Des caves, il en existe des centaines. Certaines sont propres et bien rangées, comme celles qui servent de garde-manger aux petites gens de la Comté. D’autres sont taillées dans la pierre comme celles sévères de seigneurs nains. D’autres encore sont humides, poussiéreuses, encombrées, vides, sinistres ou accueillantes.
S’il avait fallu choisir trois adjectifs pour qualifier cette cave-çi, ils auraient sans doute été : sinistre, humide et vide. Les gardes avaient assis Talion par terre, on l’avait attaché à un anneau solidement scellé dans le mur de pierre. Ses mains étaient attachées dans son dos, ce qui rendait impossible tout mouvement. De toute façon, les quatres gardes lourdement armés qui entouraient le capitaine Van Cars’ étaient plutôt dissuasifs. Ils affichaient un sourire mauvais et semblaient n’attendre qu’une chose : une bonne occasion de se déchaîner sur leur prisonnier.
Une rapide observation permit au rôdeur de constater que la pièce ne contenait que quelques petits meubles ainsi qu’un brasero dont irradiait une faible chaleur. Une petite lucarne, plus ou moins à la moitié de l’escalier de pierre qui montait vers la rue, diffusait un peu de lumière dans la pièce.
La lourde porte en bois de la cave s’ouvrit. Un homme descendit, escorté par deux hommes. L’un d’eux portait une tenue de ville et une tablette de cire qui indiquait certainement un rôle plus administratif. L’autre, qui se tenait plus en retrait, avait une tenue de voyage. Il portait un long manteau dont il avait rebattu la longue capuche sur son visage et une épée à la ceinture.
L’homme du milieu, quant à lui, portait une tenue élégante mais néanmoins pratique. Un pantalon et une veste ajustés, solides et confortables qui surmontaient une chemise légèrement bouffante dont le tissu paraissait d’une qualité incroyable. Une cape faite d’un tissu onéreux et brillant mais d’un noir assez passe-partout complétait l’ensemble. Une épée courte et large pendait négligemment le long de sa jambe. C’était la tenue d’un homme qui pouvait, en un instant, quitter sa posture de notable pour devenir un homme d’action. Une définition parfaite pour Saemon Havarian, Maître de la Compagnie du Sud.
Personne ne prît la peine de faire les présentations auprès de Talion. Il n’était pas certain que le rôdeur d’Ithilien ait connu Saemon, mais vu le respect avec lequel chacun le traitait, il pouvait deviner qu’il s’agissait du “Maître Havarian” à qui on s’était proposé de le présenter.
Saemon échangea quelques mots avec Van Cars’ à voix basse. Il s’approcha alors de Talion d’un pas nonchalant. Il tira un tabouret qu’il posa à un petit mètre du rôdeur.
“Joli palmarès rôdeur…”, fit-il d’un ton dans lequel on percevait facilement l’ironie.
Il approcha son visage de celui de Talion, saisit son menton et le fit tourner pour observer son oreille. Il se tourna vers l’homme encapuchonné.
“Prépare le tisonnier.” L’oreille de Talion avait été bien entamée par les rongeurs. Ils avaient grignoté une bonne partie du lobe et toute la partie supérieure du pavillon. Le ranger avait dû être sacrément sonné pour ne pas s’en rendre compte.
Saemon relâcha le menton de Talion.
“Vous êtes l’exemple type du pseudo-héros idiot. Vous pensez agir pour le bien et passez votre temps à foutre en l’air le travail de ceux qui travaillent vraiment pour maintenir un peu d’ordre dans ce bas-monde.Une véritable tête brûlée.”Il marqua un temps d’arrêt pour que les mots puissent s’imprimer durablement dans l’esprit de son prisonnier.
“La sagesse voudrait sans doute que je vous laisse dans un cachot, que je classe votre dossier tout en bas de la pile pour qu’on ne vous présente jamais devant un juge, que je laisse votre oreille s’infecter et qu’avec un peu de chance vous creviez misérablement dans les geôles d’Osgiliath.”Le ton du Maître de la Compagnie du Sud était excessivement doux, en contraste parfait avec la dureté de ses paroles.
“Gobelin…”L’homme à la capuche saisit le tisonnier dans la pointe était désormais chauffée à blanc. Il s’approcha et en voyant apparaître son visage, Talion put comprendre d’où lui venait son sobriquet. Il avait de larges oreilles décollées et gonflées, comme souvent les lutteurs dans les bas-quartiers. Sa peau était squameuse sur tout le contour de son visage, sans doute liée à une maladie peu recommandable, et ses petits yeux paraissaient couler en permanence.
“Mon ami Gobelin cherche des personnes pour l’accompagner au nord… très au nord. La paie est mauvaise et les risques sont énormes. La discipline est essentielle et Gobelin sait la faire respecter… mais pour ceux qui souhaitent de l’action et de l’aventure c’est une mission parfaite.”Saemon marqua à nouveau un léger sourire.
“Si vous acceptez, il va s’occuper de votre oreille. Un petit coup de tisonnier et il n’y paraîtra plus. C’est douloureux mais ça va vite. Par contre, Gobelin aime les cris… donc plus vous allez crier, plus il fera durer le plaisir. Une belle mission et si vous survivez, vous êtes libres… Intéressé ?”