui rend maladroitement son étreinte, conscient qu'elle a besoin d'être rassurée elle aussi. Voir Nivraya comme ça… c'est un choc pour eux tous. Mis à la porte de la tente familiale, mais incapables de partir vaquer à leurs occupations normales, ils en viennent à se retrouver comme des idiots, attendant que quelque chose se produise, qu'un événement inattendu vienne les tirer de leur torpeur. Le froid s'insinue en eux, mais ils ne prennent même pas la peine de tirer une chaise, se contentant de croiser les bras et de se regarder les uns les autres, avant de repartir à observer les environs. Ils laissent Thorondil rassembler ses pensées, et leur raconter au compte-goutte ce qu'il a vu. Tout l'intérêt est d'en révéler assez pour satisfaire la soif de la jeune Haradrim, sans en dire trop pour ne pas qu'elle parte immédiatement dans une vendetta personnelle. Freyloord a dit que les noms viendraient plus tard, mais le reste il n'a pas spécifié. Ils écoutent attentivement le fauconnier, frémissant à mesure que son récit se développe, en se demandant si parfois il n'arrange pas un peu la vérité pour ne pas trop les choquer. Finalement, leur salut vient d'une silhouette qui approche doucement, et qui s'arrête auprès d'eux. L'homme en question, qui paraît absolument normal, n'est autre que l'Intendant d'Arnor, le deuxième personnage le plus puissant du royaume. Il est quelque peu âgé, mais il conserve un dynamisme incroyable et une force de caractère qui est presque palpable. A n'en pas douter, ce vieux renard de la politique a encore de beaux jours devant lui. Il est le supérieur direct de Nivraya, mais il est aussi différent d'elle qu'il est possible de l'imaginer. Avenant, sympathique, tout à fait sincère, il est l'archétype du noble bien né et bien éduqué, qui n'a rien à prouver à personne, et qui est donc en mesure de se montrer courtois et disponible. Il marche accompagné d'un seul homme, qui lui sert de toute évidence aussi bien de secrétaire que de protecteur. C'est fort peu pour un homme de son importance. Thorondil, Freyloord et Alyss s'inclinent respectueusement devant lui, avant d'interrompre sa marche vers la tente de la famille Gardelame :

- Sire, commence Freyloord. Madame de Gardelame est dans l'incapacité de vous recevoir pour le moment…

- « Dans l'incapacité » ? Il lui est arrivé quelque chose ? ... Allons, nous savons tous très bien qu'il faut un cas de force majeure pour refuser une entrevue que l'on a soi-même sollicitée. Nivraya devait me rencontrer cet après-midi, elle ne s'est pas présentée à notre rendez-vous. Permettez-moi d'être inquiet…

Thorondil, Alyss et Freyloord se jettent un regard, sans trop savoir qui doit répondre. Ils n'en ont de toute façon pas l'occasion, car la silhouette de Justar quitte soudainement la tente familiale, et vient à leur rencontre. Il a le visage dur, aussi froid que la pierre. Lui qui d'ordinaire est toujours chaleureux, la transformation est saisissante. Il a le même visage que le fauconnier quand celui-ci combat : le visage d'un vétéran. Calmement, il explique :

- Sire, mes respects. Je vous prie de bien vouloir pardonner mon épouse, mais elle a été victime d'une odieuse machination. Aujourd'hui, elle a été enlevée par deux individus, et emmenée captive loin d'ici. Elle s'est refusée à tout commentaire sur ce qu'ils lui ont fait subir, mais les marques sur son corps sont éloquentes. Elle a tenu à me préciser que son sauveur était Maître Thorondil de Kervras. Sire, j'ai une dette d'honneur envers vous, pour avoir su retrouver ma chère épouse.

Il pose sa main sur l'épaule du fauconnier, et hoche la tête avec une raideur toute militaire. Par ce geste, il reconnaît entièrement le service que lui a rendu Thorondil, et son engagement sur l'honneur n'est pas à prendre à la légère. Demain ou dans dix ans, sa promesse tiendra toujours. Aujourd'hui, le fauconnier s'est fait un allié important, ce qui est une chose particulièrement précieuse pour un noble amené à jouer dans des intrigues politiques. C'est souvent ainsi que se constituent les alliances les plus durables, et quoiqu'il n'apprécie pas particulièrement la personne de Nivraya, il est certain que sa carrière montante peut le faire bénéficier, lui ou les membres de sa famille, d'avantages particuliers le moment venu. Les implications de ces liens familiaux commencent seulement à apparaître dans son esprit. Revenant à l'Intendant, Justar annonce :

- Sire, je ne proférerais pas de telles accusations si elles n'étaient pas absolument fondées. Mon épouse m'a affirmé avec certitude qu'elle enquêtait personnellement sur Sire Demeson, et que les hommes qui l'ont enlevée ont insinué travailler pour lui. En outre, elle est persuadée que des preuves irréfutables seront trouvées chez lui.

Alyss jette un regard plein de confiance à Thorondil. Pourtant, ils ont vérifié le coffre la veille au soir, sans rien trouver de compromettant. Toute cette histoire est de plus en plus étrange. L'Intendant paraît réfléchir un instant. Son inquiétude vis-à-vis de Nivraya semble bien réelle, mais il sait qu'il est plus important pour le moment de tirer cette histoire au clair. De telles accusations sont extrêmement graves, dans les deux sens. Le fait que la jeune femme soit toujours en vie peut signifier que ses assaillants vont revenir pour l'éliminer, auquel cas il est nécessaire de mettre fin à toute cette histoire dans les plus brefs délais. En même temps, s'il ne prend pas sa responsabilité en tant qu'Intendant de faire régner la justice, c'est l'époux de la victime qui risque de décider de lui-même de venir prendre la vie de Demeson. Ce ne serait pas la première fois qu'on verrait un tel comportement, même s'ils tendent à créer des cycles de vengeance particulièrement sanglants et dévastateurs. Pour toutes ces raisons, Aleth Enon, qui est un homme sage et raisonnable leur annonce :

- Sire de Gardelame, Sire de Kervras, veuillez m'accompagner je vous prie. Nous allons trouver de ce pas Sire Demeson, et tirer cette histoire au clair. Il est important que cette affaire soit réglée au plus vite.

Sur ces mots, ils lui emboîtent le pas, formant une curieuse escorte à cet homme tout à fait singulier. La tente qu'ils recherchent ne se trouve pas loin heureusement, et ils la rejoignent en quelques minutes à peine, sans avoir pour cela à forcer l'allure. Les deux vétérans auraient bien voulu se dépêcher, mais l'Intendant n'est plus de toute jeunesse, et ils ont fait un effort pour le ménager, quitte à devoir piaffer d'impatience en silence. Justar, particulièrement, est au comble de la rage, même si cela ne se voit pas sur ses traits maîtrisés. On s'en est pris à son épouse ! Même si Nivraya n'est son épouse que légalement, et qu'ils ne partagent pas une véritable relation amoureuse, il la considère comme la personne dont il est le plus proche. La simple idée qu'on puisse lui faire du mal lui est totalement insupportable. Face à lui seul, elle a complètement tombé les masques, et s'est effondrée dans ses bras en sanglots : une vision qu'il n'avait pas eue depuis des années, et qui lui a brisé le cœur. En dépit de toutes ses tentatives, et pour la première fois depuis qu'ils se connaissent, il a été incapable de lui faire dire quoi que ce soit à propos de ce qu'elle a subi là-bas. Pourtant, il est homme à faire parler même les gens disposés à garder des secrets, et en règle générale la jeune femme rousse est incapable de lui refuser quoi que ce soit. Mais ce soir, elle s'est murée dans un silence qui l'a effrayé plus qu'il n'ose se l'avouer. C'est la raison pour laquelle, avant de sortir rencontrer Demeson, il a décidé de s'équiper de son épée. Il n'est pas gaucher, mais depuis qu'il a perdu son bras droit, il s'est suffisamment entraîné de sa mauvaise main pour ne pas être totalement ridicule. Si cet homme a bien commis le crime dont l'accuse son épouse, alors il est bien décidé à le provoquer en duel, et à le tuer sans autre forme de procès.

Coïncidence, en arrivant tous les trois devant leur destination, ils se retrouvent nez à nez avec Demeson, qui semble revenir de la ville lui-même. Celui-ci, tout à fait surpris de voir autant de personnes de bonne réputation devant chez-lui, s'empresse devenir saluer ses invités. L'Intendant Enon prend la parole pour trois, conscient qu'il vaut mieux éviter tout dérapage :

- Sire Demeson, je suis heureux de vous trouver là. Ecoutez, je suis dans une position délicate. Sire de Kervras et Sire de Gardelame formulent de bien étranges accusations à votre sujet. Permettez-vous que nous en discutions ?

Le noble, seul contre trois, fronce les sourcils un instant, en dévisageant notamment Thorondil. Il a l'impression d'avoir été poignardé dans le dos par un homme en qui il n'a pas vu une grande menace, et cela le contrarie tout à fait. Cependant, son sourire de façade revient bien vite. Il s'appuie un instant sur le poteau d'entrée, caressant du doigt une légère entaille indécelable à l'œil nu à cette heure-ci de la nuit. Il prend un instant de réflexion, avant de leur répondre :

- Ecoutez, je sais ce que vous allez me dire. Votre épouse, Sire de Gardelame, est convaincue que je suis contre le mariage royal.

Il s'avance légèrement, en écartant les bras, comme pour admettre une faute :

- Je ne nierai pas que j'ai émis quelques réserves concernant ces épousailles. Mais je n'ai jamais agi contre les intérêts de mon Roi.

