Ils échangèrent un regard entendu, auquel elle répondit par un sourire sincère. Le premier depuis longtemps. Elle sortit une pièce de sa bourse, et la tendit au gamin des rues qui s’en empara en souriant largement de toutes ses dents. Sia n’avait que douze ans, et cela faisait pourtant de lui un des plus âgés parmi les orphelins qui se battaient contre la misère quotidienne qui régnait dans la capitale du Harondor Libre. Il avait une gueule d’ange, un air rebelle avec ses cheveux en bataille, et surtout une répartie à toute épreuve qui n’avait pas pu manquer d’attendrir la jeune femme qui venait lui rendre visite de plus en plus régulièrement.
- Je repasserai te voir ce soir, d’accord ? Lui lança-t-elle.
- Oui oui, je serai là.
Non sans l’avoir serrée dans ses bras avec cette spontanéité déroutante qu’avaient les enfants, il s’élança dans la direction opposée, sans doute à la recherche d’un repas chaud qu’il pourrait engloutir pour reprendre des forces.
Son regard se perdit dans le ciel bleu, seulement parsemé de quelques nuages paresseux qui coulaient lentement en direction de l’Est. C’était une vision beaucoup plus réjouissante que la décrépitude qui l’entourait, et qui lui rappelait sans cesse à quel point les Pirates avaient manqué leur objectif. Ils s’étaient emparés de la ville de Dur’Zork, chassant l’émir Radamanthe de son siège, et offrant à la Terre du Milieu l’une des plus belles démonstrations de la puissance et de la résistance des peuples qui luttaient contre le Gondor et ses alliés. En s’unissant, les Haradrim avaient donné au monde entier une leçon… mais sitôt la victoire acquise, les serments avaient été oubliés, et chacun s’en était retourné dans son repaire, comme un dragon revenant à son trésor pour le garder, insensible au malheur des plus pauvres et des nécessiteux, de tous ceux que la guerre avait laissés désœuvrés, perdus, ou – comme Sia – tout simplement orphelins.
Elle savait pourtant que dans l’administration de la cité, on se battait pour changer les choses, pour essayer de concilier l’impératif de la défense du régime en place, avec celui de la prise en compte des besoins élémentaires de la population…
Elle le savait d’autant plus qu’elle jouait un rôle crucial dans cette administration.
Sa journée de travail au Palais du Gouverneur fut morne et monotone. Des rapports, qui affluaient par dizaines, faisaient état des mêmes problèmes, et recevaient invariablement la même réponse. Partout, on manquait d’hommes et de moyens. Partout, elle leur ordonnait d’accomplir leur mission au mieux avec les ressources à leur disposition. Mais le navire prenait l’eau. Ici, un officier en charge de sécuriser la frontière avec le Khand avait pris la décision de lever lui-même l’impôt sur les populations locales pour nourrir ses hommes, refusant de laisser le tribut parvenir jusqu’à Dur’Zork. Que pouvait-on y faire ? Dégarnir les défenses du Nord pour engager une lutte fratricide contre un homme qui, pour l’heure, continuait de remplir son devoir ?
Là, des marchands de la Compagnie du Sud pénétraient illégalement le commerce vers le Harondor Libre, en espérant tirer profit des opportunités que la situation politique tendue venait de créer. Leur approche était prudente, mais il était certain qu’ils n’avaient ni le respect zélé des règles, ni la crainte terrible du fouet qui animaient le dernier envoyé de la Compagnie à Djafa. Un homme qui semblait avoir eu une belle promotion, récompense méritée à sa loyauté… et moyen commode de le tirer du « foutoir » qu’était devenu la frontière Sud du Gondor.
Agathe le savait.
Elle y contribuait.
Elle encourageait les attaques de harcèlement de la part de petites bandes armées, composées de troupes irrégulières, essentiellement d’anciens prisonniers, des esclaves et des psychopathes qu’on avait fait sortir de la nuit la plus noire pour les déverser sur les terres de l’ennemi ancestral. Ces hommes avaient pour mission d’épuiser les troupes de l’Émirat, en une multitude de petites incursions de faible ampleur, qui ne faisaient que révéler la faiblesse des troupes de Radamanthe.
Les deux adversaires, exsangues depuis la guerre et le retrait du soutien de leurs deux patrons – Umbar pour l’un, le Gondor pour l’autre – se regardaient en chien de faïence. Le premier qui trouverait le moyen de disposer d’un appui clair se montrerait sans doute en mesure de conquérir l’autre. On murmurait que la situation économique n’était pas bien meilleure à Djafa. Plus au Nord, les rumeurs étaient ténues. On parlait de tensions violentes à Pelargir, voire d’un conflit…
Son informateur préféré ne lui avait pas encore fait de rapport de la situation, et elle commençait à s’inquiéter sincèrement pour lui.
Il y avait bien longtemps qu’elle espérait de ses nouvelles.
Encore plus longtemps qu’elle espérait le revoir.
En quittant le travail ce soir-là, à la tombée de la nuit, elle choisit comme d’habitude de longer le canal, puis de bifurquer à travers la place des pendus, pour rejoindre les quartiers provisoires : ceux où l’ont avait construit à la hâte des maisons de bois destinées à accueillir en urgence la population, le temps de reconstruire les habitations en dur qui avaient souffert dans les combats de rue pour prendre la ville. C’était là qu’on trouvait évidemment les gamins les plus pauvres de la la cité.
C’était donc là qu’elle trouverait Sia.
Elle s’assit sur le même banc que d’habitude, et attendit patiemment. Quelques orphelins vinrent la voir en lui demandant ce qu’elle cherchait, certains restèrent faire la conversation, simplement heureux d’avoir quelqu’un à qui parler qui semblait venir d’ailleurs, et qui leur offrait une fenêtre ouverte sur un monde différent du leur. Agathe leur raconta quelques histoire, partagea avec eux quelques beignets qu’elle avait pris soin d’acheter en route pour Sia, et leur demanda après ce dernier. Ils partirent se renseigner, la laissant seule avec ses pensées.
Il était parfois en retard.
Elle n’avait aucune raison de s’inquiéter.
Aucune ?
C’était sans compter sur le léger bruit qu’elle entendit derrière elle, et qui hérissa tous les poils de son corps alors qu’elle prenait conscience que quelqu’un approchait désormais. En se retournant, elle vit un homme approcher. Tête nue, il avait des traits banals. Ceux d’un Harondorim tout à fait standard, avec des cheveux bruns et bouclés qui cascadaient autour d’un visage entre deux âges, aux tempes légèrement grisonnantes. Il portait une tunique sombre, et tenait dans la main une cape, outil un peu incongru en cette période de l’année, alors que la chaleur recommençait doucement à s’installer.
