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Ryad Assad
Espion de Rhûn - Vicieux à ses heures perdues
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Ryad Assad

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Désillusions EmptyVen 5 Avr 2019 - 22:21
- Sergent ?

- Hmmm ? Répondit une voix ensommeillée, à peine capable de formuler une phrase.

- Sergent, quelqu'un désire vous voir…

- Quoi ?

Hadden ouvrit un œil. Il n'avait jamais aimé être dérangé au beau milieu de la nuit, a fortiori quand il venait juste de réussir à s'endormir… Il revenait d'une réunion de la plus haute importance avec les autorités de la ville, et dès qu'on l'avait congédié après avoir entendu son rapport, il s'était retiré dans la caserne pour s'y écraser sur son lit. Le sommeil n'avait pas tardé à s'emparer de lui, mais déjà le voilà qui fuyait, comme un vague souvenir emporté par une brise matinale. Il lui fallut quelques longues secondes pour comprendre que si on le réveillait à cette heure, c'était probablement pour une raison valable, et qu'il ne pouvait pas simplement congédier son invité sans motif. Quelque chose de grave venait sans doute de se passer, et en tant que chef effectif de la Milice d'Esgaroth, il n'avait d'autre choix que de gérer l'affaire sur-le-champ. Tant pis pour le repos. Le jeune soldat qui venait de l'avertir recula d'un bon pas en direction de la porte entrouverte. Il avait toqué plusieurs fois, mais le sommeil lourd de l'officier en charge n'avait pas été troublé par cette simple distraction, et il n'avait eu d'autre choix que de rentrer lui-même pour réveiller Hadden. Alors que les pensées se réorganisaient progressivement dans son esprit, il espéra qu'on n'avait pas trouvé d'autres traces d'une attaque. Il rejeta les couvertures qui le maintenaient au chaud, et se redressa en position assise, passant sa main sur sa nuque pour essayer de chasser les signes de lassitude.

- Faites-le entrer, lâcha le sergent.

Le jeune homme s'exécuta diligemment, sans questionner la nature de l'ordre qu'il venait recevoir. Il fit signe à quelqu'un, et s'éclipsa lui-même. En levant la tête, Hadden ne put réprimer un juron.

- Bon sang, je… Pardonnez-moi !

Il s'attendait à voir entrer un homme dans la pièce, peut-être un informateur ou un pêcheur ayant vu quelque chose. Il y avait des gens qui traînaient la nuit, rarement des personnes recommandables, mais qui pouvaient se révéler utiles. En échange d'une petite récompense, ils se montraient parfois très loquaces. Cependant, quand la silhouette gracile et svelte de Delaynna était apparue dans son champ de vision, Hadden avait sursauté, de surprise autant que de gêne. En effet, torse nu, les cheveux en bataille, il avait l'impression de faire injure à son invitée tardive qui ressemblait à s'y méprendre à une femme de la haute noblesse. Levant une main pour lui demander pardon, il s'empressa d'attraper une chemise de lin aussi confortable qu'usée, et la passa sommairement. Cela ferait bien l'affaire pour cette réunion impromptue.

- Désolé, fit-il d'une voix enrouée. Je ne m'attendais pas à votre venue…

Puis, laissant subitement ces considérations de côté, il l'invita à parler :

- Je suppose que vous avez de mauvaises nouvelles à m'annoncer. Avez-vous trouvé les Orientaux ? Ont-ils fait d'autres victimes ?

Il sembla tout à coup se rendre compte que quelque chose ne tournait pas rond, et ajouta :

- Votre mari n'est pas avec vous ?


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Delaynna
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Désillusions EmptyLun 5 Aoû 2019 - 5:51

Alors qu'elle conservait la main de son compagnon le plus proche dans la sienne, la jeune femme demeura concentrer et conservait sa force dans cette petite tâche. Sig n'osait la regarder dans les yeux alors qu'elle avait prononcé un nom qui semblait avoir tombé dans l'oublie. Le silence régna dans la salle quand Achas quitta celle-ci, à la demande du mercenaire.

«- Lingwë... Ce prénom, je crois ne l'avoir jamais entendu de la bouche de quiconque depuis des centaines d'années... »
Alors qu'il s'apprêtait à quitter la chambre, Delaynna tenta de se redresser. Mais l'effort fut trop grand pour elle. Sa respiration devenait très lourde et sentait son coeur battre tellement fort. Ce n'est qu'avec une voix à peine audible qu'elle put dire à son compagnon, pour une dernière fois.

-Prenez garde à la noir... commença-t-elle alors qu'elle sombrait peu à peu dans l'impuissance.

Elle avait l'impression de revivre le même rêve qu'elle avait vécu lors de la nuit précédente. Son corps lui paraissait si froid qu’elle avait l’impression d’être sous une eau glaciale. En ouvrant les yeux, elle s’aperçut qu’elle se retrouvait en Lorien. Tout lui semblait si réel. Son esprit avait l'avait ramené dans un endroit bien caché dans son esprit, qui lui rappelait son foyer, chez elle.

Elle s’enfonça à travers les bois sachant très bien le chemin du retour. Mais plus elle avançait, plus le ciel s’assombrissait. La noirceur venait tapisser la splendeur des arbres en emportant avec elle, les feuilles dorées qui se déposèrent au sol.

-Delaynna…

Prise par un sursaut, Delaynna se retourna pour apercevoir nul autre que ses compagnons Achas et Sigvald. Elle ouvrit grand les yeux lorsqu'elle aperçut Achas avec une grosse entaille au niveau de la cuisse. Elle s'élança pour lui venir en aide lorsque celui-ci tomba à genou.

-Non! Achas!

Sigvald vint la saisir par le bras et le serra tellement fort. Delaynna tenta de se débattre mais ce dernier la maintenait très fort. Ses yeux avaient changés, il avait les yeux d'un serpent qui dévisageait sa proie.

-C'est ton sang qui devrait couler et pas le sien Delaynna...

Elle se sentait piéger par cette même chose qu'elle avait vu dans sa vision. Le même monstre qui allait encore une fois l'engloutir dans les profondeurs de son âme.

C'est dans un hurlement qu'elle se réveilla à nouveau. La même jeune servante de tout à l'heure, était penchée sur elle et essayait d'éponger son front brûlant. Delaynna fronça les sourcils et tenta de repousser les gestes de la jeune fille. Elle tenta de se relever, mais la jeune fille l'en empêcha.

-Non madame ! Votre compagnon... il a dit que vous deviez vous reposer !

Elle observa par la fenêtre qui donnait sur le lac. Il faisait dorénavant nuit. Elle se releva et saisit sa cape.

-Je dois prévenir... se contenta-t-elle de dire alors qu'elle enfonçait sa capuche sur sa tête. Elle s'engouffra dans l'obscurité de la nuit à travers les ruelles. Elle sentait son cœur battre tellement fort dans sa poitrine que cela raisonnait partout dans son corps et cela la rendait tremblante. À plusieurs reprises, la dame de l'eau s'était appuyé contre un mur afin de reprendre son souffle. Pourtant, plus elle s'élança dans la noirceur de la nuit et plus sa mine devenait de plus en plus sombre...

Le temps pressait. Ces deux compagnons étaient là-bas, en train d'enquêter sur l'eau, essayant de trouver les traces de Syla. Alors qu'elle arriva enfin devant la caserne, les soldats la dévisagèrent, incrédule face à cette visite si tardive. Elle s'annonça à l'un d'entre eux et demanda à ce qu'on l'a conduise au sergent Hadden. On la conduisit devant la porte de ses appartements. Le jeune soldat qui l'avait conduit, semblait nerveux. Il ouvrit la porte et s'annonça en désignant qu'un visiteur désirait lui parler. Le jeune homme fit signe à la dame qu'elle pouvait entrer.

Hadden sursauta en la voyant entrer. Il s'empressa vite à mettre une chemise sur lui.

« - Je suppose que vous avez de mauvaises nouvelles à m'annoncer. Avez-vous trouvé les Orientaux ? Ont-ils fait d'autres victimes ? »

Il sembla tout à coup se rendre compte que quelque chose ne tournait pas rond, et ajouta :

« -Votre mari n'est pas avec vous ? »

-Pardonnez ma visite si tardive sergent Hadden, mais il y a du nouveau dans l'enquête, débuta-t-elle alors qu'elle s'approcha un peu plus du nouveau sergent. Elle déposa sa main sur la chaise qui se trouvait près d'elle afin d'y prendre appui. Nous avons reçu l'information que votre ancien collègue, Syla a déserté. Il semble qu'il ait décidé d'enquêter seul. Il aurait disparut dans l'ombre, ainsi qu'une nouvelle embarcation. Mes compagnons sont partis à sa poursuite. Je requiert des hommes, prêts à tout lorsque mes deux compagnons seront de retour.

Elle sentie sa poitrine se serrer lorsqu'elle mentionna «seront de retour». Elle repensa à sa vision qu'elle avait eu au contact de l'eau. L'idée de les perdre les deux, lui étaient très difficile à gérer. Surtout qu'elle avait dû les laisser aller...

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Ryad Assad
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Désillusions EmptyLun 12 Aoû 2019 - 1:34
Hadden n'aurait su dire ce que cachait le regard de Delaynna, mais il devina que quelque chose n'allait pas. Elle essayait de lui cacher son trouble, mais de toute évidence elle paraissait préoccupée, pour ne pas dire choquée. Comme si elle avait vu un fantôme. Le sergent aurait voulu pouvoir la rassurer, mais il ne trouva pas les mots pour cela, et se contenta donc de l'écouter lui faire l'exposé d'une situation qu'elle pensait critique. En l'entendant, le militaire se permit un sourire détendu avant de lui répondre :

- Votre trouble est bien compréhensible, ma Dame, mais je vous rassure, tout va bien. Le capitaine Syla a été retrouvé. Vos compagnons devraient s'en rendre compte et revenir rapidement.

Il pensait que de telles paroles seraient suffisantes pour rasséréner son interlocutrice, mais il ne rencontra pas l'effet escompté. Bien au contraire, il sembla déclencher de nouvelles questions, de nouveaux doutes. De toute évidence, son explication ne coïncidait pas avec ce que l'Elfe souhaitait entendre. Il ajouta :

- Je sais que vous vous inquiétez pour le capitaine, mais nos hommes l'ont trouvé, et l'ont amené devant le comte Saule afin qu'il puisse s'expliquer.

S'expliquer. Syla était un homme brisé, à peine capable de tenir debout, et qui s'était pourtant vu confier une mission de la plus haute importance. Hadden avait donné des ordres stricts, afin que son supérieur fût conduit devant les plus hautes autorités de la ville, pour répondre de ses actes. L'enjeu était trop important pour que la situation fût prise à la légère, et mise entre les mains d'un homme instable et suicidaire. Certains verraient dans son action une forme de prise de pouvoir malsaine, mais il savait lui qu'il agissait dans l'intérêt de la cité d'Esgaroth, et qu'il n'avait d'autre choix que de mettre Syla face à ses responsabilités plutôt que de laisser tout son peuple souffrir plus longtemps aux mains des Orientaux.

- Si cela peut vous rassurer, je peux vous conduire au Castel du comte. Je pense que le capitaine doit encore s'y trouver, vous pourrez voir par vous-même qu'il n'y a rien à craindre.

C'était sans doute la meilleure chose à faire pour l'heure, car Delaynna semblait avoir besoin de réponses claires. Hadden, qui semblait encore légèrement ensommeillé, quitta sa chemise pour passer une tunique plus présentable, non sans rougir légèrement. Il fallait dire que de son point de vue, l'Elfe était tout bonnement la créature la plus parfaite qu'il eût jamais vu, et une telle proximité entre les deux à une heure aussi tardive avait de quoi le mettre mal à l'aise. Il était pourtant plutôt bel homme, mais que valait la beauté humaine face à la perfection des Premiers Nés ? Sa musculature le rendait presque difforme et brutal face aux deux compagnons de son interlocutrice, qui se distinguaient par la finesse de leurs traits et de leur silhouette. Il se sentait monstrueux, maladroit. Inférieur.

Il ne fit pas part de son sentiment à Delaynna, et se contenta au contraire de lui présenter un visage affable. Il voulait sincèrement l'aider, conscient qu'en lui prêtant assistance, elle ferait de son mieux pour sauver les habitants d'Esgaroth du danger qui planait sur le lac. Il y avait une autre raison à sa sollicitude. Il n'aurait pas osé se l'avouer, mais il était positivement impressionné par l'Elfe, qui dégageait une aura envoûtante, à mi-chemin entre la séduction et l'intimidation. Elle dégageait une sérénité face au danger, et pourtant une forme de fragilité qui activait son esprit protecteur. Sitôt après avoir passé une tenue adaptée à l'occasion, il guida Delaynna à l'extérieur de sa chambre, et fit signe aux quelques soldats qui étaient encore debout, et montaient la garde :

- Messieurs, postez des hommes sur les rives du lac. Lorsque les compagnons de madame se présenteront, guidez-les ici.

Revenant à l'Elfe, il ajouta :

- Je suis sûr que tout se passera bien pour eux, ils reviendront rapidement.

Sur ces paroles qui se voulaient réconfortantes, ils se mirent en route en direction du Castel. Ce bâtiment défensif qui faisait office de bastion dans la cité lacustre se trouvait parfaitement en son centre, et abritait le comte ainsi que ses principaux officiers. A une heure aussi tardive, on aurait pu s'attendre à le trouver fermé et sous bonne garde, mais il était de notoriété publique que Dauert Saule entretenait une cour nombreuse qui se réunissait régulièrement jusque tard dans la nuit. Et même si cela n'avait pas été le cas, le Castel faisait figure de lieu ouvert au sein de la cité. Les gardes y patrouillaient avec attention, mais le bastion accueillait fréquemment des voyageurs et des dignitaires étrangers en voyage dans la cité, si bien qu'il était plus facile d'aborder le comte que les autres seigneurs dans des cités plus importantes.

Ils furent donc introduits sans la moindre difficulté à l'intérieur, tâche facilitée en grande partie par la présence de Hadden dont l'autorité sur la Milice lui permettait d'accélérer les contrôles et les procédures. Ils passèrent ainsi sous une épaisse arche de pierre, et se rendirent vers une grande salle de réception d'où se dégageait une douce chaleur. De nombreuses bougies y étaient allumées, dispensant une lumière agréable aux convives qui s'étaient réunis. En raison de la taille de la pièce, on aurait pu s'attendre à trouver davantage d'invités, mais Saule n'était entouré que d'une petite dizaine de personnes, hommes et femmes attablés et occupés à savourer un repas exquis, tandis qu'ils écoutaient attentivement le récit d'un homme qui tournait le dos à Hadden et Delaynna.

- … c'est pourquoi, faisait celui-ci, nous n'avons pas encore obtenu de résultats, mais nous y travaillons assidûment, sire.

Cette voix… Cela ne pouvait être que Syla, mais il n'y avait qu'un seul moyen d'en être certain. L'Elfe et son guide s'approchèrent dans la lumière, et attirèrent l'attention du comte, qui leva la main pour interrompre son interlocuteur.

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Il avait le teint froid et les yeux sombres, mais on décelait chez lui une grande intelligence, presque roublarde. Il n'avait pas le charisme des hommes de guerre, mais malgré sa taille modeste il dégageait quelque chose de séduisant, d'attirant, mais aussi de menaçant et d'inquiétant. On sentait chez lui une profonde ambivalence, que son apparence ne faisait que renforcer. Sa mine austère renvoyait l'image d'un homme strict et profond, mais sa tenue le présentait au contraire comme un homme superficiel et versé sur le luxe. Fasciné par la présence d'une immortelle à sa table, il fit signe à Hadden d'approcher, et déclara d'une voix où perçait sa très grande confiance en lui :

- Sergent Hadden, j'ignore quelles nouvelles vous m'apportez à une heure si tardive, mais elles paraissent sous la forme la plus agréable à contempler.

Son regard glissa impudiquement sur le corps de Delaynna. Contrairement à Hadden, il ne faisait pas preuve d'une gêne presque juvénile que l'on pouvait qualifier de touchante, mais il se délectait au contraire de cette apparition impromptue sans paraître vouloir s'en cacher. Son attitude n'était cependant pas dénuée d'un certain charme, et il poursuivit sur un ton particulièrement poli :

- Madame, j'ai eu vent de la présence d'Elfes dans ma noble cité, et je suis très heureux de faire votre connaissance. Laissez-moi me présenter, je suis le comte Saule, à votre service. A qui ai-je l'honneur ?

Il attendit patiemment sa réponse, jusqu'à constater que ce n'était pas lui que Delaynna observait. Elle avait le regard braqué sur l'homme qui se tenait devant le comte, et qui venait de se retourner vers elle. Plus de doute désormais, il s'agissait bel et bien de Syla, en chair et en os. Les mêmes traits, le même regard égaré, la même mine lasse. Nul autre qu'elle ne comprit pleinement les implications réelles de sa présence ici, maintenant. Cela signifiait que sa vision était erronée. Cela signifiait qu'elle s'était trompée, ou pire… qu'elle avait été trompée.

Et à cause d'elle, Sigvald et Achas se trouvaient désormais seuls sur le lac.

#Delaynna #Saule #Syla #Hadden


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Désillusions EmptyLun 19 Aoû 2019 - 19:32
« Votre trouble est bien compréhensible, ma Dame, mais je vous rassure, tout va bien. Le capitaine Syla a été retrouvé. Vos compagnons devraient s'en rendre compte et revenir rapidement. »

Son cœur avait sauté un bond lorsque le sergent lui avoua que ses hommes avaient retrouvés l’ancien capitaine. Ce qu’elle avait vu dans sa vision… le capitaine qui s’apprêtait à partir sur l’eau… Sa propre noyade… Tout cela n’avait aucun sens.

« Si cela peut vous rassurer, je peux vous conduire au Castel du comte. Je pense que le capitaine doit encore s'y trouver, vous pourrez voir par vous-même qu'il n'y a rien à craindre. »

Le sergent alla vite changer sa chemise pour une tunique plus présentable lorsqu’il sera devant son supérieur. Ce dernier semblait plus timide en la présence de la Dame de l’eau. Elle se retourna afin d’éviter de le regarder se vêtir. Comparativement à ses confrères, la musculature des hommes était plus musclée et virile. Celle des elfes étaient plus svelte et élancée.

-Je… je vais attendre à l’extérieur, fit-elle en se dirigeant vers la porte.

Lorsqu’il fut prêt, il l’accompagna jusqu’au Castel. Il pria quelques soldats d’aller se poster à leur poste, afin d’accueillir ses deux compagnons à leur retour.

« Je suis sûr que tout se passera bien pour eux, ils reviendront rapidement. »

Delaynna ne prononça aucun mot durant tout le long du trajet. Elle ne faisait que penser à Achas et Sig. Étaient-ils en sécurité ? L’idée de ne pas le savoir, commençait à l’angoisser terriblement… S’ils venaient à mourir tous les deux, elle ne se le pardonnerait pas. Ils furent introduits dans la grande salle où siégeait le Comte et ses invités. Attentif au récit de l’individu qui leur tournèrent le dos, les invités détournèrent le regard pour observer l’elfe et le sergent qui arrivèrent côte à côte.

« …c'est pourquoi, faisait celui-ci, nous n'avons pas encore obtenu de résultats, mais nous y travaillons assidûment, sire. »

L’individu se retournèrent vers eux et leur regard se croisèrent. Syla la reconnut aussitôt. Il était difficile de ne point oublier la personne qui vous avait sauver de la noyade. Pire encore, qui avait évité l’irréparable. Il l’avait connu avec son regard doux et bon, dorénavant, c’était un regard froid et de colère.

« Sergent Hadden, j'ignore quelles nouvelles vous m'apportez à une heure si tardive, mais elles paraissent sous la forme la plus agréable à contempler. Madame, j'ai eu vent de la présence d'Elfes dans ma noble citée, et je suis très heureux de faire votre connaissance. Laissez-moi me présenter, je suis le comte Saule, à votre service. A qui ai-je l'honneur ? »

Sans gêne, le comte Saule contempla le corps de la jeune femme. Il y eut un moment de silence. Tous avaient vu de la manière elle regardait Syla. Lorsqu’elle se retourna vers le comte, elle se rendit compte qu’il scrutait chaque détail de son corps. Elle camoufla son dégoût à l’égard de leur hôte. Elle réajusta sa cape afin de recouvrir son corps et s’élança dans une révérence en guise de bonsoir.

-Je suis Delaynna de la Lorien. Je suis ici, à la demande du seigneur Angrod. Il m’a envoyé afin de vous, commença-t-elle, alors qu’elle constata que malgré le fait qu’elle lui ait caché la vue de son corps, il continuait de la contempler, maintenir l’alliance entre nos deux peuples.

Elle était heureuse d’avoir le sergent à ses côtés. Il semblait lui aussi dégoûté par les agissements de son maître face à la Dame de l’eau. D’ailleurs, elle ne révélait point son identité à ceux-ci. Syla avait déjà vu de quoi elle était capable. Et puis, les Elle tourna à nouveau son regard sur lui, ignorant le comte et s’approchait. Il semblait encore effrayé en l’apercevant. Les mains cachées sous sa cape, Del les serra très fort, afin de se calmée et d’éviter tout acte de violence.

-Je vois que vous ayez meilleure mine que ce matin lorsque je vous ai croisé à l’auberge capitaine Syla, souligna-t-elle avec un sourire qui feignait sa colère, contre lui, mais surtout contre elle-même.

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Désillusions EmptyJeu 22 Aoû 2019 - 0:35
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En voyant la réaction de Delaynna, le comte Saule ne put empêcher un sourire d'apparaître sur son visage. Il savait aussi bien mettre les gens à l'aise que les perturber, et en un simple regard il avait pris l'ascendant sur l'Elfe qui se tenait devant lui, et qui désormais semblait ne plus savoir sur quel pied danser. Une tactique qu'il employait fréquemment avec les représentantes du beau sexe, qu'il réduisait bien volontiers à leur corps – surtout quand il était agréable à regarder – pour mieux mépriser leur esprit, leurs pensées, et leurs idées. Il se serait probablement comporté différemment si sa visiteuse était apparue en présence d'un de ses compagnons, mais puisqu'elle avait l'audace de venir seule à cette heure tardive, il ne se priverait pas.

Pourtant, Saule n'était ni un pervers ni un fou, et il changea subtilement de ton quand Delaynna lui révéla son identité, et les raisons de sa visite. Une Elfe de Lórien, représentante du seigneur Angrod de Vertbois, qui venait lui rendre une visite impromptue sans être annoncée ? Cela avait de quoi surprendre, mais puisqu'il ne connaissait pas le fin mot de l'histoire, il était obligé de prêter l'oreille à cette femme au risque de créer un incident diplomatique. Et cela, il n'en voulait sous aucun prétexte. Il avait été placé à Esgaroth par le roi Gudmund de Dale afin de rétablir l'ordre dans la ville, et de rebâtir les relations qu'entretenait la cité du lac avec ses voisins. Une brouille avec le puissant seigneur des Elfes serait du plus mauvais effet.

Affectant une mine de circonstance, il répondit sur un ton courtois :

- Dame Delaynna de Lórien, soyez la bienvenue à Esgaroth, la noble cité du lac. En tant qu'ambassadrice du seigneur Angrod, vous êtes ici comme chez vous. Vous ferez-nous l'honneur de dîner en notre compagnie ? Nous serions plus que ravis de vous avoir à notre table, même si l'heure est tardive et que vous êtes probablement lasse.

L'invitation ressemblait à s'y méprendre à une injonction, et un serviteur vint rapidement ménager une place pour la nouvelle arrivante, immédiatement à la droite du comte. Les autres convives s'écartèrent poliment, acceptant sans broncher l'ordre de préséance qu'établissait Saule. Cependant, alors qu'ils étaient tous concentrés sur la nouvelle arrivante et ce qu'elle pouvait représenter en termes d'opportunités et de dangers, le maître de la ville était préoccupé par le jeu de regards qui s'échangeaient entre elle, Syla et Hadden. Ces trois-là manigançaient quelque chose, c'était certain, mais il ne savait pas encore quoi.

Ce fut alors que l'Elfe approcha de Syla, et lui adressa des paroles bien sibyllines. Nul ne sembla en comprendre le sens, sinon peut-être le destinataire, qui semblait… effrayé ? Le capitaine n'était pas un homme très courageux, cela Saule l'avait très vite remarqué. Cependant, Delaynna l'inquiétait sans commune mesure, comme si elle connaissait sur lui un dangereux petit secret qu'il aurait préféré ne pas voir révélé. Attentif à la scène, le comte ne manqua rien de la réponse maladroite de l'officier, qui bafouilla :

- M-Merci, ma Dame. Je vais mieux, oui.

Il déglutit, pâlissant à vue d'œil comme s'il faisait face à une créature de cauchemar susceptible de le tuer sur place. Pourtant, ce n'était qu'une Elfe, et toute elfique et immortelle qu'elle fût, elle n'avait pas le pouvoir de le pétrifier ou de le changer en serpent. Sa terreur semblait disproportionnée, et sa dérobade n'en était que plus grossière et factice. Saule, qui entendait connaître le fin mot de l'histoire, se leva et tendit une main gracieuse vers l'Elfe pour l'aider à s'asseoir :

- Installez-vous près de moi, Dame Delaynna. Dites-moi, cela fait bien longtemps que nous n'avons pas vu d'émissaires du seigneur Angrod ici, au Castel. Comment se porte le royaume de Vertbois ? Comment vont ses gens, après cet hiver si terrible qui semble n'avoir épargné aucun royaume en Terre du Milieu ? J'espère que votre présence ici est le signe que votre noble peuple a finalement décidé de se joindre à nous, et que votre seigneur enverra bientôt des troupes pour nous assister.