Avec un geste lent, il soulève le pan qui bloque l'entrée de sa tente, et se laisse glisser à l'intérieur :

- J'ai entendu parler de cette histoire de vol audacieux dans le palais, d'un homme qui aurait déclenché un petit incendie pour s'enfuir. Je n'ai rien à voir avec tout ça, c'est évident. Je…

Il s'interrompt soudainement, seul à l'intérieur, et Justar s'empresse de plonger à sa suite, craignant qu'il n'ait pris la fuite. Thorondil et Aleth Enon l'imitent, mais ce qu'ils découvrent à l'intérieur les cloue littéralement sur place. Demeson, les yeux écarquillés, contemple la tâche de sang qui grandit au niveau de son abdomen, sans parvenir à détacher les yeux de cette scène irréelle. Le manche du poignard dépasse de sa chair, mais nul besoin de chercher à le retirer, il est déjà trop tard. Ses jambes, incapables de le soutenir plus longtemps, se dérobent sous lui, et il se retrouve à genoux, les bras comprimés autour de sa poitrine. Son corps est agité de tremblements incontrôlables, sa bouche s'ouvre brusquement pour hurler :

- LISE !

Son cri déchirant s'achève dans un sanglot insoutenable. Etendue sur le sol, face à eux, Lise Demeson gît inerte dans une mare de sang, un poignard enfoncé dans le ventre. Son regard pétillant est désormais vide et éteint. Plus jamais on n'entendra son rire cristallin et franc, plus jamais on ne la verra pencher la tête légèrement sur le côté, quand elle découvre quelque chose de nouveau ou d'amusant, avant d'afficher un sourire ravi. Plus jamais. Lise Demeson, inexplicablement, s'est donnée la mort. C'est tout du moins ce que laisse penser la situation surréaliste dans laquelle ils se trouvent. La pièce est curieusement illuminée, et une bougie brûle encore suffisamment pour leur donner de la lumière, si bien que Thorondil peut reconnaître sans la moindre difficulté le poignard qui a mis fin aux jours de la jeune fille. C'est le sien. Celui qu'il a précisément planté dans le poteau quelques dizaines de minutes plus tôt, avant d'y adjoindre le pendentif qu'elle lui a donné en signe de son affection. Pendentif dont, d'ailleurs, il ne semble y avoir aucune trace. Sur la table où ils ont pris un thé la veille encore, repose une lettre manuscrite, que l'Intendant récupère douloureusement, avant de la lire à haute voix :

- Père… Je n'ai plus le goût de vivre. Je n'ai jamais pu être le fils que tu aurais rêvé d'avoir, et je n'ai jamais su être la fille que tu espérais. Je croyais enfin avoir trouvé un homme qui m'aimerait pour qui je suis, et je lui ai donné le bijou de mère. Aujourd'hui, il me l'a rendu, sans même me donner une explication. Jamais je ne rencontrerai quelqu'un, et je ne te donnerai jamais un gendre idéal. Je préfère m'en aller. Maman m'attend, j'en suis certaine, et nous t'attendrons toutes les deux. Je veillerai sur toi, papa… Lise.

Les sanglots de Demeson paraissent redoubler à chaque mot, à chaque phrase. La souffrance de ce père dévasté est proprement insoutenable, et Justar préfère détourner les yeux de la misère de cet individu, pour ne pas lui-même être pris de pitié pour cet homme qui est tout de même accusé d'avoir fait torturer son épouse. Mais comment rester insensible devant un tel spectacle ? Comment ne pas éprouver soudainement une forme de compassion absolue ? Le seul qui parvient à rester concentré sur sa mission est l'Intendant lui-même. Homme de cœur, il n'en demeure pas moins un politicien par essence, pragmatique et réfléchi avant tout. Il s'approche de Demeson, et lui retire la clé qu'il a autour du cou. Le pauvre homme est si choqué qu'il est proprement incapable de réagir et de se défendre. Une brève inspection de la pièce permet à Aleth de trouver la serrure qui correspond à la clé qu'il tient en mains. Il ouvre le réceptacle, en extrait le contenu que Thorondil ne connaît que trop bien, et observe les documents avec attention. Son froid pragmatisme est presque intolérable : le voir ainsi, en train de rechercher des preuves de la culpabilité d'un homme, alors que le cadavre de sa fille se trouve juste à côté… C'est proprement stupéfiant. Justar est obligé de s'appuyer sur la table pour ne pas s'affaisser, observant le profil de l'Intendant, dans l'espoir de découvrir quelque chose de concluant. Le fauconnier paraît plus distant, perdu dans ses pensées. Impossible de savoir ce à quoi il pense en cet instant. Toutefois, sa surprise est immense quand il entend Aleth annoncer fièrement :

- Ah, voici la preuve que nous cherchions.

Il écarte les autres documents, et lit à haute voix un courrier qui n'était pas là la veille au soir, c'est certain. Ils ont vérifié deux fois le contenu, et même la réaction de Nivraya, gravée de la mémoire de Thorondil, n'était pas des plus rassurantes. La seule explication qui peut venir à l'esprit est la bonne, mais seul le fauconnier en a conscience. L'Intendant, lui, est persuadé d'avoir trouvé un document important, qui accrédite l'idée selon laquelle Demeson aurait effectué des transactions avec des hommes de la Couronne de Fer, en échange de menus services. Les aider à s'introduire dans la cité, leur fournir des indications précieuses concernant les déplacements à l'intérieur de Minas Tirith, et enfin leur montrer comment s'infiltrer dans le Palais. Plus qu'assez pour le condamner à mort pour haute trahison, et déposséder sa famille – ce qu'il en reste, du moins – de ses titres et de ses terres, lesquelles reviendront naturellement à la Couronne. La coïncidence est heureuse, puisque le royaume manque cruellement d'argent, et que Demeson est un personnage puissant dont les terres fertiles peuvent renflouer en partie les caisses vides du royaume. Aleth se tourne vers les deux nobles qui l'accompagnent, et leur lance :

- Avec ce document, Demeson est cuit. Le témoignage de votre femme, le vôtre Sire de Kervras, devraient permettre de le faire accuser de tentative de meurtre. Plus encore, ce document est une preuve incontestable de sa culpabilité. Il vous suffira de témoigner de ce que vous avez vu devant le Sénat, à savoir du fait que ce document se trouvait bel et bien à l'intérieur du coffre, et qu'il n'a pas été placé là par la suite. Votre parole d'honneur sera parfaitement suffisante.

Il lance un regard appuyé aux deux hommes, comme pour leur dire « votre témoignage compte énormément », avant de se retourner vers Demeson, qui s'est relevé. Il paraît avoir retrouvé une partie de sa raison, à moins que ce ne soit la folie qui le fasse tenir sur ses jambes. Il se dirige vers Aleth, mais Justar le repousse d'un bras. Le père désormais privé de sa fille bien-aimée, lève les bras pour montrer qu'il n'est pas armé :

- Ecoutez, je ne sais pas d'où vient cette lettre. Je vous le jure ! Je n'ai rien à voir avec des gens de la Couronne de Fer ! Je n'avais aucune raison de les faire entrer dans la cité, et encore moins de les faire assassiner la Reine. Tout ça ne tient pas ! C'est un coup monté ! C'est un coup monté pour m'abattre. Ne voyez-vous pas qu'ils m'ont déjà pris ma fille ?

Chacun pose le regard sur le corps étendu de Lise, que son père a pris soin de recouvrir pudiquement de sa pelisse. Seules ses jambes fines dépassent, mais rien que leur vision fait froid dans le dos. Elle est morte si jeune… Demeson se tourne vers Thorondil, lui lance :

- Vous… Vous connaissiez bien ma fille ! Elle vous aimait, elle vous adulait ! Vous lui avez brisé le cœur, mais jamais elle ne se serait suicidée. Vous entendez ? Jamais ! Pas Lise… Pas ma petite Lise… C'est peut-être vous qui l'avez tuée, Thorondil de Kervras ! Oui, c'est vous ! C'est vous ! C'est vous ! Vous m'avez pris ma fille ! Vous l'avez tuée ! Vous l'avez tuée ! Vous l'avez tuée…
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Thorondil
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Justar - Couleuvres et Pigeons EmptyJeu 4 Juin 2015 - 1:28
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Le silence se faisait de plus en plus lourd. Plus la pression muette de Thorondil se renforçait, plus Nivraya se refermait comme une huitre. Le temps passa. Lentement... Jusqu’à ce qu’un toussotement peu discret ne vienne mettre fin à ce silence à couper au couteau. Alyss. Le fauconnier sursauta, sur le qui-vive. Il n’avait pas vu, ou alors oublié, la présence de la jeune haradrim au côté de Nivraya. Complètement concentré sur ses souvenirs et ses questions, il n’avait pas prit conscience de sa présence pendant tout ce temps.
Il dirigea son regard vers Alyss en bougeant à peine la tête, figé dans sa position de cerbère près de la porte. Elle lui adressa un signe de main amical auquel il ne répondit que d’un coup d’œil morne. Il la vit froncer imperceptiblement les sourcils.

- Vous ne pouvez pas rentrer, désolé.

Au son de la voix caractéristique du géant au service de Nivraya, toute la pièce se tendit. Instinctivement, Le dùnadan porta la main sur le pommeau de son épée.
Puis soudain, la réponse... Dans la tente tout le monde retint son souffle. Justar ! Il tombait bien mal. Thalion se mit à taper fébrilement du pied sur le sol avant de sauter sur ses jambes. Il ne savait pas vraiment comment réagir. Il ne pouvait décemment pas bloquer l’entrée de sa demeure au propriétaire des lieux... mais, à en juger par l’expression sur le visage de Nivraya, celle-ci ne souhaitait vraiment pas être vue par son époux dans cet état. Cruel dilemme... Et le fait qu’Alyss semblait suivre le même processus de pensée n’était pas pour l’aider.
Finalement, ils se retrouvèrent tout les deux debout en face du Seigneur de Gardelame, sans savoir quoi faire ou quoi dire, à la grande stupéfaction de celui-ci, qui semblait n’y rien comprendre... Jusqu’à ce qu’il avise son épouse, le visage pâle et allongée sur le lit. Le pauvre homme se précipita aussitôt, faisant fit de la tentative d’Alyss, et celle moins insistante de Thorondil pour l’en empêcher. A quoi bon, ils n’auraient rien pu faire pour l’en empêcher, et vu l’état de la dame, le fauconnier ne pouvait pas l’en blâmer. Si ça avait été son épouse allongée là et lui qu’on empêchait de s’approcher, il n’aurait reculé devant rien.


