Les pieds nus dans la cendre

La première chose que ressentit Lisan était un atroce mal de tête. Avant même d’ouvrir les yeux, la douleur le submergea. Il avait du mal à se situer, il avait sans doute perdu connaissance. La lumière l’aveuglait et il décida de garder ses yeux fermés encore un petit moment.

Il se souvenait vaguement de la charge. Il avait été pris par l’enthousiasme de la bataille, galvanisé par le discours du Vice-Roi et exalté par la vision de ces milliers de cavaliers lancés au galop. Le choc avait été violent, ils s’étaient heurtés à un mur. Les dwimmens étaient loins d’être des oiseaux pour le chat. Ils s’étaient retranchés derrière des dizaines de chariots renversés qui avaient stoppé tout l’élan de l’assaut. Les soldats du riddermark s’étaient alors retrouvés submergés par l’ennemi, trop peu nombreux face à la masse grouillante de leurs adversaires. C’étaient là les derniers souvenirs de Lisan.

Le cavalier tenta de remuer. Il ne put que faire l’amer constat qu’il était entravé. Ainsi donc il n’était plus sur le champ de bataille, il n’était pas non plus à l’infirmerie… de toute évidence la bataille était terminée et les siens avaient été défaits. Il tenta de remuer ses pieds pour constater qu’ils étaient nus. Ses sens s’éveillant peu à peu, il réalisa qu’il ne portait plus que la fine chemise de lin qu’il glissait sous sa cuirasse et son pantalon en laine. En s’agitant un peu, il constata qu’il reposait sur un sol terreux… presque poudreux.

Péniblement, il parvint à ouvrir les yeux. Des hommes s'agitaient partout autour d’eux. Des guerriers pour la plupart. Lisan n’avait pas pu faire une grande observation de ses ennemis en plein cœur du combat. Il avait néanmoins été marqué par le teint noir des dwimmens. Les légendes à ce sujet allaient bon train parmi les soldats rohirrims, mais le voir en réalité avait été marquant. En y regardant de plus près, il constata que, même si certains avaient véritablement la peau noire, la plupart portaient plutôt une épaisse couche d’un maquillage sombre. Tournant la tête vers le sol, il comprit alors sur quoi il reposait : un lit de cendres. Observant les alentours, il réalisa que de multiples bûchers avaient été allumés. L’odeur âcre et forte lui indiqua assez clairement que ce n’étaient pas des bois qui servaient de combustible.

Le camp était visiblement caché dans un petit vallon, surplombé par un petit bois qui avait l’avantage de les tenir hors de vue. De toute évidence, ce n’était qu’un camp temporaire, un lieu de retraite avant que l’armée dwimmen ne se remette en route vers le reste de leur peuple. En effet, les tentes étaient sommaires, les chariots paraissaient toujours remplis, prêt à se mettre en route. Des guerriers faisaient des allers-retours vers le bois pour y prendre des branches mortes qu’ils ramenaient dans une zone située à une dizaine de mètres d’où Lisan était attaché. Le sang du cavalier sans cheval se glaça quand il constata que les dwimmens montaient un nouveau bûcher. Un mouvement à sa droite attira néanmoins son attention.

Tournant la tête, il réalisa qu’il n’était pas seul. Un homme était attaché à un peu moins d’un mètre de lui. Il paraissait inconscient mais son visage était tout à fait familier à Lisan : le Vice-Roi Gallen Mortensen.

Le soldat avait des sentiments partagés… d’un côté le Vice-Roi était sans doute le meilleur allié à avoir dans pareilles circonstances… d’un autre, le savoir prisonnier était particulièrement inquiétant. C’est à ce moment précis que Gallen ouvrit les yeux.

