Gwath-en-Arnen - Le Prince [245 4A]

Le soleil atteignait doucement son zénith, l’étonnement avait laissé place à l’impatience, l’impatience cédait désormais le pas à l’inquiétude. Les hommes de Sistien auraient dû rejoindre Gwath-en-Arnen un peu après l’aube. Cela devait laisser le temps à l’armée de monter à un bon rythme vers le nord pour rejoindre la garnison de Henneth Annûn peu après l’heure convenue pour l’embuscade. Celle-ci devait désorganiser les envahisseurs orientaux avant que la contre-attaque rageuse menée par le Prince d’Ithilien ne porte l’estocade finale.

Au fur et à mesure que l’heure avançait, Boromir II prenait conscience qu’il allait devoir faire avancer les hommes à marche forcée, puiser dans leurs forces voir arriver en retard par rapport au plan initial. Les hommes et les chevaux commençaient à piaffer d’impatience, en armes depuis l’aube, prêts à partir et décidés à en découdre. Midi approchant, il allait falloir prendre une décision.

Boromir fixait le sud du haut des remparts de bois blanc de Gwath-en-Arnen au coeur des collines d’Emyn Arnen. Derrière lui, les troupes étaient rassemblées en ordre de marche. Ses capitaines se tenaient à côté de la porte, attendant l’ordre de démarrer. La ville était en ébullition tandis qu’à ses pieds la forêt paraissait d’un calme imperturbable. Le Prince avait fait couper tous les arbres à deux cents mètres des remparts dès que les premières rumeurs d’invasion avaient commencé à circuler. La cité n’était pas une forteresse aux puissantes murailles comme Osgiliath ou Minas Tirith. Néanmoins, les alentours boisés et la position haute de la ville lui donnait un avantage stratégique. Là où les rues principales de la cité étaient larges et pavées, toutes les artères périphériques étaient aussi étroites que possible, rendant leur défense plus aisée. Pourtant, à choisir, Boromir avait décidé de porter le combat loin de sa capitale. Il voulait éviter autant que possible  les pertes civiles.



“Où sont-ils ? Ce n’est pas possible, ils ne peuvent pas avoir pris autant de retard.”

Le prince sentait poindre dans la voix de sa fille une authentique inquiétude. Ce n’était pas seulement l’aspect stratégique qui l’inquiétait mais également le destin de son frère et de son fiancé. Boromir s’était sorti cette idée de la tête, tentant de faire taire le père qui sommeillait en lui. Néanmoins, il était de plus en plus évident que quelque chose était arrivé à son fils et à ses hommes.

Il ne pouvait plus attendre. Soit il décidait de partir sans les renforts attendus, soit il renonçait à son plan de contre-attaque. Sa stratégie était dès le départ plutôt risquée. On parlait de pas loin de trois milles orientaux alors qu’avec l’ensemble de ses forces il atteignait difficilement la moitié. Compter sur l’avantage du terrain pouvait se révéler payant mais pas à un contre trois.

Cependant, rester à Gwath-en-Arnen n’était pas sans conséquence. La première et la plus directe était de placer sa fille Seïcha au coeur de la bataille. En digne héritière de la légendaire Eowyn elle savait se servir d’une arme mais Boromir voulait l’épargner autant que possible. La seconde conséquence majeure était de compliquer passablement la retraite de la garnison du nord et de ses alliés elfiques.

Boromir fit soudain volte-face, sa décision était prise. Il devait agir au mieux pour son peuple et pour le Gondor.

“Capitaines, désignez les meilleurs cavaliers parmi vos hommes. Je veux qu’ils mènent un maximum de monture au Nord pour faciliter la retraite de la garnison de Henneth Annûn.”

Les officiers échangèrent des regards interrogatifs.

“Nous défendrons nos vies à Gwath-en-Arnen. Sans la garnison du Sud nous ne disposons pas d’un impact suffisant que pour nous risquer hors de nos murs.”

Un murmure parcourut l’assemblée. Voir Boromir faire une croix sur les renforts apportés par son fils n’était assurément pas une bonne nouvelle.