Sec, comme elle l’avait espéré. L’inconnu continuait d’avancer, un grand sourire aux lèvres.
- Ce n’est pas un quartier pour une dame. Vous devriez plutôt attendre de l’autre côté des quais, vers le Palais, ou bien vers les quartiers du Nord.
Cette fois, elle garda le silence. Elle n’estimait pas nécessaire de continuer à converser avec un inconnu, qui semblait sincèrement suspect. Une lueur d’agacement passa dans son regard, fracturant son sourire affable l’espace d’un instant. Un instant qui suffit à Agathe pour se rendre compte que quelque chose n’allait vraiment, vraiment pas. Au moment où il tendit la main pour s’emparer d’elle, elle avait déjà reculé hors de portée, cherchant à attraper le poignard qui se trouvait sous ses jupes, et qu’elle conservait toujours sur elle par sécurité.
- À l’aide ! Au secours ! Criait-elle dans le même temps, sans paraître paniquée.
L’homme fonça sur elle, et à sa grande surprise il lui jeta sa cape dessus, qui n’était de toute évidence pas qu’une pièce décorative. Beaucoup plus lourde que la normale, c’était en réalité un objet destiné à capturer un être humain inattentif, comme s’en rendit compte Agathe qui se retrouva coincée dessous. Le tissu suffoquant la privait d’oxygène et de lumière, la rendant totalement aveugle à la gifle qui la cueillit en pleine figure et l’envoya au tapis.
A cet instant, elle crut vraiment que sa dernière heure était arrivée.
Il lui semblait même entendre les pas de son agresseur sur le pavé, alors qu’il venait vers elle pour parachever son sinistre travail. Une multitude de pensées défila dans son esprit, insaisissables, mais liées à un profond sentiment de regret… Un sentiment qui se mua en incompréhension puis en surprise lorsqu’elle entendit des bruits de lutte autour d’elle. Le tout ne dura pas très longtemps, mais bientôt quelqu’un retira la cape lestée qui pesait sur elle, lui permettant à peine d’entrevoir une silhouette qui partait en courant, filant à travers les ruelles notoirement labyrinthique de la vieille ville de Dur’Zork…
Agathe tourna la tête vers l’individu qui se trouvait devant elle et, contre toute attente, laissa exploser sa colère :
- Mais vous êtes qui, bon sang ? Et c’était qui ce connard ? Et où est Sia !?
Elle mit un instant à remettre ses idées en ordre, et lorsque ce fut fait, sa main retrouva le manche de son poignard, qu’elle braqua vers l’inconnu.
- Répondez, où je vous fais arrêter… au nom du Gouverneur Nârkhâsîs de Dur’Zork.
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Cela fut une bonne journée. Une de celles où un met avait trouvé chemin jusqu’à son ventre, apaisant quelque peu la faim. Un repas chaud pour apaiser gorge nouée. Une miche de pain brûlante qui lui avait arraché des souffles erratiques pendant de longues minutes mais l’idée même d’attendre qu’elle ne refroidisse lui était insurmontable. Il avait donc englouti l’offrande avec gratitude et qu’importe si elle lui arrachait le gosier au passage. Il avait fait l’acquisition d’une nouvelle outre en peau de chèvre, sa précédente étant trouée par l’usage. Cela fut une bonne journée. Une de celles où il n’avait pas été pris à parti dans une étroite ruelle du souk et passé à tabac. Cela faisait quelques jours déjà, depuis la dernière fois, et ses bleus se résorbaient doucement. Il n’était pas sûr si ces brutes avaient changé de cible pour changer, ou bien si c’était ses quelques progrès en défense qui avaient finis par être constatés par ses adversaires. Au moins, les dernières fois, il avait réussi à protéger son visage. Cela saignait beaucoup, une plaie sur le visage. Et puis il était plus facile de camoufler des bleus sur les côtes qu’un cocard.
Les dernières années avaient été rudes pour Nasir mais comme pour beaucoup d’autres. La guerre offre peut-être des opportunités aux plus avares mais surtout beaucoup de malheurs pour les moins fortunés. Il avait pour mérite de s’être adapté peut-être plus rapidement que certains. M’enfin…peut-être que son temps n’était tout simplement pas écoulé en ces terres et que beaucoup de tourments l’attendaient encore avant sa délivrance. A quoi bon se soucier d’un futur hypothétique quand la faim tourmentait ses boyaux, et sa gorge demeurait sèche ? Dans son malheur il s’était trouvé un talent, ou du moins… ce qu’il pensait être un handicap dans son enfance s’été révélé être un atout recherché en ces temps incertains.
Il était grand et fin, pouvait se faufiler dans la foule avec aisance et silencieusement. Il était assez banal, des cheveux bruns, yeux bruns, teint hâlé et une barbe de trois jours inégale à cause de sa jeunesse. Les regards passaient sur lui pour l’oublier dès qu’ils s’en détournaient. Une vie de gosse de rue devenant adulte peu à peu à force de bras et de magouilles. Une vie de débrouillardise. Sa vie. Il se dirigeait en soirée dans les baraquements provisoires montés à la va-vite de l’autre côté des quais. Il partageait sa chaumière de misère avec une dizaine de gamins, pour la plupart plus jeunes que lui mais ils avaient une entente tacite. Ils proposaient ses services aux négociants et potentiels intéressés et en échange, il leur permettait de dormir à l’abri des plus vieux qui n’hésitaient pas à dépouiller de plus jeunes victimes faciles. Nasir était loin d’être imposant ni fort… mais il était étrangement respecté dans cette cohue d’apparence désorganisée. Telle une silhouette silencieuse qui veille au grain. Il connaissait les gens, et les mettait en contact. Pas mal de personnes lui devaient des faveurs et surtout, il connaissait la puissance d’un groupe face à n’importe quel ennemi.
