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 Le passé n'existe que si on le regarde

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Ryad Assad
Espion de Rhûn - Vicieux à ses heures perdues
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Ryad Assad

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Le passé n'existe que si on le regarde EmptyDim 6 Sep 2015 - 12:30
Qewiel avait suivi le cerf de l'autre côté de l'Anduin, et sans le savoir elle avait pénétré sur les terres du Rohan. Le pays des dresseurs de chevaux était magnifique, sauvage par bien des aspects, mais également désolé. L'été particulièrement chaud avait succédé à un hiver terrible, si bien que les terres étaient difficilement vivables et cultivables. L'herbe, qui jadis recouvrait entièrement les plaines du Riddermark, ne poussait pas en quantité suffisante pour nourrir les immenses troupeaux qui paissaient à travers le pays, et les terres semblaient brûlées, épuisées, exsangues. C'était une vision triste. Le royaume souffrait encore des guerres qui avaient fait rage sur son sol, la Guerre des Trois Rois étant la dernière en date. On sentait encore pulser une énergie furieuse, et si on écoutait attentivement, on pouvait entendre le galop d'éored qui sillonnaient le pays rapidement pour se rassembler dans telle ou telle forteresse du peuple d'Eorl. Dans la région du Plateau où Qewiel venait de pénétrer, il n'y avait guère de monde, et elle croisa les restes d'un village abandonné, cédé à la nature qui y reprenait ses droits. Les toits avaient disparu, les murs étaient recouverts de plantes grimpantes qui feraient bientôt craquer les planches soigneusement agencées. Telles des serpents géants qui s'enroulaient lentement autour de ses proies avant de leur briser les os, les plantes se déployaient inlassablement, et feraient bientôt suffoquer tout vestige d'humanité. Il ne faisait pas bon vivre dans un endroit pareil, et la jeune Elfe ne s'y arrêta pas.

Le cerf solitaire, en effet, continua sa route en contournant soigneusement le village. Il était difficile de dire si c'était parce que son chemin ne l'y conduisait pas, ou parce qu'il craignait quelque chose à l'intérieur. Après tout, un endroit pareil était parfait pour tendre une embuscade, ou abriter des bandits qui voulaient se faire discrets. Mais la créature n'avait pas l'air d'être particulièrement effrayée, et elle continuait à avancer sans se presser, vérifiant à intervalle régulier que la jeune fille était toujours derrière lui. C'était une attitude bien curieuse, car il paraissait ne pas prendre trop d'avance sur elle, tout en restant systématiquement hors de portée. Et l'Elfe le suivait toujours, car après tout il était la seule forme de vie qu'elle pouvait voir à la ronde. Les autres animaux semblaient avoir déserté la région. Pas la moindre forêt aux alentours, où auraient pu s'abriter une famille d'oiseaux. Pas le moindre renard, ou petit rongeur en quête de nourriture. La nature semblait morte, et ce cerf solitaire ressemblait à un mirage dans le désert dans sa majesté tranchait avec l'état de désolation des lieux. Il continuait sa route inlassablement, sans craindre la fille ou son cheval, et il bifurqua bientôt vers le Sud après avoir marché pendant un moment vers l'Ouest. Ce n'était pas un déplacement au hasard : il avait l'air de savoir où il allait. Bientôt Qewiel comprit qu'il ne marchait pas vers une destination quelconque, en suivant l'inspiration du moment. Non.

Il suivait la musique.

Elle était difficile à entendre, portée par les vents capricieux qui soufflaient sur ces étendues absolument vides. Tantôt ils poussaient les notes dans la direction de la petite Elfe, tantôt ils les lui enlevaient sans merci en les faisant tournoyer dans les airs, les ramenant vers le Sud, ou l'Ouest. Cependant, quand elle sentait la brise lui caresser le visage, et qu'elle tendait l'oreille, elle parvenait à l'entendre quelque peu. On jouait d'un instrument à cordes, qui produisait une mélodie calme et apaisante. Envoûtante. Il était difficile de ne pas se laisser happer par cette douce mélodie, et le cerf paraissait sous l'emprise d'un sort qui le menait droit dans cette direction. Savait-il ce qu'il y trouverait ? Savait-il que là-bas, probablement, se tenait un groupe d'humains ? Il semblait ne pas s'en soucier le moins du monde, et il disparut bientôt derrière une petite colline qui s'élevait devant la jeune Elfe. Lorsque cette dernière arriva au sommet qui jusqu'alors lui avait bouché la vue, Qewiel finit par apercevoir la source de cette musique. En contrebas, encore assez loin pour ne pas être repérée, s'était installé un petit campement, regroupé autour d'un petit feu. Oh, ce n'était presque rien, et ils ne paraissaient pas dangereux. Un chariot qui avait l'air de contenir quelques sacs, tiré par un cheval fatigué, mais de toute évidence courageux. Une silhouette était à ses côtés, en train de le caresser. Un jeune homme aux cheveux bruns, qui lui donnait quelque chose à manger, probablement une carotte ou une pomme. Ses gestes étaient empreints de douceur, et on aurait dit qu'il murmurait quelque chose à l'oreille de l'équidé. Il finit par se décaler sur le côté, comme s'il s'apprêtait à monter sur son dos, mais il n'en fit rien. Au lieu de quoi, il tendit la main vers une petite silhouette qui se tenait debout sur le cheval. Elle était difficile à voir avec la distance, mais elle semblait bien vivante, si petite qu'elle pouvait facilement tenir au creux des deux mains tendues du garçon. C'était un véritable prodige !

Non loin, se trouvait la musicienne. Elle était installée sur une petite chaise en bois, les yeux fermés, et elle jouait lentement sa mélodie, grattant sa mandoline pour produire une ballade mélancolique sans être parfaitement triste, nostalgique sans être entièrement dénuée d'espoir. Elle parvenait à transmettre tant d'émotions à la fois que c'en était troublant, pour ne pas dire bouleversant. Ses doigts allaient avec une lenteur captivante sur les cordes, et produisaient une musique si calme et si subtile qu'il était difficile de ne pas se laisser bercer. Elle jouait sans même s'en rendre compte, comme si elle se trouvait présentement dans un autre monde. Sa tête remuait au rythme des sons qui sortaient de son instrument, et elle avait l'air en transe, hors de son propre corps. Elle n'était que pure énergie, pure mélodie. Elle n'était que pureté en cet instant, et elle paraissait dégager une pulsation presque magique, presque mystique. Elle était entourée d'une aura invisible mais perceptible, celle de l'Art.

Son public était restreint, mais pas moins subjugué. Il y avait un homme, dans la force de l'âge, qui jouait nonchalamment avec une pièce brillante. Il la lançait en l'air, la rattrapait dans sa main, encore et encore, toujours au même rythme, sans se lasser. De temps en temps, il s'interrompait pour passer une main dans ses longs cheveux bruns, apparemment impeccables, ou pour tirer négligemment sur ses manches afin qu'elles tombassent dignement, sans faire de plis disgracieux. Mais il ne décrochait jamais du rythme qui lui était imposé. Il était comme hypnotisé par la musique, et il paraissait ne pas se rendre compte du temps qui passait. Mais Qewiel avait-elle la notion du temps, maintenant qu'elle s'était laissée envoûter ? Etait-elle consciente que le soir approchait, et qu'elle n'avait nul endroit où dormir ? Cela avait-il une quelconque importance ? Le temps semblait suspendu, figé pour un instant par cette mandoline qui jouait sans s'arrêter. La quatrième et dernière membre de la compagnie paraissait se rendre compte de l'heure qu'il était, elle, car pendant qu'elle écoutait la ballade agréable, elle se tenait auprès d'une marmite dont elle remuait le contenu régulièrement. Les flammes léchaient le fond de celle-ci, promesse d'un repas chaud pour des voyageurs qui paraissaient tout de même fatigués. Ils n'avaient pas le type des gens du Rohan, c'était certain, et c'étaient probablement des voyageurs qui traversaient le pays.

Et le cerf continuait à aller vers eux, sans marquer la moindre hésitation. Son arrivée n'interrompit d'ailleurs pas les activités de chacun, sauf celle du jeune homme brun qui se porta à sa rencontre. On aurait pu croire qu'il allait chasser l'animal, ou au contraire essayer de le mettre à mort pour profiter de sa viande, mais il n'en fut rien. Il ne portait d'ailleurs pas d'arme visible, et encore moins d'arc qui aurait pu lui permettre de se mettre en chasse. Au lieu de se comporter comme un rustre ou un sauvage, il s'immobilisa à quelques pas de la puissante créature qui lui faisait face, et le regardait en retour. Il s'inclina respectueusement, comme on l'aurait fait devant un monarque ou un puissant seigneur, et tendit la main à la bête superbe qui renifla dedans, comme à la recherche de nourriture. Le garçon sourit, et tandis que sa main droite venait flatter l'encolure du cerf, la gauche sortait de derrière son dos et lui donnait quelque friandise à manger. L'animal se laissa faire, davantage complice que soumis, et s'installa au milieu du campement sans craindre apparemment la présence de ces quatre bipèdes. C'était là un phénomène bien étonnant. D'ordinaire, les cerfs se tenaient loin des humains, car ces derniers les chassaient. Les choses n'avaient pas dû s'arranger avec le Rude Hiver.

Alors que le jeune garçon s'apprêtait à repartir, il s'arrêta soudainement, et tourna la tête dans la direction où se trouvait Qewiel. Elle était encore loin, et elle se pensait sans doute bien cachée, mais de toute évidence pas assez bien. C'était peut-être à cause du cheval qu'elle traînait, et qui n'avait pas voulu rester en place. A la recherche de brins d'herbe à brouter, il s'était révélé à ce quatuor bien étrange. Le garçon fit un signe de la main à la jeune fille, comme pour montrer qu'il l'avait bien vue. Ce n'était pas un geste agressif… plutôt une invitation. Encore une. Il n'attendit pas de capter sa réponse, et regagna le campement sans même jeter un regard en arrière. La musicienne ne semblait avoir rien remarqué, mais l'homme, lui, avait perçu le mouvement apparemment adressé à personne. Il tourna la tête, et lança :

- Tu dis bonjour aux collines, maintenant ?

L'intéressé sourit :

- Au cheval.

L'homme fronça les sourcils. Un cheval ? Il n'avait pas vu de cheval. Il tourna la tête vers la colline, et l'observa quelques instants, se demandant si ce n'était pas son jeune compagnon de route qui hallucinait. May était un gamin étrange, parfois distrait et difficile à cerner, mais il n'était pas fou. Il n'aurait pas inventé la présence d'un cheval. Cela signifiait que quelqu'un les observait, et que la personne en question avait décidé de se cacher pour un temps. Était-ce un bandit ? Ils n'avaient pas grand-chose à céder, à peine quelques vivres et des ustensiles du quotidien. Ils n'étaient pas très riches, et cela se voyait. Alors pourquoi quelqu'un se serait-il donné la peine de les attaquer, alors qu'il était préférable de venir les aborder très simplement, pour partager le pain et l'eau ? L'homme était un peu inquiet, et il aurait voulu éviter toute bagarre ou toute agression. Il pensait que le Rohan était une région sûre… peut-être se trompait-il.

Toutefois, que pouvaient-ils faire ? Fuir maintenant revenait à sous-entendre qu'ils avaient des marchandises précieuses qu'ils cachaient, et cela déclencherait la poursuite. May avait fait un signe de la main à cet éclaireur, et s'ils ne bougeaient pas, ils passeraient pour d'innocents voyageurs itinérants… ce qu'ils étaient tout à fait. Pour ne pas inquiéter les autres, Brin prit sur lui de ne pas révéler la présence de ce cavalier étrange. Si c'était un voyageur, il viendrait bien de lui-même les aborder si cela lui chantait. Si c'étaient des bandits, il leur faudrait négocier et espérer que ceux-ci se montreraient cléments. Ce ne serait pas la première fois qu'ils se feraient dévaliser, et qu'ils devraient repartir de zéro. Tant qu'ils étaient en vie, c'était le principal… L'homme se tourna vers la musicienne, et il la sortit de sa musique en quelques mots :

- Mademoiselle Blenner, je crois que le repas est prêt.

Elle termina sa mélodie, avant d'ouvrir les yeux avec un grand sourire. Oui, il était temps, elle commençait à avoir faim. Elle déposa sa mandoline, et ramena ses longs cheveux roux en une queue de cheval, avant de s'approcher du feu. Le délicat fumet qui s'échappait de la marmite n'avait échappé à personne, et ils se dépêchèrent de s'installer, impatients de goûter à la merveille que leur avait préparée leur cuisinière en chef :

- Alors, Iona, qu'est-ce que tu nous a fait de bon ?

La jeune femme goûta une dernière fois sa préparation et, s'estimant satisfaite, tendit la main à May qui lui passait les assiettes :

- Une soupe de légumes aux épices. C'est une recette du Sud.

Elle n'en dit pas davantage, et se contenta de remplir les assiettes, avant de les tendre à ses compagnons. Personne ne s'en formalisa. Chacun parlait comme il l'entendait ici, et on ne forçait pas les gens à en révéler plus qu'ils le voulaient. La liberté primait, et il n'était pas question de se comporter comme ces rustres soldats qui cherchaient toujours à obtenir des informations qui ne les concernaient pas. Ces fouineurs étaient des malappris, pour la plupart, que le pouvoir rendait légitime à enquêter dans la vie des autres. Alors qu'elle remplissait la quatrième assiette, May lui en tendit une autre, qu'elle remplit mécaniquement. La musicienne, Aessa, haussa les sourcils et fit remarquer sur un ton moqueur :

- Alors, May, tu ne sais plus compter ? Où vois-tu un cinquième convive ici ?

Il sourit en retour, et montra quelque chose de son pouce, derrière lui. Les autres levèrent la tête, et mirent un moment à voir ce qu'il avait déjà repéré depuis bien longtemps. Il fallait dire que l'obscurité n'aidait pas. Une silhouette accompagnée d'un cheval descendait la colline dans leur direction. Le cavalier de tout à l'heure ! Tous s'immobilisèrent un instant, avant de ménager un espace dans le cercle qu'ils venaient de constituer autour du feu. Iona déposa l'assiette devant la place libre, et ils attendirent tous patiemment l'arrivée de leur dernier convive. On ne commençait jamais à manger si tout le monde n'était pas là…

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Le passé n'existe que si on le regarde EmptyDim 6 Sep 2015 - 23:40
Le silence était lourd à mes oreilles. Calme, mais lourd. Je ne savais plus vraiment quoi faire et la seule chose que j'arrivais à faire était de m'appuyer contre un arbre, assise au milieu de nul part. Mon esprit avait eu le temps de s'affaisser pendant la course et, en ce moment où le soleil terminait son apparition pour laisser place à la lune, je ressentais mon corps faiblir et la chaleur remonter en moi, souvenir de mes journées de fièvre. Il faudrait que je me ménage maintenant... même si je me doutais que les cavaliers ne tarderaient plus à venir me chercher. Et je ne désirais plus monter sur le cheval : je n'avais aucune maîtrise sur lui. Aussi je me disais que je marcherai, le cheval près de moi s'il le désirait. En attendant je finis par regarder ce qu'il y avait dans le sac appartenant à Validna... couverture, quelques vivres sèches et une pierre rouge très belle... mais étrange. Je retournais dans ma main le petit objet chaud et lisse, me demandant ce que cette pierre pouvait bien faire dans ce sac. La couleur qu'elle prenait face aux rayons du soleil ainsi que ses reflets me faisaient penser à une grande goutte de sang par laquelle passait de la lumière et, sur un autre plan, au collier de ma mère. De quoi était faite cette pierre ? De quoi était fait le pendentif ? Des questions qui n'auraient certainement jamais de réponse... Après avoir contemplé l’œuf de pierre, je plaçais la pierre dans la besace qui appartenait autrefois à mon père. Quelque chose me disait que cette petite chose avait son importance, une rareté dans un monde trouble. Et ce qui était important n'était jamais placé dans un endroit qui pourrait être facilement perdu.

La nuit passa, le sommeil me prit sans même que j'eus à le chercher. Au petit matin les nuages étaient teintés d'un magnifique rose, me laissant un instant béate face au paysage, et le cheval était toujours là. Validna avait dû l'habituer à ce qu'il reste auprès d'elle pendant qu'elle dormait, peut-être même avait-elle réussi à entrer en communion avec lui, pour qu'il ne se soit pas éloigné de moi. Ou peut-être était-il lui-même perdu, ce qui était tout aussi envisageable. Quoi qu'il en soit, je me relevais, m'étirais et prit une portion de viande séchée restée dans le sac. Tout en la mordant à pleines dents je pris mon bâton et me mis en marche vers l'ouest, faisant en sorte que l'animal me suive.

Après quelques heures nous arrivâmes devant un fait de la nature qui m'impressionna grandement : une large et très longue étendue d'eau qui coulait, doucement, de gauche à droite. Alors que le cheval s'avançait directement vers l'eau pour aller boire, je m'écartais un peu de lui pour regarder alentour : de l'autre côté de ce qui devait être un fleuve s'ouvraient de vastes plaines ainsi que des collines. L'ouest... c'était par là-bas que je devais aller. Avec mon bâton j'investiguais la faible partie du fleuve où j'étais, avant de regarder à nouveau autour de moi et de m'agenouiller pour plonger mes mains dans l'eau fraîche, les relever en coupe et me désaltérer. Après avoir répété le geste de nombreuses fois je me relevais, me demandant sincèrement s'il existait un moyen d'aller de l'autre côté. Peut-être quelqu'un avait-il construit un pont assez grand ? Ou peut-être y aurait-il un endroit moins profond ? Malheureusement je n'y connaissais rien, aussi je me contentais de suivre le fil de l'eau.

