Le chat ronronne doucement dans les bras de la jeune fille, laquelle attire le regard attendri de ses deux nourrices. La première, tisonnier à la main, semble profiter de ce moment de répit pour reprendre ses esprits après s'être laissée aller à un fou-rire incontrôlable. L'hilarité générale aurait pu gagner Alyss, si la tension dans les muscles n'était aussi forte. Elle s'est contentée d'un petit sourire de circonstance, à peine capable de dissimuler son étonnement vis-à-vis de la réaction de la servante.
Ce rire nerveux, presque dérangeant, n'est que le reflet déformé de l'angoisse qu'elle a su péniblement contenir derrière cette porte fermée. Cependant, en balayant sa nervosité d'un esclaffement léger, elle a eu le mérite d'entraîner avec elle la petite Merilin. C'est encore son bien-être qui prime, et la voleuse ne peut s'empêcher de remercier les puissances du ciel et de la terre pour avoir épargné à l'enfant une inquiétude inutile.
Au lieu de quoi, elle se trouve debout en pleine nuit, à rire aux éclats avec sa nourrice et sa fée préférée. Transgression de toutes les règles établies, chat fortuit apparu comme par enchantement, et ce rire déconnecté de toute réalité… N'est-elle pas en train de marcher dans un rêve ? N'est-ce pas le cas des trois femmes rassemblées ici ?
Alyss est la première à les ramener dans le présent, soucieuse concernant la lettre de Nivraya. Le pli, dont elle ignore le contenu, lui semble tout à coup très important. Est-ce simplement parce qu'elle essaie de protéger sa maîtresse même après avoir été désavouée par celle-ci ? Le vestige ridicule d'un amour terni ? Ou bien est-elle seulement Alyss la Voleuse à l'intellect vif, capable de lier son sentiment de malaise étrange à la présence de cette lettre dans la demeure de Kervras ?
Un voleur aurait mille raisons de s'introduire dans la maison d'un sénateur pour y commettre un larcin, mais quel trésor mérite de risquer la peine capitale ? L'or et les bijoux, un voleur habile les trouverait ailleurs. La véritable richesse des maisons aristocratiques tient davantage au papier qu'au métal : titres de propriété, documents compromettants, livres précieux et autres feuilles à la valeur inestimable. Il serait tellement simple de mettre un sénateur dans sa poche en obtenant sur lui des informations précieuses. De quoi lui extorquer des sommes considérables sans y paraître.
Une reconversion possible pour la voleuse ?
L'idée lui traverse brièvement l'esprit, et se fiche dans l'arbre de ses pensées comme une flèche vibrante. Elle ne prend pas la peine de la décrocher tout de suite, consciente qu'un chaton doit bien se nourrir pour survivre. Elle revient cependant à sa question, et à la réponse de Verica.
«
À l'abri ».
Un soupir de soulagement s'échappe de ses lèvres, et elle pose négligemment ses mains sur ses hanches. Voilà une nouvelle excellente. Au moins la servante a eu la présence d'esprit de mettre le document en lieu sûr, et de ne pas le laisser au vu et au su du premier intrus venu.
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C'est bien, répond Alyss avec empressement.
C'est très bien. Ne prenez pas le risque de l'envoyer à Thor', j'ai peur que…Son regard glisse vers Merilin. Est-il bien judicieux de parler de ces choses devant une enfant aux grandes oreilles, qui pourrait retenir des choses qu'elle n'est pas censée entendre ? La fée se penche vers la petite fille, et pointe un doigt vers le chat qui se laisse caresser sans broncher :
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On dirait qu'il un peu fatigué, il faudrait quelque chose pour le requinquer, non ?Verica, qui comprend la manœuvre, prend le relais efficacement. Il est évident que cette femme est habituée à gérer les enfants, car elle pilote la fillette avec une dextérité incroyable. Sans que l'ingénue ne s'en aperçoive, elle est gentiment mise à l'écart avec le sentiment d'avoir une mission particulièrement importante, et une responsabilité de grande. La petite s'égaille en pépiant de joie, le chat dans les bras et le cœur heureux.
Comme les enfants sont charmants.
Alyss s'arrache à sa contemplation, et répond à Verica :
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Non, gardez la lettre. Laissez-la en sûreté, et n'en parlez à personne.Elle s'approche de la fenêtre, et en ouvre les battants, puis les volets. L'air frais du soir s'engouffre dans la pièce, glissant sa peine à travers la chemise de nuit qu'elle a passée. La solide tunique de cuir d'Alyss la protège bien mieux de la fraîcheur nocturne, et qu'elle embrasse comme un vent de liberté rassérénant. Enfermée, elle se sent prisonnière, et il lui faut cette sensation de pouvoir plonger dans le vide pour se sentir complète.
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J'ai simplement un pressentiment… Reprend-elle.
Une impression étrange…Les mots lui manquent pour exprimer ce qu'elle ressent réellement. Comment le lui faire comprendre sans l'inquiéter ? Même si elle n'a pas obtenu la preuve formelle de la présence d'un individu dans la pièce, l'explication du chat ne la satisfait qu'à moitié. Par son entraînement, elle est habituée à envisager le pire sans attendre d'avoir des indices probants pour cela. C'est ainsi qu'elle a réussi à demeurer en vie aussi longtemps, et ce mauvais réflexe n'est pas prêt de la quitter. Prudente plus que de raison, elle sait que la demeure de Kervras est vulnérable – sa présence ici en atteste amplement. La vie de Merilin est donc en danger.
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Verica, souffle-t-elle en passant un doigt sur le cadre de la fenêtre qu'elle observe avec attention,
j'ai besoin que vous fassiez installer un cadenas sur les volets de Merilin. Je vous en déposerai un demain. J'ai aussi besoin que vous fassiez changer la serrure de sa porte.Elle s'approche de la porte, et sort de nulle part une sorte de grand clou en métal. Un objet dont l'utilité n'apparaît pas immédiatement aux yeux d'une profane, mais qui est très utile pour les acrobates comme Alyss. Il lui sert simplement de point d'appui lorsqu'elle escalade des parois particulièrement abruptes. Il lui suffit de gratter un peu le mortier, d'enfoncer profondément son clou entre deux pierres, et elle dispose soudainement d'une petite plate-forme stable à partir de laquelle il lui est possible d'observer ou d'ouvrir discrètement une fenêtre.
Elle enfonce le clou tranquillement dans la serrure, selon un angle particulier, puis donne un grand coup de pied dans le tout. Un « crac » sonore retentit, suivi du cliquetis métallique du verrou qui est allé rebondir sur le sol dans le couloir.
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Voilà, vous n'avez pas besoin d'inventer une excuse pour justifier votre course, comme ça.L'esprit d'Alyss est simple, pour ne pas dire simpliste, et elle n'a en aucun cas pensé à ce que Verica à son employeur pour justifier l'état déplorable du verrou. Les détails techniques peuvent attendre.
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Adressez-vous au serrurier sur la place du beffroi, c'est un des meilleurs de la ville. Dites-lui que vous voulez sa serrure la plus perfectionnée, celle qu'il a utilisée pour le bureau de l'intendant Enon, au Palais.La précision de la requête ouvre de nouvelles questions, mais est-il vraiment utile de demander à Alyss comment elle peut être au courant de tant de détails ? La petite Haradrim, qui semble inhabituellement agitée, observe tout autour d'elle avec fébrilité, cherchant quelles autres failles peuvent mettre en danger la vie de Merilin.
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Est-ce que vous voyez autre chose ? Pas d'autre accès à la chambre ? Une sortie de secours, peut-être ?#Alyss #Zaël