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Forlong
Tribun Militaire d'Arnor
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Forlong

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Forlong - Entre les lignes - Page 2 EmptyLun 1 Fév 2021 - 0:38
Forlong fronça les sourcils et relit une fois de plus le mot. C’était écrit en Quenya, et le dunadan eut presque autant de mal à le déchiffrer que Golgoth avec ses Dix Zéro Une Leçons Sages du Conseil Blanc. Bien qu’en tant que Tribun il devait aussi souvent avoir recours à la plume et au papier qu’à l’épée, l’usage du quenya n’était plus particulièrement populaire dans le Royaume du Nord. Les vieilles familles dunedain s’étaient mêlées à d’autres ethnies, et le Westron était devenue la langue franche de l’Arnor.  

C a écrit:
Grimm,
Confirmez que Hadhod, seigneur de la Moria, travaille bien pour les Gobelins.


Le seigneur de la Moria travailler pour les gobelins ? Il ne connaissait pas Hadhod Croix-de-Fer personnellement, mais l’idée même semblait totalement absurde. S’agissait t’il de propagande ? Mais si le but était d’incriminer Hadhod, pourquoi l’écrire en quenya, une langue maîtrisée ni par les gobelins ni la plupart des nains ? Et qu’est-ce que ce mot faisait dans la poche d’un horukhun ? Décidemment, ce message donnait naissance à plus de questions que de réponses. Il dissimula le bout de papier dans une de ses bottes, espérant qu’une averse inattendue ne le transforme pas en bouillie.

Ils n’eurent pas encore le temps de quitter ce lieu qui avait servi de salle à manger, de salle de réunion et de champ de bataille en une poignée d’heures à peine, lorsque l’archer s’approcha de lui. Son sourire se voulait peut-être amical mais il y avait quelque chose en lui qui indiquait inconsciemment à Forlong qu’il était dangereux, peut-être même aussi dangereux que Golgoth.

Parler la langue des elfes ?! Forlong réussit à garder une expression d’indifférence sur son visage, mais les pensées se précipitaient l’une après l’autre dans sa tête. Est-ce que l’archer l’avait vu prendre et lire le mot ? Ah, non, il parlait de la prière en sindarin...il était perspicace le bougre. Peut-être qu’il aurait du éviter de prononcer des paroles en Sindarin si près du Mont Gundabad, mais après tout ses origines de dunadan n’étaient plus vraiment un secret pour ses compagnons d’infortune.

Si Forlong avait réussi à rester impassible face à la première provocation de l’archer, ses prochaines paroles le prirent complètement au dépourvu. Tior Celebdin.. ? Ce nom résonna en lui, comme quelques notes d’une mélodie oubliée depuis longtemps. Il mit un temps à le replacer, à retrouver le chapitre de sa vie qu’il avait refermé sept ans auparavant. Les souvenirs l’envahirent, accompagnés d’une vague d’émotions qui le firent vaciller. Tior Celebdin était un de ses compagnons d’armes lors de la Grande Bataille dans les plaines glacées de Forochel. Un des nombreux à périr dans les flammes du dragon et sous les coups des ennemis impitoyables. L’échelle de la mort et de la destruction lors de cette bataille au bout du monde et le poids de responsabilité pour ceux qui étaient tombés en combattant sous ses ordres l’avaient poussé, plus encore que la mort de la reine, à quitter le service de l’Arnor et s’exiler. Les visages et noms de ses compagnons s’étaient fanés au fur et à mesure que les années passaient, effacés par l’alcool bu, le sang versé et les blessures subies. Mais entendre le nom de Tior ici, dans ces circonstances étranges était un déclic puissant.

-Oui, c’était une prière en elfique...le genre de choses qu’on t’apprend lorsque t’es un gosse et que tu n’oublies plus jamais pour une raison quelconque. Peut-être parce qu’une partie de notre cerveau est faite pour repértorier le savoir inutile, ou peut-être parce qu’on a beaucoup trop souvent eu l’opportunité de prononcer ces paroles auprès des corps des frères d’armes tombés au combat...


Il était plus bavard que d’habitude, peut-être pour cacher ses émotions. Ou pour éloigner la conversation du sujet délicat de Tior Celebdin, qui était après tout directement relié à sa propre identité qu’il espérait encore, peut être naïvement, pouvoir garder en secret.

-Mais parler la langue des Elfes c’est beaucoup dire...et je n’ai jamais vraiment appris à lire leur écriture. Tenez, je suis tombé sur ça sur le corps de ce malheureux...si vous avez reconnu le Sindarin dans ma prière, peut-être que vous pourrez me dire de quoi il s’agit ?


Forlong sortit le bout de papier de sa botte et le tendit à l’archer en le regardant dans les yeux. C’était une action risquée, instinctive. Se débarasser de l’atout que la lettre pouvait représenter semblait stupide au premier abord, mais n’ayant aucun moyen de déchiffrer son sens réel, il préférait donner l’impression à l’archer qu’il ne lui cachait rien. Surtout que ce dernier était beaucoup trop perspicace à son goût. Il avait l’impression de jouer à un jeu complèxe avec cet homme dont il ne connaissait pas les cartes et qui semblait savoir beaucoup des choses sur les siennes. Sauf que perdre une partie de roulette d’Angmar signifiait finir avec une flèche entre les omoplates.


C’était d’ailleurs difficile de ne pas penser à cette eventualité lorsqu’il se mit à suivre Snardat avec l’Archer juste derrière lui. De toute façon la fuite n’était pas une option, pas pour l’instant du moins. Le Tribun s’était fait à l’idée que sa seule chance de sortir de Gundabad vivant était de s’allier avec ce groupe de huit salopards.

La marche était difficile. Snardat était diablement agile et sur ce terrain difficile, le dunadan peinait à le suivre. Il fallait bien sûr prendre en considération ses nombreuses blessures et les semaines d’emprisonnement et de faim quasi-constante, pendant que l’orc profitait des entrainements quotidiens et des rations de soldat.

Forlong crut qu’il allait y passer à plusieurs reprises, d’abord en entendant les signaux d’alerte, puis tout simplement à cause de l’épuisement. Son sang de dunadan pur le rendait plus résistant que la moyenne, mais avec ses pieds et mains blessés ainsi qu’un duel et une escarmouche derrière lui, il était sur le point de s’écrouler.

«  Allez, on s’remet en route ! Vous traînez, là ! »  

-Doucement – il haleta en répondant à l’orc – sinon tu vas devoir affronter les cannibales des cavernes sans moi...

Le dunadan ne refusa pas l’aide du Rat Blanc lorsque ce dernier lui tendit la main pour l’aider dans l’escalade. Il lui était reconnaissant...mais pas suffisamment reconnaissant pour répondre à sa demande de nourrir les créatures cachées dans l’obscurité du grotto dans lequel ils pénétrèrent au bout d’un certain temps. Le chemin jusqu’à l’Angmar serait long, et il ne valait mieux pas gâcher leurs réserves modestes.

Il avait d’ailleurs hésiter à pénétrer dans la grotte. Après les semaines de captivité sous le mont Gundabad, revenir sous terre était une expérience terrifiante. Mais c’était le seul moyen de sortir d’ici. En ignorant le frisson de peur et de dégoût, il s’enfonça dans les souterrains. Forlong se surprit à vérifier la lame de son épée. Lunerill brillait d’une lumière bleue dans la présence des serviteurs du Mal. Mais son épée avait été dérobée par ses géôliers il y a des semaines ou des mois, remplacée à présent par le fauchon de Grimm. Et même s’il possédait encore sa lame, elle brillerait incessamment en présence de Snardat, Golgoth et Trois-Doigts. Il sourit à l’absurdité de cette situation, ses dents brillant pendant un court instant dans l’obscurité.

Forlong chercha Simo du regard. Ce dernier avait une torche à la main et pendant un instant il pensa à lui demander s’il pouvait lui en prêter une, mais il s’arrêta en voyant la silhouette imposante de Golgoth. Le souvenir du tisonnier brûlant était bien trop vif encore pour porter une torche dans ses mains blessées.

Ils sortirent assez rapidement de la grotte, mais au plus grand désespoir du malheureux dunadan, il s’aperçut rapidement que les tunnels décrits par Snardat étaient encore devant eux.

Forlong s’arrêta en respirant lourdement, et but quelques gorgées dans la gourde de Grimm. L’eau sentait le moisi mais elle était froide et il apprécia chaque goutte.  

Il demanda, à personne en particulier même si Snardat était peut-être le seul à connaitre la réponse :

-C’est..encore loin ? Ya t’il un endroit suffisamment à l’abri des éclaireurs de Gundabad où nous pourrons passer la nuit ?


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Forlong - Entre les lignes - Page 2 EmptyLun 1 Fév 2021 - 16:39
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Les sentiers des snaga n'avaient rien de commode, ils s'en rendirent compte bien assez tôt. La petite compagnie hétéroclite avait décidé d'emboîter le pas à leur guide du moment, pensant naïvement qu'ils parviendraient aux tunnels en suivant simplement un chemin abandonné mais praticable, qui ne les obligerait pas à de dangereux numéros d'équilibristes le long des parois abruptes de la vieille montagne.

Leurs espoirs furent douchés rapidement.

Le chemin s'avéra être un ennemi encore plus effrayant que les sinistres patrouilles qu'ils s'évertuèrent à éviter en se cachant, en rampant, en se blottissant contre la pierre dans l'espoir d'échapper aux yeux des sentinelles qui sillonnaient les environs. A ce petit jeu, ils furent les plus malins, et le respect pour Snardat grandit légèrement parmi la petite compagnie. De toute évidence, son désir de ne pas mourir bêtement aux mains de ses anciens alliés lui donnait envie de bien faire. Avec zèle, il les protégeait, veillait sur eux, les encourageait et les exhortait à continuer, malgré la fatigue qui s'emparait du plus faible d'entre eux.

Forlong commençait à tanguer sérieusement, et plus d'une fois l'archer fut obligé d'intervenir pour l'empêcher de perdre l'équilibre, empoignant son bras d'une main étonnamment ferme… Le rappel permanent de cette présence à la fois bienveillante et hostile ne pouvait que rappeler à l'ancien tribun comme à celui qui le suivait leur dernière conversation. Quelques mots échangés sur un ton léger, qui sonnaient pourtant comme une étrange menace. L'Archer avait décelé un très léger tressaillement chez le guerrier aux cheveux blancs, mais il n'avait pas pu confirmer son impression première… Peu d'hommes correspondaient à la description du fameux Loup Blanc, vétéran de nombreuses batailles, et son nom était bien connu dans certains cercles. Pour autant, quelles étaient les chances de rencontrer ce héros de l'Arnor ici, à Gundabad ?

Aucune, très certainement.

Alors il s'était détourné pour un temps de cette idée, et avait préféré se concentrer sur le document que lui avait donné Forlong, cédant à une curiosité bien naturelle qui fit office de diversion parfaite. Il y pensait alors, alors qu'ils avaient fait une petite pause, le temps de laisser passer au-dessus de leurs têtes quelques Gobelins aux yeux globuleux qui veillaient à ce qu'aucun Nain ne se trouvât dans les parages.

Il n'avait pas pu cacher sa surprise en lisant le document, et se souvint malgré lui des questions que Grimm avait posé en arrivant au campement. Il voulait savoir si des prisonniers de marque étaient arrivés à Gundabad récemment, comment la guerre contre les Nains avançait, ce genre de choses. A la réflexion, il s'était focalisé sur ce problème à l'exclusion de tout autre. L'Archer avait fini par répondre, après un long moment :

- Ce n'est pas du Sindarin, mais du Quenya. Une langue encore plus noble, si cela est possible. Je pense qu'il doit s'agir d'une mauvaise blague, voilà tout.

Une mauvaise blague, sous la forme d'un message secret écrit dans une langue que seuls les plus érudits connaissaient encore. Il se rendit compte que son excuse tenait pas la route, et ajouta à voix basse :

- Ce document parle du seigneur de la Moria… Je vous en dirai davantage quand nous aurons l'occasion de discuter à nouveau, en privé. Certaines choses ne devraient pas être criées trop fort. Rangez ça, et ne le montrez à personne. Surtout pas au Nain.

Désormais qu'il avait eu le temps de réfléchir, il ne savait plus si c'était une bonne idée. Le Nain était leur allié de circonstance, mais surtout, c'était un individu colérique et enflammé qui pouvait sans peine les découper à l'aide de sa grande hache. Nul doute qu'il se montrerait indifférent aux flèches de l'archer, et au fauchon de l'ancien tribun. Lui mentir comportait une grande part de risque. Toutefois, l'Archer savait également que l'information contenue sur ce document pouvait causer un séisme à l'échelle de leur petit monde. Le secret était, pour l'heure, leur meilleur défense.

L'Archer revint à lui quand leur situation empira au point qu'ils devaient sortir cordes et piolets pour prendre de court les Gobelins qui ont senti la piste fraîche de visiteurs nocturnes essayant de se faufiler sous leur nez. Mû par la nécessité, le groupe s'active en répondant aux directives de ceux qui s'y connaissent le mieux. Snardat et Trois-Doigts, un peu habitués que les autres à ce genre d'exercices, donnent le rythme. Attacher les cordes solidement, définir un ordre de passage, vérifier que les prises soient solides. Quelques consignes sont jetées à la va-vite, trop rapidement au goût de l'Archer et de Simo qui n'ont guère l'habitude de ce genre de prouesses au-dessus du vide.

- Ne regardez pas en bas, lança Simo à l'attention de la compagnie.

La chute leur serait non seulement fatale, mais leur donnerait l'occasion de méditer sur leurs choix de vie, avant que leurs corps ne vinssent s'écraser comme des poupées désarticulées sur les parois rocheuses en contrebas. Trop loin pour qu'elles leur fussent seulement visibles de là où ils se trouvaient.

Ils entamèrent leur dangereuse entreprise, l'Archer veillant sur ses compagnons tandis qu'ils s'élançaient l'un après l'autre, en faisant confiance à Snardat qui les menait. Simo, terrifié à l'idée de déraper au moment crucial, empoigna sans réserve la main du Rat Blanc. Il était incapable de prononcer le moindre mot, et même après avoir atteint la sécurité de ce nouveau promontoire, il demeura silencieux, livide, les yeux plongés dans le vague comme après une bataille sanglante. Les autres se montrèrent encore moins à l'aise, mais aucun d'entre eux ne chuta. Pas même le Nain, pourtant pas avantagé par sa petite taille, le poids de son armure, et le fait qu'il refusât sèchement de prendre la main de Snardat :

- Si tu me touches, snaga, je t'arrache la gorge.

Cela avait le mérite d'être clair. Pourtant, il accepta l'aide de Simo et poussa un soupir de soulagement en retrouvant enfin un sol stable. Ses bras le brûlaient après l'effort incroyable qu'il avait consenti, mais il semblait encore encore capable de brandir sa lourde hache si nécessaire. Une véritable force de la nature, à l'image de Golgoth qui se montra étonnamment doué dans l'exercice et n'eut pas besoin d'aide.

Cet Uruk-Haï était décidément surprenant.

Une fois arrivés, ils reprirent leur progression, encadrés par les Wargs qui vérifiaient les environs pour s'assurer que personne ne viendrait les attaquer traîtreusement. Ils ouvraient et fermaient la voie, s'éloignaient parfois pour avoir un meilleur point de vue, avant de revenir leur rapporter qu'ils pouvaient avancer. Sous leur protection, la petite compagnie finit par atteindre le couvert du passage que leur avait promis Snardat. Un véritable parcours du combattant qui met en exergue à la fois la prodigieuse résistance des Gobelins, habitués à parcourir ces montagnes par leurs chemins les plus difficiles, mais aussi le danger que représentent ces créatures chétives, capables de fondre sur un ennemi depuis des endroits improbables. Cette montagne était véritablement leur repaire, et les Naugrim auraient fort à faire pour les en déloger tout à fait.