C'est alors que je le vis : grand, majestueux, souverain, bien plus beau que ce dont je pouvais me souvenir. Cervan, l'esprit du cerf... Cette vue splendide m'arracha un premier espoir de sourire ainsi que des larmes qui brouillèrent ma vue. Il était là, venu pour me montrer le chemin. Lui qui avait choisi de me guider à partir du jour du Vewm, il avait répondu à mon appel alors même que je n'étais plus dans les marais... j'étais perdue et voilà qu'il me soutenait, qu'il me démontrait par sa présence que je n'avais pas fait un choix condamnable au village humain. J'essuyais mes larmes et m'approchais de lui ; j'avais envie de le remercier, de lui sauter au cou... même si au fond de moi je savais très bien impossible : Cervan ne se laissait qu'en de très rares moments approcher suffisamment près pour pouvoir être touché. Il s'éloigna mais ne s'enfuit pas. Je baissais la tête, les épaules encore chargées du fardeau de passés proche et lointain. Le cerf s'éloigna encore un peu et entra dans l'eau, continuant sans se formaliser de trous ou de quelconques dangers jusqu'à avoir traversé le fleuve. Je le suivis sans me poser de questions, appelant d'un "Hieval !" rapide - "ch" était trop dur à prononcer - la monture de Validna et regardant juste un instant si elle me suivait avant de mettre les pieds dans l'eau, là où était entré Cervan. Le cerf me regardait, attendant que je le suive. Je ne pouvais que répondre à son invitation silencieuse. Incitant mon compagnon d'infortune à me suivre, j'entrais dans l'eau tout en espérant que le courant ne serait pas trop fort... je ne savais pas réellement nager. Lors de cette traversée, la dague de Validna avec laquelle j'avais tué le cavalier fut lavée de son sang ; je fus plongée jusqu'aux épaules et je profitais de traverser l'eau pour me défaire du sang et de la poussière qui décoraient mon visage d'enfant. J'en profitais même pour mouiller une bonne fois mes cheveux. Trempée des pieds à la tête, je me mis étrangement à rire lorsque je rejoins la terre ferme et que le cheval m'eut rejointe. Nous étions partis pour une longue marche, Cervan faisant attention à ce que nous le suivions toujours.


~~~~~~

Je regardais, recroquevillée derrière un rocher, la scène étrange qui se déroulait devant moi. J'étais interdite, subjuguée même... la musique était comme les chants de mon enfance, chargée d'émotions, agréable à l'oreille ; Cervan, lui, avait continué jusqu'à un campement où se trouvaient quelques personnes. Quatre, au total, dont l'un fut approché par l'esprit. Je n'en revenais pas, que quelqu'un puisse le toucher, sans qu'il ne recule. Je ne pouvais qu'y voir un signe, sans vraiment comprendre lequel. Etait-ce que je pouvais faire confiance à cet humain ? Ou bien avait-il quelque chose de particulier... dans son cœur ? Son sang ? Ou bien l'animal en lui-même connaissait-il cet humain ? Tant de questions auxquelles je n'avais pas de réponses mais qui, déjà, plaçaient cet être aux oreilles rondes haut dans ma curiosité autant que dans mon estime. Le jeune homme se retourna, regarda dans ma direction puis me fit signe. Un signe que je reconnus comme étant une invitation à venir, dans les gestes d'ici. M'avait-il vue ? Je n'en savais rien. Je tournais la tête et vis le cheval, fort à l'aise, en train de brouter de l'herbe. Je l'avais oublié lui... et je ne lui en voulais pas d'avoir voulu se montrer. Après tout, il était avec Validna jusqu'alors, c'était déjà quelque chose qu'il m'ait suivie jusqu'ici... sans même savoir où j'allais exactement.

Confiante en Cervan, je finis par me lever et m'approcher du campement. La musique s'était arrêtée et les différentes personnes se rassemblaient en un cercle. Puis, sans que je ne comprenne pourquoi - ne pouvant comprendre leurs paroles - tous se tournèrent vers moi. Je me sentis alors petite, étrangère... j'avais alors l'impression que je n'aurais pas dû être là. Et pourtant, je n'avais pas de mal à comprendre que le cinquième bol avait été rempli à mon intention. Je regardais Cervan et inclinais doucement ma tête, autant par respect que pour le remercier. Contrairement à l'autre, je n'osais pas m'approcher plus de lui, le toucher. Peut-être en aurais-je l'occasion tout à l'heure. En attendant, je me forçais à avancer vers les humains. Je n'étais pas vraiment à l'aise, je ne savais pas trop comment me comporter. Et, surtout, je me rappelais ce que m'avais enseigné Validna : on ne pouvait pas remercier tout le monde et il fallait se méfier. Cela sans compter que je me doutais que les cavaliers me cherchaient toujours, je m'étonnais d'ailleurs qu'ils ne m'aient pas retrouvée, et je ne souhaitais pas mettre des personnes de bien en danger. Harlinde avait certainement déjà payé pour m'avoir soignée et Validna... j'espérais du fond de mon cœur que l'elfe ne soit pas morte à cause de moi.

Arrivée devant les quatre êtres je m'inclinais, épée toujours sur le dos, dague à la ceinture et bâton à la main. Fortement armée, en somme. Je n'osais pas lire dans leurs yeux ce qu'ils pensaient de moi, et j'avais encore moins envie de constater qu'ils me croyaient être une enfant. Ne constatant aucun refus de la part des quatre personnes, je m'assis parmi eux et prit le bol de soupe dans mes mains. Je les regardais sincèrement, droit dans les yeux, esquissa un signe de tête et me remémora le mot que Validna m'avais appris.

"Merci.

J'attendis un peu avant de commencer à boire le breuvage. Des questions ne tardèrent pas à être posées, mais je ne les compris aucunement. Alors je posais ma main sur mon front, la fit tourner et la posa sur mon cœur.

- Qewiel."

Peut-être qu'en donnant mon nom, ils comprendraient que je ne parlais pas leur langue mais que j'essayais tout de même d'établir une conversation avec eux.
#Qewiel
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Le passé n'existe que si on le regarde EmptyMar 8 Sep 2015 - 19:53
Les quatre convives regardèrent approcher la silhouette solitaire qui se déplaçait vers eux avec l'air de vouloir se trouver à l'autre bout du monde. Elle était plutôt petite, comme une enfant, mais rares étaient les enfants qui allaient seuls dans le monde actuellement. Surtout pas des enfants armés de pied en cap comme s'ils revenaient d'une quelconque bataille. Ils ne mirent pas longtemps à deviner qu'il s'agissait d'une Elfe. Il fallait dire qu'elle, contrairement à d'autres, ne faisait pas d'effort particulier pour dissimuler sa véritable nature. Elle allait simplement et ses cheveux roux ne cachaient pas ses oreilles pointues. Pourtant, pour une Elfe, elle avait l'air mal en point, comme si sa vie n'avait été qu'une succession de chutes et de coups reçus. Fatiguée, les traits tirés, elle faisait de son mieux pour garder la tête droite, mais on sentait bien qu'elle était au bout du rouleau. Ses épaules étaient basses, et elle n'était pas du genre à refuser la nourriture offerte. Fort heureusement, elle avait trouvé l'endroit parfait pour se reposer. Le quatuor la laissa approcher, et elle prit place gracieusement devant le bol de soupe, avant de remercier ses hôtes.

Le feu projetait des ombres curieuses, qui faisaient particulièrement ressortir les yeux de chacun, si bien qu'il était facile de voir quelle était la réaction des humains. La première, la cuisinière, semblait  un peu craintive. De toute évidence, la vue des armes la mettait mal à l'aise, et elle ne pouvait pas s'empêcher de baisser le regard dès que Qewiel la dévisageait un peu trop longtemps. La seconde, la musicienne, paraissait beaucoup plus ouverte, et elle lança un sourire franc à la jeune fille, comme pour la convaincre que le repas était bon, et qu'elle pouvait se détendre. Elle demanda même :

- Est-ce que tu as un nom ?

L'intéressée les dévisagea sans avoir l'air de comprendre. Était-elle sourde ? Muette peut-être ? Elle finit par se désigner elle-même comme étant Qewiel, et Aessa eut un sourire ravi. Le dernier, Brin, posa en retour un doigt sur son torse, et se présenta, avant de désigner tour à tour les autres :

- Brin. Iona. Aessa. May.

Le gamin, n'ouvrit pas la bouche, et sans avoir terminé son repas, décida de se lever. Quelque chose à son doigt accrocha un instant la lueur des flammes. Un bijou. Il frotta ses mains l'une contre l'autre, et se mit à marcher vers la colline d'où était venue Qewiel. Aessa, qui semblait être celle qui était la plus encline à faire la conversation, essaya de parler un peu à la jeune fille :

- Ne t'inquiète pas, il va revenir…

Devant l'expression désolée qui lui revint, elle eut une moue perplexe. De toute évidence, la petite Elfe n'était pas muette, ce qui signifiait qu'elle était forcément sourde. Et pourtant, elle paraissait deviner qu'on lui parlait, tournant la tête quand on s'adressait à elle. Était-elle incapable de comprendre le Commun ? Comment une telle chose était-elle possible ? Elle tenta de nouveau :

- Qewiel… Est-ce que tu comprends ce que je te dis ?

La jeune fille entendait de toute évidence – cela s'était vu quand on avait employé son nom –, mais elle ne répondit pas. La musicienne lui sourit pour la rassurer, comme pour lui dire que ce n'était pas grave, et se tourna vers Brin. Ce dernier l'observait avec un peu de méfiance, mais cela tenait davantage aux armes qu'elle portait qu'à sa personne en propre. Après tout, ils ne la connaissaient pas. Mais c'était précisément parce qu'ils ne la connaissaient pas qu'ils étaient inquiets quant à ce qu'elle comptait faire de cette épée et de cette dague. Les tuer ? Les voler ? Ils n'avaient encore jamais croisés de bandits si jeunes, mais il fallait faire preuve de prudence à chaque instant. Les plaines n'étaient pas un endroit particulièrement sûr, même si depuis la fin de la guerre civile, les choses revenaient à l'ordre progressivement. Aessa lança à son compagnon :

- Elle n'a pas l'air de parler notre langue. C'est vraiment bizarre.

- Une Elfe qui ne parle pas le Commun ? Je ne vois pas comment nous pourrions communiquer…

- Je pourrais lui apprendre les rudiments. La pauvre, elle a l'air complètement désorientée.

- Et trempée, regarde ses vêtements.

May revint à cet instant précis. Il tirait par la bride le cheval que Qewiel avait pour seul compagnon de route. La bête avait besoin de repos, si bien qu'elle ne s'était pas éloignée de trop. Il avait suffi au gamin d'aller la chercher paisiblement, et de la ramener sans forcer au campement. Il alla l'attacher près de l'autre équidé, celui qui tirait leur chariot. Ils pourraient discuter, comme ça. Il avait capté les mots qui avaient été prononcés, et alors qu'il fouillait dans les affaires communes, il trouva une couverture qu'il tendit à Iona, la plus proche de lui. Il repartit ensuite à ses occupations, disparaissant derrière le chariot pour soigner les animaux. La jeune femme qui venait de recevoir la couverture, plus que mal à l'aise, la tendit à l'Elfe qui devait commencer à ressentir le froid s'insinuer en elle. Quelle idée de voyager avec des vêtements humides ! Traverser le Rohan était déjà assez difficile comme ça, alors le faire dans de telles conditions était proprement suicidaire. Elle risquait d'attraper une mauvaise fièvre, même si on disait souvent que la nature des Elfes les empêchait de tomber malades. Il ne fallait pas non plus tenter Melkor, car quand le mal venait, il était parfois impossible à guérir. Les guerres tuaient, mais pas autant que les maladies qui circulaient partout. Les épidémies se déclenchaient, allaient et venaient, faisant des ravages dans des pays entiers. Et il fallait bien que cela commençât quelque part…

Iona retira sa main prestement sitôt que l'Elfe eût attrapé son côté de la couverture. C'était comme si elle craignait de recevoir un coup de sa part, ou bien d'être agressée. Brin fronça les sourcils légèrement, mais ne fit aucun commentaire. Chacun avait ses raisons. Elle acheva son repas sans un mot, et partit se coucher dans son coin, non sans se fendre d'un « bonne nuit » lâché entre ses dents serrées. De toute évidence, la présence de Qewiel et de ses armes la mettait dans tous ses états, et il était difficile d'expliquer à la jeune fille que ce n'était pas grave, puisqu'elle ne parlait pas la langue commune. Aessa lança un regard attendri sur Iona qui s'éloignait de sa démarche pleine de souplesse et de vivacité. Elle était fine et élégante, mais loin d'être dénuée de muscle. Tonique et svelte, voilà ce qui lui correspondait le mieux. Elle était bien plus qu'une simple voyageuse : c'était une athlète et une femme sportive, assurément.

Quand Qewiel eût terminé son repas, Aessa la débarrassa et entreprit de faire la vaisselle avec un peu d'eau. Ils se trouvaient près du fleuve, et ils pouvaient se permettre d'en utiliser immodérément, ce qui n'était pas toujours le cas. Tout dépendait d'où ils se trouvaient, des aléas du voyage, notamment des tempêtes qu'ils pouvaient devoir affronter. Alors, quand ils se trouvaient près d'une source d'eau suffisante pour leur permettre de se laver généreusement, et de boire tout leur saoul, ils ne s'en privaient pas une seule seconde. Brin, pendant ce temps, se leva et fit un signe de la main à la petite Elfe, pour l'inviter à le suivre. Son apparence soignée en toute circonstance et le petit sourire en coin qu'on lui devinait lui donnaient l'air charmant, et peut-être un peu charmeur également. Il était pourtant sérieux, sombre et mystérieux en cet instant, faisant de son mieux pour garder en visuel les armes de la jeune fille. La savoir en mesure de le tuer à chaque seconde n'était pas pour le rassurer, en fait. Ils se dirigèrent vers l'endroit où se trouvaient les animaux, et aperçurent May en train de s'occuper du cheval de Qewiel. Au moment où ils approchèrent, il était en train de le panser consciencieusement d'une main, tout en le caressant de l'autre. Toujours au même rythme, sans le brusquer.

Il n'accorda pas un regard à la jeune fille lorsque celle-ci suivit Brin qui grimpait dans le chariot. L'homme se mit à fouiller dans un grand sac, et il en tira des vêtements propres et secs, qui étaient un peu grands pour la jeune fille, mais qui seraient tout de même plus confortables que sa tunique mouillée pour dormir. Il s'agissait d'une longue robe épaisse et informe, plutôt une tenue de travail qu'une tenue habillée. Elle avait le mérite d'être solide et chaude, même si elle grattait un peu. L'homme la passa à la jeune fille, avant de lui trouver une paire de bottes – trop grandes également – qui feraient l'affaire pour la nuit. C'était temporaire, mais c'était mieux que rien. Pendant qu'il fouillait, Qewiel put apercevoir des objets brillants dans un sac proche. En regardant de plus près, elle put constater qu'il s'agissait de sabres rangés pêle-mêle. C'était bien étrange pour des gens qui avaient l'air de craindre les armes… Brin ne remarqua pas qu'elle les avait vues, et il descendit bientôt du chariot.

- Tu viens te coucher, May ? Demanda-t-il.

Le garçon ne se retourna pas, et fit un signe évasif de la main, qui valait grossièrement approbation. Il avait encore à faire. Le cheval pansé, il s'était penché sur ses sabots. Il les examina soigneusement, malgré l'obscurité, et commença à les curer énergiquement pour en enlever les saletés et les cailloux. L'animal ne broncha pas, habitué qu'il était de ce genre d'opérations. C'était une bête qui avait vécu longtemps au contact de l'homme, et qui levait facilement la jambe pour se laisser soigner. Alors que Qewiel s'apprêtait à suivre Brin, elle croisa le regard du cerf majestueux qui paissait non loin. Il était de belle taille, et ses bois lui donnaient une stature presque royale. Il secoua la tête légèrement, avant de retourner à son dîner, et de laisser la jeune fille partir dormir.

Aessa en avait fini avec le nettoyage, et elle avait disposé une petite couchette pour Qewiel, afin de lui permettre de dormir confortablement. Le sol n'était pas irrégulier, mais de petits cailloux pouvaient gêner le sommeil, et il faisait toujours bon dormir sur quelque chose, fût-ce un tapis d'une finesse extrême. Elle laissa la jeune fille quitter sa tunique trempée, et récupéra ses vêtements pour les placer près du feu, de sorte à ce qu'ils séchassent plus rapidement. Ils sentiraient peut-être un peu la fumée le lendemain, mais c'était un moindre mal. Puis, une fois cette question réglée, la musicienne retira ses chausses, conservant uniquement son corsage pour dormir, et s'installa rapidement sous sa petite couverture. Le vent qui soufflait était froid, et elle se rapprocha du feu mourant, pour profiter de la chaleur des braises encore rougeoyantes. Elle posa la tête sur ses vêtements, à la fois pour les garder chauds, et aussi pour s'en servir d'oreiller, avant de fermer les yeux. Brin vint s'allonger peu après, mais aussi longtemps que Qewiel parvînt à résister au sommeil, elle s'endormit avant que May et Iona allassent dormir.


~ ~ ~ ~


On réveilla Qewiel tôt le lendemain matin. Il faisait encore presque nuit, mais la petite compagnie était déjà sur le départ. Tout le monde était debout, occupé à des tâches différentes et de toute évidence réparties par la force de l'habitude. Ce n'était pas la première fois qu'ils voyagaient ensemble, c'était certain. Il était également évident que la jeune fille n'avait pas assez dormi, mais ils ne pouvaient pas rester pour l'attendre, leur vie ne le leur permettait pas. Ils devaient bouger, continuer leur long périple, ne pas prendre trop de retard, tout du moins pas davantage que le leur permettaient leurs rations limitées. Ce fut Aessa qui réveilla la jeune Elfe, en la secouant doucement par l'épaule, tout en l'appelant par son nom. Elle avait une présence chaleureuse et réconfortante. Sa voix était douce comme un murmure, et elle se fit particulièrement mélodieuse quand elle tenta vainement d'expliquer la suite du programme à leur jeune invitée :

- Je sais que tu ne me comprends pas, mais… Nous allons devoir continuer notre route. Est-ce que tu veux venir avec nous ?

Elle usa de ses doigts pour mimer grossièrement sa question, et à force d'insister, elle finit par réussir à faire passer le message à la jeune fille encore ensommeillée. La pauvre devait vraiment être épuisée. Pendant que les autres préparaient le chariot pour le voyage, Aessa se tourna vers eux et leur lança :

- Qewiel va nous suivre un moment. J'ignore jusqu'où, mais elle n'est pas encore en état de nous quitter, et elle a exprimé la volonté de rester. Personne ne s'y oppose ?

Tout le monde garda le silence, et la musicienne se retourna vers l'Elfe en lui souriant, et en lui tendant son petit déjeuner. Un peu de pain, un peu de fromage. Ce n'était pas grand-chose, mais cela lui tiendrait au corps. Quand on était pauvre et qu'on voyageait sur les routes, il fallait parfois se serrer la ceinture, et se contenter du peu qu'il y avait à disposition. Une fois le petit déjeuner terminé, Qewiel prit place à l'arrière du chariot, avec Aessa et Iona. May et Brin, entre gars, occupaient l'avant et conduisaient l'attelage à travers les mornes plaines du Rohan. Personne ne parlait. Une petite brume était tombée sur les environs, et ils n'y voyaient pas vraiment à travers le mur gris qui paraissait se dresser autour d'eux. Ils allèrent cependant, un peu au hasard, en essayant d'éviter les inégalités du sol pour ménager les roues fatiguées du chariot que le cheval tirait inlassablement. Celui de la petite Elfe était accroché derrière par la bride, et il suivait docilement l'attelage sans rechigner. Quelqu'un avait pris la liberté de décharger la pauvre bête, et de mettre les possessions de la jeune fille à côté d'elle. Le cerf, libre de toute attache, marchait à côté sans paraître avoir envie de s'éloigner. Le chariot était couvert par une toile, si bien qu'elles étaient toutes les trois à l'abri du vent et de la pluie. Il n'y avait pas beaucoup de place, mais tout de même assez pour être à l'aise, et pour somnoler. En effet, les remous du voyage n'étaient pas trop importants, et elles pouvaient se laisser bercer par le balancement régulier qui les prenait. C'était comme se trouver sur un bateau, à ceci près qu'elles ne sentaient pas l'odeur saline de la mer, et qu'elles n'entendaient pas le cri des mouettes.

Iona et Aessa s'endormirent successivement, et ne se réveillèrent que plusieurs heures plus tard, peu avant midi. Elles avaient sur le visage des traces de sommeil, et les cheveux un peu en désordre, mais cela ne les dérangeait guère, habituées qu'elles étaient à tout partager. La musicienne regarda Qewiel, se demandant si elle avait fermé l'œil pendant tout ce temps, ou si elle était restée là à réfléchir. En se mettant à sa place, elle ne pouvait que la plaindre. Pauvre petite, perdue dans un monde dont elle ne parlait pas la langue. Elle devait se sentir bien étrangère à tout ceci. Malheureusement, ils n'allaient pas vers les terres Elfiques, et de toute façon il était difficile de se rapprocher des Eldar ces derniers temps. Ils étaient plus secrets, plus méfiants… On racontait que c'était parce qu'une de leurs cités secrètes avait été attaquées. Probablement un coup de l'Ordre de la Couronne de Fer. Hélas, depuis lors, ils faisaient bien attention à ne pas trop en dire au sujet de leurs belles villes, et ils se montraient distants, tendus avec les étrangers. L'heure était à la réconciliation après le mariage, mais tant qu'il y aurait la menace d'une guerre, personne ne serait vraiment tranquille.

Aessa prit la main de Qewiel, sans vraiment la prévenir, mais sans brusquerie non plus. Pas assez vite pour l'empêcher de s'échapper, mais pas assez lentement pour lui faire croire qu'elle manigançait quelque chose. Elle nota sans le vouloir qu'elle avait la peau éraflée par endroits, comme si elle avait dû fuir… ou se battre... Décidément, cette jeune Elfe avait un passé bien mystérieux et tourmenté. Il faudrait simplement espérer qu'elle n'apporterait pas la guerre sur la petite compagnie. Ne s'arrêtant pas à ce genre de détails, elle tira légèrement la main de la jeune fille et la posa sur son front en disant :

- Je m'appelle Aessa…

Puis, rapprochant la main de Qewiel jusqu'à ce qu'elle touchât son propre front :

- Tu t'appelles Qewiel.

Elle tendit ensuite la main vers Iona :

- Elle s'appelle Iona.

Ce fut ainsi que la leçon commença. Le Commun n'était pas une langue particulièrement difficile, ce qui expliquait pourquoi il était si répandu, et que tout le monde l'utilisait comme moyen de communication, outre le fait que les hommes de l'Ouest avaient prospéré un peu partout en Terre du Milieu. Apprendre le vocabulaire basique à l'Elfe serait facile. Elles avaient tout le temps dont elles pouvaient rêver pour cela, et Aessa était vraiment une professeure patiente et talentueuse. Peut-être parce que pour être capable de bien jouer de la musique, il fallait être capable de bien apprendre soi-même, d'écouter avec attention. Qewiel l'ignorait encore, mais leur périple prendrait plusieurs jours jusqu'à leur destination. Arrivés là, elle en saurait suffisamment pour décider par elle-même de ce qu'elle ferait de son avenir.

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#Brin #Iona #Aessa #May


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Le passé n'existe que si on le regarde EmptySam 12 Sep 2015 - 13:11
" Brin. Iona. Aessa. May.

Je fis un signe de tête afin de marquer que j'avais compris que le dénommait Brin me présentait les différentes personnes de la compagnie. Pour le reste, je ne compris absolument rien de ce qui fut dit. Alors je me contentais de boire l'excellent potage, essayant de ne pas faire trop peur à ceux qui me regardaient avec crainte. Dans le fond, cela me paraissait étrange de voir sur leurs visages qu'ils ne semblaient pas vouloir me considérer comme une enfant mais plutôt comme une personne armée qui pouvait provoquer du mal. Cette identification se ramenait plus à celle qu'avait mon clan de moi que celle à laquelle j'avais été habituée ces derniers jours. Et, étrangement, j'aurais préféré qu'ils me voient autrement... ce n'était pas comme si j'étais armée jusqu'aux dents, non ? Je ne me servais que de mon bâton...

Le repas continua et lorsque j'eus fini ma soupe, on me retira le bol pour pouvoir le nettoyer avec les autres. Entre temps Iona m'avait donné une couverture pour que je ne prenne pas froid, geste qui la perturba puisqu'elle se dépêcha pour ne pas entrer réellement en contact avec moi. Le repas désormais fini, je suivis non sans me méfier un peu malgré la présence de Cervan l'humain qui remettais fréquemment les manches de sa tunique en ordre. Il m'emmena jusqu'au grand objet en bois servant à transporter des choses et y monta. En attendant mon regard se posa sur le grand cerf puis passa à des choses et d'autres qui m'étaient plus ou moins connues. Je haussais les sourcils lorsque j'aperçus le sac empli d'armes en acier. Cela m'intrigua un instant mais ma petite contemplation de ces objets sous une nuit sans lune avait laissé ma fatigue remonter, si bien que lorsque Brin se tourna vers moi avec des vêtements dans les mains il me vit en train de me frotter les yeux, un peu comme une enfant. Je pris ce qu'il me tendait et inclina doucement ma tête pour le remercier, puis nous retournâmes auprès de feu. De là, j'eus juste le temps de remercier pour la couche de paille, me changer, déposer mes affaires auprès de moi et de m'allonger avec l'épée de mon père serrée contre moi avant que je ne m'endorme, la respiration douce et légère.

Le réveil fut difficile. Je n'avais toujours pas entièrement récupéré de mes jours de fièvre et le manque de sommeil commençait à se faire sentir. Mais il n'en fut pas moins agréable : être réveillée par une voix douce et mélodieuse appartenant à une personne qui souriait. C'était bête, mais cela donnait envie de sourire et de se confronter à la journée qui commençait. Tout en m'asseyant sur la paillasse, les cheveux décoiffés et des traces sur le côté gauche de mon visage, j'essayais de comprendre ce qu'Aessa voulait m'expliquer. A force de faire différents gestes je finis par comprendre et, après avoir regardé là où se trouvait hier soir Cervan - et là où il se trouvait toujours - j'acceptais. Cet esprit s'était présenté à moi et m'avait guidée jusqu'à ces humains, avant de s'arrêter auprès d'eux. Lui faisant une confiance aveugle, je ne pouvais que comprendre qu'il restait là pour être sûr que je les suive. Alors j'acceptais l'invitation d'Aessa à accompagner sa compagnie, sans pour autant savoir où ils allaient. Au pire je pourrais toujours repartir dans une autre direction, le jour où Cervan décidera qu'il sera temps pour moi de repartir.

Avec un nouveau sourire, Aessa me donna mon repas du matin : du pain et quelque chose que j'avais déjà pu goûter dans cette région, un peu bizarre mais qui n'était pas mauvais. Je mangeais sans trop me poser de questions sur la contenance de cet aliment, déjà bien heureuse de pouvoir manger à ma faim - si certains pouvaient croire que ce n'était pas beaucoup, j'avais toujours été habituée à ne pas manger beaucoup ou du moins pas très consistant, les marais n'étant pas le lieu le plus propice à une grande quantité de nourriture. Ensuite j'aidais à ranger les quelques affaires que je pouvais et me rhabillais normalement avant de prendre place avec les deux autres femmes dans ce qu'ils appelaient une charrette, retrouvant en même temps le sac de Validna ainsi que son cheval qui nous suivait. Cervan était toujours là, et ce fut étonnée que je le vis marcher auprès de nous, très proche. Alors qu'Aessa et Iona s'endormaient à côté de moi, la cuisinière cédant plus à la fatigue qu'à la crainte que je puisse lui faire du mal, j'admirais le cerf et toute sa splendeur. J'avais une chance inouïe que de le voir si longtemps et de si près, aussi en profitais-je. Les genoux repliés contre mon torse, mes bras les enlaçant, je posais ma tête sur mes genoux et laissais mon regard se poser sur lui, me permettant en même temps de me reposer. Cela dura un moment, comme ça, où mon esprit comme mon corps se reposèrent, s'éveillant de temps à autres pour faire attention à ce qu'il y avait autour de moi. Le silence était d'or entre les humains, et moi je me disais à chaque instant que je m'éloignais de plus en plus de ma terre natale... déjà que mes sourires avaient disparus depuis que j'avais dû quitter Validna, alors cette pensée ne m'aida pas à alléger le poids du passé qui pesait sur mes épaules.

Au bout d'un moment Aessa se réveilla et comme toujours me sourit. Je la regardais, l'esprit désormais en éveil, et retirais rapidement ma main lorsqu'elle voulut la prendre. Avec douceur elle insista, me montrant ainsi qu'elle ne me voulait aucun mal, aussi je finis par la laisser faire. S'engagea ainsi une première leçon qui dura une bonne partie de la journée, où Aessa entreprit de m'enseigner les rudiments de la langue des Hommes. Ce fut assez compliqué, mais je finis par comprendre l'histoire des "je, tu, il, elle, ce, nous" sans pour autant comprendre pourquoi quelque chose changeait avec "m'appelle, t'appelle et s'appelle". J'appris de nombreux mots, et notamment à dire oui et non, ainsi qu'à faire les gestes correspondant à cela. Pour le reste, le travail le plus difficile fut l'apprentissage du phonème "ch"... j'avais beau déformer ma bouche pour essayer de trouver le bon son, mais décidément cela ne voulait pas venir ! Au moins à la place de prononcer "hieval" et "harette" (avec un h fort prononcé), j'avais fini par réussir l’exploit d'arriver à dire "sheval" et "sharette". C'était tout bête, mais en plus d'avoir ma curiosité stimulée par cette apprentissage, ce bête exploit égayait ma journée. Lors de cette journée, Aessa et Iona purent constater avec étonnement que j'apprenais vite et surtout que j'avais une bonne mémoire des mots. Au fur et à mesure, et ce peut-être parce que je réagissais comme une jeune personne ayant envie d'apprendre - ce que sont les enfants -, Iona commença à avoir moins de mal avec moi. Mais elle avait dans le fond raison de ne pas oublier que j'étais apte à tuer... ce que j'avais déjà fait au cours de mon existence.


~~~~~~

Cela faisait longtemps que je lui parlais, loin du feu, et qu'il m'écoutait. Au départ j'avais cherché à lire dans son regard ce qu'il pensait de tout ce que je lui disais, mais finalement seule sa présence comptait pour moi. J'étais fatiguée de ma journée, j'avais plein de mots pas du tout elfiques dans la tête et je me posais toujours autant de question sur bien des choses. En cette soirée la lune était belle, bien visible, ainsi que la myriade d'étoiles qui dansaient éternellement autour d'elle. J'avais une belle vue de tout cela, allongée que j'étais, la tête contre le corps de Cervan. Décidément, mon esprit gardien m'étonnait... lui qui généralement se contentait d'apparaître de plus ou moins loin, là il finissait par se laisser toucher, voire même à m'accompagner comme un elfe l'aurait fait, comme... comme un père. L'épée de Laurelien à mes côtés, je me laissais désormais bercer par la respiration calme du cerf, somnolant à ses côtés. J'étais heureuse, ainsi.

Après un moment que je ne saurais définir, je fus réveillée en sursaut par une crispation de Cervan, qui tendit son long coup pour voir et entendre ce qu'il y avait autour de nous. Sans me poser de questions je me redressais, alerte, prenant mécaniquement dans mes mains le bâton qui reposait à côté de l'épée. Le silence, la nuit... rien d'anormal à première vue, pourtant... mes sens me chuchotaient que quelque chose n'allait pas, sans savoir quoi ni pourquoi. Je me relevais donc tout en rebouclant l'épée elfique de sorte à ce qu'elle tienne sur mon dos et regardais tout autour de moi, l'air inquiet. Je repensais aussitôt aux cavaliers qui devaient me chercher, ou peut-être encore d'autres personnes qui poursuivaient le même objectif sans pour autant m'avoir déjà croisée. Je repensais également à l'humaine qui m'avait guérie et à ce que cela avait engendré pour elle. J'espérais que cela ne ferait pas de même avec ces personnes.

Je m'inclinais brièvement devant Cervan, non sans grand respect, puis je repartis vers le centre du campement. La première personne que je vis fut May, occupé à je ne sais trop quoi.

- May ?"

Il tourna sa tête vers moi et, accrochant son regard je me tournais vers l'extérieur, quelque peu tendue. Je n'avais pas appris à exprimer le fait que quelque chose n'allait pas... que j'avais un ressenti qui m'inquiétait. Je préférais donc qu'il soit prévenu, même si au final ce n'était pas grand chose.
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Ryad Assad
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Le passé n'existe que si on le regarde EmptyDim 13 Sep 2015 - 17:16
Le passé n'existe que si on le regarde May_310

May était occupé à nourrir convenablement ses oiseaux, quand la voix de Qewiel le tira brutalement de ses pensées. Décidément, ne pouvait-elle pas le laisser en paix une seconde ? Il n'aurait su dire pourquoi, mais il y avait quelque chose chez elle qui lui déplaisait souverainement, et il n'arrivait pas à se défaire de cette mauvaise impression… comme si elle annonçait des orages à venir, et qu'elle apportait avec elle des promesses de malheur et de souffrance. Mais le cerf semblait tolérer sa présence, ce qui n'était pas banal. Lui qui d'ordinaire se montrait toujours insaisissable avait laissé la jeune fille l'approcher. Le gamin n'avait pas changé d'opinion, et on pouvait même dire que cela l'ennuyait au plus haut point. Etait-ce une forme de jalousie ? Peut-être, après tout. Il ferma les yeux… Il fallait espérer qu'elle n'essaierait jamais de monter sur son dos, sinon il risquait vraiment de devenir mauvais.

Se retournant en affichant une expression de pure neutralité, il laissa la jeune fille lui faire signe que quelque chose la troublait. Abandonnant la compagnie de ses oiseaux qui piaillaient pour quémander un peu plus de nourriture, il se leva en enlevant la poussière de ses chausses. Il faisait sombre, là où ils se trouvaient, et une petite silhouette rapide comme l'éclair bondit de la tête du jeune garçon, avant de filer prestement se cacher dans un tas de vêtements. May paraissait ne s'être rendu compte de rien, et il ne prit même pas la peine de tourner la tête, s'approchant de Qewiel qu'il ignora superbement. Il la dépassa, et fixa le lointain, comme s'il voyait à travers l'obscurité. Elle demeura un peu en retrait, silencieuse, et il lui en sut gré. Il n'avait pas envie de lui parler. Il n'appréciait de la voir se promener avec ses armes en permanence, il n'appréciait pas de la savoir perpétuellement sur le pied de guerre, prête à se battre au moindre bruit suspect. N'avait-elle jamais voyagé de sa vie ? Il y avait souvent des choses étranges qui se passaient sur les routes, mais il n'était pas nécessaire de tuer pour régler ses éventuels soucis… Qui donc avait bien pu lui apprendre que c'était la seule solution aux problèmes ?

Agacé, May n'en demeurait pas moins légèrement inquiet. Si elle avait repéré quelque chose, même si ce n'était que son sixième sens qui s'éveillait, il était préférable de vérifier. Sans un mot, il alla chercher dans les affaires communes, pour y trouver une torche. Aessa, qui se reposait non loin, l'interrogea du regard, sans comprendre. Alors qu'il l'allumait auprès du feu commun, il répondit :

- Elle a cru voir quelque chose, je vais vérifier.

- Sois prudent.

Elle aurait sans doute pu le retenir, mais elle le connaissait suffisamment bien pour savoir qu'il n'était pas du genre à faire des folies. Si danger il y avait, il reviendrait rapidement pour les avertir, et il ne se mettrait pas inutilement dans une situation à risque. Il passa devant Qewiel sans lui adresser la moindre parole, et s'enfonça dans les ténèbres à pied, concentré mais pas particulièrement anxieux. Aessa s'était levée en attendant, et elle prit Qewiel par les épaules pour la ramener au centre du campement, tout en lui disant :

- Ne t'inquiète pas, il sait ce qu'il fait.

Le ton de sa voix se voulait rassurant, et si Qewiel ne comprenait pas le sens précis de la phrase, elle noterait au moins que personne ne paniquait concernant le sort de leur plus jeune compagnon. Brin discutait tranquillement avec Iona, à voix basse, et ils s'étaient à peine interrompus en voyant May partir seul vers l'inconnu. Très sincèrement, il y avait peu de chance qu'on les attaquât ici. La région du Plateau était assez vide, et ce n'était pas là que les brigands préféraient agir. Ils se rassemblaient plutôt près des routes commerciales, où on pouvait intercepter des caravanes marchandes plus riches. La plupart des gens qui venaient du Nord descendaient jusqu'à Osgiliath en suivant l'Anduin, passaient par Minas Tirith, et revenaient ensuite le long des Montagnes Blanches. Ils s'arrêtaient au cours du chemin dans les grandes cités du Rohan : Edoras, Aldburg, où ils pouvaient vendre et acheter des marchandises, avant de repartir vers la Trouée du Rohan. La petite troupe, elle, avait décidé de gagner du temps, et de traverser le pays à pied. Passer au travers du Plateau ne serait pas très difficile, et les villages qu'ils croiseraient sur la route leur fourniraient de bonnes occasions de gagner un peu d'argent. Ils ne voyaient pas souvent passer d'étrangers, et ils n'en seraient que plus étonnés et réceptifs.

Qewiel était peut-être inquiète, mais la sérénité des autres l'empêcha de faire autre chose que de s'asseoir et de profiter d'une soirée de tranquillité. Aessa avait sorti une petite harpe, dont elle tirait quelques notes amoureusement. Ses doigts étaient extrêmement agiles, et elle les berçait de sa musique qui les enveloppait avec chaleur. Elle accompagna le tout de sa belle voix, chantant une ballade connue qui parlait de l'amour du Roi Elessar pour l'Elfe Arwen, à l'âge dernier. On avait beaucoup écrit au sujet de leur union, cette immortelle qui avait choisi d'abandonner son avenir pour lui, tandis qu'il se battait pour lutter contre les sombres armées du Mordor. C'était un chant tragique et beau, qui finissait sur une note positive mais mélancolique. Ils ne trouvèrent pas la force de parler pendant qu'elle jouait, subjugués qu'ils étaient.

Puis Iona annonça que le repas était prêt, et ils se rassemblèrent en cercle, comme la veille au soir. Ils servirent cinq assiettes, dont une fut déposée devant une place vide, et commencèrent à manger avec enthousiasme. Ils n'étaient pas très riches, et le repas était frugal. Les restes de la veille, agrémentés d'un peu de pain et d'une carotte par personne. C'était peu, mais c'était suffisant pour leur permettre de passer une bonne nuit de sommeil avec l'estomac bien rempli. Brin, qui avoua être un peu fatigué, alla se coucher le premier, laissant les trois jeunes femmes seules. Aessa, toujours aussi disponible, essaya de faire un peu la conversation avec Qewiel.

Elle n'avait pas été surprise de voir à quel point l'Elfe apprenait vite, car elle avait déjà pu constater que cette race si particulière était douée au-delà de l'entendement humain. Elle les admirait d'ailleurs pour cela, et se félicitait de pouvoir aider une immortelle à s'intégrer au vaste monde dans lequel elle évoluait. Tout cela se faisait sans la moindre intrusion dans son passé. Aessa se fichait du passé de sa protégée, et elle n'entendait pas lui poser la moindre question à ce sujet. Si elle souhaitait en parler, elle le ferait d'elle-même. Alors elles parlèrent d'autre chose, et la leçon continua sur un ton léger. La musicienne était une femme drôle et ouverte, si bien qu'elle essaya d'inculquer un peu l'humour à Qewiel, en essayant de la faire rire quand elle s'y attendait le moins. Tout cela était fait avec tellement de simplicité et de bonne humeur que le temps passa sans qu'elles le vissent.

Elles ne revinrent à la réalité que lorsque May reparut au campement. Il avait l'air fatigué, probablement parce qu'il avait dû explorer les environs pendant un moment avant de revenir, et il se jeta littéralement sur son repas. Aessa s'approcha de lui par derrière, et l'enlaça tendrement, comme une mère l'aurait fait avec son enfant. Il essaya de la repousser, mais un sourire fugace passa sur ses lèvres quand il lâcha :

- Laisse-moi manger, je meurs de faim.

Elle lui passa une main affectueuse dans les cheveux, et consentit à le laisser se sustenter, revenant à sa place d'un pas guilleret. May s'empressa de passer la main dans sa tignasse, non sans jeter un regard indéchiffrable à Qewiel. Comme s'il n'avait pas envie qu'elle l'observât. Comme s'il craignait qu'elle interprétât son sourire comme de la faiblesse, peut-être. Son comportement était vraiment difficile à lire, et il finit par baisser la tête sur son repas qui avait un peu refroidi, mais qu'il engloutit tout de même avec appétit. Iona, qui avait observé toute la scène, finit par lui demander timidement :

- Alors, tu as vu quelque chose ?

