Les dents du Loup

Le palais royal de la Cité Blanche était en effet un endroit plutôt compliqué...chacun pourrait bien sûr trouver la salle du trône dans laquelle siégeaient les personnages historiques tels qu'Isildur, Denethor ou Aragorn...ou même le roi Méphisto qui régnait jusqu'à ce jour sur le Haut Royaume.
Mais hormis la salle du trône, le palais dissimulait bien d'autres mystères, des pièces innombrables, les quartiers des serviteurs et des gardes, les chambres des nobles, les armureries, salles de trésor, bibliothèques, salons, salles à manger, et d'autres, depuis longtemps tombés dans l'oubli.
Trouver la chambre dissimulant les restes du sinistre Grond n'allait pas être une tâche facile, surtout s'il fallait en plus éviter les gardes et autres...

Oui. La magie utilisée par Burfëa pour arriver jusqu'ici était sans doute impressionnante, mais comme tout, elle avait ses limites. Détourner l'attention d'un ou deux gardes à moitié endormis était une chose, arrêter une patrouille de Gardes du Roy une fois qu'ils se doutent de quelque chose en était une autre...Le subterfuge et la discretion allaient être les meilleurs alliés de l'adepte des arts noirs dans cette mission.

D'ailleurs...

Le bruit régulier d'une dizaine de pieds retentit dans un couloir. Des gardes du Roy; grands, nobles et dangereux, leurs armures noires et blanches et leurs heaumes ailés les identifiant comme faisant parti des meilleurs guerriers du royaume. S'il venait à se mesurer contre un de ces hommes du Gondor, Burfëa aurait peut être ses chances. Cinq d'entre eux le massacreraient probablement dans l'espace de quelques minutes. Bah. La mort immédiate ne serait peut être encore pas un sort si terrible. Mais un elfe ayant infiltré le Palais Royal, un grimoire orné de l'Oeil sur lui...les cachots et salles des tortures l'attendraient sans aucun doute.

Mais ce n'était pas le moment de divaguer sur ce genre de possibilités sinistres. La patrouille n'avait pas remarqué la silhouette vêtue d'une cape noire, dissimulée derrière un coin. Les soldats passèrent, et bientôt le bruit de leurs pas s'éteignit au loin...

Que faire maintenant? Trop de couloirs, trop de possibilités, trop de dangers...Burfëa n'avait pas de temps à perdre; lors du léver du soleil, les couloirs allaient se remplir de gardes, de serviteurs et de nobles, et l'apparence de l'adepte de la magie noire était loin d'être ordinaire.

Des pas retentirent à nouveau, mais cette fois ce n'était qu'une seule personne. Burfëa put aperçevoir pendant un moment la faible lueur d'un chandelier, qui disparut aussitôt dans le couloir le plus à droite. Que faire?

***

Sanko était serviteur dans le Palais Royal; son métier principal était de transporter les provisions de tout type; la nourriture, les bouteilles de vin, les tonnelets de bière, les draps, les chandelles et autres. Il devrait dormir maintenant, mais après une longue journée de travail, il avait faim. Bah, Sanko avait toujours faim, peu importe le fait qu'il avait déjà diné il y a deux heures à peine. Il connaissait bien un cuistot du Palais, celui qui y travaillait la nuit. Il allait surement lui donner du pain, de la viande, et avec un peu de chance une choppe de bière ou un verre de vin chaud. Sur cette pensée, Sanko passa sa langue sur ses lèvres, et commenca à marcher plus vite. Il n'hésitait pas, il connaissait bien les couloirs du Palais Royal...

Se dissimulant l’ombre d’un instant dans un recoin sombre, l’elfe s’immobilisa, laissant passer les gardes en armures brillantes. Ils riaient entre eux, se donnant parfois quelques baffes viriles dans le dos. Les humains…Qu’ils étaient étranges. Etaient-ce réellement eux qui avaient causés la chute de Sauron?
Les elfes étaient capables d’être plus discrets que des chats si l’envie leur en prenait, de devenir plus silencieux que la mort, invisibles aux indésirables.
Et c’était précisément ce que faisait Burfëa. Passant sans guère plus de bruit que le vent dans les couloirs, il se mit à suivre cette mystérieuse lueur, après s’être assuré que les gardes étaient bien partis.
Le pas qu’il avait adopté était rapide, pressé, et pourtant léger et silencieux.
Enfin, au milieu des ombres nocturnes, il put l’apercevoir : un homme de basse stature, portant de sa main droite un grand chandelier doré. Il était de dos, avançant d’une manière misérable, boitillante.

