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Sujet: Nous Perdons Toujours
Ryad Assad

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Rechercher dans: La Ville Sombre   Tag kumkun sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptySujet: Nous Perdons Toujours    Tag kumkun sur Bienvenue à Minas Tirith ! EmptyMer 25 Jan 2017 - 23:50
Tag kumkun sur Bienvenue à Minas Tirith ! Femme_10

La porte s'ouvrit doucement, laissant pénétrer l'air frais du soir à l'intérieur. Une silhouette se glissa par l'entrebâillement, jeta un regard suspicieux à l'extérieur, avant de refermer le battant. Il rejeta son capuchon, rabattit le loquet, et vérifia que les rideaux étaient bien tirés avant de s'approcher du centre de la pièce. Mû par la force de l'habitude, il souleva le tapis usé qui habillait un peu ce qui servait de salon, et glissa son doigt dans une fissure du parquet un peu plus large que les autres. Il tira de toutes ses forces, étouffant un ahanement épuisé, révélant un espace caché sous la maison. Rien de plus qu'une petite cavité destinée à cacher quelques menus biens d'éventuels pillards. Mais le trésor qui émergea de ce coffre secret était plus précieux que les bijoux ou les diamants. Une jeune femme émergea des entrailles de la terre, portant sur son visage le masque de la souffrance et de la mort. Nevä.

Chaque nuit, elle se laissait enfermer de son plein gré, et chaque matin il venait la ressusciter en espérant qu'elle n'aurait pas succombé à l'inconfort et à l’exiguïté de son cercueil. Elle soutenait toujours qu'elle allait bien, et il avait depuis longtemps cessé de l'interroger au sujet de son état, mais il ne pouvait pas s'empêcher de constater que l'épuisement prélevait son dû sur la jeune femme. Elle avait les traits tirés, à cause du manque de sommeil – qui pouvait la blâmer de ne pas réussir à fermer l'œil là-dessous ? –, et elle continuait de perdre du poids malgré tout ce que son assistant trouvait à lui offrir à manger. Pourtant, deux choses n'avaient pas changé depuis le premier jour. Son regard était toujours le même, inflexible, acéré et déterminé comme si elle était prête à affronter Melkor en personne, à l'aide d'un simple couteau. Et puis il y avait sa voix, bien entendu. C'était sans doute la partie d'elle qui était la plus envoûtante, et l'entendre parler était un plaisir. Voilà probablement la raison pour laquelle tant et tant avaient accepté de l'écouter, cinq ans auparavant…

- Kumkun, quelles nouvelles ? Interrogea-t-elle calmement.

Le rituel était immuable. Avant de songer à manger, ou à se délasser, elle voulait se mettre au travail et l'interrogeait sur ce qu'il y avait de neuf dans la cité. Depuis l'incident terrible au Temple Sharaman, le jeune affranchi était souvent revenu en lui disant que les gardes procédaient à des arrestations et à des vérifications. Ils étaient d'ailleurs passés fouiller la maison de Kumkun, mais n'avaient pas mis la main sur Nevä qui avait eu la bonne idée de s'éclipser ce jour-là. Les gardes, occupés à d'autres missions, avaient un peu levé le pied sur les vérifications, mais ils contrôlaient toujours frénétiquement les entrées et les sorties. Elle s'attendait à l'entendre lui annoncer qu'il y avait enfin du relâchement de ce côté-là, mais de toute évidence le jeune affranchi arrivait avec de mauvaises nouvelles. Il hésitait, indécis sur la façon de formuler la chose.

- Eh bien, parle donc. Est-ce que la situation a empiré ?

Elle était véritablement inquiète maintenant, et sa voix s'était légèrement durcie, contraignant son interlocuteur à lui révéler tout ce qu'il savait :

- Pas vraiment, Dame Nevä… Ou plutôt, si… Un marchand venu de Vieille-Tombe est arrivé aujourd'hui, et il achète un grand nombre d'esclaves qu'il veut revendre ensuite dans les territoires reconquis aux rebelles de l'Est. On ne parle que de ça en ville.

- Au moins ils auront une meilleure vie dans les fermes qu'ici. Ils ne risqueront pas d'y finir sacrifiés. Mais que se passe-t-il Kumkun, tu n'as pas l'air ravi ?

Il l'invita à s'installer à table, et déposa un panier de provisions devant son nez en lui faisant un geste équivoque pour qu'elle se servît. En temps normal, elle aurait refusé, mais elle mourait littéralement de faim. Alors elle attrapa une orange, et commença à la peler pendant qu'elle attendait sa réponse :

- Mon maî… mon employeur m'a demandé de me renseigner au sujet de ce marchand, car il voulait lui proposer quelques esclaves dont il n'avait pas l'utilité. Il préférait les vendre plutôt que de les voir être saisis par le Temple Sharaman sans compensation, vous comprenez…

- Pas vraiment… Souffla-t-elle, avant de le prier de poursuivre.

