Caras Aur Aldarion triturait la lettre de Saemon d'une main, l'autre tapotait mécaniquement sur la table de bois à laquelle il était installé. Son regard, projeté vers le doux relief de l'Emyn Uial et le petit lac en contrebas, avait fini par se perdre dans le vide.
Saemon avait bien travaillé. L'amnistie de Sirion était une épine diplomatique en moins à gérer et l'abandon des taxes sur les imports allait permettre de maintenir une certaine sérénité dans les relations entre voisins. Le Roi d'Arnor n'en était pas moins circonspect sur le fonctionnement du Conseil du Sceptre. Les seigneurs du Gondor continuaient à agir et à penser comme si l'ensemble des peuples libres attendait et acceptait sans sourciller leurs décisions et leur commandement. Le monde avait changé et si le Gondor restait une grande puissance économique et militaire, ils n'étaient plus seuls. L'alliance entre l'Arnor et Dale en faisait désormais un axe puissant. Le Rohan, qui peinait à se sortir de crises successives, était historiquement un allié naturel du Gondor… mais Fendor était un de ses protégés. Aldarion souhaitait sincèrement un renforcement des relations avec le royaume de son oncle. Néanmoins, le mélange de volatilité, d'égoïsme, de protectionnisme des Seigneurs du Gondor combiné avec l'absence d'une véritable ligne directrice constituait un mélange qui pouvait se révéler explosif à terme. La nomination de Daliah de Ronce comme intendante était cependant une bonne nouvelle. A défaut d'avoir une vision politique très affirmée, la Rose Noire avait souligné son pragmatisme et sa détermination.
Il posa la missive de Saemon pour saisir sa longue pipe qui fumait toute seule sur le rebord du balcon de pierre. Il tira une longue bouffée et la recracha en formant un cercle de fumée. Cela lui rappelait son jeune temps, quand il montait la garde perdu au milieu de la Plaine Sans Fin.
L'Emyn Uial était une région autrement plus hospitalière. Si l'activité de minage était dure, nombreux était les nobles d'Annuminas à y avoir une demeure secondaire. La région était belle, vallonnée et relativement protégée des rigueurs de l'hiver. La multitude de petits lacs et de vallées valaient le déplacement et le calme y régnait.
Aldarion aimait s'y rendre pour se ressourcer sans s'éloigner trop du palais. Il évitait ainsi l'agitation de la capitale.
“Déjà au travail ?”
Dinaelin se tenait dans l'embrasure de la porte qui donnait sur le balcon.
“Tu n'as pas froid ?”
Aldarion sourit en entendant cette question. Il avait connu des nuits vraiment froides dans les forts du Rammas Formen. Des nuits où aucun homme ne survivait longtemps éloigné d'un feu et d'une peau de bête. Le voir dehors, vêtu d'une simple cape de laine en plein mois de février devait surprendre la princesse de Dale. Elle avait d'ailleurs emporté avec elle l'épaisse peau d'ours blanc qui tapissait leur lit.
Aldarion eût un très léger pincement au cœur. Cette peau il l'avait obtenu à la faveur d'un combat acharné alors qu'il s'était fait surprendre lors d'une de ses expéditions en Baie de Forochel. Blessé, il avait tenu à traîner la peau de bête avec lui jusqu'à un village lossoth où il avait été soigné. De retour à Fornost, il l'avait offerte à Elaera. Cette histoire, comme bien d'autres, Dinaelin ne la connaissait pas. Au final, cela lui plaisait beaucoup. Elaera l'avait connu enfant, elle savait tout de lui, du jeune homme fougueux qu'il avait été au jeune Roi stratège qu'il était devenu. Dinaelin découvrait peu à peu l'homme qu'il était devenu. Un homme déterminé, implacable dans ses idéaux mais aussi beaucoup plus capable de relativiser et de s'accorder le temps de la patience. Ce n'était pas un mal et Aldarion appréciait la manière dont ils construisaient leur amour dans un savant mélange de confiance et de séduction.
D'un geste il l'invita à le rejoindre. Elle se glissa sur le le petit banc et l'enveloppa de la peau d'ours. Elle se serra contre lui. Elle dégageait une agréable chaleur et son contact le fit frissonner de plaisir. Ils étaient arrivés tard la veille et, une fois la visite du petit château terminée, ils avaient fini au lit où ils s'étaient endormis comme des masses. Le Roi sentait le désir inassouvi monter au contact de la jeune femme, mais le temps n'était pas encore venu.