A présent ils étaient tous dehors, Alyss, Freyloord et lui-même... Enfin, plus précisément, ils avaient été jeté dehors par la voix brisée mais furieuse de Nivraya. Et maintenant, bien malgré eux, ils entendaient les sanglots déchirants que le tissu de la tente ne pouvait pas étouffer.
Thorondil massa son épaule abimée en tentant de regarder partout où il ne pouvait avoir la tente dans son champ de vision. A côté de lui, Alyss, au bord des larmes, ne pouvait compter que sur le bras assuré de Freyloord pour ne pas immédiatement revenir sur ses pas. Celui-ci ne semblait pas très à l’aise non plus. La dernière image de Nivraya que le fauconnier venait de voir, les yeux brillants et les lèvres tremblantes, semblait fixée sur sa rétine, lui provoquant un profond malaise. C’était pour cela qu’il voulait des réponses ! Pour comprendre l’étendu des dégâts et lui offrir une vengeance digne de ce qu’elle avait enduré.
Il se laissa guider par le géant aussi loin que possible de ce son à fendre le cœur d’un orque du Mordor. Aussitôt après, la haradrim s’agrippa à lui, comme sur le point de le secouer comme un prunier s’il ne répondait pas sur le champ à ses questions.

- Racontez-moi ce que vous avez vu ! Qu'est-ce qu'on lui a fait ! Je ne l'ai jamais vue comme ça ! Et surtout, dites-moi qui lui a fait ça !

Pendant un instant, le fauconnier la regarda sans comprendre, toujours plongé dans ses pensées à se remémorer la journée en boucle, encore, encore et encore... Heureusement, Freyloord était là pour calmer les nerfs à vif de la pauvre Alyss. Mais Thorondil sentait sur lui le regard pesant d’interrogation des deux serviteurs de Nivraya mais il n’arrivait pas à se résoudre à y répondre maintenant. C’était trop frais encore, trop flou. Il devait remettre de l’ordre dans ses pensées.
Puis, au fur et à mesure, bribe par bribe, de façon un peu décousue, il laissa les souvenirs s’échapper de ses lèvres. Lentement. Précautionneusement. De l’instant où il avait quitté Freyloord jusqu’à la traque à la piste des Champs de Pelennor à l’Anduin. Il leur épargna les détails inutiles et sauta directement jusqu’à son arrivée devant la cabane au milieu de nulle part. Le silence, le bruit soudain et de nouveau le silence. Il raconta la porte barricadée et la pièce vide qui s’était dévoilée à lui. Mais il tut la chaleur étouffante, l’atmosphère glaçante et les odeurs écœurantes...
Les prémices d’un incendie s’alluma dans le regard d’Alyss alors il interrompit son récit un instant. La jeune haradrim tenait bien trop à Nivraya pour qu’il lui fasse un récit exhaustif de ce qu’il avait vu sans craindre qu’elle ne parte en traque sur l’instant. Alors il se contenta juste de dire qu’il l’avait retrouvée ligotée et bâillonnée, sans préciser son état ni sa panique d’alors. Il insista en revanche sur les maigres indices qu’il avait trouvés sur place et surtout la difficile chevauchée de retour. Il ne tenait pas à inquiéter les deux autres mais leur faire prendre conscience de l’état de santé de leur patronne, même s’il en avait déjà eu plus qu’un avant-goût pendant son absence – du moins, c’était ce qu’il espérait... dans l’intérêt de la dame. Il termina sur un point primordial pourtant : le ou les agresseurs avaient prit la fuite et pouvait être n’importe où, peut-être tout aussi menaçants et dangereux...

Son récit s’interrompit à l’arriver de deux hommes, l’un clairement en retrait par rapport à l’autre. Le fauconnier, handicapé par sa mauvaise vue, ne reconnu pas tout de suite celui qui marchait en tête d’une démarche noble et assurée. Mais quand enfin l’homme arriva à leur hauteur, la révélation le frappa.

« - Monseigneur. » salua-t-il en s’inclinant devant l’Intendant.

Finalement, Nivraya avait fait venir l’Intendant ? Ou était-ce un hasard ? Il jeta un coup d’œil incertain à Freyloord. Mais qu’il soit venu sur invitation ou non, le géant l’arrêta malgré tout. Devant les protestations légitimes d’Enon, ils n’eurent cependant aucune réponse à lui fournir, se contentant de se lancer des regards interrogateurs les uns aux autres. Seul l’intervention de Justar, qui sortit de la tente, mit fin à leur malaise... Enfin pas exactement. Le visage habituellement si calme et avenant du seigneur de Gardelame affichait une expression que Thorondil ne connaissait que trop bien. Il portait son masque de bataille dont la simple vue dont la simple présence accéléra le pouls du fauconnier et, instinctivement, il adopta la même posture et le même masque. C’était comme une sorte de connexion, une communication silencieuse entre les guerriers ou un instinct de meute, il ne savait pas trop. Son visage se ferma encore plus si possible.
Il reçut néanmoins les remerciements de Justar à leur juste valeur, répondant par la pareille au signe de tête que lui adressa l’époux de Nivraya. Il savait que ce que signifiait un engagement sur l’honneur, et bien qu’il n’en mesurait pas véritablement toutes les implications, il n’en connaissait pas moins la valeur. Cette parole flotterait entre eux jusqu’à ce qu’elle soit tenue.

En fin de compte il semblait que sa déclaration de guerre à Demeson n’avait plus lieu d’être car Justar, avec toute la force de son assurance, réussi à convaincre l’Intendant de la culpabilité du noble sournois. Une seule chose pourtant, fit tinter une cloche dans l’esprit du Maître Fauconnier : d’où venait cette soudaine certitude de Nivraya de trouver une preuve chez Demeson ? Preuve que, par ailleurs, ils n’avaient pas trouvée en premier lieu. Discrètement, il jeta un coup d’œil de travers à Alyss et Freyloord... Et il n’aima pas trop le regard qu’il reçut en retour de la servante. Il avait un mauvais pressentiment. Cette affaire prenait une tournure qui lui déplaisait de plus en plus à chaque minute qui passait...

Quand Aleth, après un moment de réflexion qui sembla interminable, leur annonça son intention et invita les deux nobles à l’accompagner. Pas qu’il ait vraiment le choix, mais le fauconnier était finalement assez pressé d’enfin confronter Demeson avec un argument de poids qui l’empêcherait de se défiler.
Avant de partir, il se tourna vers les deux serviteurs et leur marmonna de rester sur leurs gardes avant de tourner les talons.

Tout le trajet, Thorondil pu sentir la tension et la rage qui irradiait de Justar. Et si ça ne suffisait pas, il était difficile de ne pas remarquer qu’il était même allé jusqu’à prendre son épée, qui reposait maintenant, menaçante, à son flanc... Et le chemin, qui ne lui avait pris que cinq petites minutes un peu plus tôt, sembla durer une véritable éternité. Les deux plus jeunes hommes rongeaient leur frein pour garder le même rythme que le vieil intendant malgré la douleur pratiquement physique que cela leur occasionnait. Ils voulaient régler leurs comptes et le plus tôt serait le mieux !

Par un incroyable concours de circonstance, le trio arriva le moment même où Demeson lui-même s’apprêtait à rentrer chez lui. Celui-ci sembla véritablement surpris de trouver toute cette étrange compagnie au pas de sa porte. Thalion supporta sans sourciller le regard trahi qu’il reçut. Il était encore bien trop en colère et sous le choc des évènements de la journée pour ressentir quoi que ce soit d’autre.
Assez naturellement, les yeux du fauconnier se portèrent sur le poteau dans lequel il avait planté son poignard. Il n’en restait nulle trace. Quelqu’un avait retiré l’arme du bois, et le collier, avant leur arrivée. Thorondil fronça les sourcils. Il espérait que ce n’était pas Lise elle-même qui avait découvert sa petite mise en scène. Il se sentit un peu mal en imaginant ce qu’elle aurait pu penser d’un tel acte.
Il revint rapidement à la situation en entendant Demeson se défendre d’accusations sans rapport avec celle qui les amenait. Il semblait véritablement surpris et complètement ignorant ce de qui se tramait. Cela eu le don de déstabiliser Thalion. Il ne voyait rien dans l’attitude de Demeson qui pouvait se rapprocher de près ou de loin à ce qu’il attendait en venant ici avec l’Intendant en personne. Et il ne pouvait pas faire taire cette voix dans sa tête qui lui tambourinait que quelque chose clochait.

Tout à ses pensées, il ne vit pas Demeson s’engouffrer dans la tente, se contentant de suivre le mouvement, mais en revanche, il entendit distinctement le hurlement déchirant qui lui échappa à peine le pan de toile refermé derrière eux.

- LISE !

