Il ne savait pas exactement pourquoi il était revenu. Il n’avait pas vraiment l’intention de se battre, et quand bien même cela aurait été le cas, aussi formidables que soient ses compétences martiales, il était désormais seul. Il avait guidé ses compagnons, leur avait donné la direction de la forteresse cachée de l’Emyn Muil. Un endroit secret où ils pourraient se cacher de leurs ennemis mais également des hommes en général dont l’âme corrompue lui avait déjà tant coûté.
Il se tenait tapi dans la forêt, au sommet d’une des nombreuses collines qui entouraient Gwath-en-Arnen. Tel un cerf de velours, il observait de loin, sans vouloir se montrer, la bataille qui se préparait. Lindor avait le sentiment que quelque chose devait encore être accompli ou que, pour que son âme trouve la paix ou une partie de celle-ci, il devait assister à la fin de cette tragique histoire.
Les armées combinées du Roi et du Sultan s’étaient mises en marche peu avant le crépuscule. Les bataillons avançaient à la lueur des torches et à pas mesurés mais déterminés. Les hommes de Boromir II étaient depuis longtemps installés sur les remparts. La tactique de l’Intendant était limpide mais néanmoins efficace. Défendre les remparts le plus longtemps possible, tenir les rues puis les ruelles pas à pas et gagner un maximum de temps pour laisser l’opportunité aux civils de fuir voir aux renfort de Minas Tirith d’arriver.
Les hommes des armées combinées se tenaient à bonne distance des remparts de la ville. Ils avaient retenu la dure leçon de la puissance de tir des rangers et des elfes. Progressivement, un groupe d’hommes se déplaça vers l’avant de la ligne. Ils étaient tous munis de torches. C’était une masse grouillante d’hommes décharnés, quasiment sans armes et sans vêtements.
Un cavalier s’avança et d’un mouvement de son arme fit lancer l’assaut. Le tristement célèbre bataillon servile, déjà durement éprouvé par les combats précédents, se lança dans une charge folle. Cette charge semblait n’avoir aucun sens, il paraissait impossible de prendre possession de la cité de cette manière
Pourtant, malgré les pertes liées aux archers, plusieurs dizaines de malheureux parvinrent au pied des murailles, enflammant de leurs torches les palissades en bois de Gwath-en-Arnen. Lindor jura silencieusement. Les hommes de Boromir II furent rapidement forcés à quitter leur position stratégique afin d’éviter de mourir brûlés ou étouffés. Ainsi, les remparts étaient déjà tombés et cela au seul prix de la vie de quelques esclaves. La guerre devenait facile pour ceux qui n’avaient aucun scrupules.
Les derniers soldats du bataillon servile se dirigèrent vers la porte, pesant en masse compacte contre la porte principale de la ville. En retrait derrière les remparts en feu, les hommes du Gondor tiraient en cloche tentant de toucher à l’aveugle leurs ennemis.
Au loin, Lindor distinguait une colonne de poussière. Les civils s’éloignaient en direction d’Osgiliath. Ses yeux perçants lui permirent de distinguer la jeune Seïcha, qui fermait la marche avec un groupe d’une poignée de cavaliers. Son cœur se serra tandis qu’il repensait à Faelnoer.
Un bruit attira soudain son attention. Il fit pivoter son cheval. Une troupe d’une trentaine d’hommes, des soldats du Roi de Rhun, avançaient sur le versant de la colline. Il ne fallut pas longtemps à Lindor pour comprendre leur dessein. Ils voulaient prendre les réfugiés en chasse. Le coeur de Lindor se serra à nouveau. L’homme qui les menait était également celui qui avait mené l’assaut meurtrier qui avait coûté la vie à son aimée. Il dégaina sa lame.
***
Zadek était complètement hébété, perdu au milieu de ce qui était devenu un véritable charnier. Son petit commando avait reçu pour mission de poursuivre les civils en fuite. Le Roi envisageait de s’en servir comme otages.