Toutes ces questions étaient un test pour voir si Delaynna était bien qui elle prétendait être, car les réponses aurait dû être connues de la part d'une ambassadrice de la Forêt Noire, assurément. La dernière était sans nul doute la plus ardue, car même si Saule n'y avait pas fait référence explicitement, il était clair pour tous les convives que le comte faisait référence à ce que les gens d'Esgaroth appelaient la grande guerre souterraine. Les Nains, unis autour d'un nouveau roi, avaient engagé une grande offensive contre les bastions des Gobelins sous la montagne, et avaient convoqué tous leurs alliés afin de triompher. Les gens du Val d'Anduin, de Dale, et quelques volontaires d'Esgaroth avaient rejoint la cause, au même titre que de forts contingents venus du Rohan, et même quelques Béornides qui s'étaient joints à la bataille.

Les grands absents de cette alliance des peuples du Nord étaient les Elfes, dont on déplorait l'isolationnisme.

La posture de Delaynna était délicate, et il était certain qu'elle devrait trouver un moyen habile de justifier l'absence des archers de Vertbois, alors qu'elle ne connaissait pas tous les détails du conflit en cours. Pour parfaire son mensonge, elle devrait faire preuve de finesse, au risque de créer un incident diplomatique. Le comte l'écouta un instant, avant de revenir aux affaires de sa propre cité :

- Nous étions justement en train d'écouter le rapport captivant du capitaine Syla, que vous m'avez l'air de connaître. Vous avez déjà entendu parler de ces disparitions étonnantes sur le Lac, d'après ce que j'ai entendu.

Il marqua une pause, et ficha son regard dans celui de l'Elfe. Il savait que trois Eldar étaient arrivés en ville, et s'étaient proposés d'aider à la résolution de cette affaire. Trois Elfes qui ne s'étaient pas présentés comme des envoyés d'Angrod, et qui n'avaient pas pris la peine de venir se présenter au comte en premier lieu, ce que n'importe quel ambassadeur aurait fait. Cependant, Saule ne pouvait en tenir rigueur à l'Elfe, car si elle était volontaire pour aider à la résolution de cette affaire, elle débarrasserait Esgaroth d'un grand danger. Jouant à lui faire comprendre qu'il en savait plus qu'il ne le laissait croire, Saule enchaîna à l'attention des autres convives :

- Dame Delaynna et ses preux compagnons se sont portés volontaires pour résoudre le mystère du lac, et mettre un terme aux agissements des bandits qui attaquent nos navires. Je suppose que c'est Angrod lui-même qui vous a chargé de cette mission, n'est-ce pas ? A moins que vous n'ayez pris cette initiative vous-même, ce qui vous honore.

Il y eut quelques regards admiratifs dans l'assistance, parmi ces convives qui étaient tous des nobles ou des militaires de haut rang. Des gens influents dans la cité, qui regardaient leur nouvelle convive avec un mélange d'étonnement et d'incompréhension. L'idée qu'une ambassadrice elfique pût décider de régler les problèmes de simples mortels les dépassait, tant cela s'opposait aux conceptions traditionnelles des Eldar. On disait d'eux, et surtout de ceux de Vertbois, qu'ils ne se mêlaient pas des affaires des étrangers, et on ne voyait que très rarement des émissaires officiels traverser les frontières.

Cela annonçait en général des heures très sombres.

Saule laissa l'espace à Delaynna de lui relater les circonstances de sa venue à Esgaroth, l'encourageant à parler pour essayer de déceler les véritables raisons de sa présence ici. Puis, quand elle eut terminé, le comte se tourna vers le capitaine qui attendait toujours, et l'invita à poursuivre son récit. Cette fois encore, il y eut un profond malaise, et Syla jeta un regard appuyé à Delaynna qui semblait dire « j'aurais préféré que vous ne soyez pas là ». Ses raisons d'agir ainsi n'étaient pas très claires, mais chacun put percevoir son trouble.

- Comme je vous le disais, sire, nous avons eu beaucoup de mal à recruter des mercenaires désireux d'accomplir la mission qui leur était confiée. La présence de Dame Delaynna est… une chance… pour la cité. Elle et ses compagnons, Sire Achas et Sire Sigvald, sont probablement les plus qualifiés pour nous aider, quelle que soit la nature de la menace.

Saule approuva d'un signe de tête, imité en cela par la plupart des convives, à l'exception notable de trois d'entre eux. Le premier, rigide comme une branche de chêne, demeura parfaitement immobile. Il s'agissait du Conseiller Martial Toras, un homme qui avait davantage foi dans ses troupes d'élite que dans l'intervention providentielle de trois étrangers. Il savait évidemment qu'ils étaient en mesure de faire le travail, mais l'idée qu'ils fussent plus compétents que ses propres hommes n'était pas de celles qu'il pouvait accepter.

Le second à demeurer impassible était Martel DuGrand, chef de la Milice d'Esgaroth, et le supérieur direct de Syla. Il était responsable de la purge de la ville, et il avait déjà affronté des difficultés devant lesquels bon nombre d'officiers auraient reculé. Pourtant, il avait triomphé, et il était convaincu que si ses hommes avaient eu la discipline et le courage de soldats professionnels, il aurait pu faire quelque chose pour contrer la menace du lac. A l'instar de Toras, il n'estimait pas la présence des Elfes nécessaire et pire, il avait le sentiment que ces visiteurs risquaient de lui faire de l'ombre.

Le troisième n'était autre que le sergent Hadden, qui contrairement aux deux précédents ne put s'empêcher d'intervenir dans la conversation, alors même qu'il n'était qu'un officier subalterne, et qu'il n'aurait même pas dû être présent ici. D'une voix assurée, il asséna :

- Sauf votre respect, capitaine Syla, nous connaissons parfaitement la nature de la menace. Je ne vois pas l'utilité de le cacher.

Le silence se fit.

C'était de la part du sergent une transgression profonde de son rôle et de son rang. Parler ainsi sans y avoir été invité, s'opposer à son supérieur, et ce devant les hommes et les femmes les plus respectables d'Esgaroth… il y avait de quoi recevoir une sanction exemplaire. Pour autant, Saule n'intervint pas pour remettre Hadden à sa place, pas davantage que Syla qui demeura coi, surpris d'être ainsi poignardé dans le dos par un de ses hommes de confiance. Le sergent, jugeant qu'il était de son devoir de relater la vérité, fit un pas en avant, et s'inclina respectueusement :

- Toutes mes excuses, sire. Je suis le sergent Hadden, et je travaille sur cette enquête depuis la première disparition. Parmi la troupes, nous savons que ces attaques sont le fruits des Orientaux et de leurs sorciers. Qui d'autre pourrait envoyer ces navires par le fond ? Qui d'autre pourrait faire ainsi régner la terreur, et échapper à notre vigilance ? C'est ce que je pense, et c'est aussi ce que Dame Delaynna pense, n'est-ce pas ?

Hadden n'était pas un homme de mots, et on pouvait dire qu'il venait de commettre une maladresse à la hauteur de son zèle à accomplir sa mission. Involontairement, il avait placé l'Elfe dans une situation délicate, en la contraignant à se positionner officiellement, sous le regard attentif de tous les convives qui attendaient désormais sa réponse. Si elle affirmait être d'accord avec lui, alors elle risquait de sérieusement compromettre la place de Syla, et de précipiter la chute d'un homme déjà en difficulté, au bord de la disgrâce. Or le capitaine était instable, suicidaire, et ce genre de traumatismes pouvait facilement le conduire à des décisions radicales. Elle l'avait repêché de l'eau une fois, il n'était pas sûr qu'elle pourrait intervenir à temps la fois suivante. D'un autre côté, si elle désavouait publiquement Hadden, elle perdrait le soutien d'un soldat efficace, fidèle et zélé, qui semblait vraiment désireux de l'aider. Même si ses motivations tenaient autant à sa loyauté à sa cité qu'à ce petit béguin qu'il éprouvait pour l'Elfe, il était immensément plus fiable que Syla, et mille fois plus respectueux que le comte Saule. Certes ses convictions ne reposaient sur aucune preuve tangible, et sur une bonne dose de superstition que les humains entretenaient avec une passion dévorante, mais il fallait reconnaître que la possibilité que des Orientaux fussent impliqués était réelle, même si elle n'était pas avérée.

Après tout, quelque chose ou quelqu'un semblait avoir joué avec les visions de Delaynna, et ce mystère trouvait peut-être sa réponse dans la sorcellerie orientale, des arts occultes et effrayants.

Mais peut-être pas.

Or, de la posture qu'elle adopterait dépendrait sans doute le sort de l'enquête, et peut-être la vie d'un homme. Pour l'Elfe, le combat ne serait pas à mener à la pointe de l'épée, comme Achas et Sigvald, mais bien avec son intelligence et son sens de la diplomatie. Il y avait à cette table des gens qui demandaient à être convaincus, qui voulaient être rassurés et guidés. Les tensions qui s'exprimaient révélaient leur profonde incertitude, leur désarroi, mais aussi la crainte de faire fausse route. Se tromper d'ennemi signifiait laisser à la véritable menace un avantage considérable. Un avantage qui pouvait précipiter la chute de la cité lacustre. Il y en avait aussi dont les intérêts particuliers semblaient prendre le pas sur l'intérêt général. Toras, DuGrand, et même le comte Saule paraissaient avancer à visage couvert, peut-être parce qu'ils se méfiaient de traîtres potentiels, ou parce qu'ils avaient eux-mêmes des choses à cacher. Pour autant, le plus dissimulateur de tous était sans le moindre doute Syla, qui semblait conserver pour lui un lourd secret. Un secret dévorant qu'il n'osait pas exprimer à voix haute, soit par peur, soit sous la contrainte.

Mais c'était peut-être ce secret qui risquait de coûter la vie à Sigvald et Achas.


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Désillusions EmptyJeu 22 Aoû 2019 - 16:59
Leur hôte changea vite de ton lorsque la jeune femme se présenta à lui et à ses convives. Chacun se devait d’être respectueux envers l’autre, puisque Saule était en poste pour représenter le roi Gudmund de Dale tandis qu’elle était venue ici à la demande du Seigneur Angrod. Il fallait bien paraître à leurs yeux, sinon elle ne désirait point déclencher une dispute diplomatique entre deux royaumes, qui n’est pas le sien.

« Dame Delaynna de Lórien, soyez la bienvenue à Esgaroth, la noble cité du lac. En tant qu'ambassadrice du seigneur Angrod, vous êtes ici comme chez vous. Vous ferez-nous l'honneur de dîner en notre compagnie ? Nous serions plus que ravis de vous avoir à notre table, même si l'heure est tardive et que vous êtes probablement lasse. »

À peine le comte Saule eut-il fini sa phrase qu’un serviteur suivit de très près l’elfe et la força presque à s’avança jusqu’à la table. Cet accueil, elle ne le méritait pas. C’était ce genre d’accueil que l’on avait réservé à sa maîtresse, autrefois, Dame Galadriel et bien même plus spectaculaire. Hadden ne la quittait point du regard.
On l’installait à la droite du comte. Elle sourit poliment au serviteur qui l’aida à s’asseoir. Elle ignorait les regards de Syla qu’il lui lançait, pétrifier de peur à sa simple vue. Chose qui intriguait profondément le comte et qui ne passa point inaperçu aux yeux de ce dernier.

« Dites-moi, cela fait bien longtemps que nous n'avons pas vu d'émissaires du seigneur Angrod ici, au Castel. Comment se porte le royaume de Vertbois ? Comment vont ses gens, après cet hiver si terrible qui semble n'avoir épargné aucun royaume en Terre du Milieu ? J'espère que votre présence ici est le signe que votre noble peuple a finalement décidé de se joindre à nous, et que votre seigneur enverra bientôt des troupes pour nous assister. »

Le même domestique vint remplir une coupe près d’elle. Le liquide rouge vaguait dans la coupe, mais la jeune femme se contenta de la regarder. Le reflet du capitaine reflétait dans son verre et c’est alors qu’elle leva doucement les yeux sur celui qui n’osait retirer son regard de sur elle. La sueur perlait son front.

Il y eut un moment de silence avant que la jeune femme puisse répondre à la question du comte. Bien sûr, ces questions n’étaient pas dû au hasard. Il désirait la tester, connaître les véritables intentions de l’elfe. Elle n’était point ambassadrice, ni même originaire de Vertbois. Elle qui avait vécu à Caras Galadhon. Aujourd’hui gouverné par Nidnama Linkal-Hîth depuis le départ de sa maîtresse, Earwen, la Lothlorien vivait indépendamment.

Delaynna détourna le regard pour croiser celui du comte. Un sourire en coin glissa sur le bord de ses lèvres et se redressa afin d’avoir une meilleure posture. Elle se remémorait les paroles que le Seigneur des bois leur avait dit après le procès de Sig :

« Là, vous demanderez à rencontrer le capitaine Syla et n'omettrez pas de préciser que c'est moi qui vous ai envoyé, sans toutefois révéler les raisons qui vous ont poussé à cette mission. Vous n'êtes pas sans savoir, bien que votre dernière venue ici ne date pas d'hier, que nous entretenons des rapports commerciaux privilégiés avec la cité lacustre. Aussi j'ai dans l'idée de les entretenir, et d'honorer nos bonnes relations. »

Bien évidement, Delaynna ne pouvait révéler qu’ils étaient ici pour la rédemption de Sig. Ses pensées étaient rivées sur lui ainsi que sur Achas qui étaient tous les deux sur le lac par sa faute. Alors qu’ils se battaient pour survivre, seuls au beau milieu du lac, elle était ici à la table du comte en toute sécurité. Elle se dégoûtait elle-même.

-Le Seigneur Angrod vous offre ses plus sincères salutations comte Saule. Je comprends votre surprise de me voir ce soir à une heure aussi tardive. C’est pourquoi je tiens à préciser qu’il tient toujours à ses engagements envers vous et votre roi, sa majesté Gudmund de Dale. Ma présence ici n’est seulement que pour vous prouver son allégeance envers vous afin de comprendre ses agissements sur le lac, afin d’éviter les répercussions sur Vertbois. Je pourrais décrire cela comme étant un acte de prévention afin d’éviter toutes guerres à nos portes, répliqua-t-elle à son hôte alors qu’elle déposa son dos sur le dos de sa chaise afin d’y paraître plus confortable. Je suis du même avis que vous, l’hiver n’a épargné personne. Tout comme vous, le peuple des bois se remet petit à petit de la terrible froideur qu’a apporté le rude hiver avec lui.

« Dame Lithildren et ses preux compagnons se sont portés volontaires pour résoudre le mystère du lac, et mettre un terme aux agissements des bandits qui attaquent nos navires. Je suppose que c'est Angrod lui-même qui vous a chargé de cette mission, n'est-ce pas ? A moins que vous n'ayez pris cette initiative vous-même, ce qui vous honore. »

Évidemment, la rumeur était venue aux oreilles du comte. Elle leva les yeux à nouveau sur lui et afficha un sourire en coin, chacun des deux, avaient compris le jeu de l’autre. Et cela, elle l’avait compris au moment où elle s’était assise à cette table.

-Je crois que mesdames à cette table seront d’accord avec moi que parfois, les femmes ont une meilleure opinion et sont plus propices à discuter que nos confrères du sexe opposé. Autant chez l’humain que chez nous les elfes. Nous savons trouvé les mots, je puis le dire ainsi.

Certaines appuyèrent l’argument de la Dame de l’eau à la raison pour laquelle elle était venue seule et non avec ces compagnons. Les regards étaient centrés sur elle, autant par admiration que par incompréhension. Certains parmi eux prenaient cette visite pour une insulte. Une elfe qui vient pour régler leur problème ? Comme s’ils étaient des incompétents.

« Toutes mes excuses, sire. Je suis le sergent Hadden, et je travaille sur cette enquête depuis la première disparition. Parmi la troupe nous savons que ces attaques sont le fruit des Orientaux et de leurs sorciers. Qui d'autre pourrait envoyer ces navires par le fond ? Qui d'autre pourrait faire ainsi régner la terreur, et échapper à notre vigilance ? C'est ce que je pense, et c'est aussi ce que Dame Delaynna pense, n'est-ce pas ? »

L’intervention du sergent Hadden la mettait dans une situation des plus délicates. Elle ne pouvait s’objecter ou mettre une idée claire devant ces gens de la haute société d’Esgaroth. Elle se leva de sa chaise afin de s’adresser à tous.

-Rassurez-vous, je ne suis point ici afin de régler à moi seule le problème et d’en avoir tout le mérite. Je suis moi-même et vous aussi, je le pense êtes reconnaissants de la bravoure que vos hommes, qui se sont porté volontaires, ont eu lorsque le drame a débuté sur vos eaux calmes qu’elles étaient autrefois. Je ne suis qu’arrivé depuis quelques instants et bien sûr, des hypothèses sont venues à moi. La forte opinion que votre peuple a de la situation demeure très influente ainsi que celles des ménestrels, je dois avouer comte Saule. Mais je ne peux me faire une tête et une idée concrète de la chose.

Elle marqua une pause, sachant que le regard d’Hadden et de tous était braqué encore sur elle. Sa main était tremblante, les effets de sa vision la guettaient toujours. Tout son corps était faible, mais Delaynna devait restée forte. Forte pour elle-même et surtout, pour ses compagnons.

Le temps pressait. Elle n’avait que faire de ses soirées politique. Son désir était de sauver Sig et Achas.

-Je m’en remets à vous comte Saule afin de clarifier l’opinion que j’ai de ces événements tragiques. Son regard s’attarda sur chacun des membres de l’assemblé et surtout sur Syla.

-La peur est un sentiment qui peut nous diviser. La peur de l’obscurité nous effraie tous. Mais tachons de demeurer solidaire les uns envers les autres. Vous voyez, j’ai été spectatrice d’un bien merveilleux événement auprès de votre peuple comte Saule, malgré les circonstances. J’ai croisé des épouses, des filles, des sœurs et des mères qui ont attendu toute la nuit, en espérant voir les disparus réapparaître du lac. Elles brandissaient des lanternes afin qu’ils puissent retrouver le chemin du retour. L’espoir que conserve ses femmes m’ont prouvé qu’elles demeurent solidaires entre elles. Voilà un bel exemple et je suis fière d’avoir pu assister à cela. Je ne suis point supérieur à vous seigneurs d’Esgaroth. En ma présence, je suis égale à vous et je veux que la paix soit rétablie.

Elle voulait à tout prix, gagner du temps, du temps pour avoir des réponses. Cependant, le destin de ses compagnons la faisait trembler de peur à l'intérieur.
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Ryad Assad
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Désillusions EmptyVen 23 Aoû 2019 - 17:13

Maniant le verbe avec une dextérité toute elfique, Delaynna captivait l'attention de son auditoire par sa stature et la douceur de sa voix. Il était bien peu de choses qu'un humain pouvait prétendre égaler chez un des Premiers Nés, et ce n'était certainement pas la grâce ou l'élégance. Le comte Saule lui-même semblait subjugué, bien que son attention fût teintée d'un désir de possession malsain que l'on sentait poindre dans son attitude. Il dévorait l'Elfe du regard, comme s'il souhaitait la conserver pour lui seul. Ce n'était pas seulement la forme du discours qui avait de quoi enchanter cet auditoire, mais également le fond. Ainsi, Angrod de Vertbois souhaitait honorer ses engagements auprès des peuples du Rhovanion, et il leur promettait son assistance en ces temps troublés. Les gens d'Esgaroth répondirent favorablement à cette nouvelle, sans cacher leur satisfaction. Le comte, plus mesuré, déclara avec solennité :

- Hélas, j'ai bien peur que la guerre soit déjà là. Des Orientaux se sont avancés le long de la Celduin, et les Gobelins se tiennent agités sous les montagnes, prêts à surgir au moindre signe de faiblesse. Et voilà désormais que notre cher Long Lac est victime d'attaques odieuses. Votre présence est un soulagement pour nous, mais je crains qu'il vous faille rapporter à votre seigneur que nous avons besoin de davantage d'assistance de sa part.

Il expira par le nez, et poursuivit :

- Des hommes en armes, des archers, des éclaireurs à l'œil perçant capables de parcourir de longues distances… Voilà ce dont nous avons vraiment besoin. La grande guerre souterraine contre les Gobelins s'enlise, et la situation avec le Rhûn s'aggrave chaque jour. Les Nains des Monts du Fer semblent remettre en cause leur allégeance à la couronne de Thorik… Le nombre de nos ennemis se multiplie, et celui de nos alliés s'amenuise. L'appui des régiments de Vertbois nous donnerait un avantage décisif, et inespéré si guerre il devait y avoir.

A travers la description qu'en faisait le comte, Delaynna pouvait constater à quel point les hommes de ces régions étaient désespérés. Encerclés par des peuples hostiles, belliqueux et avides de richesses, ils subsistaient comme un îlot de paix et de prospérité au milieu des terres désolées. Repliés sur eux-mêmes, ils n'auraient jamais pu résister à la pression de leurs puissants adversaires, et ils devaient leur indépendance et leur liberté à la vigueur de leurs alliances. Hommes, Nains et Elfes s'étaient battus côte à côte plus de quatre siècles auparavant, mais depuis lors l'alliance avait perdu de sa force. Seule la grande Bataille du Nord avait permis de réunir ces alliés ancestraux, mais l'affliction avait touché chacun de ces peuples qui, pressé d'enterrer ses morts, s'était de nouveau détourné de ses voisins.

Aujourd'hui, l'heure était grave, et le danger bien réel. Pour autant, nulle main tendue de la part des Eldar, nulle aide de la part des plus sages et des plus nobles créatures d'Arda, les enfants d'Eru Ilúvatar. Ils s'étaient détournés de leurs jeunes frères mortels, et les laissaient seuls affronter les tourments de ce monde. La présence de Delaynna, Sigvald et Achas dans la cité était un signe positif et encourageant, mais à eux trois ils ne changeraient pas la situation critique d'Esgaroth. Identifier et neutraliser la menace sur le lac serait un bon début, mais pourraient-ils restaurer les cultures détruites par le froid, entraîner une Milice compétente capable de résister à la poussée des Orientaux, et redonner confiance à un peuple meurtri ?

Rien n'était moins sûr.

Delaynna, cependant, était déterminée à montrer à ses convives qu'elle voulait agir, et qu'elle n'était pas effrayée par l'ampleur de la tâche. D'une voix assurée qui amusa beaucoup le comte Saule, l'Elfe prit la défense du beau sexe et mit en avant le rôle des femmes dans les négociations, là où les hommes pouvaient se montrer enflammés et orgueilleux. Bien évidemment, la plupart des nobles masculins attablés se fendirent d'un sourire sinon goguenard, au moins dubitatif. Ils avaient une vision du beau sexe certes moins extrême que celle que l'on trouvait en Arnor, mais il leur paraissait néanmoins inconcevable qu'une femme disposât d'atouts intellectuels à la hauteur de ceux des hommes. Chez une Elfe, ils l'acceptaient comme faisant partie de leur race, mais ils ne voyaient en aucune humaine une intelligence si vive qu'elle aurait pu les conduire à lui obéir. C'était la raison, songeaient-ils, pourquoi les royaumes étaient gouvernés par des hommes, et pourquoi seuls les barbares orientaux se laissaient conduire par une reine. Persuadé de lui faire un compliment, Saule enchaîna :

- Je crois également que nos femmes peuvent représenter un atout précieux lorsqu'il s'agit de parlementer. La beauté est leur éloquence, et la séduction leur rhétorique. Qui pourrait mieux convaincre un homme de se mettre à la table des négociations que sa propre épouse ?

Comme souvent, les femmes humaines étaient ramenées à leur apparence et à leur charmes, ce que beaucoup de femmes tenaient d'ailleurs pour vrai et absolu. Elles ne se souciaient pas de convaincre par l'esprit et la raison, et se contentaient au contraire d'influencer la politique en susurrant des mots doux à leurs époux ou leurs amants. Cependant, si l'argument de l'immortelle avait totalement échappé au comte et à la plupart des mâles attablés, une des convives en particulier semblait réceptive à ce discours, et elle hocha la tête discrètement pour marquer son assentiment. Saule, voyant que Delaynna la regardait, ajouta :

- Et parmi les épouses de qualité que nous avons à notre table ce soir, puis-je me permettre de vous présenter l'une des plus éminentes. Madame la Sénéchale Rajenski-Orlova, dont la présence enchanteresse nous honore.

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Celle-ci se leva poliment face à une telle introduction, et s'inclina légèrement devant le comte. Présence enchanteresse n'était peut-être pas un terme approprié pour décrire l'intéressée. Relativement jeune pour une femme de cette importance, elle était dotée de traits beaux et nobles, mais son visage était marqué par une certaine gravité. Elle ne dégageait pas la même aura exceptionnelle que Delaynna, créature de lumière face à ses puînés mortels, mais on décelait dans son attitude une forme de respectabilité et de dignité qui s'exprimaient aussi bien par la pudeur que par la tempérance. Il y avait plus de noblesse chez cette femme que chez bien des hommes en Terre du Milieu. Pour autant, alors qu'elle put être ravie de se trouver attablée en si bonne compagnie, son visage ne trahissait aucune euphorie ou aucun plaisir. Elle était là par devoir, comme Delaynna, et elle n'appréciait pas particulièrement de se trouver en ces lieux. Encore moins de devoir supporter un discours qui lui rappelait à quel point son sexe l'handicapait socialement. De toute évidence, le comportement de Saule l'indisposait, mais elle faisait bonne figure pour ne pas froisser cet homme tout puissant à Esgaroth, et probablement pour ménager le jeu fragile des influences familiales.