Ce cri lui glaça le sang. Cela le fit brutalement émerger de ses réflexions. La scène qui se présenta alors devant ses yeux le figea sur place. Un NON ! déchira chaque minuscule parcelle de son esprit. Non non non... Pas ça ! Ce n’était pas censé se passer comme ça. Là, devant eux, se tenait le corps sans vie de la charmante et innocente Lise, baignant dans son propre sang, une dague – que le fauconnier n’eut aucun mal à reconnaitre – profondément fichée dans le ventre.
Un vague de nausée envahit le pauvre fauconnier. Il recula d’un pas comme si quelqu’un l’avait violement frappé. Son talon entra en contact avec un meuble, une chaise ou il ne savait trop quoi, qui tomba dans un bruit sourd qui ne fit réagir personne. Les yeux écarquillés, fixés sur le cadavre, Thorondil était pétrifié, incapable de réagir, de parler ou d’esquisser le moindre mouvement pour pénétrer plus avant dans la pièce. Pour enfoncer le clou encore plus profondément dans sa poitrine, la voix horriblement neutre d’Enon lisait, sans aucune pitié pour ses interlocuteurs, les dernières pensées de la jeune fille retranscrite de sa plume. Le fauconnier fut prit de tremblements qui ne cessèrent que lorsque la lecture prit fin et que les dernières paroles moururent définitivement dans l’air avec les sanglots plaintifs de Demeson père. C’était un véritable cauchemar !

Pendant quelques très longues minutes, il perdit totalement la notion du temps. Son regard s’était fixé sur un point lointain, pour lui permettre de reconstruire ses défenses et prendre le recule dont il avait besoin pour ne pas tout envoyer balader : Nivraya, Demeson et l’Intendant tout à la fois, aller chercher son cheval et prendre le large. Il avait besoin d’avoir l’esprit clair mais l’horrible présence du corps et de l’odeur du sang ne l’aidait pas.
Le cri de victoire d’Enon fut comme une gifle qui le ramena brusquement à la réalité. Thalion prit alors conscience que pendant tout ce temps l’Intendant avait fait sa fouille comme si de rien n’était, comme si Lise ne gisait pas morte au milieu de la pièce ! Et maintenant il fixait, comme s’il venait de voir un revenant, l’Intendant qui agitait sa preuve d’un air fier et satisfait. Preuve qu’il venait de sortir... du coffre ?! Coffre que le fauconnier savait parfaitement vide de tout élément compromettant pour l’avoir constaté de ses propres yeux la veille ! Maintenant il était perdu. Comment... ? Il pouvait jurer sur la vie de sa propre fille qu’il n’y avait rien la veille encore pour incriminer Demeson !

- Avec ce document, Demeson est cuit. Le témoignage de votre femme, le vôtre Sire de Kervras, devraient permettre de le faire accuser de tentative de meurtre. Plus encore, ce document est une preuve incontestable de sa culpabilité. Il vous suffira de témoigner de ce que vous avez vu devant le Sénat, à savoir du fait que ce document se trouvait bel et bien à l'intérieur du coffre, et qu'il n'a pas été placé là par la suite. Votre parole d'honneur sera parfaitement suffisante.

« - Que... Heu... Oui... Oui, bien sûr, Monseigneur. » répondit-il d’une voix moins assurée qu’il ne l’aurait voulu mais dont il parvint malgré tout à camoufler le malaise.

Demeson se releva enfin du cadavre de sa fille adorée, retrouvant assez de force et d’esprit pour se défendre des accusations portées contre lui avec une sorte de fièvre qui frôlait la folie. Thorondil, en tournant son regard vers la dépouille, ne pouvait l’en blâmer. Lui-même savait que perdre son enfant le ferait sombrer dans la folie. Mais toute cette compassion mourut à la seconde où l’homme retourna ses accusations contre lui.

Le champ de vision du fauconnier se couvrit d’un voile rouge. En une fraction de seconde il était sur Demeson et l’attrapa violemment par le col, une rage sourde brûlant comme un brasier dans les yeux de mithril. Le noble dut se mettre sur la pointe des pieds pour maintenir tant bien que mal son équilibre. L’épaule abimée du dùnadan protesta encore mais il l’ignora superbement, tout à sa fureur.

« - TAISEZ-VOUS !!! Je vous conseille de ne pas proférer ce genre d’accusation devant moi, sale pourriture ! Ne me poussez pas à bout ! Je n’aurais jamais touché un seul cheveu de Lise ! Jamais ! C’était une jeune fille bien, innocente et qui ne méritait certainement pas un père prêt à vendre son âme et son honneur pour... quoi ? Du pouvoir ? De l’argent ? Vous me dégoûtez, Demeson ! »

Il propulsa alors l’homme avec une violence inouïe au sol avant de sortir en trombe de la tente, tremblant de rage. Quelques secondes plus tard, deux soldats en patrouille, alertés par le bruit sans doute, s’engouffraient dans la tente. Entre le cadavre de Lise et les preuves de la fourberie de son père, il fallut du temps, et toute l’autorité de l’Intendant, pour expliquer et solutionner le problème. On emmena Demeson, vociférant, fers aux poignets et tout redevint brusquement très calme. Dehors, le fauconnier se calmait peu à peu... Pauvre fille, si innocent, si naïve, si fragile...Il se sentait coupable. Il n’aurait rien pu faire différemment, mais cela n’apaisait pas la culpabilité qui commençait à le ronger impitoyablement.
Mais autre chose tournait et retournait dans sa tête. Cette preuve providentielle, sortie de nulle part, qui n’avait absolument aucune raison de se trouver là. Quelque chose clochait. Beaucoup de choses clochaient à vrai dire... Il repensa à ce sourire sûr qu’avait affiché Alyss sans aucune raison juste avant leur départ pour la tente de Demeson... Nivraya n’aurait quand même pas... ?
Thalion serra les poings. C’est était assez ! Il fallait qu’il règle ces histoires au plus vite. Il en avait plus qu’assez d’être dans le flou, de ne pas savoir, d’être ignoré et volontairement mit à l’écart ! Pire encore, il en avait par dessus la tête d’être pris pour un idiot, un simple pion ou une marionnette. Cela avait fini par coûter la vie à une pauvre gamine pleine d’espoir pour le futur ! Cette fois Nivraya n’aurait pas le choix, elle devra dire la vérité et toute la vérité, régler ce problème une fois pour toute ! Tous les problèmes d’ailleurs !

C’était justement alors qu’il était plongé dans ces réflexions que Justar sortit enfin de la tente où il devait sans doute encore régler quelques détails avec l’Intendant. Le Maître Fauconnier du Roi marcha quelques minutes, silencieux à ses côtés avant de se décider, accélérer le pas et se poster devant lui. Son visage reflétait une profonde détermination mais également une sorte d’hésitation, comme s’il répugnait d’exprimer le fond de sa pensée.

« - Messire de Gardelame, il faut absolument que je parle à votre femme. Seul à Seule. »

La réponse, évidement, fut un non, laissé échapper un peu sèchement. Justar le regarda une seconde comme s’il était devenu fou avant de reprendre, légèrement radouci.

- Je suis désolé, mais... Non. Nivraya n'est pas en état de répondre à vos questions... ni à celles de qui que ce soit d'ailleurs. Elle a besoin de repos après... après tout ça...

Le fauconnier hésita, leva lentement la tête vers le ciel, aussi sombre que son humeur, et tenta une nouvelle fois avec plus de conviction et d’urgence dans la voix.

« - C’est absolument primordial !... Vous m’avez dit avoir une dette d’honneur envers moi. Alors... je l’invoque aujourd’hui même, et croyez bien que je ne le ferais pas si ce n’était pas d’une importance capitale... J’ai parfaitement conscience de ce que votre femme a pu endurer, croyez-moi. Mais il en va de sa propre sécurité. Je vous en pris... »

- ... J'ai une dette d'honneur envers vous, Maître Thorondil... et je suis un homme de parole, mais... De grâce, reconsidérez votre demande, et ne me forcez pas à faire souffrir encore davantage mon épouse. Peut-être... Peut-être pourriez-vous revenir dans quelques temps, quand elle sera disposée à se confier, quand elle aura repris des forces...

« - Hélas... cela ne peut souffrir aucune attente... »

Thorondil s’interrompit un instant. Il ne tenait pas à laisser Justar croire qu’il souhaitait torturer son épouse par sadisme ou par indifférence. Il reprit alors avec moins d'empressement :

« - Ce serait plus cruel encore de patienter et l'obliger à replonger dans son calvaire plus tard. Comprenez bien, la personne qui lui a fait ça s'est enfui, rien ne peut garantir sa sécurité tant que je n'aurais pas ces réponses. »

- Vous semblez déterminé, Sire, mais ayez bien conscience que vous demandez à un époux de brusquer sa femme... Un tel dilemme me déchire, plus que vous ne pouvez l'imaginer, mais puisque vous dites qu'il s'agit de la sécurité de Nivraya... je vous crois. Ne tardons pas : plus vite vous aurez les réponses à vos questions, plus vite je pourrai m'occuper d'elle. En échange, Maître, vous devez me dire tout ce que vous savez sur cette affaire. Absolument tout.

Thorondil marqua sa compréhension d'un simple mouvement de tête. Que pouvait-il dire de plus de toute façon ?


Et ils se dirigèrent tous les deux vers la tente des Gardelame. Justar s’engouffra immédiatement et se dirigea vers Nivraya. Quant à Thorondil, il resta juste sur le pas de la porte.

Avisant Freyloord et Alyss, il leur désigna d’un signe de tête la porte et grogna un « Dehors » peu avenant. Il était bien trop énervé pour faire preuve de la plus basique des politesses avec les deux cerbères malgré le respect qu’il pouvait avoir pour eux... Malheureusement, les deux fidèles serviteurs étaient sans doute dans le même état d’esprit que lui et n’avait certainement pas l’intention de se laisser mettre dehors pas un simple homme sur les nerfs, tout maître fauconnier royal qu’il était ! La jeune femme, particulièrement, semblait sur le point de lui sauter à la gorge et se déplaça parfaitement entre lui et le chemin vers Nivraya. Freyloord, plus modéré, se contenta de lui lancer un regard où se mêlaient l’agacement et une sincère interrogation.
Thorondil soupira profondément, prit sur lui pour retrouver le contrôle de ses nerfs et reprit très calmement.

