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 L'éloquence des femmes n'est pas toujours muette

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Nivraya
Assistante de l'Intendant d'Arnor
Nivraya

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L'éloquence des femmes n'est pas toujours muette EmptyMer 28 Sep 2016 - 23:44
Inspire.

Expire.

Inspire.

Elle toque à la porte doucement, et maîtrise la nausée qui a menacé de s'emparer d'elle sur le trajet. Lissant soigneusement ses robes, tirant sur ses manches, ajustant sa coiffure, elle attend avec fébrilité qu'on vienne lui ouvrir. La porte de bois vernis, gardée par deux hommes qui ne lui adressent pas même un regard, affiche de superbes sculptures finement ouvragées qui figurent des animaux fantastiques et des paysages imaginaires. Des feuilles de vigne s'entortillent autour de branches si réalistes que l'huis ressemble à un passage vers le cœur d'un arbre. Ne pas y toucher. Ne pas céder à la tentation de caresser la tiédeur du matériau, ne pas goûter à ce plaisir de roturier qui n'a rien à faire chez une aristocrate, une femme noble et distinguée bien au-dessus de ces choses triviales. Elle se compose un air de circonstance, et lorsqu'elle entend bientôt le loquet bouger à l'intérieur, elle se redresse par réflexe. Le battant glisse silencieusement sur ses gonds parfaitement huilés. Elle s'incline en une révérence protocolaire parfaite, et comme le veut la règle se fend d'un :

- Votre Majesté.

- Dame Nivraya, je suis enchantée de vous voir. Mais je vous en prie, entrez donc.

La femme aux cheveux roux lève la tête vers son interlocutrice. Son sourire éclatant est, lui aussi, de circonstance car ses yeux ont l'air curieusement tristes et préoccupés. Rien qui ne saurait abattre la flamme que l'on voit danser au fond de ses iris royaux, néanmoins. La splendide nouvelle Reine d'Arnor, Dinaelin fille de Gudmund, n'en finit pas de faire forte impression sur les gens qui l'entourent, et Nivraya se laisse subjuguer par son charisme. Elle associe une profonde dignité qui force le respect, à une simplicité qui ne fait que grandir sa personne. S'effaçant pour laisser entrer son invitée, elle referme la porte elle-même sans avoir eu besoin de serviteurs pour cela. Pénétrant pour la première fois dans les « appartements de la Reine », une sorte de salon privé dans lequel Dinaelin reçoit ses invités et ses conseillers personnels, Nivraya ne peut s'empêcher de laisser son regard glisser sur le mobilier et la décoration. Les choix de sa souveraine ne la surprennent guère, et comme il est de notoriété publique que cette dernière est une amatrice d'art, les tableaux et les fresques qui décorent son intérieur ont tout à fait leur place. Le regard de celle qui, en définitive, n'est qu'une petite chose face à cette puissante monarque, accroche par hasard un tableau particulier que la propriétaire des lieux a fait faire encadrer et accrocher au mur. Cette dernière, captant son regard, sourit avec davantage de sincérité et lance :

- C'est votre tableau, oui. Je trouve qu'il est tout à fait à sa place ici.

- C'est trop d'honneur, Votre Majesté.

Ne pas la contredire. Ne pas la contredire même si ce présent semble bien étrange au milieu de tableaux de maîtres, réalisés par des artistes reconnus. Ne pas rougir, non plus. Ce serait inconvenant. Nivraya pose son regard sur le reste de la pièce, captant un mouvement sur sa gauche. Quelqu'un, installé dans un fauteuil, vient de se lever. Immédiatement, la jeune femme s'incline de nouveau, sans cacher cette fois sa surprise :

- Votre Altesse, je… J'ignorais que vous étiez présente, pardonnez-moi.

- Je vous en prie, réponds Poppea avec amusement. Je suis ravie de vous voir, Dame Nivraya.