“Renforcez les palissades et les portes, préparez les lances et les flèches, barricadez les ruelles et répartissez vos hommes sur les rempart ! L’ennemi est en approche et il ne fera aucun quartier !”

Le murmure se transforma en brouhaha tandis que les troupes se mettaient en mouvement. Boromir se tourna vers Seïcha dont le visage était complètement décomposé.

“Ton frère finira par nous rejoindre…”

Elle acquiesça sans qu’il sût si elle le croyait vraiment. Elle s’éloigna à son tour, prête à aller se mettre en position.

“Seïcha…”

Un échange de regards intense.

“Allume le feu d’alarme.”

Elle acquiesça franchement cette fois. Minas Tirith devait savoir que l’Ithilien vacillait et avoir l’opportunité de réagir en conséquence.

Le feu d'alarme était allumé, et Gwath-en-Arnen bouillonnait d'activité. Bâtie sur les collines d'Emyn Arnen par Faramir lorsqu'il reçut le titre de Prince d'Ithilien de la part d'Elessar, la cité n'était pas une place forte à l'échelle des anciennes forteresses numénoréennes telles que Minas Tirith ou Cair Andros. La défense d'Ithilien avait depuis toujours reposé sur les barrières naturelles telles que les forêts et fleuves, ainsi que sur le courage et la connaissance du terrain de ses défenseurs.

Néanmoins, le prince espérait que les préparatifs effectués suffiraient pour défendre la ville jusqu'à l'arrivée des renforts. Minas Tirith n'était pas si loin, même s'il faudrait du temps au roi pour assembler une armée. Ils tiendraient le temps qu'il faudrait. Même si le rempart de bois blanc finirait par céder, les vaillants défenseurs seraient capables de résister longtemps dans les ruelles étroites et, dans le pire des cas, dans le bastion de pierre au coeur de la ville.

La journée avait été épuisante, l'absence des nouvelles pesant sur lui tout comme sur ses officiers. Boromir II avait fini par se laisser convaincre par sa fille d'aller s'allonger quelques heures; ils avaient fait tout ce qu'ils pouvaient, et les ordres avaient été distribués.

Le descendant de Faramir et d'Eowyn finit par tomber dans un sommeil léger, dérangé par des cauchemars. Il se réveilla en pleine nuit et décida de se rendre sur les remparts, poussé par l'instinct.
Il y fut accueilli par un des gardes qui le salua et indiqua du doigt quelques points qui venaient de se détacher de la ligne des arbres et pénétrer dans le cercle déforesté qui entourait la place forte.

-Notre patrouille est de retour mon Prince.

Ils descendirent pour accueillir les cavaliers, et le coeur de Boromir II sauta un battement lorsqu'il vit qu'il y avait parmi eux deux hommes sales et épuisés portant les uniformes de la garnison du Sud.

-Vous êtes des hommes de Sistien? Où est le reste des troupes?! - Le prince exigea des explications sur un ton brusque.

-Mon prince...Nous avons été pris au piège à Haudh in Gwanûr. A la place des renforts de la garnison du Harondor, c'est une deuxième armée ennemie qu'on a retrouvée aux gués de Poros. Il semblerait qu'il s'agit des haradrims du Sultan Earendil Ben Elros. On a été envoyés avec Aemon pour vous prevenir mais...il a chuté...les forces ennemies étaient juste derrière nous.

Boromir entendit sa fille prendre une inspiration saccadée derrière lui. Le jeune Aemon était le fiancé de Seïcha.

-Où est Sistien? Où est mon fils?!

Le messager baissa le regard, des larmes brillant dans ses yeux.

-Les haradrims étaient nombreux, bien trop nombreux. Après le sacrifice de Madreth et de ses cavaliers, le capitaine a organisé une ligne de défense dans la forêt mais...je ne sais pas quel est son sort.

Le descendant de Faramir sentit ses genoux se plier sous lui et il dut s'appuyer contre le mur.

***

-Mon Prince! D'autres cavaliers sont en vue! Ils arrivent du Nord!