- Pendant que je travaillais, je… j'ai vu les esclaves qui étaient déjà acquis au marchand. Beaucoup étaient dans les mines, et il a apparemment sélectionné les plus résistants pour…

Nevä se figea, le quartier d'orange interrompant sa course à quelques centimètres de sa bouche légèrement entrouverte. Elle venait de comprendre, mais elle eût besoin que Kumkun continuât pour accepter la réalité :

- Votre ami, Kirin, faisait partie de ceux qui ont été emmenés.

- Tu en es certain ?

Il acquiesça gravement. Elle se doutait qu'il avait dû vérifier avant de venir lui porter une telle nouvelle. Kumkun savait mieux que quiconque à quel point elle était attachée à Kirin. Ils avaient été proches auparavant, et il s'était battu aussi dans cette révolte avortée qui leur avait tout coûté. Son châtiment avait été moins immédiat que ceux des chefs capturés par les forces de la Reine Lyra, mais pas moins dramatique. Il avait été envoyé dans les mines, là où l'on travaillait jusqu'à mourir d'épuisement, littéralement. Nevä avait été incroyablement soulagée de le savoir en vie, et malgré le risque que cela avait pu constituer, elle avait chargé Kumkun d'entrer en contact avec Kirin pour s'assurer qu'ils auraient un soutien à l'intérieur si les choses venaient à mal tourner. Hélas, s'il faisait partie des hommes sélectionnés pour être emmenés à l'Est, elle ne pouvait rien faire pour lui. Il aurait bien plus de chances de s'en sortir en partant là-bas… même si cela signifiait qu'elle ne le reverrait probablement plus jamais.

Elle déglutit difficilement, et lâcha, glaciale :

- On ne peut rien faire pour lui.

Kumkun sembla tomber des nues :

- Mais c'est votre ami ! Il va être emporté au loin !

- Je sais tout cela, Kumkun… Je sais… Mais nous avons une tâche à accomplir d'abord, et rien ne doit nous détourner de notre mission.

Elle n'y croyait pas elle-même, essayant seulement de se convaincre que la douleur qu'elle ressentait n'était qu'une nouvelle épreuve sur la voie vers la victoire. En réalité, elle n'était pas sûre qu'elle pourrait supporter cette perte, aussi insignifiante pouvait-elle paraître. Ce n'était qu'un homme, et pourtant elle avait besoin de le savoir là. Le jeune affranchi, loin de chercher à l'aider, enfonça le clou :

- Dame Nevä, je vous en prie… Chaque jour qui passe, je vous vois vous affaiblir, de même que notre cause. Et pendant ce temps, Jawaharlal devient plus puissant que jamais. Nous ne pouvons pas compter uniquement sur la Reine Lyra pour nous aider, et vous le savez… Quand elle saura ce qui se trame à Albyor, quel que soit le vainqueur de l'affrontement qui suivra, nous serons perdants. Nous perdons toujours.

Nevä se leva brusquement pour faire les cent pas, se frottant les yeux pour chasser les idées qui germaient dans son esprit. Non, elle ne devait pas y songer !

- Kumkun, je ne peux pas faire ça. Je n'ai pas agi pendant que Sharaman dévorait tant des nôtres. Je n'ai pas agi quand les hommes de Jawaharlal ont passé leur colère sur les esclaves du Temple. Je ne peux pas décider d'agir simplement parce que cela me touche désormais… Je ne peux pas sacrifier la cause pour laquelle nous nous battons, seulement par intérêt personnel. Kumkun, tu ne peux pas me demander ça…

Sa voix avait vacillé sur cette dernière phrase, et elle détourna le regard pour qu'il ne vît pas l'ampleur de son désarroi. Il garda le silence un instant, et elle mit à profit ces longues secondes pour réfléchir. Elle n'avait jamais demandé à devenir la Voix de la rébellion, cette femme dont ils se souvenaient tous en l'ayant pourtant oubliée. Elle avait simplement décidé de se lever pour ce qu'elle croyait être juste, et les conséquences dramatiques de sa folie lui avaient fait regretter amèrement son acte. Aujourd'hui, des attentes démesurées pesaient sur ses épaules, et venaient se conjuguer avec ses sentiments personnels. Elle ne voulait pas perdre Kirin, pour rien au monde. Et en même temps, elle savait que si elle tentait quoi que ce fût pour l'arracher à son destin, elle serait obligée de quitter Albyor. Devait-elle sauver un ami et abandonner l'entièreté de ces esclaves qui comptaient sur elle ? En même temps, si elle laissait Kirin s'éloigner, pourrait-elle un jour rendre leur liberté à tous ces malheureux, et ainsi se dire que ce sacrifice avait été utile ?