La situation prend une tournure singulière tout à coup, et la dernière arrivée ne peut que s'interroger sur la raison de cette invitation. Elle n'ose, pourtant, formuler sa question à voix haute de crainte de se montrer trop méfiante, trop sur la défensive. Toutefois, son attitude trahit immanquablement son hésitation. Poppea d'Arnor, encore héritière du trône à l'heure actuelle, esquisse un sourire à l'attention de Dinaelin en lui glissant :

- Je devine que Dame Nivraya ne connaît pas la raison de sa présence ici. Nous devrions lui expliquer pourquoi nous sommes toutes trois rassemblées, je suppose que cela apaiserait les craintes que je discerne dans son regard.

Nivraya frémit légèrement, se sentant soudainement fiévreuse. Elle se retient de s'appuyer sur la commode à ses côtés, pour ne pas trahir son instant de faiblesse. Avec beaucoup de maîtrise, elle répond :

- Je ne ressens pas de crainte en votre présence, Votre Altesse, ni en la vôtre Votre Majesté. Je suis seulement surprise de me voir en si illustre compagnie, alors que je n'appartiens pas à la haute noblesse de notre royaume.

Dinaelin acquiesce silencieusement, puis enjoint ses invitées à l'imiter en prenant place sur les fauteuils confortables qui leur sont offerts. Elle remplit les deux premiers verres d'un vin délicat qui les observe à travers les parois transparentes de la carafe où il est retenu, mais Nivraya interrompt son geste en lui demandant plutôt de l'eau. Une fois la demande satisfaite, les trois femmes lèvent leur verre, et le moins bon tiers de la réunion termine sa boisson d'un trait comme si elle était assoiffée. Elle n'a pas pu se retenir.

Inspire.

Expire.

Elle retrouve la maîtrise d'elle-même, et se tient prête à écouter Dinaelin qui, son léger étonnement passé, feint de n'avoir rien vu pour commencer son explication :

- Dame Nivraya, j'ai ouï dire que vos récentes enquêtes menées au nom de la couronne d'Arnor vous avaient conduit à émettre un certain nombre de recommandations à notre très estimé Intendant Enon, concernant particulièrement la sécurité des personnes d'importance, la traque et la neutralisation des menaces internes au royaume, ainsi que la mise en place d'une nouvelle politique pour la gestion de nos forces armées. Sauriez-vous m'en dire davantage ?

Nivraya ne peut s'empêcher de tiquer. Il s'agit là d'un rapport confidentiel, remis en main propre à l'Intendant pour lui seul. Comment la Reine a pu en avoir connaissance ? C'est un mystère. Il est de notoriété publique que le conseiller de la Reine, sire Pallando, est en très bons termes avec Aleth Enon, mais de là à imaginer qu'il aurait pu lui révéler de tels secrets d’État, il y a un monde. Poppea, qui se contente d'observer pour l'heure, pourrait également avoir usé de son autorité pour avoir accès au contenu de cette lettre, mais dans quel but ? Coincée, Nivraya n'a d'autre choix que de répondre à sa suzeraine :

- Vous… Vous semblez avoir déjà pris connaissance de mon rapport, Votre Majesté. Dans les grandes lignes, du moins. Permettez-moi de vous éclairer en détail sur mes propositions. Les forces armées du royaume sont soumises à une chaîne hiérarchique qui dépend principalement de la compétence des officiers et des nobles qui constituent sa colonne vertébrale. Cependant, dans mon rapport, je questionnais la nature du poste de Tribun, qui est bien davantage qu'une distinction honorifique comme vous le savez. Avoir confié une telle responsabilité à sieur Neldoreth, que l'on dit actuellement en mission pour la Couronne, me semble être une très mauvaise idée. Non pas que l'homme m'apparaisse comme un renégat, mais j'ai la conviction que nos forces armées seraient mieux gérées si le poste éminemment important de Tribun n'était pas entre les mains d'un aventurier absent de la capitale ou d'une des principales villes du royaume. Sa disparition, même pour des motifs tout à fait valables, sème le trouble et l'inquiétude chez les soldats qui cherchent désespérément à se tourner vers des figures de confiance, des hommes capables et des meneurs à même de les guider conformément aux directives royales.

