Qu’il était étrange de décrire telle situation. Un mélange de vacarme tonitruant et pourtant tous les sons étaient comme étouffés, flous, indiscernables. Les expressions sur les visages de chacun n’avaient pas besoin de mots pour être décrits car partagés tel un même être, un même souffle. Le regard du Seigneur Dolfenbrand était figé sur la fleur blanche que la Vice Reine tenait entre ses doigts tremblotants, avant de la laisser tomber au sol. De voir cette détresse à l’état le plus brut, elle qui ressentait cette annonce avec une violence unique, lui fit serrer sa gorge de guerrier aguerri. Le cri déchirant, arrachant des sanglots à cette gorge éplorée, tel un cri unique traversant le Grand Hall, résumé de leur avenir désastreux. Car l’espoir était bien faible en ce moment, voire inexistant… Oh qu’il aurait dû mourir à la place de cet homme qui n’aurait jamais la joie de prendre dans ses bras ses héritiers. Il aurait dû être parmi les siens au front, plutôt que de perdre du temps en négociation pour de l’aide qui semblait désormais bien vaine. Et le Roi qui disparaissait de suite, réduisant à néant l’espoir d’un guide charismatique pour les mener en ces temps troublés. Qui prendrait cette place, qui pourrait les réunir, et se battre ? Levez les lances hauts, rohirrims, maintenant, car nul sait si demain sera…
Le Seigneur Dolfenbrand s’éveilla comme dans une transe lorsqu’il vit la garde loyale relever la Vice Reine pour la mener en des lieux sûrs pour ce qui se révèlerait être le moment le plus difficile dans la vie de cette jeune veuve et mère. Sa main ferme se posa sur les épaules d’un badaud non loin qu’il dégagea sans ménagement, prêtant main forte à Eolida.
- Dégagez du chemin avant que je vous en colle une ! Sa voix était tonitruante et résonna un instant dans les alentours, les personnes cédant à la panique ou aux sanglots tout autour. Il n’avait ni le temps ni la patience pour calmer la foule. Son regard déjà chercha la foule et à défaut de retrouver ce frêle envoyé du Gondor, dénicha une jeune femme qu’il pensait pouvait convenir. Elle cherchait alors à partir ou bien était elle entraînée contre son gré par la foule. Il l’attrapa sans mal néanmoins et ne prit pas la peine pour des présentations :
- Eh, vous ! Vous êtes guérisseuse, non ? La Vice Reine a besoin de vous ! Et la poussa à la suite de la garde qui soutenait tant bien que mal la Vice Reine chancelante. Il les rejoignit donc et passa en avant, poussant avec force les invités qui n’étaient pas assez réactifs devant une telle urgence. Il se souvenait encore des cris de sa femme lors de la naissance de ses enfants. Une épreuve périlleuse à chaque fois, alors il n’osait imaginer les tourments de la veuve dont le monde s’écroulait autour d’elle. Où était le Roi, bon sang ?! Il était tant de devenir un homme, sinon il risquerait bien de se faire remplacer par un enfant qui n’était pas encore né mais poussait déjà son chemin vers le monde à feu et à sang qui l’attendait.
La danse s’était faite plus naturelle, plus assurée tandis qu’ils progressaient au milieu des danseurs. En tout cas Volkan avait depuis un moment perdu toute sensation dans ses pieds. Peut-être était-ce là même la raison pour laquelle il trouvait la jeune femme plus douée. Bientôt ils furent interrompus par le bruit des cors résonnant dans le Grand Hall de Meduseld et les bruits d’assiettes, de chopines qui s’entrechoquent, et les murmures montant des invités se turent. Le Seigneur Dolfenbrand se retourna pour observer la scène, lâchant le bras de sa cavalière de danse. Une fois de plus le Roi fit son apparition et le trône semblait trop grand pour lui malgré qu’il ait bien grandit ses dernières années. Il aurait souhaité que le dirigeant fasse preuve de plus de solidité dans ces heures sombres… Il s’inclina cependant avec respect, reconnaissant la légitimité de ce souverain-enfant. Il dut tendre l’oreille pour entendre ses propos qui ne portaient pas tout à fait jusqu’au fond de la salle. Il observa un instant les personnes qui l’entouraient, tentant de déchiffrer qui d’eux étaient là par pure loyauté, ou bien par attrait du gain personnel.
Un raclement de gorge énervé face à certains qui ne prêtaient pas attention au Roi. Il plissa les yeux, inscrivit ces visages dans sa mémoire… il avait bien d’autres chats à fouetter mais se souviendrait d’eux. Oui toi qui prend une gorgée d’hydromel alors que ton Roi te parle, les yeux levés vers la voute en bois, l’air clairement ennuyé par cette interruption. T’avait-il empêché de sceller une affaire avec ton voisin ? Parliez vous enrichissement de vos égos surdimensionnés, tandis que nos soldats se crèvent pour protéger les terres ? Ou bien toi, jolie demoiselle qui était bien ignorante des affaires du peuple et qui ne veut rien en apprendre ? Car de savoir dessinerait des troubles sur ton visage juvénile et te rendrait moins attrayante envers les puceaux en quête d’amour, pas vrai ? Volkan claqua sa langue contre ses dents et sa colère était visible dans ses épaules serrées, sa mine renfrognée.