Il fit signe que non de la tête, et termina son repas en silence. Sitôt son assiette vide, il se leva et se dirigea vers les animaux. Aessa l'appela :

- Tu n'es pas fatigué ?

- J'ai encore du travail.

May s'occupait des animaux, et il appréciait qu'on ne vînt pas le déranger pendant qu'il était avec eux. C'était un peu son moment de solitude privilégié, même si lui disait qu'au contraire, il profitait beaucoup de leur présence. Il avait du mal avec les bipèdes, et préférait de très loin s'entendre avec les animaux qui ne le dérangeaient pas. Personne ne savait quelle était la raison de ce choix, mais tout le monde le respectait au sein de la petite compagnie. Il n'était jamais désagréable ou insultant avec quiconque, et s'occupait bien des bêtes, si bien qu'il n'y avait vraiment rien à lui reprocher. Ils s'estimaient même chanceux d'avoir un tel compagnon à leurs côtés, qui ne demandait pas grand-chose, et était tout sauf difficile à vivre.

Encore une fois, ce soir-là, Qewiel trouva le sommeil avant d'avoir vu May rejoindre sa couchette, sans savoir exactement où il se trouvait, ni ce qu'il faisait.


~ ~ ~ ~


Il avait gardé le silence durant tout le trajet, mais maintenant qu'ils étaient de nouveau à l'abri, invisibles, il ne put s'empêcher demander :

- Capitaine, vous êtes bien sûr qu'on peut lui faire confiance ?

L'intéressé tourna son beau visage vers celui de son interlocuteur, et lui posa une main réconfortante sur l'épaule. Il était normal d'avoir des doutes :

- N'as-tu pas vu la bague qu'il portait ? N'as-tu pas reconnu ce symbole ?

- Si, bien entendu, mais…

Il fronça les sourcils, peu convaincu. De toute évidence, la conversation qu'ils avaient eue n'avait pas été suffisante pour lui permettre d'affirmer qu'il n'était pas une menace. Il était vrai cependant qu'il était venu à eux seul, sans armes, et avec une torche pour bien annoncer sa venue. Il n'avait pas pris la peine de se cacher, et n'avait pas semblé leur dissimuler quoi que ce fût. Il s'était montré particulièrement honnête quand ils l'avaient interrogé, et on pouvait même dire que tout s'était très bien passé. Le Capitaine le rassura d'un geste :

- Nos ordres consistaient à éliminer cette menace si elle passait par ici. Notre informateur s'est peut-être trompé, cela arrive. Je pense honnêtement que ces traîtres ont dû filer vers la Trouée du Rohan depuis longtemps. Depuis le mariage, ils ont eu largement le temps de passer entre les mailles du filet, et ce n'est plus de notre ressort. Nous n'aurions même pas dû nous trouver là, tu le sais… Nous n'allons pas arrêter des gens qui ne sont même pas armés…

Le soldat hocha la tête. Il fallait bien reconnaître que le Capitaine avait raison, même si beaucoup de mystères entouraient cette visite impromptue qu'ils avaient reçue à la nuit tombée. Il était venu à eux de son plein gré pour éviter que les armes fussent tirées, et il avait de toute évidence très envie de circuler librement. Un simple soupçon était-il suffisant pour leur permettre de l'arrêter, toutefois ? Difficile à dire. Surtout pas s'il connaissait les gens qu'il prétendait connaître. Le soldat réagit sur un ton résigné :

- Qu'en est-il de son message ? Devons-nous le transmettre ?

- Pourquoi pas ? Il nous a demandé de saluer pour lui la sœur de l'Intendant… Je ne vois pas où est le mal.

En effet, il n'y avait rien de mal à cela…


~ ~ ~ ~


La seconde journée de voyage succéda à la première sans être vraiment différente. Ils se levèrent tôt, et partirent de bonne heure pour avaler le plus de kilomètres possibles avant la tombée de la nuit. La veille au soir, May avait réussi à trouver un moyen commode pour intégrer le cheval de Qewiel à l'attelage, si bien qu'ils étaient désormais deux à tirer le chariot, ce qui leur permettait de ménager les bêtes. Ce fut la seule différence notable du début de journée. Autour d'eux, les paysages étaient tout à fait similaires : de vastes plaines désolées, vides d'habitants et dénuées d'arbres. Ils traversaient les plaines sans se soucier de rien d'autre que de leur trajectoire, que Brin paraissait bien connaître. Il les menait tout droit vers le Sud-Ouest, en essayant de dévier le moins possible de son itinéraire, même s'il était parfois nécessaire de faire des ajustements à cause du terrain. Il n'était pas impraticable, mais par endroits des aspérités rocheuses émergeaient du sol, à moins que ce ne fussent des crevasses difficiles à franchir. Il valait mieux faire demi-tour dans ce cas, et contourner l'obstacle, plutôt que de s'entêter, et de risquer de briser les roues. Un accident ici serait désastreux, et ils avaient tout intérêt à se rapprocher d'un village avant de vouloir faire du zèle.

Grâce à la présence du cheval supplémentaire, ils franchirent une grande distance sur ce sol sec et dur qui mettait à mal les troupeaux du Rohan, mais qui facilitait grandement la tâche aux voyageurs. En toute fin de journée, ils arrivèrent sur les rives de l'Entalluve, qui était un fleuve magnifique. Il gagnait au Nord la magique forêt de Fangorn, pleine de légendes et de mystères, où nul n'osait s'aventurer. Au Sud, elle prenait sa source dans le fleuve Anduin qui lui-même descendait jusqu'à la Grande Mer. La surprise se peignit sur les traits de Brin quand il repéra les abords du cours d'eau qui courait comme un mince filet azur au milieu de la morne plaine. Ils ne tardèrent pas non plus à repérer un village qui se trouvait bâti sur ses berges, et qui semblait de belle taille :

- Je crois qu'avec ce cheval supplémentaire, nous avons gagné presque une journée de marche ! C'est fantastique ! Nous allons pouvoir nous arrêter un peu, et faire souffler les bêtes. Je pense que nous avons tous hâte de dormir dans un vrai lit !

Cela faisait très longtemps qu'ils n'avaient pas pu profiter d'un peu de vie citadine, et cela leur donnerait sans doute l'occasion de gagner quelques pièces pour la suite du chemin. Leur chariot arriva en ville deux heures plus tard, en toute fin d'après-midi, alors que le soleil commençait à peine à décliner. Bizarrement, il y avait foule dans la rue, et beaucoup de gens qui paraissaient désœuvrés. Ils n'étaient pas en train de travailler aux champs, et ils regardèrent les nouveaux arrivants avec surprise. Ils n'attendaient de toute évidence pas la venue de grand-monde, et ils devaient se demander pourquoi on venait leur rendre visite. Avant d'avoir eu le temps de mettre pied à terre, Aessa enfila un chapeau coloré, piqué de plumes aux couleurs chatoyantes. Elle attrapa un bonnet vert qui se trouvait là, et le passa sur la tête de Qewiel, en l'ajustant bien pour qu'il recouvrît ses oreilles elfiques. Sans cacher l'amusement que lui provoquait la vision de la jeune fille ainsi vêtue, elle glissa :

- Viens avec moi !

Et elles sortirent, sans laisser le temps à la jeune fille de prendre ses armes. Brin était déjà là, en train de saluer chaleureusement les chefs du village, qui venaient de se porter à leur rencontre. Ils ne paraissaient pas particulièrement heureux de voir venir ce petit groupe étranger, et ils devaient craindre qu'il s'agît de problèmes potentiels. L'homme à la barbe négociait de toute évidence quelque chose, tandis que May était descendu auprès du cerf, pour empêcher les badauds de trop l'effrayer. Il jeta un regard bizarre à Qewiel, qui comprit qu'elle avait pris un de ses bonnets en voyant qu'il en portait lui-même un, tout bleu. Il fronça les sourcils, et retourna à ses affaires. Les discussions étaient bien engagées, et une poignée de main fut conclue entre Brin et le chef du village, qui les autorisa à continuer. A ce moment-là, profitant de ce que tout le monde était rassemblé, Aessa attrapa sa mandoline, et entama un air enlevé tout en se mettant à chanter une chanson particulièrement rythmée. Les habitants, d'abord surpris, se mirent à taper des mains en rythme, accompagnant ses refrains :

« Il était un village, au bord d'une rivière,
Où les femmes riaient, et les hommes dansaient,
Il était un village, au bord d'une rivière,
Et le vin ils buvaient, et le pain ils rompaient.

Sous le ciel bleu de l'été, jusqu'à la nuit la plus noire,
C'était la fête, les hourras et les chants,
Sous le ciel bleu de l'été, jusqu'à la nuit la plus noire,
On les entendait du village jusqu'au derniers des champs.

Ces dames tapaient des mains, criaient en chœur :
Que celui qui me trouve belle me prenne donc la taille
Ces dames tapaient des mains, criaient en chœur :
Je danserai avec le plus charmant, fût-il prince ou canaille.

Et ces messieurs tapaient du pied, répondant fièrement :
Vous êtes toutes belles mesdames, nous ne pouvons choisir
Et ces messieurs tapaient du pied, répondant fièrement :
Prenons celle à notre droite, avec le plus charmant sourire ! »

Elle avait une voix superbe, et les villageois ne tardèrent pas à se laisser gagner par les paroles de sa chanson. Ils lui obéissaient comme un seul, et bientôt de nombreux couples se formèrent, dansant au milieu du village, tandis que les autres applaudissaient à qui mieux-mieux. Aessa se déplaçait parmi les danseurs en leur lançant des regards amusés, des clins d'œil appuyés quand elle voulait taquiner ceux qui paraissaient s'entendre particulièrement bien. Elle était radieuse. Pendant ce temps, May emportait le chariot un peu plus loin, et commençait à décharger les affaires de tout le monde. Iona l'aidait en silence, jetant de temps en temps un regard à la foule qui paraissait sous le charme de la personnalité riche de la musicienne. Elle les fit danser ainsi pendant encore un moment, avant de conclure sa chanson apparemment interminable – elle paraissait en effet avoir une réserve inépuisable de couplets. Ils applaudirent de plus belle, et l'artiste s'inclina maintes fois sous les vivats, un grand sourire aux lèvres. Elle tendit son chapeau, et beaucoup vinrent lui déposer quelques piécettes, pas grand-chose, mais vu le nombre de spectateurs, cela faisait une somme intéressante. Elle éleva la voix pour se faire entendre par-dessus les acclamations :

- Quelle est la meilleure auberge, ici ?

- Au Bon Vivant, au centre du village ! Cria quelqu'un en retour.

- Très bien ! C'est là que nous serons ce soir, alors venez nombreux, nous ferons la fête jusqu'au bout de la nuit !

Il y eut de nouvelles acclamations, mais déjà la foule se dispersait, s'empressant d'aller se préparer pour la soirée. Ce n'était pas souvent que ce genre d'événements avait lieu, et de toute évidence les habitants étaient désireux de se rassembler en masse pour assister à la soirée. C'était souvent comme ça, dans les villages les plus reculés. Il n'y avait pas beaucoup d'animation, et les saltimbanques ne passaient pas par ces régions où les perspectives de gains étaient moindres. Alors quand il y avait un groupe en ville, tout le monde le savait, et tout le monde venait assister aux festivités. C'était une occasion comme une autre de rompre la monotonie. La petite compagnie appréciait autant la simplicité des gens des campagnes, leur émerveillement devant les tours et les musiques qu'ils n'entendaient pas souvent. Les gens des grandes villes étaient parfois plus exigeants, moins enclins à dépenser quelques pièces pour ce qu'ils avaient déjà pu voir ailleurs. Les gains étaient plus importants, mais l'ambiance souvent moins bonne.

May revint avec Iona, une fois que tout le monde fût retourné à ses occupations avec entrain, et ils se rassemblèrent en cercle pour discuter de la suite. La jeune femme qui se méfiait encore de Qewiel prit la parole :

- Nous avons mis le chariot chez le forgeron. Il a dit qu'il s'occuperait de changer les fers de nos montures demain matin. J'ai également négocié pour qu'il vérifie l'état des roues et du chariot en général. S'il trouve quelque chose à réparer, il nous le fera savoir.

- Très bien. May ? Tu es prêt pour ce soir ?

Il hocha la tête une fois, évitant soigneusement de croiser le regard de Qewiel. Aessa les libéra, et se tourna vers la petite Elfe en souriant de nouveau. Elle tenait toujours son chapeau entre ses mains, et elle sortit une bourse vide où elle fit glisser les pièces. La jeune fille rousse fut chargée de récupérer celles qui tombaient pour les faire entrer dans le petit sac qui se referma bientôt autour d'elles. C'était un gain intéressant, qui leur permettrait de payer les réparations du chariot si besoin, et la chambre à l'auberge si Brin n'arrivait pas à négocier la gratuité en échange de leur présence ce soir. Certains propriétaires acceptaient d'offrir le gîte et le couvert pour une nuit, si leurs clients ramenaient beaucoup de monde grâce à leur spectacle. La performance d'Aessa jouait en leur faveur, et il faudrait espérer que l'homme accepterait de les héberger.

- Tu as vu ce que j'ai fait avec le chapeau ? Demanda la musicienne distraitement. Le chapeau. Tu te souviens ?

Elle mima le geste qu'elle avait fait : passer dans les rangs en le tenant ouvert pour récolter les dons plus ou moins généreux des gens qui s'étaient rassemblés. Elle attendit que Qewiel eût compris, avant de lui dire :

- Ce soir, tu feras pareil. Ce soir. Tu tiendras le chapeau. Voilà, comme ça. Mais avant ça, va voir Iona. Demande-lui du savon. Savon. On va se laver dans la rivière. Je t'attends. Allez va.


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Le passé n'existe que si on le regarde EmptyMer 16 Sep 2015 - 0:15
Son regard était dur et moi je ne comprenais pas pourquoi. C'en était ainsi depuis que j'avais osé m'approcher de Cervan. Était-ce de la jalousie ? Ou désirait-il protéger ce cerf d'une potentielle menace que je pourrais représenter ? Je ne savais pas et, dans le fond, ne pouvant vraiment discuter avec lui j'étais loin d'être sûre que connaître la raison de ses regards m'aiderait à grand chose. Quoi qu'il en soit il finit par se retourner vers tout ce qui était extérieur au camp avant d'aller chercher quelque chose dans les affaires communes. Alors que je continuais à regarder au loin, scrutant l'horizon, il parla avec Aessa puis revint avec une torche enflammée. Sans rien dire je le laissais partir, me demandant si c'était une bonne idée de laisser les choses se faire ainsi. Aessa vint jusqu'à moi et me prit par les épaules, désirant me mettre plus à l'aise que je ne l'étais dans cette situation.

"Ne t'inquiète pas, il sait ce qu'il fait."

Je ne compris pas vraiment sa phrase, mais le ton rassurant qu'elle employa m'informa qu'elle avait confiance en May. Peut-être. Je ne le connaissais pas assez pour pouvoir en dire autant. Mais ce qui m'inquiétait le plus n'était pas lui, mais bien ce ressentiment qui me nouait le ventre et tirait les traits de mon visage. Un regard vers le cerf, et je me laissais emmener par l'humaine qui se fit un devoir de continuer mon apprentissage linguistique tout en essayant de me faire rire. Je souris plus que ne ris, un poids invisible pesant sur mon esprit jusqu'à ce que May ne revienne, à la fin du repas.

Tout en terminant ma soupe je le regardais s'asseoir et prendre son bol avec appétit, me jetant au passage un regard que je n'arrivais pas à décrypter avant de le baisser. J'étais rassurée qu'il revienne et, surtout, qu'il indique qu'il n'ait rien repéré. Mais quelque chose en moi ne voulait pas devenir tranquille... et je n'arrivais pas à comprendre pourquoi.

Le sommeil finit rapidement par me rappeler à lui et, après avoir aidé à laver et ranger les bols de soupe, je m'allongeais sur la couchette qui m'avait été attribuée, l'épée serrée dans mes bras. Je vis rapidement le cerf faire son apparition... puis mes yeux se fermèrent pour plusieurs heures.


Le lendemain fut pareil à la veille. Iona semblait toujours aussi peu à l'aise me concernant, Brin restait une sorte de chef pour le quatuor, May évitait mon regard tout comme les échanges langagiers et Aessa s'évertuait toujours à m'apprendre des mots et des structures de phrases. Déjà je commençais à comprendre à peu près des phrases simples, faisant des liens entre les mots et faisant attention à ce que la négation ait été employée ou non. Finalement, en prenant le temps d'apprendre des bases, cette langue non-elfique n'était pas si compliquée que cela... même si je remarquais avec tristesse qu'elle était tout aussi monotone que le quenya - voire même plus.

Arrivés en fin de journée, les différentes personnes de la charrette semblèrent être surprises d'arriver en vue d'un village, auprès d'un fleuve. Bonne nouvelle visiblement, même si je n'étais pas à même de comprendre que le fait d'avoir ajouté le cheval de Validna à l'autre pour la voiture avait vraiment fait avancer le voyage. Aessa se retourna alors vers moi, et m'indiqua de ne pas prendre mon épée dans le village. Je lui fis clairement comprendre que je ne m'en séparerai pas, aussi finit-elle par concéder le fait que je montrerai bien plus têtue que ce qu'elle avait pu comprendre de moi concernant cet objet. Cela l'étonna, mais elle ne me posa pas la même question que Validna, c'est-à-dire pourquoi je tenais tant à cette arme. Nous nous sommes donc mises d'accord : on enveloppa l'arme avec son fourreau ainsi que la dague de Validna dans du tissu et je garderai le tout dans ma main. C'est ce que je fis lorsque nous arrivâmes dans le village.

Il y avait du monde, plus que dans le premier dans lequel j'étais entré - celui de ceux qui m'avaient guérie. Aessa prit un chapeau un peu bizarre, avec des plumes dessus, et m'entraîna après avoir enfilé un autre couvre-chef sur ma tête, l'enfonçant jusqu'à mes oreilles. Elle rit en voyant ma tête et me fit venir avec elle parmi les adultes de ce village. Alors qu'elle prenait son instrument de musique et se mettait à chanter, je croisais le regard de May qui se tenait auprès de Cervan... il ne sembla pas trop apprécier qu'on m'ait mis un chapeau semblable au sien, au point que je me dis que j'avais peut-être eu le malheur d'avoir été décorée d'un habit lui appartenant. Je ne dis rien et faisais plutôt attention à Cervan : plus le temps avançait, plus quelque chose semblait ne pas aller, ne pas être de l'ordre du compréhensible. Que ce soit le comportement de May ou le fait que Cervan lui-même s'approchait tant des gens en général, je venais à douter que l'esprit du cerf m'ait réellement placée sur une route de confiance... alors quelle pouvait être son intention ? Les esprits avaient parfois de drôles de façons d'exprimer les choses...

Attirée par le bruit qui s'intensifiait non loin de moi, je finis par détourner mon regard pour m'étonner de ce qu'il se passait : les gens frappaient des mains, tapaient du pied et dansaient, garçons et filles alternés. La joie et le bonheur se lisaient sur leur visage... et moi je me rappelais les moments où nous dansions au sein du clan, que ce soit pour une occasion particulière ou juste pour accompagner le chant d'un frère. Un sourire nostalgique vint orner mon visage et le chant se termina. Je n'avais pas envie qu'il s'arrête. Aessa attrapa son chapeau à plumes et le retourna, de sorte à ce qu'en passant parmi la foule les gens puissent mettre ce qu'elle appelait des "pièces" dedans. Étrange tradition... en fait j'étais incapable de comprendre l'intérêt de ces petites choses, ayant toujours appris qu'un service s'échangeait contre un autre service. Tout était une question de bon sens et de volonté.

Par la suite, nous nous sommes rassemblés en un cercle, comme lorsqu'il était l'heure de manger. Iona parla la première, mais elle utilisa des mots inconnus à mon maigre répertoire pour que je puisse comprendre de quoi il était question. Les humains continuèrent à discuter rapidement puis se levèrent, sauf Aessa qui me sourit. Elle prit son chapeau ainsi qu'une bourse vide et entreprit de mettre les pièces dans cette bourse, me faisant signe de l'aider lorsque des pièces tombaient. Puis elle prit la parole, parlant avec des mots qu'elle m'avait pour la plupart enseignés.

"Tu as vu ce que j'ai fait avec le chapeau ? Le chapeau. Tu te souviens ?

Je la regardais ajouter des gestes à la parole, m'aidant à pleinement comprendre sa question. La fixant du regard je hochais positivement de la tête, ne voyant pour l'instant pas où elle voulait en venir.

- Ce soir, tu feras pareil. Ce soir. Tu tiendras le chapeau. Voilà, comme ça. Mais avant ça, va voir Iona. Demande-lui du savon. Savon. On va se laver dans la rivière. Je t'attends. Allez va.

Ah... il faudrait que j'aille passer parmi les gens avec le chapeau. Je fis signe que j'avais compris, mais j'avais peur de ne pas être si à l'aise que cela. Je n'étais pas du genre à beaucoup sourire en ce moment, je ne comprenais pas à quoi rimais cette histoire de pièces et je comprenais qu'Aessa faisait partie des gens qui "montraient". Elle devait savoir utiliser sa voix et son corps pour s'exprimer au mieux et arriver à égayer les cœurs, alors que ce n'était aucunement mon cas. Je me demandais sincèrement si elle comprenait que si je ne parvenais pas à faire d'efforts, que je n'allais pas l'aider dans sa tache. Mais je lui devais au moins ça, à elle ainsi qu'aux autres. Ils me rendaient un fier service en m'accueillant parmi eux et en échange il était de mon devoir de les aider lorsque faire ce peut. Alors je me levais et partit en direction de Iona, prenant encore mon grand bout de tissu dans mes bras. Elle ne sut pas trop comment se comporter en me voyant mais lorsqu'elle entendit mes quelques mots, elle sembla se détendre.

- Tu as... savon ?"

Elle haussa les épaules et alla chercher dans un sac le précieux savon qui nous permettrait d'être propres pour la soirée. Elle me le tendit du bout des doigts et je la remerciais, esquissant un sourire pour la mettre à l'aise - ce qui ne marcha pas trop. Je m'en retournais vers Aessa, regardant furtivement une dernière fois Iona par derrière mon épaule. J'avais l'impression qu'elle ne comprenait pas mon sourire, comme si je ne pouvais pas être sincère. Comme si tous les mots que j'apprenais et tous les efforts que je faisais pour les retenir et enclencher une discussion à peu près compréhensible n'était qu'un leurre. Cela ne m'aida pas à comprendre Cervan.

Je revins donc vers la musicienne, savon en main, et nous partîmes vers le fleuve. Nous nous arrêtâmes à un endroit où ne se trouvaient ni bêtes ni Humains, et nous entreprîmes de nous défaire de nos vêtements pour barboter dans l'eau douce. Avant de mettre les pieds dans l'eau, je m'arrêtais quelques instants, scrutant le moindre recoin de ce paysage si particulier à mes yeux : une étendue verte, des buissons, trop peu d'arbres et les quelques qui étaient là semblaient être bien trop droits pour être réels. Et, bien sûr, pas de marais. Tout était vert et marron, la nature arborant des couleurs bien plus vives que ce dans quoi j'avais grandi. Et l'eau était si bleue, transparente même, qu'elle donnait l'impression d'avoir été purifiée avant de venir couler jusqu'ici. Un paysage étrange, déroutant, mais fort beau. Aessa m'appela et je sortis de mes pensées. Mon corps avait besoin d'entrer en contact avec la douce eau et mes cheveux d'être complètement dépoussiérés de la route.

Arrivés au soir, les gens commencèrent à affluer vers la bâtisse où nous dormions pour la nuit. Tous venaient pour voir les différentes personnes présenter leurs voix et leurs savoirs et moi, les cheveux tombant de sorte à ce qu'on ne voit pas les pointes de mes oreilles, je me tenais tranquille dans un coin, ne perdant pas une seule partie de ce qui allait se passer là. Curieusement, je n'avais aucune arme sur moi - même pas mon bâton. J'avais fini par accepter de les laisser dans la chambre où j'étais, faisant tout de même attention qu'elles se trouvent dans un endroit non visible à première vue. J'attendais que la soirée festive commence, pouvant observer pour la première fois comment se passait une fête chez les Humains.
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Ryad Assad
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Le passé n'existe que si on le regarde EmptyVen 18 Sep 2015 - 18:20
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Iona était affairée à décharger les affaires du chariot, quand soudainement elle ressentit une présence derrière elle. Elle se retourna, et eut le déplaisir de voir que c'était l'Elfe mystérieuse qu'ils avaient ramassés en route. Elle tenait toujours ses armes avec elle, et la jeune femme frémit perceptiblement, incapable de contenir le dégoût que lui inspiraient les lames et ceux qui les portaient. Quand il s'agissait de militaires chargés d'assurer le maintien de l'ordre, elle se contentait simplement de les ignorer, mais il était beaucoup plus difficile de le faire lorsqu'il s'agissait d'une enfant qui dépendait d'eux en tout point, et qui refusait de lâcher ses instruments de mort. Pendant un instant, la femme crut qu'elle venait pour la violenter, et elle resta un instant interdite, debout dans le chariot, se demandant comment elle pouvait échapper au sort qui lui était promis. Mais finalement, il ne se passa rien de tel. Qewiel désirait seulement un peu de savon pour aller se laver, et elle venait sans doute de la part d'Aessa.

Iona se détendit légèrement, mais pas complètement. Elle laissait tomber une part de sa paranoïa, mais ne pouvait pas se défaire de la méfiance et de la crainte qu'elle éprouvait. Haussant les épaules sans daigner répondre, elle attrapa le savon et le tendit à la jeune Elfe, qui la remercia en souriant. Elle comprenait la tentative de cette dernière, qui essayait de se montrer amicale, mais faire preuve de courtoisie quand on n'était pas capable de lâcher une épée, c'était comme porter une jolie robe entièrement couverte de boue. On ne pouvait pas nier qu'il y avait un effort, mais il était ruiné en définitive, et il n'en ressortait qu'une impression de saleté et de crasse.

- De rien, lâcha la jeune femme entre ses dents.

Elle s'essuya le front, et regarda le chariot. Elle avait déchargé le plus gros, et puisque les filles étaient sur le point d'aller se laver quelque peu pour être présentables le soir venu, elle laisserait le soin à May de terminer le travail qu'il restait à faire. Il irait se décrasser avec Brin quand elles seraient propres et sèches. Empoignant des vêtements soigneusement pliés, elle mit pied à terre, et héla le gamin qui revenait en quête d'un autre sac à mettre à l'abri :

- May ! Je vais me laver, je te laisse continuer.

Il hocha la tête silencieusement, et grimpa dans le chariot avec une rare agilité. Il avait beau ne pas être très musclé, il n'en demeurait pas moins sec et nerveux, et Iona savait que c'était un redoutable coureur. A pied, elle n'avait jamais vu personne le rattraper. Surtout pas lorsqu'il courait dans les bois. Ils s'étaient amusés ainsi, un jour qu'il faisait beau. Ils s'étaient rendus en Ithilien, dans une zone proche de la demeure du Prince, parfaitement surveillée par les soldats. De blagues en taquineries, ils en étaient venus à se courir après en riant aux éclats. Brin avait attrapé les deux filles en quelques dizaines de secondes, mais il n'avait jamais réussi à mettre la main sur le plus jeune de leur compagnie. Sans forcer, sans jamais paraître aller au-delà de ses limites, il avait esquivé toutes les tentatives, et même l'aide conjuguée d'Aessa et de Iona n'avait pas permis de le coincer. Ils avaient dû capituler, et le supplier de revenir en lui promettant qu'ils n'allaient pas lui infliger de gage. Ils avaient menti, bien entendu, et quand il s'était approché de nouveau, ils l'avaient saisi en riant de plus belle, et l'avaient jeté dans la rivière la plus proche. Ce qu'ils avaient ri ce jour-là…

En parlant de fleuve, Iona venait d'y arriver. Elle repéra immédiatement les vêtements des deux filles qui se trouvaient un peu plus loin. Elles avaient choisi un coin à l'abri des regards, même s'il était encore trop exposé aux yeux de la jeune femme. Aessa n'était pas aussi prude, et elle ne se souciait pas trop que quelqu'un les épiât, tant que la personne en question restait à distance et ne venait pas les importuner. Iona, en revanche, tenait beaucoup plus à son intimité, et elle jugea le coin de baignade d'un œil critique, observant aux alentours que personne ne se trouvait là. Ne voyant pas la moindre silhouette, elle consentit enfin à quitter sa robe qui tomba mollement autour d'elle, dans l'herbe encore verte. Aessa, qui nageait à quelques mètres de là, la vit arriver et lui fit un grand signe de la main en criant :

- Viens, elle est bonne !