« - Il faut que je lui parle... » Puis il s’adressa directement à Freyloord en constatant que chacun de ses mots ne faisaient qu’énerver la jeune femme. « Freyloord. S’il te plait. Pas longtemps, mais il faut absolument... Je n’ai pas le choix d’accord ! Il faut au moins que j’essaye !... Justar a donné son accord. »

Plus que par des mots, c’est par le regard qu’il essayait de faire passer son plaidoyer. Il y eut d’abord un long silence puis Alyss siffla quelque chose de sans doute un peu grossier mais que le fauconnier n’entendit pas, concentré à soutenir le regard du géant. Un moment de compréhension sembla planer entre eux et, sans un mot, Freyloord ceintura Alyss par la taille et la mena dehors. Cependant, Thorondil saisit parfaitement la nuance d’avertissement dans le dernier coup d’œil qu’il lui lança par dessus son épaule.
Finalement, Justar revint et lui laissa la place d’un simple mouvement de tête avant de sortir lui aussi de la tente. Le fauconnier fit quelques pas en direction du fond de la tente où se trouvait le lit et Nivraya.

C’était la première fois qu’ils se retrouvaient seuls depuis qu’il l’avait ramené. Un silence pesant s’installa immédiatement. Nivraya semblait bien décider à l’ignorer, elle ne lui adressa même pas le moindre petit signe qui pouvait laisser penser qu’elle avait ne serait-ce que conscience de sa présence. Seule la tension de ses épaules et de sa posture parlait pour elle.
Sans un mot, le dùnadan avança jusqu’au lit et s’assit à côté, à même le sol, le dos en appui contre un poteau de soutien et l’épée posée à côté de lui, à portée de main. Pendant un long moment, il laissa durer le silence, sans pression cette fois. Il se contentait de fixer le même point qu’elle dans un horizon invisible et vague. La voir de nouveau dans cet état avait fait retomber comme un soufflet le chaos qui régnait dans son crâne et son projet de la secouer pour l’obliger à parler disparu avec lui.
Puis finalement, après un long moment, il prit la parole. Le volume ne s’élevait pas plus un qu’un murmure mais sa voix grave transformait le fond de ses paroles en bourdon soutenu. La neutralité de ses paroles était bien plus étonnante dans sa bouche que ses habituels emportements.

« - Ils ont arrêté Demeson. Je sais parfaitement que cette preuve n’était pas là hier... alors j’espère que vous étiez absolument sûre de vous sur sa culpabilité. Parce qu’avec tout ça, il ne s’en sortira pas. »

Il ménagea un temps de silence durant lequel Nivraya continua d’ignorer sa présence. Il soupira.

« - Il va falloir que vous me disiez ce qui s’est réellement passé là-bas, Nivraya. Qui vous a fait ça ? On... Vous ne pouvez pas laisser ces hommes marcher librement après ça. Tant que leurs cœurs battront, ils resteront une menace inacceptable pour vous ou pour qui que ce soit d’autre. »

Toujours pas de réponse. Aucun des deux ne bougeait.

« - Vous pensez vraiment que rester silencieuse vous aidera à oublier pas vrai ? Et qu’essayer d’oublier effacera ce qui s’est passé ? Croyez-moi, ce n’est pas comme ça que ça marche, d’aussi fort que soit nos efforts pour y parvenir. Si vous ne l’affrontez pas maintenant, vous vivrez perpétuellement dans la peur, le poing serré à votre arme à chaque pas que vous ferez, à craindre le moindre mouvement dans les ombres... Vous n’êtes pas comme ça. Vous, vous avez décidé qu’être une femme ne vous empêcherait pas d’avoir votre place là où personne ne vous voulait. Vous vous êtes battu contre les barrières posées par votre simple naissance et vous reculeriez face à une poignée d’hommes ? »

Il jeta un coup d’œil en coin au visage encore trop pâle de la jeune femme à côté de lui. Il insista encore :

« - Vous n’êtes pas comme cette pauvre Lise, trop rêveuse et trop fragile, incapable de supporter une première déception amoureuse. Elle s’est plantée... »

Au moment même où les mots s’échappèrent de sa bouche, il revit avec une précision effrayante la scène et le corps de Lise. Il revit la garde usée de son poignard dépassant des chairs sanguinolentes. Usée... comme la lame. Usée par des années d’utilisation, si émoussée qu’il avait dû utiliser un puissant coup pour la ficher dans le bois. Comment une jeune fille, aussi désespérée soit-elle, aurait-elle pu choisir une arme aussi incertaine pour mettre fin à ses jour ? Comment une jeune fille aurait-elle eu la force physique pour s’enfoncer elle-même une telle arme aussi profondément sans s’y reprendre à plusieurs fois ? La réalisation le heurta brutalement comme un immense seau d’eau glacée.

Il fut sur ses pieds d’un bond, jurant et vociférant contre sa propre stupidité ! Comment avait-il pu passer à côté d’un fait aussi évident ! Son poing s’abattit avec force sur le poteau qui lui avait servi d’appui peu avant.

Dans sa colère et sa prise de conscience, il avait complètement oublié Nivraya à côté de lui. Il était tellement furieux contre lui-même ! Si seulement il avait été moins stupide ! Mais un autre sentiment le gagnait, plus subtilement : le soulagement ! Il n’était pas la cause de la mort de Lise ! Elle ne s’était pas suicidée à cause de lui ! Elle avait été assassinée !
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Nivraya
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Justar - Couleuvres et Pigeons Empty
Justar - Couleuvres et Pigeons EmptyMer 10 Juin 2015 - 15:50
La colère de Thorondil retombe comme un soufflet, laissant Justar penaud, seul dans la pièce avec l'Intendant qui paraît être parfaitement cuirassé contre ce genre de choses, et un Demeson trop abattu et ravagé par la peine pour même trouver la force de se défendre. Le pauvre homme n'est plus que l'ombre de lui-même. On ne peut pas dire que Justar le connaisse personnellement, mais il a déjà eu l'occasion de le voir aux séances du Sénat, et il a toujours vu en lui un homme noble et droit. Leurs idées ont peut-être différé, mais il l'a beaucoup respecté, et lui a trouvé de nombreuses belles qualités qu'il a toujours su mettre au service de l'Arnor. Le voir ainsi sombrer, même s'il a attenté à la vie de Nivraya, c'est un choc terrible. Pour des hommes d'honneur, des chevaliers dans l'âme comme le Sire de Gardelame, il n'est aucun individu qui mérite un sort pareil, serait-il le plus cruel des criminels. Chacun doit assumer le poids de ses fautes, mais il est ignoble de voir un homme être ainsi dévasté. La tête basse, peinant sous une forme de compassion coupable, Justar quitte la tente au bord de la nausée, laissant les autorités de l'Arnor traiter elles-même ce problème. Il n'y est pas plus désirable qu'un vulgaire secrétaire, et il se retrouve dehors dans l'air frais de la nuit, aux côtés de Thorondil qui paraît essayer de retrouver la maîtrise de ses nerfs. Mais que dire alors ? Que dire après avoir assisté à un tel drame ? Ils sont partis gonflés de colère et épris de justice, pour se rendre compte que leur pire ennemi est en réalité un homme comme les autres, qui souffre peut-être encore plus qu'eux. Justar peut blâmer Demeson autant qu'il le veut, il peut au moins se consoler en se disant que Nivraya est en vie. Plus sauve que saine, mais en vie. Lise Demeson, elle, n'a pas eu cette chance.

L'affaire est complexe, toutefois, et l'esprit du vétéran au bras unique se met à réfléchir intensément. Il lui manque de toute évidence des éléments pour juger, mais il lui semble que la mort de Lise représente une coïncidence bien inquiétante. Demeson, coupable sans aucun doute, n'aurait eu aucun intérêt à éliminer sa propre fille, à qui il semble tenir plus que tout. Sa réaction prouve qu'il est le plus atteint dans l'histoire. La seule thèse valable est donc celle du suicide, mais Thorondil paraît lui-même peiner à croire à cette explication. Son regard est empli de questions et de doutes qui se succèdent trop vite pour qu'il soit possible de les interpréter avec un regard extérieur. Justar ne peut se prononcer davantage, ne connaissant ni la pauvre victime, ni la nature de sa relation avec le fauconnier, ni même l'objet de la mission que ce dernier a menée avec Nivraya. Pour la première fois de sa vie, il est très difficile au maître de Gardelame de ne pas savoir dans quoi son épouse s'est embarquée. D'ordinaire, elle lui cache ce qu'il n'a pas à savoir, à la fois parce qu'elle ne peut rien lui dire, et parce qu'elle veut le protéger d'éventuelles pressions. Toutefois, maintenant qu'elle est blessée, étendue dans un lit, le corps mutilé et l'esprit brisé, il se demande plus que jamais les raisons de son passage à tabac. Ne rien savoir le ronge de l'intérieur. Perdu dans ses pensées, sa réponse sèche, son "non" prononcé d'une voix cassante, part tout seul sans qu'il soit capable de le réprimer. Il s'adoucit néanmoins, expliquant à Thorondil qu'il n'est pas en mesure de le laisser parler à sa femme. Pas maintenant.