Cela fut une bonne journée. Une de celles où il rentrait avec quelques pièces qu’il cachait jalousement dans une poche intérieure de sa tunique. Peut-être pourrait-il s’offrir un repas chaud à nouveau, d’ici un jour ou deux, s’il était raisonnable ? Un léger sourire aux lèvres il bifurqua entre deux cabanons de bois, lorsqu’il fut interrompu dans ses pensées par un cri, une voix inconnue. Nasir pencha la tête sur le côté pour définir l’origine de ce bruit et s’y dirigea, attrapant au passage quelques connaissances pour lui prêter main forte. Ils ne tardèrent pas à tomber sur la place principale, constatant l’attaque alors même qu’elle se déroulait devant leurs yeux. Cette femme semblait étrangère, mais pas tout à fait inconnue. Correspondait-elle à la description faite par certains de ses protégés ? Pas le temps d’y réfléchir pour le moment. Le jeune homme se pencha pour récupérer au sol une planche de bois et roula quelque peu son épaule pour s’échauffer. D’un geste de sa main libre il indiqua à ses trois volontaires de prendre l’homme de revers. Il n’y avait pas beaucoup de règles en ces terres mais l’homme n’appartenait pas à ce quartier. Il n’était donc pas le bienvenu.
Il s’avança discrètement alors que l’attaquant s’approchait de la captive. Il nota sa ceinture de cuir à laquelle était pendue une arme trop rutilante pour appartenir à un simple passant. Par chance il ne s’en empara pas. Visiblement il préférait capturer cette femme et non pas la tuer. Nasir hocha la tête au garçon à sa gauche qui s’empara d’un caillou avant de le jeter à la tête de l’homme qui se tourna dans cette direction. Une deuxième pierre vola plus loin, visant dans le mille. Cela saignait pas mal, une plaie au visage, tandis qu’un filet de sang se mettait à couler sur la tempe de l’assaillant qui décida de prendre les vauriens pour cibles. Ils détalèrent avec la vitesse des jeunes brigands et Nasir eut un sourire, persuadé qu’ils arriveraient à le perdre dans le labyrinthe du quartier. Il s’approcha doucement de la forme gesticulante au sol, se débarrassa de sa planche de bois et de sa main la libéra de son entrave. Il ne s’attendait pas à se faire invectiver de la sorte en guise de remerciements. Il recula sous les insultes et les menaces, mains légèrement relevées tenant toujours la cape. Il aurait peut-être dû s’abstenir de libérer ce chat sauvage, pensa-t-il…
Mais le nom qu’elle prononça lui était familier. Sia ? Nasir déposa la cape au sol par gestes lents avant de se relever. Sa main alors fit un geste de négation, ses index allant de gauche à droite, une lueur d’inquiétude dans son regard sombre. Sia n’était pas revenu ce soir. Du moins pas encore, à sa connaissance. Cela ne sembla pas apaiser la femme qui, bien loin de remercier son sauveur, fonçait droit sur lui pour l’attraper par le col et le secoua de menace une fois de plus. Le jeune homme poussa un soupir et se laissa faire, levant les yeux au ciel. Cela lui apprendra à venir aider une parfaite inconnue. Ses mains se posèrent avec douceur sur celles agrippées à sa chemise, et la fit lâcher prise lentement sans pour autant utiliser de force. Il la regarda droit dans les yeux, non pas impressionné par les cris de la femme, juste ennuyé. A sa dernière menace il leva ses poignets devant son visage. Eh, prison ? Peut-être servaient-ils des repas de temps à autre ? Il ignorait pour quel motif il serait arrêté mais savait aussi pertinemment que cela n’était pas nécessaire ici d’en avoir un. Et visiblement la femme en face de lui n’était pas n’importe qui alors… que pouvait-il bien « dire », pour sa défense ?
Il semblait l’avoir prise au dépourvue car elle s’arrêta un bref instant, interdite. Nasir haussa donc les épaules, une certaine lassitude dans son attitude, et se détourna d’elle pour rentrer chez lui.
Agathe se remettait péniblement de ses émotions, sa respiration retrouvant progressivement un rythme normal alors qu’elle se débarrassait doucement de l’étrange sensation d’impuissance qu’elle avait pu ressentir lorsque la cape s’était abattue sur elle comme les rets d’un chasseur fondant sur sa proie… Une tentative d’enlèvement n’était rien d’anodin, pour quiconque en ce monde, mais cela lui rappelait des souvenirs qu’elle aurait préféré oublier tout simplement, et qui remontaient douloureusement à la surface de sa conscience bousculée…
Elle s’était énervée après le gamin qui l’avait vraisemblablement sauvée, mais en réalité elle avait eu peur.
Une peur qui lui vrillait l’estomac et lui donnait envie de s’asseoir tant ses jambes flageolantes paraissaient incapables de supporter le poids de cette ombre qui grandissait dans sa poitrine. Elle avait eu peur, et se sentait dévorée par l’anxiété qui lui coupait le souffle, et faisait blêmir ses joues. Seul le poignard qu’elle tenait en main, arme dérisoire face à un « ennemi » qui l’était tout autant, lui donnait un semblant de courage et la force de ne pas s’effondrer sur place.
Mais ce poignard semblait contre-productif.
Ce dont elle avait besoin pour surmonter sa peur, ce n’était pas d’être rassurée ou serrée dans des bras protecteurs. Non. Elle avait besoin d’informations, et le fil de cette lame qui dansait entre elle et le jeune garçon tranchait involontairement tout lien qu’elle aurait voulu pouvoir établir avec lui. Il la regardait avec un mélange de méfiance et d’ennui, conscient de ce que cet objet pouvait lui faire, tout en y ayant été assez confronté pour reconnaître chez Agathe les signes les plus évidents de sa détermination vacillante. Elle n’avait pas l’intention de le blesser… Elle avait déjà dû se servir de cette arme, dans des circonstances qui la réveillaient encore la nuit lorsqu’elle y repensait, et elle n’avait absolument pas l’intention d’ajouter le visage de cet enfant à ses cauchemars.
Alors elle s’immobilisa.
Résignée.
Ses épaules retombèrent légèrement, comme si la tension qui s’était emparée brusquement de son corps pour la garder en vie face à l’agression qu’elle venait de subir refluait pour la laisser hébétée, exsangue, vide. Le gamin, qui n’avait toujours pas prononcé le moindre mot, recula prudemment puis, constatant qu’elle n’avait pas le blesser, tourna les talons et mit le cap vers le quartier délabré où se réfugiaient les enfants du coin.
Agathe resta seule avec ses pensées, encore choquée par ce qui venait de se produire. En temps normal, elle aurait probablement pris la décision de rentrer immédiatement au Palais, pour s’y placer dans l’ombre protectrice des gardes qui assuraient la sécurité des lieux. Il aurait été inutile de les mettre sur la piste du scélérat qui avait essayé de l’agresser… elle n’était pas à Minas Tirith. Personne ne se lancerait à la poursuite d’un inconnu dont la description correspondait à celle de la moitié de la cité. C’était peine perdue. Cependant, cela n’ôtait rien au mystère de cet individu qui avait essayé de s’emparer d’elle.