Iona en doutait un peu, et elle mit timidement le pied dans l'eau, pour constater qu'elle était un peu fraîche. Pas glacée, heureusement, sinon elle ne serait jamais rentrée dedans. Elle avança donc dans l'eau, protégeant sa pudeur de ses bras. C'était de toute évidence à cause de Qewiel, qui barbotait non loin, et qui la regardait avec curiosité. Ce n'était pas méchant, mais cela fit monter le rouge aux joues d'Iona, qui s'empressa de s'immerger, en dépit de la température de l'eau. Il fallait dire qu'elle ne ressemblait pas vraiment aux femmes que l'on pouvait rencontrer de part le monde. Elle était particulièrement mince, extrêmement fine sans être toutefois squelettique. En vérité, elle n'avait pas une once de graisse superflue, ce qui était la conséquence de leur mode de vie où ils n'avaient pas souvent l'occasion de manger convenablement. Mais ce qui surprenait surtout, c'était son aspect longiligne prononcé. Elle était relativement grande, c'était certain, mais cette impression se dégageait encore davantage quand on la voyait nue. Ses longues jambes et ses longs bras fuselés, son absence de formes véritables la grandissaient considérablement. Elle dénoua ses cheveux bruns, qui tombèrent dans l'eau comme un rideau sombre cascadant autour de son visage. Elle ne tarda pas à s'immerger totalement, avant de ressortir en s'essuyant le visage. Cela faisait un bien fou.

Qewiel se trouvait non loin, et elle paraissait absorbée dans sa contemplation de la beauté des lieux… à moins qu'elle ne fût plongée dans des pensées bien différentes, le regard dans le vague. Iona s'arrangea pour nager aussi loin d'elle qu'il était possible, comme si elle craignait qu'en s'approchant trop près de la jeune Elfe, cette dernière pût lui faire un quelconque mal. Pourtant, elle avait laissé son épée au bord de la rivière, et ne représentait pas une menace en cet instant. Les femmes se délassèrent donc paisiblement, échangeant à peine quelques mots, savourant le charme des lieux. Le courant les massait doucement, mais il n'était pas assez fort pour les emporter au loin, si bien qu'elles pouvaient se laisser aller à nager là où elles n'avaient pas pied si elles le désiraient. Puis vint le moment de passer à une toilette en règles, et Aessa attrapa un morceau de savon qu'elle utilisa pour se frictionner vigoureusement. Iona vint l'aider à nettoyer sa belle chevelure rousse, avant que la musicienne lui rendît la pareille. Elles étaient de toute évidence très complices, même si l'une était expansive et communicative, alors que l'autre paraissait être renfermée et timide. Elles se complétaient bien, dans un sens :

- Qewiel, approche, glissa Aessa en tendant le morceau de savon.

Avec la douceur d'une mère, elle lava soigneusement les cheveux de la petite Elfe, tout en la laissant se nettoyer par ailleurs. Une fois propres, elles quittèrent l'eau en frissonnant à cause du vent qui soufflait légèrement, et entreprirent de se sécher grâce à des morceaux de tissus qui feraient office de serviettes. Iona désigna à Qewiel une tunique qu'elle pourrait porter ce soir :

- C'est à ta taille, je pense…

C'était une tenue de spectacle, dont les couleurs étaient vives, conçues pour attirer le regard. C'était une petite robe très élégante, qui n'était pas de meilleure qualité, mais qui ne devait pas être portée souvent. On pouvait facilement se demander ce qu'elle faisait parmi leurs affaires, puisqu'il n'y avait pas de petite fille dans leur groupe. La seule personne qui pouvait rentrer dedans était sans conteste May, mais a priori il n'était pas du genre à se travestir…

- … A moins que nous laissions les garçons se laver pendant que nous installons la scène ? Ils en ont bien besoin !

Aessa rit à sa propre blague, et Iona la suivit avec plus de mesure, se contentant de pouffer timidement. Elle était d'ordinaire plus à l'aise, mais de toute évidence la proximité de Qewiel la perturbait. Sur le bord du cours d'eau, les trois femmes se séchèrent et s'habillèrent donc, avant de se coiffer et de se maquiller. Si Iona était parfaitement autonome, et qu'elle avait l'habitude de se faire belle, la petite Elfe paraissait un peu moins expérimentée en la matière. Malgré ses réticences, Aessa parvint à lui peigner les cheveux et à lui appliquer quelques fards sur le visage. Rien de trop choquant – car ils n'avaient que peu de matériel – mais assez pour rehausser son teint et mettre en valeur ses traits elfiques naturellement élégants. Le sourire de satisfaction de la musicienne trahissait le contentement qu'elle éprouvait à voir sa petite protégée ainsi maquillée, et elle la laissa aller observer son reflet dans l'eau claire et pure. Iona, pendant ce temps, prit Aessa à part, et lui souffla :

- Pourquoi est-ce que tu t'occupes d'elle à ce point ? Je te rappelle que nous avons nos propres responsabilités. Pourquoi accueillir une enfant armée avec nous ? Elle a peut-être tué des gens !

Elle parlait à voix basse, mais son inquiétude transparaissait tout de même. La musicienne sentit une ombre de tristesse passer sur son regard, et elle essaya de se faire rassurante, même si au fond de mauvais souvenirs venaient de remonter à la surface :

- On n'en sait rien, Iona… Elle a besoin de nous pour l'instant, et nous ne pouvons pas lui refuser notre aide. Et puis, qui sait si un jour elle ne rejoindra pas notre cause ? Elle a l'air jeune, mais vive. Quand elle pourra comprendre, je lui expliquerai…

- Et si elle ne veut pas ? Dois-je te rappeler que la dernière fois, nous n'avons pas vraiment fait recette. Personne n'a voulu nous écouter.

Aessa hocha la tête. Elle s'en souvenait très bien :

- Elle est différente, je le sens. Elle pourra comprendre. Et quand elle nous quittera, je suis persuadée qu'elle se souviendra un peu de nous, de ce que nous lui aurons appris. Toi aussi, tu dois y mettre du tien si tu veux qu'elle change.

Iona renifla de dédain, et mit à la conversation en tournant les talons, alors que Qewiel revenait. Le malaise flottait encore dans l'air, mais Aessa le dissipa bien vite avec un grand sourire et sa chaleur habituelle. Elle observa la petite Elfe, et lui dit :

- Tu es très jolie ! Viens avec moi !

Elle remit le bonnet sur la tête de Qewiel, comme pour empêcher qu'on remarquât qu'il s'agissait d'une immortelle, et elles prirent toutes trois la direction du village. En arrivant, elles firent signe aux garçons qu'ils pouvaient aller se laver à leur tour, et qu'elles prenaient le relais. Elles trouvèrent sans peine l'auberge, où le propriétaire les accueillit sympathiquement. De toute évidence, il était content d'avoir du monde ce soir, et la venue de cette troupe étrangère ne pouvait qu'être bonne pour les affaires. May et Brin avaient déjà installé ce qui servirait de scène, et il ne restait plus qu'à la décorer sommairement pour en faire un lieu parfait. Aessa amena des chaises pour les membres de la troupe, et fit disposer des chandeliers tout autour de l'estrade improvisée, où ils se produiraient. Ce n'était pas une simple représentation qu'ils faisaient chez dans une taverne où ils se chargeraient de distraire des clients trop occupés à négocier leurs propres affaires. Non. Leur arrivée était un véritable événement dans le village, et on avait décidé de se réunir autour de la compagnie pour organiser une grande fête. Les occasions de célébrer étaient rares, surtout dans la situation actuelle.

Iona avait laissé traîner l'oreille quelque peu, et elle avait appris que le Rohan souffrait d'une grande sécheresse. L'hiver avait dévasté les sols, et l'herbe ne poussait pas en quantité suffisante pour alimenter les troupeaux qui constituaient l'essentiel des réserves de nourriture des dresseurs de chevaux. On avait échappé à une terrible famine de justesse, mais les gens se rationnaient partout dans le pays, en attendant des jours meilleurs. Certains racontaient que les Nains avaient accepté de prêter main-forte au Roi en laissant les Rohirrim faire paître leur bétail sur le flanc des montagnes, mais beaucoup doutaient de la véracité de telles allégations. Il était notoire que les Naugrim étaient des gens secrets, qui ne partageaient guère avec les autres races. Pour la plupart des paysans en difficulté, ils ne croiraient à ces balivernes que lorsqu'ils verraient de petits hommes barbus venir leur demander de leur confier leurs bêtes. Alors seulement ils accepteraient d'accorder du crédit à ces fables.

Installer la scène ne fut pas très long, et les trois femmes purent se reposer un peu avant l'arrivée des premiers invités. Elles avaient dressé un épais tissu qui leur ménagerait un espace en coulisse par lequel ils pourraient arriver pour ménager leurs effets. Ce fut derrière celui-ci qu'elles se retrouvèrent, pour discuter un peu avant le retour des garçons, et le début de la soirée à proprement parler.

- Alors, Qewiel ? Ca va ?

Elle n'était pas capable de comprendre encore toutes les subtilités telles que l'impatience, qu'il était difficile d'expliquer avec des mots. Mais de toute évidence, elle était un peu perdue au milieu de toute cette organisation. Tout cela devait lui paraître très différent de ce dont elle avait l'habitude. Seul le sourire d'Aessa lui offrait une perspective rassurante, car Iona était elle-même concentrée sur son échauffement. Elle fit jouer les muscles de tout son corps avec une surprenante agilité, bougeant le cou pour le détendre, et le préparer à sa représentation. De toute évidence, sa grâce naturelle et la beauté de ses mouvements invitaient à penser qu'elle était danseuse. Une danseuse talentueuse qui devait se marier harmonieusement avec la musicienne aux airs tantôt enjoués, tantôt mélancoliques.

Une quinzaine de minutes plus tard, alors qu'elles sentaient le trac monter quelque peu, Brin et May arrivèrent par une porte dérobée, sans se faire voir du public donc. Le premier avait le sourire aux lèvres, et il paraissait très confiant. Le second, fermé comme à son habitude, jeta un regard glacial à Qewiel, avant de partir discuter avec Iona. L'homme à la barbe glissa avec un brin d'excitation :

- Il y a beaucoup de monde, j'ai l'impression que tout le village s'est déplacé ! S'ils sont généreux, on devrait pouvoir repartir avec quelques réserves avant d'arriver à destination. Faites tous de votre mieux ! Aessa, je te laisse ouvrir ? Iona, tu veux passer en premier ? Tu as l'air en forme !

Elle haussa les épaules avec un petit sourire, mais ne put s'empêcher de rougir légèrement. Les compliments la mettaient toujours mal à l'aise, surtout quand ils étaient énoncés d'une voix grave et belle, par un homme qui dégageait un certain charme. Brin prit sa réaction pour un « oui », et donna donc les consignes particulières à tout le monde pour la bonne tenue du spectacle. Il paraissait être un peu le chef de troupe, mais il semblait partager ce rôle avec Aessa, qui était son alter ego féminin, plus maternelle mais pas moins impliquée dans la décision. Elle se tourna vers Iona, et lui glissa :

- Je vais jouer quelques morceaux pour animer un peu tout ça. Ensuite, je t'appellerai. Qewiel ? Où es-tu ? Ah, te voilà… Ecoute-moi… Quand la musique s'arrête, quand j'arrête de jouer, je veux que tu passes dans les rangs avec le chapeau. Comme ça. Voilà. Tu passes, tu souris, et c'est tout. Pas besoin de leur parler. Voilà ma jolie, et surtout n'enlève pas ton bonnet, d'accord ?

Elle lui posa une main affectueuse sur la joue, sans forcément que le geste parût marquer une quelconque autorité ou une manière de rabaisser l'Elfe. C'était simplement un signe d'amitié dénué de toute connotation. Un geste que l'on avait rarement envers une inconnue. Aessa se tourna vers les autres, et leur fit un signe de tête. Attrapant sa mandoline fétiche, elle sortit des coulisses et déclencha immédiatement un tonnerre assourdissant d'applaudissements. De toute évidence, la salle était pleine à craquer, et le public très content d'être là. Dans la seconde, la musicienne se mit à jouer, et les applaudissements ne cessèrent pas, bien au contraire. Ils ne voyaient rien, mais ils entendirent distinctement les gens se mettre à danser, et le sol se mit à trembler au rythme des pas des convives qui devaient passer une excellente soirée à en juger par leurs vivats.

Derrière la scène, Qewiel se trouvait un peu désœuvrée et elle ne pouvait qu'observer les autres qui se préparaient. Mais soudainement, l'ambiance entre eux devint particulièrement sérieuse. Iona avait endossé un masque fermé, et elle faisait tourner ses bras comme une combattante prête à livrer un duel. Elle étira ses doigts, enfila des mitaines de cuir usées, qui ressemblaient à celles que portaient certains mercenaires. May, qui se trouvait non loin, jeta un coup d'œil autour de lui en approchant un objet assez volumineux, recouvert par un tissu. Il le déposa par terre précautionneusement, et regarda en regarda le contenu plusieurs fois, comme s'il craignait qu'il disparût. Mais le plus effrayant de tous était peut-être Brin. Il avait plongé la main dans son sac, et en avait retiré une longue lame qui avait l'air effilée. La jeune fille avait déjà eu l'occasion d'apercevoir ces lames, mais elle n'était plus en droit de se demander à qui elles appartenaient désormais. Il en attrapa une dans chaque main, et les fit tourner avec une dextérité inquiétante pour quelqu'un qui avait paru ne pas se sentir à l'aise auprès d'armes. Décidément, il y avait quelque chose de curieux chez ces gens… Est-ce qu'il n'était pas en train de se dérouler quelque chose sous les yeux de l'Elfe, sans qu'elle le vît venir ?


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Le passé n'existe que si on le regarde EmptyMer 14 Oct 2015 - 19:30
Rien ne serait plus comme avant. Rien ne recommencerait et rien ne serait ce que j'avais pu un jour imaginer. Désormais, seul comptait le présent et les associations entre les différents événements. Tout ce qui comptait, dans le fond, était survivre et tracer ma route dans les marais sauvages. C'était du moins ce à quoi je pensais, là assise dans les coulisses, en écoutant la musique. Elle me faisait penser à une chanson que mon père fredonnait régulièrement, souvent l'air pensif. Chanson qui racontait en sa langue natale le périple de neuf personnes qui suite à une promesse faite lors d'un conseil marchèrent un an durant jusqu'à réussir à détruire un anneau de pouvoir. L'un d'entre eux tomba pour ne plus jamais se relever, un autre sombra pour revenir plus fort qu'avant, et les autres se séparèrent tout en continuant à poursuivre la même quête. Et au final, avec les forces et les faiblesses de chacun, s'ils n'avaient pas fait ce qu'ils avaient fait alors ils n'auraient probablement pas pu tenir leur promesse. Ainsi était ma vie en cet instant : une quête, une promesse où les différentes parties de moi-même tombaient, se relevaient, s'affrontaient, s'entraidaient puis finalement avançaient.

La musique aidant, j'avais l'impression que j'étais dans l'une de ces histoires où il arrive plein de choses au personnage principal dont la quête est plus ou moins noble. Il se retrouve seul, il fait de nombreuses rencontres... Et moi j'en étais là, à découvrir différentes personnes sans pouvoir pleinement comprendre qui ils sont, ne serait-ce qu'à cause du langage. Validna, les cavaliers, May, Brin, Iona, Aessa... May, Brin et Iona se trouvant actuellement au même endroit que moi. Le premier que je regardais fut May, arrivé avec ce qui semblait être une cage recouverte d'un tissu. Moi qui ne savais aucunement ce qu'il se trouvait à l'intérieur, j'étais quelque peu intriguée. Cependant, mes pensées se tournaient bien plus vers le jeune homme que vers son instrument de spectacle : je me souvenais parfaitement que mon angoisse du dernier soir ne m'avait pas quittée jusqu'à ce que réussisse à me coucher, que son retour ne m'avait pas du tout apaisée. Contrairement à quand l'un des miens faisait l'éclaireur afin de vérifier que nous n'étions pas en danger. Et cela me donnait encore un arrière goût amère dans ma bouche, comme si je pouvais avoir un sixième sens plus développé que la normale... ce qui n'était normalement pas le cas. Enfin. C'était un sentiment que je n'arrivais pas à détacher de mon esprit.

Puis mon regard se déplaça jusqu'à Iona qui continuait à s'entrainer. Le masque qu'elle avait posé sur son visage ainsi que les sortes de gants en cuir qu'elle portait désormais sur ses mains me faisaient penser à des rites tribaux, au point que je me demandais qu'elle était la signification de ce qu'elle allait faire, si elle allait danser pour appeler les esprits sur cet endroit. J'avais bien envie de la regarder faire, même si elle devait certainement espérer que je ne le fasse pas. Je semblais toujours autant la gêner, même en ayant fait un gros effort pour ne pas garder mes armes sur moi. Je baissais les yeux un moment, réfléchissant à ce fait, tout en ayant une autre chanson qui me revenait en tête, toujours dans ma langue paternelle.

Mes longs cheveux roux tombaient devant mes yeux, ce qui ne m'empêcha pas de remarquer du mouvement sur ma gauche. Je levais alors la tête pour découvrir un Brin qui jouait avec deux épées, l'air concentré. Ma respiration s'arrêta en cet instant, mes yeux ne surent se détourner de la danse des lames. En fait, ils ne surent se détourner des images qui vinrent s’immiscer entre eux et Brin, images d'incompréhension, de peur ou de mort qui ne me laissaient jamais indifférente. Sous les peintures bizarres que m'avaient fait Aessa et Iona je devins très rapidement pâle, sans m'en rendre compte au départ. Ce n'est que lorsque le chef de la troupe s'arrêta, me regarda d'un air étonné puis me posa une question que je reviens à la réalité, réalisant alors ce qu'il se passait. Je ne su répondre. Alors je me levais tout en me collant contre le mur de bois, fixa une dernière fois de mes yeux les deux armes tranchantes et détalla vers le fond du couloir, de l'autre côté de là où se trouvait Brin. Il ne devait pas comprendre ma réaction, pas plus que les autres d'ailleurs. Tout comme je ne comprenais pas qu'il pouvait se servir de ce type d'armes pour autre chose que tuer et, surtout, que je ne comprenais pas comment il était venu à détenir ces armes-là...


Ne me donne pas l'amour, ne me donne pas la foi
Ni sagesse ni orgueil, donne-moi plutôt l'innocence
Ne me donne pas l'amour, j'ai eu ma part
Ni beauté ni repos, donne-moi plutôt la vérité

Un corbeau vola vers moi, conservant ses distances
Tel une fière création
J'ai vu son âme, envié sa fierté
Mais nul besoin de ce qu'il avait

Un hibou vint à moi, vieux et sage
A transpercé ma jeunesse de part en part
J'ai appris ses manières, envié son sens
Mais nul besoin de ce qu'il avait...

C'était le début de la chanson, du moins sa traduction. C'en était ainsi toute la chanson : l'histoire d'une personne disant à son père de ne plus essayer de lui donner d'amour mais, au contraire, de lui dire la vérité... qu'elle avait beau rencontrer des personnes aux nombreuses qualités, que ce qui lui avait réellement manqué était cet amour qu'il n'avait su lui donner, sa présence à lui. Une chanson s'inscrivant dans une bien triste histoire. Et moi, recroquevillée dans un coin, je me rappelais les paroles de cet air qui se répétait infiniment dans ma tête. Oh je n'étais pas loin de là où se trouvaient les trois humains, j'étais juste à un endroit qui n'était pas dans leur champ de vision. J'entendais tout, de la musique aux chuchotements - sans pour autant les comprendre. Mais je m'en fichais. Tout ce dont j'avais envie était d'oublier, de passer à autre chose, de vivre l'instant présent sans avoir à prendre en compte le passé. Je ne voulais pas que le fantôme de mon père me suive.

"Qewiel ?

Je relevais la tête et braqua un regard noir sur celui qui était venu me chercher. Il se passa un instant pendant lequel nous restâmes tous les deux à nous regarder, puis je baissais à nouveau la tête. Je n'avais pas à le regarder ainsi. Il ne m'avait rien fait. Il avait juste causé une mauvaise réaction chez moi en sortant ses armes d'acier. Le silence s'étant installé entre nous, je soupirais et répondit à ce qui me semblait être sa question de tout à l'heure.

-Ca va..."

Je relevais un peu les yeux, afin de le regarder sans malveillance ou autre. Visiblement ça allait bientôt être à leur tour ou au mien d'entrer en scène. Je me relevais donc, mes yeux droit dans les siens, attendant une explication, une directive, un mot, un signe ou que sais-je.
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Ryad Assad
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Le passé n'existe que si on le regarde EmptyMar 20 Oct 2015 - 11:10
Le passé n'existe que si on le regarde Brin_310

La réaction de Qewiel, pour surprenante qu'elle parût à Brin, ne le poussa pas à la pourchasser comme un prédateur se lance à la poursuite d'une proie. Il aurait pu s'élancer après elle, et ses longues jambes lui auraient facilement permis de la rattraper dans ces lignes droites où elle n'avait aucun moyen de se dérober. Mais il n'était pas utile de l'effrayer encore davantage, alors qu'il avait lu dans son regard le malaise profond que lui inspiraient les lames qu'il avait pu sortir. Comment était-ce possible, alors qu'elle-même faisait bien attention de ne pas sortir sans porter de quoi se défendre ? Etait-ce parce qu'elle n'était pas elle-même armée, et qu'elle craignait de se retrouver coincée si combat il devait y avoir ? Comment le dire ? Brin tendit l'oreille pour capter la mélodie jouée par Aessa. Depuis le temps qu'ils se connaissaient, il avait enregistré son répertoire musical, et il savait qu'il avait encore un peu de temps avant qu'elle ne l'appelât. D'une voix puissante, il ordonna :

- Iona, reste concentrée. Tu iras le moment venu. May, tu passeras dans les rangs avec le chapeau. Je vais trouver la petite.

Brin ne s'était pas montré particulièrement chaleureux avec Qewiel, comme Aessa avait pu l'être, mais il n'était pas non plus excessivement distant. Normal, pouvait-on dire, il était des trois le plus à même de rassurer la jeune fille, même si pour cela il devait abandonner ses deux lames derrière lui. Les mains vides, il prit la même direction qu'elle d'un pas mesuré, pour ne pas lui donner davantage de raisons de paniquer. Il ne comprenait toujours pas pourquoi elle avait fui, surtout qu'il lui avait demandé d'une voix qu'il voulait apaisante si elle savait de quoi il s'agissait, en pensant aux deux lames. Soit elle n'avait pas compris la question, ce qui était le plus probable – il oubliait encore qu'elle ne parlait qu'à peine le Westron, et qu'elle était de fait un peu perdue quand on n'abordait pas des thèmes du quotidien –, soit elle avait au contraire très bien compris sa question, mais s'était méprise sur le sens qu'il voulait lui donner. Il n'avait pas pensé à mal, et il devait maintenant rattraper sa bêtise. Si Qewiel s'était enfuie, Aessa lui passerait un savon, et ils s'engueuleraient toute la nuit pour qu'il finît par admettre qu'elle avait raison, qu'il avait tort, et qu'il avait encore merdé. C'était toujours comme ça que ça se terminait, sauf quand il arrivait à faire jouer son charme sur elle, pour neutraliser ses arguments de manière déloyale.

Mais ce n'était pas une petite broutille insignifiante, comme « qui a oublié de payer l'aubergiste ? », et elle ne le laisserait pas s'en tirer à si bon compte. D'une manière ou d'une autre, il devait mettre la main sur la jeune fille, et la ramener saine et sauve. Marchant à pas feutrés, Brin finit par découvrir l'endroit où la petite Elfe s'était cachée. Le bonnet toujours vissé sur la tête, les cheveux roux s'en échappant en mèches rebelles, elle lui tira un sourire attendri. Elle lui ressemblait beaucoup, par bien des aspects. Leurs caractères étaient différents, mais néanmoins assez semblables. Mystérieux, difficiles à cerner pour de simples humains, ils réagissaient de manière incompréhensible, répondant à une logique qui n'appartenait qu'à eux. Leur jeunesse et leur inexpérience, couplée à la peur du moindre danger les poussaient sans doute à se préserver, à faire attention à tout et à tout le monde. Recroquevillée dans un coin comme si elle pouvait disparaître dans les ombres, elle était là. Elle n'avait même pas pris la peine de fuir très loin, consciente sans doute qu'au dehors, la nuit glaciale s'était emparée du pays, et qu'elle y serait encore moins en sécurité.

A moins que ce ne fût autre chose ? Fuyait-elle un autre danger que le froid et l'obscurité ? Quelqu'un était-il à ses trousses pour qu'elle demeurât avec eux ainsi ? Elle n'avait pas paru traquée quand ils l'avaient rencontrée, mais il était vrai qu'ils ne lui avaient jamais posé la question. Brin avait identifié sa réaction car il avait déjà eu l'occasion de voir des gens saisis par la peur, et en règle générale, ils fuyaient le plus loin possible, sans se retourner, sauf quand ils savaient que là où ils fuyaient se trouvait un danger plus grand encore. De sombres souvenirs remontèrent à la surface, mais il les étouffa. Il n'avait pas envie ni besoin d'y penser maintenant. Calmement, il prononça le prénom de la jeune Elfe, en levant les mains pour lui montrer qu'il n'était pas armé. Elle le dévisagea un long moment, et il se laissa examiner sans sourciller. Il n'avait pas particulièrement envie de baisser les yeux devant elle, premièrement, mais surtout son regard n'était pas inquisiteur ou agressif. Elle était simplement confuse, et quelque part un peu honteuse. Elle finit par lui dire que ça allait, avant de se relever. Parfait.

Brin aurait pu chercher à en savoir plus sur l'origine de son trouble, mais dans leur petite troupe ils avaient convenu d'un commun accord qui n'avait jamais été formulé et jamais signé que personne n'était obligé de parler de son passé s'il n'en avait pas envie. Dès lors, il respecta la vie personnelle de Qewiel, et l'invita seulement à rejoindre les loges en soufflant :

- La musique ne s'est pas arrêtée, dépêchons-nous.

Ils retrouvèrent les deux autres peu avant la fin de la mélodie. Iona était dans sa bulle, incapable de voir autre chose que le trac qui lui nouait l'estomac. Elle s'échauffait consciencieusement, avec beaucoup d'application. May, lui, jeta un regard indéchiffrable à Qewiel, comme s'il n'était pas particulièrement satisfait de la voir revenir. Ou bien comme s'il était un peu blessé par sa réaction. Blessé ou surpris ? Surpris ou curieux ? Difficile à dire, tant le mélange de sentiments qu'on lisait dans son regard était complexe à cerner. Il ne dit pas un mot, mais lança le chapeau à la préposée qui le réceptionna. Brin lui posa une main dans le dos, et la poussa légèrement en avant, en dehors de la loge, pile au moment où la musique finissait. Cette plongée dans le grand bain, tout à fait inattendue, mit Qewiel face à une véritable marée humaine. En face d'elle, l'auberge était remplie à craquer, et il y avait facilement une centaine de personnes, voire davantage. Tous plus grands qu'elle, tous particulièrement heureux et joyeux. Certains achevaient de danser avec les dernières notes d'Aessa qui, sur la petite scène improvisée qui surplombait l'assistance, s'inclinait sous les vivats, un immense sourire aux lèvres.

Elle avisa du coin de l'œil la petite rousse qui passait dans les rangs, et fut rassurée de voir qu'elle s'y prenait bien. La tâche était simple, et incroyablement impersonnelle. Il suffisait de passer devant les gens, en tendant le chapeau ouvert, et de les laisser y glisser des pièces à leur convenance. Quelques uns laissèrent échapper une partie de leur bourse, mais bien d'autres attendaient la suite du spectacle pour voir. Ce n'était pas grave. Qewiel aurait le temps de repasser. La pauvre avait l'air un peu mal à l'aise, comme si c'était la première fois qu'elle se retrouvait face à tant de gens en même temps. Il fallait dire qu'ils étaient particulièrement bruyants, quelques uns étaient déjà légèrement avinés, et ils frémissaient d'impatience à peine contenue. On pouvait sentir la pulsation de la foule, et passer au milieu d'eux ressemblait fort à essayer d'arracher un peu de nourriture à une horde de prédateurs affamés. Ils étaient venus pour consommer du spectacle, de la boisson, et il était parfois difficile de savoir sur lequel des deux les attirait le plus ce soir.

Alors que Qewiel continuait son tour, arrivant à peine à la moitié de la salle, Aessa reprit son instrument, et entreprit de jouer un air beaucoup plus calme, qui ramena presque immédiatement le silence dans l'assistance. Le pouvoir de sa mélodie était absolument fantastique, et elle était capable de plier à sa volonté un village entier, par la seule force de ses dix doigts qui couraient légèrement sur les cordes. Que se serait-il passé si elle avait voulu les exhorter à prendre les armes et à se battre ? Non, elle n'était pas du genre à faire ça. Son sourire était trop franc. Elle ne pouvait pas être de ce genre-là. Alors que le public se balançait doucement, hochant la tête au rythme imposé par la musicienne, Iona fit son apparition. Elle était sortie de nulle part, dans sa superbe robe blanche qui donnait l'impression qu'elle resplendissait au milieu de la salle baignée dans une pénombre bienvenue. Avant que quiconque eût repéré sa présence, elle dansait déjà. Elle ne faisait que ça. Son corps n'était plus une masse articulée, rigide, une machinerie complexe. Elle n'était qu'une brindille agitée par un souffle de vent, aussi gracieuse que les branches d'un arbre oscillant tranquillement dans une brise printanière. Aucun mot ne pouvait exprimer convenablement quelle beauté était la sienne. Elle n'était pas sur l'estrade, et dansa en suivant le même chemin que Qewiel, passant le plus près possible de la foule qui se tordait le cou pour la suivre du regard. Cette fois, ils avaient complètement oublié Aessa, et leurs yeux étaient rivés sur la froide magnificence de la danseuse.