Ils avancèrent dans le noir, laissant la lueur blafarde de la lune dans leur dos, serrant leurs armes pour se rassurer. On entendit d'abord le chant discret d'une flèche quittant un carquois, puis le chuintement d'une lame que l'on déshabillait. Les respirations se firent plus silencieuses, plus attentives. Dans les ténèbres de ces cavernes, ils n'avaient aucune idée de ce qui les attendait. Snardat, curieusement, semblait familier de ces lieux, et à plusieurs reprises il s'en fit le farouche défenseur. Pourtant, il n'y avait rien à sauver, ici. A mesure que leurs yeux s'habituaient à l'obscurité, et décelaient les formes autour d'eux, ils virent la crasse, le désordre, le chaos omniprésent. Des Gobelins chétifs – des enfants ? – les regardaient, partagés entre la crainte et la haine. L'Archer ne pouvait s'empêcher de les viser par réflexe, craignant que l'un d'entre eux ne décidât soudainement de les attaquer.

- Hors de question que je range mon arme, répondit-il à l'intervention de leur guide. Mais s'il demeurent pacifiques, je n'aurai aucune raison de tirer.

Ils continuèrent, faisant bloc contre l'invisible menace de l'inconnu, de l'incertitude, de la peur qui naissait dans leurs entrailles. Pour différents qu'ils fussent, Orcs, Wargs, Hommes et Nain, ils étaient unis par leur caractère étranger à ces lieux. Pour un temps, ils devaient s'unir afin de survivre à ce qui rampait dans les ombres en les dévisageant, en leur murmurant de retourner d'où ils venaient…

- On pourrait leur donner à manger le faiblard, ironisa Trois-Doigts en faisant référence à Forlong. Histoire qu'il nous ralentisse pas trop… Ou on le garde pour le manger sur la route.

Personne ne réagit trop fort, mais la blague détendit l'atmosphère quelque peu, et quelqu'un adressa une tape amicale sur l'épaule de Forlong, comme pour lui dire : « rassurez-vous, on ne va pas vous manger ». S'il avait été en mesure de voir le regard de l'Orc, Forlong se serait peut-être inquiété encore davantage qu'il l'était en ce moment.

Leur traversée sembla durer une éternité, et lorsqu'ils retrouvèrent l'air libre, il leur sembla que cette parenthèse bien trop courte ne servait qu'à souligner l'horreur de ce qui les attendait. La bouche du tunnel s'ouvrait devant leurs yeux, et les invitait à un voyage étouffant dans les profondeurs puantes de la terre. Une odeur fétide s'échappait de l'obscurité ambiante, que leur maigre torche paraissait bien incapable de dissiper.

- J'ai bien peur que nous soyons obligés de dormir ici, répondit l'Archer à la question de Forlong. Nous serons exposés aux éléments, mais il est peut-être préférable de rester là où ces Gobelins n'oseront pas nous attaquer.

- Restez à la lumière si vous voulez, fit Trois-Doigts sans cacher son agacement, mais de mon côté je préfère dormir à l'abri dans la grotte… Il faut vraiment être pas bien pour dormir en plein jour…

L'argument se comprenait. Il était de notoriété publique que les Orcs comme les Gobelins ne supportaient pas la lumière du soleil, et les forcer à dormir dehors alors que l'aube pointait le bout de son nez était aussi cruel que superflu. Mais qui parmi les Hommes accepterait de passer la nuit dans les ténèbres de ces grottes qu'ils ne connaissaient pas, à la merci de tout ce qui s'y trouvait ? Il leur restait aussi comme possibilité de se séparer, mais le Nain n'était pas particulièrement friand de cette idée…

- Après qu'il nous ait mené si loin, et nous ait bien fait comprendre que tous les Gobelins du coin sont ses copains, vous voudriez vraiment laisser ce snaga aller faire une sieste tranquillement dans les tunnels pendant qu'on reste là sagement ? Vous imaginez pas qu'il pourrait filer en douce retrouver ses congénères ? Si on a de la chance, il nous dénoncera pas et on pourra simplement errer sous la montagne jusqu'à ce qu'on crève de faim ou de soif. Voilà ce que je propose : soit on reste tous ensemble, soit on se débarrasse de ceux qui pourraient nous trahir, et on tente notre chance par nous-mêmes.

Trois-Doigts hocha la tête, en jetant un regard mauvais à Snardat. De toute évidence, aucune des deux solutions ne lui déplaisait fondamentalement, et s'il n'avait pas eu aussi peur de ce qui se terrait dans les tunnels, il aurait proposé de se débarrasser des gêneurs, et de mener lui-même la petite compagnie jusqu'en Angmar.

Il valait sans doute mieux ne pas lui donner le sentiment qu'il pouvait y parvenir.

La discussion s'enlisa, mais finalement il fut décidé de rester ensemble. Au sein de cette bande de malfaiteurs, personne ne faisait confiance à son voisin, et même l'idée de dormir devenait compliquée maintenant que le Nain avait émis des doutes sur la loyauté et la fiabilité de Snardat. Ils firent donc leurs premiers pas dans les tunnels, avec l'espoir d'y trouver un endroit où se reposer, à l'abri de la lumière, et de tout ce que les ombres leur réserveraient bientôt…


~ ~ ~ ~


Les bruits étranges qui venaient du tunnel ne manquaient pas de les effrayer, mais ils faisaient confiance à Golgoth pour monter la garde. Ils avaient proposé de se relayer pour partager les tâches, mais l'Uruk avait refusé, prétextant ne pas avoir besoin de dormir. Personne n'avait osé rire devant une telle affirmation, mais aucun parmi les membres de la compagnie n'avait eu la force de rester éveillé à ses côtés. Ils avaient éteint leur torche par sécurité, mais s'étaient installés non loin de l'entrée, afin d'évoluer dans une pénombre qui leur permettait pour un temps de voir autour d'eux, et de dégager un espace confortable pour se reposer. Les Wargs s'étaient judicieusement positionnés entre le groupe et la sortie toute proche, leurs corps immenses semblant encore plus grands que d'ordinaire.

Snardat avait réussi à trouver un endroit calme pour se reposer, mais il avait été rejoint par Trois-Doigts qui ne le lâchait pas d'une semelle, et le suivait à la trace. De toute évidence, il craignait une défection, et préférait s'assurer que le petit Orc ne ferait rien de stupide.

- Je vais rester là, ça te dérange pas, hein ? Avait-il lancé en s'allongeant juste en face.

Son sourire malveillant donnait envie de lui mettre des gifles, mais il aurait fallu pour cela être capable de contourner l'obstacle très dissuasif du poignard effilé qu'il avait à la ceinture. Pour insupportable qu'il fût, Trois-Doigts avait montré qu'il avait de la ressource, et que c'était un combattant à ne pas sous-estimer. Sans doute pas aussi doué que Golgoth, mais mille fois plus retors, plus vicieux, et plus sournois. Dans un duel en bonne et due forme, il était facile d'imaginer pouvoir le terrasser, mais dans une bagarre où tous les coups étaient permis…

- Me dis pas que tu vas vraiment dormir, grinça-t-il, en ayant parfaitement conscience d'être le voisin le plus irritant qui fût. Sérieusement ? Tu y arrives ? C'est que tu dois pas être un vrai guerrier, alors.

Une petite provocation pour la forme, mais curieusement son attitude changea légèrement quand il sentit que ses paroles avaient touché Snardat. Il reprit, sur un ton à la fois plus sombre et plus sincère :

- Je ne me souviens pas avoir réussi à dormir vraiment, depuis jeune… Il n'y a que les petits, ceux qui ne connaissent pas encore la guerre, qui arrivent à fermer les yeux sans voir des morceaux de chair, des bras coupés, des gorges ouvertes, et du sang partout… Les autres… Les autres ils font semblant, ils ferment pas trop les yeux, pour pas revoir toutes les images… Tu dois pas connaître ça, toi… Pas encore…

Il garda le silence pendant de longues secondes, comme s'il ressassait de mauvais souvenirs, ou pire, des émotions enfouies. Regret… Tristesse… Elles se succédaient dans son regard, inscrites dans ses yeux comme les plaies mal cicatrisées l'étaient dans sa chair. Et par-dessus tout ça, pour lui permettre d'avancer, un vernis de haine.

- Enfin…

Il cracha par terre, et sourit :

- Dors bien, princesse.

Forlong, de son côté, avait hérité d'une compagnie un peu plus agréable que celle de Snardat. Simo et l'Archer étaient venus s'installer près de lui, privilégiant un rapprochement entre humains plutôt que d'essayer de dormir à côté des Orcs. Ils ne purent s'empêcher de soupirer de lassitude en s'installant, et s'efforcèrent de dégager tous les petits cailloux qui ne manqueraient pas de leur rentrer dans le dos quand ils trouveraient enfin un coin assez plat pour s'installer. Ce faisant, ils ne purent s'empêcher de discuter à voix basse :

- C'est une drôle de situation dans laquelle nous sommes, fit Simo. Je me demande si nous avons bien fait de nous embarquer là-dedans. On aurait peut-être dû aller chacun de notre côté. A cette heure-ci, je serais déjà à mi-chemin de chez-moi, et je pourrais voir ma famille…

- Il vaut mieux oublier votre famille, répondit l'Archer. Vous êtes en vie, et c'est tout ce qui compte pour le moment. Si nous parvenons à traverser ces tunnels sans encombres, vous pourrez tout recommencer. Et cette fois, en étant libre, et non pas sous la coupe de Baltog.

L'homme du Val hocha la tête, essayant de fermer les portes de son cœur, qui le lançait terriblement chaque fois qu'il songeait à ce qu'il avait abandonné derrière lui. Il avait toujours su quel risque planait sur lui, à servir ainsi le maître des Gobelins, mais il pensait naïvement pouvoir trouver un équilibre, apprendre à vivre heureux, et pourquoi pas un jour partir avec les siens, migrer là où les Gobelins n'avaient aucune influence, et être heureux. Il accomplissait son rêve, dans un sens, mais seul.

- Tout recommencer… Si seulement. Il se tourna vers Forlong, et lui demanda : vous pensez qu'en Arnor, la vie est plus douce ? Je n'ai jamais beaucoup voyagé, je ne connais pas bien le monde. J'aimerais savoir à quoi ressemble notre destination.

L'Archer fronça légèrement les sourcils, mais choisit de ne rien répondre. Il était curieux de voir ce que son compagnon mystérieux aurait à dire sur le sujet.


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Forlong - Entre les lignes - Page 2 EmptyVen 5 Fév 2021 - 23:16
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Dernière édition par Snardat le Mar 16 Nov 2021 - 1:02, édité 1 fois
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Forlong - Entre les lignes - Page 2 EmptyLun 8 Fév 2021 - 1:08
Forlong n'avait pas apprécié la blague de Snardat sur la distance restante, et encore moins celle de Trois-Doigts sur son rôle potentiel de plat principal pour les créatures cachées dans les ténèbres. C'est pas qu'il n'appréciait pas l'humour orque, mais le souvenir des ossements éparpillés sur le sol de la demeure de Golgoth était encore bien trop vif pour en rire.

D'ailleurs, s'il avait pu penser qu'être victime des moqueries de ses camarades les rendait plus enclins à lui faire confiance et l'intégrer dans le groupe, il fut vite désillusionné. En effet, leur guide et guérisseur improvisé, lui aussi l'objet de plusieurs piques, venait de se faire traiter de traître et menacer de mort une fois de plus par le nain. Traître...comme si on pouvait parler de loyauté dans un groupe aussi dépareillé et réuni par le hasard ou l'ironie du sort plutôt que par un choix conscient de ses membres. Il faudrait bien plus qu'un combat et quelques heures passées ensemble pour combler les rivalités ancestrales et différences culturelles. Décidemment, il ne manquait plus qu'un elfe et un hobbit pour en faire le début d'une blague, sans doute bien plus drôle que celles des deux orcs.

Heureusement, le Rat-Blanc semblait capable de trouver un juste milieu en défiant le nain sans pour autant le provoquer de trop. Pour l'instant du moins.

Le dunadan suivit l'orc sans protester lorsque ce dernier lui proposa de vérifier l'état de ses blessures. Sans les soins reçus au début de cette journée interminable, il n'aurait probablement pas survécu à l'escarmouche ou à l'escalade qui s'ensuivirent. Plus que les blessures peu profondes qu'il avait subies, c'était l'état de ses mains et ses pieds qui l'inquiétait. Si l'homme aux cheveux blancs venait à ne plus pouvoir se battre ou marcher, son statut pour l'instant humoristique de chair à canon deviendrait très vite une évidence pour ses compagnons.

-Si tu en as encore de cette pommade puante, je ne dirai pas non...je sais pas si tu en connais les ingrédients et si c'est possible de renouveler ton stock en cours de route.


Lorsque l'orc finit de lui attribuer les soins, il grogna et dit:

-Merci...Certains des autres ont peut-être du mal à le comprendre ou ne veulent tout simplement pas le voir, mais toi je pense que tu le sais. Rester en groupe et coopérer est notre seule, aussi maigre qu'elle soit, chance de s'en sortir vivants.

Etonnement, leurs talents dans le groupe étaient vraiment complémentaires. L'efficacité brute de Golgoth et du nain, l'odorat des wargs, les compétences de guide et guérisseur amateur de Snardat, la précision de l'archer et la bienveillance de Simo...il était un peu plus difficile de trouver une qualité à Trois-Doigts, mais lui aussi s'était avéré très efficace au combat. Et Forlong? Dans son état actuel de 'faiblard', c'était surtout son expérience et son sens de stratégie qu'il pouvait apporter en groupe, tout en faisant attention à ce que cela ne se tourne pas contre lui.

***

La compagnie de Simo et de l'Archer n'était pas déplaisante, du moins en termes relatifs. Le sujet de conversation en revanche n'était pas le plus joyeux. Forlong ne pouvait qu'espérer que l'homme du Val avait pris des prédispositions pour le bien-être de sa famille en cas de sa mort ou disparition, et que les gobelins ne savaient pas où les chercher.

-Douce...? Ce n'est pas spécialement le terme que j'aurais employé, même si elle l'est peut-être pour ces nobles qui séjournent, paraît-il, sur les bords du Lac Evendim. Mais pour des aventuriers ou mercenaires comme nous, la vie est douce aussi longtemps que les pièces dans nos bourses suffisent pour payer une chambre à l'auberge et un repas chaud car les nuits en Arnor sont froides, tout comme ici. Les soldats et justiciers du roi sont sévères et méfiants envers les roublards...mais si vous me demandez si je les préfère à Baltog, la réponse est facile. Il n'y a pas de cannibalisme dans le Royaume du Nord, pas d'esclaves ni des gens torturés et tués au moindre des caprices du souverain.  

Il se tut pendant un moment, pensif.

-Mais l'Arnor n'est pas notre destination directe...l'Angmar reste éloigné du centre de l'autorité royale et qu'est-ce qu'on y trouvera si on survit jusqu'à-là je ne saurai vous dire...peut-être que vous saurez nous en dire plus. C'était après tout votre idée.


Forlong se tourna vers l'Archer, mais ne put discerner son expression dans la pénombre.