- Je suis ravie de faire votre connaissance, Dame Delaynna, fit-elle d'une voix maternelle. Votre présence nous apporte à tous une lueur d'espoir en ces jours sombres que nous vivons. Quant à vous comte Saule, je vous remercie pour ces paroles fort aimables, mais je ne mérite sans doute pas tous ces compliments.

Elle se rassit doucement après avoir répondu de manière appropriée à Saule, et échangea un regard furtif avec son voisin de droite, un homme d'une certaine stature mais paradoxalement assez effacé. Lui non plus n'était pas très à l'aise ici, et il semblait jouer le rôle de protecteur vis-à-vis de la Sénéchale, même s'il n'était pas un garde du corps. Un proche, sans doute. Saule, qui aimait monopoliser l'attention et faire étalage des individus qu'il réunissait à sa cour, se permit de préciser :

- La Sénéchale nous vient de Dale, sans son illustre époux. Elle nous montre chaque jour à quel point, comme vous le disiez, votre sexe sait trouver les bons mots.

A cette réflexion, il y eut quelques sourires discrets, mais surtout un profond malaise. A l'exception notable de Toras et DuGrand, tous les autres nobles attablés s'agitèrent sur leur siège, mal à l'aise. Même la Sénéchale sembla perturbée par cette attaque à peine voilée, et elle se contenta de répondre par un petit sourire de circonstance, avant de dissimuler son trouble derrière sa coupe de vin fin. Ce fut son voisin qui sembla le plus marqué, et il s'apprêtait à répondre quelque chose quand la main de la Sénéchale se referma sur son bras pour l'en empêcher. Delaynna fut témoin de cet échange muet, à l'inverse du comte Saule qui s'était de nouveau concentré sur l'Elfe.

Elle le comprenait désormais, mais le comte était un personnage qui aimait à jouer avec son entourage, en mettant les individus en position de vulnérabilité grâce à des piques savamment choisies. Il les titillait pour les forcer à révéler leur jeu, et c'était ainsi qu'en attaquant publiquement la Sénéchale il avait réussi à faire passer un message très clair sans paraître outrepasser les limites de la politesse. Son statut dans la cité le protégeait de la plupart des ripostes, et lui permettait tout simplement de soumettre la noblesse à sa volonté, sans leur laisser prendre l'ascendant sur lui. Sa remarque aurait d'ailleurs pu être rapidement oubliée par cet homme qui semblait intéressé par tout autre chose, mais c'était sans compter sur l'impair que commit Delaynna.

Coincée par la maladresse du sergent Hadden, elle avait voulu se sortir de ce mauvais pas grâce à une pirouette habile, mais malheureusement elle ne maîtrisait pas tous les éléments du contexte d'Esgaroth pour pouvoir éviter les pièges et les écueils. En cherchant à se montrer courtoise, elle avait voulu associer à sa mission les différentes composantes de la cité d'Esgaroth : la Milice, bien entendu, qui avait enquêté sur cette affaire depuis le début et qui semblait bien débordée, mais aussi la populace de la ville dont les idées et les convictions n'étaient pas que folie. Cependant, l'atmosphère changea du tout au tout quand elle évoqua les Ménestrels.

Saule se durcit perceptiblement, ses mâchoires se crispant alors que son poing se serrait fermement. Les autres invités semblèrent reculer légèrement sur leur siège, comme si une telle mention risquait de leur éclater au visage. Même Hadden, qui n'était pas féru de politique et qui ne connaissait pas tous les tenants et les aboutissants des puissants, sembla estomaqué par les paroles de Delaynna. Il en oublia presque sa déception de voir l'Elfe ne pas abonder dans son sens, et lui jeta un regard qui signifiait « changez vite de sujet ! », essayant de la protéger contre la furie du comte qui n'était pas connu pour être un homme particulièrement tolérant.

De toute évidence, le propos n'était pas apprécié, et il semblait même dangereux de le tenir ainsi en public. C'était d'autant plus surprenant que la ville d'Esgaroth était connue pour l'Académie des Ménestrels, où les meilleurs artistes de la Terre du Milieu rêvaient de se rendre. Il fallait croire que certaines rivalités et inimitiés existaient dans la cité lacustre, au point de ne pas pouvoir évoquer ce corps prestigieux face au comte. Ce dernier plissa les yeux, comme s'il cherchait à déceler si l'Elfe avait ou non fait exprès de parler des Ménestrels. Il ne parvint pas à se faire une idée précise, mais cela réactiva subitement sa méfiance naturelle.

Quelque chose en lui avait changé.

Sa courtoisie et sa sympathie s'étaient envolées sans explication, et ne restait plus de lui que cette dureté froide qui semblait définir sa personnalité. Même son ton s'était transformé, et était devenu plus cassant, plus impitoyable :

- Je constate que vous êtes animée de nobles sentiments, Dame Delaynna. Les femmes éplorées dont vous parlez sont effectivement de notre responsabilité, et soyez assurée que nous prendrons en charge leur situation. Cependant, puisque vous vous en remettez à moi pour « clarifier votre opinion », vous devez savoir que tous à Esgaroth ne sont pas préoccupés par le bien-être de la cité. Certains ne se soucient pas des dangers du lac, et pensent au contraire à comment fragiliser cette ville… De vieilles allégeances perdurent, et la loyauté vis-à-vis du roi Gudmund se fait parfois vacillante. Même les cœurs les plus nobles se laissent parfois persuader…

Son regard glissa vers celui de la Sénéchale de manière si appuyée que la réflexion se transforma en véritable accusation. L'intéressée, d'abord surprise, se composa un masque impassible qu'elle enfila en un battement de cil, opposant aux insinuations du comte une défense par le silence qui se montra relativement efficace. Pour la deuxième fois de la soirée elle venait d'être prise à partie personnellement, ce qui en disait long sur les rapports complexes que le comte et elle entretenaient. Saule, dont le but n'était pas de démarrer une dispute sur place, revint à Delaynna. Il s'était penché vers elle, et leurs épaules se frôlaient désormais dans une proximité qui ne déplaisait pas à l'humain :

- Comme vous l'avez évoqué, nous devons rester solidaires, proches les uns des autres, mais éloignés des traîtres et des ennemis. Il serait terriblement dommage que vous, entre tous, soyez influencée par ceux qui ne demandent qu'à déstabiliser le comté d'Esgaroth. Des individus qui colportent de viles rumeurs, et agitent les peurs de la populace, à seule fin de servir leurs propres intérêts.

Il s'était rapproché très près de Delaynna cette fois :

- Cette affaire sur le lac, je suis persuadé que vous la résoudrez et que vous ramènerez l'ordre à Esgaroth. Attention toutefois aux esprits séditieux, et aux âmes rebelles que vous croiserez en chemin. Il serait fâcheux que l'ambassadrice du seigneur Angrod soit accusée d'ingérence, ou pire… de soutenir les ennemis du roi Gudmund. Nous ne voudrions pas qu'un malentendu conduise à une brouille entre nos deux peuples, n'est-ce pas ?

#Saule #Rajeski


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Désillusions EmptyMar 3 Sep 2019 - 4:38
Le discours de la jeune femme semblait satisfaire l’auditoire et surtout le comte Saule qui avait les yeux rivés sur elle, comme s’il la désirait avidement. Il s’élançait dans un discours solennel à son tour pour montrer leur triste sort qui les accable.

«Hélas, j'ai bien peur que la guerre soit déjà là. Des Orientaux se sont avancés le long de la Celduin, et les Gobelins se tiennent agités sous les montagnes, prêts à surgir au moindre signe de faiblesse. Et voilà désormais que notre cher Long Lac est victime d'attaques odieuses. Votre présence est un soulagement pour nous, mais je crains qu'il vous faille rapporter à votre seigneur que nous avons besoin de davantage d'assistance de sa part. Des hommes en armes, des archers, des éclaireurs à l'œil perçant capables de parcourir de longues distances… Voilà ce dont nous avons vraiment besoin. La grande guerre souterraine contre les Gobelins s'enlise, et la situation avec le Rhûn s'aggrave chaque jour. Les Nains des Monts du Fer semblent remettre en cause leur allégeance à la couronne de Thorik… Le nombre de nos ennemis se multiplie, et celui de nos alliés s'amenuise. L'appui des régiments de Vertbois nous donnerait un avantage décisif, et inespéré si guerre il devait y avoir. »

Saule confirmait la version des faits du sergent Hadden. Ils pensaient bien que tout cela avait un rapport avec les Orientaux.

Les autres membres de l’assemblé approuvaient le discours de l’hôte. Pour faire suite à son commentaire qu’elle avait mentionné auprès des membres du même sexe qu’elle qui se retrouvaient autours de cette table, le comte Saule se pria de mentionner

« Je crois également que nos femmes peuvent représenter un atout précieux lorsqu'il s'agit de parlementer. La beauté est leur éloquence, et la séduction leur rhétorique. Qui pourrait mieux convaincre un homme de se mettre à la table des négociations que sa propre épouse ? »

Elle qui avait vécu auprès de femmes dirigeantes telles que Dame Galadriel et sa petite fille Earwen, Delaynna avait du mal avec la catégorisation des hommes qu’ils faisaient à l’épreuve du beau sexe. Catégorisé le sexe féminin à seulement la beauté et la séduction ? Chez eux, il n’existait aucune rivalité entre les deux sexes. Mais ce n’était pas ici qu’elle avait débattre l’opinion ancré chez les hommes de cette table. L’heure n’était point au débat, elle se contenta de conclure cette conversation avec une phrase courtoise.

-Je dois avouer que c’est intriguant, se contenta-t-elle de dire avec un sourire poli.

L’attention du comte se retourna vite vers une dame qui était assise. Il la pointait délibérément sans se soucier de la timidité qu’elle pouvait faire preuve face à autant d’attention de la part de tous. Delaynna se rassit et observa la sénéchale. Elles se saluèrent en hochant la tête et conservèrent leur regard dans celui de l’autre. Elles partageaient la même opinion. Elles n’étaient point désireuses de rester autours de cette table et voulait agir pour faire face à la menace.

Saule commençait à attaquer publiquement la sénéchale. Pourtant, celle-ci demeurait impassible et maintenait son regard. Delaynna eut un sourire en coin. Saule prenait un malin plaisir à jouer avec les mots pour taquiner son assemblée afin de comprendre leur position. Ici, la dame de l’eau y avait trouvé une nouvelle alliée. C’est alors qu’à son tour, Delaynna avait mentionné les ménestrels. Saule changea vite d’attitude et se montra plus froid.

« Je constate que vous êtes animée de nobles sentiments, Dame Delaynna. Les femmes éplorées dont vous parlez sont effectivement de notre responsabilité, et soyez assurée que nous prendrons en charge leur situation. Cependant, puisque vous vous en remettez à moi pour « clarifier votre opinion », vous devez savoir que tous à Esgaroth ne sont pas préoccupés par le bien-être de la cité. Certains ne se soucient pas des dangers du lac, et pensent au contraire à comment fragiliser cette ville… De vieilles allégeances perdurent, et la loyauté vis-à-vis du roi Gudmund se fait parfois vacillante. Même les cœurs les plus nobles se laissent parfois persuader… »

Cette remarque ne s’adressait point à elle, mais à la Sénéchale. Encore une fois, Saule s’était librement attaqué à elle. Cette dernière planquait son regard sur lui, et un long silence entre les deux individus s’en suivit. Delaynna fut témoin de cette scène et remarquait la ténacité de cette femme à tenir tête au comte dans un silence sans importance pour les autres hommes de cette assemblée, qui avaient repris le fil de leur discussion. Le comte Saule retourna son attention auprès de la dame de l’eau et s’approcha un peu plus d’elle

« Comme vous l'avez évoqué, nous devons rester solidaires, proches les uns des autres, mais éloignés des traîtres et des ennemis. Il serait terriblement dommage que vous, entre tous, soyez influencée par ceux qui ne demandent qu'à déstabiliser le comté d'Esgaroth. Des individus qui colportent de viles rumeurs, et agitent les peurs de la populace, à seule fin de servir leurs propres intérêts. »

Et il s’approcha encore plus d’elle, maintenant que leurs deux corps se touchaient.

« Cette affaire sur le lac, je suis persuadé que vous la résoudrez et que vous ramènerez l'ordre à Esgaroth. Attention toutefois aux esprits séditieux, et aux âmes rebelles que vous croiserez en chemin. Il serait fâcheux que l'ambassadrice du seigneur Angrod soit accusée d'ingérence, ou pire… de soutenir les ennemis du roi Gudmund. Nous ne voudrions pas qu'un malentendu conduise à une brouille entre nos deux peuples, n'est-ce pas ? »

Elle à son tour soutenait son regard et affichait un sourire en coin.

- J’agirais selon mes convictions et mon cœur Comte Saule. Il en va de soi que nous agirons tous les deux pour le bien-être de notre peuple. Je tâcherais de faire une mise au point concernant votre allégeance envers le Seigneur Angrod si cela venait à toucher ses terres. Comme vous l’avez mentionné, il serait fâcheux que le Comte d’Esgaorth soit publiquement accusé d’ingérence, ou pire de soutenir l’ennemi pour son propre compte personnel.

Elle à son tour soutenait son regard et affichait un sourire en coin. Elle tourna son regard vers celui-ci. Elle approcha ses lèvres encore plus près de son oreille afin de lui murmurer quelque chose que seul lui pouvait entendre.

- Vous me donnez plus de crédit que je devrais en mériter comte Saule. Je ne veux point avoir tout le mérite sur cette affaire. Vous seul devriez avoir cela. Vous qui avez ramené l’ordre au sein même de votre peuple. Vous serez encore plus vénérez et admirez par celui-ci…


Elle s’éloigna de lui et saisit sa coupe pour l’apporter à ses lèvres. Alors qu’elle remarqua le tremblement encore intense de sa main, elle feignit de prendre une gorgée et le dissimulait à la vue de tous. Delaynna voulait à tout prix gagner du temps et comprendre ce qui se passait parmi les gens de la haute société d’Esgaroth et voir ce qui en découlait concernant le drame sur le lac.

Les festivités reprirent. Tous s’étaient levé afin de se dégourdir un peu les jambes après ce long repas. Hadden s'empressa de demeurer auprès de l'elfe, tandis que le comte semblait vouloir conserver cette dernière auprès de lui en tout temps, comme si elle était un bien très précieux. Alors que la Sénéchale, était seule Delaynna s'inclina discrètement et s'élança parmi la foule afin d'aller à sa rencontre. Arrivée à sa hauteur, Delaynna s’élança dans une révérence gracieuse et en toute délicatesse.

-Sénéchale Rajenski-Orlova, il me semble que des salutations plus appropriés seront plus agréables, vous êtes d’accord avec moi ?
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Ryad Assad
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Désillusions EmptyVen 13 Sep 2019 - 11:08
HRP : Désolé pour le retard ! Avec la reprise du boulot j'ai eu du mal à trouver le rythme
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Le comte Saule était un homme que peu de gens appréciaient, mais dont la plupart reconnaissaient la subtilité politique et l'art de la rhétorique. Ce n'était pas un homme d'action, un de ceux qui avaient gagné leurs titres et leur noblesse sur le champ de bataille ou en se distinguant par quelque action d'éclat. Au contraire, lui s'était toujours tenu soigneusement éloigné du milieu des armes, et il comptait davantage sur sa loyauté au pouvoir, sur son efficacité, et sur son intellect pour se tirer des mauvais pas. Il fallait dire qu'il avait un certain don en la matière, et le choix de le positionner à Esgaroth n'avait pas été anodin. Gudmund voulait un homme fiable et efficace, plutôt qu'un comte passionné mais incontrôlable. Pour cette raison, personne n'osait véritablement s'opposer au nouveau maître d'Esgaroth, et la réponse que lui offrit Delaynna fit l'effet d'une douche froide à l'assemblée.

Même le sourire de Saule se craquela légèrement.

Elle n'avait formulé aucune accusation, et évitait ainsi le conflit ouvert, mais elle sous-entendait tout de même que si Saule avait quelque chose à voir avec les disparitions sur le Lac, elle n'aurait de cesse de le prouver pour le faire condamner. En avançant cela, d'aucuns auraient pu penser que Delaynna prenait un risque considérable, celui de s'attirer les foudres d'un homme tout puissant dans sa cité, et qui n'était pas connu pour sa patience. Cependant, elle lui rappelait simplement que bien qu'elle ne fût qu'une ambassadrice des Elfes, elle représentait un des plus grands seigneurs elfiques. Vertbois était une puissance considérable avec laquelle il fallait compter quand on habitait dans le Rhovanion, et de ce fait Delaynna disposait d'une certaine influence. Son autonomie et son esprit vif étaient très certainement une menace pour le comte, et le rappel de la Dame de l'Eau était aussi douloureux que pertinent.

Le comte ravala sa salive, avant de répondre :

- Il est évident que l'amitié du seigneur Angrod de Vertbois est inestimable. J'ai plaisir à savoir que vous lui transmettrez les amitiés du peuple d'Esgaroth, et que vous lui conterez notre héroïque résistance face aux ennemis du Lac.

La pirouette était habile, mais pas assez pour cacher la meurtrissure des paroles de l'Elfe. Pour la première fois, Saule prit la mesure de la personne qu'il avait en face de lui, et de ce que pouvait représenter Delaynna : une menace autant qu'une opportunité, une femme qu'il ne serait pas en mesure de manipuler à sa guise. Alors qu'elle s'approchait de lui pour lui glisser quelques paroles à l'oreille, il s'enivra du parfum de ses cheveux soyeux, et se laissa bercer par le son délicat de sa voix. Il était difficile de résister au charme elfique, a fortiori quand on mourait d'envie d'y céder.

- J'avais entendu dire que les Elfes étaient fort désintéressés, mais je ne saurais récolter seul les fruits de votre réussite future. Le peuple de cette cité est noble et droit, et il ne saurait supporter que quiconque usurpe la gloire des véritables champions qui se sont opposés à la menace qui paralyse notre ville. Très chère Delaynna, croyez bien que votre ravissante beauté ne saurait passer inaperçue à Esgaroth, et que nul ne me pardonnerait de ne pas louer vos hauts-faits. Votre courage vaut d'être chanté, et il se trouve que nous avons ici les meilleurs artistes du peuple des Hommes. Non, ma très chère Delaynna, je ne vous oublierai pas quand viendra l'heure de célébrer.

Il était difficile de savoir ce que le comte entendait exactement par là. Une partie fort charmante de lui semblait sincèrement vouloir associer l'Elfe aux festivités qu'il entendait organiser quand tout ceci serait terminé, mais une autre paraissait plus sombre et plus inquiétante. Saule était de toute évidence un homme ambivalent, qui ne laissait pas de marbre.

La conversation privée qu'ils entretenaient s'évanouit progressivement dans la musique et les festivités tardives auxquelles chacun était habitué. On se leva progressivement pour bavarder tranquillement, et faciliter la digestion du repas à la fois succulent et copieux. Les assiettes, qui pour la plupart n'avaient pas été vidées, seraient bientôt débarrassées par des serviteurs qui s'empresseraient de manger les restes de leurs seigneurs. Un repas royal pour ces marmitons et cuisiniers de grand talent. Parmi les convives, certains restaient un peu en retrait, et Delaynna choisit parfaitement son moment pour aborder la sénéchale, attendant que l'homme qui se tenait à ses côtés s'éloignât tranquillement pour aller discuter avec un autre des invités.

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En voyant l'Elfe arriver, la sénéchale ne put s'empêcher d'éprouver un peu de surprise, qu'elle dissimula bientôt derrière un masque poli. Avec une élégance toute dalite, elle s'inclina en soulevant légèrement sa robe. La révérence était impeccable, et trahissait une maîtrise exceptionnelle de l'étiquette et des codes de la très haute aristocratie du royaume de Gudmund. De toute évidence, elle n'appartenait pas à la cité d'Esgaroth qui se distinguait davantage par la noblesse des cœurs que par la noblesse des mœurs.

La femme répondit d'une voix aussi douce que ferme, avec un petit sourire en coin :

- Je suis tout à fait d'accord, Dame Delaynna de Lórien, permettez-moi de me présenter dans les formes. Je suis l'épouse de Sire Roderik Rajenski, sénéchal des armées de Sa Majesté le roi Gudmund de Dale.

Le titre était prestigieux. Son mari était un des officiers les plus importants de l'armée dalite, un proche conseiller du roi. La sénéchale, qui prenait le titre de son mari, était donc une personnalité importante dans le royaume, et il n'était pas surprenant que Saule eût été prompt à présenter cette invitée prestigieuse, lui qui aimait s'entourer. Cependant, cela signifiait qu'il était également suffisamment confiant pour lui adresser des critiques acerbes en public, au risque de froisser une femme qui avait accès aux plus hautes sphères du pouvoir.

L'intéressée, qui avait l'esprit aussi vif que le laissait penser son regard futé, se fendit d'un commentaire sans filtre :

- Pardonnez-moi si je me trompe, mais j'ai le sentiment que vous n'êtes pas ici pour vous laisser flatter par le comte et ses manières. Que voulez-vous vraiment ?

Elle jeta un œil vers l'assistance. Saule était en pleine conversation avec Toras, son Conseiller Martial, et DuGrand le chef de la Milice. Les trois hommes semblaient préoccupés, et leurs regards glissaient fréquemment vers les deux femmes qui discutaient. La Sénéchale fit comme si elle ne les avait pas vus, mais s'arrangea néanmoins pour vérifier que personne n'était à portée d'oreille. Certaines vérités ne pouvaient pas être dites trop ouvertement, au risque d'être reprises, amplifiées et déformées.

Or le nouveau comte d'Esgaroth n'était pas un homme que l'on défiait impunément.

Et ne l'avait-il pas dit à Delaynna à demi-mots ?

Il n'allait pas l'oublier quand tout ceci serait terminé.


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Désillusions EmptyMar 1 Oct 2019 - 16:38

C’est en se levant de table que le regard du Comte Saule et celui de la jeune femme se croisèrent intensément. Delaynna avait bien joué son rôle, en s’ancrant parfaitement dans l’esprit de ce dernier, et ce, dans une certaine ambiguïté. C’est ainsi qu’elle devait conserver son rôle auprès du comte Saule. « Votre courage vaut d'être chanté, et il se trouve que nous avons ici les meilleurs artistes du peuple des Hommes. Non, ma très chère Delaynna, je ne vous oublierai pas quand viendra l'heure de célébrer. »

Son courage vaut d’être chanté ? Non, Delaynna n’avait rien fait. Tout le mérite devait aller à ses compagnons qui se trouvaient présentement sur le lac, à jouer avec leur vie afin de comprendre ce terrible maléfice qui rôdait sur le lac. La jeune femme n’avait que faire de ces simagrées. Cependant, la tonalité avec laquelle il avait précisé ceci avait un certain double sens bien placé. Le comte était bien reconnu pour sa maîtrise des mots et de son intelligence sans faille et cela, la jeune femme l’avait saisie.

La dame de l’eau s’élança dans une gracieuse révérence à son égard et s’élança à travers la foule d’invité qui s’y trouvait. Le sergent Hadden, la suivait du regard. Sur son passage, chacun la dévisageait dans sa démarche gracieuse et svelte. Del s’était approché de la sénéchale et ce fut avec surprise qu’elle l’accueillit auprès d’elle. Dans une révérence parfaitement exécutée, la femme salua l’elfe et se présenta officiellement.

« Pardonnez-moi si je me trompe, mais j'ai le sentiment que vous n'êtes pas ici pour vous laisser flatter par le comte et ses manières. Que voulez-vous vraiment ? »

Avec un sourire satisfait, Delaynna appréciait l’efficacité et l’honnêteté de cette question.

-Je dois avouer que votre présence à cette table m’a beaucoup soulagée madame la sénéchale. J’essaie de voir et de comprendre l’envers de la médaille, si vous en saisissez bien le sens. Je ne doute point de votre posture, mais il me semble que celui-ci a sa propre opinion en la matière, mentionnait-elle à la sénéchale alors que son regard se promenait sur l’assemblée.

Alors qu’elle était concentrée sur la discussion avec la sénéchale, les yeux de l’elfe se rivèrent vers l’ancien capitaine de la milice qui rôdait dans la foule. Il semblait toujours aussi nerveux. Eh non, Delaynna n'avait point oublier la clef de son mystère.
Les yeux de la jeune femme retournèrent sur son interlocutrice et accentua le tout avec un sourire bien aimable. C’est à la fin de leur discussion qu’elle déposa délicatement sa main sur celle de la sénéchale et croisa son regard.

-Vous avez ma reconnaissance sénéchale. Je vous souhaite une excellente soirée et en espérant pouvoir discuter avec vous dans un moment plus opportun et sans urgence d'agir, fit-elle dans une légère révérence. En ayant repérer l’ancien capitaine qui se situait près de la porte. Le sergent Hadden vint lui saisir le bras afin de la retourner vers lui. Delaynna croisa le regard de ce dernier.