Ils étaient partis vers le nord pour couper la route de la longue et lente colonne. Et puis la mort s’était abattue sur lui et ses hommes. Les flèches avaient commencé à pleuvoir, une dizaine d’hommes étaient tombés avant qu’ils ne réalisent qu’ils n’avaient qu’un seul adversaire.
Zadek avait ordonné la charge mais leur ennemi avait chargé à leur rencontre. Il avait alors reconnu l’elfe qui les avait attaqué lors de la bataille pour le nord. Il avait voulu rappeler ses hommes mais c’était déjà trop tard. Le guerrier était un véritable monstre. Il était à la fois rapide et d’une précision redoutable. Ses hommes tombaient les uns après les autres malgré leurs attaques combinées. En quelques minutes, il n’était presque resté personne de sa troupe d’élite.
Zadel était seul, perdu au milieu des cadavres. L’elfe lui faisait désormais face. Il raffermit sa prise sur son épée, cela aurait au moins le mérite d’être rapide.
***
Seïcha était sur le qui-vive. Les civils avançaient à bonne allure et elle ne doutait pas de la capacité de son père à repousser l'envahisseur. Néanmoins elle ne demeurait pas à l'abri d'une attaque surprise d’un bataillon d'éclaireurs.
Elle se raidit sur sa selle quand elle entendit soudain le bruit d'une cavalcade. Son visage se détendit instantanément quand elle reconnut le cavalier qui venait à sa rencontre.
Sistien avait le visage pâle comme la mort, ses vêtements et son armure étaient en lambeaux et son armée se résumait à la poignée de cavaliers qui l'accompagnait encore. Néanmoins, sa présence raffermit le cœur de sa sœur.
Ils descendirent de cheval et se ruèrent dans les bras l'un de l'autre.
“Nous avons été trahis, nous avons perdu le sud…”Seïcha serra plus fort son frère qui semblait s'excuser.
“Père est à Gwath-en-Arnen, il tient la ville en attendant les renforts d'Eldarion tandis que je tente de mettre les civils en sécurité.”Sistien secoua la tête. Il ne pouvait pas imaginer de laisser son père seul face à l’ennemi. Il serra très fort sa sœur dans ses bras avant de sauter à nouveau sur le dos de son cheval.
“Dites à Eldarion de ne pas traîner !”Seïcha resta incrédule un instant… avant que son cœur ne bascule du côté vers lequel il s’inclinait depuis un moment déjà. Elle sauta également à dos de cheval et se rua à sa suite.
***
La bataille avait été aussi terrible qu’il l’avait craint mais nettement plus rapide qu’il ne l’avait espéré. La perte rapide des remparts les avait obligés à passer directement à la seconde partie de leur plan. Ils avaient bataillé dans tous les rues et ruelles, utilisant les barricades préparées de longue date, utilisant leurs connaissances du terrain pour faire payer à l’ennemi chacun de ses pas.
Les pertes ennemies avaient été nombreuses et ses troupes avaient résisté pendant plusieurs heures. Néanmoins, ils ne tenaient désormais plus que quelques pâtés de maisons autour du palais du Prince. Celui-ci n’avait jamais vraiment été conçu comme un ouvrage défensif. Il offrait peu d'opportunités de défense. Ils n’étaient plus qu’une petite centaine face à plusieurs milliers d’ennemis.
Boromir observait les alentours. Le soleil ne tarderait pas à se lever, révélant un champ de cadavre. Déjà l’odeur de la mort avait envahi la ville dont il ne restait plus grand chose. L’ennemi avait rassemblé ses troupes, l’assaut final était imminent. Il sentait que ses adversaires jouaient avec leurs nerfs.
Un craquement retentit dans son dos. Il se retourna vivement. Une trappe, placée au centre du grand hall du palais se souleva. Deux têtes familières apparurent.
“Que faites-vous là ?”Il dévisageait ses deux enfants d'un air sévère. Les deux jeunes gens se ruèrent dans ses bras.
Boromir arrêta de penser, profitant de ce moment d'émotion brute. Cela n'avait rien de rationnel et l'avenir de la maison des intendants du Gondor se jouait peut être à ce moment, néanmoins, il n'avait pas le cœur de renvoyer ses enfants derrière les lignes. A leur place il n'aurait pas pu agir différemment.