***

Dormir en compagnie d'un groupe de horukhunayin dans une caverne encore sous l'ombre de Mont Gundabad pourrait sembler difficile, mais en vérité Forlong se sentait rassuré d'être entouré d'autres humains pour la première fois depuis des semaines. Pouvoir parler à d'autres représentants de sa race était un soulagement, tout comme pouvoir étendre ses jambes et ne pas sentir les murs d'une cage autour de lui. L'épuisement finit de toute façon par émousser ses instincts de guerrier qui l'empêchaient de baisser ses gardes. Il sombra dans un sommeil profond, contrairement au jeune orc, et ne se réveilla qu'une fois à moitié pendant la nuit.

Lorsqu'il se réveilla, Forlong commença par chercher à l'aveuglette la gourde du malheureux Grimm et verser quelques gorgées d'eau au fond de sa bouche desséchée. Il regarda ensuite autour de lui et put discerner Simo qui semblait lui aussi réveillé.

-Vous avez des rations pour déjeuner avant de reprendre la route?

Il était affamé. L'idée de manger, mais même de cuisiner, bien que sans feu, après des semaines passées à attraper des restes de nourriture gobeline balancés par son géôlier uruk, l'enchantait. Il s'étira, en essayant d'ignorer la douleur qui se réveilla elle aussi dans plusieurs parties de son corps. Le sommeil lui avait redonné une détermination nouvelle. Il était prêt à lutter pour la survie.


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Ryad Assad
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Forlong - Entre les lignes - Page 2 EmptyMar 9 Fév 2021 - 23:24


Les cavernes des Gobelins résonnaient des accents grinçants du désespoir et de l’affliction, musique que ces parois rocheuses avaient trop souvent entendues au cours de leur longue histoire pour être encore sensibles. Pourtant, si elles avaient prêté un peu plus attention, elles auraient noté que ce n’étaient pas des visiteurs habituels qui erraient entre leurs griffes lissées par le temps. C’était même, à n’en pas douter, la compagnie la plus inhabituelle qui fût. Ils s’étaient installés à même le sol, soupirant et tremblant de froid, essayant de se réchauffer les mains sans oser poser la question fatidique de savoir s’ils pouvaient allumer un feu.

La perspective de devenir une cible privilégiée pour… peu importe ce qui se cachait-là… ne les rassurait pas vraiment.

Pas même l’Orc aux trois doigts, qui regardait les lieux avec un mélange de crainte et de dégoût. Et si ces cavernes inspiraient de telles émotions à un Orc de Gundabad, il n’était pas besoin de préciser l’effet qu’elles avaient sur les trois humains de la compagnie, qui s’étaient regroupés spontanément.

La tension était retombée d’un cran, alors que chacun s’occupait de ses affaires, mais ils avaient tous en mémoire la réaction du Nain aux paroles de Snardat… Alors que les provocations fusaient dans tous les sens, que les accusations de traîtrise rebondissaient d’un individu vers le second, il avait fallu que le petit Orc décidât de jouer avec l’être le plus menaçant de leur compagnie – Golgoth mis à part. Le Naugrim l’avait regardé sans ciller, et n’avait rien répondu. Strictement rien. Il s’était muré dans un silence profond, sans faire le moindre geste, pendant ce qui avait semblé durer une éternité, jusqu’à ce que l’Orc comprît le message.

On ne plaisantait pas avec un Nain.

Simo avait bien tenté de changer de sujet, mais chacun avait gardé un goût amer sur la langue après cet échange… Peut-être parce qu’ils savaient que le Nain ne raisonnait pas de la même manière qu’eux, et qu’il serait prêt à tuer Snardat sur-le-champ si l’Orc prononçait un mot de trop. Il semblait se ficher des dédales sombres et étroits dans lesquels ils allaient devoir naviguer pendant des jours… Trouver la mort contre un ennemi supérieur en nombre, dans la pierre qu’il adorait tant, ne paraissait pas être une fin qui lui déplaisait. Trois-Doigts ne partageait pas cet enthousiasme débordant pour la mort, et même lui avait semblé se ranger du côté de l’apaisement. La mort de Snardat viendrait, mais chaque chose en temps.

Un peu plus loin, Forlong continuait de sympathiser avec ses nouveaux compagnons. Simo et l’Archer, qui semblaient vouloir tirer leur épingle du jeu au moins autant que le Dúnadan, sans pour autant que leurs intentions fussent très claires.

Encore que celles de Simo pouvaient se comprendre.

Le pauvre homme avait abandonné tout ce qu’il connaissait, pour rejoindre cette aventure. Contrairement à l’ancien Tribun, il n’avait rien à gagner ici, sinon la vie. Il ne luttait pas pour revenir chez lui, chaque pas en avant l’éloignait de son foyer. Il ne luttait pour retrouver un statut, il venait de perdre celui que Baltog lui avait cédé en tuant les membres de cette patrouille. La seule chose qu’il gagnerait peut-être serait la liberté, mais il n’avait aucune idée de ce qu’il pourrait en faire… De l’autre côté de ces montagnes, il ne serait personne… Un homme sans terre, sans famille, sans ressources… Il survivrait en tuant et en volant, libre des Gobelins, mais esclave de la nécessité et de la rudesse de la vie.

Il n’était pas étonnant de le voir chercher un peu d’espoir dans les paroles de Forlong, qui semblait bien connaître l’Arnor.

- Pas de cannibalisme, et pas d’esclaves… A tout prendre, c’est bien encore le moindre de nos maux. Je préfère encore éviter des patrouilles qui se reposent la nuit, et marchent le jour. Les Gobelins et leur aversion pour la lumière… Ils vous feraient vivre dans ce genre de galeries puantes s’ils le pouvaient, pour avoir le plaisir de vous chasser sans discontinuer.

Il sourit pour lui-même.

Il était vrai que les Gobelins avaient la fâcheuse manie d’attaquer les voyageurs aux heures les plus noires de la nuit, celles où l’esprit était embrumé, et où la vue trahissait l’esprit aussi sûrement que l’ouïe. Ils se faufilaient comme des cafards surgis de leurs sombres tanières, et s’en retournaient se cacher dès que les premiers rayons du soleil faisaient leur apparition. Sinistres créatures.

- Et si je dois mourir, il y a au moins une petite chance qu’on m’enterre… Non pas que quelqu’un se soucierait d’un vieux brigand comme moi, mais enfin… c’est mieux que de finir dans l’estomac d’une de ces bestioles. Regardez-les, fit-il en désignant Snardat et Trois-Doigts, qu’ils discernaient à peine dans la pénombre, malingres comme ils sont, ils vous boufferaient une jambe pour passer l’hiver. Et une autre pour tenir jusqu’aux vendanges… Achevez-moi avant qu’ils n’attaquent le reste.

Son apparente bonne humeur cachait bien mal la profondeur de son inquiétude, mais elle eut au moins le mérite de détendre l’atmosphère. Humains avant tout, ils se reconnaissaient des traits communs qu’ils ne partageaient pas avec ces Orcs, et cela leur faisait du bien de s’en souvenir. Cependant, là où il y avait de l’unité en apparence, on pouvait aussi déceler des facteurs de division. Hommes oui, mais leurs allégeances n’étaient pas acquises aux mêmes causes, et quoi qu’ils se gardassent bien de dévoiler leurs cartes, il était évident qu’ils ne jouaient pas avec les mêmes intérêts en tête. Habilement, l’ancien Tribun poussa l’Archer à en dire davantage au sujet de ce qu’il leur cachait, utilisant la curiosité de Simo pour l’inciter à dévoiler ses cartes :

- C’est juste… L’Angmar se trouve loin au Nord, et le vieux royaume a perdu l’influence qu’il avait jadis, à l’heure où les dieux marchaient encore parmi les hommes…

Rares étaient les gens à parler ainsi de cette période : l’Angmar évoquait d’ordinaire la crainte, la méfiance, et toutes formes de dangers, qu’ils soient réels ou fantasmés. On parlait de sombres créatures surgies des profondeurs de la terre, maniant le feu à la façon des cracheurs que l’on voyait parfois dans les rues. On parlait de hordes innommables et maléfiques, des choses de la nuit, qui dansaient sous la lune et se repaissaient des infortunés qui tombaient entre leurs griffes. On racontait tant et tant de choses, mais personne n’en parlait avec cette étrange nostalgie qui semblait poindre derrière le ton étonnamment calme de l’Archer. Ou était-ce autre chose ?

- Il reste cependant de la vie dans ces territoires loin au Nord, et quoique les ombres aient quitté ces lieux depuis des siècles, on trouve encore des gens qui foulent cette terre. Quelques vieux fous, passionnés par les histoires du passé, qui s’abîment dans la recherche de trésors depuis longtemps disparus. Des idéalistes pétris de bonnes intentions, qui souhaiteraient vivre heureux, et prospérer à l’abri de la tyrannie et de la guerre. Et bien entendu, quelques âmes perdues, désolées de l’état du monde, qui viennent y trouver la paix de l’esprit, et contempler l’avenir incertain en se demandant comment y changer quelque chose.

Il était difficile de faire plus sibyllin. De toute évidence, il ne souhaitait pas trop en dévoiler, pour des raisons qui demeuraient encore à éclaircir. Ces paroles contentèrent globalement Simo, qui s’identifia naturellement aux « idéalistes pétris de bonnes intentions souhaitant vivre heureux ». Il ne put s’empêcher de demander :

- Et vous pensez que c’est un endroit sûr ? Que l’Angmar a un avenir ?

L’Archer eut un léger sourire :

- J’en suis certain.


~ ~ ~ ~


Snardat se réveilla difficilement de sa première nuit dans les cavernes. C’était peut-être lié à son statut de fuyard, qui n’était pas facile à porter pour quelqu’un ayant prêté serment de défendre ses compagnons et son foyer jusqu’à la mort. Cela n’expliquait pas la douleur qui le traversait de part en part, cependant. C’était plus probablement à cause de la position fort peu confortable dans laquelle il avait dormi, le sol inégal du tunnel n’offrant pas le même confort qu’un matelas de plumes. Mais cela n’expliquait pas ce bourdonnement dans son crâne.

La réponse était sans nul doute à chercher ailleurs.

- Alors princesse, fit Trois-Doigts sur un ton enjoué, bien dormi ?

Il aurait plus facile à Snardat de répondre, si sa lèvre tuméfiée n’avait pas été aussi gonflée, et s’il avait encore eu toutes ses dents. Deux d’entre elles manquaient, du côté gauche de sa mâchoire, et c’était de ce même côté que sa joue le lançait terriblement, envoyant des ondes de douleur dans son cerveau à la manière de mille petites aiguilles plantées derrière son oreille.

- T’as fait un sacré boucan dans ton sommeil hier soir… Quelqu’un a été obligé de t’aider à dormir un peu plus sereinement. Je sais qui c’est, mais je dirai rien.

Un rire gras s’échappa de sa gorge, repris par Golgoth et le Nain. Même les Wargs semblèrent s’amuser de la situation. De toute évidence, ils avaient tous été réveillés par le vacarme nocturne de leur guide, se souvenaient encore avec un sourire de la façon dont le problème avait été géré. De toute évidence, quelqu’un y avait mis du cœur, car ce n’était pas qu’au visage qu’il avait mal. Les côtes et le ventre aussi y étaient passées.

- Allez, dépêche-toi, il reste de la soupe… on a pensé que tu apprécierais…

Il aurait été bien en peine de manger autre chose.

Simo avait heureusement pris quelques rations avec lui, et dans son sac se trouvaient des légumes et quelques herbes aromatiques. Ils n’avaient pas pu faire chauffer le tout, faute de pouvoir allumer un feu, et avaient dû boire une soupe froide et pas particulièrement nourrissante, tout en mangeant des carottes crues. Heureusement, l’Archer avait partagé un peu de pain entre eux, qui avait eu le mérite de leur réchauffer le cœur. Un bien maigre réconfort avant de devoir se remettre en route.

Monter le camp avait été l’affaire de quelques secondes, compte-tenu de leur équipement plus que léger, et ils avaient emboîté le pas à Snardat.

Ici, il leur était impossible de voir le temps passer, et à mesure qu’ils avançaient, et que la lumière se faisait plus rare, ils s’isolaient de plus en plus de tout repère. Seule la faim, persistante, et la fatigue, douloureuse, leur donnait l’impression de sentir le passage des secondes, des minutes, des heures. La seule musique dans leurs oreilles était celle de leurs respirations lourdes, de leurs bottes raclant le sol, de leurs mains vérifiant systématiquement que le plafond de la paroi ne s’abaissait pas soudainement, et de leurs jurons étouffés quand ils se coupaient les doigts sur une pierre tranchante.

Ils auraient pu passer dix ans ici sans même s’en rendre compte.

En vérité, ils marchèrent moins d’une journée, se ménageant des pauses régulières pour souffler, faire le point, et consulter leur guide, qui paraissait de moins en moins sûr du chemin à suivre.

« T’es sûr que c’est la bonne direction ? » Lui demandait-on à peu près toutes les heures.

« J’ai l’impression qu’on est déjà passés par là », revenait assez souvent également.

Mais la phrase la plus fréquente était « Il est perdu ». De petits aiguillons de doute qu’on lui lançait en permanence, comme pour lui rappeler que de sa capacité à trouver la sortie dépendait largement ses chances de rester en vie. Provoquer le Nain n’était peut-être pas une si bonne idée que ça, quand on y réfléchissait. Pour autant, malgré les commentaires parfois désobligeants, Snardat n’avait pas failli à son rôle de guide, et avait continué à tourner, parfois à droite, parfois à gauche, et toujours vers les profondeurs de la montagne. Ils avaient traversé des espaces plutôt spacieux, comme de grandes salles désertes, sans qu’ils sussent très bien si des Gobelins se terraient dans les parages, ou s’ils abordaient des sections que personne n’avait foulé depuis des lustres… Dans un cas comme dans l’autre, cela n’était pas rassurant, et ils devaient se faire violence pour ne pas hurler de terreur et de désespoir.

Ils eurent à escalader quelques sections, les escaliers anciens ayant cédé sous le poids du temps, mais sinon ne rencontrèrent guère d’obstacles insurmontables. Ils ne croisèrent pas davantage de signes de vie, mais purent remplir leurs gourdes auprès de ce qui ressemblait à un petit ruisseau dévalant une paroi. Les Wargs se désaltérèrent largement dans la petite mare au pied du mur, mais Simo et l’Archer se refusèrent à y toucher, incapables d’identifier avec certitude la qualité du breuvage. Pour l’heure, ils étaient encore au début de leur périple, et pouvaient se permettre le luxe de faire les difficiles…

Ils reprirent la route, fourbus, mais heureux d’avoir pu trouver un peu d’eau.

Ce n’était pas la soif qui les tuerait, au moins.

Ils firent de nouveau halte moins d’une heure après, dans une salle éclairée par une douce lumière qui semblait tomber du ciel. Une ouverture percée si haut qu’ils ne pouvaient pas en voir la source, et qui paraissait capter tous les rayons lunaires, et les projeter à l’intérieur de leur petit caveau. En réalité, leurs yeux s’habituaient à tel point à l’obscurité que la moindre source de lumière leur donnait l’impression de voir comme en plein jour. Encore un peu de temps, et ils auraient les pupilles aussi dilatées que celles des Gobelins, qui avaient fait de la nuit leur repaire.

D’un commun accord, ils décidèrent qu’il s’agissait d’un endroit propice à camper, et entreprirent immédiatement de fouiller les environs pour voir s’ils pouvaient trouver quelque chose d’utile. Du bois de chauffe serait un petit miracle, mais ils pouvaient aussi se satisfaire d’un passage les menant vers l’extérieur, d’un banquet bien chaud au délicat fumet, ou d’un massage expert entre les mains des femmes les plus douces. Ils n’étaient pas très exigeants.