Elle enfouit la tête dans ses mains, incapable de prendre une décision. Kumkun la regardait, arborant une expression sincèrement désolée. Il savait qu'il lui faisait du mal en la soumettant à pareil dilemme, mais il n'avait pas le choix. Il ne pouvait pas cacher ce qu'il ressentait lui-même, à savoir l'envie de voir la tyrannie Melkorite prendre fin. Et pour cela, il suffisait d'une seule chose : un peu d'espoir. Il suffisait que quelqu'un eût assez de courage pour faire ce que personne n'oserait faire. Avec toute l'admiration qu'il avait pour la jeune femme, il ne voyait qu'elle pour accomplir cela, et redonner espoir à tous les esclaves d'Albyor…

- Vous ne pensez jamais à vous-même, Dame Nevä…

L'intéressée leva la tête, frappée par cette observation si juste et si précise qu'elle en était douloureuse à entendre. Kumkun la côtoyait depuis un certain temps, et s'il n'avait jamais dévalorisé son dévouement à la cause qu'elle défendait, il n'avait jamais pu s'empêcher d'éprouver une pointe de tristesse en voyant que la guerrière héroïque qu'il idolâtrait était prête à tout endurer sans jamais penser à sa propre santé, à son propre bonheur, à ses propres désirs. Il jeta un regard vers les pelures qui traînaient toujours sur la table :

- Vous n'avez même pas fini votre orange…

Elle suivit son regard, désemparée. Elle savait qu'il avait raison, et chaque fois qu'il lui demandait de prendre soin de sa santé, il appuyait précisément là où cela faisait mal. Elle n'arrivait pas à penser à elle, elle s'oubliait littéralement, et c'était curieusement ce qui lui avait permis de survivre toutes ces années dans les geôles de Blankânimad. Elle avait résisté à la torture, aux interrogatoires, et à l'isolement, parce que tout cela glissait sur sa peau marquée à jamais par la violence. Elle avait enduré tous les tourments, avant d'être oubliée et laissée de côté comme un jouet brisé. C'était encore ce qu'elle était aujourd'hui…

Elle se rassit lentement et attrapa les mains de Kumkun dans les siennes, en un geste d'une rare familiarité. Il leva les yeux, et se laissa happer par le regard de la jeune femme, buvant chacune de ses paroles :

- Kumkun, je suis sincèrement désolée… J'ai survécu à tant de choses, tu sais… Je n'ai plus d'appétit pour rien, sinon ce vieux rêve fou de libérer les esclaves d'Albyor. Sans ça…

Elle serra ses mains un peu plus fort.

- Sans ça… Sans ça, j'aurais aussi bien fait de mourir avec les autres, il y a cinq ans…

- Mais peut-être… peut-être que vous devez faire davantage que survivre. Peut-être que vous devez vivre. Et vous battre. Et faire quelque chose que personne n'oubliera. Quelles que soient vos raisons d'agir, si elles vous poussent à faire ce qui est juste, alors vous ne devez pas hésiter.

Nevä baissa la tête, atteinte par cette nouvelle estocade. Sa résolution vacillait à chaque fois que le jeune affranchi revenait à la charge, et elle sentait que sa position était de moins en moins tenable. Oui, elle mourait d'envie de faire quelque chose, de changer le destin des esclaves d'Albyor, et de leur apporter enfin la lueur d'espoir dont ils avaient besoin. Était-ce la peur qui la retenait ? Était-ce la peur d'échouer et d'emmener tous ceux qui la suivraient à la mort ? Ou bien était-ce la peur de réussir, et de devoir devenir quelque chose qu'elle n'avait jamais voulu être : la lumière vivace pour des milliers d'âmes plongées dans l'obscurité ? Elle n'aurait su le dire avec certitude. Ce qui était certain, c'était qu'elle ne voulait pas agir par seul intérêt personnel, comme ces rois et ces reines qui faisaient passer leurs amis avant le peuple qu'ils entendaient défendre. Elle ne voulait sous aucun prétexte qu'on pût l'accuser un jour d'avoir sacrifié quiconque pour atteindre ses propres objectifs, protéger ceux qu'elle aimait, et en définitive avoir le luxe de vivre sa propre vie. La seule idée qu'on pût la regarder ainsi, qu'elle pût devenir ce qu'elle avait toujours juré de combattre, était insupportable.

- Même si je pouvais sauver Kirin… Même si je pouvais sauver dix ou vingt esclaves… Combien d'autres resteraient emprisonnés à jamais, sacrifiés au nom d'une poignée ? Et quant à ceux que j'essaierais de sauver, combien parviendraient à s'en tirer ? Pense à tous ceux que nous perdrions, Kumkun

Il hocha la tête, apparemment conscient que tenter de faire s'échapper des esclaves pouvait aboutir à une issue catastrophique.

- De toute façon je vous l'ai dit, répondit-il, nous perdons toujours. Alors quitte à perdre…

#Nevä #Kumkun
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