Nivraya marque une pause. Elle n'a rien de personnel contre Forlong, un homme reconnu pour son mérite dans le royaume d'Arnor, mais qui lui apparaît bien trop comme un loup solitaire et moins comme un chien de guerre. Les Tribuns d'Arnor occupent des postes cruciaux dans la gestion de la défense du pays, mais ils peuvent également devenir un facteur de troubles. Leur capacité à mobiliser des troupes rapidement, à surpasser toute autorité sinon celle du roi, et à s'imposer aux autorités civiles en cas de besoin en font des éléments dangereux qui doivent être mieux contrôlés. Laisser un homme paré des insignes de Tribun s'évanouir dans la nature alors qu'il a déjà déserté son poste n'est pas prudent. Loin de là. Les hommes tels que lui sont imprévisibles et incontrôlables. Dinaelin semble ne pencher dans aucune direction, et elle s'abstient de tout jugement concernant le Tribun en question. C'est Poppea qui reprend alors :

- Et que pensez-vous que soit parti faire le nouveau Tribun, à votre avis ?

La question laisse planer des sous-entendus qui mettent Nivraya particulièrement mal à l'aise. Elle se voit obligée de confesser :

- Je l'ignore, Votre Altesse… Je n'ose m'avancer, mais je suppose que ce doit être une mission secrète. Aucun régiment n'a été mobilisé sous les ordres du Tribun, et seuls quelques hommes ont été recrutés dans la plus grande discrétion pour une mission non spécifiée. Je suppose que seuls le Roi Aldarion et vous-mêmes en savez davantage.

- Nous n'en savons rien, Dame Nivraya. Il semble que Aldarion et l'Intendant Enon prennent des décisions dans un cercle restreint, sans étendre leur confiance à quiconque. Êtes-vous au fait de la missive ?

Nivraya observe tour à tour Poppea, puis Dinaelin :

- Sauriez-vous être plus spécifique, Votre Altesse ?

- La missive des Érudits.

Le nom sonne particulièrement solennel, et Nivraya ne peut s'empêcher de porter la main à ses tempes qui soudainement lui font très mal. Elle ne ferme les yeux qu'une seconde, trahissant une gène bien plus profonde et bien plus insidieuse. Retrouvant le contrôle de son corps rapidement, elle répond avec assurance :

- Je n'ai pas entendu parler d'une telle missive. Pas plus que je n'ai entendu parler des Érudits que vous mentionnez. De qui s'agit-il ?

Dinaelin fait la moue :

- Dame Nivraya, êtes-vous certaine que rien de tel n'a été mentionné dans une conversation concernant l'Intendant Enon ? Qu'il n'a pas, par votre biais ou par un autre, demandé à quelqu'un de s'occuper d'une affaire de la plus haute importance impliquant de retrouver quelque chose, n'importe quoi ?

Nivraya s'agite sur son siège. Tout à coup, elle a l'impression d'être prise entre deux camps, la Reine et le Roi, Poppea et Aleth. Deux camps qui devraient n'en faire qu'un, mais qui de toute évidence se cachent des choses réciproquement. Pourtant, elle ne peut mentir à sa suzeraine, même si pour cela elle doit quelque part révéler des choses qui devraient rester cachées :

- Votre Majesté, je vous assure que j'ignore tout de cette affaire. Je… Un grand nombre de documents transitent par moi, c'est certain. Cependant, tout ce qui a trait aux secrets de l'armée ou aux renseignements qui nous sont fournis à l'intérieur et à l'extérieur du royaume ne m'est pas accessible. L'Intendant s'occupe personnellement de ces questions. Je peux uniquement vous affirmer que, si une telle directive avait été donnée de manière officielle à nos soldats, j'en aurais été informée. Je n'ai vu nulle part également de mention de soldats mobilisés sans ordre de mission particulier, comme cela a par exemple été le cas avec le Tribun Neldoreth. Je crains de ne pouvoir vous être très utile à ce propos…

Poppea secoue la tête négativement :

- Au contraire, Dame Nivraya, vous nous serez d'un grand secours. Nous avons des raisons de penser que les menaces qui pèsent actuellement sur le royaume ne sont pas vraiment prises en compte par nos hommes au pouvoir. Parce qu'ils n'y croient pas, parce qu'ils ne veulent pas les voir ou qu'ils n'y accordent guère d'importance. Dans tous les cas, il y a lieu de penser que Aldarion et Aleth laisseront cette menace grandir, et nous ne sommes pas prêtes à laisser cela arriver. Pas encore.