Il se rapprocha donc de l’estrade, une main solennellement posée sur la garde de sa propre épée. Il fit signe à un serviteur d’apporter le présent qu’il avait préparé. Il observa un instant l’épée cérémoniale légendaire qui n’avait pas besoin d’être présentée. Gúthwinë, et son pommeau de bronze à têtes de chevaux. Une splendeur qui avait traversé les âges et liés la deuxième et la troisième lignée. Pourquoi donc se déclarer être de la Maison Firion qui ne remontait qu’à deux générations, quand le Roi voulait faire appel aux légendes des leurs ancêtres de jadis, chantés par tous, préservés à travers le symbolisme des simbelmynë de leurs tertres royaux ? Ne craignait-il pas de faire remonter à la surface les souvenirs de la Guerre des Trois Rois qui avaient bien entachés sa réputation et sa légitimité en tant qu’Héritier de la Marche ? Il était encore bien jeune, ce Roi… et plus que tout avait besoin du soutien de ses vassaux. Volkan Dolfenbrand, Seigneur de l’Estenmet se présenta donc en premier et s’agenouilla devant son Roi en baissant la tête, son bras en travers son torse en un salut respectueux. Il prit ensuite des mains du serviteur le bouclier en bois renforcé de lanières de cuir, à l’effigie du Royaume, qu’il déposa aux pieds du souverain.
- Volkan Dolfenbrand pour vous servir, votre Majesté. Que ce bouclier représente le soutien des Terres de l’Estenmet, et mon souhait de protéger ce Royaume sous votre règne. Il sentit s’apposer sur son épaule le poids léger de la lame des légendes, et ferma un instant les yeux pour ainsi recevoir la bénédiction du Roi Fendor. Après une dernière révérence, il prit congés et s’installa non loin de l’estrade, sur les côtés, pour observer avec une austérité sévère quiconque tarderait à renouveler son serment.
Tenant désormais la main de sa compagne de danse dans la sienne, le Seigneur de l’Estenmet écouta néanmoins la réponse du guérisseur gondorien. Des courbettes, de la dentelle, une fois de plus. Une esquive. Décidément cet homme n’avait aucune colonne vertébrale et il suffirait d’un vent automnal pour le faire glisser d’une partie du Royaume à une autre. Il ne tirerait très certainement rien de lui. Son regard se fit plus dur lorsqu’il répondit.
- Je pense que Dame Dalia de Ronce, tout comme notre Vice Reine, en leur grande sagesse, avaient vu plus en vous qu’un messager indirect. Je ne vois personnellement pas de meilleur usage pour des remèdes que d’être envoyés au front pour soigner nos hommes. Mais si vous préférez envoyer des soldats à la place pour remplacer les morts, faites donc.
Son ton se fit sans appel tandis qu’il entraina à sa suite la jeune dame qui semblait bien inconfortable en sa présence. Peut être avait-il était trop rude envers ce jeune guérisseur, mais Volkan Dolfenbrand n’était pas réputé pour sa finesse, après tout…et le temps pressait trop sur les champs de bataille pour le perdre à discutailler des termes et conditions sous couvert d’échange diplomatique. La tension était palpable dans le port d’épaules de la jeune femme et sa main qui se faisait faible dans la sienne. Il raffermit sa prise et tenta de son mieux de s’insérer dans le flot de danseurs sans perturber les couples déjà lancés. Heureusement, son vieux corps semblait encore se souvenir des danses d’antan, il n’eut donc pas de mal à débuter. Doucement d’abord pour ne pas perturber la garde qui ne semblait pas dans son élément. Oh…il n’était pas particulièrement élégant dans ses mouvements, le vieux Seigneur, mais on pouvait admettre qu’il avait encore le sens du rythme et sa confiance semblait le suivre dans toutes ses démarches.
Il tenta de guider de son mieux sa partenaire avec sa voix bourrue.
- Relevez la tête sinon vous risquez de vous emmêler les pieds. La danse, c’est un peu comme une bataille.
Un pied après l’autre, une répétition de mouvements, entraînés, effectués des dizaines, des centaines de fois. Les corps devaient alors bouger en unisson pour créer une cohérence. Le regard porté sur le partenaire de danse ou bien légèrement en retrait par pudeur, généralement des jeunes dames. Mais eh…cela remontait à lui. Volkan se souvenait encore de sa dernière tentative de danser avec sa fille il y a de cela quelques années, avant que celle-ci ne le rejette car quelle honte de danser avec son vieux père ! Il avait alors reculé d’un pas et laissé la prunelle de ses yeux s’envoler loin de lui, un sourire quelque peu triste sur le visage. Au juron arraché de la garde il répondit par un rire tonitruant qui pourrait potentiellement la prendre au dépourvu. Pour leurs voisins, il avait probablement noyé l’interjection de la jeune femme de sa grosse voix. Et c’était mieux ainsi, après tout. Son regard reprit de son sérieux cependant lorsqu’il lui répondit.
- En effet cela est frustrant. L’impression parfois de jouer un fou à gesticuler dans tous les sens en essayant d’attirer l’attention sur ce feu qui brûle et se rapproche…
Il poussa un ronchonnement et ne dit mot lorsqu’elle lui marcha sur les pieds. Une lueur de défi cependant l’envahit lorsqu’il poursuivit :
- Alors pourquoi la Garde Royale, alors que nos soldats risquent leurs vies à défendre nos terres ? Car il n’avait pas oublié la demande de la jeune femme, et Volkan n’était pas prêt à utiliser de son influence sans être convaincu du bien fondé de cette démarche.
