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 Les racines du mal

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Nathanael
Espion de l'Arbre Blanc
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Nathanael

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Les racines du mal EmptyDim 5 Avr 2020 - 21:10
Les racines du mal Lome_a10

— D’où vient-elle ? demanda dame Eliabel à son aîné.
— Elle prétend venir des terres du nord, de l’autre côté des montagnes.
— Le nord est aussi vaste que le sud et l’est. T’a-t-elle donné au moins, le nom de son royaume ?
— Elle m’a dit ne servir aucun roi ni aucune reine. Aucun seigneur non plus. Elle souhaite se mettre à notre service et participer à la prochaine cérémonie.
— Pour quelles raisons ?
demanda Eliabel. Qu’espère une femme seule contre le bras armé de solides gaillards gondoriens ? Sait-elle seulement à quoi elle s’engage ?
— Elle n’a pas voulu m’en dire plus et souhaite vous rencontrer. Elle estime que vous êtes la mieux placée pour faire un choix, mère.
— Alors fait là entrer Brand. Au point où nous en sommes…


Veuve du seigneur Jehan Chaborgne, Eliabel avait depuis de longues années la responsabilité de la châtellenie de Lanche Noire. Pauvre en terres, pauvre en hommes, le petit fief peinait à assurer des revenus stables à cette famille dont les racines plongeaient aussi profondément dans les montagnes que dans l’histoire de la Vallée de Morthond. Ils étaient de souche pure, comme ils aimaient à le rappeler, et leurs ancêtres avaient été parmi les premiers Rescapés, ceux qui avaient osé repeupler les flancs vertigineux des montagnes blanches après le Grand Tremblement.

Forte de caractère, de hanche et de poitrine, Dame Eliabel offrait généreusement au regard les largesses de sa personne. Coincée dans une chaise qui semblait un peu trop étroite pour l’accueillir, elle regarda la jeune femme s’avancer, le visage couvert d’un masque reptilien. À travers la fenêtre ouverte, la limpidité du ciel coulait sur les écailles de son armure. L’étrangère semblait parée d’azur liquide et cet éclair de lumière entre les murailles sombres du château rappela à Eliabel les légendes des ménestrels. Surprise par la facture du halecret, Eliabel pinça les lèvres, méfiante. Pourtant, la jeune femme respecta scrupuleusement l’étiquette et se pencha pour saluer la maîtresse des lieux avec élégance et souplesse. Caparaçonnée de métal, ses gestes n’en demeuraient pas moins fluides et graciles.

— Mon fils aîné m’a transmis votre requête. J’aimerais néanmoins comprendre un peu mieux votre démarche. Pourquoi souhaitez-vous servir notre famille pour la cérémonie de la Purification ?
— Avez-vous un champion ?
répondit la jeune femme, de petites rides étirant le coin de ses yeux.

En vérité, il y en avait eu plusieurs. Le frère cadet de la famille, Marhari, avait le bras fort et les reins solides. Mais il s’était blessé lors d’un entraînement quelques semaines plus tôt. Son genou le faisait souffrir atrocement et il peinait à monter seulement les marches qui menaient à sa chambre. L’opposant qui l’avait heurté à la jambe, Jorund, Rohirrim de souche était venu par les sentes escarpées jusque chez eux quelques mois auparavant pour fuir les persécutions. Solide et bien bâti, il aurait fait un bon parti, mais en bon fils du vent, il était reparti on ne savait où et personne n’avait plus eu de nouvelles depuis la nouvelle lune. Brand s’était proposé, mais sa mère répugnait à voir l’héritier de la châtellenie prendre des risques aussi importants pour chasser quelques chimères du passé. Saule, leur échanson, aurait pu faire l’affaire. Mais il exigeait une récompense qu’Eliabel n’était pas prête à lui concéder. Mêler son sang à celui de la roture ne faisait pas partie de ses projets. Constance, sa propre fille, avait failli s’enticher de leur serviteur, mais, fort heureusement, ses frères avaient veillé à calmer les ardeurs naissantes de la jeune fille en lui détaillant les conséquences de la grande vérole.

— Je connais vos pensées dame Eliabel, murmura l’étrangère. Une femme saurait-elle faire face à la brutalité guerrière des hommes ? Quelle chance le sexe faible a-t-il contre la force virile des mâles ? Peut-on croire qu’une dague ou une épée, guidée par la main d’une femme, saura atteindre son but ?