Elle ondulait au rythme de la musique comme un serpent sorti de son panier, bougeant comme aucune femme de l'Ouest n'avait appris à le faire. Personne ne dansait de la sorte au Rohan où ils se trouvaient, et son exotisme associé à son charme naturel stupéfièrent le public demeuré coi. Elle était de toute évidence empreinte des influences du Sud, du lointain Harad et de ses danseuses enivrantes de sensualité et d'érotisme. Une sensualité non vulgaire, un érotisme particulièrement pudique. Elle n'affichait pas son corps, mais le suggérait, et les tissus qui paraissaient peiner à suivre ses mouvements n'en dévoilaient jamais plus que nécessaire. Les hommes étaient subjugués autant que les femmes, cela dit, et personne ne trouvait rien à redire à cette prestation tout simplement magique.

Iona, qui était comme en transe, arriva finalement auprès de Qewiel, qui avait pu observer, comme les autres, la danse spectaculaire. La jeune femme passa auprès d'elle, se tenant plus proche qu'elle ne l'avait jamais été pendant leur voyage. Quand elle dansait, elle oubliait absolument tout, même la crainte et le malaise qu'elle pouvait éprouver. Son corps effleura celui de la petite Elfe, lui transmettant une sorte d'énergie difficile à cerner. Cela ne dura qu'un bref instant, mais la petite rousse put sentir toute la puissance et la maîtrise de la danseuse, qui continuait son ballet. Curieusement, depuis qu'elle était apparue, plus personne n'était en mesure de donner des pièces, car personne ne semblait prêter attention au chapeau. Qewiel se retrouva donc malgré elle dans le public, à observer la prestation de Iona.

Sitôt que la danseuse eût terminé son tour, elle grimpa avec souplesse sur l'estrade, sans cesser de tourner sur elle-même. Elle leva une jambe, et pencha le corps en arrière avec une lenteur surnaturelle. Son dos aurait dû craquer, mais il n'en fut rien, et elle posa les mains au sol, avant de faire un pont magnifique avec son corps. Elle était d'une beauté à couper le souffle, et son visage ne trahissait pas la moindre marque d'effort, alors que ce qu'elle réalisait était prodigieusement difficile. Elle décolla la deuxième jambe du sol, et se retrouva bientôt en équilibre sur les mains, sous le regard ébahi de l'assistance. Gracieuse, elle commença à se contorsionner comme un serpent, son corps prenant peu à peu des positions improbables. Allongée sur le ventre, elle parvint à placer ses pieds au sol, de chaque côté de sa tête, avant de se relever sans la moindre difficulté. La contorsion pouvait paraître douloureuse, et on voyait souvent des gens frémir dans le public, mais elle avait magnifié cet art pour le rendre captivant, envoûtant, si bien qu'il était difficile de détourner le regard.

Elle continua à s'exprimer sur scène sans qu'il fût possible à quiconque de dire combien de temps s'était écoulé depuis qu'elle avait fait son apparition. Il semblait s'être écoulé des heures. Elle continua de danser jusqu'au bout, avant de disparaître derrière le rideau des loges, accompagnée par le chuchotement de la musique qu'Aessa achevait. Qewiel fut surprise par le tonnerre d'applaudissements et de cris qui suivit la seconde que mirent les gens à retrouver leurs esprits. Elle était si proche que les cris, les acclamations et les vivats lui arrivèrent droit dans les oreilles. Elle n'eût même pas à se déplacer car beaucoup vinrent d'eux-mêmes pour lui tendre quelques pièces, absolument enthousiasmés par la prestation. Entourée par autant de personnes, la petite Elfe fut un peu bousculée – involontairement, naturellement – mais elle parvint miraculeusement à garder son bonnet sur sa tête.

Elle regagna les loges quelques instants après Iona, tandis qu'Aessa reprenait une musique un peu plus enlevée, pour permettre au public de se défouler. La danseuse, qui avait semblé maîtriser de bout en bout sa performance incroyable, était assise sur une chaise, épuisée. Elle avait tout donné, et elle était maintenant en nage, incapable même de terminer son verre d'eau tant sa main tremblait. May était à ses côtés, en train de lui murmurer quelque chose à l'oreille. Elle hocha la tête, inspira profondément pour essayer de calmer les battements de son cœur. Elle leva les yeux vers Qewiel, qui la dévisageait, mais elle paraissait incapable de la reconnaître pour le moment. D'ordinaire, elle aurait détourné le regard, ou bien une moue dégoûtée serait apparue sur son visage, mais là il n'y eut rien. Pas un sourire, pas un froncement de sourcils. Elle était seulement occupée à récupérer. Elle ôta ses gants, qui lui avaient bien servi dans ses exercices de contorsion, et fit de son mieux pour terminer son verre, que May s'empressa de lui remplir sitôt qu'elle l'eût fini.

Brin observait la scène tout en écoutant la musique. Ce n'était qu'un intermède, et il était le prochain à devoir entrer en scène, mais il allait avoir besoin de May à ses côtés, et il ne pouvait pas vraiment laisser Iona seule dans cet état, question de sécurité. Il s'approcha donc de Qewiel, et lui souffla :

- Qewiel ? Tiens, donne-moi le chapeau pour le moment. Est-ce que tu peux t'occuper de Iona ? Euh… Rester avec elle. Voir si elle va bien. Tu comprends ?

La formulation n'était peut-être pas limpide, mais l'idée générale était là. Dès qu'il fût certain qu'elle avait compris le message, il appela May pour lui parler à part, et préparer la suite du spectacle. La musique s'arrêta bientôt, et ils entrèrent en scène sous de nouveaux applaudissements avec un sac de matériel que le plus jeune des deux portait. Iona et Qewiel se retrouvèrent donc seules dans les loges. La seconde s'approcha de la première, et constata immédiatement que quelque chose n'allait pas chez la danseuse. Elle était en larmes…


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Le passé n'existe que si on le regarde EmptyVen 25 Déc 2015 - 17:22
Le chapeau, à nouveau. Je n'eus pas le temps de me remettre dans mon rôle de fille qui passerait avec cet instrument pour ramasser je ne sais quoi de visiblement important pour les autres que déjà une main me faisait avancer vers le lieu où se trouvait Aessa. Quelques pas, seulement, et c'était comme si une autre réalité s'était ouverte à moi : une foule de gens comme il était rare d'en voir, tous en train de danser. Ils riaient, avaient le sourire au lèvre. Cela me rappela automatiquement certains épisodes de ma vie, où tout le clan s'était rassemblé pour des événements heureux. Là seule la musique leur faisait cet effet, il n'y avait pas besoin d'un événement particulier comme la naissance d'un enfant ou l'entrée dans la vie adulte d'une personne. Ou peut-être la musique elle-même était-elle considérée comme un événement à part entière ? Possible. Ce n'était pas mon peuple ; ce n'était pas mon monde.

Aessa, plus souriante que jamais, s'inclina devant les spectateurs, geste que je ne compris pas. Elle n'était ni devant un sage ni devant un chef, à moins que... ? Non, personne ne semblait l'être. Ou peut-être considérait-elle les autres comme étant les maîtres de la soirée. Encore une tradition que je ne comprenais pas, au final. Tant pis. Je finis pas repenser à ma tache et descendit de l'estrade pour demander en silence ce que les gens possédaient. Le chapeau à l'envers signifiait juste cela, l'échange d'un service contre un cercle plus ou moins bien fait en métal. Beaucoup donnèrent, certains gardaient les yeux rivés sur la musicienne. Alors que mes pieds dansaient comme si je me retrouvais à marcher au milieu de racines vivantes, je me rendis compte que les gens ne me prenaient pas pour une enfant ; c'était comme si j'étais un fantôme sans importance passant avec un chapeau. Ce qui n'était pas plus mal dans le fond, quoique curieux. Cette drôle d'impression en tête, je me faufilais à travers les personnes tout en tenant fermement le couvre-chef. Ils avaient tous leur taille d'adulte, contrairement à moi, aussi ce n'était pas si simple...

Puis la musique revint, l'air cette fois-ci différent. Je me demandais un instant si c'était normal que je n'ai pas terminé avant de reprendre le cours de la file. Quelques uns continuèrent à déposer des pièces puis plus rien. Je relevais la tête et remarqua qu'ils suivaient tous des yeux quelque chose. Plus personne ne parlait, seule la musique et ce qui était en mouvement comptait. Je me mis sur la pointe des pieds pour essayer de voir aussi et, après quelques contorsions, réussis à entrapercevoir la dame habillée de blanc passer telle la brise fraîche du matin à travers les lignes qui s'étaient plus ou moins volontairement formées. Iona. Lorsqu'elle se rapprocha - il était devenu inutile que je continue mon chemin - je ne pu m'empêcher d'avoir un sourire : elle était belle ainsi, concentrée sur une danse qui avait à mes yeux tout un côté mystique. Elle me frôla, ne réagit pas à ma présence. Cela changeait du comportement qu'elle avait d'habitude à mon égard. C'en était presque mieux, la méfiance n'existant aucunement à ce moment précis. Je la laissais passer et attendis, admirant son numéro jusqu'au bout, jusqu'à ce qu'elle soit passée à travers le rideau. Alors les habitants du village se réveillèrent et tous ceux qui étaient à portée de vue se ruèrent vers moi affin d'apporter une pièce au chapeau. Bousculée, j'eus du mal à et tenir debout, et garder le vêtement en main, et ne pas être décoiffée. Parce qu'il valait mieux que je fasse attention à ce qu'on ne découvre pas mes oreilles... la dernière fois que je m'étais approchée de gens comme ça, j'avais perdu une protectrice et d'autres avaient dû avoir des problèmes. Juste parce que j'étais là.

Enfin de retour derrière le rideau, je m'appuyais dos contre le mur et respirais. C'était épuisant de porter un chapeau... D'ailleurs, j'enlevais celui qui était sur ma tête ; devenu complètement bancal, il me gênait plus qu'autre chose. Mes cheveux roux retombèrent devant mes yeux, décoiffés, et mes oreilles pointues respiraient enfin l'air libre. C'était mieux ainsi. Je finis par relever la tête et regardais Iona, assise tremblante sur une chaise. Ses yeux croisèrent les miens, mais elle ne sembla pas se rendre compte que c'était moi qui était en face d'elle. May était auprès d'elle, il lui tendit un verre d'eau et lui parla à l'oreille. Elle hocha la tête, termina son verre et il le lui remplit à nouveau. Une autre musique retentissait dans la pièce d'à côté. Brin semblait vouloir être le prochain à passer de l'autre côté.

"Qewiel ? Tiens, donne-moi le chapeau pour le moment. Est-ce que tu peux t'occuper de Iona ? Euh… Rester avec elle. Voir si elle va bien. Tu comprends ?"

Je réfléchis un instant et fit un signe de la tête, comme ils en avaient l'habitude, pour montrer que j'avais effectivement compris. Donner le chapeau. Veiller sur Iona. Je lui tendis le morceau de tissu plein de pièces inutiles et laissais les deux hommes sortir avec un certain sac que j'avais déjà aperçu. La musique se tut. Je ne dis rien, temps que May et Brin soient de l'autre côté et commencent à montrer leurs capacités plus ou moins artistiques. Je remis mes cheveux à peu près en ordre et regardais Iona : elle tremblait toujours et, chose curieuse, elle pleurait. Aïe... qu'est-ce que je devais faire ? La rassurer ? Avait-elle seulement mal ou bien étaient-ce les mots de May qui avaient causé ces larmes ? Je n'en savais rien. Et je ne maîtrisais pas assez leur langue pour prononcer les bons mots. De plus, j'hésitais à réagir comme n'importe quelle personne de mon clan l'aurait fait à cause de la méfiance que l'humaine semblait me porter. Quelques longues secondes passèrent donc avant que je ne me décide à l'approcher, doucement. Elle se comportait comme une proie chétive, aussi je faisais en sorte de ne pas me comporter comme un prédateur. Inutile d'augmenter la méfiance qu'elle me portait. Je m'assis en tailleur devant elle et prit calmement le verre avant qu'elle ne le fasse tomber ou que l'eau soit renversée. Au même moment, je réfléchissais...

Cela vint tout seul, sans que je n'ai plus à y penser qu'il ne fallait. Je me mis à chanter, doucement, juste pour qu'elle entende. C'était une chanson de repos, aidant à retrouver un calme intérieur après un effort. Elle était ce qu'il fallait en une telle situation. L'air était doux, les mots étaient le rythme de la chanson. Les mots faisaient tout et, même si Iona ne les comprenait pas, j'étais persuadée qu'il suffisait de croire en eux pour qu'ils fassent effet. Alternant l’aigu et le grave, le lent et le rapide, le doux et le ferme, les vers se suivaient sans que la musique extérieure ne les gêne. Mon esprit revoyait la beauté de ce qu'avait fait la danseuse lorsque les mots venaient à parler de l'effort fourni et, sans m'en rendre compte, la chanson me prenait toute entière. Je crois bien que je ne me rendais plus compte de comment je chantais. Au même titre que je ne me suis pas rendue compte que j'avais pris ses mains après avoir posé le verre sur le plancher. Combien de temps se passa-t-il ? Celui de la chanson, c'était tout ce que je pouvais dire. Puis ma voix s'éteint. Iona avait arrêté de pleurer et je ne la sentais plus trembler. Je fis un petit sourire et, me rendant compte que mes mains étaient sur les siennes, les enleva. Tout en me relevant, je lui rendis son verre d'eau puis m'éloigna. Qu'allait-elle dire, penser maintenant ? Je n'étais déjà plus sûre d'avoir fait le bon choix, même si une fois de plus je pouvais constater le pouvoir des chants.
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Ryad Assad
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Le passé n'existe que si on le regarde EmptyLun 28 Déc 2015 - 19:41
Le passé n'existe que si on le regarde Iona10

La danseuse était dans un état second, curieusement agitée de légers tremblements qui semblaient ne pas vouloir se calmer. La tête dans les mains, de grosses larmes coulant le long de ses joues, elle sanglotait comme une enfant, sans qu'il fût possible de dire avec certitude quelle était la raison de son trouble. Et, apparemment oppressée, elle répétait en boucle la même phrase, comme pour essayer de se rassurer :

- « Sans fonction, point d'existence et sans ordre, point de fonction. »

Encore et encore, elle murmurait cela, à l'instar d'une incantation destinée à la protéger des démons ressurgis de son passé. La pauvre semblait si fragile, telle un verre en cristal en équilibre instable, qui menaçait à tout moment de basculer dans le vide et de se briser en mille morceaux. Au fond de son esprit, ses pensées se bousculaient, l'une venant chasser l'autre trop rapidement pour qu'elle pût les saisir au vol, et se donner le temps de les attraper. Elle se remémora des choses qu'elle avait vues, des choses qu'elle avait faites, et des choses qu'elle avait subies. Elle songea à tout ce qu'elle avait abandonné derrière elle. Elle pensa à Brin. Il était si gentil avec elle, et elle craignait tant de le perdre. Elle pensa à May, Aessa, à leur caravane, à leur vie, au Gondor, à la fin des temps, à la mort, au chaos, à l'Ordre, à un livre, à un couple enlacé, à mille lames venues du Sud, à la guerre, à la passion, à la destruction… Elle reprit son souffle…

Qewiel avait vraiment une jolie voix.

Iona s'en fit la réflexion machinalement, sans vraiment y penser, alors qu'elle était subjuguée par le chant doux et apaisant de la jeune Elfe. Elle ne s'y attendait pas. Pas du tout. A l'issue de sa prestation, qui l'avait laissée profondément affectée comme souvent, elle avait senti la présence de May à ses côtés, qui avait soudainement disparu pour passer sur scène. Et puis, quelques secondes, quelques minutes ou quelques heures plus tard – elle avait tellement perdu la notion du temps qu'elle était incapable de le dire – elle avait ressenti une autre présence. Qewiel s'était installée en face d'elle, et lui avait enlevé le verre des mains, avant de se mettre à fredonner une chanson dans sa langue. Iona n'en comprenait pas le moindre mot, mais les sonorités élégantes et mélodieuses glissaient dans son esprit, et elle avait senti brusquement ses larmes cesser de couler, alors que son émoi cédait la place à une stupéfaction tout sauf naturelle.

L'épisode avait avait duré une éternité, dans la petite bulle qu'elles s'étaient construites toutes les deux. Dans cet univers de chant et de poésie qui était le leur, il n'y avait pas de place pour les larmes et les tourments du monde extérieur. Tout était bien plus beau, bien plus pur, bien plus merveilleux. Iona ignorait de quoi parlait ce chant, mais elle le sentait l'appeler vers un autre monde, vers une existence toute différente. Vers une existence qu'elle aurait pu avoir. Elle ferma les yeux, rabattant délicatement ses paupières sur ses dernières larmes qui coulèrent silencieusement le long de ses joues, et vit. Une scène surréaliste se jouait dans son esprit. Une femme grande et belle, qui marchait dans un palais superbe, frappé par les rayons d'un chaud soleil d'été. Elle montait les marches blanches avec une grâce ineffable, et était accueillie à leur sommet par un homme très beau, qui lui tendait la main. L'arbre sans feuilles que présentait sa poitrine resplendissait comme s'il était une flamme brûlante au milieu d'un océan de ténèbres. Tel un phare, il appelait la jeune femme, l'invitait à le rejoindre. Il criait son nom. La femme, cependant, s'immobilisa au milieu des marches. Elle se retourna, mais son visage était vide. Pas d'yeux, pas de nez, pas de bouche. Rien. Un grand vide, absolument effrayant. La chanson s'arrêta, et Qewiel relâcha les mains de la danseuse, qui n'avait même pas senti qu'elle les lui prenait.

Iona mit une seconde à revenir sur Arda. Elle cligna des yeux à plusieurs reprises, comme si elle émergeait d'un profond sommeil, et lorsqu'elle retrouva conscience de ce qui l'entourait, elle se leva brutalement en sifflant :

- Magie ! Sorcière !

Elle n'avait pas haussé la voix suffisamment pour interrompre le spectacle ou alerter les autres, qui continuaient à divertir la foule. Heureusement, car à entendre les silences puis les cris de la foule, Brin devait arriver au clou de son spectacle. Elle l'imaginait très bien, pour l'avoir déjà vu faire à de nombreuses reprises, se tourner vers le public en présentant une mine faussement inquiète, avant d'armer son bras et de lancer adroitement un couteau qui allait se figer juste à côté de la tête du pauvre May, la victime toute désignée pour ce genre d'exercices périlleux. Le pauvre n'osait jamais se plaindre, et il faisait toujours preuve de beaucoup trop de gentillesse envers autrui. En dépit de son manque flagrant de courage, il acceptait inexplicablement de rester bien sagement en place si on le lui disait. Jusqu'à présent, Brin n'avait jamais raté son coup, même si une fois qu'il avait un peu trop tiré sur la boisson, il avait failli arracher l'oreille du pauvre gamin en présumant trop de ses capacités. Aessa lui avait fait de sévères remontrances, au point qu'il avait dû faire de nombreux efforts pour se faire pardonner. Elle avait accepté ses excuses, mais depuis lors elle n'avait plus jamais laissé Brin toucher à une bouteille d'alcool avant de se lancer dans un spectacle. Lui-même s'était rendu compte de ce qu'il avait failli faire, et il s'était promis de ne plus faire n'importe quoi.

Iona était quelque part effrayée de les savoir tous les trois sur scène en cet instant, pendant qu'elle était seule dans les loges avec Qewiel, qu'elle croyait sincèrement être dotée de pouvoirs magiques. Elle ne s'expliquait pas autrement les effets surnaturels de son chant sur son humeur. Comment, rien que par la voix, avait-elle pu lui insuffler de telles visions d'horreur ? Cela ressemblait fort à de la sorcellerie, ce qui n'avait rien d'étonnant puisque les Elfes, croyait Iona, étaient naturellement des magiciens et des créatures aux dons étranges. Elle voyait en eux des êtres bien supérieurs aux Hommes, naturellement, mais contrairement à beaucoup elle n'arrivait à les considérer comme sages et bienveillants. Il lui semblait toujours que derrière la perfection de leurs traits et leur charme envoûtant, se cachaient des intentions bien moins nobles. Un seul lui avait donné tort sur ce point.

Elle s'éloigna d'un pas de l'Elfe rousse, terriblement mal à l'aise mais pour autant incapable de prendre une décision radicale la concernant. Elle ne pouvait pas la chasser, car Aessa lui avait accordé sa protection, et pour rien au monde elle n'aurait voulu aller à l'encontre de sa volonté. Elle ne pouvait pas non plus fuir, car cette petite troupe était sa seule famille, sa seule garantie de pouvoir survivre dans ce monde hostile et cruel, dont elle espérait changer le visage. Ils étaient les seuls qui pouvaient lui permettre d'y parvenir. Elle demeura indécise et silencieuse pendant quelques secondes, le regard rivé vers Qewiel, qui paraissait confuse. La réaction épidermique de Iona était difficile à expliquer, au moins autant que la lueur de crainte et de méfiance qu'on lisait dans ses yeux. Toutefois, profitant de ce silence, elles remarquèrent que quelque chose n'allait pas dans l'auberge. Il n'y avait plus le moindre bruit. Les spectateurs s'étaient tous tus.


~ ~ ~ ~

Le passé n'existe que si on le regarde May_310

Les quatre cavaliers firent irruption dans l'auberge en plein milieu de ce qu'ils interprétèrent comme un grand rassemblement populaire. C'était peut-être une fête locale, ils n'en savaient rien, ils n'étaient pas de la région. Ils n'étaient que quatre, tous vêtus du même uniforme, et ouvraient la voie à un une douzaine d'autres hommes qui étaient restés au dehors. Eux aussi portaient la même tunique : un casque de fer surmonté d'une tête de cheval stylisée, et sur la poitrine le blason du Rohan. C'étaient des cavaliers de la Marche. A en juger par la poussière qui couvrait leurs belles capes vertes et par leurs mines épuisées, ils semblaient partis de chez eux depuis fort longtemps. Bien davantage que les quelques soldats en patrouille qui s'arrêtaient parfois dans le village pour se ravitailler.

En entrant, toute la salle avait fait silence, et ils avaient jeté un regard sévère sur l'assistance, puis sur les trois artistes qui se tenaient sur scène. Un des gardes était resté à la porte, tandis que les deux autres se hissaient sur la petite estrade, prenant sans s'excuser la place d'Aessa qui recula de plusieurs pas, choquée par leur attitude :

- Excusez-moi, messieurs, mais nous sommes en pleine représentation.

- Plus tard, la coupa l'officier. Ecoutez tous, je suis le lieutenant Freom. Mes compagnons et moi-même avons besoin de seize lits et seize repas chauds, rapidement.

Il y eut des protestations dans l'assistance. Le lieutenant n'apprécia pas beaucoup. Aessa profita de ce qu'elle avait le soutien du plus grand nombre pour attraper le bras du militaire, et essayer de lui faire entendre raison. Iona et Qewiel se prirent à observer la scène au moment où elle lui lançait :

- Lieutenant, cela ne pourrait-il pas attendre ? Vous êtes au milieu de notre spectacle !

- Lâchez-moi immédiatement, rétorqua-t-il.

Aessa s'y refusa, et le tira de nouveau par la manche alors qu'il était sur le point de s'éloigner, considérant que l'affaire était réglée. Il lui lança un regard terrible, celui d'un homme épuisé et contrarié, qui ne paraissait pas vouloir discuter :

- Nous sommes en mission au nom du Roi Fendor, une mission très importante. Mes hommes ont chevauché huit jours sans trouver un endroit décent où s'arrêter, sans voir un vrai lit et sans prendre un vrai bain. Lâchez-moi sur-le-champ, ou je vous jure sur la tête de mes aïeux que cela va très mal finir.

Brin intervint à cet instant précis, séparant les deux protagonistes alors qu'il sentait que les choses pouvaient déraper. Il s'excusa platement auprès du militaire, qui paraissait prêt à exploser, et s'empressa d'attraper Aessa par les épaules pour l'éloigner. La jeune femme bouillait à l'intérieur, et il pouvait sentir toute sa rage contenue, par simple contact physique. S'il l'avait laissée, elle se serait probablement attirée de très gros ennuis. Il fallait dire que la soirée qui ne faisait que commencer promettait d'être belle et de leur rapporter assez d'argent pour continuer leur voyage. L'intervention de ces militaires réduisait leurs espoirs à néant, et ils allaient être contraints de poursuivre avec de maigres rations et un chariot qu'ils n'auraient pas pu faire réparer. Ils étaient dans de beaux draps…

May avait observé toute la scène de loin, et il emboîta le pas à Aessa lorsque Brin la ramena dans les loges, où elle laissa éclater sa colère. Les habitants du village ne firent aucun commentaire, de peur de s'attirer les foudres des soldats, mais il était évident que leur mauvaise humeur n'allait pas arranger le climat de méfiance qui existait entre une partie des Rohirrim et leur armée. La guerre civile avait laissé de profondes cicatrices, et les soldats étaient souvent à cran, suspicieux. On aurait dit qu'ils craignaient d'être poignardés par des traîtres déguisés en paysans. Ces derniers éprouvaient la même chose, et désormais que l'épisode sombre de la Nuit des Lances Noires s'était fait connaître dans tout le pays, on ne regardait plus les hommes du Roi de la même manière. Certains murmuraient qu'ils étaient des tueurs, des bouchers : il était difficile de savoir lesquels avaient toujours été fidèles au Vice-Roi et lesquels, enrôlés sous les ordres de l'Usurpateur Hogorwen, avaient les mains couvertes du sang de leurs frères.

- Aessa, calme-toi !

Brin avait levé la voix, mais la jeune femme ne l'écoutait plus, en proie à une fureur qu'elle peinait à contenir. Elle fit quelques pas vers la sortie, comme si elle voulait prendre l'air, avant de faire demi-tour et de marcher droit vers la scène :

- Non, je ne peux pas partir, je vais aller lui dire le fond de ma pensée !

- Non !

Brin la saisit fermement et, faisant jouer son gabarit, l'empêcha de passer. Elle se débattit un instant, sous les yeux surpris de May, Iona et Qewiel, qui suivaient toute la scène sans mot dire. La colère de la musicienne était parfaitement justifiée, mais elle ne pouvait pas la laisser s'exprimer, et devait tout simplement se contenter de ce qu'on lui offrait : la vie sauve. Elle enrageait de voir à quel point les hommes d'armes pouvaient se montrer injustes envers eux, simplement parce qu'ils avaient de quoi les tuer si d'aventure la dispute éclatait.

- Mais tu te rends compte !? Ils arrivent comme ça, et en un claquement de doigt ils nous mettent au pas ! C'est… C'est…

Sa rage l'empêchait presque de formuler convenablement. Brin la sentit se crisper, et il raffermit sa prise, refusant de la laisser aller se confronter aux militaires :

- Ils disent être là pour ramener l'ordre ! Ha, la belle affaire ! Je dirais plutôt qu'ils apportent le chaos, partout où ils passent. Voilà un autre exemple ! Ce sont bien eux qui amènent les problèmes, tout allait bien avant leur arrivée !

- Je sais, je sais…

Brin se voulait rassurant, et il la prit dans ses bras pour la réconforter quelque peu. Elle se laissa faire, se calmant peu à peu grâce à son étreinte amicale. Elle se mit à trembler, et il lui caressa les cheveux, posant son menton sur sa tête. Pendant de longues secondes, il y eut un grand silence dans la pièce. Les quatre artistes et Qewiel ne savaient que dire. May jeta un regard à cette dernière… Un regard chargé de suspicion, qu'il détourna lorsque la petite Elfe tourna les yeux dans sa direction. Il fit une moue indéchiffrable, et prit la direction de la sortie. Il ne rejoignait pas la salle commune où avait eu lieu la représentation… il souhaitait simplement quitter l'auberge, comme si…

- May, où vas-tu ?

- Je sors, répondit-il sur le ton monocorde qui le caractérisait si bien.