Néanmoins, le fauconnier insiste, et va même jusqu'à invoquer la dette d'honneur qu'il vient à peine de recevoir de la part de son interlocuteur. C'est cet élément qui fait pencher la balance. Jamais Justar n'aurait laissé quelqu'un approcher son épouse dans cet état, serait-il l'Intendant Enon lui-même, mais Thorondil a sauvé la vie de Nivraya. Il l'a retrouvée alors que nul n'aurait su dire où elle a été enfermée, et il a réussi à la sortir des griffes d'un bourreau qui sinon aurait pu aller jusqu'à la tuer. Comment lui refuser cela ? Justar a confiance dans le fauconnier, et il sait qu'il n'aurait jamais osé aller aussi loin si le jeu n'en avait pas valu la chandelle. Alors, conscient que son choix est avant tout une déchirure, il finit par accepter de laisser le guerrier presque aveugle interroger son épouse, en se promettant intérieurement de ne pas intervenir. Il sait d'avance qu'il lui faudra user de toute sa volonté pour ne pas craquer, bondir dans la pièce et mettre fin à un échange qui risque de blesser encore davantage Nivraya.

Ils reviennent sans un mot à la tente familiale, incapables de parler de ce qui va suivre. Ils sont conscients que ce sera comme infliger une seconde séance de torture à Nivraya, et s'ils essayent de se convaincre que c'est pour son bien, pour la protéger, pour lui éviter des tourments futurs, ils ne peuvent pas occulter la souffrance qui en résultera. Souffrance qui viendra bien avant les résultats qu'ils espèrent obtenir. Justar entre le premier, et oublie complètement Alyss et Freyloord, se dirigeant vers son épouse qui dort paisiblement. Par tous les Valar, qu'elle est pâle ! La première et dernière fois qu'il l'a vue aussi affaiblie, il s'en souvient avec une précision horrible. Ce jour est gravé à jamais dans sa mémoire : c'est le jour de leur rencontre. Un jour qui av changé sa vie à jamais. Il a cessé d'être le brillant chevalier de Gardelame, et a accueilli dans sa vie deux pauvres âmes errantes dont l'une est devenue sa femme, et l'autre son amie la plus fidèle. Il s'est juré de ne plus jamais laisser Nivraya retomber aussi bas, de la mettre à l'abri de tous les dangers qui la poursuivraient. Force est de constater qu'il a échoué lamentablement, et que c'est cette fois à elle d'en payer le prix. Il s'en veut horriblement d'être si inutile, si incapable de la protéger, d'avoir perdu le bras censé porter l'épée qui aurait dû la délivrer... Ravalant son amertume, il lui pose une main sur le front, la laissant glisser sur sa joue. Il ne la touche pour ainsi dire jamais, et il s'étonne toujours de la douceur de sa peau, de sa froideur aussi. Là d'où elle vient, le soleil brille fort, mais son coeur charrie un sang glacial comme la mort. Elle ne se laisse aller à éprouver un peu de chaleur que dans leur domaine de Gardelame, qui l'apaise.

Elle ouvre les yeux timidement, lui offrant le spectacle de ces deux pupilles d'un vert savoureux, qui en l'occurrence sont d'une tristesse infinie. Il s'en veut immédiatement de lui infliger ça. Il voit, avant qu'elle ne chausse son masque de guerrière, la profondeur de la plaie dans son âme. Il voit un aperçu de la souffrance qu'on lui a infligée, et cette simple vision d'horreur manque de le pousser à ordonner à Freyloord de refouler Thorondil. Le vétéran n'aurait rien pu faire face au colosse, et Nivraya aurait été sauve. Mais Justar est un homme d'honneur, et c'est avec une grande difficulté qu'il maîtrise sa voix en disant :

- Niv... Niv, c'est moi...

Elle le dévisage un très bref instant, comme si incapable de le reconnaître, et il en demeure bouleversé. Lui a-t-on donc fait tant de mal qu'elle n'est plus en mesure de le reconnaître lui ? D'un simple geste, elle lui prouve que non. Elle lui caresse la joue en retour, soudainement apaisée, rien qu'en croisant son regard. Elle a toujours été ainsi, et il n'a jamais compris pourquoi. Elle peut avoir les pires tourments, les pires difficultés, elle trouve toujours de l'apaisement auprès de lui, sans qu'il ne fasse rien d'extraordinaire pour cela. Il s'est résigné depuis longtemps à admettre ce simple fait, et à lui procurer le réconfort dont elle a besoin quand elle en a besoin. Lorsqu'elle revient à Gardelame, elle y trouve toujours un sourire, une oreille attentive prête à l'écouter. Elle parle en général peu de sa vie à la capitale, de ses soucis, et préfère se concentrer sur le domaine familial, sur les plantes et les paysages qu'elle adore peindre. Quand elle est avec lui, quand ils sont tous les deux, elle est tout à fait différente, enfin détendue, enfin totalement libérée des fardeaux de sa fonction. Il s'en veut horriblement de devoir la trahir. Il se jure de se faire pardonner auprès d'elle quand toute cette histoire serait terminée.

- Niv, écoute-moi... Maître Thorondil voudrait te poser quelques questions...

Elle ouvre de grands yeux effrayés, et lui fait "non" de la tête, l'implorant silencieusement. Il s'empare délicatement de sa main, et la serre fort entre ses doigts, comme pour lui dire de ne pas s'inquiéter. Elle craint ce qui va suivre, mais comprenant que la confrontation est inéluctable, elle enfile sa combativité, se referme sur elle-même, et se tient prête à affronter l'orage. Toutes ses tentatives pour la faire s'ouvrir quelque peu, qui auraient pu porter leur fruit, sont soudainement annihilées par la volonté du fauconnier de la faire parler. Il a intérêt à obtenir des résultats probants de cette conversation, car Justar a l'impression que l'esprit de Nivraya lui échappe. Meurtrie, il lit dans ses yeux qu'elle voit son action comme une forme de trahison, et elle préfère ne plus le considérer comme un allié. Cette attitude est comme une dague plantée sauvagement dans son coeur, et il doit faire un effort de volonté pour se redresser et quitter la pièce sans un regard. Au dehors, Alyss et Freyloord sont en pleine dispute à voix basse - ou plutôt, elle est en train de s'énerver après le géant, qui demeure de marbre. Justar les rejoint en traînant des pieds, et les invite à marcher un peu. Morts d'inquiétude, ils s'éloignent de la tente familiale, pour donner le temps à Thorondil de parler, mais aussi et surtout parce que rester à portée d'oreille serait insoutenable pour eux. C'est les poings et les mâchoires serrées, dans un silence de plomb, qu'ils prennent quelque distance avec la femme qu'ils aiment.

Au sein de la tente, règne le même silence étouffant, que Nivraya supporte sans  le moindre difficulté. Elle ignore superbement la présence de Thorondil, à la fois parce qu'elle refuse de lui parler, c'est un fait, mais aussi et surtout  parce qu'elle se sent trop faible pour soutenir les assauts qu'il entend mener contre sa défense. Chaque seconde gagnée lui permet de renforcer encore un peu plus sa volonté, de cuirasser sa détermination. Elle se sent comme une petite fille impuissante à protéger son château de sable des vagues qui viennent inlassablement s'écraser contre ses remparts, toujours plus fortes, toujours plus hautes. Creuser la terre de son esprit pour renforcer une défense illusoire l'épuise, et plus elle hisse les murs, plus elle-même s'enfonce dans la cour intérieure qui lui sert de dernier refuge. Si bien que lorsque la vague aura submergé la digue, elle se retrouvera noyée, perdue au milieu d'un maelström d'émotions et de souffrance qui l'emportera au loin, avec le reflux de la marée. Jusqu'où ? Jusqu'où la mènera la peine lorsqu'elle se retirera ? Que restera-t-il de son château quand les flots auront enfin daigné s'éloigner ? Rien. Absolument rien. Terrifiée à cette pensée, elle fait un immense effort pour ne pas laisser les larmes courir le long de ses joues. Ses mâchoires serrés, ses yeux fixés dans le lointain, elle tente par tous les moyens de résister. Survivre. Survivre avant tout.

Elle le sent s'installer auprès d'elle, si proche et à la fois hors de son champ de vision. Elle ne voit pas ses yeux accusateurs, ne voit pas la tension dans chacun de ses muscles alors qu'il essaie de dominer la colère sourde qui menace de l'emporter. Elle n'entend que sa voix, étrangement calme. Bizarrement calme. Inexplicablement calme. Il paraît sonné, lui aussi, alors qu'il aurait dû lui en vouloir. Elle se doute qu'il va découvrir la manigance qu'elle a effectuée, et elle se doute également qu'il ne va pas la dénoncer. Il est convaincu de la culpabilité de Demeson, et la preuve trouvée, il ne pourra pas décemment se retourner vers elle officiellement. Son plan a réussi parfaitement, et Thorondil a été une pièce maîtresse de son jeu, un pion particulièrement docile qu'elle a su manipuler pour le meilleur et pour le pire. Il a répondu à toutes ses attentes, et est même allé au-delà en venant la chercher dans cet enfer où elle a été emprisonnée. Cependant, elle ne décèle pas dans ses mots ou dans son ton la rage qu'elle s'est attendue à trouver. Pourtant, elle a fait en sorte de le manipuler pour qu'il séduise Lise, pour qu'il utilise cette jeune fille innocente afin de détruire son père. La pauvre gamine ne s'en remettra jamais, et refusera sans doute d'adresser la parole à Thorondil par la suite. Soit, c'est un sacrifice nécessaire. Elle a parfaitement réussi, malgré les écueils, et pourtant le fauconnier demeure d'un calme presque malsain. Pourquoi ? Elle ne comprend pas.