Derrière son masque d’écailles, la femme croisa le regard de Brand, aux côtés de sa mère. Il tressaillit, saisi par l’acuité des yeux qui l’observaient. La seconde d’avant, il aurait refusé catégoriquement cette femme comme leur championne. Elle était trop petite, trop fragile, trop légère. Comme ces moineaux qui font osciller les rameaux des frênes, mais peinent à faire frémir la branche d’un arbre. Mais étrangement, la lueur qui brillait dans ses yeux rappelait davantage celle des rapaces qu’il utilisait pour la chasse. La voix de sa mère le sortit de ses réflexions.

— Et ne pensez-vous pas que je devine vos intentions ? Il est facile, bien sûr, d’envisager mon parti. Je suis femme moi-même et je peux m’enorgueillir d’avoir su tenir tête à des seigneurs qui s’imaginaient que nous ne sommes bonnes qu’à écarter les cuisses. Alors, je devrai, en quelque sorte, approuver votre initiative et applaudir n’est-ce pas ? Mais je suis femme, oui, et je sais bien de quoi nous sommes capables pour assouvir nos ambitions. Dites-moi quelles sont les vôtres. Soyez honnêtes, ou mentez bien, car si d’aventure nous apprenions que vous conspirez contre nous, je vous ferai trancher la poitrine et je vous coudrai moi-même les nymphes. Et dites-moi, d’abord votre nom.
— Lome, répondit la jeune femme en courbant lentement l’échine. Je viens des Monts Brumeux, où les petites filles apprennent à se battre aussi tôt que les garçons. D’un pays de poussières où l’on n’a comme amis que la faim et la solitude. Ou l’on apprend que les hommes et les femmes sont faits de sang et de chair, que le premier coule et que la seconde se tranche. Je ne sers que moi-même. Et c’est la renommée que je veux. Votre or m’importe peu, vos fils non plus et vos terres me rebutent.


Sans sourciller, Eliabel esquissa un sourire presque affable.

— Qu’en penses-tu, Brand ? demanda la mère.
— Que seule la montagne est juge et que nul ne peut ignorer sa sentence. Et que nous aurions peut être une chance, cette année, de donner un véritable sens à la cérémonie de la Purification.
— Sages paroles mon fils. Soyez bienvenue parmi nous, Lome.


La châtelaine frappa dans ses mains et un homme boiteux s’avança pour se courber devant sa maîtresse.

— Thibert vous mènera dans l’aile nord où la vue sur les montagnes est la plus majestueuse.


Sans autre forme de cérémonie, leur entrevue cessa comme elle avait commencé, dans un bruit de pas claquant sur les dalles froides. Lome fut menée à ses appartements. Les affaires qu’elle transportait sur ses deux chevaux furent montées jusque dans sa chambre. Seuls le vieux boiteux et un jeune homme d’une vingtaine d’années s’étaient présentés pour l’aider. La main-d’œuvre manquait dedans, et, à en croire l’état des champs, manquait aussi au-dehors.

Alors que la nuit se glissait doucement jusqu’au sommet du Dwimorberg, Lome sortit d’une boîte un pigeon qui battit des ailes en retrouvant un peu d’espace. Dans un roucoulement peiné, il chercha à se libérer de la main qui lui retenait les pattes. Lome se saisit du petit étui en métal qu’elle avait scellé un peu plus tôt et l’attacha à l’animal. Une fois lâché, le pigeon prit un peu de hauteur et fila en direction du Lamedon et des régions plus à l’est. La jeune femme ôta le masque qui lui cachait le visage et commença à le nettoyer pour en ôter la poussière. Celle des geôles gondoriennes, celle des chemins montagneux, celle des morts. Le petit Nast, le bel Hans, le grand Olson. Il lui avait fallu faire bien des tours et des détours pour atteindre ce dernier, au cœur même de la cité blanche. C’est qu’il avait été bien gardé. Elle sourit à part elle. Ils avaient réussi en fin de compte, c’était tout ce qui comptait. Et son ami lui était venu en aide, en temps et en heure. Elle s’en étonnait encore. Un drôle d’oiseau lui aussi.
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Les racines du mal EmptySam 27 Juin 2020 - 0:03
Les racines du mal Lome_a10

Si les nouvelles s’avéraient vraies, le jeune homme disparu ne reviendrait jamais. Son corps s’était révélé introuvable et l’architecte de Dol Amroth avait rapporté des propos incohérents à Dame Eliabel avant de regagner la cité de Casthond pour faire son rapport au seigneur Ludgar. Brand, l’aîné de la maison et chef de famille s’était emporté contre les velléités des hommes des villes et des vallées. Son cadet, Marhari, s’était quant à lui inquiété de la mort d’un garçon des montagnes et des implications que cela entraînerait pour la cérémonie de la Purification.