Il n'écouta pas les appels qu'on lui lançait, préférant évacuer sa frustration seul, malgré les dangers qui pouvaient rôder la nuit. Le village était incroyablement calme, et il aperçut au loin des gens qui se dispersaient, s'empressant de rejoindre leurs maisons dispersées. Ils avaient parfois fait un bout de route pour venir assister à l'événement, et l'arrivée des soldats avait tout gâché. May avait les armes en horreur, et il trouvait que ceux qui les maniaient étaient indignes. Ils fauchaient la vie allègrement, et souvent ne mesuraient pas le pouvoir des instruments qu'ils portaient. Au départ, ils s'estimaient peut-être bons et justes, animés d'intentions pures. Mais bientôt, ils comprenaient que la violence était le moyen le plus rapide de résoudre leurs problèmes, et ils cédaient à la facilité. Une fois, puis une seconde, puis à chaque fois. Ils devenaient précisément ce qu'ils avaient toujours voulu combattre, mais cela ne leur posait aucun problème puisqu'ils étaient convaincus de se battre et d'agir pour les « bons » principes. La vérité était qu'ils apportaient le désordre. Le Dauphin avait raison. Ils n'étaient que des monstres sans âme, qui prétendaient pouvoir apporter l'ordre et la paix. Ces soldats du Roi n'étaient en réalité que les germes d'une maladie incurable : celle de la violence et de la guerre. Par leur entremise, les souverains façonnaient le monde à leur image, et au lieu de changer les choses pour le mieux, au lieu de travailler dur à apaiser la situation, ils se servaient de leurs armées et de leurs armes pour mettre à mort ceux qui leur résistaient, pour persécuter ceux qui les contredisaient, pour écraser ceux qui les contestaient. Etait-ce à cela que devaient servir les Rois ? May préférait de loin la vie simple qu'il menait avec ses compagnons, laquelle n'était peut-être pas fastueuse et merveilleuse, mais au moins lui garantissait une chose : la tranquillité. Personne n'allait venir le poignarder parce qu'il n'obéissait pas, personne n'allait le frapper parce qu'il n'était pas un fidèle serviteur. Personne n'avait d'arme capable de le contraindre…

Alors qu'il marchait seul, les mains dans les poches, un bonnet vissé sur la tête pour empêcher ses oreilles de prendre froid, il perçut la présence des militaires qui approchaient de l'auberge pour y prendre leurs quartiers. Le lieutenant n'avait pas menti, et les hommes étaient bel et bien aussi nombreux qu'il l'avait annoncé. Deux de plus, en réalité. Ils avaient laissé deux factionnaires devant un chariot qui se trouvait à l'entrée du village, près de la rivière. Les deux chevaux qui le tiraient avaient été ramenés à l'abri, et seuls les deux hommes s'occupaient de la surveillance de son contenu, qui était probablement très important, pour nécessiter une escorte d'une vingtaine d'hommes. Ce n'était pas rien. May, pris par la curiosité, se faufila auprès du gros de la troupe, se glissant dans les ombres pour écouter ce qu'ils se disaient. Il capta quelques bribes de leur conversation qui le glacèrent :

- Aucun problème, à part une pétasse qui a voulu faire de la résistance. Des saltimbanques, ils ne poseront pas le moindre souci.

- Bien, Lieutenant. Je suppose qu'ils sont arrivés il n'y a pas longtemps, les saltimbanques ne restent pas souvent dans la même ville. Vous pensez qu'ils peuvent être liés à ces meurtres ?

Un bref silence.

- Je ne crois pas. Ils ne correspondent pas à la description faite par les villageois. Ils parlaient plutôt d'un Elfe, jeune. Je n'ai pas pensé à vérifier, Capitaine, mais si vous voulez je vais aller les interroger et vérifier qu'ils n'ont enlevé personne. La garce m'a tapé sur les nerfs à un point tel que je n'aurais aucun scrupule à retourner jusqu'à la dernière de leurs affaires pour vérifier qu'elle ne me ment pas.

May serra les dents, en entendant l'officier supérieur donner l'autorisation à son second, puis en percevant les bruits de pas de celui-ci, qui s'éloignait à grandes enjambées. Le garçon savait qu'il devait retourner rapidement auprès des siens, qui auraient de gros ennuis si on les trouvait en compagnie de Qewiel. Décidément, cette fille traînait derrière elle de lourds secrets, et elle risquait de les amener à la prison, voire pire. Les Rohirrim ne plaisantaient guère avec les criminels, et d'ici à ce qu'ils prouvassent qu'ils n'avaient rien fait, ils n'étaient pas sortis de l'auberge, c'était le cas de le dire. May se retourna, prêt à s'élancer à toutes jambes vers l'entrée dérobée qu'il avait empruntée la première fois. Il était un excellent coureur, et il savait qu'il pouvait y arriver avant le militaire, qui ne faisait la course avec personne. Toutefois, alors qu'il s'apprêtait à partir, il vit une silhouette qui l'observait sans véritablement faire en sorte de se cacher. Une silhouette avec des cheveux roux. En trois pas, il fut sur elle, et il lui saisit le bras avec une force surprenante pour quelqu'un de son gabarit :

- Qewiel, qu'est-ce que tu fais là !?

Il jeta un regard en arrière pour s'assurer que personne ne l'avait vu ou entendu, avant de l'entraîner à couvert brusquement. Depuis quand était-elle là, à l'espionner indiscrètement ? Avait-elle entendu la conversation qu'entretenaient les militaires ? Le garçon avait beaucoup de questions pour la jeune fille, qui lui semblait tout à coup valoir bien davantage que ce qu'ils avaient cru au départ. Assez pour réparer leur chariot, assurément. Il la tira à l'écart, sans se soucier de ce qu'elle pouvait bien en penser, en prenant surtout garde de ne pas être vu. Fort heureusement, les bâtiments n'étaient guère habités, et servaient plutôt de lieux communs pour les cultivateurs dont les demeures étaient dispersées dans la campagne environnante. Quand il fut certain d'être assez loin, et qu'ils se trouvèrent cachés derrière une grange qui servait à stocker le foin, il la plaqua sans ménagement contre un mur. Il ne faisait preuve d'aucune douceur à son égard, et l'inquiétude le disputait à la colère dans son ton d'ordinaire si froid. Tout en lui tenant le bras fermement, comme pour l'empêcher de s'enfuir, il siffla :

- Dis-moi, pourquoi ils te cherchent ? Qui es-tu vraiment ?

A la lumière des étoiles qui brillaient, on ne voyait de leurs visages que les contours sculptés, et leurs yeux. Ceux de May étincelaient de manière curieuse, derrière ses belles boucles brunes. Il voulait des réponses, et même si elle leur avait fait comprendre qu'elle ne parlait pas leur langue, il était déterminé à les obtenir…

Bien des choses en dépendaient.


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Le passé n'existe que si on le regarde EmptyVen 1 Jan 2016 - 18:25
Voilà. C'était raté, j'avais plus envenimé les choses que de les avoir calmées. Et pourtant, j'avais juste chanté, juste essayé de la tranquilliser. Mais non. Qu'avais-je pu imaginer ? Qu'avais-je pu croire ? Que je réussirais à enlever cette méfiance qu'elle avait de moi et qu'elle arrêterait de verser des larmes ? J'étais sotte. Le chant l'avait bien calmée, mais si mon père avait raison en disant que certains Elfes arrivaient à faire voir les images liées à ce qu'ils chantaient par leur simple volonté, et que cela avait été le cas, alors Iona ne devait pas comprendre. Tout comme je n'avais pas connaissance du mot qu'elle venait d'utiliser, elle ne devait pas savoir... enfin. J'étais vraiment bête à me trouver des explications qui ne devaient même pas être vraies. J'avais suivi mon intuition, la réaction était celle qu'elle était, et puis c'est tout. Je baissais alors les yeux, ne sachant plus spécialement où me mettre. Je ne restais là que parce que Cervan suivait ces humains, pas parce que je désirais particulièrement m'intégrer à leur groupe. Même si je remerciais sincèrement Aessa de prendre le temps de m'apprendre tous ces mots de leur langue.

Alors vint le silence. Je crus un moment que c'était normal, mais l'air inquiet qu'eut la danseuse lorsque la voix grave d'un homme retentit à travers le rideau. Tout comme elle, je regardais par un interstice et aperçut auprès des trois artistes un homme de forte carrure, grand, et portant des habits similaires aux cavaliers du village où j'étais restée avec Validna. Ce n'était pas le même équipement, notamment au niveau du chapeau dur, un "casque" je crois que cela s'appelle : ici il y avait une tête de cheval dessus, certainement pour demander à cet animal force et vitesse. Les autres n'en avaient pas. Mais bon, je n'étais pas tranquille de savoir de telles personnes ici, surtout que cette interruption dans le numéro de Brin semblait commencer à créer un conflit. Je restais silencieuse et, lorsque les membres de la petite compagnie finirent par passer derrière le rideau, je me décalais et les laissa réagir tout en continuant de regarder le bonhomme visiblement fort peu sympathique. Les gens dans la salle partaient, la soirée était terminée. Je ne comprenais pas tout à fait les causes et effets de ce qu'il venait de se passer, mais vu la réaction d'Aessa je n'avais aucun mal à imaginer que c'était mauvais. Autour de moi, la joie était partie elle aussi. Et ce encore une fois à cause d'hommes en armes d'acier.

Après avoir observé avec une certaine tristesse Aessa je repris le bonnet qui était plus tôt tombé à terre, le dépoussiérai et le remis sur ma tête. Je croisais alors le regard de May, qui détourna aussitôt les yeux. Mes sourcils se haussèrent : je n'aimais pas la façon dont il réagissait. Il ne me regardait pas dans les yeux ; il ne me considérait donc pas ou plus certainement n'était pas franc. Il ne me parlait pas, par les paroles comme par les gestes ; il m'évitait donc et entretenait une méfiance - du moins en avais-je l'impression. Mais qu'est-ce qui lui passait par la tête ? J'étais incapable de le deviner, mais une chose était claire depuis déjà plusieurs jours : je ne pouvais pas lui accorder ma confiance. Quelque chose m'empêchait de le faire comme pour Aessa ou encore Brin, un ressenti. J'avais du mal à le définir. Et le regard qu'il eut par la suite avant de quitter la loge où nous étions, sortant ainsi du bâtiment par l'arrière. Je regardais autour de moi, me demandant que faire, puis finalement le suivis. La dernière fois j'étais restée auprès des autres, lors du repas ; pas là.

Au-dehors il faisait noir et les seules lumières permettant de bien suivre son chemin était l'éclairage de la lune ainsi que les torches allumées dans le village ou auprès d'un charriot. Un charriot vers lequel se dirigeait discrètement May et où se trouvaient déjà plusieurs hommes armés, comme celui qui avait interrompu le spectacle dans la salle. May se baissa, sembla écouter sans pour autant vouloir entrer en contact avec les inconnus. Terminant de marcher discrètement je commençais à me cacher auprès d'un bâtiment lorsque je le vis. Là, dans le noir presque total, il semblait être invisible aux yeux de ceux qui passaient à côté de lui. Comme un mirage, comme une vision. Il était là, être noir dénué d'émotions, à me fixer avec profondeur comme pour sonder mon âme toute entière. Pourquoi ? Pourquoi être venu jusqu'ici, loin des marais ? Qu'est-ce que cela pouvait signifier ? Mon cœur s'arrêta de battre, ma respiration cessa d'être, mon corps fut incapable de faire le moindre mouvement. Mes yeux restèrent braqués sur lui, comme si la mort ou le destin se présentait à moi, jusqu'à ce que je fus happée par quelque chose qui me projeta violemment contre une surface dur. Mon dos eu mal, mon bras aussi. Je crois bien que ce fut la douleur qui me réveilla de ma transe.

" Dis-moi, pourquoi ils te cherchent ? Qui es-tu vraiment ?

Mes yeux regardèrent ceux de May. C'était étrange, je n'étais plus tout à fait au même endroit. Comment avait-il pu... J'eus du mal à me rappeler que j'avais suivi le jeune homme, mais quelques images me firent le comprendre. Je restais abasourdie, me demandant sincèrement comment mon esprit avait pu à ce point être préoccupé par quelque chose... par lui. Rappel à l'ordre concernant mon rôle de gardienne des marais ? Ou bien... ou bien y avait-il quelque chose que je ne comprenais pas ? La douleur à mon bras s'intensifia. Mon esprit revint à May : ce qu'il venait de prononcer, le ton qu'il avait employé changeait par rapport à d'habitude, et ses yeux ne faisaient qu'affirmer mon impression. Inquiétude, colère, et autre chose que je ne pouvais pas considérer comme bon. Indiscutablement, j'avais eu raison de ne pas lui faire confiance. En attendant c'était moi la proie et j'étais entre les griffes du prédateur.

- Qewiel...

Que voulais-tu que je te dise d'autre, May ? Que voulais-tu que je te dise sur ma vie inintéressante pour les tiens ? Que je venais de l'est et que suite à la mort de mon clan je traversais ces terres pour aller retrouver celles de mon père, à l'ouest ? Voilà, rien de plus rien de moins ! Alors pourquoi cette colère, cette haine dans ton regard ? Et pourquoi voudrais-tu que ces inconnus me recherchent ? A moins que... Ne me dis pas que... Ce ne sont pas eux, les mêmes qui ont fait du mal à ceux qui m'ont protégée afin de me prendre ? Qu'ils auraient juste changé de vêtements ? Ou peut-être ces hommes seraient liés à eux ? Mais quelle pouvait être la raison de cette recherche ?

Compréhension, peur. C'est ce que put lire May dans mon regard lorsque je compris enfin sa réaction. Et il avait raison d'agir ainsi, en un sens, parce que ces personnes étaient capables de tuer pour avoir ou pour effacer toute trace de personnes ayant connu leur proie. Merde. Ils étaient en danger et c'était tout sauf ce que je voulais. Il fallait que je parte que j'explique que même si je ne savais pourquoi on me voulait que rester auprès d'eux les mettait en danger. Mais il fallait surtout que je récupère mes affaires. L'arme de mon père en priorité, jamais je ne partirai sans ! Il fallait que je fasse vite, avant qu'ils ne la trouvent... mais encore une fois May était sur mon passage.

- Arrête ! Lâche... lâche !

J'avais du mal à exprimer ce que je voulais, et ne voyais pas comment lui exprimer l'urgence et la complexité de la situation. Quoi qu'il en soit ma réponse ne lui convint pas et l'étrange lueur dans ses yeux brilla plus intensément alors que je sentais la violence monter en lui. "Je ne sais pas !" ais-je voulu crier, mais mon corps réagit bien plus rapidement que la pensée : ma jambe se leva pour donner un coup de pied bien placé dans les parties génitales du pauvre mystérieux. May dut me lâcher sous la douleur et je ne perdis pas de temps pour courir vers les autres. Il fallait que je demande à Brin ou Aessa. Il fallait qu'ils récupèrent l'épée, qu'ils racontent que c'était à eux s'ils le voulaient, mais que je puisse la récupérer sans que je me fasse repérer.

Avant d'entrer dans le bâtiment, je fis attention autour de moi pour vérifier que personne ne m'avait vue. Au niveau du charriot ils avaient l'air de ne pas m'avoir remarquée, et tout autour ne se trouvait personne, pas un regard, pas lui. J'entrais alors et me précipitai vers le trio. Derrière le rideau ne se trouvait plus qu'Aessa, dont l'énervement peut-être retombé en apparences éclatait encore dans ses yeux. Essoufflée, je m'arrêtais à sa hauteur et commençais à parler en continu, à une allure soutenue. Manque de chance c'est par le langage corporel et selon les codes de mon peuple que mes quelques phrases sortirent, mettant en mouvement mes mains, mes bras et ma tête, si bien qu'Aessa n'y comprit strictement rien. La peur ne se lisait plus sur mon visage. C'était la détermination ainsi que l'importance de la situation qui étaient retranscrites dessus. Au bout de quelques secondes je m'arrêtais, bêta, à la regarder me dévisager d'un air tout étonné. Je me repris et lui demanda, cette fois-ci dans la langue qu'elle m'avait apprise :

- Grands... qui être ? Ils... ? Je fis un bruit de félin tout en montrant hostilement les dents pour faire comprendre quelle intension je voulais mettre derrière. Aessa, épée moi... ils pas prendre.

J'avais essayé de ne pas parler trop vite, espérant ainsi qu'elle arriverait à bien me comprendre. Elle pouvait toujours se demander pourquoi je n'avais pas été la chercher moi-même. La raison était simple, c'était la même que pour laquelle elle m'avait posé ce bonnet sur la tête. Elle me posa une question. La question qui me fit m'arrêter dans tout essai de production de phrase. Cette épée, qu'avait-elle de si important pour moi ? Un seul mot sortit de ma bouche, en deux syllabes identiques.

- Papa..."

Mes yeux se baissèrent. Je n'avais pas à le raconter, pas à le dire. Mais le poids de ma charge commençait à être trop lourd pour être porté par mes frêles épaules de femme au corps d'enfant. Peut-être était-ce cela que j'avais vu dehors.

Des bruits de pas se firent entendre. Je ne bougeais pas. Le mot que je venais de prononcer avait été comme une pierre lancée dans l'eau, un poids retombé me permettant presque de souffler.
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Ryad Assad
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Le passé n'existe que si on le regarde EmptyLun 4 Jan 2016 - 18:48
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Elle n'avait pas le droit !

Cette pensée traversa l'esprit de May presque aussi vite que l'onde de douleur terrible qui se répandit dans son corps, trouvant sa source dans le coup de genou plus que vicieux que la jeune Elfe lui avait adressé dans l'entrejambe. Frappé par l'injustice de ce coup bas, il poussa un grognement de frustration et de souffrance pitoyable, avant de s'écrouler au sol, totalement vaincu, incapable de se défendre. A ce moment précis, si elle avait voulu le détrousser ou le tabasser à mort pour lui faire passer l'envie de la malmener à nouveau, il n'aurait pas été en mesure de l'en empêcher. Fort heureusement, elle ne l'acheva pas, et se contenta d'enjamber son corps plié en deux pour s'enfuir dans les ténèbres. Au passage, elle manqua de lui donner un coup de pied involontaire dans le visage, emportant seulement son cher bonnet qui alla se perdre dans l'obscurité. Il tendit la main pour essayer de la retenir, mais elle était déjà loin et lui-même, les yeux remplis de larmes de douleur, ne pouvait pas faire grand-chose pour la suivre. Une telle impuissance le faisait enrager, mais il était réduit à ramper par terre comme un animal blessé et il devait simplement attendre que la douleur qui le paralysait passât. Hélas, elle ne disparut pas assez vite.

- Hey ! Hey, qui va là ?

La voix était forte, autoritaire, et May devina qu'il s'agissait d'un des soldats. Peut-être aussi parce qu'il perçut le cliquetis métallique de leur cotte de mailles, ou le pas lourd de leurs bottes dans la terre. S'il avait su jurer, il aurait sans doute laissé éclater sa colère vis-à-vis du destin, qui s'arrangeait toujours pour le faire tomber précisément entre les griffes des personnes qui ne devaient pas mettre la main sur lui. Avec un empressement maladroit, il se remit sur ses jambes, grimaçant comme jamais. Il devait s'éloigner d'ici, rapidement ! Son premier réflexe fut de chercher son éternel bonnet, mais il faisait sombre, et même lui n'arriva pas à le localiser du premier coup d'œil. Il n'eut pas le temps d'en jeter un second, car déjà des silhouettes apparaissaient, brandissant bien haut des torches qui projetaient un halo inquiétant sur les murs des quelques maisons qui constituaient le village. Aussi vite que lui permettaient ses jambes engourdies – maudite Qewiel ! –
il essaya de prendre la poudre d'escampette, détalant dans la campagne. En temps normal, il n'aurait eu aucun mal à semer ses poursuivants. Il était un excellent coureur, et n'avait pas son pareil pour échapper aux menaces qui pesaient sur lui. Cependant, on ne pouvait pas dire qu'il était dans la forme de sa vie, et il entendit bientôt des cris et des appels, suivis des bruits d'une course. On le pourchassait.

Il n'eut pas le temps de faire vingt mètres que les soldats étaient déjà sur lui. Il ne les vit pas arriver, mais il sentit distinctement le coup de pied qu'on lui donna sur le tibia. Ses pieds s'emmêlèrent, et il chuta lourdement sur le sol, emporté dans par son élan. C'était la fin de sa course, et il avait récolté en prime de belles contusions et quelques écorchures que ses vêtements fins n'avaient pas pu empêcher. Roulant sur lui-même pour se remettre sur le dos, la première chose qu'il vit fut une main gantée se refermer sur son col, et le soulever de terre avec une facilité déconcertante – il fallait dire qu'il ne pesait pas bien lourd. Il ferma les yeux, s'attendant presque à recevoir un coup de poing, ou au moins à être puni pour sa tentative de fuite. Au lieu de quoi, il entendit seulement celui qui le tenait crier à quelqu'un derrière lui :

- Préviens le Capitaine : on l'a !


~ ~ ~ ~


Aessa fulminait contre les militaires, à tel point que Brin lui avait demandé de rester bien sagement à l'intérieur, pendant qu'il commençait à ranger la scène. Ils avaient beaucoup travaillé pour mettre tout cela en place, et la perspective de voir leurs efforts ne pas être récompensés lui donnait envie d'aller dire ses quatre vérités au Lieutenant dont les manières cavalières continuaient de lui déplaire souverainement. Elle était occupée à mettre le matériel dans des sacs de jute qui rejoindraient bientôt leur chariot, quand elle entendit des pas précipités derrière elle. Immédiatement, elle se retourna, prête à accueillir comme il se devait l'importun qui venait la déranger alors qu'elle était de mauvaise humeur. Si le Lieutenant avait pénétré dans la pièce à ce moment-là, il aurait sans doute fait face à un flot de critiques acerbes, et la jeune femme n'aurait pas eu peur de lui tenir tête, même s'il avait voulu en venir aux mains. Cependant, ce n'était pas lui, ni même une menace : simplement Qewiel, qui avait l'air tout à fait paniquée. Elle se mit à parler un charabia absolument incompréhensible, agitant les bras comme si elle venait de voir Melkor en personne. Pendant un instant, Aessa se demanda si ce n'était pas le cas, et une once de terreur passa dans son regard. Les fidèles de la Couronne de Fer qui avaient mis la Terre du Milieu à feu et à sang étaient encore très présents dans son esprit, même si le temps avait passé. Elle faisait parfois des cauchemars où leurs sombres silhouettes serpentaient sous le sable et le sang, pareilles à des vers. Ils surgissaient des murailles d'une cité du désert, pour fondre sur elle dans la nuit, et refermer leurs crochets dégoulinant de venins sur sa gorge. Elle se réveillait en sursaut, terrorisée, en nage, et mettait toujours un moment à se rappeler qu'elle n'était plus là-bas.

- Qewiel, je ne comprends rien… Lança-t-elle d'une voix qu'elle voulait rassurante.

La jeune fille reprit son souffle, et essaya de formuler le flot d'inquiétudes et de questions qu'elle avait en tête, avec le vocabulaire limité qu'elle maîtrisait en Westron. Aessa lui avait appris les bases, les rudiments, mais guère assez de toute évidence pour lui permettre d'exprimer convenablement la terreur qu'elle avait l'air de ressentir. La musicienne mit un moment à comprendre ce que voulait lui dire la petite Elfe, qui semblait s'inquiéter de la présence des soldats – qu'elle assimilait à des prédateurs agressifs, en témoignait la manière dont elle les mimait. Elle avait sans doute perçu le changement d'atmosphère qu'induisait leur présence, et Aessa s'en voulut un peu d'avoir laissé éclater sa colère. Elle s'apprêtait à s'excuser d'avoir réagi ainsi, quand soudain Qewiel lui fit comprendre que l'épée ne devait pas tomber entre les mains de ces gens. Machinalement, l'humaine lui demanda ce que cette épée avait de si important, et l'Elfe répondit par un mot unique. « Papa ». Ainsi, c'était un artefact familial, un bien auquel elle attachait une très grande importance. Pourquoi des soldats du Roi auraient-ils voulu mettre la main dessus ?

- Calme-toi, Qewiel, calme-toi… Tout va bien… Ils ne te feront aucun mal, et tu es en sécurité. Ton épée…

Elle ne termina jamais sa phrase. Derrière elle, venait de retentir la voix du Lieutenant, qui semblait engagé dans une discussion avec Brin, lequel – d'après ce qu'elle comprit brièvement – essayait de lui expliquer qu'ils n'avaient rien à cacher. L'attention d'Aessa fut immédiatement détournée, et elle pivota pour tendre l'oreille. Le militaire reprit :

- Je veux vérifier que vous ne cachez rien de suspect. Que je ne m'avise pas de mettre la main sur la personne que nous recherchons, sinon je vous assure que cela va très mal se passer pour vous.

- Mais Lieutenant, répondit Brin un peu désespéré, nous n'avons pas la personne que vous recherchez ! A-Attendez !

Une seconde plus tard, le soldat franchissait le rideau, pour poser les yeux sur Aessa et Qewiel. Un regard inquisiteur effrayant. La première se plaça devant la seconde, comme pour faire barrage de son corps. Elle était prête à la défendre au péril de sa vie, inexplicablement. L'homme s'avança d'un pas, tandis que les deux femmes reculaient d'autant, s'arrangeant pour se tenir hors de portée.

- Voyez-vous ça, dit-il sur un ton menaçant. Qui est cette enfant ?

- C'est ma fille, répondit Aessa sèchement.

Le mensonge était audacieux, mais il reposait sur un élément pas si idiot : la similitude de leurs cheveux. Aessa n'avait pas la couleur flamboyante de sa jeune protégée, mais elles pouvaient sans trop de peine se considérer comme assez proches. Le militaire plissa les yeux, sans paraître particulièrement convaincu. Il observa attentivement Qewiel, en faisant une moue indéchiffrable. Après avoir considéré la question pendant un long moment, parfaitement silencieux, il se mit à observer la pièce :

- C'était elle, la gosse sur scène, hm ? Dit-il en croyant se souvenir d'avoir effectivement vu une jeune personne avec un bonnet, sur scène. Et vous êtes sûre que vous ne voyagez avec personne d'autre ? Personne qui se cache dans les parages ?

Aessa songea instantanément à May. Il était dehors, mais elle ne savait pas trop où, et elle hésita une seconde. Valait-il mieux dire toute la vérité à ces hommes, au risque qu'ils l’utilisassent contre leur petit groupe, ou était-il préférable de mentir, au risque de mettre leur compagnon dans une position particulièrement délicate. Le Lieutenant ne la quittait pas des yeux, et pendant un instant elle fut certaine qu'il avait perçu son trouble, qu'il allait la faire craquer. Elle ouvrit la bouche pour répondre, quand soudainement une autre voix résonna à l'extérieur :

- Mon Lieutenant !

- Attendez ici, lança ce dernier à la musicienne, avant de jeter un coup d'œil à l'extérieur et de lancer : Oui, que se passe-t-il?

- Mon Lieutenant, le Capitaine me fait vous chercher. Nous l'avons trouvé, vous pouvez revenir.

Il se fit silencieux un moment :

- Très bien, allons-y.

Sans un regard pour Aessa, qui avait de toute évidence perdu tout intérêt à ses yeux puisqu'il ne pouvait pas justifier de lui mettre la pression, il quitta l'auberge en écartant Brin de son passage. Ce dernier revint dans les coulisses, talonné de près par Iona, qui eut de nouveau un mouvement de recul en voyant Qewiel. Décidément, son ressentiment ne semblait pas vouloir passer. Cependant, ce n'était pas cela qui paraissait la perturber au plus haut point. D'ailleurs, ce n'était pas ce qui avait l'air d'occuper l'esprit de quiconque. Brin avait une mine extrêmement grave, et Aessa elle-même était livide. Elle ne put s'empêcher de demander :

- Tu crois que…

- C'est forcément ça...

Iona enfouit son visage entre ses mains, avant de se prendre la tête, désespérée :

- C'est pas vrai… Oh par les Valar, dites-moi que c'est pas vrai…

Aessa dut s'asseoir sur un petit tabouret proche pour ne pas simplement s'effondrer. Elle avait l'air sonnée, comme si elle avait reçu un coup de poing dans l'estomac. Elle peinait à retrouver son souffle, et ses yeux fixaient le lointain. Elle était perdue dans ses réflexions, et de toute évidence ce que l'avenir lui présentait n'était pas particulièrement radieux. Des trois, Brin était le plus lucide, et il se pencha vers Qewiel en essayant de ne pas laisser transparaître son empressement à vouloir obtenir la réponse. Il savait qu'elle ne comprenait pas très bien le Westron, mais il était tendu comme la corde d'un arc, avec un besoin irrépressible de savoir :

- Qewiel, dit-il en détachant chaque syllabe. Que s'est-il passé ? J'ai vraiment besoin de savoir. De tout savoir.

Iona éclata de colère à ce moment :

- C'est une sorcière ! Une sorcière, je vous dis ! Et elle l'a vendu ! Hein, c'est ça ? Tu l'as vendu à ces salauds qui te traquent ! Pourquoi tu as fait ça ? Pourquoi !?

Aessa parut revenir à elle-même en entendant éclater la colère de la danseuse. Elle s'interposa pour l'empêcher de marcher droit sur Qewiel, et lui saisit les poignets pour la forcer à se calmer.

- Iona ! Ça suffit, elle n'y est pour rien, tu le sais aussi bien que moi ! On doit garder notre calme, et réfléchir, d'accord ? Respire, respire… Voilà…

Elle ne paraissait pas vraiment convaincue, mais elle n'avait aucune envie de s'en prendre à la musicienne, qui ne paraissait pas prête à s'écarter. Elle n'avait d'autre choix que de ranger sa fureur au fond d'elle-même. Quelque part, elle savait que ce n'était pas en s'énervant qu'elles trouveraient une solution, et il y avait bien davantage en jeu que sa rancœur personnelle. Bien davantage. Brin, satisfait de voir que tout le monde restait à sa place, revint à Qewiel. Il attendait toujours des réponses, et peut-être un début d'explication de sa part. Elle ne parlait certes pas très bien sa langue, mais la moindre information lui serait utile…


~ ~ ~ ~


Le Lieutenant revint auprès de son Capitaine, qui supervisait le déploiement de ses hommes. Pour la plupart, ils dessellaient leurs montures, et les pansaient soigneusement. Les pauvres avaient été mises à rude épreuve, et elles méritaient bien un peu de repos. Les cavaliers de la Marche appréciaient leurs compagnons équidés, et ils aimaient à s'occuper eux-mêmes de leur bien être, même si cela signifiait retarder le moment où eux-mêmes pourraient se délasser. C'était un petit rituel qui leur faisait du bien. En approchant de son officier supérieur, le soldat remarqua qu'il avait l'air assez satisfait, pour ne pas dire fier de lui. Il fronça les sourcils, perplexe, et demanda :

- On m'a dit que vous l'aviez, c'est vrai mon Capitaine ?