Gallen ouvrit les yeux . Enfin, un seul, le droit était tuméfié et refusait obstinément de faire le moindre effort. Le Vice Roi referma néanmoins son unique orbite potable, car la nausée le prit; ils avaient frappé fort ces chiens. Gallen s'obligea à respirer lentement. Cela passa lentement. Puis Le champion du Rohan tenta de bouger. Impossible , il était entravé. De son œil valide il tenta un regard circulaire ce qui lui infligea une nouvelle montée de bile mêlée de sang. Il était dans leurs campements. Il découvrit un soldat rohirrim à ses côtés également , il ignorait son nom mais cela rassurait Gallen d'être proche d'un compatriote. Le Vice roi tenta de rassurer son subalterne avec un regard le plus amical possible. Puis il sentit l'odeur âcre des bûchers. Cette fois , une ombre passa sur son regard bleu cobalt. Gallen se força à se calmer en régulant sa respiration de nouveau. De toute manière il s'en sortirait il s'en était toujours sorti, il avait vaincu l'OCF, survécu à Hogorwen , à la mort se sa première épose , ce n'était pas ses pseudos guerriers qui allaient le faire succomber, surement pas... Gallen avait une bonne étoile il en était sûr, sa rencontre et son amour pour Aelyn en étaient la preuve. L'espoir l'avait toujours guidé.

Mais en y réfléchissant bien, ses ennemis du jour n'étaient pas des empotés, ils avaient gagné cette bataille et avec la manière en plus. D'ailleurs cette batailla avait mal démarré. La réunion d'avant combat s'était terminée dans l'indécision, le pire dans ce genre de situation. Le courage n'était pas à mettre en doute, mais une sorte de malaise. Le vice roi avait bien tenté de faire taire ce sombre sentiment mais il le sentait , ces dwimmens intriguaient voire faisaient peur. Gallen prit la décision d'aller à leur rencontre sans attendre les renforts . a la tête de ses hommes, le vice roi découvrit la longue file d'humaiuns et remarqua les chariots renversés. Les adversaires les attendaient. Gallen allait sonner un repli stratégique face à ce constat des forces en présence et plus organisées que prévu. Mais à sa stupeur la flanc droit de ses troupes chargea . Pris au dépourvu, Gallen suivit le mouvement en hurlant

"Tenez la ligne", "Pour le Rohan"

Hélas, mille fois hélas, la ligne se brisa,en raison de la préparation astucieuse des ennemis il faut le reconnaitre et l'attaque des rohirrims frappa dans le vent. Gallen conscient de l'échec de la manœuvre fit sonner la retraite avant que les ennemis ne les prennent à revers et le Vice Roi sait que des rohirrims immobiles sont des cibles faciles.

Gallen s'apprêtait à quitter le champ de bataille, lorsqu'il aperçût une poche de résistance, des compatriotes étaient mal au point. Il reconnut notampment le capitaine Wald. Gallen fonça. Avec sa maestria légendaire il réussit à permettre à ses soldats de se replier, il leur intima

"Capitaine , sortez vos hommes d'ici"

Et assuré que ces hommes étaient suffisamment éloignés, le Vice roi tourna à son tour la bride, mais chose étonnante son fidèle destrier Lars s'effondra. Gallen en rohirrim aguerri tomba souplement au sol mais constata les 2 lances qui transperçaient son fidèle compagnon. Les larmes aux yeux , Gallen hurla "NON", puis il posa une main apaisante sur l'encolure du destrier qui respirait avec difficulté. Puis un dernier sursaut et le voile de la mort couvrit le regard de Lars.

Gallen hurla à nouveau "NON", il lança au loin son casque. Et son regard bleu cobalt s'abattit sur ses ennemis, des larmes étaient présentes mais des larmes de rage et de vengeance. Il entendit au loin la voix du capitaine Wald. Mais déjà Kaya était dans la main droite du Champion du Rohan et sa main gauche était dégainée. La danse écarlate réclamait sa part de sang.

Il hurla "Je vous maudis"


Gallen fonça , s'engageant sans aucune prudence dans les lignes ennemies, il frappa, tua jusqu'à en avoir mal aux bras, une vingtaine de cadavres jalonnaient son chemin de vengeance. Puis un homme plus âgé se trouva sur son chemin, avec des tatouages de couleurs vives. Le vieillard baragouina des mots inconnus , et leva haut un bâton. Sa tête vola , ses yeux semblaient refléter la surprise. le geste de Gallen était parfait mais il ne pouvait pas en être autrement, il était le Danseur de guerre, le Champion du Rohan. Et là les ennemis se déchainèrent il se ruèrent en hurlant sur Gallen, il aperçut même des femmes et des enfants hurler des invectives dans sa direction cachés derrière les chariots retournés. Et un coup de traite le stoppa, il tomba à genoux et sans un mot il fut assommé comme un vulgaire voleur de poules.

