Le feu crépitait doucement dans les deux cheminées de l’auberge du Chameau qui Tousse. Gale, le propriétaire, lavait consciencieusement d’épaisses chopes en grès. Une petite dizaine de clients restaient encore dans la salle commune. Une bonne partie d’entre eux étaient assis à la longue table commune. D’autres s’étaient installés dans les fauteuils confortables au coin du feu. Enfin, certains préféraient se prélasser dans le grenier où une petite pièce d’entrainement avait été aménagée.
L’auberge avait été fort fréquentée ces derniers jours. Bien que Tharbad soit une ville de passage, le nombre de client demeurait anormalement élevé. Observateur, le tenancier avait clairement identifié trois groupes parmi sa clientèle.
Le premier groupe était arrivé un peu avant les autres. Il était constitué de voyageurs aux tenues de marchands mais dont la trogne évoquait davantage de vieux soldats.
Le second groupe était celui qui plaisait le moins à Gale. Des hommes et des femmes à la dégaine peu engageante et aux allures d’assassins. Il se méfiait particulièrement d’un grand échalas au teint “pas de chez nous”.
Enfin le troisième groupe était celui qui lui était le plus sympathique. Des voyageurs avenants, à l’air bonhomme. En particulier un géant au pas lourd et à l’accent du nord. Ses amis semblaient l’appeller affectueusement “le mini-cou” ou quelque chose du genre.
Dans la salle commune, chacun feignait de ne connaître personne. Cependant, l’aubergiste avait surpris plusieurs rassemblement suspects et des signes de connivences clairs.. Ses soupçons avaient été confirmés quand le groupe des sales gueules et le groupe du “mini-cou” s'étaient rassemblés le matin chacun de leur côté avant de partir à l’extérieur. Ils étaient rentrés juste avant le repas, les bottes crottées et la mine soucieuse.
L’après-midi avait donné lieu à de nombreuses conversations et autres défis comme cela arrivait parfois lors des journées pluvieuses. Les vétérans s’étaient mêlés à l’affaire et avaient beaucoup parlé...
La soirée avait battu son plein, le troisième groupe se mêlant à la fête. Gale s’était échinée à préparer un plat dont il avait le secret. A un moment, comme par magie, l’auberge s'était vidée… Il n’était resté que ceux que les vétérans.
Gale n’aimait pas se poser trop de questions et avait donc repris sa vaisselle comme si de rien n’était.
***
Bohor curait ses ongles à l’aide de la pointe de son couteau. Il se tenait les jambes posées sur la table, la chaise en équilibre sur deux pieds.
“ Ca fait un moment qu’il est parti non ?”, chuchota-t’il à Dennys son comparse de toujours.
Dennys maugréa quelque chose d’inaudible avant de plonger ses lèvres dans la chope de bière noire qu’il avait devant lui.
Avant que Bohor ne puisse tenter de relancer la conversation, la porte s’ouvrit à la volée. Une vingtaine d’hommes en arme se glissèrent tels des ombres dans la salle commune. Une partie d’entre eux portaient une broche en forme de rose noire tandis que les autres portaient l’uniforme bien connu de la Garde du Chemin Vert.
“ Le Haut-Roy est seul dans la forêt et sa garde boit des pintes à l’auberge. Le Gondor va mal.”
Le ton était acerbe et plein de reproches. L’homme qui avait prononcé cette phrase était grand et élancé, sa stature laissait néanmoins entrevoir une solide musculature. Il portait un lourd manteau dont la capuche cachait quasiment l’intégralité de son visage.
Bohor s'apprêtait à reprendre l’impudent quand son oeil fut attirée par le pendentif qui pendait à son cou. Une pierre dont l’éclat ne laissait aucune doute.
“Votre majesté…”, glissa-t’il dans un souffle.
Aldarion ne releva même pas le mot.
“ Premièrement, commença le Roi d’Arnor, vous n’avez rien à faire en Arnor sans en avoir averti mes services. Deuxièmement, vous n’avez pas à laisser votre seigneur partir seul dans la forêt. J’ai honte pour vous.”
Bohor inclina doucement la tête.
“Le Haut-Roy Mephisto est accompagné par deux gardes, la situation est sous contrôle.”
Les yeux d’Aldarion lancèrent des éclairs.
“Mes hommes m’avertissent que le Haut-Roy est suivi par une troupe du Cercle et du Crâne, une grosse dizaines selon nos sources. De toute évidence la perspicacité des troupes de l’Arbre Blanc n’est plus ce qu’elle était.”
Derrière le roi, un homme à l’allure sinistre souriait d’un air satisfait mais cela, personne ne le remarqua dans le branle-bas de combat général.
***
Les mercenaires du Cercle et du Crâne avaient passé la journée à chercher le lieu de rendez-vous entre leur cible et sa maîtresse. Ils avaient suivi les consignes avisées du mystérieux Etincelle.
Ils étaient parti dans la nuit dès qu’il avait eu le signal. Le point de rencontre approchait quand Etincelle apparut sur le chemin. Il maintenait fermement un hommes de l’escorte de leur cible.