- Tout à fait, Lieutenant. Je vous ai rappelé de peur qu'on ne nous accuse de causer un nouvel incident. Les villageois sont parfois bornés et stupides, mais je n'aimerais pas nous les mettre à dos. Quoi qu'il en soit, j'aimerais que vous assuriez sa surveillance. C'est un roublard, et il a bien failli nous filer entre les doigts alors qu'on ne s'y attendait pas. Nous avons dû l'attacher au chariot. Il passera une nuit plus fraîche que les autres, mais je n'ai pas les moyens d'attribuer plus d'hommes à sa surveillance.

- Je m'en occupe, il ne s'échappera pas. Quel est le plan le concernant ?

Le Capitaine haussa les épaules, comme si la réponse qu'il avait à fournir lui était venue par défaut :

- Nous le ramènerons en Isengard. Le Roi décidera lui-même de son sort.

Le Lieutenant hocha la tête, et prit congé. Il était heureux de pouvoir servir son supérieur, et il prenait cette mission comme une marque de confiance, mais il ne pouvait pas nier que la perspective de devoir passer une nuit debout alors que tous ses compagnons allaient pouvoir se reposer lui mettait les nerfs à vif. Tout ça parce que ce petit imbécile n'avait pas voulu rester tranquille, et qu'il avait essayé de leur faire faux-bond. Le militaire se dirigea vers le chariot, gardé par deux hommes. Derrière eux, la rivière – qui était tout de même assez profonde pour qu'on pût s'y baigner allègrement – chuchotait paisiblement et leur fournissait un cadre relativement agréable pour monter une garde. Ils avaient connu pire. En arrivant, les hommes du rang le saluèrent d'un signe de tête, et lui montrèrent l'endroit où était attaché leur prisonnier. Les deux poings liés par une corde solide qui devait lui déchirer les poignets, il n'irait pas très loin si l'envie lui prenait de s'enfuir encore. La corde le reliait au chariot, et il n'avait pas deux mètres de libre pour avancer, si bien qu'il ne pouvait même pas s'approcher des gardes qui de toute façon gardaient un œil sur lui.

- Alors c'est toi, hein ?

Le Lieutenant s'approcha et lui prit le visage pour l'examiner. Sans la moindre douceur il lui serra la mâchoire, faisant tourner sa tête nue pour mieux le regarder à la lueur de la lune. Ses sourcils se froncèrent, et un léger sourire étira ses lèvres, alors qu'il continuait :

- Je ne pensais pas qu'il serait si facile de capturer un Elfe…

Il relâcha May, qui baissa la tête, presque honteux. Son bonnet lui manquait terriblement.

Il avait froid.

Froid à ses oreilles pointues.


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Le passé n'existe que si on le regarde EmptyJeu 28 Jan 2016 - 23:35
Mes yeux n'arrivaient pas à quitter Iona. Lorsqu'elle prononça ce mot que j'avais presque oublié, ce même mot que plusieurs années auparavant j'avais incité de très jeunes enfants à combattre, je m'étais instinctivement raidie. "Valar"... Que penser ? Qu'elle croyait en eux ? Que cette compagnie croyait en eux comme moi je pouvais croire aux esprits ? Ou bien avait-elle prononcé ce mot comme pour exprimer sa peine ? Je n'en savais rien. Je n'avais pas pas peur, j'étais juste surprise. Et je ne savais désormais plus trop ce qu'il advenait de la confiance que j'avais laissé leur accorder. Je ne réagis pas lorsque la danseuse se leva comme pour vouloir déverser sa colère sur moi, ce en quoi Aessa s'interposa. Comme elle l'avait fait face à l'homme armé quelques secondes plus tôt. Brin réussit à faire en sorte que mon attention revienne à lui, uniquement à lui. Loin de l'agitation extérieure, loin de l'agitation intérieure qui me possédait lorsque j'avais couru pour revenir ici. Ses yeux me transperçaient et, une fois que j'eus sa question en tête, j'essayais d'y répondre.

Ce fut compliqué, je dus utiliser des gestes qui n'étaient pas forcément ceux dont ils avaient l'habitude afin d'exprimer ma pensée. Au final, le principal était là : dehors il y avait des soldats ; May s'est approché ; puis il m'a vue, il m'a prise... il a fait mal ; je me suis défendue, il est tombé à terre, je suis revenue. Je devais avouer que je ne savais pas s'il valait mieux ou pas que je leur dise quelle était la question qu'il m'avait posée. De toute façon, je n'arrivais pas à exprimer le fait qu'il m'avait demandé qui j'étais. C'était une mise en abîme un peu trop compliquée pour moi. Arriva forcément une question qui avait besoin de réponse.

"May qui est ?

C'était idiot, j'en conviens. Et ironiquement c'était la même question que lui m'avait posée. Mais je comprenais que vis-à-vis du groupe j'avais fait une boulette : si je ne m'étais pas défendue, il n'aurait certainement pas été capturé. Et Aessa ne serait pas dans cet état. Je n'avais pas envie de lui faire de peine, elle qui venait encore de me protéger et qui s'était tant occupée de moi. Il n'existait que peu de personnes que l'on pouvait remercier, m'avait-on affirmé. Personnellement je préférais être de ces personnes, de celles qui seraient ingrates. Alors qu'à côté Iona se remettait à crier, je baissais la tête. C'était après moi que ces gens armés en avaient, du moins était-ce ce que j'avais compris. Alors il valait mieux que je ne reste pas auprès d'eux, au risque de les mettre en danger comme c'était le cas en cet instant. Mais avant j'agirai comme mon père aurait agi, comme tout Ulrah devait agir : je réparerai l'erreur commise.

-Aessa ?

Je la fixais de mon regard, cherchant à établir un contact distant avec elle. Tout en mimant, je continuais à lui parler.

-Épée moi, vêtements... ? Je aller May, May aller ici, je..."