Que faire ? Le poignarder ? Non. Le cadavre serait découvert dès le lever du jour, et là, l’elfe ne passerait plus du tout inaperçu. A sa démarche et sa stature, il s’agissait évidemment d’un homme moindre, non un descendant de Numenor, de près ou de loin. Il accéléra le pas.
Il semblait savoir parfaitement ce qu’il faisait, et sans une hésitation pris à droite.
Un serviteur sans le moindre doute? S’il en était ainsi, le manipuler pour pouvoir atteindre Grond serait un véritable jeu d’enfant.

L’homme tourna alors à gauche, pénétrant dans une salle très éclairée, d’où émanaient d’agréables odeurs de nourriture.

« Alors Sanko? Tu as faim je vois ? Ahaha ! Allez, tiens, prends donc un peu de cette délicieuse entrecôte! »

D’un regard furtif à l’intérieur, Burfëa vit clairement qui avait dit ça : un gros cuisinier vêtu de blanc, dont le haut du crâne était dégarni. Il était vêtu de blanc, selon les normes hygiéniques en vigueur, et portait une grande toge sur la tête.
Il sortit une grande pièce de viande cuite disposée sur une large assiette, puis la tendit à son ami. Ce dernier salivait déjà d’envie et ne se fit pas prier. Il se jeta sur le plat, le dévorant avidement, se refrénant difficilement pour reprendre son souffle entre chaque bouchée.
L’adepte des arts noirs sorti alors l’épais livre dont il ne se séparait jamais et chercha tranquillement, feuilletant sans bruit les pages.
Enfin, il tomba sur ce qu’il désirait: un chant permettant de réduire la volonté d’une personne à néant. Une puissance suffisante pour faire griller tous les neurones de ce Sanko.
Mais il ne fallait pas se faire remarquer…Comment procéder?

Alors, Burfëa eut une idée, en voyant le cuistot sortir une pille d’assiettes.
L’homme avançait lentement, précautionneusement.
Soudain, l’elfe donna un vigoureux coup de pieds dans le mur. Surpris, l’homme lâcha la vaisselle, qui s’écrasa au sol dans un véritable festival de fracas tonitruant.

« Ah bah bravo! »

« C’est pas ma faute, tu ne l’as pas entendu ? »

« Entendu quoi ? Tu as été maladroit, c’est tout »

« Non, je… »

Ils continuèrent à s’engueuler. Profitant du bruit occasionné, l’elfe noir entama son chant, à mi-voix. Nul être inférieur d’intellect ne pourrait plus lui résister grâce à l’aura de puissance qui l’entourerait bientôt.
Les deux hurlaient toujours plus fort, quand soudain il pénétra dans la pièce, levant une main et imposant le silence.
Le cuisinier et son ami, comme fascinés, se turent

« Toi, Sanko…Amènes moi dans la salle où sont conservés les trophés de guerre. »

L’homme hocha de la tête, puis sortit dans l’encadrement de la porte, prenant son chandelier

« Suivez moi, maître. »

Un sourire cruel apparut sur le visage de Burfëa.
Tout se passait comme prévu.

Oui...pris complètement par surprise, occupés à leur dispute, ces deux simples hommes succombèrent facilement aux arts noirs de l'elfe.

Et ils s'avancèrent lentement, l'elfe et le serviteur, à travers les couloirs désertés du Palais Royal.
Ils tournèrent, descendirent des escaliers, franchirent des portes. Sanko n'hésitait pas une seconde, il connaissait le palais comme sa poche...mais Burfëa devait faire très attention à ne pas oublier le chemin.

Finalement, ils se retrouvèrent devant une porte massive, décorée d'un symbole de l'Arbre Blanc incrusté dans le bois. Sanko sortit des clefs de sa poche, et en choisit une grande, puis la mit dans la serrure...la porte s'ouvrit avec un grincement sinistre.