La jeune femme savait que sa présence dans le quartier était une anomalie. Une bizarrerie qu’elle s’accordait par affection pour un gamin des rues dont elle aurait aussi bien pu se détourner… Elle doutait fortement que son agresseur eût été après elle, car ses venues ici étaient trop aléatoires pour donner lieu à une embuscade. En outre, et elle se maudissait de le savoir aussi bien, ce n’était pas ainsi que procédaient les esclavagistes… Ils fondaient généralement sur leur proie en supériorité numérique, et tandis que l’un d’entre eux faisait diversion, parfois en amenant un sujet de conversation léger sur la table, ou bien en appelant à l’aide, les autres se déployaient pour couper toute retraite et procéder à la capture.
L’homme qu’elle avait vu avait semblé… précipité.
Manquant de préparation…
Opportuniste, presque.
En réalité, il était après quelqu’un d’autre, et avait simplement essayé de sauter sur une occasion. Pourtant, l’activité des esclavagistes était strictement réglementée à Dur’Zork par le gouverneur Nârkhâsîs, et les captures étaient totalement prohibées dans la cité. Le maintien de l’ordre primait pour l’heure sur toute autre considération, et les âmes sombres qui enlevaient leur prochain étaient notoirement connus pour alimenter la crainte de toute une population. Dès les premiers jours de la conquête, les Seigneurs Pirates avaient fait entendre aux marchands d’humains que leurs activités devraient se produire exclusivement envers les territoires de l’Émirat, et que seul le commerce était autorisé dans le Harondor Libre.
De toute évidence, certains avaient décidé d’agir au nez et à la barbe des autorités, et d’outrepasser le semblant d’ordre qu’essayait d’instaurer le gouverneur. Agathe ne le savait que trop bien, une femme comme elle pouvait rapporter gros sur un marché aux esclaves… Mais des enfants en relativement bonne santé se vendaient aussi à un bon prix.
Son esprit assembla les pièces manquantes du casse-tête qu’elle s’efforçait de résoudre.
Son cœur manqua un battement.
- Attends ! Cria-t-elle au garçon qui s’éloignait toujours. Attends, s’il-te-plaît.
Elle trotta jusqu’à lui, l’attrapant sans violence par le bras pour le forcer à lui faire face.
Son arme avait retrouvé son fourreau. Elle venait en paix.
- Je… suis à la recherche de quelqu’un, commença-t-elle en choisissant soigneusement ses mots. Est-ce que tu sais où se rassemblent les orphelins des rues ? J’ai entendu parler d’un lieu qu’on appelle… le « Labyrinthe » ? Est-ce que ça te dit quelque chose ? Apparemment ça se trouverait près des ruines d’un ancien manoir.
Hélas, elle n’arrivait pas à convoquer davantage de souvenirs dans son esprit. Sia lui avait plusieurs fois parlé de sa vie dans le quartier, des difficultés qu’il y rencontrait, mais de manière générale il ne s’étendait guère sur les détails. Au contraire, il préférait parler de la vie en-dehors de Dur’Zork, des projets qu’il accomplirait quand il grandirait, et qu’il aurait gagné assez d’argent pour quitter sa misère… Agathe s’en voulut de ne pas avoir demandé davantage de précisions concernant son quotidien, ou même les gens en qui il pouvait avoir confiance et après qui elle aurait pu demander. Elle n’avait même jamais mis un pied là où il vivait et dormait.
La conversation avec le gosse des rues qui l’avait sauvé n’étant pas partie du bon pied, Agathe utilisa tous les moyens à sa disposition. Elle sortit une jolie pièce brillante, qui pouvait sans doute lui garantir assez de repas pour tenir quelques jours s’il la dépensait intelligemment.
- J’ai de quoi payer. Est-ce que ce boulot t’intéresse ?
Elle devinait à son regard braqué sur la pièce qu’elle continuait de brandir qu’il n’était pas insensible à l’argument financier. Cependant, elle ne se contenterait pas d’un simple guide pouvant l’emmener d’un point à un autre dans la cité de Dur’Zork. Ce dont elle avait besoin, c’était de quelqu’un capable de lui expliquer les rouages de ces parties de la ville qu’elle ne connaissait pas, pour lui permettre de trouver Sia.
- Si nous devons travailler ensemble, j’aimerais au moins savoir ton nom.
Elle lui tendit la main, comme pour passer un accord officiel.
- Je m’appelle Agathe. Enchantée.
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Pouvait-il juste rentrer chez lui directement ? Ou devait-il s’assurer que ses amis s’étaient bien tirés de la course poursuite ? Il n’en doutait pas un seul instant, c’était loin d’être la première fois, mais tout de même ? L’homme était bien armé… Le jeune homme marchait sur la bordure de la place, choisissant par réflexe les coins les plus obscures et qui lui offraient une meilleure protection. Il connaissait le moindre recoin comme sa poche et aurait pu parcourir ces rues les yeux fermés sans trébucher une seule fois. Ces baraquements étaient pourtant assez récents et dataient juste de la dernière guerre, après que l’Emirat ait reculé vers le Nord.
M’enfin, les détails importaient peu pour Nasir. Il ne souvenait de cris, de lutte, et il s’était caché la plupart du temps. Il était trop jeune à l’époque et ses parents lui avaient donné la lourde responsabilité de s’occuper des enfants de leurs proches comme il était l’ainé. Ses parents n’étaient pas revenus. Et ceux qui étaient revenus cherché leurs enfants étaient rares et ne pouvait pas sauver tout le monde alors…Nasir était resté et avait endossé le rôle de gardien naturellement. Il avait fait de son mieux, même s’il n’avait pas réussi à s’occuper des sept enfants à sa charge. Deux étaient morts de maladie et un avait disparu. Une avait trouvé un travail non pas rémunéré mais qui offrait le gite et le couvert, auprès de marchands tisserands. Et la vie poursuivait son cours, impassible et ignorante des deuils.
Ses petits jobs permettaient parfois de leur offrir un peu plus de confort mais fort heureusement le reste de la bande était débrouillarde. Malgré le réseau de solidarité entre orphelins il était clair que sans ressources et instinct de survie, ils ne tiendraient pas longtemps. Beaucoup se raccrochaient, comme Sia qui avait rejoint leur bande un peu plus tard, à des rêves d’ailleurs. Des illusions d’un avenir meilleur et plus doux, une voie de sortie sur leurs malheurs. Nasir n’avait pas à cœur de briser ces bulles d’illusion qu’il ne partageait pas.