Eohlindell fut satisfaite des valeureux danseurs ayant pris possession de l’espace central du Hall de Meduseld. Elle en fit le tour avec lenteur, ses doigts graciles grattant les cordes de sa guiterne pour divulguer sa chanson aux diverses tables qui avaient été érigées sur les côtés. Elle observait les convives un instant, esquiva quelques fois de ses pas dansants des enfants qui courraient rejoindre les jeux à l’autre bout de la salle. Un sourire se dessina sur son visage. Qu’il était bon d’être ainsi innocent et joyeux et de se laisser emporter par les émotions aussi violentes soient-elles. La jeune barde ne vivait que pour cela. S’oublier l’espace d’une chanson, d’une danse. Ses parents l’avaient toujours trouvée trop tête en l’air, rêveuse, oublieuse du monde extérieur. Mais que pouvait-elle en faire ? Elle avait une mission, elle aussi, mais ses musiciens avaient chapardé son petit papier. Elle chercha donc un partenaire (particulier, pour partenaire particulière). Elle pensa le trouver non loin d’ailleurs, avec une barbe et une moustache fringante et un éclat vif dans le regard. Il regardait autour de lui sans trop savoir dans quelle direction aller. La jeune femme laissa donc son instrument qu’elle déposa dans un coin soigneusement. La chanson n’avait maintenant plus besoin d’elle, le groupe était parfaitement lancé. Elle s’approcha donc de ce monsieur encore assis et se pencha par-dessus son épaule, un sourire large dessinée sur son visage :
- Seriez vous mon partenaire de danse ?
Elle tendit sa main dont le poignet était recouvert de grelots tintant et de voiles colorés, et effectua une courbette élégante et à moitié sautillante sur ses pieds nus. Oh elle espérait ne pas se tromper. Mais la honte ne tuait pas heureusement ! Sinon elle n’aurait pas vécu jusqu’à ses 19 ans.
Un pantalon bouffant et haut en couleurs, sous de longs pans de voiles servant de jupe, attachés par une ceinture de cuir épaisse agrémentée de grelots dorés. Des pas dansants, pieds nus, graciles, volant sur les planches en bois de l’estrade royale. Des doigts fins, pinçant les cordes d’une guiterne en un air jovial, sa voix accompagnant la mélodie, haute et claire. De longs cheveux châtains ornés de fleurs des champs. Petit à petit, le chahut de la Salle de Banquet s’apaisa, à l’écoute. Doucement, sans se presser, Eohlindell attrapa l’attention des convives de son air enchanteur, un éclat dans ses yeux brun. Une fois s’être assurée que les regards étaient tournés vers elle, la jeune barde leur adressa un sourire radieux, avant de se lancer dans un entrechat audacieux, traversant ainsi la scène improvisée, et s’inclina profondément devant l’audience. Ses poignets et chevilles étaient ornementées de grelots également, tintant à chacun de ses mouvements élégants, maîtrisés. Elle virevolta sur elle-même, faisant voler ses tissus multicolores autour de ses hanches, et dansa avec son instrument comme on le ferait avec un amant. Elle continua ainsi un instant, traversant la scène d’un côté de l’autre, engageant avec les convives, les invitant de son regard, de son sourire.
- L’on m’a dit, damoiseaux, damoiselles, que des pas légers soulageaient l’âme. Et les ventres, bien rassasiés !
D’une voix chantante, toujours mouvante sur ce plancher, elle poursuivit :
- L’on m’a dit, qu’un carnet vous a été adressé. Des noms, des mots ? Une invitation, à danser ?
Un sourire et un clin d’œil, elle reprit la mélodie sur sa guiterne.
- L’on m’a dit, pour les plus peureux, on pouvait trouver aussi, un buffet et des jeux, mais à deux !
Une incitation à se mêler et à aller à la découverte d’autrui. Eohlindell marqua ses derniers mots en montrant son index levé, sourcils froncés avec une posture autoritaire. Mais qui pouvait croire au sérieux et à l’intimidation d’une barde saltimbanque ? Elle reprit d’ailleurs bien vite son air jovial, et sauta de la scène au plein milieu des convives, instrument à la main, tapant de ses pieds nus sur le sol pour en faire tinter les grelots sur une rythmique entraînante. Que la danse prenne place, haut les mains, hauts les cœurs ! Elle reprit sa danse solitaire avec sa muse, et invita les invités à se joindre à elle au milieu du Hall, avant de s’éloigner progressivement pour leur laisser place. Sur les côtés du Hall se dressaient de longues tables étroites sur lesquelles les invités pouvaient se rassasier ou reprendre des forces entre deux danses. Quant aux jeux en fond de la salle…des pommes à flotter dans des bacs d’eau pour les plus jeunes (mais aucune limitation d’âge, bienheureux !), des jeux d’adresse de lancer d’anneaux sur des blasons agrémentés de pics, ou bien le lancer de petits sacs de toiles sur des cibles dessinées au sol. Il ne manquait pas d’activités à ce bal, et libre à eux de décider quoi faire du temps qu’il leur était imparti avec leur partenaire désigné.
Un hochement de la tête, bref, pour indiquer sa réception des excuses présentées pour la boucherie qui avait été faite de son nom. Il mit cela sur le compte du stress d’une telle situation, probablement. Cette jeune femme n’avait probablement pas l’habitude de cotoyer directement laes hauts personnages du Royaume du Rohan, malgré sa proximité toute particulière avec la Vice Reine. Le nom de son père, Foldar, lui rappelait quelque chose…mais que les années filent…et Volkan était présentement distrait par plusieurs conversations en simultanée. Il attendait la réponse de Berondir à sa demande de la plus haute importante sur le bien être de ses hommes au front, mais ne pouvait ignorer sa voisine de table, et ses propos bien que maladroits étaient pour le moins censés. En cela ils étaient similaires…
Elle semblait comprendre bien rapidement que toute réassurance du succès garanti de leur armée était futile pour cet homme rompu par les batailles et dont les cicatrices anciennes rivalisaient avec les plus récentes, se faisant encore ressentir dans ses vieux os. Oh, peut-être était-ce bien l’âge qui le rendait pessimiste, comme s’évertuait à lui faire croire ses fils, mais Volkan était trop vieux pour qu’on lui apprenne à faire la grimace. Et qu’en savait-elle cette dénommée Eolida, autre que les rapports reçus du front, entendus et déformés par les bouches et oreilles multiples avant d’atteindre la Vice Reine? Son couteau s’attaqua avec nonchalance à la pièce de boeuf présentée devant lui, en arracha une giclure saignante sans tressaillir. Il n’avait pas d’appétit. Une gorgée d’hydromel l’aida à faire passer cette boule dans la gorge tandis que son regard était résolument posé sur le guérisseur non loin. Si le Gondor était prêt à aider, alors qu’ils aident. Il espérait bien qu’il n’était pas venu les mains vides, outre cette innocence et maladresse notables.