Burfëa se retrouva dans une chambre circulaire très grande. Les murs étaient recouverts de trophées de toute sorte: des bannières haradrimes, orques, et autres. Des sabres gobelins, des lances haradrimes, des haches variag, des massues de trolls de guerre...la liste était sans fin. Plusieurs armures complètes accompagnées d'armes et d'étendards avaient certainement appartenu à des chefs et rois ennemis, défaits par la puissance du Gondor.

Mais parmi toutes ces merveilles, on ne pouvait voir d'objets magiques...il n'y avait pas de dents du Grond ici.

Sanko, lui, restait sans bouger, son regard brouillé et sa bouche formant une grimace indifférente. Avait il mal guidé Burfëa? Non...impossible, il n'aurait pas pu résister au sort. Et puis c'était bien la salle des trophées...Une petite porte de bois noire se trouvant du côté opposé de la pièce attira son regard. Elle était recouverte de runes, que l'elfe ne connaissait pas. Un sortilège? La porte avait dû être enchantée par un mage de la Cité, sans aucun doute plus puissant que Burfëa. La magie noire n'allait pas l'aider ici...

Des lettres...oui, quelques phrases étaient écrites sur la porte.


Une devinette...qu'est ce qu'il se trouvait de l'autre côté de cette porte? Qui sait...mais quelqu'un semblait y tenir suffisamment pour demander à un mage de l'enchanter. Une devinette sur un seigneur et un...loup?

L'énigme fit sourire l'elfe. Elle était écrite en ancien elfique, permettant déjà d'écarter la majorité des ennemis qui se seraient dressés face à elle. Mais un elfe, voici qui était parfaitement inhabituel.
La petite devinette était vieille comme le monde, connue pour ceux qui parvenaient à la déchiffrer.
Apposant sa main sur l'arbre blanc sans la moindre hésitation, Burfëa parla à mi-voix

« Le seigneur d'abord emmènera la chèvre de l'autre côté, puis reviendra vers son loup.
Emmenant ensuite ce dernier de l'autre côté, il refera grimper sa chèvre dans l'embarcation, empêchant le carnivore de dévorer l'herbivore.
A son retour sur la rive d'où il désirait initialement traverser, il prendra le lembas, laissant la chèvre à la place.
Déposant les biscuits au côté du loup, qui n'a que faire des pâtisseries, il repartira ensuite chercher sa chèvre et la mener de l'autre côté. »

Ce n'était pas là la formule exacte. La porte ne bougea pas. Soupirant, Burfëa répéta ses paroles, mais dans la langue utilisée. Il y eut un craquement. Quelque verrou secret se débloquait. Alors, il le sentit. Plus prompt que ne l'aurait été un homme, il dit alors

« Le gros, devant moi! »

L'humain bondit. Alors que la porte s'ouvrait, une sphère enflammée jaillissait des profondeurs de la salle. Le cuisinier royal n'eut même pas le temps de pousser un cri qu'il était déjà réduit à l'état d'un tas de cendre. Ses habits et sa chair dégageaient une odeur âcre. Sans pour autant être attristé de cette perte, le sorcier sentit qu'il devait être très vigilant.
Pas de doute, le mage qui avait fait le sceau de protection savait ce qu'il faisait, et ne voulait pas que quiconque pénètre cette salle. Il avait bien fait d'emmener en plus ce gros bonhomme.
Sanko pouvait toujours être utile après tout.
Entrant dans le petit lieu obscur, une pièce ronde et humide, il observa attentivement, usant de sa vision d'aigle.
Allait-il trouver le Grond ici?

Oui...le mage de la cité n'avait pas prévu qu'un personnage aussi rusé et ancien apparaitrait un jour devant cette porte pour découvrir les secrets d'une des chambres les plus protégées de Minas Tirith...

Les cendres étaient tout ce qui restait de ce pauvre homme qui avait la malchance de tomber sur Burfëa. Un simple serviteur, sans famille, il ne manquerait probablement à personne. La première victime sur le chemin de l'elfe vers le pouvoir...mais surement pas la dernière. Oui, des terribles choses se passaient lorsqu'un être ancien et sage se laissait corrompre par le désir de d'acquérir un savoir aussi obscur...