Oh il avait bien quelques souhaits bien entendu, mais ils étaient plus terre à terre et reposaient entièrement sur ses propres capacités et non pas sur l’espoir vain d’un sauveur extérieur. Son souhait le plus cher avait un nom qu’il ne prononçait pas mais suffit à dessiner un léger sourire sur son visage jeune et innocent. Il n’était peut-être pas bien mieux que ces enfants, après tout, à désirer hors de sa portée. Il porta à ses lèvres sa nouvelle outre en peau de chèvre et accueillit avec gratitude le liquide aqueux et salvateur.
Il fut tiré de ses pensées par la femme qu’il avait libéré de son entrave et il ne cacha point son ennui alors qu’elle lui attrapait le bras. Cela lui apprendra à être serviable, il aurait du se contenter de passer son chemin et de protéger uniquement « les siens » comme il était convenu dans ces quartiers. Mais il put constater la plaidoirie dans son regard et elle avait jugé bon de ranger son couteau qui ne l’avait nullement impressionné. Il recula d’un pas et fit « shh » de ses mains, l’incitant à partir, revenir en arrière et s’en aller. Elle n’avait pas sa place ici et Nasir était persuadé qu’il laisserait volontiers l’homme s’emparer d’elle la prochaine fois. C’était trop d’effort pour le remerciement reçu. Il reprit son chemin mais elle insista et l’accrocha à nouveau. Il leva les yeux au ciel. Fichtre
Qu’une étrangère connaisse ainsi le Labyrinthe l’agaça quelque peu. Elle n’était qu’une énième étrangère assurée de pouvoir faire un changement significatif pour un peuple qu’elle trouvait inférieur. Ce n’était qu’une manière de flatter son ego ou alors tromper l’ennui d’un mariage forcé. Il lui jeta un regard dur et lui indiqua à nouveau de partir, mais elle ne voulait rien entendre. Têtue comme un âne. Bornée comme un chameau déshydraté. Sa main vola contre sa bouche et il la tira violemment dans une ruelle pour la sortir de la place. De son autre main il déposa son index sur ses propres lèvres et fronça les sourcils.
Le Labyrinthe était bien connu des orphelins d’ici et redouté. Parfois, les enlèvements étaient si fréquents que les plus petits avaient peur de sortir, pétrifiés de terreur. Cela était une chose de se cacher lors de conflit armé…au moins on entendait et on voyait la source de la menace. Là… c’était tout autre chose. Les masqués pouvaient survenir à tout moment et il était impossible de s’y soustraire. Les ainés des baraquements avaient alors instauré des tours de garde, et mis en place plusieurs règles à respecter. Pas de sortie de nuit, toujours accompagné et pas de lumière. Les enlèvements s’étaient faits moins fréquents ensuite…et ils avaient fait en sorte de faire passer le Labyrinthe comme une légende urbaine, une menace silencieuse pour les plus jeunes enfants. Il était important de préserver le niveau d’attention face à ce danger, mais terroriser les plus jeunes était hors de question. Ils devaient sortir pour essayer de survivre, même si cela était dur… la panique jouait contre eux.
Elle sortit alors une pièce tandis qu’il la relâcha et la jaugea de son regard sceptique. Cela pouvait lui payer plusieurs repas… il était difficile de s’empêcher de réfléchir à toutes les possibilités qu’offrait une simple pièce d’or dans ces quartiers. Une fortune. Mais ce qu’elle lui demandait était extrêmement dangereux, à quoi servirait donc cette pièce s’il était mort ou esclave ? Il plissa les yeux en la contemplant, et ce regard rempli d’espoir. Pourquoi s’acharnait-elle ainsi ? Mais il ne pouvait renier le fait que l’absence de Sia l’inquiétait également… ce n’était pas son genre de trainer tard le soir et il aurait déjà dû être rentré chez eux. Il espérait que rien ne lui soit arrivé, à cet aspirant musicien mais en même temps, cela n’était qu’une réalité de leur monde réduit. Il poussa un soupir, ignorant la main de la jeune femme et s’accroupit.
Il attrapa alors une fine brindille dans sa main droite et avec grande maladresse, lèvres serrées, il fit de son mieux pour tracer les quelques lettres qu’il connaissait. N A S I R Il essuya la sueur de son front et se redressa, admirant son travail. Il manquait d’occasion de pratiquer son écriture et de continuer son apprentissage, mais il tirait toujours une grande fierté de connaître quelques rudiments, bien rare pour un orphelin. Sa mère fut tuée avant qu’elle puisse de lui enseigner le reste.
Il fut pris par surprise par une boule d’énergie brute qui fonça sur lui et manqua de peu de le faire chuter sur la femme étrangère, effaçant ses lettres maladroites par mégarde avec son pied.
- Nasir !
Elle l’entoura de ses bras et son visage farouche pointa de derrière l’épaule du jeune homme pour affronter Agathe du regard. Son visage portait les cicatrices d’anciennes brûlures encore quelque peu rosies et son nez était légèrement remonté sur la pointe lui donnant un air espiègle.
- Que lui voulez-vous ?! Vous n’avez rien à faire ici !
La main du jeune homme vint se poser sur la sienne avec un léger sourire et il caressa le dessus de sa peau pour la rassurer. S’il avait pensé au réveil qu’il se retrouverait ainsi entouré le soir il n’y aurait jamais cru. Dans quel foutoir s’était-il fourré ? Il tapota sur le dessus de la main de son amie pour attirer son attention, et tourna son visage vers le sien pour articuler sur ses lèvres les mots qui ne voulaient pas sortir de sa bouche. Elle le regarda donc intensément, attentive à ces mouvements familiers, et finit par hocher de la tête.
- On va vous raccompagner dehors. Vous attirez trop l’attention, partez.
Et sa main attrapa de manière autoritaire celle du jeune homme et pris les devants, non sans un dernier regard soutenu pour l’inconnue.
Les sourcils froncés, une moue perplexe sur le visage, Agathe observait le jeune homme qui était en train d’écrire son nom dans la poussière… Elle aurait probablement pu se douter qu’il était muet, à la façon dont il la regardait et dont son visage se mouvait, tantôt inexpressif pour se protéger derrière un mur d’indifférence, tantôt très mobile et très évocateur, animé par toutes les émotions qui bouillonnaient sous la surface. Elle comprenait mieux ses étranges réactions, et s’en voulut de l’avoir brusqué ainsi… Il n’était pas facile d’être un gamin errant dans les rues de Dur’Zork ces jours-ci, mais la vie devait sans doute être très compliquée pour quelqu’un qui ne pouvait pas parler. Ne pas pouvoir appeler à l’aide, ne pas pouvoir transmettre la moindre information à quiconque sans passer par l’écrit – qu’il maîtrisait à l’évidence de manière très rudimentaire – était un sérieux handicap.