— C’est un signe, avait-il dit. Un mauvais signe. Les morts nous mettent en garde.

Il avait dardé sur Lome un regard pénétrant avant de quitter la salle de son pas traînant et inégal. Eliabel et son aîné s’étaient ensuite entretenus en privé et la jeune femme n’avait rien su de plus par la suite. Recluse dans une chambre froide aux murs sombres, elle ne trouvait de réconfort que dans l’observation des pics enneigés et des vallées encaissées qui s’étiraient au-delà de la fenêtre de ses appartements. L’aile nord, ainsi nommée, n’était qu’une extension de pierre constituée de trois pièces mal chauffées dont les ouvertures donnaient sur les Montagnes Blanches. La cheminée disproportionnée de la pièce principale ne permettait guère de chauffer que les courants d’air. Saule et Thibert étaient incapables de fournir assez de bois pour entretenir une flambée digne de ce nom et les flammes qui parvenaient à ronger les bûches fournissaient juste assez de chaleur pour ne pas prendre l’onglée. Quelle que soit l’heure de la journée, et malgré la saison avancée des premières coupes de foin, le souffle qui s’échappait de ses lèvres formait toujours un petit nuage de vapeur grisâtre. Tout semblait mort et terne aux alentours de la châtellenie de Lanche Noire.

Les prés mal entretenus disparaissaient sous les ronces aux abords des bois et les chiens efflanqués de la famille peinaient à repousser les hordes de sangliers qui descendaient des hauteurs pour labourer les terres à la recherche de vers et de racines. Le seul avantage de la situation était que les fils n’avaient pas besoin de partir bien loin pour chasser et la venaison présentée lors des repas était digne des plus grandes tables seigneuriales. Les pâtés et les terrines faisaient ployer les étagères sous leurs poids et les saucissons, les jambons fumés ou salés, les saucisses, le lard et les longues lanières de viande séchée exhalaient leur parfum dans les couloirs de la maisonnée. Le pain en revanche était pauvre et maigre, sec et dur comme la pierre alentour et n’avait aucun goût. Les tranchoirs devaient imbiber de longues minutes avant de pouvoir être mangés sans risque de perdre une dent. Le vin s’apparentait à un vinaigre de mauvaise qualité et sentait la pisse de bouc. Seules les liqueurs, confectionnées par Brand lui-même, avaient quelques valeurs.

Mais plus encore que pour la culture locale, Lome était venue jusque là pour entendre quelques bonnes histoires. Et les propriétaires des lieux n’étaient pas avares à ce sujet. Ils évoquaient facilement le passé de Morthond et les ragots des petites seigneuries. Marhari parlait parfois des contes qu’un précepteur lui rapportait, enfant. Assis dans un salon privé et partageant un alcool fort à base de jeunes pousses de sapin, ils discutaient souvent après le repas tout en mondant les noisettes de l’automne précédent. Le vieux Thibert en faisait ensuite une farine parfumée pour épaissir les sauces.

La famille Chaborgne n’était plus noble que par le sang et tout le monde s’affairait aux tâches quotidiennes au même titre que les deux serviteurs pour tenir la maison. Dame Eliabel avait feint la dignité quelques jours, jusqu’à ce que Lome la surprenne dans la cuisine, à tourner la soupe. La jeune femme masquée n’avait fait aucune remarque et s’était jointe en silence à la maîtresse de maison pour préparer le repas. Ils n’en avaient plus jamais parlé depuis et Lome prêtait main-forte quand le besoin se présentait pour aider cette vieille famille descendante des Rescapés.