La jeune femme rappela à nouveau son attention et il l’a lui accorda, la jaugeant de son regard de vétéran imperturbable, un rictus mal aimable sur ses lèvres. Elle avait bien compris, cette petiote, que ce bal représentait bien plus qu’une opportunité pour le peuple de s’évader et oublier un instant les troubles qui se propageaient dans le Riddermark. L’heure était venue pour les alliances et les accords tacites. Volkan observa un instant les convives, nota les regards calculateurs de certains, les sourires satisfaits d’autres…le repas n’était pas encore fini et il manquait déjà de temps. Il n’aurait jamais assez de temps à sa disposition… et ses hommes en manquait également. Volkan regarda un instant ce Capitaine Mondself auquel Eolida s’adressait également. Une gorgée d’hydromel. Lente. Son regard se plissa brièvement. Son nom lui disait quelque chose…mais que présentement aucun détail ne semblait vouloir refaire surface. Un énième nom, un énième rang…mais face aux ennemis, cela n’avait plus aucune importance, ils n’étaient pas plus que chair à canon comme leurs semblables.
Il pesait avec sérieux cette demande à moitié voilée lorsqu’ils furent interrompus par la voix envoûtante de la barde saltimbanque qui s’était invitée sur la scène. La mine bourrue, un raclement de gorge ennuyé, Volkan se prêta cependant au jeu et ouvrit le petit papier qui lui avait été remis auparavant lors de son entrée dans le Hall. Le petit carnet présentait une calligraphie soignée et somptueuse dans un encre vert sombre. Après avoir consulté le nom inscrit, il fit claquer sa langue contre ses dents avant de s’adresser à sa voisine:
- Il semblerait que vous avez l’occasion de me présenter davantage vos objectifs d’amélioration de la Garde Royale, qui requiert potentiellement mon appui. Il haussa légèrement le menton et se releva, avant de présenter galamment sa main à Eolida. Il n’était pas particulièrement attiré par les danses mais l’air joué lui rappelait ses plus jeunes années et les danses qu’il avait alors partagé avec son épouse alors qu’ils n’étaient qu’amoureux transi et prétendant. Il espérait seulement que ses genoux seraient à la hauteur du défi.
Volkan plissa les yeux face à l’ignorance de ce jeune Berondir qui avait adressé la Vice Reine comme Majesté et non pas Altesse. Il claqua sa langue contre ce palais et secoua la tête, corrigeant l’étranger avant de le laisser poursuivre. Oh non en cela aucun manque de respect envers Dame Aelyn…mais il aurait été malvenu et irrespectueux que faire planer le doute sur les positions de chacun à ce banquet. Fendor était et restait le symbole du pouvoir du Riddermark malgré son jeune âge. Le Vice-Roi Gallen Mortensen et son épouse faisaient un travail exemplaire de la gestion de ce grand Royaume et le peuple leur était redevable sur bien des points. Le Seigneur Dolfenbrand adressa un signe de tête à la Vice-Reine en une légère inclination du buste, espérant que son intervention n’ait pas été mal perçue de sa part.
Ce jeune guérisseur avait l’air d’un poisson sorti de l’eau et il s’étonna qu’il fût invité à un évènement de marque. Mais s’il était là sur demande de son Altesse Aelyn, alors il devait sûrement avoir bien des qualités et des connaissances uniques pouvant être mis au service du Riddermark. Qu’il boive un coup, peut-être que ça l’aidera à délier sa langue. Quand il était lancé cependant, il ne semblait plus pouvoir s’arrêter tel un jeune faon prit la patte dans un piège. Il l’observa un instant, faisant de son mieux pour démontrer un intérêt bien que son esprit triait les informations à retenir du reste. Il n’avait qu’à faire de catégoriser les types de salades, du moment qu’elles pouvaient guérir ses troupes au front. Et il dut se retenir de partager son point de vue sur le Royaume du Gondor, car ce n’était pas avec l’envoi d’un imberbe tout juste sorti des jupons de sa mère qu’ils allaient sauver le Riddermark. Il soupira, fit de son mieux pour garder en contrôle son tempérament orageux. Repris un peu d’hydromel et observa un instant la sélection de viandes et fioritures à leur disposition. Il n’avait pas faim. Se força d’attraper une tranche néanmoins pour aider à faire couler la boisson.
Il prit le temps de réfléchir à sa réponse avant de prendre la parole :
- Vous n’auriez pas par tout hasard apporté dans vos sacoches quelques remèdes et décoctions des Maisons de Guérison gondoriennes ?
Leurs troupes en aurait bien besoin à l’Est, les siennes en particulier qui avaient connues de lourdes pertes ces dernières semaines. Il se tourna ensuite vers la garde de la Vice-Reine qui avait été installée à sa gauche.