- Nasir, répéta-t-elle pour confirmer. Enchantée.
Mais la secrétaire du gouverneur ne trouva pas le moyen d’interroger plus avant son compagnon, qu’une jeune femme se jetait brutalement sur lui avec visiblement l’intention de le protéger. Agathe ne put retenir un mouvement de recul, tout en portant la main à son arme. Elle avait vécu assez de surprise ce soir pour ne pas se laisser avoir une nouvelle fois : cette gamine pouvait tout aussi bien être un agent infiltré, envoyé pour finir le travail commencé par l’homme à la cape.
La seule chose qui la rassura fut que Nasir ne semblait pas inquiet.
Au contraire, il paraissait la connaître, et tenta de la rassurer avec une douceur qui semblait tout à fait incongrue dans ces rues mal famées et marquées par la pauvreté et la misère. Ces deux-là semblaient proches, au point de se protéger mutuellement de tout danger. La jeune fille feula quelques invectives à Agathe, qui les repoussa d’un geste de la main :
- Je ne vous veux pas de mal, c’est promis.
Elle comprenait cette méfiance instinctive, pour l’avoir déjà éprouvée elle-même à plusieurs reprises. Combien de fois avait-elle rejeté une main tendue ? Combien de fois avait-elle choisi de ne pas faire confiance à autrui, par peur de vivre une nouvelle trahison ? Elle s’était convaincue que le monde était un endroit hideux, et que tous les individus qu’elle rencontrait étaient animés de mauvaises intentions qu’ils dissimulaient plus ou moins habilement.
Vivre à Dur’Zork ne l’avait pas dissuadée de cette conviction.
Et pourtant, elle avait trouvé ici des êtres d’une grande douceur. Sia était de ceux-là. Elle s’était attachée à lui de manière déraisonnable, et son maître Nârkhâsîs lui aurait sans doute rappelé à quel point cela constituait une faiblesse qu’ils ne pouvaient s’autoriser. Salem aussi, lui aurait dit de ne pas poursuivre une chimère en essayant de sauver un gamin des rues qui avait peut-être simplement été tué dans une rixe comme il en éclatait tous les jours, ici.
Pourtant, quelque chose en elle lui commandait d’essayer, de partir à sa recherche, et de tenter de tirer cette histoire au clair. S’il était mort, elle tenait à le confirmer. Mais s’il était vivant, elle ferait son possible pour le sauver.
- Vous pouvez partir si vous voulez, siffla Agathe avec cet air agacé qu’elle arborait parfois. Vous pouvez partir, oui, et laisser un des vôtres mourir. Sia. C’est son nom.
Elle s’avança vers les deux enfants. Ils étaient peut-être endurcis par la violence qui régnait dans cette ville malheureuse, mais elle décelait autre chose derrière la crasse et les cicatrices et les sillons laissés par les larmes qu’ils laissaient parcourir leurs joues quand personne ne les observait. Une douloureuse jeunesse, faite de privations et de rêves brisés. Une jeunesse à qui elle avait envie de secouer les puces, pour leur remettre la tête à l’endroit :
- Vous croyez vraiment que l’indifférence vous mènera très loin ? Que ne pas veiller sur vos amis vous aidera à vous en sortir ? Très bien. Allez votre chemin. Continuez à fuir, tant que vous le pouvez. Moi, je vais retrouver Sia quoi que vous décidiez. Je finirai bien par dénicher ce Labyrinthe, avec ou sans votre aide.
Elle leva le menton avec un air de défi puis, sans attendre de réponse de leur part, s’engagea dans une ruelle en ignorant purement et simplement si c’était la bonne direction. Elle s’en fichait. Elle finirait bien par trouver quelqu’un qui voudrait lui indiquer sa destination. Elle se fichait de savoir qui, ou combien cela lui coûterait. Elle se fichait aussi de l’heure tardive, qui risquait de la surprendre si elle n’y prenait pas garde.
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Shae reçut les insultes de l’étrangère sans broncher, le regard défiant. Ce n’était pas la première adulte à juger de leurs situations sans rien connaître de leurs réalités. Qui était-elle, pour connaître la faim et les privations, les instincts de survie appris dès le plus jeune âge ? La jeune fille l’observait d’un air critique en échange, ces habits trop beaux pour être d’ici, une peau trop claire et propre pour souffrir du moindre mal. Elle avait probablement des protecteurs et personnes hauts placés dans son cercle, alors pourquoi venir enquérir auprès d’orphelins dans ces bas quartiers ? Elle ne faisait que s’attirer des problèmes, tout cela pour une fausse œuvre de charité qui soulageait un temps soit peu son cœur de femme aisée. Nasir l’arrêta de la main en voyant cette femme partir dans le sens opposé de la sortie et elle soupira. Le jeune homme avait un instinct protecteur qui lui avait valu une belle réputation parmi les enfants délaissés et les badauds. Ils s’affrontèrent un instant du regard en silence. Shae, dévouée à laisser l’étrangère mourir de sa propre stupidité et Nasir, tout de même inquiet du sort de Sia. Elle obtempéra avec un soupir :
- Si vous cherchez à vous faire trancher la gorge, c’est tout droit en effet. On tirera un bon pris de vos habits, de quoi nous nourrir pendant trois jours au moins. Puis les cheveux châtains sont prisés pour des bijoux.
Nasir lui fit des gros yeux et dégagea sa main de la sienne pour rejoindre l’étrangère et lui faire signe de le suivre. Ils bifurquèrent vers la droite et Shae résignée, les suivit. Au détour d’une ruelle entre deux maisons aux fondations douteuses, Nasir arrêta Agathe et fit signe entre les deux femmes. Shae soupira et détourna les yeux mais il insista en lui tapotant l’épaule.
- C’est bon c’est bon j’ai compris. Shae.
Nasir ensuite présenta ses deux mains vers l’étrangère pour finaliser les présentations entre les deux femmes, jouant le rôle de médiateur. Il lui désigna les étoles et accessoires qui pouvaient la démasquer comme étant … une cible particulièrement prisée pour les vols et prirent soin de les cacher sous des cageots. Le jeune homme attrapa avec tendresse la main de Shae, toujours réticente à aider l’étrangère et lui intima de parler pour lui en lui transmettant ses paroles via des mouvements silencieux de ses lèvres.