- J'entends bien vos inquiétudes, Votre Altesse. Cependant, que puis-je faire dans ma position ? Si le Roi et l'Intendant refusent d'écouter vos honorables avis, que feraient-ils de celui d'une simple assistante ?

Dinaelin repose son verre sur la table, et dans son regard on lit une lueur difficile à cerner :

- Si vous étiez vous-même Intendante, vous pourriez changer les choses, n'est-ce pas ?

Nivraya perçoit clairement la nausée revenir.

Inspire.

Expire.

Rester calme. Rester parfaitement calme. En d'autres circonstances, les propos de la Reine pourraient passer pour séditieux. Mais il s'agit de la Reine d'Arnor, qui n'œuvrerait jamais contre les intérêts du royaume. Encore moins Poppea, une des personnes les plus dévouées à la couronne. Non, décidément il y a quelque chose d'autre, forcément. Les deux femmes attendent une réponse. La troisième déglutit. Elle a la gorge sèche. Elle cherche à boire une gorgée d'eau, mais son verre est vide. Pas de panique. Pas de panique. Surtout, pas de panique.

- Je suppose, répond-elle prudemment, que je ferais les choses différemment. Si… si les menaces dont vous parlez sont si importantes, je prendrais assurément des mesures pour au moins découvrir quelle est leur source, et peut-être, par ailleurs, les contenir. Je… ne peux imaginer que l'Intendant Enon soit enclin à laisser le royaume courir un péril mortel. Il doit avoir… avoir des raisons.

Elle n'a pas pu s'empêcher de ramener Enon à la conversation. Comme pour se convaincre qu'elle n'est pas en train de faire quelque chose dans son dos. Dans le dos de l'homme qui lui a fait confiance, qui l'a hissée à cette position prestigieuse malgré tout. Un homme qui a fait beaucoup pour sa notoriété, mais qui a également peint une cible dans son dos. Le prix de la gloire. Elle frémit de nouveau, et cette fois son tremblement ne passe pas inaperçu. Poppea l'interroge du regard. Dinaelin par le verbe :

- Dame Nivraya, allez-vous bien ? Vous semblez gênée… Je vous assure que cette conversation est parfaitement privée, et que vous êtes en droit d'exprimer vos inquiétudes en toute liberté. Rien de ce que vous direz ici ne sera rapporté à…

- Votre Majesté, l'interrompt brusquement Nivraya, qui se sent soudainement faiblir. Je… Je…

Elle essaie de se lever, mais son bras glisse sur l'accoudoir et elle trébuche misérablement, terminant à genoux sur le tapis hors de prix. Dans la seconde, ses deux hôtes se portent à ses côtés, l'assaillant de questions, essayant de déterminer dans le même si elle va bien, ce qu'elle a, ce dont elle a besoin, et mille autre choses qui donnent le tournis à la pauvre invitée, anormalement blafarde. Elle leur fait signe que tout va bien, mais avant d'avoir pu trouver la force de convaincre quiconque, elle entend Poppea se lever pour aller chercher un guérisseur de toute urgence.

- N'en faites rien, je vous en prie ! Tente-t-elle.

- Je vous assure que ce n'est rien, Dame Nivraya. Restez calme. Ce n'est qu'une faiblesse passagère, rien qu'un peu de repos et quelques décoctions ne pourront combattre. On dit que vous travaillez beaucoup, et je gage que vous n'avez pas pris suffisamment de temps pour vous remettre après les récents… événements…

La jeune femme rousse lève la main, comme pour implorer Poppea qui se trouve déjà à la porte, prête à l'ouvrir pour intimer à l'un des gardes en faction d'aller trouver quelque homme de confiance pour venir examiner une femme ayant fait un malaise. Les yeux de Nivraya s'embuent. Elle tempête intérieurement contre son impuissance, contre sa maudite faiblesse étalée au grand-jour, contre sa stupidité sans bornes. Ses mâchoires crispées se desserrent légèrement et elle souffle :

- Je vous en supplie, Votre Altesse, n'appelez personne… Je… Je suis enceinte…

Poppea interrompt immédiatement son geste, main tendue presque posée sur la poignée. Dinaelin, toujours agenouillée aux côtés de Nivraya, se laisse aller à une palette d'expression proprement stupéfiante. D'abord une joie sincère, pure et spontanée, avant de glisser doucement vers une forme de tristesse et peut-être de jalousie. Puis, revenant à la première concernée et voyant sa réaction désenchantée, à une inquiétude pleine de sollicitude.