Ses mots sont emplis de compassion à son égard, alors qu'ils devraient être venimeux et agressifs. La douceur de son ton, la prévenance avec laquelle il la traite, l'affection à demi-dissimulée qu'elle devine derrière ses inquiétudes sont autant de pointes plantées dans son coeur. C'est plus qu'elle ne peut en supporter : elle ne veut pas qu'il la prenne en pitié. Pour la propre image qu'elle a d'elle-même, pour sa propre fierté, elle ne peut accepter qu'il la considère comme une faible femme. Il a beau la consoler en insistant sur le fait qu'elle a réussi à s'imposer dans un monde d'hommes, il demeure tout de même le chevalier servant qui est venu la délivrer, le preux guerrier à qui tout honneur est dû, alors que ses propres entreprises la font passer pour un monstre aux yeux de tout un chacun. Il salue son courage et sa ténacité ? Sa condition aurait été différente qu'elle se serait déjà hissée à un rang nettement plus élevé, son prestige parmi la noblesse aurait été inattaquable, et son talent aurait été unanimement reconnu. Mais précisément parce qu'elle est une femme, c'est elle qui se retrouve impuissante dans ce lit, à devoir être consolée. Le venin, ce n'est pas Thorondil qui en est gorgé, mais elle-même. Elle sent l'amertume et une haine profonde s'emparer d'elle, si rapidement qu'elle ne peut rien y faire. Cette rage bouillonnante, peu habituelle chez elle, gorge ses muscles d'une énergie insoupçonnée, agite son esprit jusque là apathique. Elle revit, appuyée sur la noirceur qui gangrène peu à peu son coeur.

En voyant Thorondil se lever, laissant enfin libre court à son propre emportement comme s'il comprenait enfin la situation, elle profite de l'ouverture. Galvanisée par les ténèbres qui s'agitent en elle, cédant sans combattre à la part la plus sombre de son esprit, elle réagit avec une lucidité peu commune. Le fauconnier est brusquement ramené à la conversation par la griffe qu'elle referme autour de son poignet, le tenant avec une force saisissante. Elle n'est plus Nivraya, c'est certain. Le même visage, le même sourire carnassier, mais la malice a disparu de ses yeux pour laisser place à la malveillance. Elle n'est plus cette femme détestable et haïssable, qui se croit si supérieure. Non. Il n'est plus question de l'abhorrer, maintenant, mais de la craindre. Ses yeux sont effrayants. La malédiction qu'elle a longtemps combattu prend possession de l'entièreté de son être, sous les yeux du vétéran, seul témoin de cette métamorphose. D'une voix dure comme le diamant, elle lui jette au visage :

- Vous comprenez enfin... J'ai tout planifié depuis le début. Lise, Demeson, vous. Vous n'êtes que des marionnettes. Vous comprenez enfin que Demeson devait tomber. Il ne pouvait en être autrement.

Elle n'entend même pas cacher ses actes, assumant tout sans honte :

- J'ai créé de toute pièce un document qui compromettrait Demeson. Ce pourri avait bien caché ses traces, et nous n'avions pas le temps de mener une enquête plus précise. Je savais qu'il était coupable, il me fallait simplement le mettre hors d'état de nuire, par tous les moyens. D'autres recherches seront menées, et la culpabilité de ce salaud apparaîtra au grand jour. Vous comprenez ? Il fallait que je le fasse ! Je n'avais pas le choix ! Il fallait l'arrêter !

Ses yeux agrandis à l'extrême laissent ses pupilles de jade nager au milieu d'un océan immaculé. Il est bien loin son regard profond et mystérieux, si envoûtant et si séduisant. Elle est devenue folle à lier, totalement hors de contrôle, libérée des entraves qu'elle avait elle-même placées autour des aspects les moins enviables de sa personnalité. Quelque part, Thorondil est responsable de tout cela, même si l'ampleur des conséquences lui échappe peut-être encore. En ne permettant pas à Nivraya de se reconstruire après le violent traumatisme qu'elle a subi, il a obtenu les aveux tant attendus, mais à quel prix ? Il n'est personne qui, pour l'heure, soit capable de le deviner. La jeune femme, déchaînée et de moins en moins inhibée, paraît lire en lui comme dans un livre ouvert. Elle devine les failles que ses révélations infligent à l'âme du fauconnier. Elle devine la peine qui doit être la sienne d'avoir été ainsi instrumentalisé. Se nourrissant de cela, elle attaque derechef, s'abreuvant de son désespoir :

- J'avais besoin que vous soyez de mon côté, j'avais besoin que vous me soyez entièrement fidèle, que vous soyez prêt à témoigner en ma faveur. J'avais peur que vous fassiez échouer mon plan en ne reconnaissant pas la preuve. Il me fallait une garantie. Alors j'ai tout organisé. Il n'y avait personne, Thorondil... Personne pour me torturer...

C'est la première fois qu'elle s'adresse à lui de manière aussi familière, mais le fauconnier est-il en état de le remarquer ? Il est sans doute davantage concentré sur la jeune femme, essayant de deviner si elle ment ou non. En vérité, elle est parfaitement sincère, et ses yeux comme son corps ne font que dire ce en quoi elle croit le plus. Annihilée par ce qu'il s'est passé dans cette cabane, elle a reconstruit la vérité, et a occulté ce qui ne lui plaît pas. Pour reprendre le contrôle de sa vie, elle préfère croire que tout cela fait partie de son plan génial, que rien ne s'est passé en dehors de ce qu'elle a prévu. De sa bouche, ne sort pas un mot en lequel elle ne croit pas. Elle est absolument convaincue que ce qu'elle explique est fondé. Comment peut-il en être autrement, de toute façon ? Sentant le vétéran vaciller, elle insiste, et se redresse en position assise, les mains posées sur le bord de son lit :

- Vous êtes tombé dans le piège, vous avez accouru comme je l'avais prévu pour me secourir. Je n'avais besoin que de cela pour être certaine que vous alliez faire ce que je voulais. Tout était faux, tout était arrangé. Même Lise...

Elle sent une brusque tension dans les épaules du guerrier, qu'elle interprète mal. Elle y voit une nouvelle opportunité d'attaquer. Juste avant que Thorondil ne s'emporte, c'est le nom de Lise qu'il a utilisé, et elle a enregistré cette information. Elle devine facilement que l'attachement qu'il lui porte est fort, et que ce sera là le coup de grâce. Il ignore précisément ce qu'il s'est passé entre eux, mais devine que la jeune fille a mal réagi. A-t-elle fait un scandale ? A-t-elle été elle-même arrêtée par les gardes ? Pour haute trahison, la peine est sévère, et la famille Demeson se retrouvera privée de tous ses biens, qui iront rejoindre les terres de la Couronne, laquelle manque cruellement d'argent. Cette entrée providentielle fera du bien aux caisses royales, purgera le Sénat d'un élément perturbateur, et permettra par le biais d'une revente de récompenser un noble de loyal. Tout le bénéfice sera pour le Roi, comme il se doit de l'être toujours. Lise Demeson, aux premières loges, va recevoir de plein fouet les conséquences des actes de son père :

- J'ai tout planifié. Je lui ai tout pris : son père, son statut, son avenir, sa vie... J'ai tout organisé, j'ai tout réfléchi. J'ai payé des hommes pour aller la voir. Faites-moi confiance, elle ne se mettra plus en travers de ma route, je...

Nivraya ne peut finir sa phrase. Elle est pourtant sur le point de dire quelque chose de particulièrement intelligent, emporté dans son élan. Elle a voulu expliquer au fauconnier qu'elle a fait pression sur elle pour qu'elle abandonne tout recours pour conserver ses terres, sous peine d'être elle-même associée à son père dans cette affaire. C'est un plan ingénieux, qui limite la complexité du scandale, qui en fait une affaire parfaitement manichéenne, ce que les nobles apprécient en général. Toutefois, cela semble en être trop pour Thorondil, dont la réaction aussi brusque qu'inattendue achève en un instant la tirade de la jeune femme.

#Justar #Nivraya
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Thorondil
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Justar - Couleuvres et Pigeons EmptyDim 14 Juin 2015 - 0:38
Un étau qui se referma sur son poignet le fit brusquement sortir de sa transe de fureur. Cette prise de fer qui le ramena au présent et l’arracha à ses pensées et toute sa colère accumulée, contre lui-même et les autres. Il était de retour. Dans la tente de la famille de Gardelame. Avec Nivraya.
La jeune femme ne semblait plus elle-même. Elle avait l’air d’une hystérique en pleine crise, serrant ses doigts autour du bras du fauconnier avec une force dont il ne l’aurait jamais cru capable.
Pris par surpris, confus, il arracha son bras de la prise brutale qui lui enserrait le poignet, arrachant de sa chair sur les ongles de la jeune femme. Il siffla sous la douleur inattendue. Les vieilles marques laissées par les serres de ses rapaces furent brusquement recouvertes de zébrures parallèles sanguinolentes. Ces bêtes éraflures et l’air fou de la jeune femme le blessèrent bien plus que les premiers mots qui sortir de sa bouche. Cette confession ne lui apprenait rien qu’il ne savait déjà. Tout au plus cela le surprit-il qu’elle laisse échapper ce secret avec autant de force mais rien de plus... contrairement à tout ce qui suivit après.
Quelque part, il savait que cette réaction était de sa faute, qu’il n’aurait jamais dû perdre le contrôle de ses nerfs face à elle, pour une affaire qui ne la concernait pas. Il aurait dû... Maintenant elle le regardait avec ces yeux anormalement écarquillés, emplis d’un maelstrom d’émotions qui défilaient plus vite qu’il n’était capable de les lire. Elle n’avait plus rien de tous ces masques qu’il avait déjà vu ou même de la forme sous le masque qu’il avait entraperçu en allant la sauver. Elle était effrayante.
L’homme adopta inconsciemment une posture de défense face à cette agressivité qu’il n’avait pas vu venir. Il ne savait pas quoi faire pour la calmer maintenant que le barrage avait cédé, inondant, détruisant tout sur son passage. Toute la noirceur profondément enfouie et dissimulée dans l’âme de la jeune femme se déversait maintenant librement, charrié par ce flot implacable qui laissait le fauconnier totalement impuissant.