-Laissez-moi aller lui parler sergant Hadden, j’ai connu votre version des faits, mais la sienne j’en ai reçu que quelques brides… Je ne veux point sacrifier la vie de mes compagnons pour une vérité qui n’a point été révélé au grand jour… Si vous étiez à ma place, je crois que vous feriez la même chose pour vos hommes de main… chuchotait-elle afin que lui seul puisse comprendre et non ceux qui avait osé regarder dans leur direction et surpris par le fait que le sergent avait retenu la main de l’elfe. Delaynna libéra délicatement sa main et s’élança dans la foule pour retrouver le capitaine.

La porte du balcon était ouverte afin d’offrir la fraîcheur de la nuit aux invités du comte. Delaynna s’arrêtait net pour observer le puit de lumière à l’horizon. Ces dames y étaient toujours. Conservant l’espoir que les disparus reviennent…
Delaynna sursauta en entendant un raclement de gorge. Elle tourna vivement la tête et s’aperçut que le capitaine était présent et l’avait bien vu lui aussi. Elle le vit se diriger vers le balcon et c’est alors qu’elle le suivit.
Se retrouvant afin rien que tous les deux, Delaynna se positionna près de la rambarde afin qu’il évite de faire quoi que ce soit de stupide.

-Capitaine Syla, je crois qu’enfin nous pouvons discuter ouvertement, n’ai-je pas raison ? Il y a des mystères que je suis désireuse de comprendre sur votre belle citée et vous êtes le seul qui détient la vérité…

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Ryad Assad
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Désillusions EmptyDim 13 Oct 2019 - 19:04
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Contrairement à la plupart des convives ici, la Sénéchale avait déjà eu l'occasion de s'entretenir avec des Elfes à de nombreuses reprises, et elle maîtrisait même assez bien le Sindarin. Elle se refusait toutefois à le parler, une habitude de politesse pour ne pas écorcher les oreilles de son interlocutrice avec son accent par trop… humain. Il était bien plus convenable de discuter dans la langue commune, dont les subtilités n'étaient pas aussi fines que les langues elfiques, mais qui suffisait fort bien pour la conversation qu'elles devaient entretenir.

Une conversation de conspiratrices qui n'avait pas besoin de beaucoup de mots, en réalité. Elles parlaient secrètement, en alternant le caractère direct de certaines questions avec la prudence de leurs réponses. Une forme de communication qu'elles maîtrisaient toutes les deux, et qui leur permettait de ne pas éveiller les soupçons, si d'aventure quelqu'un avait laissé traîner l'oreille.

- Le comte, répondit-elle simplement, cherche également à déceler ce qui lui demeure inaccessible. Je gage que vous l'intriguez plus qu'il n'aimerait l'admettre, et cela vous donne un avantage. Mais soyez prudente… si vous attisez la curiosité d'un prédateur, vous pourriez bientôt devenir sa proie. Et je ne parle pas uniquement de Saule.

Son regard glissa brièvement vers les deux hommes qui accompagnaient le comte, et qui discutaient avec lui présentement. Martel DuGrand, et le conseiller Toras. Deux hommes d'armes qui se partageaient les grâces comtales, et qui n'étaient pas réputés pour leur grand cœur. Si Saule était un homme doué en politique, capable de s'en tirer par des pirouettes et une certaine habileté avec les mots, c'était en grande partie parce qu'il pouvait se reposer sur ses deux molosses. DuGrand et Toras étaient des chiens de guerre, chacun à leur manière. Le premier était intéressé, et avait su se placer auprès de celui qui dispensait titres et récompenses, tandis que le second semblait doté d'une loyauté sans faille et se désintéresser totalement de tout gain matériel. Si Saule était l'esprit, ces deux hommes étaient ses bras : puissants, agiles, capables de tenir entre leurs griffes des pans entiers de la cité lacustre, et de traquer les opposants au régime.

Delaynna n'aurait rien à craindre du comte personnellement, même s'il était certain qu'elle ne l'avait pas laissé indifférent. Cependant, Toras et DuGrand avaient les moyens de la faire suivre, de l'intimider, voire de la neutraliser s'ils estimaient que l'autorité du comte était contestée. La Sénéchale jugea opportun de donner quelques détails à son interlocutrice, afin de l'aider à éviter les pièges qui risquaient d'être tendus sous ses pas :

- Le royaume de Dale vit dans l'ombre de Vertbois, c'est un fait communément accepté. Cependant, il y a bien longtemps que notre peuple a appris à gérer ses affaires seul, et beaucoup revendiquent fièrement ne plus avoir besoin de l'aide des Eldar. J'irais même plus loin en affirmant que les peuples du Rhovanion partagent une forme de mépris pour la posture isolationniste des gens de Vertbois. Il y a fort à parier qu'un incident diplomatique verrait les Nains d'Erebor se ranger à la cause d'Esgaroth. J'ignore quelle serait l'attitude des gens du Val, mais puisque nous sommes désormais liés par une alliance contre les Gobelins, ils nous soutiendraient peut-être…

Elle marqua une pause, consciente que cela faisait beaucoup d'informations. Des nouvelles qui n'étaient pas réjouissantes, de surcroît :

- Comprenez-moi bien, Delaynna. Les Eldar ont encore des alliés à Dale et à Esgaroth, mais votre statut ne vous rend pas aussi intouchable que vous pouvez le penser. Vous êtes sur un échiquier malsain, et on pourrait vous pousser à l'erreur pour rallier le peuple contre vous. Trouver un ennemi commun… la méthode est vieille comme le monde, pourtant elle demeure efficace. Et croyez-moi, si on ne trouve pas bientôt la trace des Orientaux, il se pourrait bien qu'on commence à vous accuser d'être impliquée dans ces disparitions.

C'était un avertissement bien sombre, mais la Sénéchale ne pouvait pas ne pas avertir Delaynna. Il y avait trop d'éléments en jeu. Aujourd'hui, le peuple pleurait les disparus du Lac, mais quand la colère monterait et commencerait à menacer le pouvoir du comte, il y avait fort à parier qu'il utiliserait tous les moyens nécessaires pour calmer la foule. Accuser une Elfe de sorcellerie n'était pas farfelu, et il faudrait seulement trouver quelques témoins prêts à confesser avoir vu la femme prononcer quelques paroles étranges près de l'eau pour que la populace de la ville s'emparât de l'affaire. Saule aurait son ennemi, et il s'imposerait rapidement comme l'homme ayant tenu tête à l'Elfe corrompue. Si en outre on découvrait le moindre indice susceptible de rattacher les Elfes aux Orientaux, d'une manière ou d'une autre, ils seraient accusés d'avoir comploté contre les intérêts d'Esgaroth, et punis en conséquence.

Delaynna marchait sur une corde bien étroite, et elle n'avait certainement pas le droit à l'erreur. Pas alors que tant de vies dépendait de son succès.

Alors qu'elle abandonnait la Sénéchale, mettant fin à leur conversation aussi instructive qu'inquiétante, la Dalite serra chaleureusement la main de l'Elfe et lui glissa à l'oreille une invitation discrète que personne ne semblait devoir entendre :

- Retrouvons-nous demain si vous le voulez bien, dans la matinée, quand le comte et ses sbires dormiront encore. Venez me trouver au manoir Orlov, qui appartient à mon cousin Adrian. C'est aujourd'hui l'endroit le plus sûr d'Esgaroth, je le crains.

Les deux femmes se séparèrent, et Delaynna put donc reporter son attention sur l'objet premier de sa visite, à savoir le capitaine Syla. Elle était venue avec l'espoir de pouvoir lui parler, mettre au clair certains éléments, et elle ne comptait pas être détournée de sa mission par le faste de la réception ou par les nombreux convives. La plupart, d'ailleurs, ne voulaient pas véritablement engager la conversation avec elle, ayant compris qu'elle était dans la ligne de mire du comte lui-même. Nul homme n'oserait l'approcher, de peur d'être pris pour un courtisan malavisé.

Nul homme, sauf le sergent Hadden.

Il saisit le bras de l'Elfe alors qu'elle passait près de lui, et la força à le regarder, interrompant sa marche déterminée. Delaynna aurait pu réagir négativement, mais elle devait pardonner au militaire son comportement. Il n'était pas familier de la cour, de ses usages, des codes de politesse les plus élémentaires. Il était un homme du peuple, un rustre en comparaison de tous ces aristocrates élevés par des précepteurs privés. Sa rudesse était une forme de sincérité, et elle pouvait lire dans ses yeux qu'il était sincèrement inquiet pour elle. Inquiet comme un homme désireux de protéger la plus belle femme qu'il avait eu l'occasion de croiser dans son existence. Inquiet à l'idée que quelque chose survînt, sans rien pouvoir y changer.

Alors il n'avait pas vraiment réfléchi, et s'était interposé pour essayer de la protéger, sans trop savoir contre quoi. Il se souciait assez peu des regards des autres convives, qui devaient s'interroger sur la nature de ce geste bien familier. Ils en feraient des ragots qu'ils raconteraient à leurs proches amis, comme tous bons courtisans. Hadden était obnubilé par Delaynna, comme s'il avait la mission sacrée de la protéger. Elle ne semblait pas le voir, mais lui ne voyait qu'elle. Avant même qu'il eût le temps d'ouvrir la bouche pour dire quoi que ce soit, elle contra tous les arguments qu'il voulait lui lancer avec une précision mortelle.

Il comprenait sa position : elle avait besoin de parler au capitaine Syla, et elle avait besoin de le faire seule, pour pouvoir tirer la vérité au clair et ainsi protéger ses compagnons. Il n'avait pas tout compris, mais si les deux Elfes étaient sur le Lac pour aller chercher Syla, et que ce dernier se trouvait ici avec eux, cela signifiait sans doute que Sigvald et Achas étaient en grand danger. Il préférait ne pas imaginer lequel, mais effectivement, il comprenait son sentiment. Au moment où elle retirait la main martiale de son bras gracile, Delaynna reçut les quelques mots du sergent qui s'était penché pour murmurer à son oreille :

- Nous ferons tout notre possible pour aider vos compagnons… Je vous en donne ma parole d'honneur.

Cette promesse était de toute évidence un engagement solennel. L'Elfe pourrait compter sur son soutien le moment venu, et dans une ville déchirée par les divisions internes, et gouvernée par un triumvirat dont les intentions étaient peu claires, un tel allié pourrait se révéler particulièrement utile le moment venu. Même si les mobiles de Hadden pouvaient faire sourire – après tout, il se comportait vis-à-vis de Delaynna comme un adolescent transi –, l'aide qu'il lui promettait était bien réelle, et il était évident qu'il irait jusqu'à donner sa vie pour celle qu'il avait choisi de prendre sous son aile. Un tel sacrifice, même s'il pouvait paraître puéril, ne pouvait pas être pris à la légère.

Delaynna s'éloigna de lui, et il la regarda partir sans rien dire, seulement conscient du gouffre infranchissable qui les séparait tous les deux. Cela importait peu dans son esprit, il était seulement heureux de faire ce qui devait être fait. Pendant ce temps, l'Elfe rejoignit le capitaine, qui avait passé la soirée à se préparer à cette rencontre. Il savait qu'elle finirait par venir à lui, et il était vain de se voiler la face. Alors il avait choisi un endroit discret et isolé pour lui parler, conscient que ce ne serait pas une conversation facile à avoir.

- Vous avez raison, Dame Delaynna. Il est temps que nous parlions…

Son ton était étonnamment agité, comme si tout ceci le rendait inexplicablement nerveux. Il n'était pourtant pas piégé, la porte du balcon était ouverte, et il pouvait sans peine se rendre à l'intérieur vers les autres convives s'il le souhaitait. Mais il ne le souhaitait pas. Il voulait affronter ce moment, et ne plus se cacher.

- La vérité, fit-il en haussant les épaules. La vérité… Qu'est-ce que la vérité, après tout ?

Il vida d'un trait le verre qu'il tenait entre les mains, et cligna des yeux à plusieurs reprises pour encaisser la dose d'alcool qui submergeait son système. Une rasade pour se donner du courage, et pour trouver la force de parler.

- Si je vous dis la vérité, Dame Delaynna, est-ce que vous jurez de ne pas hurler que je suis un menteur ? Tous ceux à qui j'ai osé parler m'ont pris pour un fou, et cette « vérité » ne m'a apporté que du souci. Alors vous devez promettre.

Il attendit patiemment que Delaynna eût promis, et ne parla que quand elle lui eût donné satisfaction. Pour l'homme, c'était comme s'il vidait un abcès gonflé de pus, qui le rongeait de l'intérieur. Le poids du silence était écrasant, et il avait l'impression de pouvoir enfin marcher vers la guérison, même si ce n'était qu'un premier pas.

- Il y a plusieurs années, ma femme est morte… noyée… Le Lac me l'a prise, et ne me l'a jamais rendue. Son corps n'a pas été retrouvé. Ce jour-là, je suis mort de chagrin, mais la mort n'a pas voulu de moi, et chaque jour elle se dérobe. Peut-être parce qu'il faut que je continue de m'occuper de ma fille. Mais chaque jour qui passe, elle ressemble de plus en plus à sa mère… La voir, c'est comme voir un fantôme surgi de ma mémoire…

Une grosse larme se mit à couler sur sa joue, mais il l'écrasa insensiblement de son poing. Il devait parvenir à la fin de son récit, et pour cela il devait garder les idées claires, rester concentré. Il se racla la gorge, et poursuivit, déplorant du geste de n'avoir plus rien à boire pour accompagner sa narration :

- Si je vous raconte cela, c'est parce qu'il y a une croyance ici à Esgaroth… Une croyance qui veut que les gens qui se noient dans le Lac, et dont on ne retrouve pas le corps, restent hanter les lieux pour l'éternité. Au début, je n'y croyais pas, je pensais comme Hadden que c'étaient des brigands, ou des Orientaux. Je n'avais pas imaginé que… que l'esprit de mon épouse pourrait être responsable de tout ça…

De toute évidence, Syla croyait fermement à son histoire. Il avait l'air terrifié, pour ne pas dire horrifié de la situation. Sa lèvre tremblait légèrement, il triturait son index comme s'il essayait de l'arracher, et il se dandinait d'un pied sur l'autre, visiblement mal à l'aise. Tout son corps trahissait son inconfort.

- Vous savez comment fonctionnent les esprits, vous êtes une Elfe. Ici, nous croyons qu'ils peuvent accomplir de grands méfaits, et qu'ils disposent de grands pouvoirs. Surtout si ces esprits sont en colère, s'ils veulent se venger…

Il soupira :

- Vous avez promis de ne pas vous moquer, de ne pas me traiter de menteur, alors je vais vous dire… Je vais vous dire ce que j'ai vu… un soir… alors que je patrouillais aux abords du Lac pour essayer de dénicher des brigands. Je l'ai vu… clair comme je vous vois, sa silhouette découpée sur la lumière de la lune qui se reflétait sur le lac. Il a attaqué le navire par le dessous, et avant que les autres aient pu réagir il avait déjà tué, et tué encore. Les marins n'ont rien pu faire que crier, mais il n'a pas eu la moindre pitié. Il y a eu tellement de sang, tellement, tellement. Et moi… lâchement… je me suis caché. Je n'ai pas pu crier à l'aide, je n'ai pas pu intervenir pour essayer de sauver ces innocents… je me suis simplement caché, comme un enfant apeuré… Comme un enfant…

Cette fois, les larmes coulaient à flots sur son visage. Il se sentait coupable comme s'il avait tué lui-même ces hommes, et il se sentait involontairement responsable de leur sort. Cette culpabilité le rongeait comme les flammes dévorent le papier, et il était consumé de l'intérieur par ce sentiment néfaste. Cependant, Delaynna avait besoin de savoir ce qu'il avait vu, précisément :

- L'esprit de ma femme a ramené à la vie le plus terrible fléau qui soit. Le plus ignoble, le plus abject… Dame Delaynna, je vous assure que je l'ai vu de mes yeux… Ma femme a ramené Smaug des profondeurs du Lac…


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Delaynna
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Désillusions EmptyLun 4 Nov 2019 - 1:29

« Si vous attisez la curiosité d'un prédateur, vous pourriez bientôt devenir sa proie. Et je ne parle pas uniquement de Saule. »

Le regard de la Dame de l’eau se promenait entre les trois hommes qui discutaient ensemble. Chacun apportait à l’autre un atout très important. Ensemble ils formaient un triangle parfait de la notoriété des lieux. C’était un avertissement qui était très clair selon l’elfe. La Sénéchale la mettait en garde contre les deux alliés de Saule. Ces deux hommes avaient suffisamment de pouvoir et d’influence pour intimider l’elfe. Par n’importe quels moyens, ils pouvaient la déstabilisée. Pourtant, Delaynna avait clairement mis ses cartes sur table en disant qu’elle était bien venue ici pour prêter main forte aux gens du lac pour en finir avec ces disparitions, mais quel était le rôle de DuGrand et de Toras dans tout cela ? Visaient-ils ce même objectif ou avaient-ils quelque chose d’autre en tête ?

« Cependant, il y a bien longtemps que notre peuple a appris à gérer ses affaires seul, et beaucoup revendiquent fièrement ne plus avoir besoin de l'aide des Eldar. J'irais même plus loin en affirmant que les peuples du Rhovanion partagent une forme de mépris pour la posture isolationniste des gens de Vertbois. Il y a fort à parier qu'un incident diplomatique verrait les Nains d'Erebor se ranger à la cause d'Esgaroth. J'ignore quelle serait l'attitude des gens du Val, mais puisque nous sommes désormais liés par une alliance contre les Gobelins, ils nous soutiendraient peut-être…

Comprenez-moi bien, Delaynna. Les Eldar ont encore des alliés à Dale et à Esgaroth, mais votre statut ne vous rend pas aussi intouchable que vous pouvez le penser. Vous êtes sur un échiquier malsain, et on pourrait vous pousser à l'erreur pour rallier le peuple contre vous. Trouver un ennemi commun… la méthode est vieille comme le monde, pourtant elle demeure efficace. Et croyez-moi, si on ne trouve pas bientôt la trace des Orientaux, il se pourrait bien qu'on commence à vous accuser d'être impliquée dans ces disparitions. »

Alors qu’elle sentait les regards fuyants de certains sur elle, Delaynna se contenta de sourire à la Sénéchale. L’avertissement était très clair. Le peuple du lac n’avait que très peu à faire pour une simple elfe. Le peuple de Vertbois s’étant volontairement isolé, ne voyait point la misère que celui-ci vivait. La Dame de l’eau se devait à tout prix d’être très vigilante pour l’avenir. Son identité devait être gardé secrète. Si elle devait dévoilée qui elle était, Delaynna devenait une cible très facile pour le peuple du lac. Les mythes et les légendes de ce peuple n’étaient point en sa faveur. Del comprit vite que si cela ne devait être dévoilée, le peuple d’Esgaroth allait dévorer tout son être. L’humaine vint murmurer discrètement à son oreille.

« Retrouvons-nous demain si vous le voulez bien, dans la matinée, quand le comte et ses sbires dormiront encore. Venez me trouver au manoir Orlov, qui appartient à mon cousin Adrian. C'est aujourd'hui l'endroit le plus sûr d'Esgaroth, je le crains. »
Elles se quittèrent sans se regarder. Alors qu’elle avait croisé Syla parmi la foule, Delaynna fut attrapée par Hadden qui l’avait saisi par la main. Elle s’était retournée vers lui et lui demandait de lui faire confiance. Ce genre de comportement trop familier aux yeux des courtisans allait sans doute faire aller les mauvaises langues. Mais Delaynna pardonna poliment ce geste avec un sourire délicat et naturel. Il vint murmurer à son oreille :

« Nous ferons tout notre possible pour aider vos compagnons… Je vous en donne ma parole d'honneur. »

Elle glissa sa main hors de la sienne et lui lança un dernier regard.

-Rappelez-vous de la promesse que vous m’avez faite, gardez poster vos hommes sur les quais pour l’arrivée de mes compagnons… dit-elle avant de tourner les talons pour retrouver Syla qui avait bien vu qu’elle s’approchait de lui.

Lorsqu’ils se retrouvaient à l’extérieur de la salle des convives, ce fût le silence de la nuit qui les accompagnait. Ce silence qui s’accentuait avec le malaise qu’éprouvait l’ex capitaine face à l’immortelle qui se tenait face à lui. Il soupira profondément lorsqu’elle lui exigeait la vérité sur sa propre version des faits qui ont mené le capitaine de la milice à sombrer.
Syla se contenta de soupirer. Elle avait raison. Il avait pris un ton très nerveux, comme s’il était épris d’un sujet très tabou. Il demandait à ce qu’elle accepte sa version des faits. Ce qu’elle fit en hochant la tête.

-Vous avez ma parole capitaine Syla. Je suis prête à entendre cette histoire qui semble troublé votre esprit. J’espère seulement que mon écoute pourra vous délivrez un peu du mal qu’elle vous accable.

C’est alors qu’il élança dans une longue gorgée du breuvage que contenait son verre. Il clignait des yeux à plusieurs reprises et enfin, il dévoila son histoire.

« Il y a plusieurs années, ma femme est morte… noyée… Le Lac me l'a prise, et ne me l'a jamais rendue. Son corps n'a pas été retrouvé. Ce jour-là, je suis mort de chagrin, mais la mort n'a pas voulu de moi, et chaque jour elle se dérobe. Peut-être parce qu'il faut que je continue de m'occuper de ma fille. Mais chaque jour qui passe, elle ressemble de plus en plus à sa mère… La voir, c'est comme voir un fantôme surgi de ma mémoire… »

Syla confirmait la vision qu’elle avait eu lorsqu’Sig et elle l’avait sauvé de sa noyade. L’émotion nouait la gorge de ce dernier alors qu’il avait parlé de sa fille… Delaynna saisit délicatement sa main et hocha la tête pour lui montrer qu’il pouvait continuer son récit.

« Si je vous raconte cela, c'est parce qu'il y a une croyance ici à Esgaroth… Une croyance qui veut que les gens qui se noient dans le Lac, et dont on ne retrouve pas le corps, restent hanter les lieux pour l'éternité. Au début, je n'y croyais pas, je pensais comme Hadden que c'étaient des brigands, ou des Orientaux. Je n'avais pas imaginé que… que l'esprit de mon épouse pourrait être responsable de tout ça… »

« Vous savez comment fonctionnent les esprits, vous êtes une Elfe. Ici, nous croyons qu'ils peuvent accomplir de grands méfaits, et qu'ils disposent de grands pouvoirs. Surtout si ces esprits sont en colère, s'ils veulent se venger… »
Ces croyances étaient très fortes parmi le peuple d’Esgaroth. Delaynna en avait pris conscience et le réalisait de plus en plus. Un homme d’arme et de droiture tel que Syla pouvait y croire. Il tremblait de plus en plus. La jeune femme conserva sa main sur la sienne afin de lui offrir son soutien.

« Vous avez promis de ne pas vous moquer, de ne pas me traiter de menteur, alors je vais vous dire… Je vais vous dire ce que j'ai vu… un soir… alors que je patrouillais aux abords du Lac pour essayer de dénicher des brigands. Je l'ai vu… clair comme je vous vois, sa silhouette découpée sur la lumière de la lune qui se reflétait sur le lac. Il a attaqué le navire par le dessous, et avant que les autres aient pu réagir il avait déjà tué, et tué encore. Les marins n'ont rien pu faire que crier, mais il n'a pas eu la moindre pitié. Il y a eu tellement de sang, tellement, tellement. Et moi… lâchement… je me suis caché. Je n'ai pas pu crier à l'aide, je n'ai pas pu intervenir pour essayer de sauver ces innocents… je me suis simplement caché, comme un enfant apeuré… Comme un enfant… »

Del hocha la tête et l’incita de nouveau à poursuivre. C’est alors qu’il lâcha cela comme une bombe :

« L'esprit de ma femme a ramené à la vie le plus terrible fléau qui soit. Le plus ignoble, le plus abject… Dame Delaynna, je vous assure que je l'ai vu de mes yeux… Ma femme a ramené Smaug des profondeurs du Lac… »

Le cœur de Delaynna voulait sortir de sa cage. Elle ne pouvait croire ce qu’elle venait d’entendre. Tout cela s’alignait parfaitement avec la vision qu’elle avait eu… Il y avait beaucoup de matière à interprétation et si tout cela était bel et bien vrai, Sig et Achas couraient un véritable danger.

La panique voulait s’accaparer de son corps en entier, mais elle sut résister face à cela. Del mit une certaine pression sur son étreinte. Elle voulait que le capitaine reconnaisse son soutien et qu’elle était là pour lui. Elle cachait au plus profond de son être la terreur qui voulait tant l’envahir. L’image de ses deux compagnons restait ancrée dans son esprit.

-Je comprends la douleur que vie votre fille… Perdre un parent nous rend impuissant. Elle a besoin de vous Syla. Elle a besoin que son père soit présent pour elle. Ne voyez pas en elle le passé tourmenter qui vous a tant accablé. Voyez en elle un avenir meilleur. Soyez présent auprès d’elle afin de lui permettre de prendre les meilleurs choix. Comme seul un parent aimant peut faire.


-Je vous remercie de votre honnêteté Syla. Vous m’avez permis de voir les choses un peu plus clairs. Je vous promet que cela demeurera entre nous.


Elle eut un sourire suite à cela. Une forte lueur apparue dans son champ de vision. Ce même regroupement de femmes avaient allumés leurs chandelles pour conserver l’espoir. L’espoir qu’un jour, les disparus réapparaissent.