Installés tous ensemble autour d’un âtre nourri de bois presque vert, ils s’évertuaient ce soir de début d’été à réparer des couvertures en laine. Une jeune femme d’un hameau voisin et sa fille s’étaient jointes à eux depuis quelques jours et aidaient à l’entretien de la maison forte. Lome tenait le fil écru entre ses doigts et regardait Dame Eliabel réparer les accrocs d’une vieille courtepointe qui sentait le moisi.

— Ces laines sont dans la famille depuis plus de générations qu’il n’y a de cailloux dans les montagnes,
dit la maîtresse de maison. Elles ont chauffé nos ancêtres et chaufferont ceux qui viendront après nous.

Un silence s’installa entre eux tandis qu’ils partageaient la même pensée. Aucun enfant Chaborgne n’était marié et il fallait être deux pour récolter le fruit de quelques entrailles féminines. Lome s’attacha davantage à regarder la bobine qui lui filait entre les doigts.

— Sont-ce vos ancêtres qui les premiers ont participé à la Cérémonie de la Purification ? demanda la jeune femme.

Sans son masque et son armure, elle semblait n’être qu’un frêle fétu de paille que le premier coup de vent aurait pu emporter.

— Oui, répondit Eliabel, et peut-être même les ancêtres de nos ancêtres. Certains affirment que nous nous y rendons depuis le départ des morts, mais d’autres prétendent que la cérémonie existait bien avant que les parjures d’Isildur ne soient maudits.
— La cérémonie de la Purification n’a pas toujours eu la forme que nous lui donnons,
dit la fille d’Eliabel.

Discrète, elle avait la manie d’intervenir dans les discussions pour contredire ses frères ou sa mère. Lome avait deviné que Constance tenait toute sa famille pour responsable de son sort : ni mariée ni promise elle était condamnée à demeurer dans la châtellenie jusqu’à la fin de ses jours.

— Ce ne sont que des histoires de mauvaises langues, intervint Eliabel. Des racontars qui veulent salir la mémoire de ceux qui nous ont précédés.
— Ils ont sali leur histoire tout seuls,
dit Constance. S’ils s’étaient montrés braves et s’ils avaient respecté leur serment, tout cela ne serait jamais arrivé.
— Tu parles de choses que tu ne connais pas, Constance,
intervint Brand de sa voix grondante. Les ténèbres qui couvraient le monde alors étaient si obscures que les hommes finissaient par s’y perdre. Tu juges mal de braves hommes qui ont peut-être cédé à une peur que nous ne connaîtrons jamais plus.

Brand fit mine de ramasser quelque chose au sol et le jeta symboliquement dans le feu, le reste de la famille et les femmes du village voisin imitèrent son geste. Lome les regarda, surprise, mais s’abstint de tout commentaire. Les gens d’ici avaient des coutumes fort différentes des autres habitants du Gondor. Ils étaient pleins de croyances et de superstitions que pas même un enfant n’aurai fait semblant de croire dans les rues de Minas Tirith. Tout semblait pouvoir vous maudire ou vous sauver à l’ombre des montagnes, pour peu que vous ne respectiez pas les bons gestes ou que vous oubliiez de prononcer la bonne incantation.

— Que voulez-vous dire ? demanda Lome.
— Des rituels anciens consistaient à envoyer les hommes qui avaient commis des crimes par le chemin des morts, du temps où les spectres occupaient encore les lieux. Personne, Constance, ne peut prouver que ces histoires sont vraies. Tu accordes trop de foi aux sottises que bavent les sorcières et les bûcherons qui à force de vivre seuls finissent tous par devenir un peu fous.
— Je ne vois pas ce qu’il y avait de mal à cela,
intervint Marhari. La montagne a toujours été notre seul juge. Et peut-être que certains hommes injustement condamnés ont-ils réussi à franchir le Dwimmorberg jusqu’aux terres rohirrimes.
— Ce n’était pas une simple condamnation Marhari, n’as-tu rien retenu de nos leçons ?
pesta Brand. Ceux qu’on envoyait là haut étaient condamnés à ne trouver aucun repos même après leur mort. Cela au moins, est contraire à nos traditions. La vie est suffisamment rude ici pour que l’on se donne peine à offrir un repos éternel à ceux qui nous quittent.
— Que trouve-t-on là-haut ?
demanda Lome.