- J'avais besoin que vous soyez de mon côté, j'avais besoin que vous me soyez entièrement fidèle, que vous soyez prêt à témoigner en ma faveur. J'avais peur que vous fassiez échouer mon plan en ne reconnaissant pas la preuve. Il me fallait une garantie. Alors j'ai tout organisé. Il n'y avait personne, Thorondil... Personne pour me torturer...

Thalion grimaça, un goût amer se répandant au fond de sa gorge. Ses poings serrés tremblaient. Sa mâchoire était serrée à lui en briser les dents. Mais il était encore trop abasourdi par l’attaque pour réagir. Et comment réagir ? Il aurait déjà broyer le visage d’un homme qui se serrait permis de lui balancer de telles horreurs. Mais avec une femme ? Comment était-il censé réagir ? Particulièrement quand il était la cause involontaire de cette rupture. Alors il subissait les assauts de ces paroles sans répondre. La rage, dans sa poitrine, brûlait comme un incendie, alimentée par le venin que Nivraya lui jetait au visage.

La dame plongea droit dans son regard, fouilla dans son âme en lambeau et appuya partout où les plaies étaient à vif. Elle plantait et replantait un couteau, montant, descendant, retournant la lame dans la plaie béante qu’elle ouvrait avec un plaisir sadique. Ainsi, elle extirpa tous ces doutes et toutes ces craintes, puis s’en servit contre lui avec quelques mots bien placés pour toute arme.
Quand elle mentionna le prénom de Lise Demeson, Thorondil se tendit comme un arc. Il sentit sa respiration se couper nette comme sous la puissance d’un choc au plexus. Aussitôt, Nivraya attaqua de nouveau, sentant de nouveau la faille.

- J'ai tout planifié. Je lui ai tout pris : son père, son statut, son avenir, sa vie... J'ai tout organisé, j'ai tout réfléchi. J'ai payé des hommes pour aller la voir. Faites-moi confiance, elle ne se mettra plus en travers de ma route, je...

Là ce fut trop. Il battit en retraite comme si elle l’avait giflé, les yeux écarquillés de stupeur. Il recula brutalement, de plusieurs pas. Son talon heurta le meuble de toilette. Et Nivraya continuait à déverser son venin avec toujours plus d’agressivité et une précision chirurgicale. Il ne voulait plus que la faire taire. Qu’elle se taise ! Emporté par un élan de fureur, il balaya tout ce qui se trouvait sur le meuble qu’il venait de heurter.

« - Silence ! Ça suffit ! Ça suffit ! »

Le broc à eau s’écrasa au sol en milliers de morceaux, déversant son contenu sur le tapi qui isolait la tente de l’herbe. La bassine se brisa en deux dans un craquement assourdissant en heurtant le coin d’une malle.

« - C’est mon arme qui a servi à la tuer !!! » finit-il par hurler, à bout de nerfs « C’est mon poignard qu’on lui a enfoncé dans le ventre ! »

Il y avait autant de détresse que de rage dans ce cri. Si le but de Nivraya était de blesser le fauconnier tant qu’il ne supporterait plus sa présence, elle avait parfaitement réussi son coup. Trop, c’était trop ! La journée... toute cette journée n’était qu’un abominable cauchemar sans fin ! Il voulait le silence et la paix. La culpabilité qu’il éprouvait envers le sort de Lise, qui l’avait jusqu’alors bridé, n’avait plus lieu d’être. La rage, au contraire, était une amie familière qui se fraya immédiatement un chemin brûlant dans ses veines, de cette boule de feu logée dans sa poitrine jusqu’au moindre de ses membres. Il ne voyait qu’à travers un voile rouge.
Tous ces mots n’étaient que mensonges et venins, quelque part dans sa tête une voix le lui hurlait, mais ils blessaient tant que l’homme était sourd à toute raison. Il n'arrivait plus à réfléchir clairement. Elle aurait voulu des reproches et de la colère ? Maintenant il n’était plus que glace et foudre. Après le bruit sourd de la cruche brisée, il avait stoppé tout mouvement, le regard dur et froid qu’il planta directement dans celui de Nivraya. Mais c’était comme s’il ne la voyait pas, tout était trouble et le monde autour de lui tremblait au rythme des battements de son cœur porté par la colère.

Il s’avança lentement vers la dame, dangereusement, comme un fauve prêt à mordre. Ses lèvres retroussées dévoilaient ses dents dans une expression menaçante. Il ne criait plus, sa voix s’était transformée. Elle était désormais un grondement sourd et sinistre qui faisait vibrer sa gorge et sa poitrine. Arrivé à la hauteur de la jeune femme il se pencha, le visage à quelques centimètres d’elle, et ne bougea pas d’un cil quand elle recula. Ses mains avaient pris appui sur le bord du lit, froissant les draps dans ses doigts crispés.

« - Puisque cela faisait partie de votre plan si génial, si parfait. Puisqu’il n’y avait soi-disant personne dans cette cabane pourrie au milieu de nulle part, alors peut-être aurais-je dû vous y laisser crever. Seule ! Vous auriez pu vous y étouffer avec votre venin et toute votre haine !... Vous voulez oublier ? Rejeter tous ceux qui vous tendent la main ? A votre guise ! Quand il ne restera personne... Vous croyez savoir ce que c’est de souffrir ? Attendez de voir ce qui vient ensuite ! Amusez-vous bien Dame de Gardelame ! »

Sa rancœur finalement lâchée, à court de paroles acides à lui lancer au visage, le fauconnier récupéra son épée qui gisait au sol, se redressa, et tourna le dos sans un regard en arrière.

Thorondil avait toujours su qu’il ne pouvait pas faire confiance à Nivraya, qu’elle jouait à un niveau bien supérieur au sien dans ce grand théâtre de marionnettes et qu’elle n’aurait aucun scrupule à le jeter dans la fosse. Il l’avait suivi en toute connaissance de cause. Mais jamais il ne l’aurait cru capable de simplement le poignarder dans le dos. Surtout pas après tout ça. Il n’avait jamais réclamé ni remerciements, ni reconnaissance, jamais. Il n’en voulait pas, il n’en avait jamais voulu... Mais cette ultime trahison, au delà de tout, l’avait blessé profondément, bien plus qu’il n’était prêt à l’admettre. Après tout ce qu’ils avaient traversé, malgré tous leurs différents et leurs mésententes... il avait naïvement cru que, quelque part, il pouvait compter sur elle. En échange, il lui avait offert le bras qui tenait son épée, et autorisée à tirer les ficelles pour guider chacun de ses mouvements parmi les loups dans un monde qu’il ne connaissait que très mal. Et voilà où ils en étaient maintenant...

Sans doute alertés par le vacarme, les trois proches de Nivraya accouraient en panique vers la tente dont il venait de sortir. Alyss, plus leste, fut la première à arriver, bien avant les deux hommes, et il la bouscula sans ménagement pour passer. Il tourna vers elle, mais ce ne fut qu’un regard profondément blessé et las qu’elle put apercevoir l’espace d’un minuscule instant au milieu de ce visage fermé et furieux.
Le fauconnier récupéra d’un seul geste son oiseau et son cheval. Il était déjà en selle quand Freyloord et Justar arrivèrent à sa hauteur. A eux non plus il n’adressa pas un mot. Il vit la trahison et l’incompréhension dans les yeux du seigneur et cela lui suffit bien assez. Ce n’était qu’un poignard de plus planté dans sa chair.

Il lança sa jument au galop, direction l’extérieur du camp. Il voulait se sortir de la tête cette journée et le combat de chiens blessés qu’il avait mené avec Nivraya. Il voulait oublier que ce n’était pas la rage de ne pas avoir obtenu de réponse qui le rongeait mais l’âcre arrière-goût de la trahison et de l’échec. Il voulait oublier que ce n’était pas l’ingratitude de la jeune femme qui l’avait blessé mais sa capacité à lire en lui et utiliser ses blessures contre lui.

Il ne rentra pas chez les siens ce soir-là, ni le matin qui suivit. Il ne revint que pour accomplir ses devoirs auprès du roi et aider à planifier le retour des souverains en Arnor.
Il n’adressa la parole à personne à moins que ce ne fût absolument nécessaire, et évita tout ce qui se rapprochait de près ou de loin aux de Gardelame, Demeson, à l’Intendant ou de Kervras. A deux exceptions près.
Sa fille tout d’abord, qu’il passa voir dès son retour et dont il organisa le retour au pays dans la plus grande discrétion. Il ne savait rien des ennemis qu’il s’était attiré durant ces quelques jours, et ne pourrait tolérer qu’on puisse s’en prendre à sa fille pour l’atteindre. Pour elle, nulle précaution n’était de trop.
Puis Lise Demeson. Sans l’argent de sa famille, la pauvre risquait d’être jetée dans une fosse commune comme une mendiante anonyme. Le dùnadan paya de sa poche le prix fort pour la faire transporter et enterrer auprès de cette mère qu’elle aimait tant et dont elle lui avait pourtant confié le seul souvenir. C’était désormais la seule chose qu’il pouvait faire pour elle.
Ce ne fut qu’alors qu’il constata la disparition du bijou. Soupçonneux et encore particulièrement agressif, il s’en prit immédiatement au croque-mort en l’accusant du vol. Thorondil ne réalisa son erreur qu’au moment où l’homme, totalement terrorisé, lui proposa malgré son innocence de rembourser le collier à n’importe quel prix. Le pendentif de saphir prit alors place dans sa liste des preuves si mince qu’il possédait, juste au dessous de la trace de chaussure trouvé près de la cabane de chasse. Car, quelque part, il était persuadé que les deux affaires étaient liées. Trop de coïncidences troublantes et de timings trop parfaits venaient étayer son intuition première.

#Thorondil
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