Cette pièce aussi était circulaire, mais bien plus petite et obscure. Il faisait froid...très froid. L'angoisse et la peur envahissaient les pensées de chacun qui y entrait, les incitant à regarder tout le temps autour de soi en recherche d'ennemis ou monstres invisibles. Oui, un pouvoir sombre régnait dans cette pièce. Des coffres fermés longeaient ses murs, faits de bois noir, protégés par des cadenas d'acier. Que pouvaient ils contenir? Les plus grands secrets du Gondor, les objets maléfiques rencontrés lors des guerres innombrables contre les créatures du mal. Les pièges crées par le Mage de la Cité n'étaient pas ce qu'il y avait de plus dangereux dans cet endroit; chacun de ses objets pouvait apporter la mort ou la perte de l'âme de celui qui s'en emparerait.

Le regard de Burfëa fut attiré par une grande table de bois noir. Des morceaux étranges d'acier noir tordu étaient posés dessus, ainsi que des chaines et des...dents? Des longs poignards de fer sans manche. Les dents du loup, brisés par les courageux hommes du Gondor. Un aura maléfique les entourait...elles firent jadis partie d'un bélier qui brisa en trois coups la Grande Porte de Minas Tirith, construite par les artisans de Numenor.


***

Ce que Burfëa ne savait pas, c'est qu'un homme l'avait vu et suivi depuis les cuisines. Ayant entendu des bruits étranges, et vu ce personnage sombre encapuchonné lancer un sort sur les deux hommes, le serviteur en question eut le courage de les suivre jusqu'à l'entrée de cette pièce, se cachant dans les ombres. A présent, il avait vu assez. S'éloignant suffisamment pour ne pas être entendu, il se mit à courir comme s'il avait un balrog à ses trousses. Il courait vers les quartiers de la garde royale. Un quart d'heure plus tard, tous les hommes furent avertis. Une unité accompagnée d'un apprenti mage fut envoyée dans les souterrains du palais. Des patrouilles circulaient à présent dans toute la cité, munis de torches et armés jusqu'aux dents. La Grande Porte fut fermée, des soldats patrouillaient les murailles...

D'un pas en avant, il se saisit des grandes dents. Il sentait la terrible puissance qui les enveloppait, tel un manteau dense. Les dissimulant dans son ample manteau, il se tourna ensuite vers Santô, et le tas de cendres au sol. Il soupira. Jamais il n'avait voulu avoir à détruire des êtres vivants.
Mais la connaissance était visiblement à ce prix. S'il souhaitait embrasser le feu sombre et le feu secret, il lui fallait connaître absolument tous les genres magiques, les maîtriser.

S'il y parvenait, il ferait son possible pour tenter de ramener l'homme. Mais était-ce seulement possible?...Il réfléchit un instant. Non. Il était impossible de le sauver du Noir destin que les Valars avaient donné aux Hommes. S'approchant des cendres, mettant un genoux à terre alors qu'il sortait de la salle, il prononça quelques mots à voix-basse. Enfin, se relevant, il tourna les yeux vers Santô.
Il entendit alors, résonnant dans les couloirs, des bruits de pas. Quelqu'un approchait!
Il prit un instant de réflexion. L'avait on suivit? Si c'était le cas, la suite était aisée à deviner. Il sortit les dents de sa cape, les glissant dans les vêtements elfiques qu'il portait en dessous, ainsi que son grimoire. Il ôta ensuite son manteau. Il n'aimait guère se révéler ainsi, mais c'était la seule solution.
Burfëa se tourna vers son ''serviteur''.