J'arrêtais ma phrase là. Qu'allais-je faire ? Simplement partir. Je crois que même si je ne l'avais pas énoncé, Aessa avait compris que je le ferai. Elle était intelligente. Et puis si je mettais les autres dangers, c'était à moi de partir. Je repensais un instant à celui que j'avais vu alors que May était en train d'écouter les cavaliers ; à celui de noir vêtu, celui des marais. Peut-être m'appelait-il à reprendre mon chemin, loin de tout être, à garder l'esprit des marais. Peut-être. Les simples coïncidences n'existant pas avec lui, je considérais alors qu'il me fallait partir.


~~~~~~

A nouveau "entièrement moi", avec l'épée de mon père sur le dos, mon bâton à mes côtés, la dague de Validna et mes propres vêtements, je passais une dernière fois de l'eau sur mon visage afin d'enlever toute trace de maquillage. J'avais tout, ou presque. Il ne me manquait que le cheval de l'elfe. J'avais décidé qu'il me suivrait s'il le voudrait et que s'il préférait rester avec Aessa, alors j'irais à pieds. En parlant de cette dernière, celle-ci était en train de me regarder redevenir la fille des marais comme si je changeais de peau. J'avais l'impression qu'il y avait de la tristesse en elle... il ne fallait pas. J'étais une adulte, je décidais de faire ce que je voulais de ma vie. J'avais décidé de tenir ma promesse. Je me levais, la regardais dans les yeux puis la serrais dans mes bras encore un peu trop fins. J'avais envie de lui dire merci. Mais bizarrement, je ne savais pas comment le lui exprimer : un simple mot n'aurait à mes yeux pas suffi.

Brin n'avait pas été d'accord au départ, Aessa non plus. Iona ce n'est même pas la peine d'en parler. Comment pouvaient-ils me faire confiance ? Si je me faisais prendre, ne risquaient-ils pas de tout perdre ? Certainement. Mais la vie est un jeu dans lequel il faut prendre des risques. Et aucun des trois n'avait intérêt à se battre ou à montrer la moindre volonté concernant May. Personnellement je partais juste après, eux pouvaient toujours partir en même temps. Ou bien May pouvait les rejoindre ailleurs. Enfin soit, j'avais pris ma décision et personne ne réussit à m'en faire démordre. Pour le reste, qu'ils fassent ce qu'ils veulent.

Le temps n'eut plus d'impact sur moi pour le reste de la nuit. Je fis attention à ne pas me faire repérer, je trouvais avec un peu de mal l'endroit où ils avaient placé May et l'avait contourné de sorte à me retrouver non loin, de l'autre côté de l'eau, allongée dans le noir à plat ventre sur le sol. Attentive à tout ce qui se trouvait autour de moi, à n'importe quel bruit, j'observais la scène tout en réfléchissant à comment j'allais faire en sorte que celui qui était en réalité un elfe - cela m'étonna fortement de m'en rendre compte - puisse sortir de là sans que les autres puissent le rattraper. Et sans qu'ils m'attrapent moi.
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Ryad Assad
Espion de Rhûn - Vicieux à ses heures perdues
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Le passé n'existe que si on le regarde EmptyDim 31 Jan 2016 - 1:02
Le passé n'existe que si on le regarde Aessa10

Aessa avait la mâchoire tremblante, mais elle faisait un effort pour contenir ses émotions. Elle ne tenait pas particulièrement à se laisser submerger par l'émotion, mais le sort de ces deux gamins lui paraissait si incertain qu'elle ne pouvait pas s'empêcher de s'en faire pour eux. Elle sentit les mains chaudes de Brin se poser sur ses bras fins, mais elle ne se retourna pas pour lui faire face. Elle était encore pensive, et elle avait besoin de digérer tout cela. Elle savait ce qu'il allait lui demander, mais elle ne pouvait pas vraiment se faire une idée précise avant d'avoir analysé tout ce qui venait de se passer. Beaucoup de choses, en très peu de temps. Elle se souvint de la question posée par Qewiel, qui paraissait si anodine et pourtant si importante à la fois. Y répondre n'était pas évident, et ce pour plusieurs raisons.

Que pouvait-elle dire, déjà, à propos du jeune garçon ? Elle savait que c'était un Elfe, comme tout le monde dans la petite compagnie. Elle s'en était aperçue dès leur première rencontre, et c'était d'ailleurs elle qui lui avait conseillé de ne pas dévoiler à tout le monde sa véritable nature. Les Elfes n'étaient pas détestés en Terre du Milieu, mais ils étaient souvent associés à la richesse, au luxe. Ils transportaient souvent des objets d'une grande beauté et d'une grande rareté qui pouvaient valoir cher sur le marché. Certains individus peu scrupuleux n'auraient pas hésité à lui faire du mal pour essayer de mettre la main sur des bibelots les plus insignifiants qu'il pouvait porter avec lui. La vérité était qu'il ne transportait rien de tel. May avait rencontré la compagnie il y avait approximativement quatre ans, dans des circonstances pour le moins amusantes. Il errait sur le bord de la route, entouré d'animaux exotiques qui faisaient actuellement partie de la petite troupe. Quand Aessa, Brin et Iona s'étaient rendu compte qu'il était désespérément seul, et qu'il n'avait aucun endroit où aller, ils avaient pris la décision collégialement de l'accueillir au sein de la troupe.

Comme pour tous ici, leur passé n'appartenait qu'à eux, et Aessa n'avait pas tenu à en apprendre plus que nécessaire sur son identité. Il parlait peu, de toute façon, et ne paraissait pas enclin à se pencher sur un passé que l'on devinait douloureux mais en même temps très riche. Il leur avait confié qu'il avait appartenu à un groupe de saltimbanques, par le passé, mais il n'avait pas voulu leur en dire plus. Ils ignoraient tous pourquoi il les avait quittés, dans quelles circonstances, ni même qui étaient les autres membres de sa troupe. Une chose était certaine, il n'était pas entré en contact avec eux depuis, et la jeune femme supposait qu'ils étaient morts. Cela arrivait parfois, dans des circonstances souvent tragiques. Les saltimbanques menaient une vie dure, et les routes n'étaient pas toujours accueillantes pour ceux qui les arpentaient en essayant de gagner leur vie. Cela devait être un déchirement pour le pauvre Elfe, car les troupes étaient comme une famille, et il arrivait fréquemment que des individus passassent leur vie dans la même caravane, s'accommodant des départs et des arrivées, au gré des circonstances. Si son ancienne famille d'adoption avait été emportée par la maladie, ou de manière plus violente encore, il devait garder une profonde rancœur, une profonde tristesse en lui qu'il n'était pas sain de faire remonter à la surface.

Aessa se gratta le menton. Que pouvait-elle dire au sujet de May ? Elle finit par répondre quelque chose qui lui paraissait approprié, et suffisant pour en faire un portrait fidèle :

- C'est quelqu'un de bien. Un gentil garçon.

Pouvait-elle réellement dire autre chose de lui ? Pas vraiment. Discret, travailleur, efficace, il était pétri de qualités et elle ne lui trouvait aucun défaut. Oh certes, elle aurait pu apprécier qu'il passât plus de temps en la compagnie des Hommes, et moins de temps auprès des bêtes. Elle pouvait lui reprocher ses escapades nocturnes qui l'angoissaient toujours, alors qu'elle attendait son retour, craignant que quelque chose de grave lui arrivât. Mais c'était tout. Il avait toujours été disposé à l'aider quand elle en éprouvait le besoin, il ne rechignait pas à accomplir toutes les tâches qui pouvaient contribuer à l'amélioration de leur quotidien, et il se montrait incroyable quand il s'agissait de divertir un public avec ses magnifiques animaux. Vraiment, c'était un garçon simple, sincère, et si elle n'avait pas su qu'il était un Elfe, elle aurait cru qu'il était un jeune humain sans prétention. Seul le fait de savoir qu'il avait une nature différente, et qu'il était probablement bien plus âgé qu'elle ne le serait jamais lui donnait ce sentiment étrange de devoir aider un vieillard aveugle. Comme les personnes âgées, il était expérimenté, et pétri de connaissances. Comme les personnes âgées, il avait besoin qu'on lui donnât des indications, qu'on le guidât et qu'on fût là pour lui. Ce paradoxe lui avait posé problème pendant quelques temps, mais elle avait compris que chez lui, l'enfant l'emportait encore sur l'adulte en devenir. Elle s'efforçait de ne pas trop le materner, mais elle se considérait comme sa mère d'adoption, et elle veillait sur lui comme s'il était son propre fils.

La réponse à la fois laconique et très éclairante d'Aessa eut-elle un impact sur la décision de Qewiel ? Eût-elle réagi différemment si elle lui avait présenté May sous un jour moins flatteur ? La réponse appartenait à la jeune fille, qui ne s'exprimait malheureusement pas encore assez bien en Commun pour donner des explications à sa démarche. Toutefois, elle paraissait sûre d'elle, profondément déterminée à retrouver May et à ramener la justice. Ce ne serait pas une mince affaire, mais elle semblait avoir son idée et ne pas vouloir s'en détourner. C'était tout à son honneur, et devant une telle force de caractère, Aessa fut contrainte de la laisser partir même si elle aurait préféré ne pas l'exposer à de tels dangers. Elle savait mieux que quiconque quelles seraient les conséquences s'ils échouaient à libérer le jeune Elfe, et elle préférait ne même pas songer à toutes les atrocités par lesquelles ils risquaient de passer. Qewiel avait donc filé récupérer son épée, à laquelle elle était liée par bien plus qu'une nécessité de se protéger. Quand elle ne la portait pas, elle paraissait toujours anxieuse, toujours inquiète de ce qui pouvait lui arriver. Sa dépendance à cette arme était presque malsaine. La petite troupe ne pouvait pas comprendre son comportement, et ils avaient peur de ce qu'elle pourrait faire une fois qu'elle aurait mis la main sur sa lame. Leur agitation était palpable :

- Les choses ne se passent pas exactement comme prévu, Aessa…

Iona était critique, mais loin d'être agressive. Elle soulevait simplement un constat, qui appelait une réponse posée et intelligente plutôt qu'une réaction défensive. Il n'était pas temps de se diviser, mais bien de s'unir pour retrouver leur quatrième compagnon :

- Je sais… Je pensais que nous aurions encore un jour ou deux.

Brin hocha la tête, et caressa les cheveux d'Aessa pour la rassurer :

- Ce n'est pas de ta faute, tu ne pouvais pas savoir. Concentrons-nous sur ce que nous avons à faire. Le plus urgent est de sauver May.

- Oui. Si nous savons où il est retenu, et que nous trouvons le moyen de priver les soldats de leurs montures, nous pouvons les distancer. Mais si nous faisons ça, nous devrons nous enfuir immédiatement. Cela signifie que nous devons tenir le chariot prêt.

Iona fit un pas en avant :

- Je vais charger nos affaires le plus rapidement possible. Quand nous devrons partir, tout sera en place. Je te le jure.

Aessa acquiesça, et la laissa s'éloigner prestement. Ils ne pourraient pas démonter la scène en entier, mais tout leur matériel pourrait être chargé assez rapidement. Iona, avec la force de l'habitude, s'empara de plusieurs sacs qui auraient pu faire chanceler quelqu'un d'autre, et quitta la pièce à grandes enjambées en se répétant que la douleur qu'elle ressentait était la condition pour sauver May d'un sort funeste.


~ ~ ~ ~


Localiser May avait été un jeu d'enfant. Placé à l'entrée de la ville, il était attaché au chariot que les soldats escortaient. Pendant que la majeure partie de la troupe dormait à poings fermés, deux hommes étaient chargés de veiller sur le chargement, et de s'assurer qu'il ne lui arriverait rien. Deux, c'était jouable, mais pas pour une jeune fille solitaire. Aessa, cachée derrière un pan de mur, ne pouvait pas s'empêcher de penser à Qewiel qui lui avait adressé une dernière étreinte comme si elle lui disait adieu, avant de partir à la recherche de l'Elfe. Elle se tourna vers Brin, qui attendait comme elle dans l'obscurité. Murmurant pour ne pas être entendue, elle lui souffla :

- Brin, tu crois que Qewiel a un plan ?

Il haussa les épaules :

- Possible. Mais de toute façon, elle ne neutralisera pas deux gardes à elle toute seule. Quel que soit son plan, elle aura besoin de nous.

Aessa opina du chef :

- Tu t'es occupé de leurs chevaux ?

Il fit signe que oui. Ils étaient donc prêts. Cela faisait une heure et quelques qu'ils peaufinaient leur plan. Une heure que Qewiel avait disparu dans la nature, et qu'ils craignaient à chaque instant d'entendre les gardes donner l'alarme. Brin s'était opposé fermement à son initiative, tout comme Iona qui pensait qu'elle allait faire rater l'opération de sauvetage. Seule Aessa avait confiance en ses capacités, convaincue qu'elle leur apporterait une aide précieuse. Mais encore fallait-il qu'elle n'en fît pas qu'à sa tête, et qu'elle ne prît pas des risques inconsidérés. A chaque instant, elle pouvait surgir d'une cachette improvisée et essayer d'engager les deux soldats en duel. Elle était peut-être une Elfe, mais c'étaient des militaires, et ils n'auraient aucun mal à venir à bout de son initiative. Avec de la chance, elle ne serait pas tuée tout de suite, et conduite auprès du Roi pour y être jugée. De la chance… Pouvait-on parler de chance, si on considérait qu'elle risquait de passer l'éternité en prison ? Dans son cas, le mot « éternité » prenait tout son sens.

Brin avait passé la dernière heure à mettre du désordre dans les affaires des cavaliers, qui avaient bien négligemment laissé leurs montures sans défense. Elles étaient certes abritées dans des boxes fermés, mais avec un peu de volonté et de dextérité, on pouvait contourner cet obstacle. Il ne lui avait pas fallu longtemps pour identifier les bêtes de guerre, dont il avait soigneusement saboté les étriers et la selle pour s'assurer que les cavaliers basculeraient s'ils se lançaient à trop vive allure. Un truc de roublard, mais qui avait fait ses preuves. S'il avait eu un peu plus de temps, il aurait retiré quelques fers, pour faire boiter les chevaux, des fois qu'un des cavaliers décidât de les poursuivre quand même. Il s'était contenté de verrouiller les portes des boxes individuels le plus fermement possible, de l'intérieur, pour compliquer encore la tâche de ceux qui auraient dans l'idée de les suivre. C'était peu, mais quelques secondes pouvaient faire toute la différence quand il s'agissait de sauver sa vie.

- Tu sais où elle est ? Tu sais ce qu'elle prépare ?

Aessa secoua la tête négativement. Il y avait tant d'inconnues dans cette histoire que tout cela devenait ingérable. La pression qui pesait sur les épaules était telle qu'elle arrivait à peine à respirer. Seule la crainte de voir May souffrir lui donnait des ailes.

- On n'a plus le choix, il faut faire quelque chose. On suit le plan ?

Le plan. Ils l'avaient répété des jours durant, l'avaient appris par cœur au point de ne pas pouvoir fermer l'œil sans y penser. Les récents événements les avaient contraints à procéder à quelques ajustements, mais ils savaient toujours ce qu'ils avaient à faire. La seule inconnue dans l'équation, c'était Qewiel, et son rôle dans toute cette affaire. Elle pouvait aussi bien les aider que tout faire échouer. Aessa avait confiance en elle, et elle tendit la main à Brin pour lui transmettre sa foi :

- Pour May. Pour le Dauphin.

Ils avaient prononcé ces mots en même temps, mais ce fut séparément qu'ils s'élancèrent vers le chariot. Ils couvrirent la distance en quelques secondes, bien trop vite pour que les gardes ensommeillés pussent réagir convenablement. Le premier poussa un cri unique, avant de voir Brin fondre sur lui en brandissant un grand marteau qui devait servir à monter une tente. Ce n'était qu'un outil du commun, mais la masse pesait son poids, et elle pouvait aisément écraser une tête. Le jongleur ne s'en servit pas pour tuer, cependant, et il se contenta de percuter le soldat de toutes ses forces, usant son élan pour le repousser. Le Rohirrim, surpris, fut projeté au sol sans ménagement. Brin lui lança un coup de pied dans le visage qui le sonna pour de bon. Aessa, pour sa part, eut beaucoup plus de mal à se débarrasser de son adversaire. Elle avait laissé le jongleur passer le premier, pour l'attaquer de flanc, mais il s'était retourné à temps et elle avait dû le charger frontalement. Il avait reculé de deux bons mètres, surpris par la hargne qu'elle avait mis dans sa tentative, mais très vite il s'était emparé de ses poignets, avait ancré ses pieds dans le sol, et avait fait jouer sa force et sa taille.

Aessa n'était ni particulièrement grande, ni particulièrement costaude, et elle ne pouvait pas rivaliser avec un soldat bien entraîné en un contre un. Il tourna sur lui-même, et la projeta sans ménagement sur le chariot en poussant un ahanement de bûcheron. La jeune femme lâcha un gémissement de douleur lorsque ses côtes heurtèrent le bois du chariot qui vacilla sous l'impact, avant de retomber sur le sol. Elle se redressa sur les coudes et les genoux, peinant à retrouver ses esprits. La seule chose qu'elle vit fut une silhouette qui s'avançait vers elle, une aiguille argentée dans la main. Et puis ce fut le chaos. Surgi de nulle part, May se précipita vers le dernier soldat debout en rugissant comme un fauve. Il bondit et lui lança ses deux pieds dans le torse. Retenu par les poignets, il crut que ses bras allaient être arrachés, mais il n'en fut rien. Alors que le garde, le souffle coupé, s'écrasait en arrière en se tenant les côtes dont au moins une devait être cassée, May fut ramené au chariot et chuta lourdement. Il s'écorcha méchamment, et resta étendu sur le flanc, visiblement blessé.

- Aessa, détache-le !

Brin avait parlé à voix haute. Il ne servait plus à rien de se faire discrets, car leur intervention avait été tout sauf furtive. D'ici quelques dizaines de secondes, les renforts allaient émerger de leur sommeil, et se rendre compte que quelque chose n'allait pas. Ils avaient vraisemblablement moins d'une minute, deux à tout casser, pour filer. Et toujours aucune trace de Qewiel. La musicienne avait du mal à reprendre ses esprits, mais elle finit par se redresser et par poser la main sur la corde qui reliait May au chariot. Lentement, elle la suivit jusqu'au point d'attache, qu'elle essaya de dénouer fébrilement. Le jongleur, pendant ce temps, faisait un bon usage de sa masse. Il donna un coup dans une des roues, qui sortit de son châssis et alla terminer sa course dans les eaux sombres du fleuve. Elle y plongea pendant un instant, avant d'émerger un peu plus loin en aval, emportée par le courant. Déterminé, il se lança à l'attaque de la seconde roue, de l'autre côté.

- Attends, Brin… Murmura Aessa en s'acharnant sur la corde qui ne voulait pas lâcher.

Elle tirait de toutes ses forces, mais n'arrivait pas à trouver comment la dénouer. Elle l'aurait bien tranchée, mais elle n'avait même pas un poignard sur elle ! May, toujours à demi-inconscient, était bien incapable de l'aider, et elle-même devait déjà lutter pour rester consciente. Les choses se passaient bien pire que prévu. Elle sentit un choc brutal se répercuter dans ses articulations. Brin venait de donner un coup dans la roue, qui n'avait pas cédé. Elle se rendit compte trop tard qu'elle ne parviendrait pas à détacher l'Elfe avant qu'il eût terminé.

- Brin, attends !

L'intéressé n'entendit pas. De toutes ses forces, il envoya un coup de masse qui pulvérisa la roue sans ménagement. Le chariot bascula un peu plus, et glissa vers le fleuve avec son chargement. Les deux autres roues, sur le côté gauche, se brisèrent sous le poids, et cessèrent de freiner la lente glissade du chariot vers les eaux vives qui coulaient juste à côté. Aessa faillit être emportée par la chute du chariot, et elle trébucha lourdement, manquant de glisser sous le chargement alors qu'une bonne partie se déversait dans les eaux.

- Brin ! May !

- Aessa !

Elle lui désignait le jeune Elfe qui, toujours inconscient, était traîné dans l'eau par une force irrésistible. Si le chariot coulait, il coulerait avec et mourrait noyé. Insensible à ce problème, il lui désignait quelque chose qui se trouvait derrière elle. Elle ne comprit pas, avant de sentir une langue de flamme percer sa chair. Elle poussa un cri déchirant, et tomba à genoux, une main dans le dos pour essayer d'endiguer la perte de sang déjà importante.

Le lieutenant eut un sourire. Une de moins…


~ ~ ~ ~


Qewiel avait assisté à toute la scène. Le lieutenant à qui on avait confié la tâche de surveiller le prisonnier s'était éloigné quelque peu pour aller satisfaire un besoin naturel, emportant avec lui ses armes car il était d'un naturel méfiant. Iil était en train de troubler l'eau du fleuve en réfléchissant à ce qu'il allait bien pouvoir advenir de son prisonnier quand il avait entendu les échos d'un combat qui avait lieu non loin. Il comprit immédiatement que ses hommes avaient besoin de lui, et au lieu de donner l'alarme comme il aurait pu le faire en allant réveiller le gros de la troupe, il avait rejoint le lieu des combats en se baissant, serrant fermement sa lance entre ses mains. En arrivant, il nota immédiatement que les deux sentinelles étaient à terre, et que le chargement était en train de s'enfoncer dans l'eau progressivement. Curieusement, la structure du chariot semblait pouvoir résister à la submersion, et la cargaison commençait à dériver lentement vers l'Est, en suivant le cours d'eau. Il avait hésité une fraction de seconde. Devait-il aller chercher des renforts maintenant, et essayer de sauver ce qui pouvait l'être ? Fallait-il procéder à l'arrestation de ces brigands qui venaient de s'opposer à des hommes du Roi Fendor ? Une troisième option s'imposa dans son esprit quand il comprit qui étaient les brigands en question. Des cheveux roux, et cette voix… La musicienne ! Son sang ne fit qu'un tour, il quitta son abri et sans une seule sommation, il abattit sa lance dans son dos, au mépris de toute notion d'honneur. Cette traînée était une scélérate et une félone, elle ne méritait que la mort !

L'homme poussa un grand cri de rage, mais que pouvait-il faire face à un soldat du Roi ? La lance lui donnait l'avantage face à la masse, et il pouvait frapper avant d'être frappé. Le bandit n'avait pas d'armure, et le moindre coup pouvait lui être fatal. Il n'hésiterait d'ailleurs pas à se débarrasser de lui…

Aessa, étendue sur le sol, était agitée de spasmes incontrôlables et des larmes de douleur coulaient sur ses joues. Brin serait le prochain, et il n'avait tout simplement aucune chance de venir à bout de son adversaire. Gagner du temps ne servirait à rien, car les renforts ne tarderaient pas à arriver. Enfin, May risquait tout simplement la noyade, et son corps était déjà en train d'être englouti par la force du chariot qui s'éloignait silencieusement sur le fleuve. Il ne restait qu'une seule personne en mesure de faire pencher la balance. Mais qui pourrait-elle bien sauver ?


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Le passé n'existe que si on le regarde EmptyVen 5 Fév 2016 - 0:00
C'est quelqu'un de bien. Un gentil garçon.


Je haussais les sourcils, étonnée. Que se passait-il ? Je changeais discrètement de place pour mieux voir et, ainsi, m'apercevoir que venaient d'entrer en scène Brin et Aessa. Mais là ce n'était pas une pièce de théâtre... ils faisaient pour de vrai un numéro pouvant s'avérer dangereux et qui n'avait pas bénéficié de répétition générale. Et dans quel but ? Celui de sauver leur compagnon May. Un compagnon que je n'arrivais pas à comprendre et qui ne me semblait pour autant pas le plus net. Enfin... j'avais vu quel était l'attachement qui existait entre lui et les autres, j'avais promis de le ramener à la troupe... de le sauver des cavaliers. Mais là, leur soudaine interruption me laissait quelque peu perplexe.

Entendant le bruit qu'ils faisaient et voyant qu'ils avaient besoin d'aide, je me levais et commença à courir pour pouvoir passer l'eau sans trop m'abîmer dans ses profondeurs - être habituée aux marais et savoir utiliser un bâton était très utile dans le cas présent. C'est alors que des craquements retentirent dans la nuit et que le chariot qui retenait May prisonnier glissa dans l'eau. Il glissa, s'écroula, s'immergea... emportant avec lui un elfe évanoui. Ma course s'arrêta là et je regardais penaude les trois protagonistes dorénavant séparés par l'eau et la guerre. Les deux plus âgés (du moins physiquement) ne coururent pas à la rescousse de leur partenaire, pour une raison que je ne pris pas le temps de comprendre. C'est vers May que je me tournais, avant qu'il ne soit trop tard pour lui.

Je courus dans sa direction, m'enfonçais assez dans l'eau pour me rapprocher de lui et tendis le bâton afin de le rediriger vers moi. Alors qu'il s'enfonçait je pus réussir à l'attraper et m'accrocher lui. Prenant le bout de bois entre mes dents, je sortis d'une main le poignard qui reposait à ma ceinture et entreprit de détacher May. La dague étant tranchante, ce ne fut pas bien compliqué. Ma peine fut, par la suite, de réussir à remonter à la surface sans trop se faire prendre par le courant et surtout en arrivant à traîner avec moi un corps plus grand que le mien. La petite lame retrouva tant bien que mal sa place à mon côté et le bâton me fut d'une aide des plus précieuses. Enfin, j'arrivais saine et sauve au bord de l'eau, May avec moi. Je fis attention à ce que sa tête soit hors de l'eau et, les muscles complètement engourdis par l'effort que je venais de produire, je me relevais avant de traîner tant bien que mal l'elfe sur le sol.

Quelques mètres et je m'arrêtais, essoufflée. Les bruits revinrent à mes oreilles et j'eus l'intuition que quelque chose n'allait pas. Je relevais la tête et le vis, tout habillé de noir, le visage caché. Il était toujours là, il me fixait de son regard... alors... Je me tournais vers Aessa et Brin : la première était tombée et le deuxième semblait être en train de perdre un combat avec un soldat que je n'eus pas trop de mal à reconnaître. Mais si il était là... Merde !

Sans réfléchir, je me baissais pour donner deux claques à May, ce qui le réveilla plus ou moins. Après lui avoir fait comprendre qu'il fallait qu'il retrouve Iona, je repris mon bâton de marche, mon élan et sautais. Après ce ne fut qu'une course où le but était de ne pas être dans le champ de vision du cavalier à l'épée. Brin tomba. Celui qui était en fait le sous-chef tourna un instant les yeux vers l'eau, là où avait coulé ce qu'il gardait. Il râla, même si sur son visage était peint un malsain sourire de satisfaction. Sourire que je ne vis pas. Mon arme de prédilection frappa à l'arrière de ses genoux avec force, le faisant tomber sous la surprise. J'eus mal aux bras, je crois que c'est mon bâton qui craqua. Je me retrouvais bêtement devant lui, à le regarder dans les yeux, avant que le temps ne se décide à reprendre son cours. Son arme était tachée de sang... celui d'Aessa et Brin. C'était idiot, vraiment... mais j'appréciais vraiment la musicienne, que je lui devais certainement plus qu'il n'y paraissait. Alors lorsque l'inconnu commença à esquisser un mouvement, je ne réfléchis pas : je pris la dague encore trempée et je la plantais dans sa gorge. Puis je ne sus regarder ailleurs... ce sang encore chaud coulant de la plaie, la blessure béante laissée dans son cou... je me mis alors à trembler. Qu'avais-je fait ? Méritait-il une mort autant contre-nature ? J'enlevais la dague. Tremblante, je n'eus pas la volonté d'effacer les larmes qui coulaient sur mes joues.

"Qewiel...

La voix d'Aessa me réveilla de ma torpeur. Elle était faible, trop faible. Mais ma fine ouïe était tout à fait capable de comprendre qu'elle m'appelait. Je me tournais alors vers elle et m'avançais, avant de tomber à ses côtés. C'était triste à dire... mais elle était magnifique, ainsi, la pâleur de son visage contrastant fortement avec ses cheveux de feu. Son regard alla vers Brin, qui était mort de l'une des pires façons possibles à mes yeux. Je la regardais mourir, ne pouvant de toute façon rien faire pour la sauver vu la quantité de sang qu'elle avait perdu. La tristesse devenait de plus en plus forte au fur et à mesure que les secondes passaient...

-May, Iona... pas danger."

Ils étaient saufs et, si tout se passait bien, ils arriveraient à partir à temps pour distancer leurs ennemis... nos ennemis. Aessa sourit puis me fit comprendre qu'elle voulait m'adresser une dernière parole. Je me penchais au-dessus de sa tête afin de mieux pouvoir l'entendre, fermais les yeux et, lorsqu'elle eut fini, éclatais en sanglots tout en acquiesçant à leur manière de la tête. Le bruit extérieur fut assez fort pour que je tourne la tête : les autres arrivaient en courant. Alors j'embrassais la belle musicienne sur le front et me força à abréger ses souffrances avant qu'ils n'arrivent. Avant qu'ils ne puissent lui faire encore plus de mal. Je sentis alors toute force m'abandonner et au même moment je pus ressentir la présence de l'être en noir. Il se trouvait à l'instant présent juste à côté de moi, à me fixer de ses yeux. J'avais utilisé une arme tranchante pour épargner à une personne de trop souffrir alors qu'on ne pouvait plus rien pour lui, cas de rare nécessité chez moi. Chez moi... j'avais tellement envie d'y rentrer, d'arrêter cette traque inutile et surtout incompréhensible. Je ne pouvais plus supporter qu'il y ait des morts à cause de cela, à cause de ma présence parmi eux. Je voulais désormais être seule. Mais fallait-il qu'il me reste la force de me relever...
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Ryad Assad
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Ryad Assad

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Le passé n'existe que si on le regarde EmptyVen 5 Fév 2016 - 8:11
Le passé n'existe que si on le regarde Aessa10


- Aessa !

La jeune femme ouvrit les yeux péniblement, en entendant la voix de Brin. Sur ses mains, du sang. Elle tremblait comme jamais, incapable de rester consciente. Elle fit un effort surhumain pour lever la tête de sa blessure béante, et observer devant elle. Ses yeux commençaient déjà se voiler. Elle avait déjà un pied ailleurs. Quelque part. Pas ici.

- Aessa !

Elle aurait dû sursauter. Elle demeura de marbre. Elle ne voyait que ça. Du sang. Il y en avait tellement. Tellement ! Elle sentit une nausée atroce la saisir, et elle se pencha sur le côté pour rendre son repas. Ce n'était tout simplement pas possible. Pas possible. Elle devait rêver. Oui, cela ne pouvait être réel.

- Aessa ! Viens vite !

Elle n'était pas en mesure de réagir. Ses membres étaient figés, et ses yeux écarquillés ne pouvaient que contempler l'ampleur du carnage. Ils étaient morts. Tous morts. Leurs corps, étendus dans des flaques carmin, présentaient des entailles caractéristiques : on avait massacré ces gamins, sans autre forme de procès. Quel était leur crime, sinon d'avoir appartenu au mauvais camp ? Quel était leur péché, sinon d'avoir cru dans le mauvais Roi ? Ils n'avaient pour ainsi dire rien connu, rien vécu, et déjà ils gisaient face contre terre, défigurés par un coup d'épée porté qui n'avait pas épargné ce visage poupin désormais méconnaissable. Elle avait entendu dire que tout avait dégénéré, que les Haradrim étaient devenus fous, que les hommes du Gondor avaient tiré l'épée, que tout s'était emballé. Dans la confusion, les prisonniers avaient essayé de s'enfuir, de rejoindre leur patrie, leur foyer. La jeune femme était tellement choquée qu'elle était incapable de pleurer. Elle restait simplement là, à observer ce spectacle effroyable, alors qu'autour d'elle des hommes s'affairaient.

Pourquoi ?

Son esprit réussit à extirper une question de l'inextricable entrelacs de pensée qui se percutaient avec la violence d'un bélier heurtant un mur. C'était la seule question valable, mais c'était aussi la seule question à laquelle elle n'avait pas de réponse. Pourquoi ? Qui avait pu considérer que prendre la vie de ces jeunes gens était la bonne chose à faire ? Qui avait pu considérer qu'il était préférable de les tuer jusqu'au dernier, quand ils n'étaient même pas armés ? Des enfants. Ce n'étaient que des enfants…

- Aessa !


- Brin !

Elle revint subitement à elle, et des larmes coulèrent entre ses cils si fins. De petits diamants qui accrochaient paresseusement la faible lumière que dispensait la lune. Elle était glacée, et les pierres précieuses qui fuyaient son regard auraient pu se parer de givre en courant sur la peau de ses joues qui perdaient leurs couleurs. Elle ne ressentait déjà plus rien, sinon une profonde tristesse. Le monde était curieusement silencieux, et elle ne trouvait pas la force de regarder bien loin autour d'elle. Instinctivement, elle sut qu'elle allait mourir ici. Ce fut comme une révélation, un nouveau choc qui la déchira de l'intérieur. Elle ne voulait pas… Elle ne voulait pas mourir. Elle voulait vivre encore un peu, et pouvoir continuer à faire rire le monde avec ses chants et ses musiques. Elle voulait partager un dernier repas avec Iona, la serrer dans ses bras et lui dire combien elle l'aimait, combien elle était la petite sœur qu'elle n'avait jamais eue. Elle voulait lui dire tant de choses… Et May, le pauvre May qui s'était sans doute noyé sous cette cargaison d'armes. Elle ne put retenir un sanglot terrible, cette fois, qui la fit souffrir le martyr. Pas May, pas lui ! Il était l'être le plus pur et le plus innocent qu'elle avait rencontré de toute sa vie, même s'il s'était construit une carapace pour se protéger des choses atroces qui avaient dû lui arriver. Il n'était que bonté, douceur et paix. Elle ne pouvait pas l'imaginer gisant au fond de cette rivière, oublié de tous.

- Brin !

Elle ne savait pas où il était. Il était forcément là. Il était près d'elle quand elle était tombée, transpercée par une lame venue de nulle part. Où était-il ? Où était-il donc ? Elle n'en savait rien, et son impuissance l'angoissa. Elle s'agita, et se mit à l'appeler faiblement.

- Brin… Brin…

- Aessa !

Quelqu'un se tenait près d'elle. Il était tâché de sang, et ses vêtements qui jadis avaient été propres et neufs étaient désormais bons à jeter. Il les gardait toutefois, car ils n'avaient pas de quoi se changer. Ici, sous ce soleil de plomb, ils n'avaient rien. La jeune femme demeura silencieuse. Elle observait l'horizon. Elle n'avait pas prononcé un mot depuis mille ans, et le souvenir de ces enfants massacrés la hantait. Elle ne trouvait pas le sommeil, car dès qu'elle fermait les yeux elle revoyait les images effroyables qui resteraient gravées dans sa mémoire à jamais. Leurs corps lacérés, leur sang lentement absorbé par le sable brûlant, leurs doigts raidis par la mort. Tous ces détails étaient en elle, maintenant, et elle portait leur héritage. Elle était le dernier visage ami qu'ils auraient vu dans leur jeune existence.

- Aessa !

Elle ne répondit pas. A quoi bon ? Elle préférait regarder au loin. Une cité se dressait à l'Est, grande et belle malgré sa simplicité. Elle se découpait très nettement sur le ciel d'un bleu azur, et semblait les défier une nouvelle fois. A ses pieds, combien de centaines de corps sans vie gisaient, terrassés par une flèche ou un coup d'épée ? On n'avait pas encore le temps de tous les ramasser, et l'odeur de leur chair en train de pourrir, de brûler littéralement, était insoutenable. Insoutenables également les croassements des corbeaux qui disputaient aux vautours une place de choix pour dévorer la chair des morts. Un d'entre eux, au plumage d'un noir profond parcouru de reflets bleutés, ne participait pas au banquet. Il se contentait de rester là, et d'observer les autres festoyer.

C'était un spectacle terrifiant.

Elle regardait ces oiseaux de malheur sans les voir vraiment. Elle voyait leurs épées, leurs lances et leurs boucliers sans les regarder vraiment. Des soldats. Des charognards. Quelle différence ? Le seigneur de ces monstres fit son apparition. Elle le repéra de loin, car ses plumes blanches et son escorte trahissaient sa véritable nature. Il allait la tête basse, comme s'il cherchait un reste de viande à dévorer, un os à ronger. Un souffle de vent chaud venu du Sud fit gonfler ses ailes, et quelques membres de son escorte levèrent la main pour se protéger le visage. Le sable s'infiltrait véritablement partout. Elle ne pouvait pas détacher son regard de lui. Cet homme. Cet homme pour qui tant et tant étaient tombés. Combien d'enfants étaient morts par sa faute...

Tout cela parce qu'il souhaitait retrouver le sien…

- Aessa !


- Qewiel…

Sa voix était terriblement faible. Elle crut que la jeune fille ne l'entendrait jamais. Elle tourna toutefois la tête vers elle, et s'approcha. La musicienne lui prit la main, et la serra fort dans la sienne, comme pour lui transmettre le peu de courage qu'il lui restait. « Ne pleure pas » voulait-elle dire. « Sois forte ». « Ne m'oublie pas ». Tant de demandes en un seul regard. Elle fut agitée d'un spasme qui lui tira une grimace de douleur, et pivota la tête. Ses yeux déjà ailleurs accrochèrent une silhouette familière étendue sur le sol. Elle reconnut instantanément le corps de Brin, qui reposait, immobile. Son cœur manqua un battement, et si elle avait eu la force de hurler, de pleurer, elle l'aurait fait. Mais elle en était incapable. Comme quand elle regardait les corbeaux et les vautours se battre, elle ne pouvait pas céder à cela. C'était trop. C'était bien trop. La jeune fille suivit son regard, comprit son désespoir, et lui apporta un peu de réconfort au soir de son existence. A sa façon, maladroite mais si attachante, elle lui fit comprendre que May était sauf, et Aessa remercia les Valar silencieusement. Elle eut un sourire fatigué, et sut qu'elle pouvait partir en paix.

Presque.

Elle attrapa le poignet de la jeune fille, et rassembla son énergie pour lui transmettre ses dernières paroles. Elle lui confia ce qui avait le plus d'importance pour elle, ce qu'elle voulait que Qewiel retint des brefs instants qu'elles avaient passées ensemble. Elle savait que la jeune fille ne comprendrait pas bien les mots, mais elle la savait sensible à la musique. Elle retiendrait les paroles, ainsi que la mélodie. Quand elle serait en mesure de comprendre, alors elle réaliserait :

- « Il est nécessaire de… déconstruire… ce qui a été érigé p… pour nous priver de… pour nous priver de l'ordre primordial ». Tu m'entends, Qewiel ? Tu m'entends ?

Elle la suppliait, et dans sa voix on sentait clairement sa crainte alors qu'approchait sa fin. Elle était effrayée, mais son regard était d'une intensité incroyable, comme si ces derniers mots étaient les plus importants de toute sa vie. Elle déglutit, et ajouta un ultime conseil :

- Ecoute ton instinct… Ecoute-le… N'écoute pas leurs… mensonges… Ne crois pas… leurs paroles… Ils disent vouloir l'ordre… Ils mentent… Ils tuent… Le chaos…

Elle tendit ses doigts fins, comme pour caresser la joue de la jeune Elfe une dernière fois. Elle s'en voulait tellement de ne pas pouvoir la protéger, de ne pas pouvoir la sauver. De ne pas pouvoir la guider.

- Oh, Qewiel…

- Aessa !

Elle faisait face au ciel. Etendue par terre, elle voyait le ciel bleu, et les silhouettes des oiseaux qui dessinaient des cercles dans le ciel, en l'observant d'un œil avide. Elle était la seule à se trouver encore étendue dans ces vastes étendues sablonneuses, mais elle respirait encore. Ces prédateurs la lorgnaient sans vergogne, mais elle se redressa puis se releva, pour leur prouver qu'elle ne les laisserait pas la prendre. En face d'elle, les remparts se dressaient. Ils étaient immenses, et constituaient un obstacle insurmontable. Elle resta à les observer pendant un moment. Sur le chemin de ronde, des visages apparaissaient. Des guerriers, qui l'observaient avec suspicion. Elle ne voyait de leurs visages que leurs yeux sombres, accusateurs. L'un d'entre eux encocha une flèche. Elle n'attendait que ça.

- Aessa !

Des doigts fins, d'une douceur incomparable, se glissèrent entre les siens. C'était la première fois. Elle tourna la tête lentement, sans savoir qui elle allait découvrir à ses côtés. Son sourire revint un bref instant, et elle éprouva ce que l'on ressent en recevant une lettre d'un ami que l'on n'a pas vu depuis très longtemps. C'était un des enfants. Il la regardait avec de grands yeux pétillants, et paraissait sincèrement heureux de la voir. Sur son visage, elle ne lisait aucune marque d'affliction : il était apaisé, comme il aurait dû l'être et le rester. Elle se rendit compte que c'était lui qui l'appelait depuis tout ce temps. Elle n'avait plus de raisons de craindre, désormais, car il ne lui voulait aucun mal. Au contraire, il ne souhaitait que l'aider. Elle se retourna lentement, et vit au loin les autres enfants qui l'attendaient. Ils étaient si beaux, dans leurs jolies tenues bariolées. Ils la dévisageaient, et on aurait dit qu'ils étaient suspendus à sa décision… Elle ne put cette fois retenir des larmes d'émotion, qui se mirent à couler le long de ses joues. Mais son sourire, lui, était bien un sourire de pure joie. Elle n'hésita pas longtemps. La cité jaillie des sables qu'elle avait vu toutes ces années dans ses cauchemars, Assabia la sombre devant laquelle tant et tant de gens étaient tombés, appartenait désormais à son passé et elle refusait de lui faire face plus longtemps. Ce n'était plus nécessaire. Tout était beaucoup plus facile, maintenant. Alors, sans rien dire, sans un adieu pour cette vieille compagne avec laquelle elle avait appris à vivre, elle lui tourna le dos, et emboîta le pas du gamin qui la tenait par la main. Elle marchait vers un nouvel horizon.

Vers l'océan et ses reflets argentés.

Vers l'inconnu.



~ ~ ~ ~


May arriva en courant. Il était trempé, encore un peu sonnée par sa chute dans l'eau, mais il vit toute la scène. Qewiel, penchée sur le corps d'Aessa dont toute vie semblait s'être échappée. Elle tenait un poignard imbibé de sang en main. Le garçon s'immobilisa, comme s'il avait reçu un coup de poing dans l'estomac. Les yeux écarquillés de stupeur, il mit un moment à comprendre. C'était comme si son cerveau peinait à assembler les informations qu'il recevait. Tout était fragmenté, et il n'était pas en état de faire les liens qui s'imposaient. Aessa. Morte. Brin. Mort. Le garde. Mort. Qewiel. Vivante. Le poignard. Ensanglanté. Il repassait tous ces éléments en boucle dans son esprit, encore et encore, à toute allure, sans voir quoi ajouter. Et puis finalement, un sens se dégagea de tout cela. Un sens horrible. Atroce. Ignoble. Quand Qewiel se retourna vers lui, leurs regards se croisèrent.

Deux immortels.

Vraiment ?

Qewiel n'avait plus rien d'une Elfe : elle était une meurtrière, une tueuse impitoyable. May ne voyait que cela quand il la regardait. Lui non plus n'était plus un Elfe : il était un concentré de colère, de rage, de haine pure. Lui qui n'avait jamais haussé le ton contre quelqu'un de toute sa vie se retrouvait soudainement à éprouver un sentiment qui le dépassa. Oui, c'était bien la haine. Absolue, totale, irrépressible et incommensurable. Elle était telle qu'il ne trouva même pas la force de la convertir en actes. Il n'aurait sans doute pas été jusque là, de toute façon. Mais si les regards avaient pu blesser, il aurait éteint la vie de Qewiel en un instant. Il ignorait ce qu'il allait faire. Il ignorait ce qu'il fallait faire. Les soldats du Rohan se chargèrent de lui fournir une réponse. Il les entendit sortir précipitamment, lourds dans leurs épaisses bottes de cuir, avec leurs boucliers de bois, leurs cottes de mailles et leurs épées. Ils étaient aussi bruyants que des pachydermes.

May n'aurait pas sa vengeance. Pas maintenant. Il laissa Qewiel tourner les talons, et prendre ses jambes à son cou. Il ignorait si elle le craignait lui, ou si l'arrivée des gardes avait également conditionné sa réaction. Ou un peu des deux. Il s'en fichait. Il regarda Aessa et Brin, étendus sur le sol, figés pour l'éternité. Il ne pourrait même pas leur offrir une tombe décente. Il ne pouvait plus rien pour eux, parce que Qewiel les lui avait pris. Cette pensée se grava dans son esprit, s'ancra profondément comme si elle avait été imprimée au fer rouge dans sa chair et dans son âme. Il tourna les talons également, ravalant son profond désespoir, et courut vers le chariot où se trouvait encore Iona. Elle le vit arriver, seul, glacial, et elle sut que quelque chose n'allait pas rien qu'en observant sa démarche :

- Et Brin ? Et Aessa ? Où sont-ils ?

Il ne répondit rien, mais lui prit les rennes des mains et fit aller l'attelage le plus rapidement possible. Ils n'avaient pas beaucoup de temps, et il leur fallait prendre autant d'avance que possible sur les gardes qui ne manqueraient pas de les traquer. Iona demeura interdite. Elle voulait descendre de l'attelage pour aller vérifier par elle-même, car la réaction de May la terrifiait, mais en même temps elle tirait les conclusions qui s'imposaient, et une partie d'elle-même la retenait, lui disait que cela ne servait à rien de risquer sa vie pour constater qu'il n'y avait plus rien à faire :

- May ! May réponds-moi !

Elle était hystérique, et il finit par tourner son regard vers elle. Elle n'avait jamais vu cette expression sur son visage, et se calma instantanément, choquée. Choquée par la profondeur de la souffrance qu'elle venait de lire dans ses yeux. Choquée par ce que cela signifiat pour elle… pour eux. Il souffla, sur un ton aussi neutre que possible :

- Nous avons accompli ce pour quoi nous étions là.

- Mais… Mais…

Elle ne trouvait plus les mots. Elle s'affaissa sur elle-même, effondrée, brisée. May serra les dents, et répéta :

- Nous avons accompli ce pour quoi nous étions là. Nous devons avancer, laisser le passé derrière.

- May !

Iona ne l'avait jamais entendu parler sur ce ton. Il était transformé, et il avait soudainement abandonné son enfance, pour se transformer en un adulte qui lui faisait presque peur. Elle entendait ses paroles, et percevait la logique qu'il y avait derrière, mais elle ne pouvait pas croire que cela venait de lui :

- Il faut laisser le passé derrière, et essayer de changer les choses. « Il est nécessaire de déconstruire ce qui a été érigé pour nous priver de l'ordre primordial... »

- Arrête ! Arrête, ce n'est pas toi !

Il ne lui répondit pas. Il regardait droit devant lui, et ses yeux brillaient d'une inquiétante lueur qui paraissait nourrir son comportement. Il n'avait pas basculé du mauvais côté. Pas encore. Le garçon gentil et doux qu'il avait toujours été n'avait pas totalement disparu. Il était simplement en retrait, surpassé par un instinct de survie particulièrement prononcé, qui se réfugiait dans l'action pour ne pas sombrer totalement dans la folie. Il ne l'écoutait pas, et poursuivit :

- « Si chacun accepte de déchirer les illusions qui lui font croire qu'il ne peut façonner la Matière, nous nous dresserons en légions pour faire triompher l'ordre véritable… »

Elle compléta :

- « … et repousser à jamais les incursions insidieuses du Mal ». Elle sembla se calmer, comme sous l'effet d'un charme. Tu as raison… Brin et Aessa ont donné leur vie pour cela, et nous avons accompli notre mission. Nous devons aller de l'avant.

Il hocha la tête. Elle posa une main sur son bras. Les armes reposaient au fond de l'eau, et ne tueraient plus. Ils avaient sauvé d'innombrables vies, grâce à leur action, et le coût terrible de cette victoire ne devait pas leur faire oublier les raisons qui les motivaient. Quelque chose de plus grand, quelque chose qui les dépassait. Il ne sentait que de manière très diffuse sa présence, la chaleur de sa main sur sa peau. Cependant il revenait peu à peu, et il l'écouta quand elle reprit :

- Nous devons trouver deux nouveaux compagnons. Nous n'y parviendrons pas seulement tous les deux… Mais comment faire ?

Il tapota un petit sac qui se trouvait parmi leurs affaires, dans le chariot, et répondit simplement :

- Nous utiliserons l'Orbe.

Il avait peut-être franchi la limite, cette fois. La douleur et la peine l'avaient-elles fait basculer ? A force de s'approcher du gouffre, avait-il fini par y tomber ? Trois personnes étaient mortes ce soir. Il aurait dû réagir différemment. Dans son cœur, bien qu'il parût très sûr de lui, tout était confus.

Et à sa main, une bague figurait un oiseau.


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Dernière édition par Ryad Assad le Ven 5 Oct 2018 - 14:08, édité 1 fois
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Le passé n'existe que si on le regarde EmptyVen 5 Fév 2016 - 12:58
J'avais envie de vomir. De rendre tout ce que j'avais dans mon corps, d'enlever cette horreur qui me pesait sur les épaules et qui tuait trop de gens, cette traque, cette malédiction. Puis je relevais la tête, je ne sais pas pourquoi. Il était là, à me regarder, quelque chose dans ses yeux que mon esprit ne pouvait déchiffrer tant la douleur, l'horreur et la peine étaient présentes en moi. May. Il était bien vivant, j'avais réussi la mission... en en payant le prix, certes. Mais il était là, debout et libre, tout ce qu'aurait voulu celle qui reposait inerte à mes genoux. J'avais tenu ma promesse. En quelque sorte, je me montrais à nouveau digne de mon clan, à nouveau l'adulte que j'étais. Comme Laurelien m'avait connue, raison pour laquelle il m'avait donné le collier de ma mère. Mon regard se porta sur l'être en noir que, étrangement, May semblait ne pas avoir remarqué. Pourtant, ombre du destin, il se tenait debout juste à côté de moi. Et il me rappelait que j'avais une autre promesse à tenir. Une qui était représentée par une épée.

Un dernier regard pour Brin, un autre pour Aessa, plus belle que jamais. Tu n'aurais pas voulu que je reste là à me faire capturer par ces hommes, n'est-ce pas ? Je sursautais et regardais à ma gauche, là d'où venaient les guerriers. Il fallait que je file. Pour Aessa, Brin, May et Iona. Pour pouvoir tenir ma promesse. Je me levais alors, jambes tremblantes, et me mis à courir. Courir vers nulle part. Courir loin d'eux. J'avais la chance de courir vite en plus de ne pas peser beaucoup, ce qui me permit de distancer ceux qui n'étaient plus qu'à quelques mètres de moi lorsque je quittais Aessa. Le poignard ensanglanté que ma main serrait très fort me rappelait que je n'avais pas eu le temps de les mettre sous la protection de Llyod, que leurs âmes puissent reposer en paix. Intérieurement, cela me déchirait. Mais c'était la guerre, une bataille que je ne pouvais comprendre... et chaque bataille avait son lot d'atrocités.

Au bout d'un long moment, lorsque je ne fus obligée de m'arrêter pour reprendre mon souffle et calmer mon poing de côté, je tombais. Je n'avais plus la force de rien. Je me demandais même comment mes jambes avaient fait pour me porter jusque là, loin du village. Mes yeux ne purent faire autre chose que regarder droit devant eux, désormais incapables de tourner. Il était là, toujours. Il m'avait suivie et se tenait près de moi. Ironiquement, sa présence me réconforta. Elle diminua un peu ma peine, alors que mon esprit se rappelait son par son l'air que m'avait chanté Aessa avant que la vie ne la quitte.

Il est nécessaire de… déconstruire… ce qui a été érigé p… pour nous priver de… pour nous priver de l'ordre primordial. Tu m'entends, Qewiel ? Tu m'entends ? Ecoute ton instinct… Ecoute-le… N'écoute pas leurs… mensonges… Ne crois pas… leurs paroles… Ils disent vouloir l'ordre… Ils mentent… Ils tuent… Le chaos… Oh, Qewiel…

Mes yeux ne pouvaient même plus pleurer. Je ne comprenais pas tout à fait ce qu'elle m'avait dit avec tant de mal... Des paroles que je comprendrai un jour, tout comme cette histoire dont je semblais être le personnage principal sans le vouloir.

Histoire qui, je me doutais, me changerait à jamais.
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