Forlong se retrouva par le plus grand des hasards à chercher dans la même zone qu’un des Wargs. Ces créatures gigantesques et malveillantes étaient généralement craintes par les hommes libres, qui avaient appris à s’en tenir éloignés. Au fil des âges, les légendes les concernant avaient de loin dépassé la réalité. On en faisait des monstres sanguinaires aux pouvoirs effrayants, qui sentaient la mort à des lieues, et dont les yeux brillaient d’une lueur maléfique dans la nuit. On oubliait en retour de mentionner que ces créatures étaient douées de leur propre forme d’intelligence, et qu’elles constituaient un des peuples les plus mystérieux d’Arda, si toutefois on pouvait parler de « peuple » pour ces créatures qui ressemblaient davantage à des loups entraînés pour la guerre qu’à autre chose.

Rares étaient ceux qui survivaient aussi longtemps au contact d’un Warg, et Forlong pouvait se considérer comme un privilégié. Il pouvait voir l’exceptionnelle musculature de la créature, qui associait à la fois une puissance suffisante pour arrêter net un cheval en pleine course, mais aussi une grande souplesse qui lui permettait de se déplacer à flanc de montagne sans paraître craindre la chute. Ses crocs étaient immenses, et ses yeux étrécis, mais on retrouvait ces caractéristiques chez bien d’autres êtres qui n’étaient pas considérés comme maléfiques pour autant. Le Warg tourna la tête vers l’ancien Tribun, et lui fit signe qu’il y avait quelque chose, là devant. Il le sentait grâce à son odorat prodigieux, mais ne parvenait pas à soulever la lourde pierre qui bloquait le passage. Il faudrait un peu d’ingéniosité au Tribun pour y parvenir, s’il ne voulait pas s’abîmer le dos.

De son côté, Snardat s’était assis sur le sol pour reprendre son souffle. Le fardeau de devoir mener la troupe tout en réfléchissant intensément pour trouver le bon chemin était déjà difficile à porter, mais la tâche était encore plus compliquée quand on avait été passé à tabac la veille sans en garder le moindre souvenir. Personne ne lui demanda de faire des recherches particulières, et il put se reposer quelque peu pendant que ses compagnons s’affairaient ici ou là. Certains revinrent avec ce qui ressemblait à des morceaux de tissu, qu’ils pouvaient peut-être espérer déchirer pour faire du feu. Le tout restait de trouver comment le garder en vie. Ils n’adressaient pas un mot à Snardat, et retournaient à leur mission, sans doute frustrés de le voir rester assis sans rien faire. Rester assis, cependant, lui donnait la possibilité d’embrasser toute la scène du regard. Là où ses compagnons baissaient la tête, il pouvait la lever.

Il fut donc le seul à voir cette ombre qui se détachait sur le tableau.

Comme une silhouette, un peu plus haut, sur un promontoire, qui paraissait les observer. Le temps de cligner les yeux, et elle avait disparu.

Comme s’il avait rêvé.


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Forlong - Entre les lignes - Page 2 EmptyLun 22 Fév 2021 - 0:26
Le déjeuner était peut-être piètre en comparaison au ragoût de cerf de la veille, mais Forlong dégusta la soupe froide à base de légumes frais et d'herbes aromatiques avec appétit. Le pain de l'Archer était divin en comparaison au infâme pain noir des gobelins, et les carottes crues lui rappelaient les terres douces où les fermiers cultivaient leurs champs sans craindre le feu et l'acier. Ayant passé plusieurs jours dans la sacoche de Simo les carottes étaient d'ailleurs un peu ramollies, ce qui était plutôt une bonne chose pour les dents et les gencives sensibilisées du Dunadan, dont le régime de ces dernières semaines ou mois était loin d'être équilibré. Forlong était néanmoins surpris car il semblait que les champignons consommés par les habitants du Mont Gundabad apportaient toute sorte de nutriments et l'avaient empêché de développer le scorbut.

L'expérience agréable du petit déjeuner fut quelque peu gâchée par la découverte d'un Snardat au visage, déjà pas très charmant de base, déformé par une joue enflée et des dents manquantes. Ca aurait pu être pire. Il aurait pu finir poignardé ou égorgé dans la nuit...la vérité était que ce genre de 'plaisanteries' était loin d'être une chose rare même dans les casernes de l'armée de l'Arnor alors était-ce vraiment surprenant que ça arrive parmi les orcs et les gobelins? Le Tribun n'était tout de même pas ravi par cette situation. Ce gobelin était leur guide et leur guérisseur improvisé et un des rares alliés dans cette troupe, même s'il était loin de faire confiance à un représentant de cette race maudite. Si le Rat Blanc venait à perdre contrôle et se lancer dans une confrontation suicidaire avec l'autre orc ou le nain, Forlong se retrouverait encore plus isolé dans ce groupe. Et puis il commençait à regretter d'avoir dormi aussi profondément...la nuit suivante il songerait à garder son fauchon sous la main pour éviter un sort semblable à celui de Snardat, ou pire encore...

Il tendit un bol de soupe à Snardat sans rien dire.

***

La marche était dure. Très dure. Mais la vraie nuit de sommeil, première depuis longtemps, le repas et les soins administrés par Snardat faisaient leur effet, tandis que l'étincelle de volonté de survie qui s'était allumée en lui refusait de s'éteindre. Il marchait en suivant le gobelin à travers les ténèbres, et finit par rentrer dans le même état de transe que pendant ses longs voyages aux quatre coins de la Terre du Milieu. Il pensait au mystérieux royaume perdu d'Angmar et à la vision étrange qu'en avait l'Archer. Il n'avait pas souvenir d'avoir croisé des idéalistes ni des âmes perdues cherchant la paix de l'esprit dans ces terres maudites lorsqu'il s'aventura dans les donjons de Carn-Dûm aux côtés du jeune roi Aldarion. Beaucoup de choses avaient pu changer pendant les années qui s'étaient écoulées depuis...la Grande Bataille du Nord et la lutte contre la Couronne de Fer avaient laissé dans leur sillage une pléthore d'hommes désillusionnés, déboussolés et profondément blessés. L'Angmar avait-il un avenir? Il semblait être lié au sien en tout cas, du moins s'ils finissaient un jour par sortir de ces maudits tunnels.

Trouver une source d'eau motiva Forlong. Il avala quelques gorgées avant de remplir sa gourde. Lorsque tout le monde eut le droit à son tour il y retourna une deuxième fois, cette fois-ci pour se laver les mains et le visage. Après tout, un orc venait de lui dire qu'il avait une odeur trop forte. O Tribun, vous êtes tombé bien bas...

***

Le Dunadan observa avec curiosité l'endroit dans lequel ils avaient décidé d'établir leur camp. C'était un soulagement de se retrouver dans une grande galerie, où il n'avait pas besoin de se plier en deux pour marcher et n'avait pas l'impression que les Monts Brumeux étaient sur le point de s'écrouler sur lui et l'écraser. D'ailleurs, cet endroit ne ressemblait pas vraiment à des tunnels gobelins. Ces derniers préféraient creuser des galeries plus adaptées à leur petite taille, et puis en aucun cas ils n'auraient percé une ouverture qui laisserait passer les rayons de soleil. Il chercha le nain du regard et dit à voix haute, sans s'adresser à quelqu'un en particulier:

-A votre avis, quel est cet endroit? Ca ne ressemble pas aux tunnels des gobelins du Mont Gundabad...


***

Pendant un bref instant, Forlong s'était retrouvé seul, pour la première fois depuis...quand d'ailleurs? Bien avant qu'il ne soit capturé par les gobelins sur les plaines glacées du Rhûdaur. Quelle étrange sensation de liberté, bien que les tunnels sombres n'inspiraient pas confiance. La pensée de fuir le groupe lui traversa même l'esprit mais il maudit aussitôt sa propre stupidité. Il ne survivrait jamais seul ici, et ses compagnons enverraient sans aucun doute les Wargs à ses trousses.

D'ailleurs, en parlant de Warg...le Dunadan sentit un frisson parcourir son dos en voyant une de ces créatures formidables apparaître sans aucun bruit dans son champ de vision. Heureusement, la bête le percevait apparemment comme un membre de la meute plutôt qu'une proie...mais si ce que Snardat disait sur les humains et la nervosité était vrai, l'homme aux cheveux blancs devait sentir particulièrement fort à ce moment là. Ce qui ne l'empêchait pas de ressentir une forme de fascination pour cette créature munie d'une intelligence bien supérieure à celle d'un simple animal.

Forlong regarda dans la direction que lui indiquait le loup. Un passage? Un léger courant d'air qui passait par la faille entre la pierre et la paroi semblait le suggérer. Une pierre de taille très impressionnante d'ailleurs...Dans d'autres circonstances le Dunadan aurait peut-être abandonné l'idée de la déplacer, mais le Warg semblait attendre quelque chose de sa part. Et chaque opportunité de trouver quelque chose d'utile à la survie du groupe était bonne à prendre.

Il s'appuya sur la pierre avec son poids pour vérifier la résistance qu'elle offrait. Elle bougea à peine. Merde. En plus il avait perdu en force et en poids pendant sa captivité...

Forlong regarda autour de lui à la recherche d'un objet utile. Donnez moi un point d'appui, et je soulèverai le Mont Mindolluin, que disait son ancien ami le professeur Meneldir, lorsqu'il était encore envie. Malheureusement il n'y avait pas d'outils ni de bâtons sur le sol de la caverne, pas étonnant. Il regarda pendant un instant son fauchon, pensif,  en pesant le pour et le contre. Non, c'était une idée stupide. La lame de mauvaise facture se briserait probablement avait de faire pivoter la pierre, et risquer la perte de son arme unique pour bouger un rocher qui ne cachait peut-être rien d'utile ne serait pas un choix judicieux. Bon.

Le Dunadan se mit à quatre pattes et observa le sol autour de la pierre. Elle était entourée de petits débris de pierre et des cailloux plus petits qui rendaient la tâche de la bouger encore plus difficile. Heureusement, contrairement à la pierre principale, celles qui jonchaient le sol n'étaient pas très solides. Du grès peut-être, même si le Tribun n'y connaissait rien en pierres. Il se mit à dégager les débris à mains nues, et à briser les plus gros morceaux avec le pommeau de son fauchon, sous le regard perplexe du Warg. Au bout de plusieurs minutes, essoufflé et avec les mains recouverts de poussière, il avait réussi à dégager le terrain autour de la pierre. Il se releva et s'adossa au rocher en poussant avec ses jambes plantées dans le sol, puis passa de l'autre côté de la pierre et fit la même chose. L'homme aux cheveux blancs répéta cette manoeuvre à quelques reprises, tentant de déloger la pierre. Enfin, plus ou moins satisfait du mouvement limité qu'il avait réussi à engendrer, il se tourna vers le loup. Incertain de sa capacité à comprendre le Westron, Forlong lui dit néanmoins:

-J'aurai besoin de toi maintenant. A trois, on pousse tous les deux de ce côté là...


Il allait avoir l'air bien bête si le Warg ne le suivait pas dans son élan. Mais avec le poids combiné du Loup Blanc et du Loup Noir, la pierre ne devrait pas résister...

-Un...Deux...Trois!


L'homme du Nord se précipita sur la pierre sans voir l'ombre, peut-être celle d'un de ses compagnons, qui semblait s'approcher d'eux.


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Forlong - Entre les lignes - Page 2 EmptyMar 23 Fév 2021 - 19:01


Il en aurait fallu beaucoup pour détourner un Uruk de sa fonction première, qui était tout simplement de mettre fin à la vie des créatures qui passent dans son champ de vision. C’était très dommage pour le rat qui n’avait pas détalé assez vite, et avait fini prisonnier de la main gigantesque de Golgoth, qui laissa échapper un grognement appréciateur. Ce n’était pas une grosse prise, mais il y avait de quoi faire un repas décent, quoi qu’ils fussent un peu nombreux pour se le partager. D’une brève pression, il éclata le crâne du rongeur, et le jeta à côté de Snardat, comme pour lui signifier de s’en occuper.

Il n’était pas très courtois de se comporter ainsi, mais l’esprit de l’Uruk fonctionnait simplement. Si leur guide ne cherchait pas, autant qu’il cuisinât.

S’il avait eu la faculté de déceler les attitudes et d’identifier les comportements, il aurait peut-être vu que l’Orc était concentré sur autre chose que sur la perspective d’avoir un bon repas, et qu’il paraissait préoccupé par un coin sombre, un peu plus haut. L’Archer non plus n’avait rien vu, et ce fut vers lui que se dirigea le jeune guide de la compagnie, espérant sans doute pouvoir trouver en lui un interlocuteur mieux disposé.

C’était de toute évidence mal connaître l’intéressé, qui paraissait avoir perdu de sa superbe depuis qu’ils se trouvaient dans ce trou à rats, et qui commençait à accuser le coup de la fatigue. Il aurait été malvenu de le sous-estimer, cependant, car il dégageait une grande force de caractère, et une certaine stabilité dans l’adversité qui donnaient à penser que ce n’était pas la première fois qu’il se retrouvait dans une situation critique… Et puisqu’il était encore en vie, il y avait fort à parier que d’autres ne l’étaient plus. Son efficacité à l’arc lors de leur confrontation malheureuse contre la patrouille témoignait de ses compétences en la matière. Alors que Snardat se faisait connaître, il eut un bref mouvement de recul, devant le faciès hideux de l’Orc. Pour un peu, il se mettait à crier de dégoût.

Il fallait dire que Snardat n’était pas beau à voir. Son visage gonflé sur le côté lui donnait l’air idiot – plus que d’habitude, du moins –, ce que n’arrangeait pas le fait de devoir parler avec deux doigts dans la bouche. On aurait dit un fou difforme essayant de communiquer, la bave aux lèvres et le regard mécontent.

- Repérés ? Fit l’Archer en essayant de ne pas se mettre à regarder de tous côtés. Combien ?

De toute évidence, Snardat n’avait aperçu qu’une seule silhouette, probablement un Gobelin qui avait pris la décision de les observer, preuve qu’ils n’étaient pas aussi discrets qu’ils voulaient bien le croire. Hélas, ils représentaient une distraction plus que bienvenue pour les habitants des lieux, dont la nature belliqueuse ne pouvait que se satisfaire de pouvoir enfin asticoter des étrangers sur leurs propres terres. A cela, il fallait ajouter le butin qu’ils représentaient. Leurs armes et leurs effets personnels avaient à n’en pas douter une valeur inestimable pour les Gobelins de ces cavernes… Au moins autant que leur viande, qui serait dévorée au cours d’un festin comme on n’en avait plus vu depuis des années ici.

- Bien, bien, je vais faire passer le mot… Bon travail, le guide.

L’Archer ne s’en était pas rendu compte, les mots étaient sortis tout seuls de sa bouche, mais ils témoignaient d’une reconnaissance sincère. Ce petit Orc les guidait – sous la contrainte certes – dans les profondeurs de la montagne, et il se montrait efficace dans le repérage d’éventuels ennemis. C’était plus que la plupart des gens de ce groupe avaient fait jusqu’à présent, et cela méritait d’être souligné. La question de la créature prit cependant l’Archer par surprise.

Son nom ?

En étaient-ils là de leur relation ?

Il haussa les épaules, jugeant que de toute façon, cela ne pouvait pas lui faire du tort que de répondre à cette question innocente :

- Narion. Appelez-moi Narion.