« Santô, va chercher des habits. Des blancs. » Il lui tendit le manteau « Si l'on t'interroge, tu as surpris un homme de petite taille qui s'enfuyait, et qui a abandonné le manteau. Retrouve moi en-dehors du palais. »

Se tournant vers la petite porte, il la referma sans bruit, puis s'avança dans les couloirs. Qui donc soupçonnerait un elfe d'être l'auteur d'un crime aussi terrible?
Une patrouille croisa son chemin. Burfëa prit un air dépité

« Je...J'ai vu un homme drapé de noir...Il était vers là-bas! » dit il, désignant l'endroit d'où il venait « On aurait dit...Un cavalier noir! » l'évocation des ombres du passé firent trembler les vaillants soldats. Ils prirent un air féroce, puis s'élancèrent la direction désignée par Burfëa.
L'elfe s'éclipsa dans les couloirs. A chaque fois qu'il rencontrait une patrouille, il l'envoyait à l'autre bout de la cité, les disséminant ainsi, les dispersant. Il avait demandé à l'une d'elles, d'un air inquiet

« Combien y a-t-il d'hommes pour arrêter cette...Chose?... »

L'officier lui avait répondu d'un ton enjoué

« Oh, environ une cinquantaine, sans compter l'apprenti mage. Ne vous inquiétez donc pas! »


*Quarante-cinq » Pensa l'elfe. Quarante-cinq des hommes étaient à présent lancés dans les cercles supérieurs de la cité à sa poursuite. Sankô l'avait rejoint, lui donnant son manteau noir, ainsi qu'un manteau blanc qu'il enfila par-dessus, dissimulant ainsi ses vrais habits. Il avait l'air, vêtu ainsi, d'un elfe sage et respectable.
Il passerait les portes sans problème. Mais il y avait encore cinq hommes et un mage. Le plus difficile à vaincre.

Burfëa avait de la chance, c'était la moindre de choses qu'on puisse dire. Il pouvait être rusé, talentueux. Mais une étoile semblait briller au dessus de lui, malgré ses intentions sombres.
En effet, malgré les quelques elfes vivant dans la Cité Blanche, les gardes auraient eu des soupçons en en voyant un au Palais un jour normal. Cependant une délégation diplomatique du peuple elfe habitait dans ce lieu depuis quelques semaines, et les soldats considérèrent Burfëa comme un de ses membres.

Mais l'elfe avait raison. L'élément le plus dangereux de son aventure n'était pas encore venu. Voler les Dents du Loup était une chose. Sortir de la Cité vivant en était une autre. Surtout avec un apprenti mage à ses trousses; un apprenti qui n'allait pas être dupé par les talents magiques ou théâtraux de l'elfe.

Burfëa était sorti du palais et s'avançait dans les rues de la Cité Blanche. C'était cette période incertaine entre la nuit et le jour, caractérisée par une grisaille étrange où les ombres dansent et disparaissent comme par magie. Il n'y avait que très peu de passants à cette heure ci. Un ou deux mendiants, une prostituée revenant chez elle après une longue nuit de travail, un boulanger à moitié endormi...et...un homme vêtu de blanc, accompagné de cinq autres en armures noires. Ils marchaient dans la rue, se dirigeant vers le Palais.

L'homme vêtu de blanc, un Gondorien svelte aux cheveux noirs et au profil d'aigle, s'arrêta soudainement, et leva les yeux. Il regarda Burfëa dans les yeux, un regard froid comme la glace. Il sentait la puissante magie noire émanant des profondeurs de sa cape. Oui...les objets dotés de puissance obscure s'avéraient souvent traîtres.

-C'est l'elfe. Tuez le.

Les gardes de la tour sortirent leurs lames; la plupart tenaient des épées, mais deux avaient des hallebardes.
L'apprenti mage quant à lui s'était arrêté à quelques mètres de Burfëa et tenait ses mains devant lui, concentré. Un aura bleu se formait aux bouts des ses doigts...

L'elfe pouvait essayer de combattre...ou fuir. Combattre contre un apprenti mage et cinq gardes de la fontaine semblait être de la folie, et fuir...où? Les grandes portes étaient fermées. Il y avait cependant des endroits discrets dans la cité...des tavernes, des cachettes..l'une se nommait Mazarbul. Le choix appartenait à Burfëa.

Le choc fut aussi terrible qu'inattendu. Encore deux braves âmes mortes à cause du désir de pouvoir de l'être immortel...oui. Le nombre de victimes augmentait, chaque mort éloignant Burfëa de la noblesse de son peuple, de la pureté de coeur qui caractérisait les elfes...il devenait un être déchu, terrible dans son savoir et son expérience.