- Seigneur Dolfenbrand.
La corrigea-t-il. Décidément ses voisins de table faisaient-ils exprès ?
- Je ne suis pas sûr de me rappeler votre nom ?
Il attendit qu’elle le lui indique et il prit un instant pour inscrire cette information dans sa mémoire. Cela pourrait lui être utile, plus tard. Il n’avait pas pour habitude de passer du temps à Aldburg ou Edoras, parfois ses informations n’étaient pas les plus fraîches. Il avait fort à faire dans l’Estenmnet.
- J’étais sur les champs de bataille à l’Est, je pense qu’il y a nature à s’inquiéter. Les cavaliers ne peuvent galoper trop rapidement pour rejoindre nos troupes déjà sur place… Il essayait de s’accrocher à l’espoir que cette Eólida tentait de lui communiquer mais il n’avait jamais été de nature optimiste. Son regard se fit plus sombre. En effet, son cœur n’était pas à la fête non plus….
Il semblerait qu’enfin les derniers arrivés les ait rejoints dans le Grand Hall, et les serviteurs s’empressèrent de fermer les lourdes portes de bois, au grand soulagement du Seigneur Dolfenbrand. Il fit claquer sa langue contre son palais en un signe appréciateur de cet hydromel qui soulageait bien le fond de sa gorge qui grattait. Sucrée, mais pas de quoi vous donnez une soif insatiable d’eau, voilà comme il les aimait ! Il observa un instant l’assemblée et aperçut la jeune femme qu’il venait de quitter se faire outrageusement interceptée par un galant. Il avait bien raison que de se questionner sur une potentielle alliance avec le Wold, cette dernière ne passait pas inaperçue !
Bientôt le Chambellan refit apparition et les invités se turent respectueusement, attendant fébrilement l’arrivée du Roi du Riddermark. Malgré sa jeunesse on devait avouer qu’il avait une prestance indéniable et Volkan Dolfenbrand n’hésita pas une seule seconde à mettre genou à terre en baissant la tête, malgré les douleurs de sa vieillesse qui le rappelèrent à l’ordre. Il serra les dents et resta ainsi, immobile, protocolaire. Il fit parmi ceux qui firent résonner au plus fort sa voix « Longue Vie au Riddermark ! » et finit sa chope d’hydromel en un coup sec. De quoi raviver les esprits ! Il s’imprégna de la vision de leur Roi à la chevelure de blé et ne se prenait à imaginer le Roi qu’il serait d’ici une poignée d’années. Que d’épreuves, pour cette jeune tête couronnée, et pourtant il était bien là parmi eux. Restez fort, mon Roi ! Nous sommes là pour vous, et feront tinter nos lances contre nos boucliers ! Que sa jeunesse se reflète dans la prospérité de leur Royaume !
Il était quelque peu perdu dans ses pensées et ne prêta qu’une oreille à la déclamation des différents mets présentés lors du banquet. Ma foi, de quoi bien se remplir la panse. Il trouverait peut-être quelques sources de plaisir à ce Bal, finalement. Il fit son chemin jusqu’à l’espace qui lui avait été désigné et s’assit en faisant claquer sa cape en arrière. Un serviteur se proposa de l’en soulager. Après quelques grommellements, il obtempéra et dénoua sa fibule d’argent et le laissa l’emporter. Hors de question de se débarrasser de son épée toutefois, cela était sa marque distinctive de sa caste. Arg, le moment qu’il n’aimait pas. Se présenter à des inconnus ignorants de son rang. Il les regarda s’installer autour de lui, mais prit la peine de se relever à l’approche de chaque Dame en geste de galanterie.
A chacun de ses voisins directs et en diagonale il présenta une main, en une poigne ferme et autoritaire.
- Volkan Dolfenbrand. Seigneur de l’Estenmet.
Au Capitaine Rameth, la poigne fut particulièrement solide et il le prit au niveau du coude. Ils se connaissaient, après tout, et n’était-ce pas la manière dont les soldats se saluaient ? Son œil avisa à nouveau l’invité de la Vice Reine, qui avait été installé juste à ses côtés.
- Que vous amène dans le Riddermark, Berondir, invité de son Altesse Aelyn ?
Bien sûr, il ne fermait pas la discussion à ses autres voisins. Quitte à être bloqué dans ce Hall les heures suivantes, autant mettre à profit son temps pour cueillir des informations qui pourraient lui être utiles pour l’avenir. Qui sait quand il aurait à nouveau l’occasion de sociabiliser autrement que par le fil de son épée ?
Sa diction était exemplaire, sa voix haute et claire. Oh oui, le bon vieux Harding devait être bien fier de son héritière. Si les temps étaient plus joyeux et le père présent, le sujet d’épousailles potentielles aurait peut-être été abordé. Après tout…allier l’Estenmet et le Wold était un choix des plus raisonnable pour la prospérité de leurs terres. Et qu’ils feraient un beau couple…Déjà Volkan pensait pouvoir imaginer les frimousses des bambins qui seraient son héritage, le futur de sa lignée. Une rohirrim aussi belle que vaillante, voilà qui ferait une femme idéale pour son fils ainé. Il tenta de se faire une note mentale de lui écrire une missive. Parfois une touche de légèreté était tout ce dont les hommes avaient besoin de remonter leur moral et encourager leur bravoure.