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Ryad Assad
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Désillusions EmptyVen 8 Nov 2019 - 12:43
Delaynna quitta le Castel d'Esgaroth bien avant la fin des festivités données par le comte Saule, l'esprit sans nul doute préoccupé par la conversation qu'elle avait entretenue avec le capitaine Syla. Les révélations de celui-ci confinaient au fantastique, et défiaient toute logique. Le grand dragon Smaug était mort des siècles auparavant, et son cadavre putride devait désormais reposer au fond du lac, emporté dans les profondeurs par le poids de l'or incrusté dans son armure d'écailles. On avait bien rapporté parfois des récits selon lesquels des objets précieux étaient retrouvés ici ou là, mais jamais il n'avait été fait mention du retour de la bête revenant d'entre les morts pour ravager de nouveau le monde des vivants.

Fidèle à sa parole, elle ne s'était pas moquée de l'homme qui était sincèrement persuadé d'avoir vu le fléau de Dale en chair et en os. Elle avait réagi avec la dignité caractéristique de son peuple, et avait même prodigué de précieux conseils à Syla concernant sa fille. Le capitaine avait hoché la tête pesamment, conscient que l'Elfe avait raison. Son enfant n'était pas responsable des tourments de son père, et il y avait bien longtemps qu'il n'avait pas eu le courage de la regarder dans les yeux pour s'occuper d'elle comme l'ordre des choses le lui commandait. Même s'il n'était pas facile pour l'officier de se mentir à lui-même, les paroles de Delaynna lui avaient rappelé que le plus important n'était pas de savoir ce qu'il ressentait, mais bien ce que sa fille allait devenir si, orpheline de mère, elle se retrouvait également privée de son père… Syla était loin d'avoir remonté la pente, mais Delaynna lui avait donné un peu d'espoir. Un maigre présent, mais dont la valeur était inestimable.

Cependant, en retour, le capitaine n'avait offert à l'Elfe que confusion, doutes et craintes.

Fallait-il croire le récit de Syla, ou bien l'attribuer au contraire à l'imagination fertile d'un homme effrayé, perdu et désemparé ? L'esprit pouvait jouer des tours même aux guerriers aguerris, et leur faire voir des créatures mythiques où il n'en existait point. A cela il fallait ajouter les brumes de l'esprit que les différents peuples d'Arda aimaient à expérimenter, au premier rang desquelles l'alcool, mais aussi d'autres produits qui engourdissaient l'esprit. Syla pouvait bien avoir rêvé, ou inventé quelque chose de toute pièce à partir d'ombres et de lumières qui lui avaient semblé être un monstre sorti du Lac. Mais comment ignorer cet avertissement alors que tant de choses semblaient se jouer dans les ombres, et sous la surface des flots ? Delaynna ignorait tout du danger qu'ils affrontaient, et l'explication de Syla avait le mérite de répondre à certaines de leurs interrogations. Les navires qui disparaissaient corps et âme pouvaient fort bien avoir été dévorés par un dragon, ce qui expliquait le peu de traces de l'attaques…

Mais d'autres points demeuraient un mystère. Pourquoi s'attaquer seulement à des pêcheurs ? Pourquoi ces attaques avaient-elles lieu principalement la nuit, et pourquoi n'avaient-ils pas vu la silhouette de Smaug se hisser dans le ciel ? Celui qui avait dormi sur le trésor d'Erebor était immense et imposant, si grand qu'il avait ravagé Dale au faîte de sa puissance, Erebor alors que la cité était défendue par les plus valeureux des Nains, et enfin Esgaroth après avoir sommeillé pendant plusieurs décennies. S'il était revenu à la vie, il n'aurait eu aucun mal à raser la nouvelle cité sur le lac, et à reprendre Erebor qui était présentement engagée dans une guerre sous la montagne.

Smaug ne se serait jamais terré la nuit pour attaquer de vulgaires pêcheurs, lui que la légende présentait comme un dragon vantard et sûr de sa force. La thèse du retour de la bête ne semblait pas tenir la route.

Deux choses étaient certaines, en attendant.

La première, c'était que Sigvald et Achas s'étaient lancés à la poursuite d'une chimère. Syla était bel et bien à Esgaroth, ce qui signifiait que Delaynna s'était trompée dans sa vision… ou bien qu'elle avait été induite en erreur pour l'amener à s'aventurer sur le lac avec ses compagnons. Smaug ou pas, quelque chose – ou quelqu'un – avait attiré les deux guerriers elfes sur les flots avec l'intention de leur faire du mal. Cette certitude inquiétante signifiait qu'un esprit pervers essayait de les tuer.

La seconde, plus terrifiante encore, c'était que Delaynna ne pouvait rien faire pour aider ses compagnons. Elle ignorait la nature de la menace, mais même s'il ne s'agissait pas de Smaug le terrible, elle avait fait l'expérience douloureuse de la puissance de l'esprit malveillant qui la surveillait… Ses pouvoirs étaient liés à son essence, et elle pouvait certes influencer les eaux autour d'elle, mais pas au point de transformer cet élément en une arme terrible. Elle était une guérisseuse et une érudite, pas une combattante versée dans les arcanes d'une magie agressive et dévastatrice. Face à un sorcier capable de la dominer et de pénétrer ses visions, elle ne pouvait pas lutter. Seule Galadriel la vénérable en était capable…

Et s'il s'agissait bel et bien de Smaug, comme l'avait affirmé Syla, alors ni son courage ni sa magie ne l'aideraient face à un grand Dragon, car ces créatures engendrées par Morgoth lui-même semaient mort et destruction sur leur passage sans distinction. Les Elfes de Gondolin, les Nains d'Erebor, les Hommes de Dale… tant de peuples avaient souffert par le feu et les griffes de ces créatures, et même les grands héros des temps jadis avaient donné leurs vies par centaines pour espérer tuer ne fut-ce qu'une seule de ces créatures… Récemment, le Prince Pourpre, le sinistre Xaphan avait mené une armée dans le Nord et le Dragon qu'il commandait avait ravagé les armées des Hommes, des Nains et des Elfes qui s'étaient rassemblées pour l'affronter. On racontait bien des rumeurs à son sujet, et les survivants de la Bataille du Nord se refusaient la plupart du temps à évoquer ce qu'ils avaient vu là-bas. Tant d'horreurs et de malheurs…

Alors que pouvait Delaynna, toute Dame de l'Eau qu'elle fût, face à un tel adversaire ?

Cette fois, elle ne devrait pas compter sur la magie toute elfique qui l'habitait, mais sur une force plus grande encore. Celle que les Valar avaient donnée à tous leurs enfants. La force de la vie qui pulsait dans ses veines à chaque instant, et qui la poussait à se battre pour ce qu'il y avait de bon dans ce monde. Privée de l'avantage que lui conférait ordinairement son affinité avec l'eau, elle redevenait une simple Elfe dont l'existence immortelle allait de pair avec la fragilité de ce corps qu'elle abandonnerait peut-être un jour pour s'en aller vers Valinor. Une blessure trop grave, et elle disparaîtrait de la Terre du Milieu, laissant ses compagnons et les Hommes d'Erebor affronter leur sort funeste. Même si son esprit était fort, et son âme pure, elle demeurait aussi vulnérable qu'un morceau de papier face aux flammes. La mort n'avait pas de sens pour un Elda, mais le sentiment terrible de ne pouvoir aider les plus faibles était bien présent chez les Premiers-Nés, d'autant plus lorsqu'ils rencontraient un adversaire qui semblait aussi terrible.

La tentation d'affronter le danger par la force était grande, mais comme les éminents esprits du passé l'avaient si souvent rappelé, il n'était pas toujours nécessaire de concentrer un immense pouvoir pour protéger le monde tel qu'il était. La bonté, l'amour et la générosité pouvaient sembler des armes dérisoires face au mal incarné, et pourtant elles avaient permis de venir à bout de Sauron lui-même…


~ ~ ~ ~


Le soleil se leva timidement sur Esgaroth, sans qu'aucune sentinelle n'eût annoncé le retour des deux Eldar. Ils n'étaient pas revenus de leur mission, ce qui pouvait signifier tout et son contraire. Avaient-ils été massacrés au point que leurs corps physiques ne remonteraient jamais à la surface ? Étaient-ils blessés et en grand danger, attendant péniblement une aide qui ne viendrait pas ? Festoyaient-ils au contraire sur le cadavre de l'ennemi qu'ils essayaient de ramener à Esgaroth pour apporter la preuve de leur victoire ? Poursuivaient-ils leur traque inlassablement après avoir débusqué celui ou celle qui se trouvait derrière cette machination ?
Comment savoir ?

L'inquiétude de Delaynna ne pouvait être apaisée, car toute tentative de se plonger dans les eaux pour y observer l'avenir ou le passé était un risque. La dernière fois, elle s'était sentie happée par un esprit d'une force exceptionnelle, et elle n'avait dû son salut qu'à l'intervention de ses deux compagnons. Sans eux, pouvait-elle véritablement s'aventurer à la rencontre de cette chose qui semblait rôder autour d'elle dans l'espoir de la dévorer ? L'Elfe en était rendue à espérer, comme ces femmes qui allumaient des chandelles sans pouvoir rien faire d'autre que de regarder le lac. Cette impuissance était rageante pour ces veuves, et l'Elfe comprenait enfin leur point de vue, le sentiment de profonde inutilité teintée de colère qui les habitait. Qu'y avait-il de plus terrible que de savoir des proches en danger sans rien pouvoir faire ?

Pour autant, même si Delaynna ne pouvait pas sauver ses amis dans l'immédiat, elle n'était pas appelée à demeurer inactive. Elle était attendue chez la Sénéchale dont l'invitation lancée à voix basse était peut-être un premier pas vers une ébauche de solution. Face à la menace qui risquait de tous les emporter, il était important de trouver des alliés, denrée rare dans la ville d'Esgaroth…

Désillusions Aleksa10

La Sénéchale faisait également partie de ces femmes en manque de soutiens, et elle avait eu l'impression de trouver chez l'immortelle une alliée susceptible de l'aider dans son entreprise. Elle s'était affairée toute la matinée à préparer le salon pour recevoir son invitée elfique, disposant de petites assiettes, une tasse pour le thé, et du bon miel importé directement de chez les Béornides pour agrémenter le premier repas de la journée. Elle avait peu dormi, et s'était levée aux aurores pour s'occuper les mains et l'esprit, consciente que son agitation n'échapperait pas à son cher cousin.

- Laisse-moi t'aider, Aleksandra, lança-t-il d'une voix douce en la voyant s'épuiser à balayer le sol du salon qui était par ailleurs impeccable.

Elle leva la tête vers lui avec un sourire las. C'était bien le seul noble d'Esgaroth qu'elle connaissait qu'il ne voyait pas le fait de passer le balai comme une humiliation. Rejetant une mèche rebelle derrière son oreille, elle lui tendit le manche dont il s'empara délicatement avant de le poser de côté. Il prit la main de sa cousine, et lui intima de le suivre :

- Je n'ai rien contre les tâches ménagères. J'ai assez souvent accompli mon lot de corvées étant plus jeune, sans jamais m'en plaindre. Mais ce n'est pas ce que j'entendais pas « t'aider ». Parlons un peu, si tu le veux bien.

- De quoi veux-tu parler, Adrian ? Demanda-t-elle négligemment.

- De cette Elfe, que tu as invitée ici. Celle qui intéresse tant le comte Saule. Tu m'as demandé de l'accueillir ce matin, et tu sais que je n'ai rien contre cette visite. Cependant, j'aimerais savoir ce qu'elle représente pour toi.

Aleksandra soupira. Adrian avait toujours eu le don de voir derrière les apparences, même s'il n'était pas exactement habile avec son esprit. Il savait lire le trouble et la crainte chez sa cousine, mais il savait aussi la rassurer et l'apaiser quand elle était paniquée. Depuis leur plus jeune âge, il avait été comme un grand frère pour elle, et elle avait toujours trouvé chez lui une oreille attentive à qui parler. Depuis son mariage, elle avait eu moins souvent l'occasion de lui parler de vive voix, mais elle appréciait toujours sa compagnie.

Surtout en ces temps troublés…

Alors, convenant qu'il était plus simple de lui dire ce qu'elle avait sur le cœur, elle se lança dans une longue tirade :

- Je suis perplexe, Adrian. Tous ces malheurs qui s'abattent sur le royaume… j'ai peine à croire que nous devions détourner notre attention de ceux-ci, ou bien considérer qu'ils ne sont pas liés. D'abord l'hiver interminable, qui a tant affaibli Dale et Esgaroth que nous n'avons pas pu voir qu'une armée entière du Rhûn s'est installée à nos portes. L'absence de Roderik m'inquiète, j'ai peur que ces Orientaux ne lui fassent du mal, car je sais qu'il fera tout ce qui est en son pouvoir pour protéger nos frontières.

Elle marqua une pause. Même si elle refusait de l'admettre publiquement – pour éviter de semer la panique – elle était particulièrement préoccupée par cette affaire. Son époux, en tant que Sénéchal, avait pris personnellement les commandes d'une armée fort nombreuse selon les standards dalites, pour aller négocier avec les gens du Rhûn. Cela faisait plusieurs mois, maintenant, et on disait que les Orientaux refusaient de partir, et que l'armée était là pour les empêcher d'attaquer Dale. Les nouvelles étaient inquiétantes, d'autant plus que la plupart des ressources de Dale étaient concentrées dans la lutte contre les Gobelins. Les Nains et les gens du Val se battaient aussi sous la montagne, ce qui laissait le front oriental particulièrement vulnérable. Il n'y avait que les Elfes qui pouvaient les aider, mais on disait que le seigneur Angrod refusait de se mêler des affaires de ses voisins. Compte-tenu des ressources considérables dont disposait le Rhûn, et sans le soutien de ses principaux alliés, Dale tomberait en quelques semaines tout au plus. La guerre était donc à éviter à tout prix. Elle reprit, exposant ses idées à voix haute pour y mettre de l'ordre :

- Depuis que je suis arrivée à Esgaroth, je ne reconnais plus cette ville, et cela m'inquiète. Le comte Saule m'inquiète, la Milice m'inquiète, les Ménestrels m'inquiètent… et même toi, Adrian Orlov, tu m'inquiètes par moments. Tu… Tu as l'air de trouver tout cela normal, alors que ça ne l'est pas ! Depuis quand avons-nous abandonné nos convictions pour nous déchirer les uns les autres ? Partout où je regarde, je ne vois qu'un peuple divisé, et je ne peux m'empêcher de croire que c'est la raison pour laquelle tous ces malheurs s'abattent sur nous. Ces incidents sur le lac… ne penses-tu pas que tous ensemble, nous pourrions y mettre un terme ? Si la noblesse prenait l'épée au lieu de dîner chaque soir auprès de Saule et de ses sbires… si le peuple retrouvait la foi et le courage…

Adrian sourit en inclinant la tête :

- Je ne t'ai jamais entendu parler de politique de manière aussi passionnée, Aleksandra. Roderik a eu une excellente influence sur toi…

Elle haussa les épaules :

- Ce n'est pas ce que l'on dit. Une femme qui parle de politique… que crois-tu que l'on dirait de moi si je tenais de tels propos en public ? Soutenir mon époux est tout ce que je peux faire sans attirer l'attention négativement sur notre maison. Le roi Gudmund est juste, mais mieux vaut ne pas critiquer trop ouvertement sa politique au risque de perdre ses faveurs…

- Certes. Mais tu appelles à l'unité davantage qu'à la sédition. Est-ce pour cela que tu veux parler à cette femme Elfe ? Penses-tu qu'elle pourrait aider à unir Esgaroth ? Voire Dale ?

La Sénéchale demeura silencieuse un long moment, pesant le pour et le contre dans cette question. Elle n'avait pas réfléchi de manière précise à ce point, mais elle finit par laisser parler son cœur :

- Je le crois, oui… Ce qu'elle a dit quant à la peur qui peut nous diviser… je crois qu'elle est sincèrement préoccupée par ce problème, et qu'elle veut que nous puissions tous de nouveau travailler ensemble à restaurer la force de ce royaume. Mais pour cela, je dois lui parler en privé, et évoquer avec elle le cas des Ménestrels.

Les sourcils d'Adrian se froncèrent légèrement. Non pas qu'il désapprouvât l'idée, mais de toute évidence il la trouvait dangereuse. Il ne fit aucun commentaire, cependant, et se contenta de déclarer :

- Va donc te préparer à accueillir ton invitée, tu ne voudrais pas la recevoir en nage après avoir tant chahuté dans la cuisine. Je reste ici, et je l'accueillerai quand elle arrivera, c'est promis.

- Merci… Merci infiniment.

Elle s'éclipsa avec la légèreté d'un rouge-gorge bondissant d'une marche à l'autre. Adrian la regarda faire en souriant légèrement. Il avait l'impression de la revoir vingt années plus tôt, courant dans le même escalier avec ses longues boucles brunes qui cascadaient alors dans son dos. Une image fugace du passé qui s'évanouit devant ses yeux.

Elle avait bien changé, sa chère Aleksandra…

#Aleksandra


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Désillusions EmptyLun 30 Déc 2019 - 5:58

Lorsqu’elle quitta les festivités, le sergent Hadden la raccompagna jusqu’à l’auberge où elle et ses compagnons avaient pris chambre. Elle n’avait point parler durant le trajet. Son esprit était tourmenté par la confession de l’ancien capitaine. Les croyances humaines en matière de magie étaient beaucoup plus fleurissantes que chez les elfes. Delaynna se devait de prendre un temps de répit pour interpréter toutes les informations que Syla lui avait divulgué.
Dès qu’ils arrivèrent à l’auberge. Delaynna remercia le jeune homme.

-Je crois être en mesure d’entrer saine et sauve. Je vous remercie sergent Hadden pour votre aide ce soir. Votre soutien m’a grandement aidé, souligna-t-elle afin de dissimuler l’inquiétude et les remords qui se lisaient sur tout son être.

Del s’inclina délicatement face à l’homme et franchit la porte d’entrée. Elle s’éclipsa jusque dans sa chambre. Ce n’est que lorsqu’elle arriva dans sa chambre, elle réalisa l’ampleur de la vision qu’elle avait eu avant le départ précipité de ses compagnons. La bassine d’eau était toujours par terre et le lit défait. Del saisit la bassine et la remit sur pied. L’eau avait eu le temps de sécher au sol durant son absence. Elle redemanda une seconde cruche d’eau à la femme de chambre qui passait près de la sienne. La femme de chambre vint à en verser un peu dans la bassine de la Dame de l’eau. Del la remercia d’un sourire délicat et la renvoya de la chambre.

Concentrée sur sa tâche, elle observa la bassine pleine d’eau. Ses mains étaient tremblantes. Elle voulait avoir de nouvelles images, des images de ses compagnons. Étaient-ils saufs ou pire encore ? La créature qui l’avait piégée précédemment avait failli la tuer et pouvait le faire encore si elle usait de ses pouvoirs à nouveau.  Elle devait la vie à Sig et Achas, mais malheureusement elle était livrée à elle-même contre l’obscurité…

Delaynna frappa la surface de l’eau et émit un cri de rage. Elle observa ses mains qui étaient tremblantes comme les feuilles d’automne. Elle tenta de garder son calme et de cesser ce tremblement. C’était la première fois qu’elle se sentait si seule et privée de ses pouvoirs et même pour répandre le bien, elle ne pouvait le faire.

Le soleil se leva timidement sur la ville et Delaynna n’avait point fermé l’œil. Tant d’hypothèses s’imposaient dans son esprit. Lorsque les premières lueurs apparurent ce matin, elle s’empressa pour sortir dehors et retourner auprès de la milice pour connaître les dernières nouvelles du lac. Rien à signaler. Sig et Achas n’étaient point rentrer.  

Elle avait mémorisé l’emplacement de l’endroit où résidait le cousin de la Sénéchale. Elle s’y rendit un peu d’avance afin de bien examiner les lieux. Ayant pris soin de regarder derrière afin de s’assurer qu’elle n’était point suivie par les soldats des sbires de Saule, Del toqua à la porte et fut accueilli par un serviteur de la maison. Il examina par son apparence et la laissa entrer. Ses traits elfiques ne laissaient personne indifférent.  On l’invita à se rendre dans le salon. Le serviteur lui indiqua que la Sénéchale ne tarderait à arriver. Delaynna remercia l’homme et lui permit de retourner à ses occupations et qu’elle était en mesure d’attendre patiemment l’arrivée de son hôte.

Lorsque cette dernière arriva, Del s'empressa de saluer son hôtesse dans une révérence impeccable à son égard.

-Madame la Sénéchale Rajenski, je suis enchantée que nous puissions nous entretenir adéquatement. J'espère que ma présence en ces lieux ne dérange point votre cousin.  


Lorsque la Sénéchale l'invita à s'asseoir, elle l'imita. Elle accepta la tasse de thé qu'elle lui offrit. Elle prit une première gorgée chaud qui envahit son corps d'une petite chaleur réconfortante.
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Désillusions EmptyJeu 2 Jan 2020 - 18:18
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Aleksandra descendit les marches avec beaucoup moins d'empressement qu'elle n'en avait mis à les monter. Son invitée de marque se trouvait dans le salon, et elle tenait à lui faire bonne impression, plutôt que d'apparaître comme une jeune écervelée sans distinction. Même aux heures les plus sombres, la noblesse se devait d'incarner la stabilité et la sérénité, en maintenant les traditions, les codes et le respect des mœurs. Sans cela, que resterait-il de leur monde ?

La Sénéchale avait passé une tenue simple et élégante, une robe grise rehaussée de bleu, qui s'accordait à merveille avec le long châle qu'elle avait déposé sur ses épaules pour lui tenir chaud. On pouvait reprocher bien des choses à cette femme, mais pas son manque d'allure, car elle savait représenter un des hommes les plus importants de Dale, et elle ne pouvait lui faire honneur en se présentant vêtue comme une roturière.

- Dame Delaynna, je suis heureuse que vous ayez pu vous libérer.

Elle lui prit les mains chaleureusement, et l'invita à s'asseoir de nouveau.

- Adrian ? Oh non, cela ne le dérange nullement, sinon il ne vous aurait pas ouvert la porte lui-même. Il s'est d'ailleurs éclipsé pour nous laisser converser tranquillement.

Aleksandra eut un petit sourire, en constatant que l'Elfe avait pris son cousin et maître des lieux pour un simple serviteur. Contrairement à elle, Adrian n'affectionnait pas particulièrement le luxe et les apparences, et ce n'était pas la première fois qu'on le confondait avec un domestique tant il se montrait diligent et prévenant avec ses hôtes. Elle s'était laissée convaincre qu'il appréciait créer cet embarras sans conséquence chez ceux qui le rencontraient pour la première fois, et au fond d'elle-même elle était convaincue qu'il se plaisait à rejouer ses jeunes années de militaire. A l'époque, il n'était qu'un soldat parmi d'autres, noble certes, mais une épée de plus au service de son roi qui ne s'embarrassait pas des lourdes responsabilités de la maison Orlov.

- Ne vous inquiétez pas, fit la Sénéchale pour dissiper les éventuelles inquiétudes de son invitée. Il ne s'offusque point de ce genre de choses, et je dirais même qu'il se plaira à raconter cette anecdote à ses enfants. Ils dorment encore, vous avez un peu de répit.

Cette petite boutade visait à détendre l'atmosphère pendant qu'elle préparait le thé, versant l'eau chaude avec dextérité et application.

- C'est un thé très parfumé, m'a-t-on dit. Une femme me l'a gentiment offert sur le marché hier, et je n'ai pas encore eu l'occasion d'y goûter.

Elle faisait la conversation, mais il était évident qu'Aleksandra était fébrile. Elle avait mal dormi, comme souvent depuis qu'elle était arrivée à Esgaroth, ruminant de sombres pensées dans son esprit qui semblait ne jamais vouloir se reposer. Elle n'habitait plus dans la cité depuis longtemps, mais elle y restait toujours très attachée, et ne supportait pas l'idée de voir sa ville natale ainsi mise à genoux par des mystères et des ombres. Delaynna lui offrait une bouffée d'oxygène bienvenue, et elle avait le sentiment que l'Elfe pouvait l'aider d'une manière ou d'une autre. Alors, sitôt qu'elles furent toutes les deux assises et armées d'une boisson chaude et de quelques biscuits sucrés, la Sénéchale aborda les sujets les plus pressants :

- Hier soir, commença-t-elle, vous avez vu les coulisses de la politique d'Esgaroth. Des intrigues, des alliances, des manipulations et des attaques à peine voilées lancées contre ceux qui osent exprimer une opinion contraire. Je suppose que vous n'êtes pas familière des affaires de cette cité ?

Les Elfes vivaient généralement coupés du monde, et ne se tenaient informés des affaires des autres peuples que de manière épisodique et distante, principalement afin de s'assurer que leurs frontières sacrées n'étaient pas franchies. Les remous de la vie urbaine d'une petite cité du Rhovanion n'intéressaient sans doute pas des êtres immortels, pour qui ces querelles ne duraient qu'un battement de cils à l'échelle de leur existence. Pour Aleksandra, cependant, tout ceci revêtait une importance capitale. Avec la passion qui caractérisait les êtres à la vie brève, elle expliqua à Delaynna les détails de la politique locale.

Elle lui parla tout d'abord de la tragique histoire du comte Skaline, qui avait dirigé la ville avec bonté et bienveillance, mais qui avait subitement disparu et laissé Esgaroth en proie aux bandits et aux mercenaires. Non sans tristesse, elle avait relaté la purge de la cité, le combat acharné entre les brigands et la Milice, qui avait rougi les eaux du Lac et assombri les cœurs des habitants. Skaline s'était révélé comme un des grands défenseurs de la liberté, un des braves qui avaient traqués le sinistre Ordre de la Couronne de Fer, mais il avait sacrifié le sort d'Esgaroth pour cela, et le roi de Dale ne lui avait pas pardonné un tel affront. C'était dans ces conditions qu'était arrivé le comte Saule, nouvel homme fort de la ville, qui devait tout au roi Gudmund, et qui entendait bien gouverner la ville comme il l'entendait, tout en s'assurant pour ne rien faire qui pourrait contrarier le vieux souverain.