- Dame Nivraya, c'est… c'est une excellente nouvelle, je l'ignorais tout à fait !

- Je vous remercie, Votre Majesté. Personne n'est au courant pour l'heure.

Poppea revient vers elles avec un sourire, et un trait d'humour :

- Sauf le père de l'enfant, naturellement.

La nausée revient.

Inspire.

Expire.

- Je crois que je vais vomir.

#Dinaelin #Nivraya #Poppea
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Ryad Assad
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L'éloquence des femmes n'est pas toujours muette EmptyLun 27 Mar 2017 - 4:04
L'éloquence des femmes n'est pas toujours muette Poppea10

L'inquiétude se lisait sur les traits de Poppea, qui marchait aussi rapidement que le lui permettaient les lourdes robes qu'elle devait porter en permanence. Peste soit de ces vêtements bien trop encombrants et peu pratiques ! Elle revenait de la Salle du Trône où, sans surprise, elle n'avait pu qu'apercevoir très brièvement son suzerain. Aldarion était occupé à régler les affaires du Sénat, et il n'avait pas le temps de se consacrer à autre chose, même pour prêter l'oreille à ce que la sœur de sa feue épouse avait à lui dire au sujet des troubles du royaume. Elle avait réussi à attirer son attention entre deux audiences, mais il lui avait répondu par une moue désolée comme pour lui signifier qu'il aurait bien préféré se trouver à mille lieues de là, mais qu'il devait faire ce que son devoir lui commandait. La jeune femme n'avait pas insisté, et avait pris la direction de l'office de l'Intendant Enon. Lui-même, beaucoup moins sollicité que son monarque, aurait sans doute le temps de la recevoir.

Elle avait rapidement ravalé son optimisme.

L'Intendant était souffrant, lui avait dit un factionnaire gêné de ne pas pouvoir accéder à sa requête. Elle ne l'avait pas vraiment écouté, et avait usé de toute son autorité pour faire ouvrir une porte qui normalement aurait dû rester close. Mais Aleth Enon ne s'était pas retiré par courtoisie. Elle avait entendu ses quintes de toux violentes, entrecoupées de stridors guère rassurants. Quelques secondes plus tard, réagissant au bruit de la porte qui se refermait, c'était le Conseiller de la Reine qui s'était avancé vers elle avec l'air épuisé. Il avait retroussé les manches de sa tunique bleue, et de toute évidence il travaillait à préserver son patient. Poppea, oubliant soudainement les raisons de sa vue, s'était enquise :

- J'ignorais que c'était aussi grave… Est-ce qu'il va… ?

Elle n'avait osé formuler les choses à voix haute, et le silence qui s'était installé pendant une demi-seconde n'avait été brisé que par les râles de l'Intendant. Pallando avait alors répondu :

- Il est très affaibli, et j'en conviens son état peut sembler inquiétant. Mais rassurez-vous, les meilleurs guérisseurs du royaume s'occupent de lui…

- Et vous-même ? Avait-t-elle demandé.

Il avait haussé les épaules négligemment :

- Je ne suis pas guérisseur, bien que je dispose de quelques savoirs venus de contrées lointaines… Je reste néanmoins à son chevet aussi longtemps qu'il m'est permis, et j'apporte mon aide aussi modeste soit-elle. Réagissant à une gémissement plus fort que les autres, il avait ajouté : Il a besoin de moi, je suis désolé… Je vous ferai parvenir de ses nouvelles régulièrement si vous le souhaitez.