Il n’avait pas besoin d’en savoir davantage pour le moment.


~ ~ ~ ~


A l’esprit affûté, il n’était jamais pénible de réfléchir.

Forlong n’était pas dénué d’esprit, et pendant que ses mains s’affairaient à fouiller les environs, il ne pouvait pas s’empêcher d’observer les environs, pour essayer de comprendre où ils se trouvaient. Sa question n’avait pas soulevé de réponse franche, un peu plus tôt, quand il avait demandé leur avis aux membres de la compagnie. Golgoth, comme souvent, s’était désintéressé de la conversation. Tout ce qui semblait le connecter aux autres, c’était la nourriture, et la mystérieuse question des cheveux blancs qui paraissait le fasciner. Au-delà de ça, son esprit ne s’aventurait pas dans les contrées de la curiosité et de la découverte, préférant rester prudemment en arrière, à contempler les certitudes simples de son monde limité.

La guerre.

Le sang.

La solitude.

Pourtant, s’il avait fait comme le Dúnadan, et qu’il s’était penché un peu sur la question, il aurait remarqué que les lieux semblaient avoir été taillés dans la pierre par quelque main experte. De toute évidence, la pièce n’était pas achevée, certaines sections ayant été soigneusement lissées, d’autres étant encore presque dans leur état naturel. Ici ou là, on voyait des traces de coups de pioches récents, peut-être quand les Gobelins avaient essayé d’étendre leurs galeries, avant de renoncer. Ces lieux semblaient mélanger des influences différentes, d’époques aussi éloignées les unes des autres qu’ils pouvaient l’être de la quiétude d’un foyer aimant.

Ce n’étaient certainement pas les Gobelins qui avaient dessiné ces colonnes massives mais non teintées d’élégance, et ce n’étaient pas eux qui avaient décidé d’en faire une pièce parfaitement rectangulaire, au centimètre près. Les gravats, les décombres et les étranges marques griffées sur les murs ne changeaient rien à l’impression curieuse d’ordre et d’harmonie que l’on pouvait apercevoir quand on se trouvait, comme le tribun en ce moment-même, à l’autre bout de la pièce.

Savoir qui avait construit ces lieux, et quand, ne les aiderait pas à trouver de la nourriture, des rations et de l’eau potable pour continuer leur voyage. La curiosité académique du tribun devrait attendre, et pour le moment il devait focaliser son attention sur la grosse pierre que le Warg lui avait recommandé de déplacer. En passant la main près du sol, il avait effectivement senti un léger courant d’air glisser sur ses doigts, ce qui pouvait laisser penser qu’il y avait une autre salle là-dessous, sans qu’il fût possible de déterminer ce qu’elle contenait… ou pourquoi le chemin était bouché. Simple accident ?

Il n’avait pas l’énergie de s’en préoccuper, et utilisa ses maigres forces pour renverser le rocher. La manœuvre, conduite avec l’assistance diligente du Warg, qui semblait comprendre ce qu’on attendait de lui quand il le voulait, fut un véritable succès. Il y eut un craquement sec, alors que les deux loups poussaient de concert pour déplacer la pierre sur le côté, et à peine avaient-ils eu le temps de reculer de quelques pas qu’elle allait s’abattre avec fracas un mètre plus loin, soulevant un nuage de poussière qui fit éternuer le Warg.

Il était très, très dommage que Snardat n’eût pas été en mesure de les prévenir de ce qu’il avait vu avant qu’ils ne fissent résonner dans ces couloirs sombres le tambour rocailleux de leur présence.

Mais au moins, la voie était libre.

Ils se figèrent tous sur place, parfaitement immobiles, écoutant leurs cœurs qui tambourinaient dans leur poitrine et qui leur renvoyaient en écho la musique de leur propre terreur. A leur grande satisfaction, ils n’entendirent rien. Absolument rien. Pas le moindre cri de guerre, pas la moindre cavalcade effrénée d’un bataillon de Gobelins déferlant sur leur position avec l’intention de les tuer. Rien. Ce silence aurait peut-être permis à Snardat et à l’Archer de prévenir leurs compagnons de ce qu’ils savaient, mais cela serait revenu à rompre la bulle d’inquiétude dans laquelle ils étaient tous enfermés, et qui se dissipait progressivement. Simo, peut-être un peu plus nerveux que les autres, finit par dire :

- Bon sang, vous m’avez fait peur ! Mais montrez voir, qu’est-ce que nous avons là ?

Ils se penchèrent pour observer ce que le Loup Blanc et le Loup Noir avaient découvert. Une cavité qui semblait s’enfoncer profondément dans la montagne, et de laquelle ne leur parvenaient qu’une chape de ténèbres absolues, et les courbes effrayantes d’un escalier qui semblait y plonger comme il aurait disparu dans une mer d’encre. Une odeur fétide leur agressait les narines. Un air vicié, certes, mais qui glissait sur leur peau comme un morceau de soie caressant leurs joues. De toute évidence, au bout de ce tunnel, il y avait une ouverture qui donnait vers l’extérieur. Était-elle assez grande pour leur permettre de sortir ? Ils n’en savaient rien. Les enverrait-elle dans les bras d’une compagnie fidèle à Baltog ? Ce n’était pas impossible.

- C’est du khuzdul, fit tout à coup le Nain en se penchant vers le sol.

En effet, tout autour de l’ouverture en pierre, ils pouvaient voir des glyphes qui ne ressemblaient pas à ceux des Hommes ou à ceux des Elfes. La langue des Nains, probablement une des plus mystérieuses de ce monde, s’offrait à leur vue. Les mots, gravés des siècles auparavant, n’avaient pas perdu de leur force, et le fier représentant des Naugrim ne perdit pas une minute pour leur traduire le texte :

- Il est écrit… « La voie des Longues-Barbes, les fils de Durin, maîtres de Gundubanad ». Ce doit être très vieux.

Il y avait fort longtemps que les Gobelins étaient maîtres de la vieille cité des Nains, et une telle inscription remontait probablement à des âges qu’ils n’avaient pas connus. Trois-Doigts était resté un peu en retrait, observant avec distance le passage, craignant sans doute de voir surgir une quelconque créature de cauchemar. Il trouvait déjà qu’ils avaient passé trop de temps dans ces galeries, et la perspective de plonger dans un tunnel encore plus sombre ne l’enchantait guère. Ils pouvaient essayer péniblement de rallumer une torche, mais qui pouvait dire combien de temps elle tiendrait ? Avec leur chance, elle s’éteindrait au beau milieu d’un carrefour, les laissant errer dans la nuit éternelle jusqu’à ce que la mort vînt leur faire la grâce d’abréger leurs derniers instants pathétiques.

Toutefois, il était curieux de savoir pourquoi un tel passage avait été condamné, et surtout comment. Il observa la pierre jetée sur le côté, et finit par remarquer quelque chose que personne n’avait vu.

- Pssst, venez voir. Vous voyez ce symbole, là ? C’est utilisé par les Gobelins pour dire qu’il faut pas y toucher, que c’est dangereux. Je sais pas ce qui se cache là-dessous, mais je serais d’avis de pas y aller.

Son argument avait du sens. Les créatures qui vivaient ici, et qui faisaient parfois peur aux Gobelins de Baltog, avaient elles-mêmes peur de ce qui se cachait sous ce rocher. Dans la hiérarchie de la terreur, ils étaient tout en bas de l’échelle, et avaient sans doute tout intérêt à s’éloigner de cet endroit, pour continuer leur chemin.

- On n’aurait jamais dû fouiller ce truc-là, fit-il. Y a probablement un truc qui va nous tuer, et je veux pas être là quand il va se réveiller. Continuons notre chemin. Je connais très bien les signes qu’utilisent les Gobelins, et celui-ci nous dit de tourner les talons et de filer.

Il glissa un regard en coin à Snardat. Un peu plus tôt, il était resté sans réaction quand le petit Orc s’était ostensiblement gratté le nez devant lui. Et le voilà qui affirmait connaître les signes des Gobelins. Parlait-il uniquement des signes inscrits, et non des signes gestuels ? Ou alors savait-il très bien ce qu’il faisait, et cherchait-il à les détourner d’une issue, pour les mener vers droit dans les griffes des Gobelins qui traînaient ici ? Mais pourquoi ferait-il une telle chose, alors qu’il semblait avoir peur de mourir ici ?

Même l’Archer paraissait hésiter. Il regardait Snardat fixement, comme pour l’inciter à prendre la parole. De toute évidence, il ne voulait pas se mouiller pour une simple vision de la part du petit Orc, que rien ne corroborait. Ni leurs observations, puisque personne d’autre n’avait vu la silhouette, ni leur bon sens, puisqu’après le vacarme causé par le tribun, personne ne leur avait sauté dessus.

Ils se sentaient curieusement « en sécurité », et après avoir progressé ainsi dans les couloirs sans rencontrer personne, ils préféraient continuer sur leur lancée plutôt que de s’aventurer dans l’inconnu. Snardat aurait très certainement pu les laisser à leurs lubies, mais si piège il y avait, il était conscient que la première flèche serait pour lui. Si ces Gobelins obéissaient à une quelconque forme de logique, ils décapiteraient le groupe en abattant le meneur en premier lieu, pour s’assurer que le guide, traître aux siens, ne leur offrirait pas les moyens de s’enfuir.

Ils en étaient là de leurs réflexions quand Golgoth s’avança soudain au milieu du groupe, marchant droit vers Forlong qu’il semblait dominer de la tête et des épaules, alors qu’en réalité le Dúnadan était plutôt grand. Seulement, il avait tellement perdu de poids qu’il paraissait chétif face à cet Uruk au sommet de sa forme. La créature le toisa du regard, et tout le monde se tut, craignant ce qu’il allait dire. Il tendit sa main ouverte au tribun, et d’une voix grave comme le tonnerre par-delà les montagnes, grogna :

- Tiens. Mange.

Il avait attrapé un autre rat.


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Forlong - Entre les lignes - Page 2 EmptyLun 15 Mar 2021 - 0:00
Le fracas de la pierre qui roula sur le côté fit hésiter Forlong ; c’était peut-être pas une bonne idée de faire autant de bruit dans ce lieu inconnu. Il espérait que les acolytes de Baltog ne les avaient pas suivi jusqu’à là, mais est-ce qu’ils étaient vraiment seuls dans ces galeries étranges.. ?

Heureusement, leurs compagnons s'étaient contentés d'exprimer leur étonnement face à ce nouveau retournement de situation, sans leur reprocher particulièrement d'avoir mis le groupe en danger. Peut-être parce que faire des reproches à un warg n'était pas une stratégie judicieuse.

Du Khuzdul. Il avait donc raison, ces galeries n'étaient pas creusées par des gobelins mais plutôt par les enfants d'Aulë. Quelque part c'était rassurant. Forlong avait toujours apprécié le peuple nain même si quelques un de ses représentants, tels que le mystérieux Sans-Couronne, ternissaient leur image. L'homme aux cheveux blancs hésitait. D'un côté suivre un tunnel creusé par des nains le tentait. Ils risquaient moins d'y rencontrer les soldats de Gundabad, et il faisait davantage confiance aux galeries hautes et symétriques des nains qu'aux tunnels bâclés des gobelins. D'un autre...il y avait quelque chose dans cette cavité noire et dans cet escalier visiblement sans fin qui éveillait en lui une peur ancestrale. La peur de l'obscurité et du danger inconnu qui y guettait. C'était facile d'écarter ce genre de craintes irrationnelles à la lumière du jour ou derrière les murs solides d'une auberge...mais le Dunadan avait vu suffisamment de choses terrifiantes et inexplicables dans les plaines glacées du Rhûdaur, dans le désert d'Assabia et dans les donjons de Gundabad pour savoir que cette peur du noir était faisait partie de son instinct de survie.

Il laissa les deux gobelins donner leurs avis. Ce Rat Blanc avait son style, une bravoure un peu suicidaire qui avait autant de chances de lui gagner le respect de la troupe que la perte de quelque chose de plus que ses dents. Ceci-dit, Forlong était plutôt de son avis. Dans ce monde souterrain, ces limbes sous les Monts Brumeux, le sens de vue n'avait que très peu de valeur, et l'odorat des Wargs était un atout inégalable. Même lui, avec ses sens risibles d'humain, croyait sentir un léger courant d'air qui indiquait la proximité de la surface. A moins qu'il ne s'agisse d'une simple illusion, le fruit de son désir profond de retrouver la lumière du jour.

Forlong n'avait pas eu l'occasion d'intervenir dans la discussion, car la silhouette massive de Golgoth vint se dresser devant lui. Une vague de colère et de dégoût envahit le Dunadan lorsque l'Uruk lui dévoila le rat caché dans la paume de sa main. Les souvenirs humiliants des repas odieux servis par son géôlier à travers les barreaux de sa cage remontèrent, effaçant toute illusion de camaraderie que leur vadrouille commune et le combat côte à côte avaient pu entretenir. Il regarda l'Uruk dans les yeux, y cherchant un air de moquerie ou de provocation, mais comme d'habitude il ne réussit pas à déchiffrer l'expression de Golgoth, sa gueule déformée de manière permanente dans un rictus malicieux.

Une chose était sûre. Il n'était pas arrivé jusqu'à là pour subir à nouveau l'esclavagisme humiliant qu'il avait vécu sous le mont Gundabad pendant des longues semaines. Autant mourir. Forlong regarda le rat, considérant pendant un bref moment ses options. Si l'animal avait été encore vivant, il l'aurait peut-être laissé s'échapper ou il l'aurait jeté à un des Wargs en guise de proie. Mais Golgoth avait écrasé avec minutie le crâne de la petite bête. Bon...

Il s'approcha de l'Uruk et prit le rat mort par la queue, en faisant semblant de le regarder attentivement, puis dit d'une voix un peu enrouée mais décidée:

-Si on veut survivre, il faut agir comme un groupe. Mettre nos ressources en commun. On rajoutera ça aux provisions de ce soir.

Quitte à choisir, il préférait déjà manger un rat cuit que cru. D'ailleurs, ce n'était pas spécialement pire que les chauve-souris ou autres viandes carbonisées non-identifiées qu'il avait consommées lors de son captivité...Il attacha le rat par la queue à sa ceinture, espérant que l'URuk n'allait pas considérer ses actions comme une offense mortelle. Il ne voulait pas partager le sort du rat.

Essayant de changer rapidement de sujet afin de mettre l'épisode derrière lui, Forlong se tourna vers ses compagnons et dit:

-Continuer le chemin n'est pas vraiment une option, pas après une journée entière de route. Nous n'irons pas loin sans repos.

Bordel, était-il le seul dans ce groupe à ressentir la fatigue?

Cependant, peut-être qu'on devrait reboucher ce trou en attendant. Si on a pu déplacer le rocher à deux, le remettre en place à quatre devrait être facile. Comme ça, on aura pas à s'inquiéter de ce qui pourrait sortir de ce trou pendant notre sommeil, ou du moins on entendra toute tentative de bouger la pierre par le bas. Demain, nous pourrons décider si on prend cet escalier, mais je serais moi aussi d'avis de le tenter. Après tout, si on veut atteindre l'Angmar on ne pourra pas rester en permanence sous terre.

Enfin, c'est ce qu'il croyait du moins. Qui sait à combien de lieues de Gundabad s'étendait ce réseau de tunnels creusés par deux peuples rivaux pendant des millénaires? Il jeta un coup d'oeil discret à l'Archer, curieux de voir sa réaction.

-D'ailleurs, je veux bien prendre le premier tour de garde.