- De biens sages paroles Lady Harding. En effet mes hommes sont actuellement au front pour défendre nos territoires…
Volkan Dolfenbrand regarda un instant autour de lui, et le bruit de quelques rires eurent le mérite de le mettre de sale humeur. Quelle inconscience, ces éclats de joie étaient comme une souillure, une insulte pour les pertes qu’il subissait à l’Est et les sacrifices qu’il devait faire au quotidien. Il ne se gêna pas d’ailleurs de lancer un regard froid sur certains, son expression très claire sur son visage. Bande d’ignorants cupides. Tout l’or du monde ne suffira pas à vous sustenter une fois les terres à feu et à sang. La voix de la jeune femme en face de lui cependant lui ramena à des sujets plus doux, et son faciès s’adoucit quelque peu.
- Ma famille a connu quelques blessés mais nous nous en remettrons. Nos lances portées hautes et fières. Elles ne se terniront pas avant qu’un énième âge soit passé.
Son espoir était palpable dans le ton de sa voix, ainsi que la confiance qu’il avait en ses hommes. Il en avait connu, des batailles, et il était convaincu que le temps était désormais venu à nouveau d’allier les hommes pour affronter cette nouvelle menace. Seuls…ils n’y arriveraient pas. Il hocha la tête à l’invitation de la jeune Tirweld, reconnaissant de constater que les valeurs d’hospitalité de son vieux père soient bien passées jusqu’à elle. La ligne des Harding avait encore de beaux jours devant eux. Il le leur souhaitait, autant qu’à la survie de la sienne.
- Permettez-moi de vous désigner le Capitaine Rameth. Peut-être se souvient-il de moi. Touchez-lui-en un mot.
Sa main se déposa sur l’épaule de la jeune fille et serra, en une salutation presque miliaire.
- Eodren est devenu l’homme qu’il avait toujours été amené à devenir et a surpassé toutes mes attentes. Je ne doute pas qu’il serait heureux de vous revoir également. N’hésitez pas si vos chevauchées passent par nos terres… Il s’empara d’un verre à pied passant à proximité et enfin put soulager sa démangeaison grandissante dans sa gorge. La jeune femme prit congé et il s’inclina respectueusement. Son regard accrocha à nouveau celui de l’invité de la Vice Reine et sa résolution se raffermit. Cependant il était en conversation avec une autre dame et Volkan n’avait pas pour habitude de s’insérer à des discussions. Au fil des années, il avait pris pour habitude de laisser les gens venir à lui…jusqu’à ce que sa patience ne s’effrite. Il prit donc une brève pause de ces interactions sociales et dégusta le breuvage, son attention voyageant d’une personne à l’autre. Enfin les portes étaient fermées et il s’en trouva soulagé.
#Volkan_Dolfenbrand Seigneur influent de l’Estenmet, aux frontières orientales du Rohan. Cela fait bien longtemps qu’il n’a plus mis les pieds à Edoras mais son nom est connu de tous, inspirant le respect, et parfois la crainte.
Berondir….guérisseur de Minas Tirith. Voilà un nom dont il devait se souvenir, pour ce soir…pensa le Seigneur Dolfenbrand. Dans la foule il chercha du regard la personne que lui avait si gentiment désigné la Vice Reine et ne tarda pas à le trouver, gesticulant gauchement dans sa tunique de laine, faisant face à une dame aux longs cheveux auburn, une couronne de fleurs dans les cheveux. Il plissa les yeux et attrapa un bref instant le regard du jeune homme en question. Ou peut-être se trompait-il et qu’il regardait la Vice Reine à la place. En tout cas son visage était désormais gravé dans sa mémoire et après avoir payé ses respects une fois de plus à la noble dame, il s’effaça et fonçait désormais sur ce pauvre malheureux, sa prochaine cible, lorsqu’il fut interrompu par une jeune dame qui l’adressait.
Un peu de convenance, Volkan. Il s’interrompit donc dans sa marche pour l’écouter. Il la détailla un moment du regard, ces fleurs innocentes blanches dans ces cheveux d’une couleur si caractéristique, tirant sur le roux…C’était bien la petite Harding sans nul doute. Il se rappelait en effet l’avoir brièvement côtoyé. Pour lui cela semblait être hier, que les années passent vite. A l’époque elle n’était pas plus haute que trois pommes et s’évertuait à manier une épée en bois beaucoup trop grande pour elle, imitant les postures guerrières de son fils. Il hocha la tête en réponse à ses paroles, un reniflement passager. Il repoussa d’un geste de la main la proposition du mouchoir brodé de la jeune dame mais s’adoucit aux souvenirs d’un passé révolu.
- Comment se porte ce bon vieux Harding ? Je me souviens de toi…ou devrai-je dire « vous » désormais ? Vous aviez bien grandi…quelques années de moins que mon fils Eodren si mes souvenirs sont exacts. Il pouvait encore la revoir gambader dans les hautes herbes, un air farouche sur son visage. Mais cela faisait bien longtemps qu’il n’avait pas vu cette famille et les temps n’étaient pas propices aux visites d’usage. Il ne se rappelait pas bien des détails sur les Harding…était-elle fille unique ? Et que faisait-elle ici, seule, sans chaperon ? Une aberration pour une jeune femme en âge de se marier. Volkan chercha du regard un quelconque accompagnateur ou accompagnatrice mais ne trouva personne. Peut être était-il hors du temps et trop protecteur de ses propres filles, il aurait réduit en bouilli quiconque jeune homme qui aurait osé les approcher sans d’abord chercher son aval.
Sa gorge grattait de plus en plus à force de conversation. A défaut de fermeture des portes, Volkan ouvrit un bras et invita la jeune femme à le suivre sur les côtés de la pièce pour s’éloigner de cette brise qui lui apportait toutes les sources de son inconfort. Il ne l’effleura même pas néanmoins, préservant cette distance maîtrisée et une galanterie quelque peu maladroite venant de sa part. Ils s’approchèrent de l’invité de la Vice Reine et le Seigneur ne put retenir sa frustration que de voir aucune boisson à sa portée. Il aurait volontiers soulagé sa gorge avec un peu d’hydromel en attendant le discours du Roi.