Gallen tout à ses pensées, se força à regarder de nouveau son compatriote. Puis il attendit et il il passa par différentes phases, l'apitoiement, il se maudit d'avoir de telles pensées , la haine contre ses ennemis accompagnée de la colère, il tenta avec rage de défaire sans succès ses liens. Puis chose curieuse une sorte de fatalité commença à s'emparer de lui et il s'aperçut qu'il ne garderait pour habiller son âme que l’idée du vent du Riddermark et qu’un prénom Aelyn.

Puis le Vice roi secoua la tête , il se reprit il devait parler à ses ennemis, peut être proposer un duel pour leurs vies, oui l'honneur voilà ce qui le sauvera et l'avait toujours sauvé.

HRP: un petit emprunt des paroles du grand Jacques :)HRP

Lisan jeta un regard plein d’espoir au Vice-Roi. Celui-ci paraissait sonné mais déterminé. La guerre était une sale affaire.

“Vous pensez qu’on va s’en sortir ? J’ai une femme et des enfants… S’ils avaient voulu nous tuer, ils l’auraient fait depuis longtemps vous ne pensez pas ?”

La bonne étoile, la chance, le fruit du hasard qui permettaient aux héros de sans cesse survivre malgré les épreuves et les doutes. Des mots résonnaient au loin dans la tête de Mortensen, sans doute le fruit de la lourde commotion dont il avait été victime… aveugle… haine… vous êtes trop bête. Les mots d’un homme lointain, ignoré depuis des années et pourtant toujours détesté. Un autre fils de la chance, un autre danseur de la mort.

Les mots s’estompèrent pour laisser place à un bruit lointain, comme un léger tournoiement, comme une pièce qui tourne et retourne au loin sans se décider à tomber. La douleur le sonnait.

Deux hommes s’approchèrent, le premier était grand et musclé. Son visage était d’une finesse qui aurait pu rappeler celle des elfes. Couvert d’une épaisse couche de cendres qui faisait ressortir le bleu de ses yeux… Son allure et ses gestes, tout montraient à la fois son importance et son statut de guerrier. L’autre était plus petit, de longs cheveux tressés encadraient son visage déterminé. Ceux-ci étaient d’une étrange couleur qui tirait vers le vert. Il portait une multitude de colifichets. Tous deux portaient des armes qui rappelaient celles du lointain orient.  Le premier, celui aux cheveux courts, portait en plus une arme que Gallen reconnût immédiatement : Kaya.

Ils s’approchèrent des deux prisonniers. Celui aux cheveux longs prit la parole. Il avait un accent mais celui-ci était léger, presque imperceptible.

“Je suis Threvedir, messager du Chef Kaara l’Ancien et voici le Chef Alaric qui commandait les armées qui vous ont vaincu.”


Il marqua une très courte pause mais sans laisser aux rohirrims le temps de répondre.

“Nous sommes venus sur vos terres, de la même manière que sur celle de vos frères du Grand Royaume, avec une demande de paix et d’asile. L’amitié entre les enfants d’Elessar semble impossible, et votre peuple ne semble pas décidé à honorer le Serment d’Eorl en nous offrant asile et assistance. Nous n’avons reçu que de la haine et de la violence.”

L’autre renifla bruyamment. Il sortit Kaya de son fourreau et la posa au sol sur une grosse pierre. Threvedir commenta.

“Que cette épée symbolise les serments qui n’ont pas été tenus et comme jadis, que l’épée soit brisée.”

Alaric saisit un lourd marteau accroché dans son dos et frappa de toute sa puissance au milieu de la lame qui se brisa net. Le bruit du métal qui vibrait fit résonner à nouveau le bruit du tournoiement de la pièce dans l’esprit de Gallen. Alaric ramassa la pointe qu’il glissa dans le fourreau avant d’y glisser l’autre partie de l’épée légendaire du Vice-Roi.

Threvedir reprit la parole et pointa Gallen du doigt.

“Reprenez cette épée et portez ce message au Roi. Nous ne voulons que la paix et un peu de terre fertile à l’abri des orques pour protéger notre peuple. Si vous ne nous répondez pas favorablement et rapidement, nous les prendrons de force.”

Il s’approcha de Lisan.

“Quant à toi, tu auras l’honneur d’être brûlé vif pour nourrir nos cendres de ton courage. Ton sacrifice nous permettra d’envisager d’oublier les torts commis à notre encontre.”

