“Armés? Ils sont armés? Mais comment diable est-ce possible!?”
Cereis fulminait, avançant d’un pas rapide à travers les rues agitées de la Cité Blanche. Derrière lui, une quinzaine de gardes en armure et lourdement armés le suivaient au pas de course. Les émeutes qui avaient débutés de manière plus contrôlée des semaines plus tôt était désormais entrées dans une nouvelle dimension et c’étaient à des véritables scènes de guerre qu’assistaient désormais les habitants de la glorieuse capitale du Gondor. Des soldats en ordre de guerre déambulant à travers les niveaux de la ville, non pas pour repousser un envahisseur venant de l’Est lointain mais bien pour maîtriser, voire écraser, leur propre population.
Jusque-là, la Garde était parvenue à maintenir un certain ordre. Une tâche grandement rendue possible par l’interdiction du port d’armes décidée par le Général Cartogan depuis de longs mois. Mais voilà, que ce matin, la donne venait de complètement changer. Un groupe d’insurgés avaient quitté la ville pour réceptionner un convoi d’armes bloqué au Port d’Harlond. Averti par les agents de l’Arbre Blanc, la Garde avait envoyé deux compagnies pour les arrêter à temps. Les lieutenants Comas et James ainsi que leurs hommes n’étaient pas revenus. Les insurgés avaient trouvé un moyen de pénétrer dans la cité, malgré la surveillance étroite au niveau des murs. Quel camouflet! Comment cela avait-il été possible? Erelas, Capitaine de la Porte de Minas Tirith, et qui manifestait de plus en plus son désaccord avec le pouvoir, avait-il été capable de les laisser sciemment entrer dans la cité avec leur butin pour y semer la mort et le chaos? Si tel était le cas, il serait jugé pour ses crimes; et pendu en place publique au côté de ses nouveaux protégés. C’était du moins ce que Cereis espérait fortement.
Le lieutenant gondorien tourna après un angle et tomba nez-à-nez avec l’un de ses pairs.
“Ah vous voilà Lieutenant Fein! Un point sur la situation?”
Son camarade semblait mal en en point. A bout de souffle, une entaille sanguinolente à la joue; il avait souffert des premiers affrontements.
“Les insurgés ont déjà pris le contrôle du Premier Cercle où ils ont reçu un appui massif de la population locale. Ils ont ensuite forcé l’entrée jusqu’au deuxième niveau avant que l’on ne puisse le boucler. Les combats se sont engagés près du quartier des Relieurs et du marché couvert afin de les repousser.
-Bien allons leur prêter main forte.
-Ils sont si nombreux Cereis, si nomb…aaaargh.”Fein ne put jamais finir sa phrase, ses derniers mots se perdant dans un gargouillis pathétique. Une flèche tirée depuis l’étages d’un bâtiment adjacent s’était fiché dans sa carotide; le garde s’écroula au sol, mort. Réagissant au quart de tour, Cereis éleva son bouclier et ordonna à ses hommes d’en faire de même.
L’ennemi était partout. Se regroupant dans les rues et les squares, se cachant derrière chaque recoin, tirant depuis les toits. Le chaos était total. Cherchant à se mettre à l’abri, Cereis analysa les alentours et repéra des arcades en pierre à quelques mètres de là-bas. Au moins pourrait-il se protéger. Il aboya à ses soldats de le suivre et avança, recroquevillé sous son bouclier.
Malheureusement pour lui, une foule en furie surgit alors à l’autre bout de la rue. Les émeutiers étaient munis de fourches, de barres de métal et d’autres objets du quotidien d’ordinaire si anodins mais qui pourraient causer bien des dégâts. Cereis poussa un juron.
“Retraite! Retraite!”
Il dégaina son épée et repoussa les premiers assaillants qui s’étaient rués en sa direction. Il était bien meilleur combattant que ces pauvres roturiers mais leur nombre faisait leur force. Le lieutenant embrocha l’imprudent qui se trouvait le plus proche avant de tourner les talons et de s’éloigner au plus vite de cette rue sous le contrôle des manifestants. Il devait se rendre à l’évidence, leur position n’était plus tenable. Ses hommes étaient pris dans la mêlée et leur sort était scellé. A coups d’épées, Cereis parvint à se frayer un chemin vers une allée plus calme. Il reprit son souffle et tenta de raisonner au plus vite. La ville était sous le coup d’une insurrection; une guerre civile avait éclaté.
Les cloches.
Il fallait faire sonner les cloches. Prévenir le Général, l’Intendant ou encore le Roi que la situation avait dégénérée. Il repéra le modeste clocher qui trônait au-dessus du siège de la guilde des Orfèvres. Le son que produirait ces cloches ne serait pas très puissant, mais avec un peu de chance il serait entendu par les gardes postés sur les niveaux supérieurs qui pourraient alors sonner l’alarme générale.
Il monta les marches quatre à quatre. Derrière lui, un groupe d’insurgés avait déjà repéré son armure rutilante et s’était mis à le courser. Un javelot fut lancé, qui l’atteignit au mollet, le faisant chuter au sol. Avec un cri de douleur, Cereis se redressa et tituba en direction de la corde qu’il saisit à deux mains.
Avec les forces qui lui restaient, il tira. La cloche trembla puis s’actionna et le tintement grave se fit entendre. Un autre javelot fut lancé, qui rebondit sur le dos de sa cuirasse. A nouveau il fit sonner la cloche avant de jeter un regard derrière lui.
Les révolutionnaires étaient sur lui. Il chercha à lever son épée mais des bras puissants l’en empêchèrent et lui firent perdre son équilibre fragile. Désarmé et diminué, Cereis recula; esquivant une première attaque; mais il était trop affaibli pour voir la seconde venir, ni la suivant d’ailleurs. Un formidable coup de poing le sonna complètement. Une lame vint ensuite se ficher dans les interstices de son armure, au niveau de son épaule. Perclus de douleur, Cereis chuta sur le côté depuis le haut du clocher; basculant dans le vide. Mort avant même d’avoir percuté le sol.
Une clameur formidable s’éleva alors du Bas de la Cité. Le Deuxième Niveau de Minas Tirith était désormais “aux mains du peuple”.