                               Seigneur #Erenor, fils d'Erestor # ~ Seigneur #Aegidus de Sora è Pilla

-C'est Aegidus...enfin une bonne nouvelle!

En effet, le Prince put reconnaitre le commandant de la garnison du Nord ainsi que le fier seigneur elfe à la tête d'une colonne composée de rangers, de guerriers de la Compagnie Blanche et d'archers. Même les elfes semblaient épuisés, et beaucoup étaient blessés. Il ne vit aucun épéiste Noldo parmi eux.

Aegidus descendit de sa selle et posa la main sur l'épaule de Boromir:

-A défaut d'envoyer des renforts, les chevaux que tu as envoyé sont tombés à pic. Par magie ou par chance, ces satanés orientaux ont trouvé l'entrée secrète d'Henneth Annûn. La Fenêtre du Soleil Couchant est tombée aux mains des ennemis, même s'ils ont payé un lourd prix. Leur avant-garde est brisée. Que s'est-il passé Boromir? Où étiez-vous?
Le regard du Prince était sombre lorsqu'il répondit. Il avait encore du mal à l'admettre:

-Les renforts de la garnison du Sud ne sont jamais arrivés. Ils ont été pris en embuscade par une deuxième armée venue du Sud, les serviteurs de ce chien Earendil Ben-Elros. Sistien...-sa voix se brisa- son sort est inconnu.

Ces paroles furent comme une gifle pour le commandant. Perdre Henneth Annûn avait été douloureux, mais apprendre que Gwath-en-Arnen était prise en tenailles par l'ennemi...Il ne trouva pas de mots pour répondre. Boromir II se massa les tempes et demanda:

-Où est le seigneur Lindor? Ne me dites pas qu'Erais-Mallen, le Cerf Doré est tombé au combat! Aucun épéiste ne peut l'égaler.

Ce fut Erenor qui prit la parole. La voix du seigneur elfe était calme, mais une tristesse profonde se lisait dans ses yeux:

-Lindor a combattu vaillamment à nos côtés mais l'amertume causée par le vol de son heaume et le sentiment de trahison lorsque les renforts ne sont pas arrivés ont recouvert son coeur d'un nuage noir. Faelnoer, ma soeur et l'amoureuse d'Erais-Mallen fut tuée par une flèche lors des combats à la Fenêtre du Soleil Couchant...je n'ai pas pu la sauver. C'était la goutte de trop pour Lindor. Lorsque nous nous sommes éloignés d'Henneth Annûn, il a ordonné à ses hommes de quitter la colonne. Les Noldor ne défendront pas  Gwath-en-Arnen à nos côtés.

Boromir tenta de contrôler ses émotions. D'une voix douce il dit à sa fille, elle aussi pâle comme la mort.

-Seïcha. Donnes l'ordre d'évacuer les civils.

+++“Karabast!”+++

La crotte s’écrasa sans opposer la moindre résistance sous la botte cloutée du Taïpan du Levant ; elle était encore fraîche. Sans aucun doute, il y avait récemment eu du passage dans cette partie de la forêt d’Ithilien et, donc, ils approchaient de leur but. Zadek s’accroupit pour pouvoir mieux observer les traces de végétation écrasées par le passage des chevaux des Gondoriens et des elfes qui avaient lâchement fui après la chute de leur bastion plus au Nord. Un sourire satisfait se dessina sur le visage du guerrier oriental à la pensée de cet épisode. Cette forteresse imprenable des impérialistes qui avait chutée en l’espace de quelques heures, les fiers cavaliers en armures rutilantes cherchant à se replier dans le chaos le plus total, écrasant parfois leurs congénères afin de pouvoir s’extirper du piège tendu par les troupes de Sharaman. Un succès éclatant auquel Zadek avait été loin d’être étranger.  

À présent, il s’agissait de finir le travail. De porter le dernier coup fatal aux défenseurs de l’Ithilien et ainsi forcer le Gondor à courber l’échine. Une journée historique qui se profilait.  