Du doigt, il lui indiqua un point à l'horizon. Le soleil se levait entre les collines baignant l'endroit d'une magnifique lumière. Dinaelin se serra fort contre lui. Caras Aur, le fort de l'aube, portait bien son nom. Ils restèrent quelques minutes à profiter de ce moment suspendu.
“Viens te recoucher”, glissa finalement Dinaelin d’un air entendu.
Aldarion sourit largement.
“Pas avant notre entraînement.”Aldarion avait imposé à son épouse un entraînement quotidien au maniement de l’épée. Bien qu’elle ait été formée de manière sommaire par son père, le Roi souhaitait qu'elle soit capable de se défendre. Elle n'était plus princesse d'un petit royaume mais bien la reine d'une des plus grandes puissances du monde libre.
Durant ces quelques jours de villégiature, seul Othar le Chambellan les avait accompagné jusqu'au petit château. Caras Aur était situé sur un piton rocheux qui s'élançait de la berge jusqu'au milieu de Ael Dolen, le lac secret. Les hommes de la Garde de la Rose, Hector en tête, se tenait dans le corps de garde logé à côté de la porte qui protégeait le petit chemin d'accès au château. Othar servait à la fois de maître d'hôtel, de secrétaire, de cuisinier et de serveur. Il n'apparaissait qu'à la demande afin de maintenir cette illusion de solitude à laquelle tenait tant le Roi. Homme plein de ressources, il ne brillait cependant pas par ses compétences en tant que bretteur. Capable de se défendre et de défendre son roi, il n'avait pas pour autant grand chose à apprendre la Reine. C'est donc Aldarion lui même qui se chargeait d'assurer l'intérim du maître d'armes.
Les deux époux se retrouvèrent dans la salle d'arme qui se trouvait au sous-sol du château. La pièce circulaire était tapissée de panneau de paille visant à éviter les blessures. Sous ses airs de maison de campagne, Caras Aur était parfaitement équipé, disposait de réserves en armes et en nourriture pour tenir un long siège et ne connaissait pas de véritable faille dans son système défensif. C'était une petite forteresse, tout à fait adaptée à qui souhaitait s'y réfugier, s'y cacher et s'y défendre même avec très peu d'hommes. Une poignée d'hommes de la Garde de la Rose s'y tenaient en permanence.
Le roi et la reine avaient tous les deux revêtus une tenue adaptée à la pratique de l'escrime. Un pantalon cintré et une chemise proche du corps. Dinaelin avait attaché ses cheveux en un chignon serré. Aldarion la trouvait très séduisante dans ces habits qui mettaient en évidence sa beauté naturelle.
Ils échangèrent quelques passes d'armes inoffensives en guise d'échauffement. Aldarion bénéficiait d'une meilleure allonge mais la Reine était rapide. Subtilement, il intensifia ses attaques. Dinaelin tenait l’échanges mais ses joues de teintait progressivement de rouge tandis qu’elle puisait dans ses réserves.
Elle avait bien progressé en quelques mois et parvenait à résister tandis qu’il variait les coups, les parades et l’intensité.
Soudain, il recula d'un pas, feignant de créer une ouverture. Naïve, elle se projeta en avant pour s’y engouffrer. Agile comme un chat, Aldarion pivota, se glissa derrière elle et posa la lame de son épée d'entraînement contre sa gorge.
Prise au piège, elle leva les bras, lâchant son épée en signe de reddition. Puis, doucement elle pivota, un sourire entendu sur le visage. Lentement elle s'accroupit jusqu'à ce que son visage arrive à hauteur de la ceinture d'Aldarion. Elle la détacha lentement, le provoquant du regard. C'était là une spécialité que les femmes de Dale s'apprenaient entre elles, une spécialité qui rendait leurs maris fous… Bien que surpris au début, Aldarion avait appris à apprécier cette faveur très particulière.
Cependant, son désir était monté tellement en lui qu'il aspirait à autre chose… Toujours dans l'énergie du combat, il passa sa main sous son menton pour l'interrompre, lui releva le visage et l'embrassa sans douceur. D'un mouvement sec il la retourna à nouveau, se collant à elle et glissant sa main libre sous sa chemise. L'embrassant dans le cou, il la repoussa jusqu'au mur et, l'appuyant contre un des panneaux de paille s'attaqua à son tour à la boucle de sa ceinture. Loin de s'effaroucher, la jeune reine gémit, encourageant son époux à continuer.
Ce fut intense et sauvage. Ils auraient tout le reste du séjour pour laisser place à la douceur.