“Chien gondorien ! Crapule de l’Arbre Blanc ! Le cercle est la vie et le crâne est la mort. La vie s'achète, la mort se donne.”
Etincelle éclat alors d’un rire maléfique.
“ Le Haut-Roy Mephisto est là…”, fit-il en pointant du doigt ine direction un peu plus loin sur le chemin.
“Sa majesté cours la gueuse au fin fond de l’Arnor. Il en oublie toute prudence. Il est seul, son escorte est neutralisée. Il est à vous… Soyez le crâne, offrez lui sa mort !”
Tandis qu’il terminait ces paroles, il planta un couteau dans la gorge de son prisonnier. Comme en réaction, un homme se rua hors d’un fourré un peu plus loin et dans la direction indiquée par Etincelle.
Les mercenaires échangèrent un regard… certains d’entre eux hésitaient peut être vu la nature de leur cible.
***
Le Capitaine Vimes se tenait accroupi dans le sous-bois. Il se cachait avec un petit groupe d’aventuriers rassemblés à la hâte sur les ordres d’Aldarion. Le Roi d’Arnor ne pouvait pas intervenir dans cette affaire de manière officielle et avait chargé cet officier de confiance de cette délicate mission.
Le temps était humide et peu propice aux rencontres romantiques en pleine nuit. Pourtant, le Haut-Roy Mephisto était bien planté au milieu de la clairière tenant entre ses mains fines les doigts d’une charmante jeune femme.
Mephisto lança un étrange regard à Vimes, partagé entre le déplaisir d’être pris en mauvaise posture et un certain sentiment d’impunité. Ce qu’il faisait dans les bois ne regardait que lui.
Avant qu’il n’ait le temps d’ouvrir la bouche, un craquement sinistre se fit entendre annonciateur de l’arrivée d’un homme dans la petite clairière. Le Haut-Roy lui jetta alors un regard interrogateur.
“Ils arrivent majesté… Il va falloir défendre votre vie.”
Sans attendre davantage, le capitaine Vimes suivi des ses hommes sortent définitivement des fourrés pour se ranger aux côté de Mephisto, l’épée au clair..
“Pour le Roy ! Fortifiez la position.”
***
Aldarion se tenait à une trentaine de mètres de l’action. Il était immobile, impassiblement assis sur Aenes le mearas que le Vice-Roi Mortensen lui avait offert lors de son mariage. L’animal se montait à cru ce qui n’était pas pour lui déplaire. Sa robe blanche n’était par contre pas un gage de discrétion. Dans tous les cas, il ne s’approcherait pas davantage de la bataille qui faisait rage.
Ballas se tenait à ses côtés, l’épée déjà sortie de même que l’homme au sourire mauvais. La garde de la rose connaissait le mot d’ordre. Si cela se mettait à devenir critique pour Mephisto, la moitié d’entre eux devait rejoindre le combat et exfiltrer le Haut-Roy. L’autre moitié devait accompagner Aldarion dans la direction opposée. Le Royaume Réunifié ne pouvait pas perdre son souverain et son héritier le même jour.
Le combat faisait rage, un géant s’acharnait à défendre le Haut-Roy envers et contre tout. En face de lui, un nain à l’esprit mauvais tentait de percer sa défense en passant entre ses jambes pour toucher Mephisto. A l’arrière des combats, un jeune homme blond observait la scène.
“Le Cercle et le Crâne…”, fit Aldarion dans un souffle.
L’homme à l’air mauvais approuva d’un hochement de tête. Il faudrait s’en occuper.
La situation commençait à sérieusement dégénérer. Le nain était vif et un grand mince à l’air retors faisait également du dégât. Les ennemis jaillissaient de partout.
Soudain un cri déchira l’atmosphère. Une jeune elfe à l’air sadique venait de transpercer le coeur de l’amante de Mephisto. Aldarion posa instinctivement sa main sur la poignée de Vandadanath. Il croisa le regard de Ballas.
Avant qu’ils ne puissent réagir des cris de guerres retentirent dans le sous-bois. Les hommes du Haut-Roy étaient enfin arrivés, changeant totalement le cours de la bataille. Les hommes du Cercle se dispersèrent immédiatement dans la forêt, fuyant la charge furieuse de l’escorte gondorienne.
Ses hommes avaient amenés avec eux le cheval de Mephisto. Il monta dessus sans perdre un instant, jetant néanmoins un dernier regard à son amour secret. La cavalerie détala en quelques minutes.
De l’autre côté, à bonne distance, l’homme blond observait toujours la scène. Aldarion se tourna vers l’homme au sourire mauvais.
“Ibn-Lahad…”
L’autre approuva à nouveau silencieusement. D’un coup de talon sec, il dirigea son cheval au galop à la rencontre de l’homme du Cercle et du Crâne. Deux hommes le suivirent immédiatement. Sa proie n’attendit pas son reste… la chasse avait commencée.
Aldarion fit tourner bride à Aenes avant de se lancer à la poursuite de son oncle. Ils avaient à parler.
***
La clairière avait retrouvé son calme. Il ne restait qu’une poignée d’aventuriers et le corps sans vie d’une femme innocente… seulement coupable d’avoir aimé un Roy.