Aegidus s'approcha d'eux, il portait une outre de vin et des gobelets de bois.
“Seigneur Sistien, si vous me racontiez vos aventures dans le sud ? Le récit d'une bataille me semble une belle manière d'oublier l'angoisse de l'attente d'un assaut”L'ennemi leur laissa encore une petite heure de répit avant que les défenseurs les plus avancés ne donnent l'alerte. Aegidus, Seïcha, Sistien et Boromir degainèrent leur épée de concert.
“Ainsi donc périrent les derniers défenseurs de Gwath-en-Arnen. Le point final d'une histoire héroïque et tragique.”, fit Boromir.
Une pensée traversa l'esprit du Prince. Il semblait utopiste de vouloir encore sauver sa maison. Jamais ses enfants n'accepteraient de fuir et pourtant… il s'approcha d'Aegidus.
“J'ai besoin que vous viviez, j'ai besoin que vous racontiez cette histoire pour que perdure le souvenir de l'héroïsme de la Maison des Intendants du Gondor. Je veux que les chroniqueurs royaux retiennent ces mots : An de Grâce 245 du Quatrième Âge, invasion de l'Ithilien. Mort du Prince Boromir II et de sa famille au combat.”Il l'attira vers la trappe par laquelle étaient arrivés ses enfants.
“Prenez ce passage, nous nous battrons pour vous donner un peu d'avance.”Dehors le bruit des combats se rapprochait. Le Prince decrocha le Cor Brisé qui trônait au dessus de la cheminée massive du hall du palais. Il la tendit à Aegidus.
“Prenez ceci, vous êtes mon confident le plus proche, vous savez à qui le donner. Peut être mon erreur du passé permettra t'elle d'offrir un avenir à mon nom.”Boromir, Seïcha et Sistien périrent en défendant cette trappe. Aegidus suivi le long tunnel avant d’émerger hors de la forêt. Les bruits de combats avaient cessé peu de temps après qu’il se soit engagé dans le passage secret.
Nul ne sait qui fut le dernier à tomber mais il est plaisant de penser qu'ils sont morts en héros, côte à côte.
***
Zimrathon était, comme beaucoup de citoyens et de notables, sur les remparts d'Osgilath. Il avait observé la masse de réfugiés d'Ithilien s'engouffrer dans la ville. Ce remue-ménage lui avait permis de passer relativement inaperçu malgré son chariot bien chargé.
Cependant, en cette fin d'après-midi, c'est un tout autre spectacle qui retenait l'attention des habitants d'Osgiliath. L'avant-garde des armées de Sharaman et d'Earendil Ben-Elros s'étaient approchées en vue des remparts, suivant de près un unique cavalier, dernier rescapé des troupes de Boromir II.
Néanmoins, alignés sur le pont qui enjambait l'Anduin, les armées du Royaume Réunifié faisaient démonstration de leur puissance. Les deux princes royaux se tenaient à la tête de leurs bataillons. Le fier et fougueux Mephisto se tenait aux côtés du puissant et stoïque Irimon. Le message était clair : l'envahisseur n’irait pas plus loin.
Le cavalier solitaire fût accueilli en héros, salué par les deux Princes. Quant aux troupes des envahisseurs, elles se replièrent sagement sur leurs positions durement conquises.
***
“Irimon et Mephisto ?”, Beregard n'en croyait pas ses oreilles.
Le vieil Aegidus secoua la tête.
“Un accueil royal… une maigre consolation.”Le hobbit acquiesca.
“C'est donc vous qui avez ramené le Cor Brisé. Mais les autres objets ?”Aegidus toussa. Une nouvelle journée était passée et le vieil homme commençait à être fatigué.
“Il s'agit d'une toute autre histoire… L’histoire d'un dénommé Zimrathon… mais n'êtes-vous pas fatigué ?”Beregard hocha la tête et bourra sa pipe. Les hobbits n'étaient jamais fatigués pour une bonne histoire.