- C'est ainsi, conclut-elle, qu'Esgaroth vit sous l'emprise du comte Saule, qui s'appuie sur la troupe pour garantir l'ordre et la sécurité. Les seuls qui se dressent face à lui sont les Ménestrels, mais leur sort n'est guère plus enviable.

L'Académie des Ménestrels était le joyau de la cité d'Esgaroth, une institution dont le prestige s'était développé sous la direction de Skaline, et qui ne paraissait pas devoir lui survivre bien longtemps. On disait que l'ancien comte entretenait des liens de proximité avec les artistes, et qu'il s'appuyait sur certains d'entre eux pour ses affaires particulières. Cependant, ce n'étaient probablement que des rumeurs pour discréditer le comte, car pour Aleksandra les Ménestrels étaient avant tout des créateurs, des esprits ingénieux et brillants qui faisaient la renommée de la cité lacustre. Ils tenaient à leur indépendance, à leur liberté, et refusaient fermement que le comte s'occupât de leurs affaires. La lutte entre les deux avait pris un tour politique appuyé, car Saule essayait de faire passer ces Ménestrels pour ces ennemis de l'État.

- Vous comprenez à présent à quel point nous sommes divisés. Les malheurs du Lac n'ont fait que mettre en lumière les conflits qui agitent la cité… Et hier, en laissant entendre que vous refuseriez de vous plier sans broncher aux ordres du comte, vous avez involontairement choisi votre camp. Saule voit le monde de manière tranchée, et si vous n'êtes pas sans réserve avec lui, c'est que vous êtes son ennemie. Croyez-moi.

Leur conversation les menait vers des sentiers bien étranges, et il aurait été vraiment étonnant pour la noblesse de la cité d'entendre deux femmes ainsi exprimer des opinions politiques tranchées et peu consensuelles. La Sénéchale avait effectivement un avis très marqué, et les attaques reçues la veille à la table du comte étaient sans nul doute la conséquence de cette prise de position publique. Elle n'entendait pas se taire, cependant.

- Pour en revenir au Lac, il se raconte que parmi tous les navires qui ont disparu, l'un d'entre eux appartenait au comte, et nous sommes nombreux à nous inquiéter de savoir ce qu'il transportait. Vous avez peut-être entendu des racontars à ce sujet : un navire chargé de soldats, englouti corps et biens sans laisser de traces. Une affaire qui a contribué à inquiéter le peuple, car des attaques contre des navires de pêcheurs sont explicables, mais la disparition d'hommes en armes… Je n'ai pas besoin de vous expliquer l'inquiétude que ce genre de nouvelles peuvent susciter.

Elle n'avait pas tort, et il était donc compréhensible que les autorités de la ville eussent voulu cacher la nouvelle. Si le comte voulait éviter la panique générale et continuer à gouverner sa ville dans la tranquillité, il n'avait d'autre choix que de maintenir le peuple dans l'ignorance de ces choses au risque de le voir s'agiter inutilement. Ce que désapprouvait Aleksandra, c'était le fait que la noblesse locale fût également tenue à l'écart des affaires, alors qu'elle était en droit d'exiger des comptes et d'être associée à toute décision concernant le bien-être de la ville.

- Vous ne voyez peut-être pas bien le rapport avec les disparitions sur le Lac, mais dites-moi à quel point cela aiderait votre enquête de disposer d'un témoin oculaire ? Une personne qui se trouvait sur le navire du comte, et qui pourrait à la fois nous renseigner sur la cargaison que contenait ce navire, ainsi que sur l'identité du ou des assaillants…

La Sénéchale marqua une pause, laissant à Delaynna le temps de comprendre les implications de ses paroles, avant de reprendre à voix très basse :

- C'est exact, Dame Delaynna. Ce témoin existe, mais cela doit rester parfaitement secret, vous ne devez en parler à quiconque. Pour l'heure nous ne souhaitons pas ébruiter l'affaire, afin de découvrir ce qui se trame réellement à Esgaroth. Pour dire les choses simplement, mes amis les Ménestrels ont trouvé un des soldats du comte, échoué sur le rivage du Lac, inconscient et blessé. Ils est toujours dans le coma, mais peut-être que la médecine elfique saurait le guérir… le ramener à lui… et ainsi nous pourrions toutes les deux avoir des réponses à nos questions… En aidant cet homme, vous aideriez la cause de la vérité et, je l'espère, vos amis perdus sur le Lac.

Aleksandra se leva pour préparer une nouvelle tasse de thé, lequel avait désormais bien infusé et diffusait une bonne odeur. Elle remplit son propre récipient, et en proposa élégamment à Delaynna, tout en attendant patiemment sa réponse.


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Désillusions EmptyMar 17 Mar 2020 - 23:55
Madame la sénéchale invita l'elfe à se diriger vers le petit salon de la grande maison de son cousin. Delaynna la suivit sans poser de question. Elle s'assit où on l'invita à le faire.Tout en s'installant gracieusement en face de la sénéchale, celle-ci lui offrit le thé dans un léger rire en la rassurant et débuta la conversation dans un état un peu fébrile. Delaynna huma les arômes du thé très parfumé qu'elle avait fait apporté pour elle et l'elfe. Cette première gorgée descendit le long de sa gorge tout en traînant une chaleur dans son petit corps gelé marqué par l'inquiétude qu'elle avait envers ses compagnons.

-Vous avez raison, ce thé est très parfumé. Dès la première gorgée, il rappelle l'odeur des champs de fleur en pleine saison chaude. Vous avez très bon goût en la matière, j'en prend bonne note ! souligna la Dame de l'eau avec un doux sourire.

« Hier soir , vous avez vu les coulisses de la politique d'Esgaroth. Des intrigues, des alliances, des manipulations et des attaques à peine voilées lancées contre ceux qui osent exprimer une opinion contraire. Je suppose que vous n'êtes pas familière des affaires de cette cité ? »

L'elfe hocha la tête en guise d'affirmation face à la question de la sénéchale.

-Vous avez raison madame la sénéchale. Pardonnez mes connaissances qui sont peu à jour en ce qui concerne votre citée. Je n'ai plus autant l'habitude de voyager qu'autrefois. Je dois avouer que j'en avais oublié l'animosité qui règne dans le cœur de ceux dont leurs besoins fondamentaux ne sont point comblés. Je parle bien sûr d'un besoin de sécurité envers votre peuple. Une sécurité à l'égard de tout ce qui se produit sur ce lac et ses mystères que cela engendre. Accuser une personne et la pointée du doigt sur la place public semble être la principale motivation de vos semblables si vous voulez mon opinion la plus honnête.

Aleksandra lui raconta par la suite la douloureuse histoire qu'avait vécu le peuple d'Esgaroth depuis le début du règne du comte Saule sur ses citoyens. Delaynna soupira profondément. Elle éprouvait de la compassion envers cette sénéchale qui avait le cœur déchirée de voir sa citée natale ainsi.

- Je suis heureuse d'entendre là une opinion franche. Ce que j'ai entendu hier à cette table m'a semblé être une assemblée sans couleur et sans ouverture d'esprit. Le comte Saule a imposé un règne impitoyable chaque membre de sa cour doit se tenir droit et poursuivre dans la même direction que lui. Vous avez mon plus grand respect Sénéchale de vous opposer ainsi contre lui.

L'humaine rajouta une phrase qui fit sourire encore plus l'elfe ; « Et hier, en laissant entendre que vous refuseriez de vous plier sans broncher aux ordres du comte, vous avez involontairement choisi votre camp. Saule voit le monde de manière tranchée, et si vous n'êtes pas sans réserve avec lui, c'est que vous êtes son ennemie. Croyez-moi »

Delaynna afficha à nouveau un sourire. Elle inclina la tête en guise de respect envers la dame qui se tenait devant elle.

- Depuis de nombreuses décennies, j'ai voyagé et vu de grands hommes qui ont dirigés les terres humaines. Aussi bon que mauvais. J'agis pour le bien de l'alliance entre votre peuple et celui de Vertbois Sénéchale Rajenski, tout comme je l'ai rappelé au comte Saule. J'agis surtout pour le bien de mes compagnons qui se trouvent sur le lac présentement.

Aleksandra changea vite de sujet et revint sur les disparitions sur le lac.

« il se raconte que parmi tous les navires qui ont disparu, l'un d'entre eux appartenait au comte, et nous sommes nombreux à nous inquiéter de savoir ce qu'il transportait. Vous avez peut-être entendu des racontars à ce sujet : un navire chargé de soldats, englouti corps et biens sans laisser de traces. Une affaire qui a contribué à inquiéter le peuple, car des attaques contre des navires de pêcheurs sont explicables, mais la disparition d'hommes en armes… Je n'ai pas besoin de vous expliquer l'inquiétude que ce genre de nouvelles peuvent susciter.

Vous ne voyez peut-être pas bien le rapport avec les disparitions sur le Lac, mais dites-moi à quel point cela aiderait votre enquête de disposer d'un témoin oculaire ? Une personne qui se trouvait sur le navire du comte, et qui pourrait à la fois nous renseigner sur la cargaison que contenait ce navire, ainsi que sur l'identité du ou des assaillants…

C'est exact, Dame Delaynna. Ce témoin existe, mais cela doit rester parfaitement secret, vous ne devez en parler à quiconque. Pour l'heure nous ne souhaitons pas ébruiter l'affaire, afin de découvrir ce qui se trame réellement à Esgaroth. Pour dire les choses simplement, mes amis les Ménestrels ont trouvé un des soldats du comte, échoué sur le rivage du Lac, inconscient et blessé. Ils est toujours dans le coma, mais peut-être que la médecine elfique saurait le guérir… le ramener à lui… et ainsi nous pourrions toutes les deux avoir des réponses à nos questions… En aidant cet homme, vous aideriez la cause de la vérité et, je l'espère, vos amis perdus sur le Lac. »

Delaynna demeura de marbre lorsque la jeune femme lui révéla qu'il y avait un témoin important dans cette histoire. Elle se leva doucement d'où elle était assise et fit quelques pas pour assimiler la nouvelle. Bien sûr, en tant que Dame de l'eau, elle devait secourir tout être qui présentait des blessures, du bon ou du mauvais côté. Elle se rappelait des conseils de ses compagnons, qu'elle devait demeurer vigilante à l'égard du peuple humain, mais à quel prix ? Au fond d'elle, il était primordial d'aller secourir ce nouveau personnage qui entrait dans l'histoire qui englobait le lac. Mais cela en était-il une ruse ? En dévoilant cette information, la sénéchale avait avancé un pion important de son jeu. Delaynna fronça les sourcils en y réfléchissant, quel en était le prix ?

Son coeur battait très vite. La mention de Sig et d'Achas et du survivant l'intriguait fortement.

-C'est vrai, je peux vous venir en aide madame la Sénéchale. Je ferai tout ce qu'il y a en mon pouvoir pour que la vérité vient à éclater. Nous devons nous montrer confiante l'une envers l'autre, si je puis me permettre de rajouter que la communication est la clef de la réussite si nous voulons résoudre ce mystère. À moins que vos ambitions sont tout autre ma chère.

Del accepta que la sénéchale remplisse à nouveau sa tasse de thé afin de réchauffer le liquide qui s'y trouvait.
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Désillusions EmptyVen 20 Mar 2020 - 17:22
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Delaynna était une invitée particulièrement charmante, et la Sénéchale reçut son compliment très sincère au sujet du thé avec un sourire détendu. Elle se félicitait toujours de pouvoir recevoir ses amis à Dale dans les meilleures conditions, et elle avait fait de son mieux pour trouver des produits de qualité à Esgaroth dans les jours qui avaient suivi son arrivée. Son cousin Adrian servait volontiers un verre de brandy aux partenaires commerciaux qu'il recevait pour affaires, mais il n'avait jamais pris la peine de se pencher sur ce qu'il appelait en rigolant des « infusions de bonne femme ».

Aleksandra ne s'en offusquait jamais. Son cousin était comme ça, et elle riait souvent de son côté rustre qu'il avait depuis tout jeune.

- Oui c'est tout à fait juste, ce thé est vraiment excellent, même si je n'arrive pas à en identifier toutes les saveurs… Il faudra que je retrouve cette femme pour lui demander son secret.

Elle serra la tasse entre ses deux mains, pour laisser la chaleur de la boisson envahir doucement son corps. Un moyen comme un autre de chasser le frisson que lui procura les paroles de l'Elfe. Cette dernière identifiait les problèmes d'Esgaroth avec une acuité saisissante, et elle pointait du doigt les faiblesses des Hommes d'ici sans prendre de détours.

- Vous avez raison, fit la Sénéchale en portant la honte de tout son peuple, nous sommes craintifs, aisément effrayés, et nous affrontons sans doute cette menace de la pire des manières. Quand nous devrions nous unir, nous nous divisons. Quand nous devrions nous faire confiance, nous nous méfions les uns des autres. Je crois sincèrement dans la capacité des gens du Lac à surmonter cette nouvelle épreuve, mais pour l'heure nous sommes effectivement occupés à chercher un coupable plutôt qu'à trouver des solutions…

Aleksandra fut heureuse de voir que Delaynna comprenait sa situation, et qu'elle avait eu la même impression au sujet du comte Saule. L'homme était intelligent, et il pouvait paraître particulièrement charmant aux yeux de certains, mais elle ne pouvait pas s'empêcher d'éprouver une forme de dégoût quand il se trouvait dans les parages. Elle n'appréciait pas son regard insistant, son sourire arrogant, et la façon qu'il avait de toujours vouloir déstabiliser ses interlocuteurs pour prendre l'ascendant sur eux. Pire encore que l'homme, elle détestait sa politique, la terreur que ses troupes faisaient parfois régner dans la cité, son manque de considération pour la noblesse, pour les Ménestrels, pour le petit peuple…

Tant qu'il resterait au pouvoir, il ferait de sa ville natale un endroit hostile.

Et cela lui brisait le cœur.

- Je crains de ne pas pouvoir m'opposer frontalement au comte, même si je le désire en mon for intérieur. Mon cher époux ne saurait souffrir d'être marié à une femme qui se comporterait ainsi. Je dois tenir mon rang, et préserver la réputation de mon mari en toutes circonstances.

Telle était la situation des femmes dans les royaumes des Hommes, et même s'il n'en était pas ainsi chez les Elfes, Delaynna ne pouvait pas ignorer cet état de fait. Aleksandra existait à travers son mari, le puissant Sénéchal Roderik Rajenski, un des principaux officiers de la couronne dalite. Le moindre impair qu'elle pouvait commettre lui serait reproché comme s'il était responsable des faits et gestes de son épouse. La Sénéchale ne voulait pas de scandale, et bien qu'elle désirât ardemment protéger son peuple, sa loyauté allait avant tout à son mariage et à sa famille.

Fort heureusement, Delaynna semblait prête à l'aider, ou tout du moins à aider la cause de la vérité. Aleksandra comprenait les réticences de l'Elfe, qui devait considérer que ces jeux d'alliances et de trahisons politiques étaient bien puérils. Cependant, l'humaine était convaincue d'être du bon côté, et de n'avoir rien à cacher. Les Ménestrels étaient ses amis, elle les connaissait parfaitement, et elle savait qu'ils ne voulaient que le bien être du peuple d'Esgaroth.

- Votre aide nous sera fort précieuse, je peux organiser une réunion avec les Ménestrels dans les plus brefs délais. Ils seront sans doute ravis de vous rencontrer : vous connaissez les intellectuels, ils apprécient particulièrement les gens de votre peuple. Voulez-vous un peu de thé ?

Delaynna accepta bien volontiers, et Aleksandra se leva pour lui servir une nouvelle tasse. Elle avait dû se relever trop vite, car tout à coup la tête lui tourna, et elle dut s'appuyer sur un guéridon pour ne pas perdre l'équilibre. Son malaise soudain, et très inhabituel, lui donna l'impression d'avoir épuisé toutes ses forces :

- Pardonnez-moi très chère, je… je ne sais pas ce qui m'arrive, je me sens tout à coup étourdie…

Une fatigue passagère ? Il était permis d'en douter. Aleksandra semblait tout à coup saisie d'un trouble bien anormal, et avant que Delaynna eût été en mesure de lui prêter assistance, elle trébucha et se retrouva sur le sol, agitée de tremblements incontrôlables. Ce faisant, elle avait renversé la tasse posée sur la table, qui était allée se fracasser en mille morceaux au sol. Elle avait l'impression d'avoir été catapultée hors de son propre corps, et que son esprit était pris dans un tourbillon incontrôlable. Le monde tournait devant elle, transformé en un kaléidoscope de couleurs.

Mais quel était ce maléfice ?

La Sénéchale ferma les yeux, et les ouvrit pour découvrir le visage de Delaynna penché sur elle. La femme elfe semblait soucieuse, mais l'inquiétude de la femme d'Esgaroth fut la plus grande alors que son regard s'écartait de l'Elfe pour regarder derrière elle.

- D… D…

Elle était incapable de formuler le moindre mot, la gorge paralysée mais les yeux écarquillés de terreur.

Delaynna ne vit pas les trois silhouettes entrer dans la pièce avec la discrétion de véritables chats. Elle ne sentit pas l'une d'entre elles approcher, brandissant un gourdin épais. Elle ne vit venir le coup qui s'abattit sur l'arrière de son crâne. La dernière pensée d'Aleksandra, paniquée, fut pour les enfants qui se trouvaient à l'étage. Elle espérait que personne ne leur ferait le moindre mal…


~ ~ ~ ~


La Sénéchale ouvrit les yeux brusquement en lâchant un cri involontaire, alors que l'eau glacée qu'on venait de lui jeter au visage la frappait comme un coup de poignard. Elle se débattit bien inutilement, seulement pour éprouver la force des liens qui l'entravaient. Ses poignets et ses chevilles étaient fermement attachés à une chaise, et il lui aurait fallu être prodigieusement forte pour réussir à s'en extraire. Ses épaules retombèrent sur sa poitrine qui se soulevait à un rythme effréné, et elle secoua la tête pour chasser quelques mèches rebelles qui lui tombaient dans les cheveux.

A ses côtés, Delaynna subit le même sort qu'elle. Un grand seau d'eau glacée dans la figure pour la sortir de sa torpeur. L'eau, cependant, prit rapidement une teinte rougeâtre… de toute évidence, le coup de gourdin avait été plus violent que prévu, et l'Elfe semblait encore un peu sonnée. Aleksandra aurait voulu dire quelque chose pour s'assurer qu'elle allait bien, mais elle n'en eut pas le temps. Un homme s'avança vers elle, et lui saisit le visage pour l'observer sous toutes les coutures, enfonçant cruellement ses doigts dans ses joues pour la tenir en place :

- Mouais… On dirait que ça va, elle a l'air de réagir… Ça fonctionne.

Aleksandra n'aurait jamais cru éprouver une telle crainte un jour dans sa vie. Celui qui s'était saisi d'elle n'était tout simplement pas humain… et le terme de « monstre » ne lui paraissait même pas assez fort pour décrire la créature qui se mouvait devant ses yeux. Un nez difforme, des crocs gigantesques, des yeux injectés de sang et des oreilles minuscules… Cette créature était au croisement d'un homme et d'un Orc. Ses mains énormes étaient terminées par des griffes, et à tout moment la prisonnière s'attendait à être égorgée sur place.

- Qui êtes-vous ? Demanda-t-elle en tremblant.

Plusieurs hommes se mirent à rire, sans daigner lui répondre. Le premier s'assurait que Delaynna allait bien, vérifiant que la plaie sur son crâne ne saignait plus. Il ressemblait à un gros insecte, et sa peau chitineuse était parcourue d'excroissances purulentes de couleur brune. Son visage était mangé par des yeux globuleux, comme ceux des mouches, et à la place de sa bouche se trouvaient des mandibules répugnantes qui s'agitaient paresseusement.

Le second, à la tête d'Orc, resserra les liens de la Sénéchale en grommelant quelque chose. Il semblait contrarié, mais ses paroles se perdaient dans le lointain comme s'il criait depuis l'autre bout du Lac et que sa voix était à peine portée par les vents d'Est.

Le troisième, qui avait l'air d'être le plus vicieux de tous, observait la situation de loin. Il ressemblait à un vieux parchemin à la peau fripée, et son visage semblait plat comme s'il avait couru trop vite en direction d'un mur et que son nez s'était intégré à son visage. De loin, on aurait dit qu'il avait quatre bras, des ce qui ressemblait à une paire d'ailes dans son dos. Il avait le visage d'un cheval, à l'exception de la gueule, qui ressemblait plutôt à un bec crochu.

Ces créatures cauchemardesques n'aurait jamais trouvé place dans ses pensées les plus folles, et Aleksandra n'eut pas à faire un gros effort pour se retenir de crier. Elle était tétanisée, incapable de se mouvoir, fascinée et horrifiée par la vue de ces hommes au corps si monstrueux. Quand elle trouva enfin la force de détourner les yeux de son observation, elle comprit qu'elle n'était plus chez elle. Elle tourna la tête, et découvrit avec horreur ce qui ressemblait vaguement à un entrepôt. Des caisses s'amoncelaient ici ou là, et la lumière du jour perçait difficilement à travers les trous du plafond mangé par les intempéries.

- Où sommes-nous ?

De nouveau, des rires. Tête d'Orc se retourna vers Aleksandra, et lui souffla :

- Alors ma belle, tu me trouves à ton goût ?

Elle ne put rien répondre, mais son regard était éloquent. Les trois monstres finirent par quitter les lieux, en prenant soin de refermer à clé la porte battante qui constituait la seule issue visible de l'entrepôt. Quand ils s'en furent allés, la Sénéchale lâcha un soupir de soulagement…

- Delaynna, oh par les Valar dites-moi que vous allez bien.

Comme souvent, elle se préoccupait des autres en premier, et seulement ensuite venaient les considérations pratiques :

- Qu'est-ce que c'étaient que ces choses ? Qu'allons-nous faire ?


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Désillusions EmptyMar 24 Mar 2020 - 5:27

Delaynna accepta de venir en aide à la Sénéchale en offrant ses dons de guérisseuse. Après tout, c’était dans ses valeurs, elle se devait de venir en aide aux personnes qui en ont de besoin. Avant de poursuivre la conversation, la dame de l’eau voulait avertir la jeune humaine de la situation dans laquelle elle allait s’embarquer. Alors qu’Aleskandra se levait pour aller chercher à nouveau du thé, Del s’élança dans un discours.

-Je vois beaucoup de courage en vous madame la sénéchale. Vous croyez être du bon côté de la vérité. Tout comme le Comte Saule… Mon premier mandat est avant tout de venir en aide à ceux qui en ont de besoin. Cette rencontre avec les ménestrels peut se retourner contre nous. Je suis sûre que vous comprenez ma situation des plus délicates.

Lorsque la sénéchale se leva pour aller remplir à nouveau les tasses de thé, Delaynna aperçut les tremblements de la jeune humaine.

« Pardonnez-moi très chère, je… je ne sais pas ce qui m'arrive, je me sens tout à coup étourdie… »
La sénéchale échappait les tasses par terre et aller s’écrouler au sol. Del eut juste le temps pour la saisir dans ses bras et examinait son visage.

-Sénéchale Rajenski !

Delaynna saisit le contenant dans laquelle le thé était versé et vint humer l’odeur de celui-ci pour comprendre ce qui s’y passait. L’hypothèse que quelqu’un ait tenter d’empoisonner la sénéchale ainsi que la dame de l’eau lui vint vite à l’esprit après leur discussion, mais elle n’eut le temps d’agir puisque quelque chose vint la frapper tellement fort à la tête qu’elle en perdit conscience.

La dame de l’eau avait l’impression de revivre ce même cauchemar qu’elle avait vécu lorsqu’elle avait tenté de voir à travers l’eau pour retrouver Syla. Se retrouvant dans les profondeurs du lac, l’elfe se laissait couler Les yeux rivés sur les rayons du soleil qui reflétaient sur la surface donnait envie de remonter pour y sentir cette douce caresse sur son visage. Del ne bougeait point. Quelque chose s’enroulait autours de sa jambe et remontait jusqu’à sa taille, tel un serpent. La créature la retenait très fort et l’empêchait de bouger. Elle croisait les yeux de la créature et entendit cette voix murmurait à son oreille :

« Il serait terriblement dommage que vous, entre tous, soyez influencée par ceux qui ne demandent qu'à déstabiliser le comté d'Esgaroth. Des individus qui colportent de viles rumeurs, et agitent les peurs de la populace, à seule fin de servir leurs propres intérêts. »

Cette voix, était celle du comte Saule. Cela continuait de la mener vers le fond du lac. Ses yeux se refermaient lentement alors qu’elle continuait à descendre jusqu’à ce qu’elle reconnût la voix de Sig lui dire :

« Nous nous reverrons plus tard... »

Elle eut un hoquet de surprise et puis le noir total. Elle sursautait tellement fort que cela la ramenait à la réalité. L’eau qu’elle reçut sur elle l’a ressaisi. Sa tête lourde tomba sur le côté. Elle avait de la difficulté à se maintenir tellement elle était sonnée par le coup de gourdin qu’elle avait reçu peu de temps avant. Ses paupières étaient lourdes et elle tâchait de demeurer réveiller. La créature immonde vint la saisir par le visage avec ses griffes et la forçait à la regarder dans les yeux. Elle ne réagit point face à cet individu qui la relâchait aussitôt en constatant qu’elle était toujours vivante. Sa tête et ses paupières toujours aussi lourds, Del la maintenait à moitié fermés. C'est alors que l'elfe prit conscience des liens qui la retenait sur la chaise.