Il était peu probable qu'on le laisse seul pendant son tour de garde, il ne lui restait qu'à espérer qu'il ne se retrouve pas avec Golgoth...Snardat s'éloignait déjà dans la direction de la salle où ils avaient décidé d'établir leur campement provisoire. Bon, au moins l'option de continuer leur chemin sans repas ni repos semblait être écartée. Forlong patienta près du trou, en attendant de voir si ses compagnons souhaitaient reboucher la cavité.

Bien qu'il était tendu comme la corde d'un arc suite à l'interaction avec Golgoth, le Dunadan commençait déjà à songer aux quelques heures de repos qui les attendaient, complètement inconscient de la découverte inquiétante de Snardat...


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Aldarion
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Forlong - Entre les lignes - Page 2 EmptyDim 2 Mai 2021 - 15:07
Forlong - Entre les lignes - Page 2 Archer10Forlong - Entre les lignes - Page 2 Simo11
#Narion/L'Archer et #Simo
Personne ne sembla porter une grande attention aux paroles de Forlong et on laisse le trou ouvert. Simo avait réussi à trouver un peu de bois de chauffe et entreprit d’allumer un petit feu. On embrocha les quelques rats qui avaient été trouvés ainsi que des champignons que Trois-doigts avaient identifiés comme comestibles. Le repas était peu goûteux mais avait l’avantage de remplir les estomacs.

“Je prends le premier quart”, affirma l’Archer d’un ton qui ne souffrait aucune discussion.

Comme un écho, Simo se proposa pour l’accompagner dans sa veille.

Chacun trouva une place plus ou moins confortable pour s’installer selon les préférences de son espèce. Les wargs s’étaient allongés sur les hauteurs de la caverne, Golgoth et Trois-doigts s’étaient installés un peu à l’écart du tunnel nain. On avait laissé une petite place autour du feu à Snardat et Forlong.

Bien que le confort soit sommaire, chacun trouva le sommeil, éreinté par une journée de cavale. Le lendemain, il faudrait faire des choix et prendre des risques. Il était important que chacun puisse retrouver sa lucidité pour affronter les dangers des montagnes.

Forlong senti une main se poser sur son épaule, le réveillant doucement. C’était l’Archer qui se tenait à côté de lui, un doigt sur la bouche pour lui intimer la plus grande discrétion. Néanmoins, le léger sursaut du tribun ne manqua pas de réveiller Snardat qui dormait juste à côté.

L’Archer balaya des alentours avec une torche. Forlong constata avec horreur une multitude d’yeux qui brillaient dans le noir. Il était difficile d’établir une estimation exacte au vu de la faible luminosité mais il devait y avoir plus de cinquantes créatures autour d’eux. Ils semblaient attendre quelque chose ou quelqu’un et se tenaient silencieux et immobiles.

“On s'arrache", glissa Simo qui se tenait debout complètement harnaché.

Les gobelins qui les entouraient bloquaient complètement les environs et il semblait évident que la seule solution était de s’enfoncer dans le tunnel.

“On doit espérer qu’ils n’oseront pas nous suivre… et que ceux-ci les retiendront assez longtemps.”

D’un geste l’Archer désigna Trois-doigts, Golgoth, le nain et les Wargs. Ils ne montrèrent pas Snardat du doigt… le petit orc avait l'œil à moitié ouvert et l’Archer n’osait sûrement pas ne pas l’inclure dans la bande des fuyards. Ainsi, la belle unité du groupe semblait voler en éclat… Les deux hommes préféraient-ils sans doute se défaire d’alliés un peu trop instables… En laissant les gobelins les affronter, ils faisaient d’une pierre deux coups. Il était cependant étrange qu’ils n’incluent pas le nain dans leur combine.

Néanmoins, leur stratégie n’était pas sans risque. Ils se privaient d’alliés puissants pour faire face aux ennemis qu’ils pourraient rencontrer dans les tunnels. De plus, si par malheur ceux-ci parvenaient à survivre à l’attaque des gobelins, ils risquaient de nourrir une rancoeur tenace à l’encontre de ceux qui leur avait faussé compagnie.
“Prenez une torche chacun et allons-y”, insista Simo qui semblait devenir de plus en plus nerveux.

Voyant l’hésitation de Forlong, l’Archer se décida à sortir un atout de poids.

“Faites-moi confiance, capitaine Neldoreth."

Ainsi, celui qui s’était présenté comme Narion a Snardat, avait bien reconnu le Tribun. Il fallait dire que l’homme était facilement identifiable. L’Archer donnait néanmoins deux infos précieuses à son interlocuteur : il venait certainement d’Arnor et semblait ne pas être au courant du changement de grade de son interlocuteur.

Néanmoins, le temps n’était pas à la réflexion mais aux choix… d’autant que dans son coin, Trois-doigts semblait avoir un sommeil de plus en plus agité.


Invité, n'oublie pas que le regard des Rois d'Arnor porte au delà des frontières de leurs royaumes.
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Forlong - Entre les lignes - Page 2 EmptyMer 5 Mai 2021 - 19:24
Pour des raisons évidentes, je ne dormais pas.
Car j’ai gardé à l’esprit que l’endroit ne soit potentiellement pas sûr.
Car ma dentition n’est pas un sac de frappe à la disposition de tel ou tel gros qui m’a démoli l’portrait la veille. Une main prête sur la dague, j’demandais rien de mieux qu’le salopiaud tente de réitérer son agression, juste pour voir. Ca serait la dernière chose qu’il verrait, j’entends, car avec la dague, j’lui crèverais les yeux.
Même si j’avais voulu dormir, cette douleur dans mes mâchoires, mes joues, ça va m’garder éveillé pour un paquet d’nuits, crois-moi. Alors, mimant l’ensommeillement, je calquais ma colère sur la douleur, ses palpitations infernales. Ca battait avec la cadence d’un vrai tambour de guerre. Véritable otite dans l’oreille gauche. Dans cette oreille, dans ma tête, ça martelait, martelait, martelait, et ce martèlement, c’était comme le grondement de Sa voix qui répétait en une litanie de haine :
Crève !...Crève !...Crève !...Crève !...Crève !...Crève !...Crève !...Crève !...Crève !...Crève !...Crève !...
Sa voix, c’était la mienne, alors que je me visionnais à l’oeuvre.
L’esprit du Chemin de Souillure nous observait. Ses ténèbres opaques arboraient une paire d’yeux. Puis deux paires d’yeux. Puis "plein". Des yeux multiples dans le noir. Dans la salle, ça dormait, mais l’atmosphère n’était plus sereine et sécurisante. Je l’ai sentie devenir très pesante et brûlante.
Et j’aimais ça. Pressentir que le sang va couler. Peut-être le mien. Peut-être celui de mes ennemis. A n’en pas douter, celui de tous ceux qui se mettront entre moi et mes proies. Trois-Doigts et les autres se plantent. Shôra a raison. Comme ce cher Karess en son temps, je suis un berserker…


Je suis déjà pleinement éveillé et conditionné pour la fureur quand la voix de Narion, tout en chuchotements, me tire de cette perception quasi onirique. Calme en façade, mais celui qui s’attarderait à fondre son regard dans mes yeux amarante y sonderait l’ouragan.
Je tourne l’œil vers Shôra et lui, intrigué.
Au passage, je prends conscience que ce "plein" de paires d’yeux, c’est autant ceux de l’esprit de Souillure que des yeux d’individus bien matériels. (Oh, Simo ! Salut Simo !)
Les chuchotements de Narion à Shôra ? Intrigué, et très vite intéressé. Et preneur. J’le fais bien comprendre dans le regard tranquillement ferme que j’échange avec eux, avec Shôra.

« Prenez une torche chacun et allons-y.

J’me fais pas prier. Déjà sur mes pieds et mes mains, tel un Gollum, je m’apprête en quelques gestes précis, moins de cinq secondes. Je viens me pencher et subtiliser deux torches, une pour Shôra, une pour moi. Ne pas regarder Trois-Doigts et ses soubresauts. Zyeuter vite fait si j’peux subtiliser un ou deux trucs utiles de plus, ou juste les foutre en vrac pour emmerder les autres. Pour un gars qui fait juste semblant de dormir, tu fais très bien semblant, Trois-Doigts. T’es perdu dans tes cauchemars, et c’est tout ce que tu mérites... Cette fois, t’attends pas à ce que je vienne dormir à côté de toi pour t’en soulager en les prenant pour moi.
J’m’empare rapidement d’une outre d’eau, et de la corde. Evalue rapidement qu’il n’y a pas grand-chose d’autres à subtiliser ou saboter. Rien qui n’vaille la prise de risque de griller la fuite de mes chers An-Aï, du moins. Focalisant sur mes mouvements, je glisse à ras le sol en silence aux côtés de la clique humaine sur le départ, jusqu’à l’embouchure noire de l’abîme.
Arrivé dans les ténèbres, j’adresse un regard d’approbation muette à Shôra...
Sage décision, mes amis, cette petite désolidarisation. Je vous ai en relative sympathie et j’aurais été chagriné de devoir vous passer sur le corps pour régler mes comptes avec les autres. Bien sûr, j’aurais vécu avec. J’ai beau être sympa, je suis un Orque : quand je brandis la lame, soit t’es avec moi, soit t’es contre moi…
Ma langue qui claque dans ma bouche… Je me suis délesté de la corde passée à mon épaule, la tendant aux grands Hommes s’ils la voulaient. Et de la trousse médicale, qui allait plus constituer une gêne qu’autre chose.

— Allez-y. Avancez, vous autres...

Moi, la sagesse, c’est pas vraiment mon truc.
Plutôt un goût immodéré pour les conneries et la bagarre, au naturel. Et là, en cet instant présent, mon envie battante de vengeance. Dans ma mâchoire et mon oreille, toujours, comme un tambour de guerre. Douleur cuisante, et cette humiliation de la veille… Cet affront fait à mon statut de soldat…
Tapi dans les ténèbres de la bouche noire, j’me retourne et me mets sur le pied de guerre. Inflexible. Apprêtant les moyens à ma disposition. Ma main a dévoilé un gobelet que j’ai chapardé lors de notre dernier petit dîner en groupe :
— J’vous rattraperai. Mais j’vais nulle part tant qu’j’ai pas noirci, ou rougi mon épieu, du sang d’un de ces bâtards, moi…

Je sais c'que vous vous dîtes...
"Toi le Rat, contre Golgoth, le Nain, et même Trois-Doigts qui demeure un adulte ? Qu’est-ce qui te fait prendre une telle confiance ?"
"Un gobelet ? Mais qu’est-ce que tu comptes foutre d’un gobelet ? Le remplir d’eau et faire boire à mort tes Wargs avec ?"
Sauf qu’en combinant l’objet avec cette poudre que j’avais en poche et un peu de ficelle chapardée, ce gobelet est maintenant une bombe. Détonante ou à fumée ? Suspense-suspense, comme c’est excitant ! On n’va pas tarder à le savoir…
Quant à l’épieu, il est toujours là, calé entre mes bras, et il est aussi nerveux qu’eux. Nerveux et impatient, comme moi. L’heure est venue d’apprendre à ce petit monde à faire la distinction entre un snaga, et un assermenté de l’Oeil Rouge…

Conditionner la respiration pour faire bien remonter la colère…

C’est vrai. Golgoth, le Nain, Trois Doigts. Je sais qu’ils sont plus forts et plus aguerris que moi, si l’on se bat à la loyale. Tous les trois, ils sont plus grands, plus massifs, bien plus massifs dans le cas de Golgoth, plus expérimentés. J’ai eu un aperçu de leur valeur au combat, ils ne sont pas à prendre à la légère. Mais je sais aussi que pour l’heure, j’ai un atout majeur de mon côté : ils me sous-estiment à deux-cents pourcents. Ils me prennent pour un rachitique snaga, ces cons. Même Trois-Doigts, qui m’a "reconnu", ne semble pas avoir conscience des foudres qu’il cherche à provoquer sur son misérable cul.
Couplé au chaos imminent, j’ai foi en mes chances d’en blesser au moins un, manière de leur faire passer mon message.
Et si j’me loupe, au pire, un de ces jours, les miens me vengeront.

Reste plus qu’à attendre que se profilent les hostilités. Entendre les grognements de surprise, l’attaque, les cris et les entrechoquements d’armes…
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Forlong
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Forlong - Entre les lignes - Page 2 EmptyLun 5 Juil 2021 - 0:19
Forlong se réveilla déboussolé, avec la bouche sèche, le goût de rat carbonisé encore à l’arrière de sa gorge. Il mit quelques instants à comprendre où il était, reconnaître l’Archer et déchiffrer la situation. Il cligna des yeux, jetant un regard nerveux autour de lui, sa main cherchant à l’aveugle son fauchon posé sur le sol de la caverne.

Merde..La vision des dizaines des yeux brillants dans le noir lui rappela immédiatement les galeries du Mont Gundabad. La forteresse qui ne dormait jamais. L’heure de son dernier combat était donc venue ; après tout, il s’était promis qu’il ne se laisserait pas prendre vivant une deuxième fois par ces créatures. Mais Simo et Narion avaient apparemment un autre plan en tête.

-Pourquoi est-ce qu’ils n’ont pas encore attaqué ? –croassa le Dunadan, la gorge sèche. L’Archer lui répondit à moitié en dévoilant son plan. Oui, il était possible qu’en voyant l’énorme Uruk, les wargs et le reste du groupe, les gobelins hésitaient à lancer les hostilités, surtout s’ils n’étaient pas menés par un maître-fouet aguerri.

Ce n’était pas le moment pour ce genre de réflexions. L’homme aux cheveux blancs commença à regarder autour de lui pour une torche ; même si les semaines de captivité sous terre avaient renforcé sa capacité à voir dans le noir, il peinait à voir autre chose que la torche allumée de l’archer et les yeux brillants des gobelins qui les entouraient. Ses nerfs commençaient à lâcher, il y avait quelque chose de terrifiant et de surnaturel dans cette situation, qui secouait même un guerrier vétéran comme lui.

Il frissonna en sentant quelque chose toucher sa main, et fut surpris de découvrir qu’il s’agissait d’une torche éteinte que lui tendait Snardat. Ce gobelin pâle continuait à le surprendre. Il semblait déterminé et calme, ce qui rassura étonnement le Dunadan.

-Merci... – il murmura par automatisme. Après tout remercier un orc n’était pas l’élément le plus absurde de cette situation.

Les deux hommes commencèrent à se diriger vers le tunnel. Forlong hésita néanmoins pendant un instant, en jetant un regard à leurs compagnons endormis ; une hésitation qui ne passa pas inaperçue.

Son coeur se mit à battre la chamade lorsqu’il entendit son nom, pour la première fois depuis longtemps. Capitaine Neldoreth. La mention de Tior Celebdin quelques jours auparavant n’était donc pas un hasard...cet homme étrange, relié au royaume d’Angmar, savait qui il était. Quant à l’utilisation de son ancien grade...il pouvait s’agir d’une erreur, tout comme d’une provocation visant à faire remonter les souvenirs de la guerre dans le Nord...difficile à dire, car Forlong ne savait pratiquement rien de son interlocuteur. Pas même son nom. Il serra les dents. S’ils survivaient, il comptait confronter l’archer et lui soutirer des informations. Surtout que le rapport de force dans le groupe deviendrait très différent sans Golgoth, Trois-Doigts, le nain et les wargs.

En attendant, il se contenta de marmonner :

-Heureusement qu’on a pas rebouché le tunnel comme je le voulais...