Le soldat qui tenait encore sur ses jambes, un grand Gondorien barbu, regardait autour de lui, choqué. Il entendit la voix de l'elfe...tout semblait si logique, si clair. Cet être était tellement noble, il avait le droit d'être en colère face à une erreur commise par les hommes du Gondor...une erreur qui leur coûterait des précieuses minutes pouvant être utilisées dans la poursuite du vrai ennemi. Oui, il fallait trouver le véritable voleur. Vite.

Ses pensées traversant son esprit, le guerrier du Gondor acquiesça d'un hochement de la tête, et commença à marcher d'un pas rapide dans la direction du palais...

L'elfe avait réussi. Encore une fois, la chance et a propre intelligence lui avaient souris.

Une vague d'énergie puissante le souleva soudainement en l'air, coupant son souffle, le jetant telle une marionnette dans un tas de caisses de bois abandonnées au coin de la rue.

L'apprenti mage de la Cité Blanche se tenait droit, les mains levées, les yeux brûlants comme l'acier gris. Si Burfëa avait pris le temps d'observer son ennemi, il aurait remarqué la couleur de ses yeux et la noblesse de ses traits, dévoilant ses origines de Dol Amroth, donc le sang elfique qui coulait dans ses veines. Son sang mêlé faisait aussi de lui un être fort d'esprit. Pendant que l'elfe jouait sa comédie, l'apprenti mage déclamait son propre sort, cachant les mouvements de ses lèvres avec ses mains, qu'il avait levé vers sa bouche dans un faux geste de choc. La vague d'énergie qui frappa le sorcier était suffisamment puissante pour l'envoyer plusieurs mètres en arrière, et le paralyser pendant plusieurs secondes, même si elle n'avait pas de force fatale.

Le soldat qui avait commencé à s'éloigner quelques secondes plus tôt, se retourna, choqué:

-Que faites vous?! Cet elfe travaille pour le Roy!

-Non. Cette créature ne sert que ses propres intérêts. Vous avez été manipulé, caporal! Vous me croyez pas? Alors comment se fait il que suite aux paroles de cet elfe vous avez commencé à marcher, sans même jeter un coup d'oeil à vos compagnons d'armes mourants qui gisent encore maintenant par terre?!

La voix de l'apprenti mage était puissante et calme. Le caporal cligna des yeux, et son visage devint pâle lorsqu'il comprit la situation. Il sortit son épée et commença à s'approcher de Burfëa, plongé dans une colère terrible. Non, l'elfe ne pourrait plus prendre possession de l'esprit de cet homme...plus rien ne pouvait éteindre la haine que le guerrier éprouvait pour le sorcier à présent.

Les deux hommes encore vivants commençaient doucement à se relever, en cherchant leurs armes du regard...ils ne tarderaient pas à rejoindre leur camarade, malgré leur faible état physique.
L'apprenti mage quant à lui était prêt à l'action, tenant ses mains dans une position défensive.

Combattre ou fuir. C'étaient les seuls choix. L'heure de la manipulation était terminée.

Ainsi, Burfëa s'était avéré non seulement un mage habile, mais aussi un adversaire disposant d'une force et agilité suffisantes pour assommer un guerrier vétéran au service du Gondor. Les avantages physiques du peuple elfique, la ruse et la désorientation du soldat avaient permis au sorcier elfique de fuir encore une fois les griffes de la mort.

***

L'apprenti mage de la Cité Blanche essuya les larmes que la fumée irritante avait causées avec le manche de sa tunique, et la dissipa avec une brève formule. Ses lèvres formèrent un sourire dépourvu de toute joie. Un adversaire digne de ce nom avait donc défié le pouvoir de la Tour d'Ivoire. Il payerait.

Vérifiant rapidement que l'état du garde assommé n'était pas critique, le mage au visage sévère s'avança d'un pas rapide vers les portes de la Cité. Une vingtaine de gardes la surveillaient, empêchant quiconque de quitter la cité.

-Laissez la porte. Allez rechercher l'elfe dans la cité, ne vous fiez pas aux apparences.