Son regard, bien que légèrement humide des allergies, se posa brièvement sur la garde qui se tenait au plus proche de la Vice-Reine, une main posée sur la poignée de son épée et l’air sévère. Mais le Seigneur Dolfenbrand était connu de tous et sa réputation n’était plus à faire. Il gardait une distance protocolaire tout à fait respectable, et prenait soin de ne pas importuner la dame, retenant reniflement et autre inconfort lié à sa condition printanière. Il plissa quelque peu les yeux et hocha de la tête, une main sur sa tunique en marque de respect, la tête légèrement abaissée.
- Je vous remercie Votre Altesse mais ne vous embêtez pas pour de si petites choses. Et qu’on ferme ces maudites portes en bois, par tous les diables ! Le vent semblait avoir toute la présence d’esprit que de faire entrer et tournoyer le pollen jusqu’à l’intérieur du Grand Hall. Il porta sa main à sa bouche et se détourna quelque peu pour tousser quelques fois, cherchant à apaiser les grattements du fond de sa gorge. Avaient-ils invité l’entièreté du Royaume qui n’était pas au combat, pour qu’ils prennent autant de temps à entrer ? Après un raclement de gorge gêné, il refit face à la dame qui portait en elle les héritiers Mortensen avec un port tout à fait royal. Qu’elle était brave d’ainsi rester debout malgré le stade avancé de sa grossesse. Mais Volkan pouvait tout à fait comprendre les motifs de sa présence ici. Tout comme lui, et malgré les airs festifs de Meduseld, les esprits de nombreux étaient tournés vers l’Est sur des sujets bien plus sombres.
- Mes hommes sont dans de moins bonnes postures si je puis me permettre. Les blessés s’accumulent et les provisions d’herbes médicinales continuent à descendre.
Une toux à nouveau qu’il prit la peine de cacher en se détournant. Un regard furibond qu’il jeta à quiconque osait le juger. Il leur collerait volontiers une branche d’aulne dans le fond du gosier et on en rediscutera. Le Seigneur Dolfenbrand était bien connu et respecté de ses hommes pour toujours les faire passer avant son propre confort. Il n’y avait pas meilleur dirigeant que l’homme qui prenait les devants de sa troupe et affrontait les mêmes obstacles que ses compagnons. En cela, peut être ressemblait-il ne serait-ce qu’un peu au Vice-Roi ?
- Je vous remercie pour votre intérêt Ma Dame. Ma famille est saine et sauve ici à Edoras, et je compte bien repartir sur mes Terres le plus rapidement possible avec mon fils ainé.
Il ne souhaitait pas rentrer dans les détails ici, pas dans cette assemblée venue s’égayer et se changer les idées. Mais pour Volkan, il sera difficile de se dérider et de lui arracher un sourire. Cela viendra peut-être…un moment d’oubli, un moment de répit. Des images, trop vives encore dans sa mémoire, marquant les traits de son visage…on pouvait en deviner la teneur derrière son regard légèrement voilé. Mais il ne dit rien et sa mâchoire se serra, une main posée sur la poignée de son épée mais non pas en un geste menaçant. Un réflexe, une réassurance qu’il tira en ce toucher familier sur ce cuir usé par les batailles au fil des années. Il ne prit conscience de son geste qu’en interceptant le regard brutal de la chienne de garde d’Aelyn. Et dans ce surnom nulle remarque ni pensée désobligeante de la part du vieux Seigneur. Il n’y avait pas animal plus loyal qu’un canidé et il ne pouvait que tirer un certain soulagement que de voir la Vice Reine aussi bien surveillée. Son regard se posa brièvement sur ce ventre porteur d’avenir, et d’une touche de douceur dans ce futur si troublé. Sa main, lentement, se détacha de son épée pour la reposer à ses côtés. Il jeta un regard aux alentours, tenta de mémoriser les visages de tous ces inconnus autour de lui.
- Je ne souhaite pas monopoliser votre attention, Votre Altesse.
Et il ne souhaitait pas ainsi déposer ce voile de tristesse et d’inquiétude dans ces yeux du vert si profond des plaines du Riddermark. Il n’aurait probablement pas du ainsi s’exprimer mais il n’était pas dans sa nature que de passer par quatre chemins. Il recula donc d’un pas et fit une révérence.
Le vent soulevait les pans de sa longue tunique de cérémonie vert sombre, un galon tissé brun et orangé pour la retenir au niveau de ses hanches. Il releva d’un coup d’épaule sa cape légère qui complétait ainsi sa tenue d’un geste agacé. Il renifla et poursuivit sa marche, le regard fixé un instant sur les pavés d’Edoras qui mettaient à rude épreuve ses genoux endoloris. Il n’était pourtant pas si vieux, mais la rudesse des derniers évènements à l’Est était encore bien marquée sur son corps. Il se remettait avec difficultés de la chevauchée éreintante d’une dizaine de jours pour fuir les assauts Nurniens.
Il aurait bien échangé sa place, tiens, avec un autre membre de sa maisonnée, mais il ne faisait confiance à personne pour régler ses affaires, et il aurait été mal perçu que le Seigneur Dolfenbrand refuse l’invitation malgré sa présence même à Edoras. Profite de l’occasion vieux bougre…qu’il essayait de se dire, éternuant et maudissant la nature florissante du Royaume, comme chaque année. Il y était presque. Par chance la marche ne fut pas bien longue de ses logis, mais il avait bien hâte de se réfugier à l’intérieur du Château d’Or de Meduseld et d’échapper ainsi aux semences printanières. Un reniflement à nouveau, tandis que ses yeux se levèrent pour contempler cette bâtisse exceptionnelle. Qu’il soit ici, et non pas auprès de ses hommes à l’Est lui tira une grimace sur son visage ridé du poids des années et des responsabilités.