Acceptant cette proposition, elle s'était retirée gracieusement, encore troublée par ce qu'elle venait de voir et d'entendre. Elle ne connaissait pas l'Intendant aussi bien que les gens d'Annúminas, certes, mais l'homme avait toujours montré une grande bienveillance envers elle par le passé. Même quand elle avait été contrainte de revenir à la capitale, après les terribles événements de la Couronne de Fer, elle avait trouvé en lui un allié de poids qui lui avait montré les pièges à éviter, et s'était arrangé pour faciliter son installation. Elle lui devait énormément à titre personnel, de même qu'elle lui devait au nom de tout le royaume. Sa réputation le précédait, et il était de ces gens qui permettaient à l'autorité d'Aldarion de s'étendre sur tout l'Arnor : c'était notamment grâce à son influence que l'Ordre de la Couronne de Fer n'avait pu mettre son plan à exécution. Il avait œuvré au cœur d'un réseau d'ennemis déguisés, et malgré les rumeurs persistantes qui annonçaient son souverain mort, sa loyauté n'avait jamais flanché.

Un homme de bien.

La tête pleine de ces pensées sombres, Poppea cherchait donc une oreille à laquelle elle pouvait confier ses soucis du moment. Elle avait longtemps songé à aller voir sa suzeraine, mais elle savait que celle-ci ne pourrait guère la conseiller. Si son esprit avisé pouvait s'avérer précieux dans bien des cas, il y avait aussi bien des situations dans laquelle son inexpérience du royaume la desservait. Dinaelin se souciait assez peu de la guerre, des gens d'armes et de la défense du royaume. Son éducation Dalite jouait énormément sur cela, mais on sentait aussi que tout ce qui touchait à la violence la mettait assez mal à l'aise. Cela ne l'empêchait pas d'apprécier Poppea, qui avait grandi dans un monde radicalement différent, et la réciproque était vraie. Les deux femmes, qui se rejoignaient sur bien des points de vue, nourrissaient des discussions fructueuses au coin du feu quand elles en avaient fini avec leurs obligations respectives. Toutefois, il n'était pas l'heure de refaire le monde dans le confort d'appartements luxueux, mais bien d'agir face à l'urgence d'une crise qui couvait. Se repliant sur sa dernière carte, la jeune femme vint frapper à une porte où, espérait-elle, elle trouverait ce qu'elle recherchait.

Une jeune servante qui semblait venir du Sud ou de l'Est vint lui ouvrir. Poppea ne s'étonnait plus de la voir désormais, mais elle s'était toujours demandée quelle était l'histoire de cette dame de compagnie distraite, maladroite parfois, qui pourtant semblait être indispensable à sa maîtresse. Sans doute remplissait-elle aussi la fonction de confidente, voire d'amie.

- Puis-je entrer ? Demanda la noble.

- Bien sûr, après vous ! Répondit joyeusement la jeune servante avec son accent chantant.

Pénétrant à l'intérieur, Poppea fut accueillie par une douce fraîcheur qui contrastait avec la chaleur parfois étouffante du dehors. Elle apprécia un bref instant cette transition agréable, tandis que son hôte se levait pour l'accueillir, faisant une élégante révérence de circonstance. Poppea, serrant ses mains de cette dernière, la releva et lui glissa :

- Dame Nivraya, j'espère que je ne vous dérange pas… Je vois vous parler d'une affaire qui me préoccupe.

L'éloquence des femmes n'est pas toujours muette Nivray10

Si la Dame de Gardelame avait manifesté une pointe de surprise, elle l'avait rapidement cachée derrière un masque de sérieux. Rares étaient les personnes d'un si haut rang qui venaient la voir pour lui annoncer d'emblée qu'ils avaient un problème à lui confier. Elle répondit immédiatement :

- Je vous en prie, Votre Altesse… Asseyons-nous si vous le voulez. Désirez-vous une boisson ?