Les éclaireurs de Rhûn n’eurent aucun mal à localiser leur dernier objectif ; la dernière place-forte de l’ennemi : Gwath-en-Arnen. En découvrant cette cité de taille relativement modeste, juschée en haut d’une des collines de l’Emyn Arnen, Zadek s’avoua légèrement déçu. Après la grandiose victoire sur les bords de la falaise Henneth Annûn, il avait espéré un final en apothéose dans un lieu plus majestueux que cet endroit. La réalité se révèle souvent bien différente de l’histoire que l’on espère rapporter.  

Il haussa les épaules. À leur retour, les bardes et conteurs ne manqueront certainement pas à arranger les faits pour rendre leurs dernières victoire encore plus héroïque et légendaire. En rampant, l’éclaireur progressa jusqu’à la lisière de la forêt, qui avait été rasée sur plusieurs centaines de mètres autour des remparts de la ville, et fit signe à ses compagnons d’en faire de même. Ceux-ci se dispersèrent de tout côté, afin d’établir un rapport complet des défenses de la cité ; de ses points faibles et de ses points forts.  

Toutefois, ce fut bien Zadek Arâ’ansha, qui perçut le premier la faiblesse principale du Prince Boromir II. L’agitation derrière les remparts avait capté son attention et ses hypothèses avait été confirmé quand on fit ouvrir une porte secondaire de la ville pour laisser sortir un convoi de femmes et d’enfants. L’ordre d’évacuation des civils avait été donné, gaspillant l’énergie des troupes gondoriennes et compliquant leur préparation à l’assaut.

Le sourire du Taïpan du Levant s’élargit. Le triomphe du Roi Sharaman était proche.  






Les deux armées avaient faite jonction dans un vallon entre deux collines à quelques lieues seulement de Gwath-en-Arnen. Les états-majors respectifs s’étaient, quant à eux, rassemblés au sommet de la plus haute des collines. On avait installé de grandes tentes sur lesquelles flottaient les oriflammes représentant le soleil à quatre branches du Roi de Rhûn ainsi que les bannières du Sultanat de Haradwaith.

À l’intérieur, toutefois, la tension était palpable. Les deux souverains, installés face à face, se jaugeaient et confrontaient leurs deux visions de la conquête de l’Ithilien. Animés par un but commun et unis par un même ennemi, les deux révolutionnaires ne cachaient point leur désaccord quant à la suite des opérations.  

Le Sultan Ëarendil Ben-Elros fulminait, parcourant de long en large l’intérieur de la tente royale, prêt à exploser à tout moment. Son éclatante victoire sur les Gués du Poros avait été déterminante ; les renforts du Gondor n’était jamais arrivé à Henneth Annûn, permettant ainsi aux troupes de Rhûn de prendre la forteresse malgré de lourdes pertes. Le Sultan se savait en position de forces, de par ses effectifs désormais supérieurs à ceux de son allié, mais également par rapport au rôle héroïque qu’il s’attribuait.

“Les troupes de l’occupant sont exsangues et affaiblies. Il nous faut donner l’assaut au plus vite !”


Sharaman, installé sur son fauteuil frappé des insignes de sa maison, paraissait plus circonspect. Il caressait sa barbe d’un air perplexe et les sourcils légèrement froncés, plongé dans une réflexion visant à mesurer les risques d’un tel assaut. Les victoires avaient été glorieuses certes, mais ses bataillons de Balchoth et même sa garde rapprochée avaient payés un lourd tribut pour en arriver là. Les survivants étaient exténués après cette marche forcée à travers les forêts d’Ithilien, l’enthousiasme était encore présent chez certains, animés par la promesse d’une victoire proche mais d’autres songeaient déjà à l’après ; à leur retour au sein de leurs familles laissées derrière eux, dans un pays désormais libéré.  

“Nous devrions établir des rapports plus complets sur les défenses de la cité. Je connais bien le Prince Boromir, un grand guerrier et un homme intelligent, il aura certainement préparé quelque chose pour nous surprendre.”

