La guerre est nécessaire quand elle est juste

- Que rougisse la terre, que brunissent les cieux, que frémissent leurs femmes, et leurs aïeux…

Elle prit une poignée de terre magique, et la jeta dans les flammes. Le foyer devint un incendie pendant l’espace d’un instant, et les hommes reculèrent d’un pas, saisis d’effroi. Ils tournèrent le regard vers leur guide, leur protectrice, dont les sinistres pouvoirs avaient su les guider jusqu’à présent à la victoire. Ils la suivraient encore aujourd’hui, jusqu’à la mort.

- N’oubliez jamais les serments du passé, les amis, les alliés… Souvenez-vous de ceux qui ont trahi… des briseurs de serments, des amis d’antan, devenus étrangers. Voyez ces vertes plaines qui s’ouvrent devant vous, voyez comme elles regorgent de trésors… Villes et villages, cités sous les nuages, et troupeaux de passage. Voyez ! Tandis que la famine assaillait nos corps, et la terreur nos esprits… nos frères se délectaient d’une vie d’opulence et de luxe… Et leur fortune, construite sur les dos décharnés de nos ancêtres, ils la réclameraient pour eux seuls ? Cupides assassins, tristes aigrefins… Vous apprendrez bien vite que le crime non seulement ne paie pas, mais exige réparation. Ce soir, c’est bien justice que nous demandons !

Ils levèrent leurs armes et leurs boucliers, leurs épées et leurs haches, leurs lances et leurs poings. La colère avait remplacé la crainte, et dans leurs yeux épuisés, on lisait désormais une envie d’en finir. Ils avaient tant marché pour en arriver là, tant sacrifié, tant perdu… Beaucoup espéraient que ce serait la dernière bataille, le dernier effort.

- Justice ! Justice !

Ils reprirent ce cri de guerre, de plus en plus fort, comme si leurs voix graves et sombres gorgeaient leurs veines d’une énergie nouvelle. La terre se mit à trembler sous leurs pas tempétueux, et l’air s’emplit bientôt des tambours de la guerre qui résonnaient à travers les plaines, portés par les vents du destin. Au milieu de cette foule, elle les regardait, et pointa le bras en direction de l’Ouest. Ils n’eurent pas besoin d’ordre pour s’élancer…

La plupart des habitants avait eu le temps d’évacuer le village, comprenant aux premiers sons de tambour que les spectres orientaux étaient sur eux, et qu’il valait mieux fuir dans les plus brefs délais. Les autres, peut-être trop cupides pour abandonner derrière eux leurs maigres possessions, ne réalisèrent que trop tard l’urgence de la situation. Des dizaines de silhouettes, sombres comme la nuit qui les enveloppait, dévalaient les collines du Riddermark en hululant de drôles de cris de guerre. Ils fondirent sur leurs proies, saisis par une furie vengeresse qui n’épargna aucun de ceux qui osa résister.

Quelques cavaliers apparurent au loin, mais ils étaient bien trop en retard pour intervenir et changer quoi que ce fût à l’issue du combat. Ils se contentèrent d’observer la situation, et disparurent avant les premières lueurs de l’aube…

Les hommes célébrèrent dignement cette victoire, avant d’entreprendre de piller méthodiquement le village, qui se retrouva bientôt dépossédé de tous ses biens de valeur, et même davantage. On vit des assaillants découper de larges portions des maisons pour les charger sur leur dos et les ramener vers leur peuple, qui manquait cruellement d’abri. Les toits en chaume furent démontés, les enclos furent arrachés pour leur bois si précieux. Ces sauterelles humaines, qui agissaient avec une efficacité rare, laissèrent derrière eux un vaste champ de ruines, disparaissant avec la venue du jour, comme un mauvais souvenir.

Leur retour auprès des leurs fut l’occasion d’évoquer ce qu’ils avaient vu, et tandis qu’ils déchargeaient leur butin, la femme qui avait pris soin de les mener à la bataille se rendit auprès des chefs pour s’entretenir avec eux.

- Qu’avez-vous vu, sœur Wyrda ?


- Le peuple de Rohan, chef Kaara, est désuni, désorganisé, et faible… Les cavaliers qui nous observent n’osent pas approcher, à raison, craignant sans doute de subir le même sort que les ridicules paysans qui croisent notre route. Cependant, j’en appelle à votre sagesse, chef Kaara. Les guerriers de ce peuple viendront bientôt, et nous ne devons pas attendre qu’ils portent le premier coup. Frappons, frappons tant qu’ils sont encore vulnérables…

Les paroles de Wyrda produisirent un certain malaise.

Jusqu’à présent, ils avaient toujours justifié leur entreprise par la nécessité de rétablir la justice. Ils étaient là pour prendre ce qui leur revenait de plein droit, et que l’on refusait de leur donner. Devaient-ils pour autant accepter de devenir les agresseurs, alors qu’ils se pensaient encore comme les victimes de leurs ennemis ?

Wyrda le pensait, et elle n’était pas la seule.