Vilyan remonta doucement le col de sa longue cape. Le vent soufflait, chargé de l’air glacé du Rammas Formen. Cela faisait plus d’une heure qu’ils avançaient à contre-vent, chaque pas de leur monture semblait plus difficile.
Cela faisait longtemps que le tribun n’était plus monté aussi haut au Nord de l’Arthedain. La dernière fois qu’il était venu la région était recouverte de neige et le froid engourdissait tout. Aujourd’hui, l’herbe séchée avait remplacé la neige et le vent avait pris la place du froid.
Celui qui menait la petite compagnie s’arrêta soudain, pointant quelque chose au sol. La file de cavalier se rassembla lentement pour observer le canal qui semblait creusé dans la terre. Vilyan savait exactement de quoi il s’agissait et cela le réjouissait.
“Parfait ! Nous avons une piste !”Il était quasiment impossible de se repérer dans la vaste plaine au pied du Rammas Formen. Quelques collines et des rochers venaient briser la monotonie du paysage mais cela ne suffisait pas à s’orienter complètement. Les montagnes en face d’eux était un point de repère mais il ne pouvait pas éviter de perdre énormément de temps en tours et détours.
Les canaux étaient par contre un point de repère fiable. Ils étaient creusés par les gardes éternels afin de concentrer les eaux d’écoulement de la fonte des neiges. Celles-ci étaient alors dirigées vers d’immense réserves d’eau creusées sous leurs forts. En dehors de l’hiver, l’eau était une ressources précieuse dans la région et il était important d’en avoir en réserve.
Suivre un canal constituait donc la certitude d’arriver à un moment ou un autre au fort le plus proche. Vilyan s’engagea le premier dans l’étroite ravine, heureux de prendre une direction un peu moins exposée au vent.
Il avançait tête baissé, laissant son cheval suivre avec discipline le chemin tout tracé. La bête était fidèle et efficace. C’avait été le cheval du roi pendant plusieurs années avant qu’il ne reçoive un mearas du Rohan.
Soudain, le son caractéristique d’un cor vint rompre la psalmodie lassante du vent. Vilyan releva la tête. Trois cavaliers se trouvaient un peu en surplomb du canal, juchés sur un petit promontoire.
Le tribun leur fit un signe de main engageant, dégageant subtilement la broche argentée en forme d’étoile fixée à son surcot. Les trois cavaliers se rapprochèrent en passant par un petit sentiers, venant à la rencontre du tribun et de son escorte.
“A ma connaissance, fit celui qui était en tête de gondole,
la Garde Eternelle est sous la responsabilité du Tribun Forlong et non pas du Tribun Vilyan.”Les hommes de Vilyan se tendirent instantanément. Des mains se posèrent par réflexe sur le pommeau des épées tandis que d’autres raffermissaient leur prise sur leurs rênes. La Garde Eternelle avait été créée très récemment en scindant la Vieille Garde. L’histoire avait été tendue et les rancunes étaient encore vive. Vilyan était réputé pour avoir été un des instigateur de cette réforme et la remarque pouvait paraître particulièrement délicate. Pourtant, le tribun ne sembla pas se braquer, affichant au contraire un large sourire.
“Quel plaisir Maitre Orter de vous rencontrer ici, réagit-il d’une voix enjouée,
quels vents t’ont donc porté aussi opportunément la nouvelle de ma venue ?”Artos Orter était le Maître de la Garde, un homme droit et fidèle que Vilyan appréciait beaucoup. Pourtant, les dernières infos qui lui étaient parvenues indiquaient qu’il se trouvait plus à l’ouest de la ceinture de fort. Sa présence si proche du premier fort était une surprise.
“Aucun vent ne m’a rien porté… le messager du roi par contre a mis la puce à l’oreille de mes hommes. Cela fait une semaine qu’il profite du confort de mon fort et de la pureté de mon eau.”Cela faisait un bon mois que Vilyan avait quitté Fornost avec une mission de repérage pour le Roi d’Arnor. Il était convenu que celle-ci se terminerait au Premier Fort. Il était donc logique qu’Aldarion, cherchant à le contacter, ait envoyé un messager là-bas.
Le tribun s’étonnait néanmoins de la nouvelle. Il était prévu qu’il redescende ensuite vers le Rhudaur sans passer par Annuminas.
La petite troupe se remit en branle, chacun réajustant son manteau afin d’éviter autant que possible la morsure glaciale du vent. Le fort n’était plus très loin désormais.
La ligne de forts qui gardait le Rammas Formen était une des manifestations les plus incroyables du génie militaire numénorien. Construits dans des zones excessivement difficiles d’accès et dans des conditions rudes, ils gardaient solennellement l’accès au Royaume d’Arnor. Construits avant la chute de l’Arnor, ils avaient souvent servi de refuge aux dunadan et avaient été réhabilités sous le règne d’Eldarion.
Vilyan était déjà venu précédemment dans la région mais dans un tout autre rôle. Aujourd’hui, il était là pour observer l’architecture du fort et pour comprendre sa conception. Aldarion avait de grands projets pour le nord.
Le groupe monta à l’assaut du chemin à flanc de rocher qui serpentait jusqu’à l’entrée du fort. Vilyan s'assurera que l’architecte qu’il avait pris avec lui ne manquait aucun détail du spectacle qui s’affichait sous leurs yeux.
Ils finirent par arriver à la lourde grille d’entrée du fort qui se souleva pour les laisser passer. Un homme se tenait au milieu de la petite cour. Vilyan reconnut les traits d’un des messagers habituels d’Aldarion.
“Tribun Vilyan, commença l’autre sans même lui laisser le temps de mettre pied à terre,
le Roi Aldarion vous mande dans les plus brefs délais à Annuminas.Il vous enjoint à le rejoindre dans les plus brefs délais.”Vilyan sourit. La patience n’avait jamais été la qualité première d’Aldarion.
“Messager, je réponds favorablement à l’appel de mon roi… Cependant, je vais d’abord me restaurer, prendre une nuit de sommeil, refaire mes provisions et laisser mon architecte prendre toutes les mesures qu’il jugera nécessaires. Si vous le souhaitez vous pouvez lui porter cette réponse… sinon vous pouvez attendre que nous repartions tous ensemble d’ici un jour ou deux.”Le tribun savait percevoir l’urgence relative de l’appel de son roi. Il connaissait Aldarion que si le royaume avait été en danger il l’aurait contacté autrement, comme il l’avait fait lors du retour d’Aelas.
Le messager attendait depuis une semaine, il attendrait encore bien un peu pour s’éviter le long trajet de retour en solitaire. Vilyan et Artos avaient énormément de choses à se dire.