Ëarendil s’arrêta de faire les cents pas, surpris de la manière dont son interlocuteur louait les mérites de leur adversaire. Son éducation gondorienne et son attachement à la culture de l’envahisseur avait-elle refait surface au pire des moments.  

“Que proposez-vous au juste alors, mon cher ami ? Attendre tranquillement, tisane en main, que le veux Roi envoie des renforts ?”

Sharaman soutint le regard de son vis-à-vis. Décidé à défendre farouchement ses idées, depuis son départ de sa capitale encore naissante, Blankanimâd, il avait certes réussi à fédérer autour de sa présence sur le front mais il n’avait pu se défaire de cette impression que trop de décisions avaient été prises en son nom sans qu’il en soit réellement à l’origine, ou même favorable. La guerre n’était pas son domaine, mais la politique l’était ; et cette guerre ne pouvait être remportée sans une issue diplomatique. Malgré leurs victoires, le Gondor finirait par reprendre le dessus sur ses terres et le rêves du Sultan de voir la Cité Blanche brûler n’était qu’une illusion morbide.  

“Nous pourrions envoyer une missive au Prince. Lui offrir une porte de sortie selon nos conditions ; il est l’Intendant du Roi Eldarion, il nous faut exploiter cela et forcer l’ennemi à nous donner ce que nous réclamons depuis si longtemps. Si un massacre pouvait être évité…”

L’image, légèrement floue, de cette noble figure lui vint à l’esprit. A l’époque de son séjour à Osgiliath, bien des années auparavant, il avait apprécié cet homme, la vigueur de son bras et la noblesse de son cœur. Dans une autre vie, peut-être auraient-ils pu être des amis. Au contraire d’Ëarendil Ben-Elros.

“Des années de campagnes, des milliers de vie sacrifiées, un fol espoir initié. Tout cela pour finir par se compromettre avec l’ennemi. Est-ce une telle empreinte que le glorieux Sharaman désire laisser derrière lui ?”

Face à un tel affront, les gardes de Sharaman firent un pas en avant, main sur le pommeau de leur arme. Ce dernier leur fit signe de reculer d’un geste dans un souci d’apaiser toute cette situation. L’inquiétude, pourtant, se lisait sur son visage. En se rangeant, derrière la figure du Sultan, le souverain oriental y avait vu l’opportunité d’un rêve splendide ; l’unification des tribus en un grand et puissant royaume à l’Est de l’Anduin. Un royaume qu’il se voyait déjà grandir et prospérer, exploitant au mieux les richesses de cette magnifique région. Pourtant, dans sa folie meurtrière, dans son hubris dangereux, Ben-Elros ne risquait-il pas de mettre en danger tout cela ?  

Ils furent finalement interrompus par une silhouette qui releva l’un des pans de la tente, pour faire son entrée. Hûliân, l’Aigle Noir d’Albyor, affichait un air grave. Il s’inclina légèrement pour saluer les deux souverains en présence, puis annonça la raison de sa venue d’un ton direct et sans fioritures qui caractérisait ce guerrier légendaire.

“Les rapports de nos éclaireurs nous sont revenus. Le feu d’alarme de Gwath-en-Arnen est allumé et l’appel a été repris et entendu jusque dans la capitale. Eldarion mobiliserait déjà ses troupes pour voler au secours de son Intendant, le temps nous est compté.”

Sharaman et Ëarendil échangèrent un regard. Ils avaient compris qu’il n’y avait plus qu’une seule issue à cette affaire. Si le Gondor se mobilisait alors il leur fallait agir vite et de potentielles négociations pouvaient se transformer en un dangereux moyen pour Boromir d’attendre des renforts.  

Suderons et Orientaux devaient frapper. Vite et fort.

Une lueur illumina le regard du Sultan Ëarendil Ben-Elros:

“Préparez les troupes. Donnez l’ordre de départ. Nous attaquerons au crépuscule.”


Sharaman ferma les yeux pendant quelques instants, plongés dans une prière spontanée.