Bien que l’intention fût de la réveiller, l’eau qui se trouvait sur sa plaie pénétrait celle-ci et débutait son processus de guérison. Chaque petite goûtes d’eau pénétraient dans son corps afin de la régénérer. C’était bien sûr, un petit détail que les gens autours ne prêtaient aucunement attention. Les humains ne connaissaient point ce qu'était la pureté des Dames de l'eau de la Lorien. Si des êtres sylvains voyaient la situation dans laquelle elle se trouvait, cela serait un geste très mal vu auprès de son peuple.

Les yeux à peine ouverts, la jeune femme réalisait vite qu'elles se trouvaient dans un vieil entrepôt. Avec sa vision, Del observait que des caisses ainsi que des tonneaux étaient disposés de façon aléatoire. L'elfe n'écoutait point les discussions qui lui semblait si lointaine. Lorsque les créatures quittèrent le lieu, Del ne parlait point et gardait son calme. La douleur se dissipait peu à peu. Mais elle devait continuer à jouer le rôle d'être sous l'emprise du choc par le coup. Son plan était qu'ils devaient encore lui donner de l'eau afin qu'elle puisse retrouver plus de force.

-Saule commençait-elle, d'une voix faible, au bout d'un long moment de silence. Il a une longueur d'avance sur nous...

Del tenta de trouver une position confortable sur la chaise afin de supporter la douleur de sa tête.

-Nous l'avons dérangé madame la Sénéchale, il veut se débarrasser de nous comme des esclaves afin de nous faire taire...

Elle émit un gémissement de douleur et fermait les yeux de douleur. Son visage était crispé et regardait le sceau d'eau.

-De l'eau...
gémit-elle alors qu'elle fermait les yeux et laissait tomber sa tête lourdement.
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Ryad Assad
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Désillusions EmptyLun 30 Mar 2020 - 18:16
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Les entraves cisaillaient les poignets de la Sénéchale, qui avait l'impression que le moyen le plus rapide d'en sortir serait de se laisser sectionner les deux mains. La corde rêche et malveillante semblait déterminée à pénétrer dans sa chair, usant la peau avec patience. Le moindre mouvement était un supplice, même si pour l'heure l'épiderme résistait encore vaillamment à cet assaut insidieux.

- Delaynna, vous m'entendez ?

Aleksandra sentait que l'Elfe était en mauvais point. Elle répondait à peine à ses questions, et se contentait de marmonner des paroles incompréhensibles. Dans sa confusion, elle accusait le comte Saule d'être responsable de leur agression et de leur enlèvement. Même si la Sénéchale n'était pas en odeur de sainteté auprès du comte, elle ne l'imaginait pas en arriver à de telles extrémités pour se débarrasser des deux femmes les plus puissantes d'Esgaroth à l'heure actuelle :

- Vous pensez qu'il aurait osé agir ainsi ? Vous êtes l'Ambassadrice des Elfes de Vertbois, ce serait un risque inconsidéré !

Un risque énorme, le genre de choses qui pourrait lui coûter bien davantage que son titre. Le roi Gudmund ne pardonnerait pas une telle bévue politique, et offrirait la tête de Saule au Seigneur Angrod afin de préserver les fragiles relations entre Eryn Lasgalen et Dale. Avec de la chance, il obtiendrait une mort rapide et sans douleur.

La Sénéchale ne pouvait pas croire que Saule prendrait une telle option, mais paradoxalement elle savait l'homme retors et capable de pirouettes incroyables. Pensait-il pouvoir s'en tirer à si bons comptes ? Aucune chance !

- Sauf si personne ne nous retrouve… Murmura-t-elle pour elle-même.

La perspective de demeurer bloquée ici, soumise à la volonté de ces créatures de cauchemar, la terrorisait. Ces monstres, elle pensait les avoir rêvés. Ils lui semblaient irréels, comme flous, trop étranges pour être réels. Mais elle ne pouvait pas les avoir imaginés, elle avait bien vu leur visage difforme, si proches du sien. Un frisson de dégoût la parcourut, et elle chassa cette pensée de son esprit pour se concentrer sur le présent. Elle devait faire quelque chose pour Delaynna !

- De l'eau ? Oui, de l'eau… De l'eau, de l'eau…

Elle se répétait cela nerveusement en cherchant à travers la pièce de quoi faire boire sa compagne qui paraissait sur le point de s'évanouir.

- Oh Delaynna, restez avec moi, je vous en prie. Ne me laissez pas tomber.

La Sénéchale finit par voir un seau presque rempli, mais il était trop loin pour lui permettre de l'atteindre. Malgré ses efforts, elle ne parvint à faire bouger sa chaise que de quelques pouces… bien trop peu. Alors qu'elle continuait à s'employer, serrant les dents pour endiguer la douleur que chaque mouvement lui coûtait, elle perçut un bruit étouffé à l'extérieur. Les monstres ?

Craignant d'attirer leur attention, elle s'immobilisa et guetta leur apparition. Les paroles qu'elle capta lui glacèrent le sang :

- …mangé une jambe… Tu crois que c'est possible ? C'est pas ça qui peut tuer un Elfe, si ?

- Je sais pas trop… Au pire il y a toujours l'autre…

Les deux créatures ouvrirent la porte. La troisième avait disparu. La Sénéchale se redressa sur son siège, et observa les deux monstres. L'Insecte allait le premier, curieusement voûté comme si ses épaules se pliaient sous le poids de sa tête hideuse. Le second, Tête d'Orc, entra en grognant et en reniflant comme un animal sauvage. Si Aleksandra l'avait pu, elle n'aurait même pas entretenu le contact visuel avec ces choses. Elle les trouvait repoussants, et le simple fait de les regarder lui donnait envie de vomir. Cependant, pour Delaynna, elle devait faire preuve de courage.

Endossant son attitude la plus noble, elle leur lança :

- Votre prisonnière est blessée, n'aurez-vous pas la décence de lui donner au moins un peu d'eau ?

Les monstres tournèrent le regard vers la Sénéchale, qui se figea brusquement. Elle avait l'impression qu'ils allaient lui sauter à la gorge pour la dévorer et lui faire passer l'envie de les interpeller de la sorte. Ils n'en firent rien cependant, et se contentèrent de s'approcher du seau qui traînait sur le sol, et de donner un grand coup de pied dedans.

Son contenu alla s'écraser contre le mur le plus proche en se déversant sur le sol. Ils partirent de leur rire grinçant :

- Vous n'aurez rien à boire, ni à manger d'ailleurs. Et toi…

Tête d'Orc s'approcha de la Sénéchale, et lui empoigna les cheveux si fort qu'elle eut l'impression qu'il allait lui arracher la tête à la seule force de son bras.

- Tu ferais mieux de la fermer à présent. Je ne suis pas payé pour t'entendre. C'est compris !?

Il lui avait hurlé dessus avec tant de violence qu'elle sursauta, et hocha la tête vivement afin d'apaiser la colère de la créature. Il sembla satisfait, et relâcha sa prise. Aleksandra s'affaissa sur sa chaise, la respiration saccadée, choquée. Elle resta là, prostrée, insensible aux larmes qui coulaient sur ses joues.

Allait-elle mourir ici ?


~ ~ ~ ~


Une éternité passa avant que quelque chose ne bougeât. Aleksandra s'était assoupie et réveillée plusieurs fois, sans la moindre notion du temps, sinon celle de son estomac qui lui criait famine. Elle voyait assez de lumière au-dehors pour supposer qu'il faisait jour, mais elle n'aurait su dire si ses ravisseurs l'avaient réveillée quelques heures après sa capture, ou bien s'ils l'avaient laissée ainsi pendant assez longtemps pour que sa disparition eût déjà mis en alerte son cousin Adrian. A chaque fois qu'elle émergeait, elle posait un regard sur Delaynna, qui malheureusement ne semblait pas aller mieux. Au contraire, son état semblait se détériorer, et il n'y avait rien que la Sénéchale pouvait faire. Elle avait renoncé à l'idée d'appeler à l'aide, sûre que ses geôliers allaient revenir pour la blesser si elle faisait trop de bruit. Elle avait toutefois l'esprit plus clair, moins embrumé, comme si les vapeurs de la crainte se dissipaient peu à peu.

Elle sécha ses larmes sur son épaule.

Pendant un temps, elle avait cédé au désespoir. Elle avait pensé à ses enfants, à son époux, à ses amies de Dale, à Adrian et sa charmante épouse… tous ces gens qui lui manquaient horriblement en cet instant, et qu'elle ne reverrait peut-être jamais. Elle s'était abandonnée à quelques sanglots silencieux, qui lui avaient fait du bien à défaut de pouvoir l'aider à améliorer sa situation. Elle en était là de ses réflexions, quand elle avait entend une voix l'appeler doucement.

- Pss… Pss…

Instinctivement, elle avait fait silence, craignant d'avoir nouveau attiré l'attention des monstres. Réalisant qu'elle n'entendait pas leur souffle rauque et leurs pas lourds, elle se résolut à répondre à l'appel qui se faisait de plus en plus insistant :

- Il y a quelqu'un ? Je vous en prie, venez nous aider !

Sa voix était à peine plus qu'un murmure, mais elle fut pourtant entendue. Une autre voix, féminine, lui répondit doucement :

- J'arrive, j'arrive ! Vous êtes seule ?

- Non, mon amie est là, elle est blessée.

Un bref silence. La voix semblait se déplacer autour de l'entrepôt, comme pour essayer de trouver une ouverture. Elle reprit :

- Je ne peux prendre qu'une seule personne avec moi.

Aleksandra jeta un regard en coin à Delaynna. Elle n'avait pas le choix.


~ ~ ~ ~


Quand Delaynna ouvrit les yeux, elle ne vit d'abord que le plafond lumineux d'une vieille cabane. Le soleil entrait par une grande porte ouverte qui captait la lumière du jour et la dispensait dans tout le petit espace qui semblait scintiller de mille feux. Des flacons contenant des substances indéfinissables étaient alignés soigneusement sur une étagère vétuste, et ils semblaient absorber les rayons de l'astre solaire pour les dispenser ensuite face aux yeux de l'Elfe.

Son agitation attira l'attention d'une personne qui se trouvait là, affairée à une multitude de choses. Une femme menue, dont le visage était recouvert d'un épais turban, comme si elle voulait cacher ses traits. Elle tenait le foulard d'une main, gantée, et de sa peau seuls ses yeux étaient visibles, comme si elle s'efforçait de ne pas se dévoiler.

- Oh par Yavanna, fit-elle en s'agitant nerveusement, vous êtes réveillée. Zut, zut, attendez… attendez un peu… ah voilà ! Buvez ça, cela va vous aider à vous remettre.

Elle aida l'Elfe à boire une décoction tonique, qui eut le mérite de redonner quelques forces à la blessée, sans que cela ne l'empêche d'éprouver un profond mal de crâne. L'immortelle était encore fragile, et toute l'eau du monde ne l'aiderait pas à se rétablir.

- Vous êtes une Elfe, waou…

Le ton de la petite femme était admiratif. Elle avait une jolie voix, suave et délicate, mais elle semblait inquiète et nerveuse, comme si la présence de l'Elfe si proche l'effrayait.

- Je vous ai soignée, vous étiez blessée…

Elle fit un signe en direction de sa tête. La plaie de Delaynna avait été pansée de manière habile, sans même qu'elle eut besoin d'être recousue. Elle avait un vilain pansement dans les cheveux qui lui donnait une drôle d'allure, mais au moins elle ne saignait plus. Sa tunique était cependant souillée de son sang, salie par la poussière et froissée par les voyages inconfortables qu'elle avait subis.

La femme inconnue, qui tenait toujours sa décoction entre ses mains, ajusta son foulard et ajouta :

- J'ai pas pu sauver votre amie… J'avais qu'une place dans ma barque. Elle m'a demandé de vous emmener…

Et c'était ce qu'elle avait fait. Elle avait pris Delaynna, et s'était éloignée de l'entrepôt en toute urgence. Elle avait mis l'Elfe en lieu sûr, à l'extérieur de la ville, dans une vieille bâtisse où elle avait élu domicile quelques temps auparavant, quand elle-même avait décidé de rejoindre Esgaroth. Les lieux étaient froids, humides et glauques, mais elle avait connu pire. Ici, l'Elfe pouvait se reposer, se ressourcer, et refaire ses forces afin de déterminer quoi faire par la suite.

Cet enlèvement n'était pas anodin, et de toute évidence quelque chose de grave se tramait.


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Désillusions EmptyMar 14 Avr 2020 - 23:53

Delaynna parvenait à ouvrir les yeux à quelques reprises mais c’était encore difficile. Sa plaie avait quelque peu cicatrisé, pas suffisamment pour recouvrir ses forces. Elle avait besoin de plus d’eau. Aleksandra s’était mise à la tâche et tentait de saisir le sceau qui était le plus près d’elle. Cependant elle ne parvint qu’à avancer de quelques centimètres.

Deux de leurs ravisseurs entrèrent à nouveau dans l’entrepôt. L’un d’entre eux saisit la sénéchale par les cheveux et la menaçait. L’elfe entrouvrit les yeux et aperçut la scène.

-Non, fit-elle et s’en suivit d’un gémissement tellement sa tête lui faisait mal. Del fit une grimace de douleur. Elle voulait intervenir contre ses monstres afin qu’il lâche la sénéchale.

Dès que ses monstres quittaient la pièce, l’humaine et l’elfe demeuraient en silence. Delaynna observait la jeune femme auprès d’elle qui semblait s’être assoupie.

-Alek… gémissait-elle avec une voix qui montrait qu’elle reprenait du mieux. Nous… devons garder nos énergies pour… sortir… fit-elle avant de sombrer à son tour.

C’est Aleksandra qui brisait le silence en s’assurant que la dame de l’eau était toujours en vie. La tête de l’elfe était toujours aussi douloureuse et le bourdonnement avait diminué. Voulant s’assurer que la Dame de l’eau était toujours en vie à côté d’elle.
Elles entendirent une voix à l’extérieur de l’entrepôt qui s’adressait à elles. Aleksandra s’adressait à l’inconnu qui leur parlait. Delaynna comprenait ce qu’elles disaient. Une ombre s’approchait d’elle et vint la libérée et la saisir. Elle croisait le regard de son amie.

-Non… pas moi… gémissait-elle. Prenez-la à ma place… disait-elle alors que personne ne l’écoutait. On déposait son corps sur quelque chose de dur, ce qui semblait être une charrette. C’était le dernier souvenir qu’elle se souvenait avant de fermer les yeux.

Lorsqu’elle les rouvrit, elle ignorait combien de temps s’était passé depuis. Elle clignait des yeux à plusieurs reprises avant de réaliser que c’était la lumière du jour qui l’aveuglait. Delaynna tentait d’identifier l’endroit où elle se trouvait et n’y parvenait pas. Elle essayait de reconnaître tout ces flacons qui scintillaient grâce à la lueur du jour. Elle tournait sa tête sur le côté et aperçut la femme au visage couvert par un turban qui était proche d’elle. L’inconnue la forçait à boire un tonique qui la fit tousser.

Lorsqu’elle se redressa sur ses coudes l’elfe observait l’inconnue qui l’avait possiblement sauvé. Elle reconnut la même voix qu’elle avait entendue à l’entrepôt. Tous les événements du drame lui vinrent à l’esprit… le thé, le coup sur sa tête, ses créatures qui les tenaient prisonnières… Aleksandra. Delaynna constatait l’état des vêtements de sa sauveuse qui avait été couvert par son propre sang.

-Depuis combien de temps suis-je ici ? Que savez-vous de l’endroit où moi et mon amie nous étions ? demandait-elle. L’elfe essayait de se relever pour s’asseoir sur le petit lit qu’elle avait été installée afin de soigner sa blessure. Delaynna désirait tout savoir sur les événements qui avaient suivi cela.

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Ryad Assad
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Désillusions EmptyVen 8 Mai 2020 - 1:55
Delaynna ne paraissait pas récupérer, malgré tous ses efforts pour y parvenir. Elle était comme plongée dans une torpeur inexplicable, que rien ne pouvait dissiper : ni ses étonnantes capacités de guérison, ni le repos qu'essayait de lui imposer la femme encapuchonnée. Elle était bien étrange, mais d'une grande énergie paradoxalement : vivre seule dans cette cabane à peine salubre ne devait pas être facile, mais elle ne semblait pas s'en plaindre, et s'accommodait de toute évidence de cette vie assez rustique. Delaynna, qui avait davantage l'habitude des belles demeures elfiques, ne pouvait que mesurer le décalage qui existait et le dénuement le plus total dans lequel vivait cette femme dont le visage demeurait toujours caché.

En se redressant quelque peu, elle avait pu voir que la cabane n'était guère meublée, comme si cette femme était arrivée quelques semaines auparavant tout au plus. Arrachée à sa contemplation, Delaynna fut finalement contrainte de s'allonger et de rester tranquille, au risque de perdre l'équilibre et de faire une mauvaise chute. Sa guérisseuse n'acceptait pas de la laisser se fatiguer inutilement, et elle semblait préoccupée par l'état de l'Elfe. Elle passait fréquemment sa main sur le front de celle-ci pour prendre sa température, en supposant que le métabolisme des immortels fonctionnait comme celui des Hommes.

Il fallait admettre que c'était bien la seule chose qu'elle pouvait faire pour surveiller le rétablissement de l'immortelle, après avoir constaté qu'elle était encore sous l'influence de cette faiblesse étrange, de cet étourdissement difficile à expliquer. Peut-être que les symptômes passeraient avec un peu de temps, mais pour l'heure rien n'était moins sûr. Elle devait surveiller cela avec une grande attention.

L'Elfe, cependant, était moins préoccupée par sa santé que le sort de la Sénéchale, et c'était parfaitement compréhensible. Abandonner une amie dans de telles conditions n'était pas chose facile, même pour une immortelle dont la vie était si longue que celle d'Aleksandra lui semblait aussi brève qu'un battement de cil. La compassion de l'Elda était tout à son honneur, mais elle devait aussi penser à sa propre santé si elle voulait pouvoir aider quiconque.

- Restez tranquille, vous ne voudriez pas vous blesser bêtement.

La petite femme savait se faire respecter. Elle s'assura que l'Elfe était apaisée, avant de chercher dans les innombrables fioles qui habillaient le mur de sa cabane. Elle marmonnait quelque chose, comme si elle essayait de retrouver un ingrédient particulier, ou qu'elle se questionnait sur un dosage. Cela ne signifiait pas qu'elle ne se préoccupait pas de l'autre femme, celle qui était toujours prisonnière dans l'entrepôt, entre les mains des trois créatures inconnues. Le danger était bien réel, et personne ne souhaitait apprendre une tragique nouvelle. Pour autant, il ne fallait pas sombrer dans la panique, et essayer de raisonner convenablement. Elle se tourna vers une petite table pour préparer une nouvelle décoction, et souffla :

- Vous devez reprendre des forces, et vous reposer. Vous n'êtes pas en état de faire quoi que ce soit pour l'heure.

Mais Delaynna ne souhaitait pas oublier son devoir envers la Sénéchale, et elle s'empressa de demander des informations pour pouvoir réfléchir sereinement à tout ceci. L'incertitude pouvait être un poison, et il fallait le combattre. La femme le comprit, et essaya de répondre à la question qui lui était posée de la manière la plus simple et directe possible.

- Vous êtes ici depuis hier, vous avez passé toute la nuit avec une sacrée fièvre, qui n'est retombée que dans la matinée. A vue de nez, il est plus de midi, d'où le grand soleil. Je pense que vous aviez besoin de vous reposer, le coup que vous avez pris sur la tête… ce n'était pas joli à voir.

Ayant terminé son breuvage, elle le laissa reposer quelques secondes, et s'affaira dans son sac. Elle en sortit de nouveaux onguents, qu'elle disposa autour d'elle avec une dextérité rare. Elle avait réalisé un cataplasme protecteur qui avait arrêté le saignement et permis à Delaynna de ne pas s'évanouir dès qu'elle s'était réveillée. Cependant, il serait essentiel de veiller régulièrement à ce que la blessure ne se rouvrît pas.

- Ce que j'en sais ? Hm… C'est une drôle de bicoque isolée, un entrepôt qui appartenait à Esgaroth, mais qui n'est plus utilisé depuis des années. Mais vous savez, si les gens qui vont ont capturé ont vu que vous étiez absente, ils ont sans doute emmené votre amie ailleurs. Je ne suis pas sûre que vous la retrouverez là où vous l'avez laissée.

Elle marqua une pause, en se rendant compte que ses paroles pouvaient paraître bien cruelles. Elle n'était pas habituée à faire preuve de tact :

- Je suis désolée.

Elle haussa les épaules, ajusta son capuchon, et continua à travailler dans un silence gêné. Il était évident qu'elle réfléchissait, mais elle préférait ne rien ajouter. Delaynna avait peut-être besoin de penser, elle aussi. Cependant, elle finit par craquer.

- Vous êtes une Elfe… vous êtes à Esgaroth pour enquêter sur les disparitions du lac, n'est-ce pas ?

La rumeur s'était répandue bien au-delà de la cité, et il n'était pas étonnant de voir des gens qui n'habitaient pas directement à Esgaroth être au courant. Cependant, elle paraissait connaître des choses, avoir vu des choses dont elle ne disait encore rien.

- Pensez-vous qu'il s'agisse de magie ? Pensez-vous que nous devrions nous inquiéter, nous qui sommes loin de tout ?


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Désillusions EmptyLun 11 Mai 2020 - 0:10

« Vous devez reprendre des forces, et vous reposer. Vous n'êtes pas en état de faire quoi que ce soit pour l'heure. »
Ce fut la surprise qui saisit l’elfe lorsqu’elle tentait de se redresser sur les coudes mais fut vite étourdie par l’effort qu’elle avait fait. La femme au capuchon vint l’aider à se redresser et ajustait le petit oreiller de fortune. C’est alors qu’elle vint s’asseoir en face d’elle pour répondre aux questions de l’elfe.

« Vous êtes ici depuis hier, vous avez passé toute la nuit avec une sacrée fièvre, qui n'est retombée que dans la matinée. A vue de nez, il est plus de midi, d'où le grand soleil. Je pense que vous aviez besoin de vous reposer, le coup que vous avez pris sur la tête… ce n'était pas joli à voir. Ce que j'en sais ? »

Elle vint lui mettre un peu d’onguent sur la plaie. Delaynna s’interrogeait sur le temps qu’elle avait été inconsciente. Elle avait l’habitude de guérir beaucoup plus vite. Elle déposait délicatement sa main sur la sienne afin qu’elle cesse ses soins. La Dame de l’eau lui offrit son habituel sourire rassurant et convainquant.

-Votre geste est fort honorable… mais je n’ai pas besoin de tous ses soins… apportez-moi à la source d’eau qui est près d’ici et je serai en mesure de guérir par moi-même… Je ne veux pas que vous gaspilliez les ressources médicinales sur une elfe alors que tant d’hommes en ont de besoin madame.

La femme au capuchon arquait un sourcil lorsque Del lui parlait de la source d’eau près de la cabane de fortune de celle-ci. C’était un des dons naturels de l’elfe de sentir les sources d’eau près d’elle. Elle reprit vite le cours de la discussion et poursuivit :
« Hm… C'est une drôle de bicoque isolée, un entrepôt qui appartenait à Esgaroth, mais qui n'est plus utilisé depuis des années. Mais vous savez, si les gens qui vont ont capturé ont vu que vous étiez absente, ils ont sans doute emmené votre amie ailleurs. Je ne suis pas sûre que vous la retrouverez là où vous l'avez laissée. »

Le sourire de l’elfe rapetissait un peu suite aux paroles crues de la femme au capuchon.

-Vous avez raison, ils ont probablement mon amie ailleurs lorsqu’ils ont constaté mon absence… ou seuls les dieux savent ce qu’ils ont fait d’elle… Sa vie vaut beaucoup plus que la mienne croyez-moi et c’est pourquoi nous devons la retrouver…

« Vous êtes une Elfe… vous êtes à Esgaroth pour enquêter sur les disparitions du lac, n'est-ce pas ? Pensez-vous qu'il s'agisse de magie ? Pensez-vous que nous devrions nous inquiéter, nous qui sommes loin de tout ? »

Delaynna croisait le regard de l’inconnue au capuchon. Elle se contentait d’hocher la tête en guise de réponse.

-Et vous, vous n’êtes pas originaire d’Esgaroth, n’est-ce pas ? Vous ne semblez être emménagé ici depuis peu… Retournait-elle la question à sa sauveuse. La situation est pire que je le pensais … De l’une des pires cruautés que j’ai rencontré dans ma vie d’immortel…

Delaynna essayait de s’asseoir face à la femme encapuchonnée. L’elfe tentait d’oublier la douleur. Elle regardait celle-ci et rajoutait :

-La jeune femme qui se trouvait avec moi est Aleksandra Rajenski, l’épouse de Roderik Rajenski, sénéchale des armées du roi Gudmund de Dale. Cet enlèvement ne relève pas hasard.