-Mais il passera sans doute par ici si il veut quitter la cité! On ne peut pas abandonner notre poste!

-Faites ce que je vous dis. Je prends sur moi la responsabilité sur les conséquences de cette décision. Si le sorcier voit une garnison aux portes de la Cité, il se planquera pendant des journées entières. Si il n'y voit personne...il tentera sa chance. Je l'attendrai.

Les soldats hésitèrent un moment, mais voyant la détermination dans le regard du mage, ils s'éloignèrent d'un pas rapide vers le centre de la cité.

***

Tout s'était passé comme prévu. L'apprenti mage avait profité de l'attente pour méditer et préparer son énergie pour le combat. Un luxe dont Burfëa avait été dépourvu, étant concentré sur sa fuite.

-Vous ne passerez pas!

Sa voix était forte, mais calme. Remplie d'une rage contrôlée. D'un feu sacré. D'un zèle destructeur envers ce sorcier qui mettait en danger la Cité Blanche. Il ne perdit pas de temps. Dès que l'elfe avait fini de prononcer ses paroles, le mage au visage sévère le heurta avec la vague d'énergie accumulée au cours d'une incantation effectuée auparavant. Une fois de plus, Burfëa fut soulevé en l'air et envoyé sur les pierres blanches avec une puissance terrible.

L'apprenti mage n'hésita même pas un instant. Murmurant sans cesse et gesticulant de ses mains, il fit voler le grimoire des doigts crispés de l'elfe.

Sa voix devenait de plus en plus forte, la sueur coulait sur son front, mais il continuait son assaut incessant, sans perdre sa concentration même pendant une seconde. Un cercle de flammes se forma autour de l'elfe, l'empêchant de respirer, l'empêchant de voir ou de fuir.

Le mage au visage sévère était le meilleur apprenti de cette génération, et allait sans doute devenir un des plus puissants mages que la Cité Blanche n'ait connu. Ses longues études sur la magie elfique et celle des Istari avait porté fruit. Un sorcier maléfique du calibre de Burfëa pouvait peut être utiliser la ruse pour faire face au demi-elfe, mais ne pouvait le vaincre au combat ouvert.

Ainsi, la fin s'approchait. Endolori, à moitié conscient, et prisonnier des flammes, l'elfe n'avait plus aucune chance. Le mage de la Cité Blanche leva ses mains, en prononçant une dernière formule fatale...

Sa tête fut violemment tirée en arrière, dévoilant sa gorge. Une courte l'âme d'acier brilla brièvement, puis mordit la peau du semi elfe, faisant apparaitre une rivière de sang. Les lèvres du mage bougèrent encore pendant un moment, prononçant des paroles inaudibles, puis il s'écroula, s'étouffant avec son propre sang.

Les flammes magiques qui entouraient Burfëa s'éteignirent soudainement, dépourvues du flux d'énergie provenant de l'enchanteur. L'elfe put voir un homme maigre, vêtu d'une tunique pourpre. Une courte barbe noire couvrait son menton, et il tenait un rasoir ensanglanté dans sa main. Il s'approcha de Burfëa, et l'assomma d'un coup de poing dans la tempe.

***

Lorsque l'elfe ouvrit les yeux, il put voir qu'il était couché sur une banquette dans une pièce éclairée par une cheminée. Les murs étaient vieux et les quelques meubles étaient simples et usés, mais confortables. L'homme qui avait égorgé l'apprenti mage dans la Cité Blanche était assis dans un fauteuil à côté, en jouant avec le rasoir fatal.

-Vous êtes enfin réveillé. Il était temps, je vous ai pas frappé si fort que ca. Vous êtes un personnage intéressant...affronter un apprenti mage de la Cité Blanche, et porter sur soi un grimoire et des artefacts maléfiques? Oui...ce genre de personnes se font rares. Et utiles.

Le regard de l'homme barbu se posa pendant un court instant sur le grimoire et les dents du Loup, posés sur la table, en dehors de la portée de Burfëa.

L'homme rigola, non pas un rire sec, mais rempli de jovialité, comme si il voyait vraiment quelque chose d'hilarant dans les paroles brèves de Burfëa.