Effectivement, les gobelins ne semblaient pas être venus de là, et c’était peut-être leur seule issue de secours...Il jeta un dernier coup d’oeil à leur campement improvisé, mais son regard se durcit lorsqu’il se posa sur le corps massif de Golgoth. Son géôlier et tortionnaire, qui avait osé le traiter comme un misérable animal de compagnie. Forlong ne leur devait aucune loyauté. Qu’ils crèvent.

Ils se mirent à avancer dans le noir. La compagnie formée lors d’un affrontement contre des gobelins de Gundabad quelques jours auparavant était à présent en ruine, la communauté dissoute dans des circonstances semblables à celles qui l’ont vu naître.  

Forlong avait du mal à comprendre comment c’était possible que les gobelins n’avaient pas lancé l’assaut en les voyant partir, ni comment les wargs ne s’étaient pas réveilléspeut-être qu’un sombre sortilège pesait sur ceux qui dormaient dans cette caverne, après tout il avait lui-aussi eu du mal à émerger de sa torpeur...mais l’homme d’Angmar ne semblait pas avoir été atteint.

Il fut tiré de ses pensées par la voix du Rat-Blanc. Bordel, ce petit était vraiment fou. Le Dunadan ne comprenait pas ce qu’il voualit faire avec son gobelet ni avec la poudre noire puante qu’il tenait dans le creux de sa main. Il mit un moment à comprendre que les ‘bâtards’ qu’il mentionnait n’étaient pas les gobelins qui les entouraient, mais plutôt leurs compagnons d’infortune, qui avaient fait de Snardat l’objet de leurs moqueries ces derniers jours.

Le gobelin commençait déjà à s’éloigner, en remontant vers le campement. Forlong échangea un regard inquiet avec Simo et Narion. Ce dernier avait une flèche encochée. Il ne dit rien par rapport à ses intentions, mais le Dunadan croyait pouvoir les deviner. Ils ne pouvaient pas laisser Snardat compromettre leurs chances de s’en sortir, encore moins pour une histoire de vengeance et de dents perdues. Forlong marmonna un juron avant de faire demi-tour lui aussi et suivre le Rat-Blanc.

Rapidement il vit la silhouette de Snardat, penchée comme un félin sur le point de sauter sur sa proie. Il ne savait pas comment s’y prendre pour raisonner avec un gobelin...lui parler serait sans doute insuffisant, tandis qu’atrapper son épaule était bien trop risqué. Il avait vu ce petit démon enfoncer son épieu dans les crânes d’assez d’ennemis pour ne pas vouloir s’en approcher de trop dans ce genre de contexte. Discrètement, il glissa son fauchon du fourreau huilé. Snardat sentit l’acier froid sur sa nuque et entendit la voix étouffée de l’homme aux cheveux blancs :

-Ne fais pas de conneries. Nous avons besoin de toi pour trouver le chemin dans ces putains de tunnels, et je peux pas te laisser déclencher le combat...On y va.


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Forlong - Entre les lignes - Page 2 EmptyMer 25 Aoû 2021 - 14:57
Ah, Shôra… Ou dois-je dire "Capitaine Neldoreth" ?
J’ai virevolté. Mon coude qui frappe le flanc sous les côtes sans retenir le coup.
Et j’ai récupéré mon épieu, avant de foncer coûte que coûte. Commencer l’combat, t’as raison, Shôra. Ce combat n’éclatera pas sans la petite impulsion primaire du berserker…
Narion a-t-il vraiment tenté de m’abattre comme un "sale rat", sans le moindre état d’âme ? Je l’sais pas, et j’m’en fous. A bonds de fauve, torche, épieu et ma concoction portés tel un bric-à-brac, j’ai regagné le seuil de la caverne. "Vénère et déterr". J’ai allumé la mèche.
Ça se réveille, chez les ordures. Les Wargs ont reniflé les odeurs intruses et se relèvent vivement, leurs aboiements hystériques de bêtes surprises dans leur sommeil. Tirés du sommeil à la dure, les gars beuglent, se hâtent gauchement de bondir sur leurs jambes, tirer les armes. Ils beuglent encore. De surprise, à la trahison. « Où sont les Hommes ? Où est le snaga ? »
Ça se perd dans le hululement guerrier de la masse gobeline qui submerge la grotte et les accule. Toute une horde de rats nus, armes primitives dans les mains griffues, qui les assaillent de leur nombre et de leurs cris. Ils entrent en phase d’intimidation. Ca jette des caillasses sur le groupe. Les gars sont hargneux, mais ont-ils l’audace qu’il faut ? L’audace de charger frontalement un Uruk et deux gros Wargs qui se ressaisissent immédiatement, qui transforment déjà leurs cris de surprises en des grognements de défis ? Moi, avec ma grenade qui se met à vomir son brouillard de fumée, l’audace, je l’ai. Laissez-moi juste le temps de bien irradier le sol, qu’aucun Warg ou renifleur ne puisse plus flairer l’accès du tunnel sans se choper la bronchite du siècle… Sur les arrières de la horde, j’en repère les spécimens les plus sérieux, demeurés en retrait de cette première ruée en bons prédateurs, ils observent, et ils préparent les épieux, les armes les plus sérieuses de la horde pour venir tuer les bêtes.
Et sans surprise, j’en ai pour mon compte également. Avec mon p’tit cirque, les plus vils de la bande, ceux qui fayottent en arrière aux côtés de leurs dominants me repèrent. Voient en moi la proie facile. L’excuse pour se targuer de prendre part à l’effort de guerre sans aller mourir en avant sur l’Uruk et les Wargs.
Sauf qu’au lieu de battre en retraite en couinant, je viens directement à leur rencontre, leur foutant la bombe en pleine gueule…
« Tu r’cules, toi !Tu recules ! » Ca recule en toussant. Ceux qui suivent hésitent à attaquer, soudain. Délicieuse fumée poivrée et brûlante, dans laquelle je me tapis, la laissant m’envelopper. Comme j’en savoure la brûlure, la toux dans mes poumons et dans les yeux... Pas vous les gars ? Les émeutes, ça m’connaît au-delà de mon enfance, depuis vie antérieure. Sous l’uniforme Mordorien, j’ai eu le plaisir de m’adonner à ce plaisant sport des deux côtés du bouclier et d’la pique. Côté milice et armée de Baltog quand on a à faire dans les bas-fonds. Côté racaille et fouteurs de bordel quand on n’a rien à faire dans les bas-fonds, manière d’avoir quelque chose à faire. Quand y a pas les Nains, faut bien qu’on s’occupe, qu’on garde la main…
Les gaz du Maître des Fumées, tu peux m’croire, l’ami, c’est mon atmosphère et mon climat naturel. J’ai fais pivoter la grenade en un arc de cercle. Du gaz, y en aura pour tout le monde, et vous allez vomir du sang dans cette chape de poix épaisse. Je me déleste de l’objet en fin de vie en le jetant derrière moi dans la cavité. Gazage du tunnel, la seule issue condamnée par l’enfer. Pas de retraite pour les prochaines minutes. Pas de voie de fuite pour vous, mes agneaux. Juste vous, eux, et moi dans cette arène pour votre survie. Alors que dans le ventre de la grotte ça commence à s’écharper, ici, ça crache ses poumons et ça pleure alors que la fumée s’étend.

J’empoigne mon épieu et m’extirpe en titubant et en toussant moi-même du brouillard, les yeux qui piquent et la peau férocement irradiée qui brûle. Mais la force de l’habitude, je suis moins à la ramasse que mes adversaires directs. Et je m’éclaircis la gorge dans un râle guerrier, tandis que mon épieu frappe dans un proche ventre. Les yeux qui piquent. Mon pied qui dégage la pointe de l’arme d’intestins en envoyant choir le mourant, avant de pivoter l’épieu à la rencontre d’un gros dominant beuglant à la charge.
Dévier son arme. La mienne mord dans ses entrailles. Mon monde se brouille... Se déroule en images par intermittences... Je cligne des yeux en repoussant le gros blessé, qui chancelle en arrière.
Putain, elle brûle bien les poumons, cette fumée ! Deux gars asphyxiés sur mes arrières s’efforcent de se reprendre, de se jeter à moitié aveugles sur mon flanc droit, tandis qu’un p’tit gars, rachitique comme moi, colle la paroi à moitié inconscient. Pas d’panique, petit Rat. Mes poumons, mes yeux ne répondent pas à l’appel, mais mon corps lui, se souvient de l’entraînement du Maître des Fumées à lutter dans son élément. Je joue des prises de contrôle des foules de Charir pour accueillir le premier, le faisant basculer à plat ventre en lui bloquant un bras. Tel un sac à ma merci. Frappant son copain par-dessus lui en pleine cuisse. Le gaz s’étend sur la grotte, nous enveloppe à nouveau de sa caresse poivrée. Même blessé et en train de s’étouffer, ils jouent les brutes et luttent, cherchant à frapper et à empoigner dans le brouillard. .
Ces gars sont à peine plus âgés que moi.
Délaissant mon épieu inadapté dans une telle lutte, ma main droite plonge sur la dague en os que je gardais en réserve, et je frappe. Frappe. Frappe dans cette frénésie saccadée dans la fumée. J’entaille une gorge. Celle du blessé à la cuisse, qui chancelle en arrière et se perd dans la brume. Plonge la lame en os dans une plaie ventrale que j’ai causé dans la panse de l’autre. Je m’emploie à faire remonter la lame, creuser un sillon dans la viande, la panse de mon adversaire, qui meurt salement par terre avec ses viscères qui lui sortent du corps et se répandent sur le sol, son sang noir qui me gicle dessus. Même moi, parmi la toux, j’en réprime une nausée…
Je me dégage pour bondir sur mon épieu, mauvais et sur le qui-vive : Là, tel un fantôme, le blessé à la cuisse boite dans le gaz, perdu et sans pouvoir respirer. J’ai loupé l’entaille sur sa gorge, elle est superficielle et il survivra, mais il flippe et il étouffe. Comme lui, je râle profondément, crachant de la salive poivrée. Hors-jeu celui-là. Ils le sont tous dans ma proximité immédiate, ou tournés dans la mauvaise direction, vers la castagne. Mon attention se reporte sur les cadavres de mes victimes : ces gars sont plus que de moitié à poil, mais ils ont des symboles et des cosmétiques tribaux. J’empoigne le masque de peau facial de l’éviscéré, exhibant sa gueule de chien clamsé de dessous cette pièce écarlate, évoquant des mâchoires blanches avec des défenses. Je m’affaire à en couvrir mon propre visage.
Le petit.
Je m’interromps vivement et relève mon épieu que je pointe vers le petit de tout à l’heure, Toujours paumé, collé  à sa paroi. Tétanisé de terreur face à moi.
— Allez, dégage de là avant de crever, que je lui tousse avec hargne en achevant de serrer le tissu autour de mon visage, venant ensuite l’empoigner sans ménagement pour l’éjecter hors du brouillard.
Avant de me détourner pour venir me joindre à la masse belliqueuse.

Comme l’un des leurs, mais le plus audacieux et déterminé des leurs.
Je me faufile, me ménage un passage vers l’avant des combat. Irradiant le gaz, les sauvages proches toussent, sont pris d’allergies violentes et s’écartent à mon passage. Étrange paradoxe contre-nature, des mouches de Morgai qui ont élu domicile dans ces cavernes sont attirées par le poivre et me tournent autour, leurs dards piquants… Progresser parmi cette masse de muscles, d’os et de gras qui assaille le groupe. A moins que ce ne soit le groupe qui assaille la horde. Golgoth, les Wargs et j’imagine le Nain, face à ces va-nu-pieds grognant, ils ont pris l’initiative et ont contre-attaqué les premiers, j’imagine. Dans les deux cas, ça revient au même. Il y a des morts, des mourants, des gars qui s’efforcent de récupérer des épieux tombés, de garder la horde soudée pour la renvoyer à l’assaut, et moi j’évolue fondu de la même manière parmi la horde, comme l’un des leurs, mais celui qui veut plus que nul autre aller au-devant des combats, pas juste caillasser et hululer.  
Et je me retrouve au cœur du mouvement de foule qui recule avec grande crainte, de ce côté de la horde, à lutter âprement pour ne pas être renversé et piétiné, cramponné sur mon épieu. Ici, les Wargs attaquent. Leurs précédentes victimes éviscérées pour appuis dans leur vélocité. Leurs pattes puissantes broient mes congénères au sol et disloquent l’attroupement en une cohue apeurée. J’échoue à rester debout et tombe au sol. Les Wargs ne me grillent pas, claquant leurs mâchoires sur d’autres malheureux. Alors je me relève doucement, l’arme toujours fermement empoignée entre mes mains. Me relever doucement, faire profil bas.
Là...
Le Warg attaque avec la conscience arrogante qu’il terrorise cette vulgaire masse d’Orques des cavernes, la conscience qu’il a mis en pièces les dominants et les audacieux du groupe et éparpillé les porteurs d’épieux dans sa charge. Oh, il me terrorise moi aussi, alors que je me redresse sur ses arrières, parmi ses victimes. L’espace d’un instant, je songe à juste laisser tomber tant qu’on peut reculer, tourner les talons et fuir.
Mais non. "Yolo", comme on dit. Et celle-là, il ne la voit pas venir.
En pleine éviscération de sa prise à titre d’exemple pour les autres, il ne s’attend pas à ce que le petit Rat Blanc, revanchard, soit ici sur ses arrières. Tout mon être voué à venir l’empaler en plein anus.
Crois-moi, si cette bête pousse un hurlement de douleur qui n’a déjà rien de drôle, l’autre bête pousse le cri le plus horrible et le plus triste de sa vie, celui de la conscience que son ami vient d’encaisser un coup mortel et va mourir ici. Cramponné à mon épieu, j’ai volé dans les cabrements de l’animal, entraîné d’un côté et de l’autre, avant de perdre prise et de faire un beau baptême de l’air. Alors que je tombe sur mes pattes en toussant, la horde, chauffée par mon coup au but et par la souffrance, la désorientation manifeste de la bête, lui fond dessus tel un essaim pour l’achever. Une sauvagerie délivrée de tout courage. Moi, prenant quelques battements de coeur à observer la mise en charpie, je ramasse distraitement un autre épieu dans la poussière.
Pourquoi j’ai insisté comme ça à récupérer mon arme alors qu’il n’y a qu’à se baisser pour en ramasser d’autres ?
Bien m’en fais, car l’autre chien m’a vu, a vu ce que j’ai fais, et je réalise qu’il me fonce droit dessus. De haine, n’ayant d’yeux que pour moi. Indifférent à mon épieu pointé sur lui, broyant des Gobelins sans plus les voir. La plupart fuiraient en couinant. Moi pas. Tous les sens braqués sur les muscles de l’animal. J’anticipe. J’esquiver ses charges. La rancune me pousse même un instant de folie à contre-attaquer sur le flanc de la bête. Mille morts brutales, qui me sont promises dans sa langue animale…
Alors qu’il se cabre pour revenir à la charge, nos regards qui plongent l’un dans l’autre. Ses yeux brûlants dans mes yeux emplis d’une ardeur froide…
C’est une bonne chose, toute cette rage teintée de haine, Warg. C’est une bonne chose, car ça a chassé tout mépris de ton regard de canidé. Enfin, tu me regardes d’égal à égal, Warg…
Une mouche de Morgai vient piquer en plein sous son œil, lui arrachant un râle de protestation furieux.
Survient alors un autre cri animal, déchirant. L’autre Warg en train de passer à la découpe à vif. Tiré de sa transe qui se mue en une pure détresse et panique, le Warg m’a oublié instantanément, plus mû que par le vain espoir d’aller dégager son compagnon de cet essaim de couteaux, de gourdins et de dents.
Moi je replonge dans la masse. Tuer l’animal était purement utilitaire, manière d’affaiblir le groupe pour le futur. Je n’suis pas revenu ici pour les Wargs…