Heureusement qu’il pouvait compter sur sa femme et ses enfants. D’une bravoure exemplaire. De vrais Rohirrims. A cette pensée seulement un regain de vigueur le prit et il rejoignit bientôt la foule qui commençait à s’accumuler aux portes. Il en reconnut certains…Aelyn…Eodan…et…la rouquine, c’était pas la petite des Harding ? Voilà certains qui n’hésitaient pas à envoyer leur marmaille faire leur travail. Quelques diplomates également… Il hocha brièvement la tête dans leur direction et se releva tout à fait pour imposer sa stature et se positionner vers l’avant de l’attroupement. Une révérence plus marquée envers la Vice Reine. Il ne prit pas la peine de se présenter. Cela viendrait plus tard…même si la plupart des personnes devraient le reconnaitre de toute façon. Cela fera ça de moins sur la liste des obligations sociales.
Heureusement qu’il s’était remis de ses blessures, au moins. Cela lui permettrait de tenir les longues heures de festivités et activités diverses. Il le fallait, Volkan..pour tes hommes. Fais-le, pour tes hommes. Ils ont besoin de toi. Sa volonté se raffermit à cette pensée et il permit un instant à ses traits de s’adoucir à cette perspective, que malgré la distance, il était là pour eux et ferait tout en son pouvoir pour les soutenir.
Le Chambellan ne tarda pas à ouvrir les lourdes portes de bois et de les accueillir. Il laissa passer devant lui la Vice Reine, ainsi que les Dames de Haute Noblesse, puis prit la suite naturellement. Il était important, lors de pareil évènement, de démontrer de sa connaissance de l’étiquette, même s’il trouvait cela un peu redondant en temps troublés. Il était cependant un homme conservateur, qui appréciait les traditions permettant à leur peuple de s’unir. Cela entrait donc parfaitement dans ce cas de figure… Il présenta son invitation en bonne et due forme, et prit place à l’entrée du Grand Hall. Au loin, il pouvait voir les grandes tables préparées. Mais l’heure n’était pas encore venue de s’asseoir. Le Seigneur de l’Estenmnet, Volkan Dolfenbrand resta donc debout, le dos bien droit, et se permit seulement des paroles basses à destination de la Vice Reine :
- Mes pensées pour votre époux au front votre Altesse.
Et il ne pouvait être plus sincère dans ses vœux de réussite de cette campagne militaire. La sécurité de ses Terres en dépendait, après tout. Pourra-t-il seulement se dérider quelque peu, ce bon vieux bougre ? Il frotta ses yeux rougis par les allergies et attendit la déclaration officielle du Roi pour l’ouverture des festivités.
Un monde de verts et de bleus, infini, tel ces plaines qui s’étendaient devant lui. Une inspiration profonde, un renâclement tout en secouant sa crinière et ses oreilles, à l’affut. Qu’il était étrange de voir ainsi des bipèdes se regrouper et s’agglutiner dans des étables alors que les étendues de verdures étaient là, juste là. Qu’attendaient-ils, au juste ? Un bridon, un mors, une longe pour les guider ? Il voulait bien les entraîner à sa suite, Kinsfeld, il ne demandait que ça même. Ce n’était pas si désagréable après tout, bien qu’il préférait quand des mains le guidaient sur le garrot directement et qu’il sentait son partenaire d’aventure sur ses flancs. Les lanières de cuir, cela tirait, parfois. Et il n’aimait pas ce morceau de métal dans sa bouche.
Il avait passé de nombreuses années à partager des balades avec son jeune maître qui le surnommait affectueusement Kiki. Mais désormais, le maître avait bien grandi, et préférait son destrier de combat avec lequel il était parti. Cela faisait bien des lunes, pensa-t-il. Ses sabots tapèrent sur la terre et sa mâchoire engloutit une énième poignée d’herbes molles. Si seulement un bipède pouvait bien lui apporter une de ces balles sucrées, ou bien ces morceaux croquants… Il n’en avait jamais assez. Surtout de ces petites balles qui tenaient parfaitement dans le creux des mains des bipèdes. Qu’il aimait alors les prendre du bout de son nez et les croquer. Il faisait toujours attention à ne pas faire mal aux bipèdes. Ils étaient bien fragiles, après tout.
Kinsfeld Kiki secoua son encolure, se releva et trotta vers les abords de son enclos pour observer de plus près ces étranges créatures. Partaient-ils à l’aventure, à la découverte de nouvelles plaines ? Pouvaient-ils le prendre avec eux ? Oh il n’avait pas à se plaindre du traitement qu’on lui prodiguait. Sa robe était soyeuse et régulièrement entretenue par les géniteurs de son maître. Parfois même on faisait des nœuds dans sa crinière et on l’agrémentait de petits morceaux de tissus, comme ce soir. Cela empêchait son toupet de lui descendre dans les yeux, ce n’était pas plus mal.
Mais ils étaient désormais bien vieux, les géniteurs de son maître et Kiki trop jeune pour demeurer ici. Si son maître ne revenait pas, il ne l’attendrait pas une lune de plus. Que ses sabots parcourent ces terres et ces plaines ! Que ses yeux découvrent toutes les nuances de bleus et de verts. Kinsfeld, oh oui Kiki, avait des envies d’aventures…
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