- On vous a mal renseigné, il dit. Le Labyrinthe c’est pas là que se réunit les orphelins. Ils y ont capturés et vendu au marché noir comme esclaves ou pire… Personne y revient. Que vous dit que Sia y a été emmené ?
Shae essaya de calmer Nasir qui commençait à articuler trop vite pour elle. Elle n’arrivait plus à le suivre et était plus qu’agacée de servir d’interprète. Elle finit par lui plaquer sa main sur sa bouche pour l’intimer à se « taire » ; ce qui lui arracha un sourire dans l’éclat de son regard, et fit face à Agathe.
- On sait pas le trouver, on a juste entendus des rumeurs. Mais faudrait mieux demander à vos soldats ou autre là. Jvois pas comment on pourrait aider. En tout cas le couvre-feu débute bientôt, faut que vous partiez sinon les gardes vont nous tomber dessus.
La jeune fille, autoritaire, reprit les devants. Nasir avait un léger sourire sur le visage tandis qu’il la suivait. Il admirait toujours cette énergie débordante et cette rudesse peu commune qui la sortait de toutes les situations. Shae avait trouvé un travail régulier et bien qu’elle soit payée mal, elle avait jusque là évité les bordels et autres situations des plus dégradantes. Elle avait une volonté de fer et un instinct maternel très développé vis-à-vis des personnes qu’elle prenait sous son aile. Son petit-frère avait bien de la chance de l’avoir encore, car avec son léger boitillement de la jambe suite à une blessure, il lui était difficile de bouger rapidement et d’effectuer la plupart des travaux disponibles pour les enfants de son âge. Shae et Nasir étaient parmi les orphelins les plus âgés de ce quartier de réfugiés, les autres préférant s’insérer dans le monde des adultes pour espérer échapper à la misère. Comme si l’âge suffisait à résoudre leurs ennuis…
Agathe avait déjà rencontré des gens comme Shae, dans une autre vie qui semblait s’être déroulée des siècles auparavant. Elle pouvait même dire qu’elle avait été cette personne… Préoccupée uniquement par ses proches, et par la nécessité de survivre dans un environnement hostile. Elle se souvenait parfois de visages éplorés, avec qui elle avait refusé de partager un repas. De mains qu’elle n’avait pas voulu saisir.
Survivre lui avait pris davantage que sa dignité.
Elle avait abandonné, derrière les barreaux d’une cage, une partie de son humanité.
Depuis, elle se battait pour essayer de la retrouver. Elle n’avait évidemment pas versé dans l’irénisme, et demeurait parfaitement capable de se battre pour ce qu’elle croyait juste, mais précisément… sa liberté retrouvée l’incitait à questionner de plus en plus ce qu’elle tenait pour acquis jusqu’alors. Sans le savoir, celui qui l’avait libéré de ses chaînes physiques lui avait également ôté des chaînes mentales dont elle n’avait pas mesuré le poids avant de s’en trouver délestée.
Alors ce fut un regard compréhensif et compatissant qu’elle posa sur Shae.
Elle n’avait pas eu la chance d’avoir un protecteur capable de lui offrir une seconde chance dans la vie, et de l’amener à être davantage qu’un animal en quête de nourriture et de sécurité… Elle ne devait pas être la seule à penser ainsi, parmi les gamins des rues de Dur’Zork. Et pas que les gamins, d’ailleurs. La guerre privait les Hommes de leurs biens matériels, mais aussi de cette faculté de s’ouvrir aux autres. Ceux qui s’enfonçaient dans les ténèbres des bas-fonds, des quartiers mal famés, des lieux de mauvaise vie, se perdaient chaque jour un peu plus dans l’abîme de noirceur non pas de la cité, mais de leur cœur.
D’autres en revanche semblaient capables de préserver la flamme en eux.
Nasir était de toute évidence de ceux-là.
Il avait décidé de rattraper la jeune femme qui s’en était allée d’un bon pas, et d’amener ces deux femmes à travailler ensemble, pour le bien de Sia. La plus âgée des deux posa un regard prudent sur sa cadette, avant de répondre :
- Agathe.
Elle soupira.
- Et vous avez raison, je ne risque pas de passer inaperçu ici.
Avec simplicité, elle ôta le foulard qu’elle portait autour du coup, ainsi que ses boucles d’oreilles et son bracelet argenté. Nasir emballa le tout, et le dissimula dans un endroit dont il avait le secret, et que Agathe essaya de graver dans sa mémoire sans être tout à fait sûre de pouvoir le retrouver. Mais après tout, ce n’était pas ce qui compterait au bout du compte. Elle se contenta simplement de garder le médaillon qui pendait à son cou, et que sa robe dissimulait parfaitement pour le moment. C’était une des rares reliques de sa vie antérieure, et elle y tenait beaucoup. La chaîne était d’une grande finesse, et la pièce centrale du médaillon portait un petit visage gravé de profil, surmonté d’une phrase aux lettres entrelacées.
Ce n’était pas un blason familial, non.
Seulement le cadeau d’un homme qu’elle avait aimé, et dont elle gardait précieusement le souvenir aujourd’hui. Témoin fantôme de ce qu’elle aurait pu devenir, si elle avait fait un choix différent. Si elle avait accepté d’entrer pleinement dans la lumière qu’il lui proposait, et de marcher officiellement à son bras.
Ses pensées furent interrompues par l’effort de Nasir pour se faire comprendre.
Aux yeux d’Agathe, il s’agissait de mouvements précis et compliqués, qui n’évoquaient qu’une chorégraphie soigneusement répétée, mais rien qui pouvait approcher un mot ou une phrase. Shae, cependant, traduisait le tout avec précision, comme si Nasir jouait d’un instrument invisible capable de produire le son d’une voix humaine. L’image était troublante.
- Je ne sais pas où se trouve Sia… Je suis simplement inquiète pour lui, et je connais assez la situation de Dur’Zork pour savoir que les choses peuvent mal tourner ici. Mon agression de tout à l’heure en est la preuve. J’ignore où aller, à qui demander… Il n’y a que vous deux qui me paraissez dignes de confiance, et soucieux d’aider Sia.
Cet aveu d’impuissance était difficile pour Agathe. Elle avait longtemps réussi à se débrouiller par elle-même, dans des situations parfois bien plus délicates que celle-ci. Mais aujourd’hui, elle était contrainte de demander de l’aide, et se rendait compte à quel point la tâche lui serait impossible si elle essayait de s’y attaquer seule. Cependant, elle ne pouvait que rebondir sur les propos de Shae, qui lui paraissaient préoccupants :
- Mais vous parlez d’enfants capturés et vendus… Le gouverneur n’a-t-il pas interdit cette pratique, précisément pour éviter les conflits ? Comment se fait-il que des enfants de Dur’Zork soient réduits en esclavage alors que les Seigneurs Pirates l’interdisent ?