Lisan se mit à pleurer à chaudes larmes.

“Dites à ma femme que je l’aime… et ne laissez pas mes enfants dans le besoin, je vous en prie..”

Gallen se força à tourner son visage émacié ves son compatriote dont il ignorait le nom. Il lui sourit

"Tout ira bien, Soldat, le vent du Riddermark nous protège à jamais "

Puis le Vice roi se força à fermer les yeux, il devait récupérer le plus possible de forces il en aurait besoin sous peu il en était sûr. Tout en se concentrant pour ne pas vomir, son esprit lui fit de mauvais tours et la voix désagréable de Saemon Havarian lui vint en tête avec ses sombres avertissements. Balayant ces états d'âme de son esprit Gallen se força à retrouver un semblant de quiétude.

Le champion du Rohan à son habitude s'apprêtait à vociférer, à hurler, à insulter  et à défier ses ennemis et sauver sa peau au fil de l'épée comme toujours.

Puis les événements se déchainèrent de nouveau. pas du tout comme Gallen le prévoyait. Pour une fois , le Vice roi d'ordinaire si volubile, prompt à la joute verbale fut estomaqué. Il était vaincu une seconde fois en ce jour maudit. Lui Gallen Mortensen , Vice roi du rohan, Champion du Rohan avait failli. Les événements se déroulaient au ralenti devant son regard bleu cobalt presque hagard. Gallen ferma les yeux lorsque Kaya fut brisée. Lars....... Kaya , c'en était trop ....Même pour un homme comme lui. Et surtout il avait fauté par arrogance, par précipitation , par peur de l'Autre , il avait brisé un serment ancestral du Rohan. Tout s'effondrait pour lui.

Gallen ferma de nouveau les yeux , englouti par la honte. Puis il entendit les pleurs du soldat à ses côtés.

Etonnament le Vice roi eut un sourire apaisant vers son compatriote et lui dit d'une voix neutre

"Soldat, courage, je t'ai dit que tout irait bien"

Puis Gallen déglutit , il avait la gorge sèche, il ferma de nouveau briévement cette fois les yeux. Puis son regard bleu cobalt se fit brûlant. Ceux qui le connaissaient, savaient que le Vice roi avait pris une décision...

Gallen déglutit de nouveau et hurla

"Chef Alaric et Threvedir messager du chef Kaara, je suis Gallen Mortensen Vice roi du Rohan... Je reconnais la défaite de ce jour et présente les excuses officielles du Rohan pour avoir brisé le serment ancestral entre nos peuples. L'ignorance est notre seule justification mais elle est insuffisante j en suis conscient. Je suis l'unique responsable de cette faute et en cet instant je représente le Rohan"

Puis ménageant un bref silence il poursuit de sa voix de stentor et son regard bleu cobalt enflammé

"Prenez moi à la place de cet homme, voyez il pleure, je suis bien plus courageux que lui, la preuve en est les cadavres que j'ai laissés sur mon chemin. Et mon sacrifice signifiera beaucoup plus que le sien et le Rohan vous écoutera cette fois"

Puis n'écoutant plus , il se tourna vers Lisan

"Tu retrouveras ta famille Rohirrim et tu iras trouver la Vice Reine, il faut qu'elle stoppe cette folie et laisse passer les dwimmens"

Puis après un nouveau silence

"Tu lui diras que je l'aime, non , je lui ai trop souvent dit, non... tu lui diras que Gallen s'excuse il n'a pas pu tenir sa promesse de revenir, oui tu lui diras cela que Gallen s'excuse"

Puis le Vice roi rentra dans un mutisme étrange. Il se dit que finalement pour un petit rohirrim il avait bien oeuvré. Vice roi du Rohan.. Il vit ses parents morts il y a bien longtemps, Sirion, Etelion Erco ses amis , Farma, Thorin, et surtout sa famille ses enfants qu'il ne verra pas , les enfants de son épouse qu'il considère comme les siens et surtout AELYN

Gallen espérait être suffisamment courageux , ne pas céder à l'ultime honte , supplier.

Ainsi donc il mourrait avec l'image d'un visage parfait encadré de boucles blondes , un sourire malicieux, une bouche si souvent embrassée et un regard déterminé.

Gallen sentit le vent du Riddermark sur son visage , il eut un bref sourire inapproprié.

Enfin il sut qu'il aurait peur une dernière fois.