Sa tête continuait de brûler. Elle fermait les yeux très forts pour demeurer concentrer sur la discussion qu’elle avait avec la femme encapuchonnée. Lorsqu’elle levait les yeux vers les flacons éparpillés partout dans la petite cabane. Sa vision semblait se brouiller. Elle réalisait vite qu’une silhouette se promenait dans les flacons… comme un serpent. Delaynna sursautait et tentait de se redresser. C’était la même créature qui l’avait attaqué dans sa vision.

-Connaissez-vous les ménestrels ? Il me faut les rencontrer. Pour le bien de mon amie…

Del sentait qu’elle pouvait faire confiance à la femme qui avait tout fait pour la sauver. Mais jusqu’à révéler sa vraie nature ? Pour le bien d’Aleksandra, d’Achas et de Sig.

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Désillusions EmptySam 27 Juin 2020 - 15:53
HRP : Avec toutes mes excuses pour ce retard inhabituel, le confinement n'a pas été une période particulièrement propice au RP. Je vais essayer de répondre plus régulièrement à partir de maintenant : désolé !
_______________________


La petite femme écoutait le récit de Delaynna avec une grande attention, hochant la tête comme si elle enregistrait chaque information dans un recoin de son esprit, pour s'en servir plus tard. Curieuse manie qui laissait entendre qu'elle s'intéressait de près à tout ceci. Elle répondit d'une voix éraillée et un peu contrariée :

- La source ?

Elle marqua une brève hésitation. Comment pouvait-elle être courant de… ? Pendant un instant, elle se demanda si l'immortelle n'avait pas été consciente tout du long, ou épisodiquement, auquel cas elle aurait pu se souvenir qu'elles avaient croisé une source durant leur arrivée ici. Cependant, elle avait bien vérifié, et l'Elfe était restée dans ses songes pendant tout le trajet. Les Premiers Nés étaient des créatures mystérieux en Terre du Milieu, empreintes de ce que les Hommes appelaient magie. Était-ce la manifestation de cela ? La femme encapuchonnée n'aimait pas trop les tours et les ensorceleurs. Elle en connaissait quelques uns, rongés par l'avarice et l'appât du gain : des hommes qui prenaient plaisir à accumuler du pouvoir, et à l'utiliser pour dominer les autres. Elle se méfiait de ce genre de personnalités.

Cependant, l'Elfe ne semblait pas animée de mauvaises intentions, et elle avait laissé échapper ça avec le plus grand naturel, pas même pour essayer de l'impressionner. Alors, sur un ton plus léger, elle reprit :

- Oh ma petite, non, non, non, vous ne bougerez pas d'un pouce. Vous n'êtes pas en état. Et n'imaginez pas que je gaspille quoi que ce soit, ça non. La forêt regorge de choses utiles, de plantes, de simples. Ce n'est pas moi toute seule et les quelques malheureux qui viennent me voir qui auront besoin des décoctions que je vous prépare. Au contraire, ma toute belle, grâce à vous je dois travailler sur de nouvelles potions. C'est qu'une Elfe, voyez-vous, ça ne se rencontre pas tous les jours.

Elle eut un rire sec, et laissa Delaynna reprendre. L'Elfe était d'accord avec elle sur le constat de leur situation, à savoir la disparition probable de son amie, qui semblait être d'une importance capitale. La femme peinait à comprendre comme une humaine pouvait être plus importante qu'une Elfe, mais elle mit cela sur le compte d'une modestie élégante qui correspondait assez au caractère de l'immortelle. Elle ne dégageait pas cette désagréable supériorité que certains des siens pouvaient afficher en permanence quand ils s'adressaient à des Edain.

- Moi ? Fit la femme en réponse à la question de Delaynna.

Elle eut un nouveau rire.

- Oh je ne suis personne, pas une grande Elfe comme vous. Je suis arrivée à Esgaroth il y a quelques temps déjà, quand j'ai entendu parler de cette affaire sur le lac. Je suis venue pour essayer d'apporter mon aide aux gens d'ici, mais je crois qu'ils n'ont pas cru que je pouvais faire quoi que ce soit. Ils avaient peut-être raison, après tout…

Elle lâcha un soupir, qui ne semblait pas résigné pour autant.

- J'ai décidé de rester ici, à l'écart, et de me tenir au courant des choses qui se passent en ville. Je me dis que si la situation devait s'aggraver, ils accepteraient peut-être mon aide. Mais enfin, je ne suis pas dans la tête des hommes qui dirigent cette ville.

La femme semblait en savoir davantage qu'elle voulait bien le dire, mais ne semblait pas encline à en parler. Avait-elle proposé son aide au comte, elle aussi ? L'accueil de celui-ci n'avait pas dû être particulièrement chaleureux, et elle semblait garder une certaine rancune vis-à-vis du traitement qu'elle avait reçu. Changeant de sujet pour ne pas s'attarder sur les affaires qui lui rappelaient de mauvais souvenirs, elle rebondit sur la nouvelle terrible que lui apprit l'Elfe.

- La femme du sénéchal… C'est effectivement une terrible nouvelle !

Pour la première fois, elle semblait véritablement atteinte par quelque chose, sans que les raisons de son émoi fussent très claires. Elle ne connaissait pas l'identité d'Aleksandra, de toute évidence, mais son rang semblait l'animer d'une certaine crainte.

- Il faut espérer que rien ne lui sera fait, mais peut-on vraiment croire que ses ravisseurs voulaient l'enlever, elle ? Vous comprenez… la femme du sénéchal… qui aurait pu savoir qu'elle se trouvait à Esgaroth ?

La question était valide. Elle n'avait pas fait d'arrivée en grande pompe, et elle ne tenait pas un rôle politique si éminent que son visage était connu de tous. Les nobles de la ville étaient au courant, le comte naturellement, ainsi que sa famille proche. L'un d'entre eux avait-il un intérêt à la ravir ? C'était un acte d'une grande violence, qui pouvait avoir des conséquences terribles sur les auteurs. Pourquoi prendre un tel risque ?

Il manquait une pièce. Une pièce essentielle.

- Nous ferons de notre mieux pour trouver votre amie, je vous assure qu'il ne lui arrivera rien.

La femme déposa quelques affaires dans un baluchon, et donna une nouvelle tisane à Delaynna, censée apaiser ses migraines.

- Buvez, buvez. Quand vous aurez terminé ça, nous nous mettrons en route. Les ménestrels, je les connais oui. J'ai une embarcation, je vais vous conduire en ville. Mais je ne crois pas qu'ils pourront vraiment vous aider. A part composer des chansons et des poèmes… Il y a une personne, toutefois, qui pourrait vous assister.

Elle marqua une pause, comme si elle réfléchissait. Voyant que Delaynna l'écoutait, elle fit signe à cette dernière de boire sa tasse, et retourna à ses affaires.

- C'est une femme de qualité, vous ne pourrez pas la manquer. Elle est d'une grande beauté, et fait beaucoup jaser à Esgaroth. Elle aussi est arrivée il y a peu. On dit qu'elle est ensorceleuse, magicienne. Certains l'appellent la sorcière, mais ce ne sont que des racontars pour la discréditer. Allez lui parler, et elle pourra vous aider. A condition que vous l'aidiez d'abord, évidemment.

Sa dernière phrase fut ponctuée d'un hochement de tête, et elle rajusta l'écharpe qui cachait entièrement son visage, avant de se tourner de nouveau vers l'Elfe.

- Allez, buvez, buvez.


~ ~ ~ ~


Delaynna fut prise par un sommeil étrange peu après avoir embarqué. Elle ne put y résister, et sombra pendant toute la traversée, au point que lorsqu'elle se réveilla, ils approchaient déjà des abords d'Esgaroth. La femme barrait avec dextérité, et une force surprenante compte-tenu de son petit gabarit. Elle avait l'air plus grande tout à coup, comme si les formes et les dimensions évoluaient selon l'angle sous lequel l'Elfe l'observait.

- Ah, vous êtes réveillée ma belle. Nous arrivons à Esgaroth. Je ne peux pas aller plus loin avec vous, les gens d'ici ne m'aiment guère, et je ne veux pas d'ennuis. Je vous laisse descendre, et vous n'aurez plus qu'à rejoindre le ponton central pour pénétrer dans la ville. Soyez prudente. La femme dont je vous ai parlé n'est pas à Esgaroth souvent, mais j'ai l'intuition qu'elle viendra bientôt. Ayez confiance !

Sur ces paroles encourageantes, elle laissa Delaynna débarquer, et fit faire demi-tour à son embarcation. Il ne restait plus à l'Elfe qu'à pénétrer dans la ville, un chemin qu'elle avait déjà emprunté quelques temps plus tôt, et qui semblait étrangement familier.

Familier, mais différent à la fois.

Le ponton semblait interminable, s'étirant à l'infini vers cette ville minuscule qui paraissait ne pas vouloir grandir. Esgaroth n'était pourtant qu'un petit bourg en comparaison des grandes cités des Hommes et des Elfes, mais toutes les distances semblaient ne plus avoir de sens. Le véritable changement survint pourtant quand Delaynna arriva au contact des grandes portes, qui se trouvaient ouvertes pour l'occasion. Deux hommes montaient la garde, à l'instar des Miliciens qui assuraient la défense de la cité, à ceci près que les deux silhouettes n'avaient rien d'humain.

Le premier ressemblait à s'y méprendre à un porc au visage enfoncé, et au nez bouffi. Il avait la gueule béante et semblait baver une écume noirâtre qui se répandait sur son menton et ses joues énormes. Le second, courtaud, avait un œil disproportionné, énorme, qui ne parvenait pas à faire oublier l'autre moitié de son visage, qui semblait avoir été défoncée par un marteau. Il était lourdement appuyé sur une lance, et une épée pendait à son côté.

Ces deux créatures barraient l'entrée de la ville, et elles tournèrent simultanément la tête vers Delaynna.

- Halte ! Qui va là ?

La voix qui s'était adressée à elle était déformée, comme si elle sortait d'une trachée horriblement meurtrie. Elle était rauque et on entendait les relents des glaires qui se formaient et que le monstre cracha par terre avec application.

Mais qu'était-il arrivé à Esgaroth ?


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Delaynna
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Désillusions EmptyMer 9 Déc 2020 - 21:03

Surprise par l’insistance de la petite dame pour qu’elle boive la concoction qu’elle venait de faire, l’elfe fronçait les sourcils. Elle emmenait le bout de la bouteille près de son nez fin et reconnu un effluve de lavande.  Elle apportait le flacon à ses délicates lèvres. Le liquide glissait dans sa gorge et elle regardait la petite dame au long turban.

Ses paupières étaient devenues lourdes.  Elle essayait de battre le sommeil en tentant de se lever pour se diriger vers la source qu’elle avait nommé à la petite dame et tombait tout simplement inconsciente.

Elle ressentait le chaud et le froid, sans pour autant percevoir distinctement le vent frais du soir sur sa peau ou dans ses cheveux. Son esprit comprenait le mouvement, sans pour autant que ses muscles lui indiquassent qu'elle bougeait. Elle était à nouveau fermement ancrée dans ce matelas de fortune que lui avait offert la petite dame afin qu’elle reprenne des forces, mais ses songes étaient ailleurs. À nouveau près du Lac.

Et elle vit deux silhouettes embrouillées qui ressemblaient fortement à Sig et à Achas, sous la lourdeur de la brume nocturne.
Elle les vit, armés et prêts à attaquer la bête qui la hantait tant ainsi que les gens du lac. Encore une fois, elle ressentie le terrible froid qu’elle avait ressentie la première fois. Cependant, l’une des deux silhouettes fut attiré par le monstre. L’autre silhouette était figée et observait la citée d’Esgaroth. Sans réfléchir, la dame de l’eau courut jusqu’à l’eau et y plongea afin de sauver celui qui avait été happé par la bête. En s’enfonçant de plus en plus dans l’eau, elle voyait l’ombre de son ami s’engouffré dans les abysses du lac. Elle tentait de saisir la main de son compagnon mais sans succès, seul cet œil malveillant la dévisageait toujours à travers ses lourds sifflements…

Lorsqu’elle se réveillait en sursaut, ce fut sous les coups des vagues contre l’embarcation et la forte odeur de poisson. L’inconnue qui l’avait sauvé quelques heures auparavant, conduisait cette petite barque de pêcheur avec une telle dextérité jusqu’à Esgaroth. Delaynna remarquait qu’elle ne portait plus ses vêtements de dame de l’eau. Elle portait des vêtements simples qui pouvait parfaitement la faire passer pour une simple jeune fille de ville.

Cela prit quelques instants avant que la dame de l’eau réalise où elle se situait et à élaborer un plan. Les vagues qui se cognaient contre la barque étaient si fortes. Cette embarcation regorgeait de vieux outils de pêche. Delaynna ne questionnait guère d’où la provenance de ce moyen de transport, mais elle pouvait amplement user de créativité, avec ce que le petit bateau de fortune avait, pour passer inaperçu afin de pénétrer l’enceinte de la ville.

« Ah, vous êtes réveillée ma belle. Nous arrivons à Esgaroth. Je ne peux pas aller plus loin avec vous, les gens d'ici ne m'aiment guère, et je ne veux pas d'ennuis. Je vous laisse descendre, et vous n'aurez plus qu'à rejoindre le ponton central pour pénétrer dans la ville. Soyez prudente. La femme dont je vous ai parlé n'est pas à Esgaroth souvent, mais j'ai l'intuition qu'elle viendra bientôt. Ayez confiance ! »

Juste avant de sortir de l’embarcation, Delaynna entendait les mêmes sifflements qu’elle avait entendu durant ses songes. Elle regardait de tous les côtés de l’embarcation et constatait que c’était sans doute le fruit de son imagination…
Revenant vite à la réalité, elle aspergeait ses vêtements d’eau du fond de l’embarcation. À première vue, cela aurait pu dégoûter toute autre dame de l’eau, voire tout autre elfe. Delaynna oubliait vite son titre ainsi que sa race et fit tout en son pouvoir pour être déguiser. Elle couvrit sa longue tignasse soyeuse dans une capuche lourde qui camouflait bien ses oreilles fines. De plus, des restants d’algues dans le fond dans l’embarcation flottaient. Del en saisit dans ses mains et les frottaient l’une contre l’autre pour obtenir le résidu et en mit dans son visage et dans ses cheveux afin de paraître plus sale qu’elle en avait l’air.

Dans un éclat de rire, la petite dame lui lançait une petite besace. Del sautait sur le ponton et aidait en la poussant pour faire demi-tour afin qu’elle retourne d’où elle venait.  

-Merci, fit-elle. Delaynna ouvrait la petite besace que la petite dame lui avait offert. Celle-ci contenant un contenant vide, des pièces d’or ainsi qu’un couteau. Del fronçait les sourcils en constatant les objets que la petite dame lui avait remis. C’était des objets de fortune pour elle à cet instant.

Sur le ponton, Del sentait les vagues qui cognaient encore sur les poutres du ponton. L’air semblait s’assombrir et le sifflement était plus fort à ses oreilles. Il était si fort qu’on aurait dit qu’un vil serpent se trouvait sous ses pieds et qui l’observait, tel une proie.

Elle aperçut des gens du lac rentrer calmement dans la cité, avec des paniers remplis. Cependant, ils étaient tous interpellé par deux gardes imposants. Ils observaient chacun des paniers et parlaient très fort. Que s’était-il passé à Esgaroth ?
Une lueur blanche attirait l’attention de l’elfe, sur la surface de l’eau. Del se penchait pour voir ce qu’il y avait et vu la carcasse de poisson qui allaient mourir sur la berge. Elle descendit pour retrouver le cadavre et constatait que sur l’animal se retrouvaient nul autre que des sangsues.

Une idée lui vint à l’esprit. Avec le contenant vide que lui avait offert la petite dame, Del saisit les quelques créatures, qu’elle remplit d’eau afin de les conserver. Elle devait trouver le moyen de passer les gardes, et elle l’avait trouvé. Avec ces bonnes connaissances, elle savait très bien que les sangsues étaient des remèdes médicaux que les humains utilisaient et connaissaient très bien.

En s’approchant de l’entrée de la citée, l’une des deux créatures dévisageait la dame de l’eau. Entrant dans son personnage, Del reconnue l’une des créatures. Elle était présente durant son enlèvement et celui d’Aleksandra. Elle passait une main recouverte de sable sur son visage et dans ses yeux devinrent rouge dû à la brûlure.

« Halte ! Qui va là ?!» hurlait une voix déformée à l’adresse de la jeune femme.

Delaynna serrait fort son contenant de sangsues. Elle prit une petite voix qui faisait fort penser à une adolescente.

-C’est pour… c’est pour la maison de guérison… le maître guérisseur en a de besoin pour un blessé…

La bête approchait de l’elfe déguisée. Il reniflait le contenant de sangsues et reniflait l’elfe et fit une grimace de dégoût en constatant qu’elle sentait le poisson. Il reculait d’un pas et fonçait dans son camarade. Celui-ci devint agressif envers ce dernier et le repoussait. Del s’élançait et échappait à la vigilance des deux créatures.

Delaynna se glissait dans les ruelles d’Esgaroth sous le capuchon et la mauvaise odeur de poisson qu’elle avait volontairement mis sur elle. En mémorisant les dernières paroles de la petite dame avant qu’elle ne tombe inconsciente dans un songe qui l’a laissé avec un mauvais pressentiment, la dame de l’eau réfléchit. Comment pouvait-elle reconnaître ladite dame en question alors qu’elle n’avait aucune information pertinente sur elle ? Cela la dérangeait. Avec si peu d’informations, comment pouvait-elle venir en aide à Sig, Achas et même encore Aleksandra ?

Maintenant qu’elle était entrée dans la cité, Del se dirigeait vers la place publique. L’air y était sombre. L’ambiance présente n’était guère joyeuse. La dame de l’eau devait avant tout trouvé un endroit sur où elle pouvait se cacher. Elle ne pouvait certainement pas retourner à l’auberge… Les gens qui l’ont kidnappé savait qu’elle se trouvait à cet endroit.
Soudain, un groupe d’individu vint à son attention. Del fronçait les sourcils en constatant que le groupe en question, s’agissait d’orientaux. Que pouvaient-ils bien faire ici et ce, sans aucune guène quelque conte, ils se baladaient dans les rues d’Esgaroth. Del n’avait été qu’absente que quelques heures et toute la citée avait bel et bien changé, en mal ou en bien ? Là était la question.

Le visage à moitié caché sous la capuche, Del observait les gens qui travaillaient, passaient, enfant qui continuaient de jouer dans leur insouciance du monde qui les entoure. Deux hommes passaient près d’elle et la jeune femme écoutait leur discussion.

-Tu as entendu la rumeur ? Il semblerait que les elfes sont revenus de leur patrouille sur le lac!

-Et en plus, ils ramènent des sauvages avec eux ! Faut croire que le charme de ses sirènes ne leur font aucun effet, ça en fait peur !

Del eut un hoquet de surprise. Ils étaient revenus ! Aux yeux de tous, elle était disparue. Elle ne pouvait tout simplement pas réapparaître ainsi seule et sans Aleksandra avec qui elle était porté disparu. D’autres passants passaient près d’elle. Une nouvelle la laissait de glace lorsqu’elle entendit celle-ci :

-On dit que l’un d’entre eux est mort en à l’aube. Cela ne devait pas être beau à voir toutes ces marques…
Un second hoquet de surprise. L’un d’entre était mort ?! De qui parlaient-ils ?! Était-ce Achas ou Sig ?! Quelques petites larmes s’échappaient sur ses joues. Del se dépêchait à les essuyer. Il fallait qu’elle sache… Elle devait connaître l’identité de celui qui avait péril. Elle était prise au piège dans une citée qui regorgeait de vice et de cruauté.

Un jeune passant la dévisageait. Del se contentait de détourner le regard, en songeant qu’il pouvait sentir son odeur à quelques mètres de distance. Le ciel commençait tranquillement à s’assombrir et ce dernier vint allumer la lanterne qui se trouvait à quelques mètres d’elle.

Alors que le jeune homme allait plus loin pour allumer le reste des lanternes de la ville, Del songeait à retrouver le sergent Hadden lui qui lui avait démontrer une allégeance sans faille la veille. Mais à quel prix était-il de mèche avec Saule ? Elle était amplement sûre que l’enlèvement d’Aleksandra relevait des ordres du compte et de ses sbires.  
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Ryad Assad
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Désillusions EmptyMer 16 Déc 2020 - 11:30
Esgaroth.

Combien de siècles s’étaient écoulés depuis la dernière fois qu’elle avait posé les pieds dans cette cité ? La dernière fois, elle y prenait un thé en compagnie d’une aristocrate, ayant conscience des enjeux de sa mission, mais confiante dans leurs chances de réussir. Désormais qu’elle y revenait, tout semblait être différent. Les créatures qui l’avaient enfermée, et qui s’étaient emparées de la Sénéchale Rajenski-Orlova, étaient désormais partout. Des monstres difformes, aux visages effrayants, aux silhouettes menaçantes, marchaient en ville comme si de rien n’était. Elles filaient dans les ruelles de la cité lacustre comme des chiens errants se dérobant dans les ombres pour y accomplir quelque maléfice.

Delaynna elle-même, grâce à son déguisement, se fondait parfaitement dans cet univers déliquescent. Elle évoluait avec autant de discrétion qu’il était possible, tendant l’oreille, grappillant des bribes d’information qui pouvaient lui permettre de faire le point sur la situation. Et ce qu’elle apprenait ne pouvait pas être plus effrayant. Des Orientaux dans la cité, des rumeurs toutes plus terrifiantes les unes que les autres, notamment concernant la mort d’un de ses compagnons. Naturellement, la mort n’avait pas le même sens pour les Humains et pour les Elfes, mais la perte d’un Elda était une tragédie… Leur absence en Terre du Milieu était un déchirement qu’elle ne pourrait surmonter que lorsqu’elle-même rejoindrait les terres immortelles de Valinor.

Mais pour l’heure, elle avait une mission à accomplir.

Esgaroth ne semblait plus être aussi accueillante que par le passé, et elle était contrainte de se méfier de tout le monde. Les créatures étranges avaient envahi la cité, et les Humains semblaient en avoir été chassés. Elle-même avait réussi à y rentrer sans difficulté, mais n’était-ce pas là un piège ? Certains de ces monstres l’observaient avec dégoût, d’autres avec un mélange de crainte et de curiosité, sans pour autant oser l’approcher.

Et puis il y avait ceux qui semblaient assez suspicieux pour tenter quelque chose.

Deux d’entre eux, qui portaient des lances et de larges épées au côté, semblèrent remarquer la démarche étrange de Delaynna, son attitude conspiratrice, sa façon de se cacher et de fureter ici ou là. Ils se firent un signe entendu, et mirent le cap dans sa direction, forçant l’Elfe à s’esquiver en tournant abruptement à l’angle d’une ruelle qui s’éloignait du centre de la ville. Les oreilles de Delaynna lui permirent d’entendre que les hommes derrière elle pressaient le pas, affichant clairement leur intention de l’appréhender.

Alors qu’elle-même cherchait à échapper à ses poursuivants, cherchant du regard le meilleur chemin à prendre, elle fut brusquement saisie par le bras par des mains puissantes, et tirée hors de la rue où elle se trouvait, à l’abri dans un passage fin mince et si discret qu’elle ne l’aurait pas remarqué. Elle eut simplement le temps de voir quelques mandibules, une tête ressemblant étrangement à celle d’une fourmi, avant que la créature ne l’entraînât dans les ombres, à l’abri.

- Chut ! Pas un bruit ! Fit le monstre en la traînant fermement par le bras.

Les poursuivants de la jeune Elfe passèrent sans les voir, et leurs pas s’éloignèrent bientôt dans une autre direction.

- Venez, venez, ne traînons pas ici…

La drôle de créature ne lâchait pas la main de Delaynna, l’entraînant toujours plus loin dans les profondeurs putrides de la ville, là où l’on stockait et dépeçait les poissons qui servaient à nourrir la cité. La pêche était sévèrement contrôlée depuis les attaques sur le Lac, afin de garantir que la famine ne toucherait pas la ville, mais le marché était désert. Pas la moindre âme vivante, à l’exception peut-être de quelques rats qui détalèrent sur leur passage. Des rats anormalement gros, aux yeux bouffis de rage. L’un d’entre eux bondit avec une agilité surprenante, et se retrouva au sommet d’un tonneau, observant Delaynna et la créature-fourmi qui ne s’arrêta pas le moins du monde en passant à côté.

D’où venaient ces choses ?

Finalement, la créature-fourmi s’arrêta dans un endroit désert, et se tourna vers Delaynna avec un empressement que trahissait l’agitation de ses antennes :

- Vite, donnez-moi votre or avant qu’ils reviennent…

Combien de doigts avait la main tendue devant l’Elfe ? Sept, huit ? Cela n’était pas naturel. Pas plus naturel que le petit couteau que la créature-fourmi tenait dans l’autre, et avec lequel elle menaçait Delaynna. Une arme ridiculement petite, mais qui pouvait sans doute faire beaucoup de dégâts si l’Elfe n’y prenait pas garde. Elle était encore affaiblie, et rien ne lui garantissait qu’elle parviendrait à se défaire du monstre facilement. Cependant, quelque chose clochait… Était-ce de la peur qu’elle décelait dans le ton de la créature ?

- Je vous en prie, ne faites pas d’histoire. Je veux juste votre or, rien d’autre.

La main qui tenait le couteau tremblait-elle, ou était-ce une illusion ? Tant de questions, qui exigeaient une réponse.


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