Si elle était venue se réfugier jusque là après sa longue fuite, ce n’était pas pour finir déchiquetée par des maux invisibles que son armure aurait été incapable de repousser. Tout le monde avait des histoires à raconter aux pieds des montagnes et à trop tendre l’oreille, Lome avait fini par se poser des questions sur le véritable but de sa venue ici. Elle s’était préparée à bien des égards pour accomplir sa mission, mais ce qu’elle avait fini par trouver sous le couvert des résineux sombres la faisait parfois frémir d’effroi. Même les espaces proches des habitations grouillaient de murmures et de bruits nocturnes. L’ombre des ifs noirs qui protégeaient les tombes de la famille la journée semblait s’étirer sous l’œil de la lune et ramper jusqu’aux murailles du château comme pour attraper ceux qui s’y réfugiaient.

— Des bandits, des pillards tapis dans le chemin et qui attendent, comme les loups, la venue de l’hiver pour descendre jusqu’ici et nous voler notre nourriture, dit Brand, repoussant de sa cuisse une escarbille échappée de la gueule rouge de la cheminée.
— Descendent-ils l’hiver seulement ? L’été, trouvent-ils vraiment à manger là-haut ?
— Des marmottes, des lapins, des lagopèdes aussi sans doute, ces oiseaux ne sont pas très toujours très vifs. Vous venez de montagnes plus lointaines, mais j’imagine que toutes les montagnes se ressemblent un peu, vous devez savoir qu’à défaut de viande, il y a bien des herbes qui peuvent gonfler le ventre d’un homme et lui donner l’impression d’être repu.


Pillards.
Fallait-il toujours ainsi qualifier ceux qui n’avaient rien et qui venaient extraire une part à ceux qui avaient tout ? Descendante des Dunlendings des Monts Brumeux, elle savait assez comment le vent, le froid, la pluie insidieuse et la neige mordante pouvaient pousser un homme vertueux à jeter sa morale aux orties pour nourrir sa famille.

— Mais pourquoi se perdre si loin et si haut pour risquer d’être poursuivi ou chassé ?
— Parce que certains d’entre eux sont comme notre bonne Constance,
dit Dame Eliabel, un petit sourire aux lèvres. Ils se nourrissent d’histoires et de fariboles que des imbéciles leur jettent aux pieds dans les tavernes ou lors des veillées. Ou comme cet architecte, qui se figurait trouver je ne sais quelle sorte de pierre pour construire de meilleurs bâtiments. Qu’espérait-il trouver vraiment là-haut ? Je me le demande. À cause de lui un bon garçon est mort. Car la montagne, avant d’être juge, est d’abord dangereuse. Même pour ceux qui la connaissent. Surtout, je dirai, pour ceux qui la connaissent. Ici l’on dit que plus l’on connaît la montagne, plus elle nous menace.
— J’ai entendu dire cela de certaines femmes aussi,
dit Merhari.

D’abord timides, les rires prirent de l’audace et emplirent toute la pièce. Lome n’avait pas senti trembler sa poitrine de la sorte depuis de longs mois et l’impression d’appartenir à autre chose qu’à la solitude lui fit une impression étrange. Les autres sont-ils vraiment une famille comme il le prétendait ? Ne sommes-nous pas juste des pions dans les mains d’une marionnette ? Brand coupa court à ses réflexions et raviva sa curiosité.

— Les morts laissent derrière eux bien des choses, dit-il. Des choses terribles souvent, mais assez belles et puissantes pour attirer les convoitises.

Brand laissa couler sur elle un regard où brillait une étrange lueur et un court instant, Lome eut la désagréable impression de se retrouver nue sous les yeux du montagnard. Elle se ressaisit et se rappela pourquoi elle était là. Il ne sait pas, pensa-t-elle. Il ne peut pas savoir. Le hululement d’un hibou leur parvint au milieu des ténèbres. Lome aida Dame Eliabel à plier la couverture qu’elles venaient de ravauder puis finit l’alcool de sapin d’un seul trait, comme pour se donner du courage. Elle salua ses hôtes et rejoignit sa chambre. Le vent dans les arbres faisait comme des murmures et chuchotements. Appuyée à sa fenêtre, elle contempla le reflet de la lune sur les dômes glacés qui ceignaient les montagnes.

— Que les morts parlent, dit-elle pour elle-même. Je suis là pour les entendre.
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