Depuis qu’elle travaillait pour le gouverneur, Agathe avait quelque peu perdu le sens des réalités. Elle supposait que les gardes faisaient bien leur travail dans ces quartiers, et qu’un ordre relatif régnait au moins dans la capitale du Harondor Libre… sinon, comment pouvaient-ils espérer l’imposer dans tout le territoire qu’ils venaient de capturer à Radamanthe ? Mais depuis qu’elle était là, elle n’avait effectivement vu aucune patrouille, et ces enfants semblaient totalement livrés à eux-mêmes, à la merci de quiconque aurait voulu les enlever.
- Tu penses vraiment que les soldats pourraient faire quelque chose ? Tu leur ferais plus confiance qu’à moi ?
La question était rhétorique.
Les gamins des rues n’aimaient guère discuter avec les autorités, qui amenaient souvent plus de problèmes qu’autre chose quand ils pointaient leur nez par ici.
- Shae… Appela Agathe en la voyant partir. J’ai besoin d’une réponse honnête… Penses-tu que nous ayons une chance de retrouver Sia demain ? Si vraiment tu le crois, alors retrouvons-nous ici, demain, au zénith, et j’espère que vous pourrez m’aider à le retrouver. Mais si comme moi tu crois que le temps est compté, et que nous ne pouvons pas attendre si longtemps…
Elle inspira profondément.
- À toi de décider, Shae. La vie de Sia est entre tes mains.
Agathe plongea un regard intense dans ses yeux juvéniles.
L’heure était venue de faire un choix.
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Un bref instant volé, des regards s’affrontèrent, miroirs d’une volonté à toute épreuve. Des réalités qui semblaient s’entrechoquer avec toute la violence du monde et pourtant trois lettres avaient suffit à croiser leurs chemins en cet instant. Un grain de sable, il ne fallait que d’un grain de sable pour enrayer une roue. C’est ce que sa mère lui avait toujours dit pour le consoler petit. Une si petite chose qui pouvait paraître dérisoire et si facilement oublié. Il n’était pas désert ni tempête, pas feu ni métal. Il n’était qu’un jeune homme aux bras fins et aux lèvres désespérément muettes qui pourtant voulait communiquer et faire parti de ce monde et des forces qui se mouvaient tout autour d’eux.
Mais cela ne tenait qu’à lui, après tout. Il observait un moment ce dos recouvert d’un lin modeste de couleur pâle, contrastant avec la natte de cheveux sombres parsemés de mèches blanches. Elle avait déjà tant souffert. Il lui avait fallu des années pour accepter ce corps brisé par les flammes et matraqués de coups. Pour tenir le regard des autres qui observaient les morsures rosies sur sa peau craquelée par endroits. Il n’avait jamais vu l’étendue des dégâts mais il pouvait les deviner à la manière dont les lignes courraient de ses poignets en remontant sur ses bras, et celles descendant le long de sa gorge vers le col de son haut. Un courage farouche qui cachait pourtant un cœur meurtri et effrayé. Il ne la connaissait que depuis une poignée d’années et son admiration pour elle n’avait fait que se renforcer au fur et à mesure des épreuves qu’ils avaient traversées.
Il la laissait filer à quelques pas devant eux, notant la détermination dans ses pas et ses épaules nouées, la manière dont elle avait à observer les coins des ruelles avant de s’y aventurer. Le soleil déclinait à l’horizon… et bientôt les sorties au dehors deviendraient des crimes. Nasir pencha sa tête sur le côté, marchant aux côtés de l’étrangère. Ce fut Shae cependant qui répondit sans même se retourner :
- Qui viendrait réclamer des orphelins ? Au mieux ça fait un problème en moins dans les rues, au mieux un problème en moins tout court.
Les deux enfants haussèrent les épaules pour conclure cette vérité frappante, comme de concert. Les enfants des bas quartiers étaient devenus une plaie sur la population locale et la délinquance n’aidait en rien les affaires. Il fallait survivre, après tout, et cela résultait souvent en l’élimination des plus faibles. La dureté de leur situation avait depuis longtemps arraché toute notion d’innocence et de naïveté. Seule leur apparence plus mature leur apportait une certaine protection et encore, s’ils se jetaient dans la gueule du lion… ils ne reviendraient pas. Surtout pas Shae. Parfois la mort est préférable à certains sorts. A la remarque d’Agathe ce fut au tour de Nasir de tenter de répondre. Il mit la paume de sa main gauche en horizontal et y dessina de sa main droite plusieurs lignes aux angles droits pour désigner le Labyrinthe, puis son index vint désigner le ciel qui s’obscurcissait, avant de le courber en un arc semblable à l’astre nocturne. Il mima ensuite un marteau d’enchères qui s’abattit avec force sur sa paume ouverte, d’un air entendu, avant de joindre ses poignets et de baisser la tête.
- Nasir a raison. Les ventes se font la nuit. Si Sia a été attrapé, demain serait trop tard.
Un voile sombre s’était déposé sur son regard et un échange silencieux prit place entre les deux jeunes adultes. Il secoua la tête doucement tandis qu’elle penchait la tête sur le côté. Il agitait ses mains désormais et la rapidité s’accéléra tandis qu’il articulait des mots sur ses lèvres. Son regard se fit insistant, elle détourna le sien pour s’adresser à l’étrangère :
- Pourquoi vouloir sauver Sia ? Si vous le n’adoptez pas ensuite, autant le laisser. Certains maîtres sont plus doux que les rues.
Un grognement étrange sortit de Nasir dont la voix était modifiée par son mutisme de naissance. Il se tourna vers Agathe et lui fit signe d’y aller, avant de repousser de la main Shae. Ils s’affrontèrent ainsi à nouveau, avant que la jeune femme ne claque :
- Et à ton avis ils font quoi des gens comme toi ?!
Il eut l’impression de recevoir une gifle dans la figure et son cœur saigna dans sa poitrine. Dans son regard une douleur indescriptible, de trahison, de honte et de dégout envers sa propre personne. Ses mains retombèrent en lenteur le long de son corps, comme ses épaules. Il déglutit et son regard dévia. Il se mit alors à marcher, tel un condamné. Vers le lieu de sa perte. Le suivraient-elles ?