+++“Que Melkor se montre clément.”+++



#Hûliân

Il ne savait pas exactement pourquoi il était revenu. Il n’avait pas vraiment l’intention de se battre, et quand bien même cela aurait été le cas, aussi formidables que soient ses compétences martiales, il était désormais seul. Il avait guidé ses compagnons, leur avait donné la direction de la forteresse cachée de l’Emyn Muil. Un endroit secret où ils pourraient se cacher de leurs ennemis mais également des hommes en général dont l’âme corrompue lui avait déjà tant coûté.

Il se tenait tapi dans la forêt, au sommet d’une des nombreuses collines qui entouraient Gwath-en-Arnen. Tel un cerf de velours, il observait de loin, sans vouloir se montrer, la bataille qui se préparait. Lindor avait le sentiment que quelque chose devait encore être accompli ou que, pour que son âme trouve la paix ou une partie de celle-ci, il devait assister à la fin de cette tragique histoire.

Les armées combinées du Roi et du Sultan s’étaient mises en marche peu avant le crépuscule. Les bataillons avançaient à la lueur des torches et à pas mesurés mais déterminés. Les hommes de Boromir II étaient depuis longtemps installés sur les remparts. La tactique de l’Intendant était limpide mais néanmoins efficace. Défendre les remparts le plus longtemps possible, tenir les rues puis les ruelles pas à pas et gagner un maximum de temps pour laisser l’opportunité aux civils de fuir voir aux renfort de Minas Tirith d’arriver.

Les hommes des armées combinées se tenaient à bonne distance des remparts de la ville. Ils avaient retenu la dure leçon de la puissance de tir des rangers et des elfes. Progressivement, un groupe d’hommes se déplaça vers l’avant de la ligne. Ils étaient tous munis de torches. C’était une masse grouillante d’hommes décharnés, quasiment sans armes et sans vêtements.

Un cavalier s’avança et d’un mouvement de son arme fit lancer l’assaut. Le tristement célèbre bataillon servile, déjà durement éprouvé par les combats précédents, se lança dans une charge folle. Cette charge semblait n’avoir aucun sens, il paraissait impossible de prendre possession de la cité de cette manière

Pourtant, malgré les pertes liées aux archers, plusieurs dizaines de malheureux parvinrent au pied des murailles, enflammant de leurs torches les palissades en bois de Gwath-en-Arnen. Lindor jura silencieusement. Les hommes de Boromir II furent rapidement forcés à quitter leur position stratégique afin d’éviter de mourir brûlés ou étouffés. Ainsi, les remparts étaient déjà tombés et cela au seul prix de la vie de quelques esclaves. La guerre devenait facile pour ceux qui n’avaient aucun scrupules.

Les derniers soldats du bataillon servile se dirigèrent vers la porte, pesant en masse compacte contre la porte principale de la ville. En retrait derrière les remparts en feu, les hommes du Gondor tiraient en cloche tentant de toucher à l’aveugle leurs ennemis.

Au loin, Lindor distinguait une colonne de poussière. Les civils s’éloignaient en direction d’Osgiliath. Ses yeux perçants lui permirent de distinguer la jeune Seïcha, qui fermait la marche avec un groupe d’une poignée de cavaliers. Son cœur se serra tandis qu’il repensait à Faelnoer.

Un bruit attira soudain son attention. Il fit pivoter son cheval. Une troupe d’une trentaine d’hommes, des soldats du Roi de Rhun, avançaient sur le versant de la colline. Il ne fallut pas longtemps à Lindor pour comprendre leur dessein. Ils voulaient prendre les réfugiés en chasse. Le coeur de Lindor se serra à nouveau. L’homme qui les menait était également celui qui avait mené l’assaut meurtrier qui avait coûté la vie à son aimée. Il dégaina sa lame.



Zadek était complètement hébété, perdu au milieu de ce qui était devenu un véritable charnier. Son petit commando avait reçu pour mission de poursuivre les civils en fuite. Le Roi envisageait de s’en servir comme otages.

