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- Qui est la brebis galeuse maintenant ?
Les doigts de Druss s'étaient refermés autour du cou d'Amar, le faisant décoller du sol. Le rhûnien scrutait le colosse d'un œil livide. Le nez cassé et ses lèvres enflées témoignaient de la dérouillée que lui et ses hommes venaient de se voir infliger. Il tenta de sonder le regard du renégat qu'ils pourchassaient depuis des mois. Impossible. La toison hirsute du géant lui masquer la vue. Qui était-il ? D'où provenait une telle force de la nature ? Druss avait beau mesurer six bons pieds et être aussi large qu'un taureau il n'en était pas moins resté insaisissable jusqu'ici. Un véritable fantôme. Mais aujourd'hui, le spectre était tombé dans leur piège.
Amar sentit son propre sang couler dans sa gorge. Son poignet endolori tremblait frénétiquement sans qu'il ne puisse l'arrêter. Il crut un instant flotter dans les airs, tandis que Druss l'étranglait. Non, il ne pouvait pas mourir ainsi, dans ce trou paumé, à l'arrière d'un bordel empestant le sexe et la vinasse. Amar n'avait pas rejoint la foi Melkorite pour finir ainsi. Non. C'était inconcevable.
Sa main encore intacte fit un léger mouvement, libérant une dague de sous sa manche qui glissa dans sa paume. D'un geste vif, Amar planta sa lame dans le biceps du colosse. Un grognement s'échappa de Druss. La douleur l'invita à resserrer aussitôt son emprise sur le rhûnien, mais le coup bien placé d'Amar limita sa force. Il s'employa à se libérer. Druss fou de rage écrasa de toutes ses forces la gorge d'Amar. Un cri terrible sortit de la bouche du melkorite avant que le géant ne le jette au sol.
Amar rampa sur plusieurs mètres, le souffle court et son cou littéralement broyé. Il crut se noyer. Derrière lui, Druss arracha la dague de son bras.
- Je vais te tuer.
La voix de Druss résonna dans le crâne d'Amar comme une prédiction avérée. Le destin allait s'abattre sur lui avec le marteau de la mort. L'énorme hache du renégat se dressa vers le soleil brûlant. Amar n'eut pas le temps de réfléchir. Il se retourna et jeta une poignée de sable en l'air, aveuglant Druss. Le melkorite ne tarda pas à se relever d'une main et à détaler.
Leif, lame au clair, acheva dans le même temps le dernier tueur à leurs trousses. Il s'appuya sur la garde de son épée, toujours enfoncée dans le corps de son ennemi. Il devait reprendre son souffle. Druss était non loin, en train de beugler, les yeux rouges. Leif l'observa, triste et las. Son compagnon avait une force surhumaine et était capable d'écraser n'importe quel adversaire. Pourtant, sa force était aussi sa plus grande faiblesse. Il avait cette fâcheuse tendance à ne jamais couvrir ses arrières ou à négliger les blessures que l'on pouvait lui infliger. Dans le cas présent, si Amar n'avait pas été si apeuré ou en meilleure forme, il n'aurait eu aucun mal à tuer le géant devenu aveugle l'espace d'un instant.
- Où est ce fumier ?
- Parti. Je présume, répondit Leif.
Le vieil homme retira son arme du corps sans vie à ses pieds et prit le temps d'essuyer la lame. Il tira ensuite une outre de la sacoche accrochée à sa selle et la tendit à son ami.
- Passe de l'eau plutôt que de te frotter les yeux comme un buffle.
Leif caressa sa jument encore nerveuse suite au combat. Le guerrier soupira. Sa bête et lui chevauchaient depuis des années ensemble. La perdre aurait été terrible pour lui.
- Nous devons quitter Rhûn, conclut-il.
- Qu'est-ce qu'on essaie de faire depuis tout ce temps ? s'égosilla Druss.
On ne sait même pas où aller.
- La route commerciale qui passe à l'Est du Mordor et qui rejoint le Sud...Druss releva la tête, les yeux plein d'eau. Son vieil ami avait perdu la tête ?
- Un jour, tu m'as dit que tu étais originaire du Khand, souffla Leif.
Que tu y avais peut-être de la famille.
- Éloignée la famille. Je ne sais même pas s'il y a un seul encore en vie !
- Cela vaut le coup de se renseigner, non ?
Le géant lui lança son outre. Vide. La barbe trempée, il jeta un coup d'oeil rapide à son bras. Déjà Leif était en train de fouiller dans son barda pour le soigner. Druss tourna la tête vers le bordel et renifla sans la moindre distinction. Il avait déjà envie de retourner voir sa jolie rouquine. Son pantalon devint soudain trop étroit. Le sang appelait en lui des instincts sauvages et primaires.
- Tu as déjà rendu cette femme suffisamment riche, devina son ami.
Cela suffit.- Je ne sais pas par où commencer les recherches en Khand.
- J'ai toujours voulu découvrir Kryam. On dit que les courses de chars dans l'arène sont légendaires. Qu'elles durent sans jamais s'achever dit-on même.Druss gloussa. Leif était un compagnon de voyage idéal. Pince-sans-rire et fin bretteur, il était l'exact opposé de Druss. La finesse et la justesse étaient ses principes. Il lui donna une tape amicale dans le dos qui faillit bien lui décoller les poumons avant de se mettre à rire.
- En route pour Kryam alors.Plus tard, les deux compères reprirent la route en direction du sud. Derrière eux, les corps de trois des quatre tueurs à leur poursuite jonchaient encore le sol des écuries du bordel. Et les murmures autour du géant à la hache ne feraient que prendre de l'ampleur en Rhûn.
Et un Ibn Lahad s'en retournait enfin dans sa patrie.
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Manger les pissenlits par la racine