-Un elfe qui passe tout de suite aux affaires? Incroyable, vraiment! Votre instinct ne vous trompe pas. Je souhaite effectivement utiliser vos...talents. Je pense que c'est la moindre des choses que de rendre un petit service à votre sauveur, n'est ce pas? A moins que vous préfériez que je vous ramène au point de départ, dans une ruelle de la Cité Blanche, entouré de gardes. Ce petit service donc, consistera à utiliser votre maitrise des esprits humains. J'ai jeté un petit coup d'oeil dans votre charmant livret. Je ne suis pas un spécialiste, mais il me semble que vous savez convaincre certaines personnes à faire des choses...inconsciemment. Cela m'intéresse. Nous intéresse. Le contrat sera simple. Lorsqu'il sera accompli, vous aurez un choix. Rester avec nous, en tant que employé...de longue durée, ou partir de votre côté.

L'homme sortit son rasoir meurtrier, et commença à jouer avec. La lame coupante tournait avec une vitesse hallucinante dans ses doigts, il la pliait, dépliait, lançait en l'air et passait de main en main sans même y accorder de l'attention. Après une brève pause, il reprit ses paroles:

-Mais d'abord, il me semble que vous avez quelque chose à faire, n'est ce pas? Vous êtes un être rusé et assez puissant, mais savoir que ces..dents..se trouvaient à Minas Tirith dans une chambre sécrète du Palais Royal...ce n'est pas quelque chose de commun. Même parmi les Eldars. Il me semble aussi que vous manquez encore le savoir nécessaire pour s'en servir. Vous travaillez donc pour quelqu'un, n'est ce pas? Quelqu'un en dehors de la Cité Blanche. Sinon vous ne vous seriez pas hâté de quitter la ville à cette vitesse. Deux semaines. Je vous donne deux semaines, et ensuite je vous attendrai à la frontière Nord de la forêt des Druadan, entre le Rohan et le Gondor. Vous y serez, n'est ce pas?

La lame s'immobilisa dans les doigts de l'homme, qui jeta un long regard à Burfëa.

#Swan

Ce fut au tour de Burfëa de rire. Et quel spectacle surprenant!
Lui qui habituellement ne parlait qu'à voix basse, chuchotant presque, sa voix apparaissant presque spectrale, riait à présent à gorge déployée; mais pas d'un rire jovial, non. Il s'agissait de la folie qui dévore l'esprit, du dernier cri de douleur de la partie saine avant de n'être infectée à son tour. Un rire qui résonna comme le tonnerre, glaçant le sang, effrayant.
Son rire se stoppa aussi soudainement qu'il était apparu. L'elfe, qui avait rejeté sa tête en arrière quand il riait, redevint raide, comme si rien ne s'était passé, parlant de nouveau à sa façon discrète

-Evidemment, j'aurais dû m'en douter...Une organisation si je ne me trompe pas...Vous êtes un criminel, pour agir ainsi dans l'ombre...

Se levant de son siège, il ferma totalement son ample manteau, jetant un coup d'oeil autour de lui pour s'assurer d'où se trouvait la porte. Il fit plusieurs pas vers la sortie, dévoilant une longue main qui se posa doucement sur la poignée.
Il était à présent sur le pas de la porte.
L'elfe en quête de connaissance ne désire qu'apprendre. Les victimes évoquées par l'humain ne sont pas ce qui l'intéresse.
Il ne recherche pas le sang. Il ne désire pas cela.
Mais a-t-il vraiment le choix?...Après les morts qui sont déjà tombés face à lui, a-t-il autre solution?

-J'y serai bien évidemment. Reste à savoir ce que je ferai en me retrouvant face à vous, de tenter de vous éliminer ou bien de vous rejoindre. Ne pressons pas le temps, il passe déjà trop vite. Profitez de votre courte vie, humain.
Croyez le ou non, la Faucheuse est hâtive et capricieuse.
À dans deux mois donc. En espérant que vous m'expliquiez mieux vos attentes que vous ne l'avez fait ce soir.
Toutefois, je vous remercie de votre intervention. Adieu à présent.

Après quoi il sortit, refermant la porte derrière lui. Le maître des Potions, le vieil homme l'attendait.