Ils étaient partis vers le nord pour couper la route de la longue et lente colonne. Et puis la mort s’était abattue sur lui et ses hommes. Les flèches avaient commencé à pleuvoir, une dizaine d’hommes étaient tombés avant qu’ils ne réalisent qu’ils n’avaient qu’un seul adversaire.

Zadek avait ordonné la charge mais leur ennemi avait chargé à leur rencontre. Il avait alors reconnu l’elfe qui les avait attaqué lors de la bataille pour le nord. Il avait voulu rappeler ses hommes mais c’était déjà trop tard. Le guerrier était un véritable monstre. Il était à la fois rapide et d’une précision redoutable. Ses hommes tombaient les uns après les autres malgré leurs attaques combinées. En quelques minutes, il n’était presque resté personne de sa troupe d’élite.

Zadel était seul, perdu au milieu des cadavres. L’elfe lui faisait désormais face. Il raffermit sa prise sur son épée, cela aurait au moins le mérite d’être rapide.




Seïcha était sur le qui-vive. Les civils avançaient à bonne allure et elle ne doutait pas de la capacité de son père à repousser l'envahisseur. Néanmoins elle ne demeurait pas à l'abri d'une attaque surprise d’un bataillon d'éclaireurs.

Elle se raidit sur sa selle quand elle entendit soudain le bruit d'une cavalcade. Son visage se détendit instantanément quand elle reconnut le cavalier qui venait à sa rencontre.


Sistien avait le visage pâle comme la mort, ses vêtements et son armure étaient en lambeaux et son armée se résumait à la poignée de cavaliers qui l'accompagnait encore. Néanmoins, sa présence raffermit le cœur de sa sœur.

Ils descendirent de cheval et se ruèrent dans les bras l'un de l'autre.

“Nous avons été trahis, nous avons perdu le sud…”

Seïcha serra plus fort son frère qui semblait s'excuser.

“Père est à Gwath-en-Arnen, il tient la ville en attendant les renforts d'Eldarion tandis que je tente de mettre les civils en sécurité.”

Sistien secoua la tête. Il ne pouvait pas imaginer de laisser son père seul face à l’ennemi. Il serra très fort sa sœur dans ses bras avant de sauter à nouveau sur le dos de son cheval.

“Dites à Eldarion de ne pas traîner !”

Seïcha resta incrédule un instant… avant que son cœur ne bascule du côté vers lequel il s’inclinait depuis un moment déjà. Elle sauta également à dos de cheval et se rua à sa suite.




La bataille avait été aussi terrible qu’il l’avait craint mais nettement plus rapide qu’il ne l’avait espéré. La perte rapide des remparts les avait obligés à passer directement à la seconde partie de leur plan. Ils avaient bataillé dans tous les rues et ruelles, utilisant les barricades préparées de longue date, utilisant leurs connaissances du terrain pour faire payer à l’ennemi chacun de ses pas.

Les pertes ennemies avaient été nombreuses et ses troupes avaient résisté pendant plusieurs heures. Néanmoins, ils ne tenaient désormais plus que quelques pâtés de maisons autour du palais du Prince. Celui-ci n’avait jamais vraiment été conçu comme un ouvrage défensif. Il offrait peu d'opportunités de défense. Ils n’étaient plus qu’une petite centaine face à plusieurs milliers d’ennemis.

Boromir observait les alentours. Le soleil ne tarderait pas à se lever, révélant un champ de cadavre. Déjà l’odeur de la mort avait envahi la ville dont il ne restait plus grand chose. L’ennemi avait rassemblé ses troupes, l’assaut final était imminent. Il sentait que ses adversaires jouaient avec leurs nerfs.

Un craquement retentit dans son dos. Il se retourna vivement. Une trappe, placée au centre du grand hall du palais se souleva. Deux têtes familières apparurent.

“Que faites-vous là ?”

Il dévisageait ses deux enfants d'un air sévère. Les deux jeunes gens se ruèrent dans ses bras.

Boromir arrêta de penser, profitant de ce moment d'émotion brute. Cela n'avait rien de rationnel et l'avenir de la maison des intendants du Gondor se jouait peut être à ce moment, néanmoins, il n'avait pas le cœur de renvoyer ses enfants derrière les lignes. A leur place il n'aurait pas pu agir différemment.

