Le vent soulevait les pans de sa longue tunique de cérémonie vert sombre, un galon tissé brun et orangé pour la retenir au niveau de ses hanches. Il releva d’un coup d’épaule sa cape légère qui complétait ainsi sa tenue d’un geste agacé. Il renifla et poursuivit sa marche, le regard fixé un instant sur les pavés d’Edoras qui mettaient à rude épreuve ses genoux endoloris. Il n’était pourtant pas si vieux, mais la rudesse des derniers évènements à l’Est était encore bien marquée sur son corps. Il se remettait avec difficultés de la chevauchée éreintante d’une dizaine de jours pour fuir les assauts Nurniens.
Il aurait bien échangé sa place, tiens, avec un autre membre de sa maisonnée, mais il ne faisait confiance à personne pour régler ses affaires, et il aurait été mal perçu que le Seigneur Dolfenbrand refuse l’invitation malgré sa présence même à Edoras. Profite de l’occasion vieux bougre…qu’il essayait de se dire, éternuant et maudissant la nature florissante du Royaume, comme chaque année. Il y était presque. Par chance la marche ne fut pas bien longue de ses logis, mais il avait bien hâte de se réfugier à l’intérieur du Château d’Or de Meduseld et d’échapper ainsi aux semences printanières. Un reniflement à nouveau, tandis que ses yeux se levèrent pour contempler cette bâtisse exceptionnelle. Qu’il soit ici, et non pas auprès de ses hommes à l’Est lui tira une grimace sur son visage ridé du poids des années et des responsabilités.
Heureusement qu’il pouvait compter sur sa femme et ses enfants. D’une bravoure exemplaire. De vrais Rohirrims. A cette pensée seulement un regain de vigueur le prit et il rejoignit bientôt la foule qui commençait à s’accumuler aux portes. Il en reconnut certains…Aelyn…Eodan…et…la rouquine, c’était pas la petite des Harding ? Voilà certains qui n’hésitaient pas à envoyer leur marmaille faire leur travail. Quelques diplomates également… Il hocha brièvement la tête dans leur direction et se releva tout à fait pour imposer sa stature et se positionner vers l’avant de l’attroupement. Une révérence plus marquée envers la Vice Reine. Il ne prit pas la peine de se présenter. Cela viendrait plus tard…même si la plupart des personnes devraient le reconnaitre de toute façon. Cela fera ça de moins sur la liste des obligations sociales.
Heureusement qu’il s’était remis de ses blessures, au moins. Cela lui permettrait de tenir les longues heures de festivités et activités diverses. Il le fallait, Volkan..pour tes hommes. Fais-le, pour tes hommes. Ils ont besoin de toi. Sa volonté se raffermit à cette pensée et il permit un instant à ses traits de s’adoucir à cette perspective, que malgré la distance, il était là pour eux et ferait tout en son pouvoir pour les soutenir.
Le Chambellan ne tarda pas à ouvrir les lourdes portes de bois et de les accueillir. Il laissa passer devant lui la Vice Reine, ainsi que les Dames de Haute Noblesse, puis prit la suite naturellement. Il était important, lors de pareil évènement, de démontrer de sa connaissance de l’étiquette, même s’il trouvait cela un peu redondant en temps troublés. Il était cependant un homme conservateur, qui appréciait les traditions permettant à leur peuple de s’unir. Cela entrait donc parfaitement dans ce cas de figure… Il présenta son invitation en bonne et due forme, et prit place à l’entrée du Grand Hall. Au loin, il pouvait voir les grandes tables préparées. Mais l’heure n’était pas encore venue de s’asseoir. Le Seigneur de l’Estenmnet, Volkan Dolfenbrand resta donc debout, le dos bien droit, et se permit seulement des paroles basses à destination de la Vice Reine :
- Mes pensées pour votre époux au front votre Altesse.
Et il ne pouvait être plus sincère dans ses vœux de réussite de cette campagne militaire. La sécurité de ses Terres en dépendait, après tout. Pourra-t-il seulement se dérider quelque peu, ce bon vieux bougre ? Il frotta ses yeux rougis par les allergies et attendit la déclaration officielle du Roi pour l’ouverture des festivités.
Un monde de verts et de bleus, infini, tel ces plaines qui s’étendaient devant lui. Une inspiration profonde, un renâclement tout en secouant sa crinière et ses oreilles, à l’affut. Qu’il était étrange de voir ainsi des bipèdes se regrouper et s’agglutiner dans des étables alors que les étendues de verdures étaient là, juste là. Qu’attendaient-ils, au juste ? Un bridon, un mors, une longe pour les guider ? Il voulait bien les entraîner à sa suite, Kinsfeld, il ne demandait que ça même. Ce n’était pas si désagréable après tout, bien qu’il préférait quand des mains le guidaient sur le garrot directement et qu’il sentait son partenaire d’aventure sur ses flancs. Les lanières de cuir, cela tirait, parfois. Et il n’aimait pas ce morceau de métal dans sa bouche.
Il avait passé de nombreuses années à partager des balades avec son jeune maître qui le surnommait affectueusement Kiki. Mais désormais, le maître avait bien grandi, et préférait son destrier de combat avec lequel il était parti. Cela faisait bien des lunes, pensa-t-il. Ses sabots tapèrent sur la terre et sa mâchoire engloutit une énième poignée d’herbes molles. Si seulement un bipède pouvait bien lui apporter une de ces balles sucrées, ou bien ces morceaux croquants… Il n’en avait jamais assez. Surtout de ces petites balles qui tenaient parfaitement dans le creux des mains des bipèdes. Qu’il aimait alors les prendre du bout de son nez et les croquer. Il faisait toujours attention à ne pas faire mal aux bipèdes. Ils étaient bien fragiles, après tout.
Kinsfeld Kiki secoua son encolure, se releva et trotta vers les abords de son enclos pour observer de plus près ces étranges créatures. Partaient-ils à l’aventure, à la découverte de nouvelles plaines ? Pouvaient-ils le prendre avec eux ? Oh il n’avait pas à se plaindre du traitement qu’on lui prodiguait. Sa robe était soyeuse et régulièrement entretenue par les géniteurs de son maître. Parfois même on faisait des nœuds dans sa crinière et on l’agrémentait de petits morceaux de tissus, comme ce soir. Cela empêchait son toupet de lui descendre dans les yeux, ce n’était pas plus mal.
Mais ils étaient désormais bien vieux, les géniteurs de son maître et Kiki trop jeune pour demeurer ici. Si son maître ne revenait pas, il ne l’attendrait pas une lune de plus. Que ses sabots parcourent ces terres et ces plaines ! Que ses yeux découvrent toutes les nuances de bleus et de verts. Kinsfeld, oh oui Kiki, avait des envies d’aventures…