J’évolue dans la masse belliqueuse à pas d’enfant, le coeur presque… Léger, porté par la frénésie et le hululement. Conscience fantomatique et invisible dans ce champ de frénésie, de cris sauvages et de ce brouillard bouffi et brûlant qui continue de croître, immergeant la moitié de la place, condensation de poison dans cet environnement souterrain... L’un des leurs. L’un d’eux est peut-être bel et bien mon géniteur d’ailleurs… Ici, c’est un peu comme un étal de marché dans lequel je fouine à pas lents, flânant. Observant et évaluant les combats…
Ici, je vois l’Gazat. Farouche et meurtrier. Le contraire aurait fait honte aux Nains, diraient mes frères Uruk-Haï. Sa hache qui frappe pour tuer sans une once de remord, c’est un euphémisme. Je parie que dans sa tête, il a le sentiment viscéral de faire "le Bien" à chaque coup qui entraîne la mort d’un de mes semblables. Petite pourriture fanatique… Fais-moi le plaisir de survivre à ce foutoir, je me délecte de pouvoir m’occuper de ton cas dans les règles de l’art…
Plus loin, entouré d’ennemis, le gros Golgoth gronde. Fidèle à ce qu’il est, tas-de-muscles règne en maître sur son domaine, la masse ennemie dans laquelle il a porté lui-même le combat, et ses adversaires dont les meneurs gisent en pièces détachées, se font timides…
Dans le sillage du Gazat, je vois s’agiter Trois-Doigts… Mon cher Trois doigts ! La mine déconfite, en proie à une peur panique tandis qu’il défend chèrement sa peau tannée, assailli de toutes parts par la multitude qui l’a identifié comme l’adversaire le plus facile à abattre dans ce groupe. Mes mains cajolent l’épieu… Pour un lâche, je suis surpris qu’il fasse front commun aux côtés du Nain aussi longtemps, me dis-je. Avant de jeter mon dévolu sur ma prochaine victime. Prenant mon élan. Je fends la foule sous les ceintures et les pagnes, tel le Rat que je suis. Je ne frapperai pas avec honneur. L’Honneur, c’est la Victoire. J’opte pour un angle d’attaque en traître. Surgissant des irrésolus et des couards, je charge sans cri de guerre et frappe.
Pas avec honneur, mais avec le résultat.
Mon épieu embroche Golgoth en pleine cheville gauche.
L’arme acérée fend l’os et lui traverse le membre, pour rejaillir rougie et se planter dans le sol terreux. Le colosse de muscles mugit et tombe sur ses genoux en moulinant, mais cette fois j’ai reculé aussi net, abandonnant mon arme, très bien où elle est calée dans son pied.

Efforce-toi de rester combatif, de rester dressé sans t’évanouir, Golgoth. Cherche celui qui t’as fait ça de ton regard embrouillé de douleur. Je vais t’aider à le repérer, ce p’tit gars. En restant à l’avant de ce groupe, et en abaissant mon masque de peau pour dévoiler ma trogne à ta vue. Repère-moi bien et fais-moi face maintenant, surtout.
Moi, qui me pioche tranquillement une nouvelle arme, qui ramasse la hache d’un dominant mort à quelques pas. L’air d’être absent, ailleurs, chez l’ferronnier, alors que je tâte le fer de ma nouvelle acquisition pour en apprécier la qualité… Je hoche la tête en ramenant le regard vers toi, Golgoth. Usagère et de mauvaise facture avec son fer rouillé, mais ça fera l’affaire. T’es d’accord avec moi ? Après tout, c’est toi qui va te la manger, cette hache… Laisse-moi prendre ta grimace aigrie pour un assentiment, rentrons dans le vif du sujet…

J’approche à petits pas du monstre, bien en garde ça, tu peux m’croire. Même blessé et déjà mort, Golgoth, je ne le sous-estime pas, moi. Autour de nous, les autres petits salopiauds de la horde sont toujours là, et… Qu’ils aient compris que je suis étranger à leur attroupement ou pas, pourquoi viendraient-ils me laminer moi, alors que je viens de mettre le monstre qui les domine et les massacre à genoux, une proie aussi prestigieuse ou juste leur prochain festin de viande fraîche, là à leur merci ?
Golgoth les repère aussi, trace des arcs de cercle de sa lame pour défendre son périmètre de sécurité, mais les gars sont de plus en plus confiants, et lui à devoir guetter toutes les directions, il galère à se ménager un nouvel équilibre sur ses jambes défaillantes, l’épieu fiché dans sa cheville. Moi, Sergent en herbe, je siffle le signal, et les gars se jettent sur lui de concert, m’ouvrant le chemin. Il frappe grièvement le premier avant que son arme ne lui soit arrachée des mains. Sans l’intervention salvatrice du Nain venu à la rescousse de son compagnon, Golgoth aurait fini taillé en charpie comme le Warg avant lui. Il m’a senti venir évidemment. L’une de ses paluches m’attrape un bras. Ca ne m’empêche pas en retour de continuer à venir à sa rencontre et d’abattre ma hache sur son faciès. L’impact est violent, jouissif. Je ramène le bras armé en arrière pour l’abattre encore. Et encore. Sous mes coups, ce ne sont pas deux dents, mais toute une explosion de dents et de sang. La hache a déchiré une ouverture béante au grand jour sur l’intérieur de la gueule du gros vert.
A cracher sang et dents, j’aurais pensé qu’il aurait eu son compte. Mais à ma surprise, même en mugissant de douleur sous les impacts, le monstre parvient à se reprendre et à me saisir de son deuxième bras, expulsant la hache dans la foulée. Un simple snaga serait mort, totalement à sa merci. Mais tu n’as toujours pas compris, Golgoth : je ne suis pas un snaga.
Au lieu de paniquer et de chercher à me dégager frénétiquement, à fuir à tout prix la saisie, je fonds sur lui. Ma main droite qui passe au-dessus de ses bras massifs, venant saisir sa nuque. Et le coude gauche qui décolle, lui broyant la trachée.
Golgoth s’étrangle.
Sa prise se crispe, sans lendemain. Je m’en extirpe non sans une pointe acérée de mépris, tenant à le regarder les yeux dans les yeux. Même sur le seuil de la mort, sa mort imagée de guerrier Uruk car je sens qu’il a le cou assez large pour survivre, ses yeux restent dur. Ouais, t’es un vrai dur, Golgoth, j’le reconnais. Ça forcerait l’admiration, si tu ne t’étais pas mis en porte-à-faux de manière aussi minable… Dans cette vomissure de sang mêlée de salive au sol, une belle petite poignée de dents que je collecte à ta face. Les fourrant dans ma propre bouche, faute de récipients.  
Crois-moi, quand je te dis que j’aurais écrasé sa nuque de mon pied pour l’achever.
Mais à quelques pas, le Nain qui m’injurie en toussant, à l’orée de la fumée croissante, qui cherche à venir pour moi.
Sans compter le deuxième Warg qui revient à la charge.
Paradoxalement, à gagner l’espace de la grotte comme elles le font, les fumées de ma grenade vont lui sauver la peau, à ce con de Nain ! Il va pour me charger, mais une flèche jaillie des hauteurs l’a frappé  dans le bras, le clouant sur un rictus aigri.
Je lui adresse un ricanement de pure moquerie, juste pour l’énerver. Et un dernier majeur, pour la route.
Et je replonge dans ce qu’il reste de la horde, disparaissant comme je suis venu. Retourne dans le gaz, sa brûlure et la toux…
Une pensée solennelle à mes adversaires, du Mangeur d’Epée à ces sauvageons dont j’enjambe les corps, tandis que je crache des dents de Golgoth pour les ramener à ma sacoche... Merci à vous mes adversaires de me faire prendre conscience de ma véritable force, quand le monde des adultes et des tocards tente de m’inhiber, de m’humilier, de faire de moi un "snaga"…

On dit que la vengeance est un plat qui se mange froid…
A d’autres…
Moi la vengeance, je l’aime bien chaude…
… Je l’aime chauffée à blanc...


De retour au tunnel de l’abîme, plongé dans les vapeurs empoisonnées. J’y progresse en aveugle asphyxié initié parmi des aveugles asphyxiés non-initiés…
Une pensée au dernier Warg qui va perdre le flair pour les prochaines heures avec le concentré poivré qui lui assaille les naseaux. Impossible de guider Golgoth et le Nain hors de la grotte ni même de nous flairer pour un bon bout de temps...
Si y a un truc que j’ai pas laissé au hasard dans ma petite attaque, c’est bien ce point là...
J’émerge du brouillard en toussant. Commence à courir, torche et sacoche récupérées.

Et je tique. Fais halte, puis reviens sur mes pas, passant à côté de plusieurs gars perdus :
Alors, ça !
Quelle !
Surprise !
Là, à côté de mon précédent adversaire blessé à la cuisse qui boite hagard en se tâtant l’entaille à la gorge, je repère Trois-Doigts ! Comme tous les autres, il pleure de l’irritation oculaire et s’étouffe dans des râles d’agonie contre la paroi. Son couteau en main.
Me délestant de la torche, j’arrive sur lui en expédiant mon genou dans son ventre déjà plié, et en le désarmant du couteau.
Fondant sur son dos, je le ceinture du bras par derrière, appui d’un pied sur le creux du genou pour le faire basculer à ma merci. Pour le jeter hors de la proximité du brouillard. Trois-Doigts à la ramasse cligne des yeux, s’efforce de capter ce qu’il a devant lui. Assimile à qui il a à faire, qui le tient sous la menace de son propre couteau à la lueur de cette torche au sol…
– N’y pense même pas ! Je râle en crachant.
Mais il y pense, ce crétin. Il tente de m’attaquer. Bondissant en arrière, de ma main libre, je lui chope deux des derniers doigts de sa main mutilée. Torsion. Le cri de Trois-Doigts me surprend et viendra même me pincer le coeur quand j’y repenserai, miaulement de chat pathétique…
Sur le coup, chauffé comme je l’suis, j’n’ai aucune pitié pour lui et j’enchaîne dans le répertoire de coups inculqués à l’instruction. D’une clé de bras, je lui ai déboité l’épaule.
Après quoi je l’empoigne par les cheveux, enroulant sa natte guerrière à mon poignet. De l’autre main, je lui fous le pointu de sa propre arme à l’orée de son œil :
– Tu bouges pas maintenant ! Tu bouges pas ! TU BOUGES PAS !
Il tente de lutter, de me frapper mollement de son bras invalide même, alors je tire sur ses cheveux pour le foutre à terre. Genoux sur sa nuque, le couteau menaçant plus fermement l’oeil que jamais. Mon pied empêche sa main tâtonnante d’atteindre la torche :
– J’te préviens ! Si tu n’veux pas m’écouter, tu le vois ton couteau ? J’m’en sers pour t’arracher un oeil, et j’te tranche la gorge ! T’as compris ? Allez, relève-toi !
Tenu en laisse par sa chevelure. Le couteau sur la paupière Entre courir et ramper misérablement, j’oblige Trois Doigts à me suivre jusqu’à un trou…
– Dans l’trou d’souris ! Que je grogne en l’y jetant et l’y bourrant d’un coup de pied. Je retourne d’un bond sur mes pas agripper la torche, avant de revenir plonger à sa suite. Je l’invective. Lui grogne d’avancer. On n’laisse le moindre répit à la racaille, quand on la dresse. Le menaçant du feu et du couteau pour le contraindre à ramper avec empressement, sans se poser de questions :
– Tu veux tenter ta chance et m’botter la gueule ? Vas-y ! Mais t’as intérêt à n’pas t’louper mon gars ! Car si tu t’loupes, je te sectionne les tendons !
« Avance ! Que j’aboie. Allez ! Plus vite que ça !
Il rampe craintivement avec moi derrière lui. On arrive dans une cavité caillouteuse où deux silhouettes de congénères sauvageons qui ont fui les combats se figent face à nous. Je jette Trois-Doigts contre la paroi, hors de mon chemin :
— Tu attends ici.
Avant de marquer bonds vers les deux sauvageons. Immédiatement et sans réserve, les deux p’tits gars se jettent à genoux en implorant d’un geignement uni, présentant patte blanche et baissant la tête.
— C’est bien... Eux ils sentent tout de suite en présence de qui ils sont. La vie ne les a pas rendu crétins comme vous autres…
A nouveau je pose ma torche au sol, sa lumière qui fait rougeoyer la cavité ténébreuse... Je reviens droit sur Trois-Doigts. L’empoignant par le cou et le bras encore valide pour le jeter au coeur de cette cavité, l’étalant dans les cailloux. Il geint, prostré sur ses doigts brisés, il rampe et cherche à se redresser sur ses genoux misérablement, pour s’apprêter à parler :
– NON ! Soumets-toi, sale chien ! Que je lui hurle… Plus bas ! Tu baises le sol !
Il obtempère parce qu’il n’a pas le choix, les deux autres jeunes pour jurés le jour de son jugement… Bien. Je laisse se rétablir un peu de silence. Mon souffle lourd de Loup-garou…
Je ravale mon ardeur, mais elle n’est pas loin, flirtant avec les ténèbres de la cavité. Longeant le flanc de Trois-Doigts pour lui tourner autour un coup, non sans lui botter un coup les côtes au passage :
« Mains sur la tête… J’m’en contrefous de qui de Golgoth ou du Nain m’a pété les dents. Ca pourrait être Simo, la grosse révélation que j’aurais pas vu venir, j’m’en tape. Le responsable de cette schräkerie, c’était Golgoth. C'était lui l'Uruk. Maintenant il n'est plus rien. Je ne suis pas un snaga, l’ami. Je suis un Orque de Ses Légions. Tu le savais, tu le leur avais dis en plus. Et c’est pas faute de vous avoir prévenus.
« Tes mains !
Que je grogne en revenant lui botter la gueule. Dans ton propre intérêt, n’me fais pas me demander si tu caches quelque chose. Et maintenant tu fermes ta gueule, et tu écoutes…
Reste à savoir ce que je vais lui dire exactement, tandis que je reprends ma respiration, m’éclaircissant la gorge et commençant à farfouiller dans la sacoche, entre mes gencives aussi, pour en extraire les dents de l’autre… Mille répliques se bousculent dans mon crâne, certaines contradictoires, d’autres débonnaires ; le silence plane dans la cavité ténébreuse. Longtemps... J’ai senti quelque chose bouger et s’agiter dans la sacoche, contre mon flanc. Là, parmi les dents de Golgoth, le rat que j’ai trouvé vient de se ranimer ! Immaculé et humant l’air, ma peau de ses moustaches ! J’ai pris le temps de le cajoler un peu, lui flatter le museau du doigt, le laissant mordiller… Ce retour à la vie me donne pleine confiance dans ce que je m’apprête à entreprendre…
J’ai continué de farfouiller, empoignant les crocs d’Uruk. Du creux de ma main, ils passent à l’essai deux par deux à l’intérieur de ma bouche. Rangeant patiemment ceux qui ne font pas l’affaire dans la besace ; ils feront toujours de bons trophées. J’étais confiant…

Comme tu as de grandes dents, petit Rat !

Je souris… Je me rapproche de Trois-Doigts, exhibant le flanc de ma dentition...
« Les faveurs de mon Maître !
Je le laisse digérer ce dont il est témoin, satisfait…
— Toi par contre, t’es à court de points de Destin…''
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