Aegidus s'approcha d'eux, il portait une outre de vin et des gobelets de bois.



“Seigneur Sistien, si vous me racontiez vos aventures dans le sud ? Le récit d'une bataille me semble une belle manière d'oublier l'angoisse de l'attente d'un assaut”

L'ennemi leur laissa encore une petite heure de répit avant que les défenseurs les plus avancés ne donnent l'alerte. Aegidus, Seïcha, Sistien et Boromir degainèrent leur épée de concert.

“Ainsi donc périrent les derniers défenseurs de Gwath-en-Arnen. Le point final d'une histoire héroïque et tragique.”, fit Boromir.

Une pensée traversa l'esprit du Prince. Il semblait utopiste de vouloir encore sauver sa maison. Jamais ses enfants n'accepteraient de fuir et pourtant… il s'approcha d'Aegidus.

“J'ai besoin que vous viviez, j'ai besoin que vous racontiez cette histoire pour que perdure le souvenir de l'héroïsme de la Maison des Intendants du Gondor. Je veux que les chroniqueurs royaux retiennent ces mots : An de Grâce 245 du Quatrième Âge, invasion de l'Ithilien. Mort du Prince Boromir II et de sa famille au combat.”

Il l'attira vers la trappe par laquelle étaient arrivés ses enfants.

“Prenez ce passage, nous nous battrons pour vous donner un peu d'avance.”

Dehors le bruit des combats se rapprochait. Le Prince decrocha le Cor Brisé qui trônait au dessus de la cheminée massive du hall du palais. Il la tendit à Aegidus.

“Prenez ceci, vous êtes mon confident le plus proche, vous savez à qui le donner. Peut être mon erreur du passé permettra t'elle d'offrir un avenir à mon nom.”

Boromir, Seïcha et Sistien périrent en défendant cette trappe. Aegidus suivi le long tunnel avant d’émerger hors de la forêt. Les bruits de combats avaient cessé peu de temps après qu’il se soit engagé dans le passage secret.
Nul ne sait qui fut le dernier à tomber mais il est plaisant de penser qu'ils sont morts en héros, côte à côte.



Zimrathon était, comme beaucoup de citoyens et de notables, sur les remparts d'Osgilath. Il avait observé la masse de réfugiés d'Ithilien s'engouffrer dans la ville. Ce remue-ménage lui avait permis de passer relativement inaperçu malgré son chariot bien chargé.

Cependant, en cette fin d'après-midi, c'est un tout autre spectacle qui retenait l'attention des habitants d'Osgiliath. L'avant-garde des armées de Sharaman et d'Earendil Ben-Elros s'étaient approchées en vue des remparts, suivant de près un unique cavalier, dernier rescapé des troupes de Boromir II.

Néanmoins, alignés sur le pont qui enjambait l'Anduin, les armées du Royaume Réunifié faisaient démonstration de leur puissance. Les deux princes royaux se tenaient à la tête de leurs bataillons. Le fier et fougueux Mephisto se tenait aux côtés du puissant et stoïque Irimon. Le message était clair : l'envahisseur n’irait pas plus loin.



Le cavalier solitaire fût accueilli en héros, salué par les deux Princes. Quant aux troupes des envahisseurs, elles se replièrent sagement sur leurs positions durement conquises.




“Irimon et Mephisto ?”, Beregard  n'en croyait pas ses oreilles.

Le vieil Aegidus secoua la tête.

“Un accueil royal… une maigre consolation.”

Le hobbit acquiesca.

“C'est donc vous qui avez ramené le Cor Brisé. Mais les autres objets ?”

Aegidus toussa. Une nouvelle journée était passée et le vieil homme commençait à être fatigué.

“Il s'agit d'une toute autre histoire… L’histoire d'un dénommé Zimrathon… mais n'êtes-vous pas fatigué ?”

Beregard hocha la tête et bourra sa pipe. Les hobbits n'étaient jamais fatigués pour une bonne histoire.