Poppea fit signe que non, mais accepta l'invitation à prendre place sur les fauteuils confortables. Elle s'assit en prenant grand soin de ne pas froisser ses robes, tandis qu'en face d'elle Nivraya paraissait y parvenir sans le moindre effort. L'habitude, sans doute. La politesse aurait sans doute exigé que les deux femmes prissent des nouvelles l'une de l'autre, particulièrement car l'actuelle invitée était une des très rares personnes à savoir que la Dame de Gardelame attendait un enfant. Toutefois, elles avaient noué une relation qui avait depuis longtemps dépassé les barrières de la courtoisie : elles travaillaient à maintenir le royaume fort, et même si leur rôle secondaire les obligeait à agir en sous-main, elles n'en demeuraient pas moins particulièrement concernées par la situation encore fragile de l'Arnor. A ce titre, Nivraya et Poppea étaient en parfaite harmonie, et elles ne pouvaient s'empêcher de vouloir en faire davantage pour anticiper et neutraliser les menaces qui grouillaient encore. Décidant donc de faire part de son inquiétude, elle commença :

- J'ai reçu de bien sombres nouvelles, Dame Nivraya. On rapporte que les Gobelins se montrent de plus en plus agressifs dans le Nord et l'Est du royaume. Ils attaquent les convois, et pillent les villages les moins défendus. C'est un mal auquel, hélas, nous sommes trop habitués.

- Certes, Votre Altesse. Je pressens toutefois que quelque chose d'autre vous amène.

Poppea hocha la tête. Oui, il y avait bien quelque chose qui la dérangeait au plus haut point :

- Vous ne vous trompez pas. J'ai appris ce matin des rumeurs qui n'augurent rien de bon. On raconte que des hommes en armes auraient été aperçus au Nord… Les Gobelins ont aussi quelques bastions dans les environs, et qui sait ce qu'abritent encore les Monts d'Angmar ? La situation est bien plus préoccupante qu'on veut bien le dire à Annúminas, et j'ai peur que nous soyons aveugles à une menace qui grandirait dans l'ombre.

Nivraya garda le silence un instant, réfléchissant visiblement à l'affaire qui – il fallait bien l'avouer – ne pouvait que susciter l'inquiétude. L'Ordre de la Couronne de Fer avait peut-être été vaincu, mais nul ne savait exactement où remontaient les racines de leur corruption en Arnor, et il valait mieux être prudent. Surtout que la menace des Gobelins n'était pas à prendre à la légère. Elle finit par rétorquer :

- Je n'ai pas le pouvoir de prendre une décision pour faire changer les choses, Votre Altesse. Je peux cependant envoyer des enquêteurs, collecter des rapports plus précis, et essayer d'inciter les militaires à se pencher sur ces questions…

- Cela ne servirait à rien, trancha Poppea. Nos soldats ont des consignes strictes, et ils ne s'aventurent pas dans les régions les plus dangereuses qui pourtant ne sont qu'à quelques lieues de nos villes ! Dame Nivraya, je dois trouver un moyen de retourner à Fornost.

Elle avait dit cela avec tant de conviction qu'elle ne s'était pas rendu compte à quel point elle s'était avancée sur son siège, penchée en avant, à deux doigts de tomber. Retrouvant une posture plus maîtrisée, elle poursuivit :

- Je ne suis pas une dame de cour, et nous savons toutes les deux pourquoi je suis prisonnière ici…

Elle marqua une pause lourde de sens. Nivraya savait effectivement que deux des trois héritiers royaux avaient été assassinés à Fornost, dans l'Ancienne Forteresse, sous la surveillance de Poppea elle-même. Personne ne la blâmait pour cela, car tous avaient été dupés, et elle s'était battue comme une lionne pour repousser les tueurs. Mais dès lors que le sujet était mis sur la table, son malaise était perceptible et il était évident qu'elle s'en voulait terriblement. Elle avait l'impression d'avoir trahi la confiance de son Roi, de son beau-frère… et ce n'étaient pas seulement un Prince et une Princesse qui étaient morts dans ses bras. C'étaient son neveu et sa nièce, qu'elle avait eu tout le temps d'apprendre à aimer avant de les voir lui être arrachés. Elle reprit :

- Je ne suis pas l'héritière du trône d'Arnor, et ne le serai jamais. En revanche, je suis la dernière représentante de la famille des Ducs de Fornost, et mon devoir est de veiller à la défense de cette cité, comme mon père et ses pères avant lui. Aujourd'hui, je pressens un grand danger, et plus que jamais ma place est auprès de mon peuple. M'aiderez-vous, Nivraya ?

#Pallando #Aleth


Membre des Orange Brothers aka The Bad Cop

"Il n'y a pas pire tyrannie que celle qui se cache sous l'étendard de la Justice"
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